Couverture de SEVE_017

Article de revue

Génétique et enquêtes policières

Pages 79 à 86

1Si en cet automne 2007 on interroge un policier sur ce qu’évoque pour lui la ville de Leicester (Angleterre), on apprendra vraisemblablement qu’elle est connue pour héberger l’équipe de rugby des Tigers qui non seulement a remporté cinq fois le championnat d’Angleterre depuis 1998 (et deux fois la coupe d’Europe) mais comprend aussi dans ses rangs de nombreux joueurs ayant participé à la dernière WRC (Aaron Mauger, Alex Tuilagi, Martin Castrogiovanni ou Martin Corry, pour ne citer qu’eux). Pourtant, il devrait savoir que c’est de cette ville qu’est partie, en 1985, grâce aux travaux universitaires d’Alec Jeffreys, cette révolution si lourde de conséquences dans les pratiques policières et judiciaires que constitue l’identification individuelle par l’ADN.

2« Acide désoxyribonucléique » : le mot, synonyme de solution parfaite d’individualisation de chaque humain, porte à la fois peur et espoir. C’est le fichage mais c’est aussi la possibilité d’identifier formellement (ou de discriminer avec la même pertinence) un individu suspecté d’être l’auteur d’un crime sordide. Ces peurs et ces espoirs sont intimement liés à une évolution très rapide des techniques d’analyse génétique.

3Il n’est pas inintéressant de replacer ces problématiques mêlant tout à la fois inquiétude et attente de justice dans leur contexte historique récent qui a abouti à la création du Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), mais aussi d’observer les difficultés policières pratiques qui ont découlé de la montée en puissance incroyable de la preuve scientifique en général et génétique en particulier.

L’ADN dans les enquêtes judiciaires, un peu d’histoire(s)…

41984-1987, les forces de police parisiennes sont sur les dents, un tueur rôde dans le 18e arrondissement, s’en prenant particulièrement aux personnes âgées. Qui se souvient du nombre de victimes imputables au sinistre duo Paulin/Mathurin ? En me replongeant dans l’historique de cette affaire, je m’aperçois que trente-quatre agressions leur ont été policièrement attribuées (vingt-cinq homicides volontaires, cinq tentatives et quatre vols avec violences). L’affaire est élucidée au mois de novembre 1987, à la suite de l’interpellation de Thierry Paulin, contrôlé par un commissaire de police sur la voie publique après diffusion d’un signalement donné par un témoin.

516 octobre 1984, à Docelles (Vosges), le corps sans vie pieds et poings liés du petit Grégory Villemin est retrouvé dans la Vologne. Neuf ans d’enquête ne permettront jamais d’identifier l’auteur des faits. En 2003, des analyses et comparaisons génétiques seront tentées sans succès dans le cadre de cette enquête.

6De 1976 à 1997, Guy Georges agresse sexuellement douze jeunes femmes et se rend coupable de viols et assassinats sur sept autres victimes. Il sera identifié formellement par comparaison de son ADN prélevé à l’occasion d’une de ses interpellations avec l’ADN retrouvé sur les prélèvements biologiques effectués lors des diverses investigations menées sur les affaires rapprochées par leur mode opératoire. Il est interpellé en mars 1998.

713 août 2007, le corps de Mme Jeanne R. (96 ans) demeurant à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) est découvert dans son appartement, lardé de coups de couteau. Le 21 du mois, l’auteur présumé des faits, Aziz F., est confondu grâce à son ADN retrouvé sur la manivelle du store de la fenêtre du salon de la victime.

8Au travers de ces quatre affaires d’homicide se retracent de 1976 à 2007 l’intrusion, l’apport et l’évolution de l’analyse génétique dans les enquêtes policières. Le FNAEG ne verra le jour en France qu’en 1998. On ne refait pas l’histoire, mais qui sait combien de vies auraient pu être épargnées avec l’existence d’un fichier d’empreintes génétiques avant 1998 alors que les techniques existaient déjà ? Tout à fait concrètement, en matière de biologie, avant l’émergence des techniques de profilage génétique, la science proposait aux policiers la possibilité de typer du sang humain selon les groupes et le facteur Rhésus. L’existence du marqueur de groupe sanguin dans les sécrétions corporelles chez les individus dits « sécréteurs » permettait dans certains cas d’affiner ou d’orienter les investigations, et à tout le moins d’exclure certaines pistes.

9L’affaire Guy Georges mettra cruellement en évidence les conséquences de l’absence d’un fichier d’empreintes génétiques. En effet, le profil génétique du tueur avait été établi à l’occasion d’un assassinat dans lequel il avait été « ciblé » par les enquêteurs qui possédaient un profil retrouvé sur la scène de crime (n’appartenant pas cependant à Guy Georges). Exclu de cette affaire en 1995, le profil de Guy Georges ne sera pas comparé avec les profils établis dans les autres affaires. Ce n’est qu’en 1997, avec deux nouveaux assassinats commis à Paris, qu’une reprise systématique des comparaisons de ces profils avec ceux de tous les suspects permettra d’effectuer les rapprochements aboutissant à la mise en cause de l’auteur des faits.

10Jusqu’à cette période l’analyse génétique, connue et commençant à être maîtrisée, ne servira donc en police que pour des comparaisons directes entre un échantillon et un profil de suspect. Cette affaire va sans nul doute accélérer la mise en place en France d’une base de données nationale informatisée, comme il en existe une depuis 1988 pour les empreintes digitales. Le FNAEG sera créé en 1998.

Le FNAEG

11La mise en place progressive du FNAEG en France va être marquée par la nécessité d’améliorer l’efficacité du système policier tout en cherchant à garder une certaine distance vis-à-vis de cet outil de fichage, mal perçu pour des raisons historiques et culturelles. Et ce à la différence de la politique pratiquée dans les pays anglo-saxons, particulièrement en Angleterre où le pragmatisme sera (à tort ou à raison) toujours privilégié.

12Le FNAEG est institué en France par la loi du 17 juin 1998. Peuvent être enregistrées dans ce fichier les empreintes génétiques des personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel. De même, peuvent être intégrées les traces génétiques relevées à l’occasion de constatations sur ces mêmes affaires. Enfin, à la demande d’un magistrat, les profils des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves et concordants de nature à motiver leur mise en examen dans le cadre de ces infractions peuvent être comparés à la base de données.

13La loi sur la sécurité intérieure du 15 novembre 2001 va étendre le périmètre des infractions à l’occasion desquelles il est possible de procéder à des intégrations dans le FNAEG de profils issus de traces (c’est-à-dire prélevées sur les scènes de crime) ou d’empreintes (c’est-à-dire prélevées sur des individus). Les infractions concernées seront les atteintes aux personnes les plus graves (crimes contre l’humanité, meurtre, assassinat, actes de torture, violences ayant entraîné la mort ou une infirmité permanente) ainsi que les atteintes aux biens les plus graves (vol sous la menace d’une arme, vols aggravés, extorsions aggravées, dégradations aggravées) et les actes de terrorisme. Il est à noter qu’apparaît également dans cette loi une incrimination spécifique de refus de se soumettre à un prélèvement pour une personne définitivement condamnée.

14L’évolution la plus récente de la législation sur le FNAEG sera portée par la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 qui donnera la possibilité non plus aux seuls magistrats mais également aux officiers de police judiciaire de faire inscrire dans le FNAEG les profils génétiques des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une des infractions mentionnées dans la loi ainsi que de faire procéder à des rapprochements entre les profils contenus dans la base et ceux des personnes soupçonnées d’avoir participé à ces infractions (dans ce dernier cas les profils ne sont pas conservés). Par ailleurs, la loi élargira considérablement le champ des infractions concernées par le FNAEG, englobant la quasi-totalité des incriminations pénales françaises à l’exception de certaines infractions financières. Ajoutons que la loi du 18 mars 2003 a sensiblement aggravé les peines prévues en cas de refus de se soumettre à un prélèvement, la sanction encourue pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

15Ceci étant, la mise en place de cette base de données a été très lente et progressive. Au 30 septembre 2007, la base comprend 505 141 profils dont 24 635 traces. Ce chiffre d’environ 5% de traces par rapport au nombre d’empreintes représente une proportion qui reste stable. Songeons qu’en 2002 le nombre de profils enregistrés était de 3 000, puis 12 500 en 2003, 37 000 en 2004, 128 000 en 2005 et 350 000 fin 2006. La progression est impressionnante mais ne doit pas masquer qu’un des objectifs fixés en 2003 était que la base de données atteigne les 400 000 profils en 2004 ! À titre de comparaison, notons que le Fichier automatisé des empreintes digitales compte 2 700 000 signalisations décadactylaires. Pour rester dans le domaine du fichier d’empreintes génétiques, la base de données anglaise est quant à elle forte de près de 4 000 000 de profils, permettant le traitement de la petite et moyenne délinquance par ce biais. Quoi qu’il en soit, et pour revenir à la situation française, les chiffres d’identifications obtenus par le FNAEG sont particulièrement prometteurs. En 2007 le nombre d’identifications (cumulé depuis la création de la base et comprenant tant les identifications proprement dites que les rapprochements de trace à trace) est supérieur à 7 500, ce qui est très significatif sur une base d’environ 500 000 profils.

16Sur le plan de la technique d’enquête, la montée en puissance du FNAEG et la finesse grandissante des résultats de l’analyse génétique engagent les policiers à changer leur comportement sur les scènes d’infraction. Là encore, l’évolution des techniques devance celle des mentalités et, malgré l’apparente irréfragabilité de ce nouveau mode d’administration de la preuve, il est nécessaire de nuancer les certitudes que forge la preuve scientifique.

ADN et technique policière

17Les apports incontestables à l’enquête policière de l’analyse des prélèvements biologiques découverts sur une scène d’infraction ont évidemment nécessité un changement des méthodes d’investigation en vue d’établir la réalité de faits par des preuves scientifiques. Parallèlement à cette montée en puissance progressive de la preuve scientifique, on a assisté à un déclin de la preuve testimoniale, jugée peu fiable. Il est d’ailleurs confortable intellectuellement de pouvoir s’appuyer sur les certitudes fournies par des éléments techniques incontestables. Incontestables ? Au vu de la finesse actuelle permise par les analyses, cela n’est plus aussi certain. D’où l’impérieux besoin d’avoir des politiques de gestion des scènes de crime particulièrement rigoureuses.

Les techniques de prélèvement

18Constituer une base de données de référence telle que prévue par les textes fondateurs du FNAEG suppose d’effectuer des prélèvements sur des personnes en vue de comparer les profils extraits avec ceux des traces découvertes à l’occasion d’une enquête. Si techniquement la constitution de la base de référence est relativement aisée et autorise une certaine automatisation des tâches, il n’en va pas de même en ce qui concerne les profils extraits à partir des éléments prélevés sur une scène de crime ou des objets placés sous scellés en lien avec une affaire donnée.

19Pour les personnes prélevées, la technique s’appuie sur le kit FTA (Fast Technology for Analysis). Ce kit, largement diffusé dans les unités de la Police et de la Gendarmerie nationales, contient dans une pochette stérile les différents éléments (sucettes stériles, papier cellulosique permettant de déposer les cellules des muqueuses internes des joues « raclées » à l’aide de cette sucette, enveloppe de scellés, bande auto-scellante, gants, masques, nappe en papier stérile) indispensables pour effectuer un prélèvement « normalisé » d’une quantité suffisante de cellules qui sera ensuite traitée de manière automatisée en laboratoire en vue de l’extraction du profil génétique et de sa transmission pour intégration ou comparaison au FNAEG. À titre indicatif, le prix unitaire d’un kit FTA est d’environ 9 euros et le prix d’une extraction de profil dans ces conditions avoisine les 30 euros. On comprendra à la lecture de ces chiffres que la constitution de la base de données génétique a un coût élevé en comparaison de celui induit par le relevé des empreintes digitales. Les opérations de signalisation effectuées sur les personnes interpellées par les forces de l’ordre ont également une durée non négligeable au regard de la garde à vue. Qu’il s’agisse des auditions concernant l’état-civil, des opérations de photographie, de signalisation dactyloscopique et de signalisation génétique, l’ensemble de cette démarche change l’appréhension de la mesure de garde à vue. Pour s’en convaincre, imaginons seulement ces pratiques dans le cadre d’un polar des années 50…

20Et si les prélèvements sur les personnes sont des opérations simples, les recherches de traces génétiques sur les scènes d’infraction deviennent paradoxalement de plus en plus compliquées. En effet, il y a encore dix ans il fallait au moins cinq cents cellules pour pouvoir établir un profil génétique. À l’heure actuelle, moins d’une dizaine suffisent. Dès lors, les risques de pollution des intervenants d’une part et les mélanges d’ADN d’autre part sont multipliés. Évidemment, les prix des analyses nécessaires pour distinguer les profils différents qui peuvent être présents sur un support étudié sont dès lors plus élevés. Pour les intervenants (cf. l’affaire Giraud), les mesures de protection individuelle doivent être drastiques afin de ne pas polluer la scène de crime. De même, la méthodologie des techniciens de scène de crime impose de changer de gants et de brucelles à chaque prélèvement effectué. La contamination du prélèvement vient très vite, même sur du personnel très protégé (combinaison, charlotte, masque, gants, surchaussures). Un exemple : ces combinaisons tiennent chaud, on transpire, on s’essuie le front machinalement du revers de la main gantée, on retourne sur son prélèvement, et ce dernier est pollué par l’ADN de l’intervenant. C’est ainsi que les problèmes de pollution génétique ont très rapidement compliqué (et ce n’est pas fini), au fur et à mesure de l’amélioration des techniques d’extraction d’ADN, la valeur probante attachée à l’identification génétique.

Les problématiques liées à la pollution génétique

21« Il est impossible d’agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser de traces de son passage. » Cette fameuse phrase d’Edmond Locard (1877-1966), père de la criminalistique moderne en France, pose les bases du principe de l’échange (sur une scène d’infraction l’auteur laisse des éléments qu’il a apportés et emporte des éléments qui étaient sur place) à partir duquel toutes les recherches criminalistiques sont effectuées au cours d’une enquête. À l’heure actuelle, ce principe résonne avec une acuité particulière. Avec les progrès de l’analyse génétique, ce n’est plus seulement l’auteur d’une infraction qui « apporte et emporte » mais également tous les intervenants sur les lieux. Les policiers à la suite des laboratoires prennent progressivement conscience de cet état de fait et tentent d’améliorer leur méthodologie d’intervention. Force est d’ailleurs de constater que dans ce domaine la réalité dépasse la fiction. Lors des enquêtes portant sur les faits les plus graves, homicides notamment, le personnel intervenant est bien mieux protégé que les héros des différentes (et nombreuses) séries qui nous sont proposées à la télévision ou au cinéma. Malgré tout, et si de grands progrès ont été réalisés dans le domaine de la gestion de la scène d’infraction ces dernières années, tout n’est pas parfait.

22Un des risques liés à la pollution génétique est ce que l’on appelle en technique d’enquête « l’ouverture de porte ». Exemple : dans une affaire d’homicide, sur un scellé majeur, mettons un couteau, est déterminée la présence de deux ADN distincts. Le premier est identifié par comparaison dans le FNAEG, pas le second (appartenant à un familier de la victime, un intervenant ou autre). L’enquêteur sera bien en peine d’établir qui a utilisé l’arme blanche et on lui demandera de rechercher le propriétaire du second profil. Il est vrai, et le problème est déjà ancien en matière d’empreintes digitales, que la révélation et l’identification d’une trace ne préjugent jamais du rôle joué par celui qui l’a apposée. La seule conclusion qui peut être tirée est qu’une personne déterminée a touché un objet précis. Ce sont les autres éléments récoltés par l’enquêteur qui lui permettront de mettre en perspective les rôles des uns et des autres.

23Mais, à la différence des traces digitales, la trace génétique se transporte beaucoup plus facilement et même parfois à l’insu du « transporteur ». Une expérience récente a été réalisée dans un laboratoire de police : on a demandé à un opérateur de manipuler un tube à essai vide et stérilisé, puis on a tenté de retrouver l’ADN de cet opérateur sur le tube à essai. Cela s’est révélé totalement négatif ; en revanche, a été déterminé le profil génétique d’un collègue de l’opérateur qui lui avait serré la main peu de temps auparavant… Cela est un peu inquiétant quant à la valeur probante de la nouvelle reine des preuves. Dans le même ordre d’idée, l’une des sources de pollution les plus courantes réside dans les postillons qui volent, se transportent et se déposent avec une facilité déconcertante. En tout état de cause, et comme pour l’aveu, l’enquêteur ne devra jamais perdre sa capacité de douter face à une identification génétique, non pas d’ailleurs dans la réalité de l’identification, qui n’est jamais contestée, mais dans l’explication de la présence du profil identifié. Tout est question de relativité. La présence d’un profil génétique est une indication qui, comme le témoignage, l’aveu, la reconnaissance ou la trace digitale, ne constitue que l’un des éléments du puzzle que l’enquêteur sur les traces de la vérité doit reconstituer. Il n’en est nullement la pièce maîtresse.

24Patricia Cornwell, dans Jack l’éventreur, Affaire classée, Portrait d’un tueur, le résumait à sa manière en écrivant : « La science médico-légale ne remplacera jamais le travail d’enquête, la déduction, l’expérience humaine, le bon sens et le travail acharné. »


Date de mise en ligne : 23/01/2008

https://doi.org/10.3917/seve.017.0079

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