Couverture de SEVE_027

Article de revue

L'évolution de l'expertise sur le médicament

Pages 61 à 78

1La notion d’expertise sur le médicament sera prise dans son contexte d’évaluation préalable à une décision des autorités sanitaires, i.e. l’octroi, le retrait ou la modification d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) pour la France ou par l’Agence européenne des médicaments (EMA) pour le système d’enregistrement européen.

2Nous n’aborderons pas la question de l’évaluation ou expertise médico-économique, qui est dévolue à d’autres instances et procède selon d’autres critères, ni la question de l’expertise médico-judiciaire qui intervient lors d’accident ou d’aléa thérapeutique et qu’un dommage doit être évalué.

3Décrire l’expertise dans le domaine du médicament, et à des fins d’autorisation, suppose tout d’abord de situer brièvement l’objet de cette expertise – le médicament –, le contexte de l’expertise – les critères d’évaluation et procédures d’AMM – et enfin le cycle de vie de ce médicament, bien de consommation un peu particulier.
Après avoir rappelé quelques définitions sur le médicament et l’historique des procédures d’évaluation et d’autorisation, nous décrirons les principaux modes de fonctionnement de l’expertise et l’élaboration des critères, leur actualisation et leur exploitation dans la démarche d’évaluation et d’autorisation, tout au long du cycle de vie du médicament.

Définition de la spécialité pharmaceutique

4Le médicament est un des produits de santé, à côté des dispositifs médicaux ou des produits d’hygiène corporelle, énumérés par le code de la santé publique (CSP, art. L. 5311-1) comme entrant dans la compétence de l’Afssaps. Chacun de ces produits a un statut juridique particulier qui règle ses conditions de mise sur le marché et d’exploitation.

5Le médicament, dont la définition est donnée dans l’article L. 5111-1 du CSP, n’est pas une entité homogène et unique, dans la mesure où il est représenté par une classe de différents types de produits qui sont eux-mêmes régis par différents statuts réglementaires. Dans la classe des médicaments figurent les « spécialités pharmaceutiques » (définies par la directive européenne 65/65), qui sont les seuls médicaments soumis à AMM, obligatoire et préalable à leur commercialisation. Ce sont ces « spécialités pharmaceutiques », probablement parce qu’elles représentent la plus grosse part de la consommation des médicaments, qui sont désignés classiquement par ce terme imprécis de « médicament ».

6Ainsi, la notion d’expertise sur le médicament doit se comprendre ici comme l’expertise à réaliser sur les spécialités pharmaceutiques, seuls « médicaments » pour lesquels il existe des procédures et des critères d’évaluation qui seront appliqués avant toute décision concernant leur mise sur le marché, leur maintien et éventuellement leur retrait.

La phase d’évaluation avant autorisation

7L’expertise sur le médicament, dans son objectif d’encadrement et de surveillance des spécialités pharmaceutiques, doit donc s’entendre comme une discipline spécifique qui permet d’aboutir à des propositions de décisions sanitaires pour autoriser une spécialité pharmaceutique (qui sera désormais désignée sous le terme de « médicament » pour le reste de cet article), aux différentes étapes de son développement et de sa commercialisation, allant de l’autorisation pour essais cliniques à l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), puis l’AMM et le cas échéant à des décisions de modification ou de retrait de cette même AMM.
Pour bien comprendre l’évaluation/expertise sur le médicament telle qu’elle se pratique actuellement, il est important de rappeler quelques éléments historiques autour de la constitution de la notion d’AMM et la mise en place progressive de ce qui fait la base quotidienne de l’évaluation, alors que nous avons oublié les errances du passé et les drames qu’elles ont engendrés1, 2. Il faut notamment évoquer l’accident du thalidomide au début des années 1960 et la première directive européenne de 1965 (dir. 65/65) (cf. infra annexe 1), qui introduit la définition de la « spécialité pharmaceutique » et propose d’harmoniser les standards et critères d’autorisation et d’imposer qu’un médicament (la spécialité pharmaceutique) soit autorisé avant toute commercialisation dans un pays de l’Union. Ce n’est qu’en 1975 que la réglementation européenne (dir. 75/318) imposera aux États membres la mise en place effective des procédures d’autorisation des spécialités pharmaceutiques. Avant ces dates clefs, il faut rappeler qu’en France les médicaments produits « industriellement » étaient « mis sur le marché » après dépôt auprès du ministère de la santé d’un simple dossier scientifique et technique qui recevait un « visa » attestant de la décision administrative. Ce dossier décrivait brièvement les caractéristiques techniques et les propriétés pharmacologiques et cliniques du médicament proposé à la commercialisation. Les propriétés thérapeutiques revendiquées relevaient d’avis de spécialistes hospitalo-universitaires qui déclaraient avoir évalué les mérites du produit et le considéraient comme efficace et utile dans telle ou telle situation ou « indication thérapeutique ». Le plus souvent, ces allégations ou revendications n’étaient étayées par aucune preuve clinique objective et c’est sur la base d’avis d’experts et de la notoriété du laboratoire commercialisant ce nouveau médicament que ce produit trouvait sa place sur le marché.

L’“effet” thalidomide

Prenant la mesure du drame sanitaire provoqué par le thalidomide, qui atteint de nombreux pays, le législateur européen met en place un premier cadre réglementaire qui fixe, pour le médicament, le principe d’une autorisation préalable à la mise sur le marché.
Voir annexe 1, p. 72.

8Il n’y avait donc aucune règle précise en matière d’évaluation, et encore moins de critères de jugement définis et opposables. De nombreux produits de haute valeur thérapeutique (et notamment les premiers antibiotiques) ont pu être mis au point, commercialisés et utilisés avec succès, car les développeurs de ces produits avaient le souci de proposer des solutions efficaces sur le plan thérapeutique. En revanche, l’absence d’évaluation a certainement permis la commercialisation de médicaments qui ont été la cause d’échecs thérapeutiques (avec perte de chance pour le patient qui avait fait confiance à ce nouveau médicament) ou d’accidents.

9La directive de 1975 sera transposée dans le droit français en 1978 avec la mise en place d’un système d’évaluation des dossiers de demande d’AMM. C’est la solution d’une commission d’évaluation, la « commission d’AMM », constituée d’experts indépendants du ministère de la santé, qui sera retenue par le législateur pour faire entrer dans la réalité les concepts d’évaluation et d’autorisation pour les médicaments (cf. infra annexe 2). Les membres de la commission d’AMM sont des experts du monde hospitalier et universitaire, choisis dans les domaines clinique, toxicologique, pharmaceutique ou biologique pour examiner la validité des informations soumises dans les dossiers d’AMM et donner leur avis au ministre de la santé sur la « balance bénéfice/risque » (le rapport B/R) du médicament, afin que celui-ci puisse délivrer, après avis de la commission d’AMM, la fameuse autorisation nécessaire à la commercialisation.

10Les critères scientifiques et techniques sur lesquels les experts ont à se prononcer ont été proposés pour la première fois dans la directive 75/318 déjà évoquée. Ils sont décrits par grandes têtes de chapitre et articulés autour de trois grands axes : la qualité pharmaceutique du médicament, le profil de toxicologie et de sécurité, l’efficacité thérapeutique. Ces trois critères sont désormais le fil conducteur de toute évaluation. Ils se résument par ces trois initiales, gravées en lettres d’or : Q, S, E. (On notera que par le plus pur hasard linguistique, ces trois lettres sont identiques dans la langue scientifique véhiculaire anglo-saxone : qualiy, safety, efficacy.) Tous ces éléments doivent être consignés dans le dossier d’AMM qui devient la clef de voûte de l’évaluation sur laquelle l’expertise pourra se fonder pour dégager les « mérites » (ainsi que les risques potentiels) du médicament soumis à l’évaluation des autorités de santé.

L’histoire de la commission d’AMM

En application de la directive 75/318 et sous l’impulsion de Simone Veil, la France décide de mettre en place une commission d’autorisation de mise sur le marché constituée de personnalités scientifiques indépendantes.
Voir annexe 2, p. 74.

11Sur la base des caractéristiques intrinsèques du médicament, définies en termes de qualité, sécurité et efficacité et dûment établies dans le dossier et évaluées par les experts, les autorités compétentes pourront finaliser l’évaluation et aboutir à une conclusion étayée sur le rapport bénéfice/risque du médicament, et rédiger une autorisation qui fixera les conditions d’emploi, le ou les schéma(s) posologique(s), les populations cibles et les précautions d’emploi. Ces éléments techniques, issus du dossier, forment le contenu du résumé des caractéristiques du produit (RCP) (prévu dans la directive 75/318), qui est un élément clef (fruit de l’expertise et de l’évaluation du dossier) de l’AMM car il décrit au mieux la connaissance que l’on a du médicament au moment de sa mise sur le marché. Le RCP permet surtout d’assurer le bon usage du médicament sur la base des connaissances accumulées tout au long du développement.

12Ainsi, par l’expertise sur le dossier, il est possible, en toute connaissance de cause (à tout le moins en l’état des connaissances scientifiques lors de l’évaluation), de mettre à disposition des produits dûment évalués et considérés comme apportant un bénéfice supérieur aux risques, mais aussi l’information indispensable à une utilisation éclairée. Cependant, l’information fournie lors de la procédure d’AMM n’empêchera pas quelques dérives (utilisations hors AMM et accidents) qui conduiront parfois aux décisions de retrait de l’AMM.

13Les principes de ce système d’évaluation et d’autorisation sont restés très stables depuis trente ans maintenant, même si des améliorations y ont été apportées avec de nouvelles procédures et surtout l’ouverture européenne. Avec la création de l’Agence européenne du médicament (EMA), les procédures d’autorisation initialement nationales sont devenues plus européennes grâce aux procédures de reconnaissance mutuelle puis d’évaluation centralisée, laquelle permet l’accès au marché européen après évaluation centralisée par les vingt-sept États membres réunis au sein d’un Comité européen du médicament (CHMP) (cf. infra annexe 3), véritable commission d’AMM européenne.

L’Agence européenne entre dans la danse

L’Agence européenne du médicament a été mise en place par la Commission européenne pour assurer la protection de la santé humaine et animale par l’évaluation et la supervision des médicaments humains et vétérinaires avant leur mise sur le marché et tout au long de leur commercialisation. Voir annexe 3, p. 76.

14L’évaluation d’un nouveau médicament reste un exercice complexe dans la mesure où il va s’agir de conclure sur un ratio très difficilement mesurable ou quantifiable : celui de l’estimation du bénéfice escompté par rapport à des risques d’effets secondaires toujours prévisibles avec un principe actif mais jamais quantifiables de façon absolue : « […] les données doivent faire ressortir l’aspect favorable de la balance entre l’efficacité et les risques potentiels » (dir. 75/318). Le rapport B/R doit donc être évalué au cas par cas, en fonction du médicament et de la population cible des futurs utilisateurs (le plus souvent des patients mais parfois des sujets bien portants, lorsqu’il s’agit de vaccins par exemple ou de toute médication utilisée dans un but préventif).

Les principaux critères de jugement, harmonisation et mondialisation

15L’expertise sur le médicament repose donc sur des méthodes d’analyse et d’évaluation qui se sont progressivement structurées autour des trois critères objectifs de qualité, sécurité et efficacité sur lesquels reposera l’estimation du profil bénéfice/risque.

16Il est effectivement nécessaire que l’évaluation repose sur des critères définis préalablement, de telle sorte que le « développeur » du médicament (le futur titulaire de l’AMM) connaisse les règles du jeu à l’avance et organise son développement de façon optimisée pour permettre de dégager les éléments descriptifs des bénéfices apportés par le produit, sans négliger les « risques » inhérents et potentiels.

17Les trois critères QSE ont été déclinés en une série d’éléments techniques et scientifiques à réunir tout au long du développement du médicament (voir annexe 1 de la directive 2001/83). Cependant, il est très vite apparu nécessaire de préciser les attentes des autorités de santé au regard de ces trois critères. Ainsi, des notes explicatives (guidelines) ont été progressivement élaborées à l’attention des développeurs pour préciser la meilleure façon de documenter chacun de ces critères et les paramètres qualitatifs et quantitatifs à prendre en compte. Ces notes explicatives sont des documents préparés à l’initiative des autorités de santé et des comités d’évaluation lorsque le besoin s’exprime de clarifier une position technique, d’éclairer une situation technique nouvelle créée par l’évolution scientifique ou technique dans tel ou tel domaine, ou enfin lorsque l’expérience acquise avec telle ou telle classe de médicaments permet de dégager des grands principes d’évaluation. Il serait trop technique et trop long d’entrer dans le détail de la méthode d’élaboration et d’actualisation de ces notes explicatives. Retenons surtout que les guidelines (aux États-Unis on parle de « points to consider ») sont les éléments de doctrine que tout développeur et tout évaluateur utiliseront comme base de référence pour exercer leur « expertise sur le médicament », dans leur domaine.
De nos jours, avec la mondialisation du développement et l’abolition des frontières en matière de recherche et d’offre thérapeutique pour des produits de plus en plus sophistiqués et développés pour un rayonnement mondial, la nécessité d’harmoniser certains critères d’évaluation est apparue. Les critères nationaux ou européens deviennent internationaux, grâce notamment à l’initiative de la Conférence internationale d’harmonisation (ICH, qui a débuté ses travaux en 1990), et sont adoptés par l’ensemble de la communauté scientifique des développeurs et des autorités compétentes (cf. infra annexe 4). Ces référentiels, maintenant tripartites, permettent : i) aux développeurs une meilleure connaissance et visibilité de ce que l’on attend d’eux, ii) aux évaluateurs de consigner formellement leurs attentes et leurs exigences, exigences qui ont même pu être critiquées et/ou commentées pour amélioration ou reconsidération lors de leur élaboration et publication. ICH a ainsi contribué ces quinze dernières années à optimiser les plans de développement et à harmoniser les formats de dossier pour la soumission des données. Ces interactions entre évaluateurs (les autorités compétentes) et développeurs (l’industrie pharmaceutique) ont permis, au travers des dialogues constructifs où chaque partie a su se remettre en question, l’émergence de standards et référentiels mutuellement partagés.

Les instances d’évaluation : experts et évaluateurs

18La responsabilité de l’évaluation, initialement dévolue aux seuls « experts » qui constituaient les premières commissions d’AMM, a été progressivement « internalisée » dans les missions des autorités compétentes, notamment avec la création des agences (dont l’Agence du médicament en 1993, qui deviendra l’Afssaps en 1998).

19En 2010, soit trente-cinq ans après la première directive technique sur le médicament, les métiers de l’évaluation/expertise des médicaments se partagent et s’harmonisent entre les évaluateurs internes aux agences et les experts du domaine hospitalo-universitaire. Les évaluateurs des agences réalisent la première instruction et analyse détaillée des éléments scientifiques et techniques du dossier soumis, accompagnée d’une analyse de contexte à partir des éléments scientifiques publiés (revue de la littérature), tandis que les experts apportent leur contribution de professionnels de terrain et leur connaissance la plus actualisée des maladies et des populations de malades, pour préciser la pertinence et la validité des éléments du dossier pour l’évaluation du B/R.

Naissance d’ICH

La Conférence internationale d’harmonisation est une initiative associant les autorités sanitaires et les experts de l’industrie pharmaceutique de trois grandes régions sanitaires (Europe, Japon et États-Unis) pour élaborer et harmoniser les critères scientifiques et techniques nécessaires à l’enregistrement des médicaments. Voir annexe 4, p. 77.

20L’évaluation/expertise sur le médicament suppose donc une transparence des critères de jugement (les annexes techniques des directives et règlements, accompagnées des notes explicatives). L’évaluation est aussi un exercice multidisciplinaire, par le nombre de domaines scientifiques et techniques couverts (de la chimie ou biologie aux éléments cliniques et pharmacovigilance en passant par la toxicologie), et collégial dans la mesure où l’avis final devra prendre en compte les avis, critiques et commentaires de tous ceux qui auront contribué à l’instruction du dossier (et il faut imaginer aujourd’hui une instruction/évaluation réalisée simultanément par vingt-sept États membres…). La conclusion finale ne peut donc que tenter de dégager le meilleur consensus scientifique et médical, avec toujours en tête le souci de la sécurité des patients (primum non nocere reste un élément décisionnel partagé par tous).

21L’exercice d’évaluation/expertise présente d’autres caractéristiques qu’il faut souligner ici :

  • incertitude et caractère « temporel » de l’évaluation : en effet, les éléments factuels de développement consignés dans le dossier (qui représentent souvent plus de dix ans de travail dans les trois domaines) restent partiels et incomplets dans la mesure où il est difficile, sinon impossible, à partir de modèles de laboratoire (tests sur animaux ou sur systèmes ex vivo, in vitro), à partir des essais cliniques par nature limités en nombre de malades inclus ou en durée de traitement et d’observation, de mimer et reproduire l’ensemble des situations cliniques auxquelles le médicament sera confronté lorsqu’il sera utilisé en population générale. De plus, les méthodes d’investigation scientifique et clinique évoluent rapidement, ouvrant de nouvelles perspectives et d’autres limites de détection et prédiction. Ainsi, ce qui pouvait ne pas être détecté ou observé lors du développement ou de l’évaluation le sera lors de l’utilisation plus large du produit ou simplement avec les progrès scientifiques ;
  • l’évaluation qualitative ou quantitative pour une estimation aussi objective que possible du B/R n’est pas une équation aux dimensions mathématiques définies : « avantages attendus » et « inconvénients attendus ou plausibles » sont appréciés selon des échelles plus qualitatives que quantitatives et varieront au cours du temps….
    De même, au stade de l’avis final et de la décision, une fois achevée l’évaluation technique de chaque partie du dossier, les évaluateurs/experts devront se forger leur « intime conviction » sur le rapport B/R en étant partagés entre deux options :
  • permettre un accès rapide au marché à un nouveau produit potentiellement prometteur, mais pour lequel des données sont encore incomplètes,
  • bloquer l’accès au marché d’un produit qui ne serait pas suffisamment sûr ou dont l’efficacité n’a pas été suffisamment établie, alors que des patients sont en attente de solutions thérapeutiques dans plusieurs domaines cliniques où les besoins médicaux ne sont pas couverts.
Rappelons que, pour les autorités de santé, une décision négative (trop précautionneuse) n’entraîne pas de « sanction », alors que la réaction (critique, perte de confiance du public, etc.) est immédiate en cas de décision positive qui se révèle problématique, voire catastrophique en termes de sécurité d’emploi.

De la pharmacovigilance au plan de gestion des risques

22Malgré les éléments objectifs d’évaluation et d’expertise menés lors du développement puis lors de l’instruction de la demande d’AMM, le médicament mis à disposition des patients et des professionnels de santé à la première commercialisation n’est pas connu de façon exhaustive, tant au regard du bénéfice que du risque.

23En effet, le développement, de la phase d’identification/sélection du principe actif jusqu’aux essais cliniques, avec les nombreuses études expérimentales et cliniques pour documenter les critères QSE et tenter d’obtenir une image aussi exhaustive que possible des propriétés intrinsèques du médicament, ne permet pas de simuler totalement ce qui se passera dans la « vraie vie » : comorbidités, comédications, modes de vie, contextes environnementaux et autres facteurs de risque ou de variabilité n’auront pas pu être étudiés (ou même envisagés) au cours des essais cliniques ou dans les tubes à essais des études de pharmacologie/pharmacodynamie, encore moins sur les modèles animaux.

24L’expérience montre que le retrait du marché de certains médicaments est parfois nécessaire lorsque surgissent des problèmes de sécurité d’emploi, non détectés initialement, liés à l’augmentation de l’échantillon de population traitée. Compte tenu du temps limité consacré au développement du médicament (mais peut-on ou doit-on imposer des temps de développement « infinis » avant d’autoriser un produit au prétexte qu’il faut une information aussi exhaustive et validée que possible ?), il est inévitable que des retraits d’AMM interviennent ponctuellement. Ces décisions de retrait n’appartiennent pas au passé, pas plus qu’elles ne révèlent des erreurs d’appréciation lors du développement ou de l’autorisation ; elles sont un risque intrinsèque au processus d’évaluation et d’autorisation. Cependant, tout doit être mis en œuvre pour en réduire le nombre. Dans cette optique, il est important de mettre en place des systèmes de surveillance et de suivi plus proactifs de l’évolution du profil B/R des médicaments après leur commercialisation.
En même temps que se mettaient en place les critères d’évaluation et procédures d’autorisation, le système de surveillance des médicaments se structurait aussi avec le réseau de pharmacovigilance et l’ensemble des obligations de notification et de déclaration des effets indésirables. Mais ce système, reposant essentiellement sur la collecte d’informations post-autorisation, ne permet que de gérer, au fur et à mesure des années de commercialisation d’un médicament, des informations sur l’évolution du profil de tolérance (types d’effets secondaires et fréquence de survenue) et de moduler éventuellement l’information et les précautions d’emploi (voire proposer le retrait du marché). À ce système que l’on peut qualifier de « réactif a posteriori », et après des retraits du marché retentissants dans les années 2003-2004, s’est ajoutée depuis 2005 une nouvelle approche qui permet d’exercer une évaluation et une expertise continues et proactives de l’évolution du profil B/R du médicament dans les premières années de commercialisation. Il s’agit du système dit de « plan de gestion de risques » (PGR) qui est désormais partie intégrante de toute demande d’AMM. Le PGR d’un médicament se définit comme un ensemble d’activités de pharmacovigilance qui visent, dans une démarche proactive, à mieux caractériser, quantifier, prévenir ou minimiser les risques d’un médicament, à obtenir des informations qui ont été jugées manquantes lors de la mise sur le marché et à surveiller le bon usage dans les conditions réelles d’utilisation. Il propose tout d’abord une analyse de risque du produit sur la base des sources de risques identifiées au cours des essais de développement puis établit une analyse des risques potentiels en tenant compte des situations qui n’ont pas été étudiées pendant le développement (ici l’absence d’information est considérée comme une source de risque qu’il convient de prendre en compte de façon prospective). Sur la base de cette analyse de risque, le PGR propose une série d’actions à mener de façon coordonnée et programmée dans le temps pour minimiser les risques identifiés et analyser plus avant les risques potentiels (mise de cohortes observationnelles). Cet outil d’évaluation et d’expertise vient renforcer la pharmacovigilance à la phase active d’utilisation du médicament. Il constitue aussi une « prolongation » de la phase d’évaluation/expertise pré-autorisation.

Conclusion

25L’expertise sur le médicament relève d’une démarche structurée avec pour finalité l’évaluation du profil B/R des médicaments commercialisés sous le statut d’AMM et l’élaboration d’une information pertinente sur les conditions d’emploi. Elle s’est élaborée au cours des trente dernières années selon des critères et une méthode qui, tout en empruntant la rigueur et la capacité d’analyse et de synthèse de la démarche de publication scientifique, va au-delà en proposant un outil d’évaluation dont le but essentiel est de garantir la sécurité sanitaire du médicament.

26La finalité de l’expertise sur le médicament conditionne et justifie la méthode de travail et les critères appliqués. Il s’agit d’un travail pluridisciplinaire où chaque expert intervient dans son domaine de compétence pour vérifier que les critères techniques exigés sont atteints. Ces critères sont qualitativement et quantitativement actualisés en fonction de l’évolution des progrès scientifiques ainsi que de l’expérience acquise avec les médicaments de la même classe ou relevant des mêmes indications thérapeutiques.

27L’évaluation doit se maintenir tout au long du cycle de vie du médicament et ne pas se cantonner à l’étape d’évaluation préalable à une décision d’autorisation.

28Enfin, il est important de souligner que l’évaluation et l’expertise sur les médicaments, même si elles sont considérées comme partie intégrante des missions des autorités de santé, sont en réalité la conséquence logique d’un développement réussi d’un candidat médicament. En effet, avant de pouvoir être soumis à évaluation, il faut que le candidat médicament ait passé avec succès les différentes étapes de son développement afin de préciser ses propriétés et paramètres au regard des trois critères QSE. La démarche de développement est liée à celle d’évaluation et d’expertise.

29Développement, évaluation et suivi sont donc trois activités indissociables de l’expertise sur le médicament, autour desquelles des instances, des procédures et des critères ont été élaborés, créant ainsi un domaine d’expertise nouveau et évolutif avec les progrès scientifiques, techniques et médicaux. Cette expertise est une des pièces principales de la maîtrise de la sécurité sanitaire au service des patients.


Annexe 1

L’accident du thalidomide, une prise de conscience européenne

Le thalidomide

30Le thalidomide, un dérivé de l’acide glutamique, a été synthétisé en 1953 par les laboratoires Ciba qui n’en ont pas poursuivi le développement. En 1956, le laboratoire Grünenthal en reprend l’exploitation et le commercialise en Allemagne puis progressivement dans quarante-six pays, essentiellement en Europe (mais pas en France). Ce médicament, commercialisé selon les pays sous le nom de marque Distaval, Tensival, Asmaval, Stalinon ou Softenon, est proposé comme sédatif et pour le traitement des nausées et vomissements du début de grossesse.

31C’est en 1961 que l’alerte est donnée avec une augmentation importante du nombre de malformations à la naissance (nombreux cas de phocomélie, c’est-à-dire une non-formation des membres supérieurs ou inférieurs, avec mains ou pieds malformés directement attachés au tronc) chez les enfants dont les mères avaient utilisé le thalidomide aux cours des premières semaines de grossesse. Cinq à dix mille nouveau-nés ont présenté une phocomélie en moins de quelques mois, alors que cette malformation est très rare. Des anomalies supplémentaires ont été observées (poumons déficients, absence de vésicule biliaire ou de l’appendice, becs-de-lièvre, malformation des yeux). Devant ce désastre, et lorsqu’il a été établi que le thalidomide était en cause (1961), le médicament a rapidement été retiré du marché et des études épidémiologiques et pharmacologiques ont été entreprises pour confirmer sa responsabilité et connaître la cause de cet effet indésirable grave.

32Les essais menés chez l’animal en 1954 n’avaient pas mis en évidence de toxicité particulière, et seuls quelques tests pratiqués sur plusieurs centaines de patients avaient souligné les propriétés sédatives de ce médicament, tandis que les effets secondaires, et notamment cette fœtotoxicité, n’avaient pas été suspectés. Il faut reconnaître qu’à cette époque les études « non cliniques » ou « cliniques » étaient très limitées, non obligatoires et ne procédaient pas selon un référentiel et un algorithme validés. Ainsi, l’analyse du risque de reprotoxicité (étude de la toxicité potentielle d’un nouveau médicament sur le fœtus et sur les capacités de reproduction mâle ou femelle) n’était pas obligatoire ni même aussi élaborée que maintenant.
Les études sur le thalidomide ont permis de montrer notamment qu’il perturbait, entre la quatrième et la sixième semaine de grossesse (au moment où il avait un intérêt contre les nausées !), les étapes de la formation des organes et tissus par une forte activité anti-angiogenèse. Cependant, tout en travaillant à l’identification de la cause de cette toxicité, on a découvert de nombreuses propriétés pharmacologiques du thalidomide et pu montrer son intérêt dans d’autres maladies, notamment le traitement de l’érythème noueux lépreux, de certaines maladies inflammatoires chroniques ou encore des hémopathies malignes comme le myélome multiple. C’est ainsi que le thalidomide (et des dérivés chimiques proches) a continué à être utilisé, mais dans des conditions d’emploi très surveillées.

La directive 65/65

33Le législateur européen prend la mesure de ce drame sanitaire qui atteint de nombreux pays et met en place un premier cadre réglementaire qui fixe, pour le médicament, le principe d’une autorisation préalable à la mise sur le marché. C’est l’objet de la première directive européenne sur le médicament (dir. CE/65/65) qui :

  • définit le médicament et la « spécialité pharmaceutique »,
  • fixe le principe de l’autorisation de mise sur le marché (AMM),
  • définit les critères scientifiques et techniques sur lesquels les travaux de développement et l’évaluation (par les experts) devront porter pour argumenter le dossier de demande d’AMM (on a ici l’embryon des critères QSE),
  • fixe les premiers termes obligatoires à faire figurer sur l’étiquetage et la notice.
La directive fait obligation aux États membres de refuser l’autorisation si le dossier est incomplet ou permet de considérer que le produit est dangereux dans les conditions normales d’utilisation ou que les preuves d’efficacités sont manquantes ou insuffisamment documentées. Enfin, la directive impose un temps limité pour instruire l’autorisation (120 + 90 j) et prévoit les conditions de retrait d’une autorisation.

34La directive 65/65 sera progressivement amendée pour établir un corpus législatif et réglementaire autour du médicament dans l’espace européen et aboutir à la création d’une Agence européenne du médicament et de ses procédures d’octroi d’AMM (cf. infra annexe 5).

35On note aussi que c’est en réponse à cet accident que l’OMS met en place en 1971 le premier centre de surveillance du médicament à Genève (Drug Monitoring Center) et définit en 1972 la pharmacovigilance comme « toute activité tendant à obtenir des indications systématiques sur les liens de causalité probables entre médicaments et réactions adverses dans la population ».

36Au-delà de l’absence de statut réglementaire et d’encadrement des processus de recherche, développement et commercialisation des médicaments dans les années 1960, cet accident montre que le risque avec un médicament nouveau ne peut pas être totalement exclu. Malgré toutes les études qui pourront être réalisées avant le « passage à l’homme » et une commercialisation plus large, le risque existe qu’un effet secondaire ou une toxicité spécifique n’ait pas pu être détecté, compte tenu de la rareté de l’effet secondaire ou du manque de pertinence des modèles de laboratoire (in vitro ou in vivo chez l’animal) utilisés pour tenter de décrire au mieux le profil du produit. Toutes les procédures d’évaluation et l’ensemble des travaux de recherche et développement tentent de minimiser ce risque. De plus, la mise en place de la pharmacovigilance et plus récemment encore du plan de gestion de risques contribue à assurer une surveillance permanente de l’évolution du profil bénéfice/risque pour permettre une réaction aussi rapide que possible en cas d’émergence d’une toxicité ou d’un événement indésirable inattendu.

Annexe 2

L’expertise sur le médicament en France : la commission d’AMM

37En application de la directive 75/318 et l’obligation qui était faite aux États membres d’établir un système d’évaluation et d’autorisation préalable à la commercialisation de toute « spécialité pharmaceutique », le choix en France, sous l’impulsion de Simone Veil, a été de mettre en place une commission d’autorisation de mise sur le marché constituée de personnalités scientifiques indépendantes. Cette commission est composée de médecins, pharmaciens, biologistes et scientifiques qui exercent leurs activités de praticiens hospitaliers et/ou d’universitaires et sont volontaires et bénévoles pour apporter leur expertise et contribuer ainsi aux travaux d’évaluation de la commission. Ils sont nommés par le ministre de la santé pour des mandats de trois ans. La présidence de la commission d’AMM est confiée pour un premier mandat au Pr Marcel Legrain qui présidera ses travaux et assumera les « avis de la commission » jusqu’en 1985. C’est sur la base de l’avis de la commission d’AMM française que le ministre de la santé octroie les AMM nationales, et parfois prononce les retraits de ces mêmes autorisations.

38Pendant ces premières années, la commission se forge une méthode de travail et met progressivement en application les critères scientifiques et techniques proposés par la directive 75/318 (critères QSE) et élabore les premières « recommandations » et notes explicatives sur lesdits critères, pour aider dans leurs projets les développeurs de nouveaux médicaments.

39En 1985, le ministre de la santé nomme le Pr Jean-Michel Alexandre à la présidence de cette commission qui continue d’affiner sa méthode de travail, poursuit la mise en place des groupes de travail pour une évaluation de plus en plus approfondie et spécialisée de chacune des trois parties techniques du dossier de demande d’AMM. Dans le même temps, le « modèle français » d’évaluation se confirme. Composé d’une équipe d’évaluateurs internes, personnels recrutés par le ministère de la santé (rattachés à la direction de la pharmacie et du médicament), et d’experts indépendants, membres de la commission d’AMM ou des groupes de travail qui lui sont rattachés, ce système devient le noyau dur de l’évaluation et de l’expertise du médicament en France. Ce sont ces groupes de travail, constitués par domaine de spécialités médicales ou techniques (par exemple groupe de travail anti-infectieux, cardiologie ou encore pharmaceutique ou générique), qui préparent les discussions finales pour chacun des dossiers qui sera proposé à la discussion et au vote en séance plénière de la commission d’AMM, et permettent les débats exhaustifs et contradictoire sur chaque critère d’évaluation du dossier.

40C’est à cette époque aussi que se renforce la notion d’information sur le médicament. Cette information consignée dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) devient partie intégrante de l’AMM. À cet égard, il faut rappeler que la bonne information sur le médicament, ses propriétés, ses indications, contre-indications et précautions d’emploi, a été une préoccupation du ministère de la santé dès les années 1970. En effet, dans ces années, les autorisations délivrées par le ministère étaient purement administratives, et par voie de conséquence, l’information sur les propriétés du médicament était sous la seule responsabilité des demandeurs. C’est à l’initiative de Simone Veil qu’est mis en place, en 1976, une commission chargée de valider les informations médicales contenues dans le seul ouvrage habituellement utilisé par les prescripteurs, le dictionnaire Vidal. Ce « dictionnaire des spécialités pharmaceutiques » était composé de fiches descriptives rédigées par les laboratoires exploitants sans aucun contrôle de la pertinence des informations. Cette commission a été pionnière dans la démarche d’évaluation et de standardisation de l’information médicale. Elle a poursuivi son travail environ quinze ans car le nombre de fiches du dictionnaire Vidal à valider était élevé (plus d’un millier). Elle a cessé ses travaux lorsque le contenu de l’information médicale sur le médicament a été inclus dans les compétences de la commission d’AMM avec la validation des RCP.

41En 1993, à la création de l’Agence du médicament, Jean-Michel Alexandre en est devenu le directeur de l’évaluation et c’est le Pr Charles Caulin qui a été nommé président de la commission d’AMM. Il aura la lourde tâche de la piloter dans un paysage scientifique et réglementaire en évolution, avec d’une part la mise en place de l’Agence du médicament, dont la mission principale est d’assurer l’évaluation des médicaments par une évaluation interne renforcée, et d’autre part la mise en place et la montée en charge, à partir de 1995, de l’Agence européenne du médicament qui coordonne les procédures d’évaluation, notamment la procédure centralisée qui sera utilisée pour la majorité des nouveaux médicaments développés par l’industrie pharmaceutique.
En 2003, le Pr Daniel Vittecoq est nommé à la tête de la commission d’AMM et poursuit ce travail d’évaluation des nouveaux médicaments, mais aussi de réévaluation permanente du rapport bénéfices/risques des produits commercialisés en France dont les autorités de santé doivent assurer la sécurité sanitaire. La commission d’AMM, avec ses groupes de travail, constitue aujourd’hui un pôle d’excellence scientifique qui contribue non seulement à l’évaluation des demandes d’AMM passant par les procédures nationales ou de reconnaissance mutuelle dont la France est pays rapporteur ou pays destinataire, mais aussi à l’évaluation européenne des dossiers soumis par la voie de la procédure centralisée et du CHMP.

Annexe 3

L’Agence européenne des médicaments et le Comité d’évaluation des médicaments

L’Agence européenne du médicament (EMA)

42L’Agence européenne du médicament (Evaluation Medicines Agency) a été mise en place par la Commission européenne pour assurer la protection de la santé humaine et animale par l’évaluation et la supervision des médicaments humains et vétérinaires avant leur mise sur le marché et tout au long de leur commercialisation.

43L’EMA est chargée de coordonner l’évaluation des dossiers de demande d’AMM (pour les médicaments utilisant la procédure centralisée) et d’assurer une évaluation harmonisée européenne pour toute question concernant les médicaments (humains ou vétérinaires) commercialisés en Europe.

44L’évaluation proprement dite est réalisée par les États membres, qui sont désignés par le CHMP pour agir comme « rapporteur » des dossiers et préparer le travail du comité qui établit un avis final après discussion en séance plénière. L’évaluation européenne repose donc sur un réseau d’expertise apportée par les États membres dont les représentants siègent dans les différents comités scientifiques et groupes d’experts permanents mis en place par l’EMA.

45L’EMA gère les travaux de six comités scientifiques (médicaments humains, médicaments vétérinaires, médicaments pédiatriques, médicaments orphelins, médicaments à base de plantes, médicaments de thérapie avancée) dont chacun dispose d’un mandat et de compétences fixés par les réglementations européennes successives.

Le Comité des médicaments humains (CHMP)

46Le Comité des médicaments humains (Committee for Human Medicinal Product), basé à Londres comme l’EMA, évalue les demandes de mise sur le marché et formule un avis scientifique (positif ou négatif) à la Commission européenne qui, sur la base de cet avis, octroiera ou non une AMM, valable pour les vingt-sept États membres. L’évaluation est conduite selon les critères scientifiques et techniques décrits dans la législation pharmaceutique européenne et notamment la directive 2001/83 et son annexe 1.

47Le CHMP est le successeur du CPMP (Committee for Proprietary Medicinal Products, Comité des spécialités pharmaceutiques) qui avait été mis en place en 1975 par la directive 75/319. Cette directive venait compléter la directive 65/65 qui avait jeté les bases d’une réglementation sur l’évaluation et l’enregistrement des médicaments dans les pays de la Communauté européenne.

48Le comité est composé d’un président (actuellement le Dr. Éric Abadie, France), d’un membre permanent (et de son suppléant) désigné par chacun des vingt-sept États membres, d’un représentant (et son suppléant) désigné chacun par l’Islande et la Norvège et de cinq membres cooptés par le CHMP pour apporter une expertise complémentaire dans des domaines non couverts par les vingt-sept membres de droit (actuellement les cinq représentants cooptés apportent une expertise complémentaire en qualité pharmaceutique, biologie/biotechnologie, thérapies avancées, pharmacovigilance et biostatistiques).

49Le comité se réunit une fois par mois à l’EMA pour une séance plénière de quatre jours. L’ordre du jour du comité est fixé par l’EMA en fonction des procédures en cours et des questions d’actualité dans le domaine du médicament. Il entend les rapports des rapporteurs pour les dossiers en cours, établit les rapports d’évaluation et répertorie les questions à poser aux demandeurs. Il reçoit pour « explications orales » les demandeurs d’AMM dont les dossiers sont en cours d’instruction, pour évoquer les points litigieux. Au-delà de l’activité d’évaluation, le comité contribue à l’élaboration des notes explicatives et recommandations scientifiques à prendre en compte pour le développement des médicaments (élaboration des critères QSE) en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques et techniques.

50Le comité est aussi amené à traiter les questions de pharmacovigilance et à élaborer les rapports d’évaluation en conséquence, avec des propositions qui peuvent aller de la modification des conditions d’emploi d’un médicament au retrait du marché.
Enfin, le comité finalise et adopte les avis scientifiques émis en réponse aux questions posées par les industriels qui le sollicitent sur tel ou tel aspect de développement. Il doit enfin se prononcer sur les évaluations des procédures de reconnaissance mutuelle ou décentralisées en cas de divergence d’opinion entre les États membres concernés (voir règlement européen EC/726/2004).

Annexe 4

ICH, vers des critères d’évaluation et de développement du médicament

51La Conférence internationale d’harmonisation (International Conference on Harmonisation, ICH) est une initiative associant les autorités sanitaires et les experts de l’industrie pharmaceutique de trois grandes régions sanitaires (Europe, Japon et États-Unis) pour élaborer et harmoniser les critères scientifiques et techniques nécessaires à l’enregistrement des médicaments.

52Cette initiative voit le jour en 1990 et part du constat que dans les trois régions concernées, si la même approche et rigueur scientifique sont appliquées par les autorités de santé pour l’évaluation des médicaments, il est cependant fréquent que des études non cliniques (pharmacologie, toxicologie) ou cliniques (essais cliniques de phase III notamment) doivent être répétées avec des protocoles ou des critères d’évaluation proches mais différents. Cette apparente disharmonie et parfois divergence entre les approches technico-réglementaires était à la fois un frein à un développement mondial des nouveaux médicaments, mais aussi un gaspillage en termes d’essais en laboratoire, de recherche clinique et de ressources financières pour parvenir à un même objectif : la mise à disposition des patients de médicaments sûrs et efficaces.

53La démarche d’harmonisation réunit les trois autorités sanitaires et les trois fédérations des industriels du médicament. Ce processus paritaire (six parties intéressées) est placé sous la gouvernance d’un comité exécutif qui établit le plan de travail et les priorités des sujets à harmoniser dans les domaines de la qualité pharmaceutique (Q), de la sécurité préclinique (S) et de l’efficacité clinique (E) ainsi que de la pharmacovigilance. Des domaines « multidisciplinaires » sont aussi soumis à harmonisation, notamment l’élaboration d’un format de dossier (Common Technical Document, CTD) sous lequel une demande d’autorisation de mise sur le marché devra être soumise aux autorités sanitaires.
Le processus d’harmonisation, pour un sujet donné, procède en cinq étapes :

  • étape 1 : préparation par un groupe d’experts spécifique (dans le domaine scientifique concerné) d’un document de problématique (concept paper) décrivant l’objet de l’harmonisation (par exemple étude de la stabilité d’un médicament au cours du temps, évaluation de la toxicité chronique, méthode d’évaluation, structure et contenu d’un rapport d’étude clinique) et l’impact prévisible de l’harmonisation des critères sur ce thème. Un rapporteur, choisi parmi l’une des six parties prenantes, est désigné. Le comité exécutif évalue le projet et l’inscrit dans le programme de travail avec un échéancier pour les étapes suivantes ;
  • étape 2 : rédaction de la note explicative ICH coordonnée par le rapporteur. Une fois un accord atteint entre les six parties, le comité exécutif adopte cette première version (step 2) ;
  • étape 3 : les autorités sanitaires des trois régions publient alors pour consultation ce projet de note explicative dans leur territoire respectif, pour permettre à l’ensemble des parties concernées de réagir à ces propositions. C’est aussi au cours de cette étape 3 que les autres organismes de réglementation ou organes scientifiques ne participant pas au processus ICH (OMS par exemple) peuvent adresser leurs commentaires ;
  • étape 4 : le groupe d’expert finalise le document sur la base du document issu de l’étape 2 et de l’ensemble des commentaires reçus au cours de la phase de consultation. Un nouveau rapporteur est choisi (généralement un représentant d’une des trois autorités de santé). Le document finalisé est proposé au comité exécutif qui évalue le niveau d’accord atteint. Si l’accord est effectivement atteint, le comité exécutif déclare que le niveau 4 est atteint (final step 4 document) ;
  • étape 5 : mise en place de ces nouveaux critères harmonisés dans la réglementation pharmaceutique des trois régions. Chaque région doit indiquer au comité exécutif la façon dont ces nouvelles dispositions harmonisées seront traduites dans sa réglementation et la date à laquelle elles seront opposables.


Date de mise en ligne : 03/08/2010

https://doi.org/10.3917/seve.027.0061

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