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Article de revue

L'histoire de la mort subite du nourrisson

Pages 39 à 43

1Définie comme tout décès soudain d’un enfant de moins d’un an, inattendu par son histoire et non expliqué malgré les examens réalisés après la mort, la mort subite du nourrisson (MSN) est toujours un drame familial et un défi pour les médecins.

2Jusqu’aux années 1960, la position de sommeil des nourrissons en France était le décubitus dorsal, c’est-à-dire que les enfants étaient allongés sur le dos. En tout état de cause, à cette époque, le concept de MSN était peu connu et donc mal étudié, volontiers confondu avec un étouffement mécanique et très marginal au sein des autres causes de mortalité infantile, alors fréquente. Certains auteurs en faisaient une maladie héréditaire. Cette hypothèse s’est trouvée confortée par la publication en 1974 par S. Schneider de cinq cas de MSN dans une même fratrie ; or, il s’est révélé a posteriori qu’il s’agissait d’infanticides !

3Vers 1975 est apparue la mode, venue des États-Unis, du décubitus ventral, les nourrissons étant couchés sur le ventre, la tête tournée sur le côté. Cette proposition a curieusement eu un succès foudroyant ! Cela pose la question, qui intéresse l’ensemble du domaine médical, de la généralisation hâtive de mesures particulières. En effet, quels éléments avaient justifié cette recommandation ? Des considérations physiopathologiques :

  • chez les prématurés, la respiration est de meilleure qualité en décubitus ventral : en effet, leur cage thoracique étant encore très malléable, il la bloque contre le matelas et permet ainsi une plus grande amplitude du diaphragme et partant une respiration abdominale plus efficace. Mais ces nourrissons sont hospitalisés et constamment surveillés par des enregistrements de leur rythme cardiaque et respiratoire, déclenchant des alarmes au moindre problème. Ceci est d’une importance capitale car ils sont trop faibles pour soulever leur tête longtemps ; s’ils la soulèvent un court instant, elle se replace le nez dans l’oreiller avec risque d’étouffement accentué en cas de vomissements. Première différence de taille avec la surveillance habituelle d’un nouveau-né à terme au domicile de ses parents… Était-il logique et légitime d’extrapoler ce que l’on avait constaté chez le prématuré au nourrisson qui ne l’était pas ? Nous ne le pensons pas ;
  • en cas de reflux gastro-œsophagien pathologique, c’est-à-dire quand le contenu acide de l’estomac reflue dans l’œsophage, cela peut entraîner des douleurs et des malaises ; ce reflux est à distinguer formellement des régurgitations épisodiques qui sont un phénomène banal. Dans cette situation, le décubitus à plat n’est pas la position de repos idéale, contrairement, là encore, au décubitus dorsal accompagné d’une déclivité de 30° ;
  • certains nourrissons sont effectivement plus calmes et plus sereins couchés sur le ventre, la tête tournée sur le côté, et les mères l’avaient remarqué ; elles étaient peut-être également influencées par les classiques photos idylliques de bébés toujours couchés sur le ventre.
Ces quelques constations autorisaient-elles une généralisation aussi rapide, sans se poser la moindre question et sans exercer un esprit quelque peu critique ? Cette propagation rapide d’une idée erronée, qui s’est répandue avec la rapidité d’un feu de paille, a véritablement correspondu à un effet de mode. Aucun congrès médical, nulle publication scientifique ne l’a validée au sein de la communauté médicale. Il existe d’autres exemples dans la littérature médicale : dans le domaine pédiatrique, ce fut longtemps le cas des directives diététiques.

4L’erreur commise a pu être corrigée grâce à une étude clinique et anatomo-pathologique précise des cas de MSN ainsi qu’à des études épidémiologiques rigoureuses. Quatre phases d’évolution ont été distinguées :

  • une période de croissance rapide, entre 1975 et 1980, les taux passant de 28,3 pour 100 000 naissances vivantes à 102,8, ce qui correspond à une augmentation de 263% !
  • cette période est suivie d’une autre progression plus modérée (62%) entre 1981 et 1991,
  • à partir de 1992, on note une très forte chute des taux de décès jusqu’en 1997 (- 72%),
  • depuis 1998, la baisse de la mortalité par MSN se poursuit régulièrement, jusqu’à rejoindre sensiblement en 2005 celle observée en 1970.
Or, ce n’est qu’au milieu des années 80 que le lien a été fait entre la position de sommeil et l’explosion du taux de MSN, d’abord dans les pays anglo-saxons, puis en France au début des années 90. Il convient de noter au passage que la culture épidémiologique est bien plus ancienne dans les pays anglo-saxons qu’en France.

5Certes, d’autres facteurs interviennent, en dehors de la position de couchage, nous y reviendrons ; néanmoins l’évolution est suffisamment spectaculaire (- 80%) et parfaitement concomitante avec le changement de recommandations (à des périodes différentes selon les pays) pour que l’on se sente raisonnablement autorisé à établir une relation de cause à effet.

6Un certain nombre d’autres éléments méritent cependant d’être analysés :

  • il existe une disparité géographique, avec un gradient nord-sud, les taux les plus faibles étant enregistrés dans le sud de la France,
  • les comparaisons avec les autre pays européens amènent à constater que la France n’est pas en tête de peloton : avec un taux moyen de 27 pour 100 000 naissances, elle se situe au début du troisième tiers de la classification.
Sans vouloir rien nier, il faut cependant souligner que lorsqu’on veut effectuer des comparaisons entre différents pays, tout dépend de l’exhaustivité du recueil des données dont la vérification n’est pas aussi aisée que l’on pourrait le croire. C’est ainsi que, dans le domaine de la mortalité maternelle, en France et au Royaume-Uni, des études particulières ont été réalisées pour vérifier les valeurs des données issues de la certification médicale des décès : une sous-estimation de 25 à 50% a été trouvée. Or, le Royaume-Uni a la plus longue expérience de l’enregistrement des morts maternelles puisqu’il y est effectué depuis une cinquantaine d’années, alors qu’en France ce n’est le cas que depuis une dizaine d’années.

7L’attention a été attirée également sur toute une série d’autres facteurs pouvant influencer la fréquence de la MSN :

  • le risque de MSN augmente avec l’utilisation de couvertures et couettes, l’emmaillotement de l’enfant avec le risque d’étouffement, si la température de la pièce est trop élevée ; l’idéal est que l’enfant dorme dans une « turbulette, » sur un matelas dur sans oreiller ;
  • le nourrisson ne doit pas partager le lit de ses parents : cela majore le risque de MSN, surtout si un des parents ou les deux sont fumeurs ;
  • en revanche le partage de la chambre des parents pendant les six premiers mois est un facteur protecteur ;
  • le fait de fumer pendant toute la grossesse double quasiment le risque de MSN ; celui-ci diminue d’autant plus que l’arrêt du tabac est précoce ;
  • une méta-analyse récente confirme que les enfants complètement vaccinés ont deux fois moins de risque que ceux non vaccinés.
Dans un souci légitime d’exhaustivité, ces différents facteurs ne pouvaient être passés sous silence ; leur prise en compte contribuera certainement à minorer quelque peu la MSN. Comme nous l’avons écrit dès le début de notre propos, chaque cas étant dramatique, aucun moyen ne doit être négligé pour éviter ce drame.

8Pour essayer d’aller plus avant, il convient de s’attacher à une évaluation de l’application des recommandations qui sont faites. Il faut également que chaque cas de MSN fasse l’objet d’une prise en charge soigneuse : c’est pour cela qu’ont été créés des centres de référence. C’est dans ce but également que la Haute Autorité de santé a édicté en 2007 une série de recommandations détaillées analysant soigneusement tous les points de la prise en charge psychologique des parents ou des personnes ayant découvert l’enfant mort, ainsi que tous les éléments médicaux, y compris l’autopsie, permettant d’éventuellement élucider la cause de la mort ou de progresser dans la compréhension des mécanismes de la MSN. En effet, ceux-ci posent encore beaucoup de questions ; si on arrivait à y répondre la prévention serait sûrement plus efficace.

Conclusions

9Les causes de la mort subite du nourrisson sont multifactorielles. Sa pathogénie demeure encore largement inconnue, c’est pourquoi tous les efforts possibles doivent être faits pour progresser dans le domaine de la connaissance. Les pouvoirs publics en ont pleinement pris conscience et mis en œuvre une série de mesures allant dans ce sens.

10Mais l’histoire évolutive de cette affection au cours des trente dernières années est tristement passionnante. À la suite d’une mode venue des États-Unis, une épidémie mortelle s’est propagée : on ne couchait désormais plus les nourrissons sur le dos, mais sur le ventre ! Nous parlons de mode parce que cette proposition ne reposait que sur des arguments bien ténus et n’a été relayée par aucune publication ou réunion scientifique.

11Il a fallu ensuite vingt à trente ans, selon les pays, d’études épidémiologiques précises pour démontrer l’inanité de cette mode… Que de vies eussent pu être épargnées avec plus de sens critique. Retenons donc la nécessité d’études épidémiologiques rigoureuses et l’exigence d’une médecine basée sur des preuves. J’ai la faiblesse de croire qu’un tel emballement ne pourrait plus se produire aujourd’hui où la médecine basée sur des preuves et l’évaluation des pratiques ont bien fait leur chemin au sein du corps médical.


Date de mise en ligne : 12/11/2008

https://doi.org/10.3917/seve.020.0039

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