Union européenne
Prix du médicament : combien de temps durera l’“ingérence minimale” ?
1La Commission européenne adoptera le 6 octobre 2010 une communication qui dressera les contours d’un programme de grande ampleur pour relancer le marché intérieur. Dans la suite du rapport élaboré par le professeur Monti, ancien commissaire européen, cette communication est conçue comme le fondement d’une série d’initiatives marquant une impulsion similaire à celle qui avait présidée à l’adoption de l’Acte unique en 1987. Dans ce cadre, la constitution d’un marché unique du médicament sera posée. Avec elle, la révision de la directive 89/105, dite transparence, du 21 décembre 1988, qui détermine les règles applicables pour la détermination des prix du médicament, devrait être annoncée.
2Il a toujours existé un décalage entre l’objectif de cette directive et les moyens qui y figurent. La directive de 1988 était un texte provisoire établissant des règles minimales dans l’attente d’une législation plus ambitieuse, initialement prévue en 1991, mais qui n’a jamais abouti. L’objectif affiché du texte est ainsi fixé : « éliminer les disparités » (considérant 2) de prix entre les différents États membres et de « vérifier si les mesures nationales ne constituent pas des restrictions quantitatives aux importations ou exportations, ou des mesures d’effet équivalent ». Les contraintes posées par la directive ne portent toutefois que sur la procédure applicable pour fixer le prix d’un médicament ; rien n’y est dit sur le niveau proprement dit de ce prix : les États membres doivent veiller à ce que leur décision soit adoptée et communiquée aux laboratoires pharmaceutiques dans un délai de 90 jours ; ils sont dans l’obligation d’examiner les demandes de modification du prix et doivent motiver leur décision, en s’appuyant sur des « critères objectifs et vérifiables » ; les discriminations qui ne seraient pas justifiables sont interdites. Rien n’impose néanmoins de tenir compte du prix européen dans la fixation du prix national ou de prendre en compte certains critères dans l’appréciation du prix.
3Nombreux sont les États membres qui utilisent les prix européens comme une référence dans leur décision de tarification. Une enquête d’Eurostat (« Produits pharmaceutiques, Comparaison des niveaux de prix dans 33 pays d’Europe en 2005 », Statistiques en bref, Économie et finances, 45/2007) en avril 2005 montrait néanmoins de grandes disparités de prix au sein de l’Union : les prix allemands étaient supérieurs de 28 % à la moyenne de l’Union européenne, alors qu’ils étaient inférieurs de 32 % en Pologne ; la France se situait alors à 9 % sous la moyenne européenne. Comme l’avait déjà relevé Pierre-Louis Bras dans cette revue, la Commission souhaite résorber ces écarts, qui nuisent au bon fonctionnement du marché intérieur (Communication de la Commission, « Renforcer l’industrie pharmaceutique européenne dans l’intérêt des patients », 1er juillet 2003) et peuvent favoriser des stratégies opportunistes des États membres, mettant en œuvre des importations parallèle. Elle est néanmoins jusqu’à présent désarmée pour y parvenir.
4L’un des mandats du forum pharmaceutique organisé par la Commission en 2007-2008 était de proposer des évolutions. Ses travaux, qui ont associé à périodicité régulière la Commission, l’industrie et les États membres (Final conclusions and recommandations of the high level pharmaceutical forum), ont abouti en octobre 2008 à des recommandations plus prudentes que ne l’aurait souhaité la Commission : densifier les échanges d’informations entre États membres en matière d’évaluation du service médical rendu ; mettre en place des méthodes commune d’estimations médico-économiques ; mettre en œuvre une complète libéralisation des prix des médicaments non remboursables. Le forum n’a toutefois pas recommandé de réviser la directive de 1988.
5Connaissant la réticence des États membres à toute initiative communautaire sur ces sujets et ayant à l’esprit la position de certains parlementaires européens en faveur d’un prix unique du médicament, la Commission Barroso I avait refermé le dossier. Usant de son pouvoir de saisine de la Cour de justice, elle avait misé principalement sur la jurisprudence pour accroître l’emprise du droit communautaire. Parmi les arguments mis en avant sur le plan juridique, figuraient les ambiguïtés de l’article 4 de la directive 89/105 qui impose que les mesures de « blocage des prix » s’appuient sur évaluations des « conditions macro-économiques ».
6Peine perdue. Dans deux arrêts récents, la Cour de Luxembourg a réalisé une interprétation restrictive de cette disposition. Par sa décision Menarini du 9 novembre 2009 elle a considéré que l’article 4 de la directive 89/105 ne s’opposait pas à l’adoption de mesures générales de réduction des prix du médicament, même si l’adoption de ces mesures n’est pas précédée d’un blocage des prix. Ces mesures sont possibles « plusieurs fois par an et pendant plusieurs années ». Elles peuvent être adoptées par exemple « sur le fondement d’estimations de dépense » à la seule condition que les critères employés soient objectifs et vérifiables.
7Dans une seconde décision du 14 janvier 2010, Association générale de l’industrie du médicament (Agim), la Cour avait à juger de la conformité à cet article 4 de mesures de blocage des prix mises en œuvre en Belgique entre 2003 et 2005. Le requérant mettait en cause une acception extensive par le gouvernement belge de la notion d’évaluation des « conditions macro-économiques ». La Cour a considéré qu’il appartient aux États membres de déterminer les critères applicables pour définir cette notion ; ils peuvent « tenir compte des dépenses de santé publique uniquement ou d’autres conditions macro-économiques, telles que celles relatives au secteur de l’industrie pharmaceutique » (point 21). En outre, la Cour a considéré enfin que les dispositions de la directive 89/105 n’ont pas d’effet direct horizontal, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent servir de fondement au recours d’un particulier devant une juridiction nationale à l’encontre d’un État membre.
8Le point 16 de ce dernier arrêt est particulièrement significatif de la philosophie de la Cour : « La directive 89/105 est sous-tendue par l’idée d’une ingérence minimale dans l’organisation des États membres de leurs politiques internes en matière de sécurité sociale ». Si une initiative de la Commission se confirme, cette logique d’« ingérence minimale » ne manquera pas d’être mise en avant par les États membres.
9Étienne Grass
OMS
Vaccination grippe et… meurtres
Violence meurtrière
10L’OMS Europe a lancé le 21 septembre un message sur les meurtres de jeune gens en Europe. Original, car on parle en général beaucoup de la violence des jeunes, mais comme si tous les jeunes gens étaient devenus des dangers pour les autres, les plus âgés. Le communiqué indique que la majorité des quarante meurtres quotidiens de jeunes Européens pourraient être évités. Quarante pour cent d’entre eux ont lieu avec des couteaux (et pas après des courses poursuites en voiture et avec des armes de guerre…) et certains pays ont réussi à limiter fortement ce type de violence. De plus, pour une victime qui décède, vingt sont probablement hospitalisés avec des blessures graves.
11Il y aurait en Europe 12 % de jeunes porteurs de couteaux. Et bien sûr, les mêmes 12 % sont les plus susceptibles d’en être victimes. Le plus souvent des hommes, en agresseurs mais aussi en victimes (80 % des blessés), et dans les catégories sociales les plus défavorisées. Il y a un facteur 30 de différences de taux entre les pays les plus à risque et les plus protégés. C’est dire que des pratiques de prévention, les cultures et probablement des facteurs économiques jouent un rôle essentiel. Mais aussi un environnement de « violence sociétale », car l’OMS précise que les jeunes gens sont vulnérables et victimes potentielles avant d’être acteurs de violence, et insiste sur les actions de prévention individuelles et collectives en amont. Plus facile à dire qu’à faire, mais commencer par le dire est peut-être le début de la sagesse, car nos sociétés ont souvent tendance aujourd’hui à ne parler que de l’acte final, comme si tout était dit dès le départ. Et la violence quotidienne à l’école, dans la communauté, ne peut pas se traiter uniquement par des actes de répression, quand les agresseurs sont aussi les victimes.
12L’OMS insiste évidemment aussi sur le rôle de l’alcool, pour lequel nos sociétés sont assez permissives (actions de promotion et de marketing à destination des plus jeunes, commerce multinational et lobbying catégoriel oblige). Il est suggéré qu’une approche de santé publique, multisectorielle, de la violence est nécessaire. Les réponses organisées de la société peuvent faire la différence, mais pas unisectorielles ; les systèmes de santé y ont un rôle essentiel. Faut-il confier à la DGS la coordination interministérielle de la violence des jeunes gens ?
13Références :
- European report on preventing violence and knife crime among young people (http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0012/121314/E94277.pdf).
- Violence and injury prevention programme (http://www.euro.who.int/violenceinjury).
- Safety 2010 world conference (http://www.safety2010.org.uk).
Et la grippe, cette année ?
14Le 27 septembre, l’OMS Europe a publié un communiqué de presse avec ses recommandations de vaccination. Les virus A (H3N2) et B circulent conjointement avec le H1N1 de la pandémie dans l’hémisphère sud. Il est donc recommandé que les personnes à risque de problèmes sévères pour les deux sortes de virus, « saisonnier » et « pandémique », soient vaccinées.
15L’OMS propose donc des groupes prioritaires :
- les individus de six mois et plus avec des maladies chroniques des poumons, du cœur, du rein, du foie, du métabolisme et les immunodéprimés,
- les personnes âgées habituellement bénéficiaires de la vaccination saisonnière,
- les femmes enceintes,
- les professionnels de santé, y compris tous les professionnels des institutions pour personnes âgées et handicapées,
- les résidents de institutions pour personnes âgées et dépendantes/handicapées,
- les autres, sur la base de « données nationales et capacités nationales » !
16Le soin est laissé aux lecteurs de comparer ces recommandations de l’OMS Europe avec celles que vient de publier le HCSP pour la France.
17Référence : WHO/Europe interim recommendations on influenza vaccination during the 2010-2011 winter season (http://www.euro.who.int/en/what-we-do/health-topics/diseases-and-conditions/influenza/publications/2010/vaccine-recommendations-for-winter-influenza-season).
18Yves Charpak
Droit
De l’objection de conscience au refus de soins légitime
19Dans la grande majorité des États membres du Conseil de l’Europe, la pratique de l’objection de conscience par les professionnels de santé est réglementée afin d’assurer que les intérêts et les droits tant des prestataires de soins de santé que des individus souhaitant accéder à des services médicaux légaux soient respectés, protégés et réalisés.
20Pourtant, l’augmentation du refus par des prestataires de soins d’assurer certains services en y opposant une objection religieuse, morale ou philosophique semble inquiétante au point que l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a considéré qu’il était nécessaire « d’établir un équilibre entre l’objection de conscience d’un individu qui refuse d’accomplir un acte médical donné d’une part et la responsabilité professionnelle et le droit de chaque patient à recevoir un traitement légal dans un délai approprié d’autre part ».
21Face à cette difficulté qui semble essentiellement toucher les femmes, notamment celles qui ont de faibles revenus ou qui vivent dans les zones rurales, l’assemblée a élaboré deux projets de recommandation et de résolution intitulés « Accès des femmes à des soins médicaux légaux : problème du recours non réglementé à l’objection de conscience ».
22Ces projets ont fait l’objet de nombreux amendements et de vives critiques. Ainsi, en France le conseil national de l’ordre des médecins a considéré que certaines dispositions du projet étaient inacceptables dans la mesure où, étant en contradiction avec les règles éthiques, elles « violent gravement la liberté de conscience des médecins ». Ainsi, le CNOM a dénoncé les dispositions du projet visant notamment à la création d’un « registre des objecteurs de conscience » ainsi que les obligations qui seraient faites aux professionnels de santé, d’une part de donner le traitement désiré auquel le patient a légalement droit en dépit de son objection de conscience, d’autre part de prouver que leur objection est fondée en conscience ou sur des croyances religieuses et que leur refus est donné en toute bonne foi.
23Sensible à ces nombreuses critiques, la résolution adoptée le 7 octobre 2010 relative au droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux (Résolution 1763, 2010) apporte de nombreuses modifications au projet initial et réaffirme l’importance du droit à l’objection de conscience.
24Ainsi, le texte dispose : « Nul hôpital, établissement ou personne ne peut faire l’objet de pressions, être tenu responsable ou subir des discriminations d’aucune sorte pour son refus de réaliser, d’accueillir ou d’assister un avortement, une fausse couche provoquée ou une euthanasie, ou de s’y soumettre, ni pour son refus d’accomplir toute intervention visant à provoquer la mort d’un fœtus ou d’un embryon humain, quelles qu’en soient les raisons. » L’assemblée du Conseil de l’Europe invite ensuite chaque État membre à élaborer des réglementations « exhaustives et précises » définissant et réglementant l’objection de conscience eu égard aux soins de santé et services médicaux, afin de garantir ce droit « en rapport avec la participation dans la procédure médicale en question ». Il importe également que les patients soient informés en temps utile de tout cas d’objection de conscience et envoyés chez un autre prestataire de soins de santé, afin qu’ils puissent bénéficier d’un traitement approprié, notamment en cas d’urgence. Gageons que ce texte permettra de mettre un terme efficace aux refus de soins des professionnels de santé !
25Anne Laude
Economie
Les équipes de soins de premier recours
26La loi HPST prévoit que « les professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leurs modes d’intervention auprès des patients ». Cette démarche doit être formalisée dans un protocole, protocole qui doit être approuvé par l’agence régionale de santé puis par la Haute Autorité de santé. Celle-ci peut « étendre un protocole de coopération à tout le territoire national ».
27La loi a fait le pari d’une démarche ascendante où la modification des frontières entre professions est censée émaner du terrain. Ce pari nous paraît révéler combien il est délicat de faire évoluer les territoires dévolus à chaque profession par une décision nationale. Décentraliser les décisions peut effectivement rendre localement possible des évolutions qui seraient rejetées si le débat s’engageait au niveau central. Dans une perspective optimiste, les expériences locales pourraient ainsi faire école, acquérir une valeur d’exemple et déboucher sur leur extension. Il est encore trop tôt pour savoir si la dynamique postulée par la loi se mettra en œuvre. Les professionnels sont-ils prêts à s’engager dans une démarche qui reste lourde et incertaine ? Les éventuelles initiatives seront-elles cohérentes et permettront-elles éventuellement de redessiner progressivement les attributions des différentes professions ? Comment articuler ces démarches avec un système de rémunération des actes articulé autour de chacune des professions ? Concrètement, si un médecin transfère tel ou tel acte de soin à une infirmière, cet acte sera-t-il rémunéré comme s’il était réalisé par un médecin ou assimilé à un acte infirmier ?
28Il est probable que les évolutions dans ce cadre resteront limitées et se borneront, dans le meilleur des cas, à organiser la substitution d’un professionnel à un autre pour quelques actes. Cette évolution prévisible n’est certainement pas à la hauteur des enjeux en ce qui concerne les soins de premier recours. En effet, leur organisation est confrontée à deux défis majeurs.
- La diminution du temps médical disponible. Le nombre de diplômés de médecine générale et des autres spécialités devrait diminuer respectivement de 7,5 et de 11,9 % et la densité médicale (nombre de médecin par habitants) de 16 % d’ici 2020. Ces données ne renseignent pas directement sur la densité en médecins de premier recours (tous les diplômés de médecine générale n’exercent pas en premier recours) mais celle-ci est certainement appelée à diminuer significativement. Par ailleurs, le temps médical par habitant devrait décroître de manière plus significative encore compte tenu du souhait des médecins généralistes de réduire leur temps de travail. Les « besoins » par habitant en termes d’accès à la médecine de premier recours pourraient quant à eux augmenter (vieillissement de la population, transfert du second recours vers le premier recours). Toutes ces évolutions démographiques suggèrent qu’il est nécessaire d’organiser un transfert significatif de tâches des médecins vers d’autres professionnels. S’il est possible d’envisager que les médecins dégagent du temps en déléguant des fonctions administratives à des assistants, c’est par un transfert d’actes de soins (troubles mineurs, suivi de patient chroniques) vers des infirmiers que l’on peut espérer répondre aux « besoins ».
- La nécessité d’enrichir les prises en charge en soins de premier recours. Il semble nécessaire d’accentuer les actions d’accompagnement des patients chroniques pour améliorer leurs capacités à participer plus activement à la prise en charge de leur pathologie et soutenir leur motivation à adopter des styles de vie appropriés. Diverses initiatives témoignent de ce souci et vont dans ce sens. Ainsi, le programme Sophia de la Cnam, à partir d’une plate-forme téléphonique, vise à apporter un soutien aux patients diabétiques. Dans le même esprit, les pouvoirs publics ont affirmé leur volonté de développer les programmes d’éducation thérapeutique. Ces initiatives sont certainement pertinentes mais leur limite principale tient à ce qu’elles ne sont pas directement intégrées à la prise en charge de premier recours. De même, le système de paiement à la performance mis en place par la Cnam (les Capi) a pour ambition, à travers certains de ses indicateurs, de promouvoir un meilleur suivi des patients chroniques, les patients diabétiques et hypertendus dans un premier temps. Toutefois, le médecin isolé dispose de peu de leviers d’action pour modifier substantiellement les conditions de la prise en charge de ses patients. Il est incité à améliorer une performance sans disposer de réels moyens pour la gérer. Les perspectives de la démographie médicale évoquées plus haut sont telles que l’on ne peut espérer que les médecins accentuent les efforts qu’ils réalisent déjà pour soutenir leurs patients. Pour espérer des progrès significatifs, il faut donc constituer, dans les cabinets de premier recours, une équipe où l’infirmier collabore avec le médecin et prend notamment en charge cette fonction de suivi et d’accompagnement. Les études conduites sur les équipes de soins montrent en effet que ce mode d’organisation ne se traduit pas par une simple substitution de l’infirmier au médecin mais aussi par un élargissement du service rendu au patient.
29Une telle dynamique n’est pas perceptible en France. Malgré des similitudes apparentes, la promotion des maisons de santé s’inscrit dans une perspective différente, ces maisons visant à rassembler divers professionnels pour une meilleure coordination sans modification substantielle des fonctions de chacun. Elles ne sont pas articulées autour d’une équipe de soins primaires où les rôles du médecin et de l’infirmier sont transformés. Saura-t-on engager cette transformation de notre système de soins de premier recours ?
30Pierre-Louis Bras