Notes
-
[1]
Éditorial rédaction, « Indépendance », Rev. Prescrire, 18 (182), 161, 1998.
-
[2]
Littéralement « moi aussi », le terme désigne une substance développée pour pénétrer un créneau commercial déjà occupé par une spécialité à base d’une substance voisine sans apporter de bénéfice nouveau, la firme pharmaceutique voulant simplement « elle aussi » une part du marché.
-
[3]
ISDB, « Déclaration de Paris sur le progrès thérapeutique dans le domaine des médicaments », novembre 2001, http:// www. isdbweb. org/ pag/ therapeutic_dec. php (version en français : 12 p.).
-
[4]
ISDB, « Déclaration de Berlin sur la pharmacovigilance », novembre 2003, http:// 66. 71. 191. 169/ isdbweb/ pag/ publications. php (version en français : 16 p.).
-
[5]
ISDB, « Déclaration de Berlin sur la pharmacovigilance », op. cit.
-
[6]
HAI, Dag Hammarskjöld Foundation, « Déclaration du Groupe de travail international sur la transparence et le contrôle public des décisions officielles concernant les médicaments », septembre 1996 (version en français : 20 p.).
-
[7]
ISDB, « Déclaration de Berlin sur la pharmacovigilance », op. cit.
-
[8]
ISDB, « Déclaration de Berlin sur la pharmacovigilance », op. cit.
-
[9]
HAI, ISDB, AIM, BEUC, Collectif Europe et médicament, « Déclaration conjointe pour une information-santé pertinente pour des citoyens responsables », octobre 2006, http:// 66. 71. 191. 169/ isdbweb/ pag/ documents. php (version en français : 9 p.).
-
[10]
HAI, ISDB, AIM, BEUC, Collectif Europe et médicament, « Déclaration conjointe pour une information-santé pertinente pour des citoyens responsables », op. cit.
-
[11]
Éditorial rédaction, « Indépendance », op. cit.
1« La greffe idéale est celle que l’organisme accepte comme partie de lui-même et intègre dans son unité d’être vivant. Sous cet angle, l’industrie pharmaceutique tient aujourd’hui la place d’une greffe idéale au sein du corps médical. L’industrie peut tout. On attend tout d’elle. Elle est toujours là, exquise et prévenante, bonasse et attentive, devançant les moindres désirs : un “amélioré” de salle de garde, l’ordinateur ou la photocopieuse du service, le voyage aux États-Unis du patron et de l’assistant, les “sous-colles” préparant au concours d’internat, l’arrosage de la thèse, le cocktail du tournoi de bridge, la collation de fin de réunion de formation continue, l’information thérapeutique, la logistique du réseau informatique, la formation des cadres de la profession, etc., etc. Recherche clinique, bibliographies, publications, congrès, formation continue, équipements, loisirs, gadgets... mille mercis Madame industrie. Cette symbiose constamment entretenue fait perdre aux médecins leur esprit critique et leur fait oublier leur vrai rôle social. Elle leur ôte de l’idée leur vraie valeur marchande et humaine : le service rendu aux patients, et non le volume prescrit. » [1] Ces lignes extraites d’un éditorial de la Revue Prescrire ont été publiées en 1998. Depuis trente ans, de nombreuses voix se sont ainsi élevées de par le monde pour souligner les dangers majeurs de la confusion des genres entre firmes pharmaceutiques et formation des professionnels de santé, entre objectifs commerciaux, boursiers, industriels et préoccupations sanitaires et économiques au service des populations.
2Ces mises en garde, ces recommandations fondées sur la riche expérience d’acteurs indépendants peuvent se résumer en un seul constat : soumises à une féroce concurrence et à la chasse aux résultats boursiers, les firmes cherchent toujours, par la force des choses, à mettre en valeur ce qu’elles vendent. Elles sont dans l’incapacité d’émettre des conclusions sereines, objectives, comparatives, équilibrées, prenant en compte tous les moyens thérapeutiques disponibles, leurs avantages et leurs inconvénients. Et cela dans tous les domaines : innovation thérapeutique, effets indésirables des médicaments, information du public, définition des maladies, dépistage, etc.
Pas d’identification des progrès thérapeutiques sans analyse comparative
3« L’“innovation” est une question centrale pour tous ceux qui sont concernés par les traitements médicamenteux : le public, les professionnels de santé et ceux qui les informent, les autorités sanitaires et les agences du médicament, les organismes d’assurance maladie et l’industrie pharmaceutique. Parmi eux, les professionnels de santé jouent un rôle clé en s’assurant de la valeur des nouveaux traitements médicamenteux, et en prenant la décision de les prescrire et celle de les dispenser. Leur savoir-faire doit cependant s’appuyer sur une information indépendante. Les patients et le public se reposent sur les professionnels de santé pour s’assurer que leurs intérêts sont défendus au mieux.
4« L’industrie pharmaceutique veut donner l’impression que les traitements innovants sont tellement nombreux et importants qu’il est impératif d’en accélérer le développement et le processus d’enregistrement, afin que les patients y aient rapidement accès. Cependant, les professionnels de santé qui travaillent pour des revues thérapeutiques indépendantes ont montré que cette impression est trompeuse. […] Globalement, seul un faible pourcentage des médicaments nouvellement autorisés chaque année apportent un réel avantage aux patients, par comparaison avec ce qui existe déjà.
5« Le terme “innovation” recouvre trois concepts :
- le concept commercial désigne n’importe quel produit nouvellement commercialisé : nouvelles substances, y compris les “me-too” [2], nouvelles indications, nouvelles formes galéniques et nouvelles méthodes de traitement ;
- le concept technologique se rapporte aux innovations industrielles, telles l’utilisation des biotechniques, ou l’introduction d’un nouveau système d’administration pour un médicament (patch, spray, etc.), ou la sélection d’un isomère ou d’un métabolite ;
- le concept de progrès thérapeutique prend en compte les nouveaux traitements qui apportent un bénéfice aux patients par comparaison avec les traitements déjà existants.
6Ce texte, extrait de la « Déclaration de Paris de l’International Society of Drug Bulletins (ISDB) sur le progrès thérapeutique dans le domaine des médicaments », publiée en 2001, souligne l’impossibilité pour une firme pharmaceutique de produire ou de promouvoir l’information complète, objective, comparative nécessaire pour guider des décisions médicales éclairées.
Pas de prévention des effets indésirables sans information indépendante
7Les effets indésirables des médicaments réduisent sensiblement la qualité de vie des patients, multiplient les hospitalisations, prolongent les séjours à l’hôpital et augmentent la mortalité. Ils représentent en outre une charge financière énorme pour les systèmes de santé. C’est dire l’importance de la formation des professionnels de santé dans ces domaines. Or, comme l’a souligné, en 2003, l’ISDB dans sa « Déclaration de Berlin sur la pharmacovigilance », de nombreux obstacles concourent à minimiser la perception des effets indésirables [4]. Et notamment :
Les conflits d’intérêts des agences du médicament
8« Des conflits d’intérêts sont inévitables car les agences du médicament dépendent de plus en plus des redevances versées par les firmes pharmaceutiques, ces redevances permettant aux agences d’être moins tributaires de fonds publics qui vont en diminuant. Et dans de nombreux pays, les experts des agences du médicament entretiennent souvent des liens étroits avec les firmes pharmaceutiques, qui les financent parfois directement.
9« […] Avant la mise sur le marché des médicaments, en cas de doute scientifique sur les risques des médicaments, les agences du médicament et leurs experts tranchent généralement en faveur des firmes afin d’accélérer l’octroi des autorisations. Après la mise sur le marché, ils adoptent la même attitude lorsqu’ils interprètent les effets indésirables notifiés spontanément et d’autres données de pharmacovigilance.
10« Le fait que les agences qui octroient les autorisations de mise sur le marché (AMM) soient également chargées de la pharmacovigilance et, dans certaines conditions, du retrait du marché des médicaments, risque de les empêcher de prendre les mesures qui s’imposent. Cette situation crée nécessairement un conflit d’intérêts. Les agences ont tendance à différer certaines mesures qui révèleraient qu’elles ont pris de mauvaises décisions en matière d’AMM, et qui les obligeraient à expliquer les raisons pour lesquelles elles ont autorisé la commercialisation des médicaments. Le peu d’empressement à rendre publiques les informations est renforcé par la crainte que leur diffusion mette les médicaments financièrement en péril, affecte les bénéfices et le cours des actions des entreprises et entraîne des actions en justice. » [5]
11Déjà en 1996, parmi les raisons du développement du secret abusif dans les agences, la «Déclaration du Groupe international sur la transparence et le contrôle public des décisions officielles concernant les médicaments » dénonçait ce risque : « L’influence de l’industrie : il est clair que de nombreux laboratoires pharmaceutiques préfèrent que l’ensemble des éléments des dossiers officiels soient considérés comme secrets. La prudence excessive : il peut exister une crainte exagérée de froisser des susceptibilités commerciales. » [6]
La désinformation par les firmes pharmaceutiques
12« Les firmes pharmaceutiques se préoccupent essentiellement de leurs ventes et de leur chiffre d’affaires, alors que les patients s’intéressent à leur santé et à leur bien-être. Pour conquérir des parts de marché, les firmes pharmaceutiques publient des “informations’’ qui surestiment l’efficacité de leurs médicaments et minimisent l’importance des effets indésirables, en les classant par exemple dans la catégorie des événements non confirmés (événements indésirables). Toutes les données ayant trait aux risques sont généralement occultées car elles sont sensibles sur le plan commercial. […]
13« Les travaux de pharmacovigilance risquant de révéler des problèmes qui, autrement, ne seraient pas découverts, la pente naturelle est de minimiser les problèmes. Les visiteurs médicaux hésitent parfois à transmettre les effets indésirables dont on leur fait part car ils pourraient porter préjudice à leur entreprise, ou du fait que leurs revenus sont fonction de leur chiffre d’affaires. Il arrive que les enjeux financiers soient tels que si des effets indésirables provoquent une crise, les firmes en cause donnent davantage d’informations à la Bourse qu’aux professionnels de santé et au public. » [7]
La formation insuffisante des médecins qui en résulte
14« Les médecins sont peu disposés à participer à la notification des effets indésirables. Selon les estimations, ils ne signalent que 3% à 5% de l’ensemble des événements indésirables, pour diverses raisons, dont on peut citer les suivantes : ils n’y pensent pas car on ne le leur a pas appris ; ils pensent que le profil des effets indésirables est déjà connu, en particulier lorsque les médicaments suspects sont anciens ; d’après leur interprétation, les effets indésirables sont mineurs ou ne sont pas pertinents ; ils ne sont pas suffisamment intéressés par la question pour écouter les patients ; ils ont des doutes sur le rôle causal du ou des médicaments en cause et supposent à tort qu’ils doivent prouver le lien de causalité ; ils supposent que l’effet indésirable observé n’a jamais été évoqué et ils craignent que leur doute soit par conséquent infondé ; ils supposent que l’effet indésirable en question a déjà été signalé par un confrère ; ils manquent de temps ; ils craignent que des demandes de renseignements complémentaires prenant du temps ne créent un surcroît de travail ; ils redoutent que la déclaration des effets indésirables ne les expose ou expose d’autres personnes à des sanctions disciplinaires ou un procès ; ils craignent que la firme en cause ne les attaque en justice pour “fausse” déclaration et demande réparation ; ils considèrent que les notifications sont inefficaces ; ils ne connaissent pas la marche à suivre ; ils prévoient de recueillir et de publier une série personnelle de cas ; ils ne savent pas quels types d’effets indésirables ils doivent signaler ; les effets indésirables imitent une maladie courante qui survient spontanément ou imitent les symptômes de la maladie traitée ; ils ne disposent pas d’informations pertinentes, notamment sur les médicaments prescrits par d’autres médecins ou ceux pris sans prescription (il est rare que les patients disent à leur médecin qu’ils prennent des médicaments de médecine alternative) ; le temps et les efforts qu’ils consacrent aux notifications ne sont pas rémunérés ; les agences du médicament et les professionnels de santé responsables du système de pharmacovigilance ne leur renvoient pas d’informations en retour ; ils n’ont pas de fiches de notification à leur disposition.
15« Outre le fait que les médecins ne sont pas suffisamment formés à la notification des effets indésirables, nombre d’entre eux sont à la traîne par rapport à d’autres professionnels, et n’ont pas appris à présenter efficacement des informations sur les risques. Dans d’autres secteurs où il faut faire part des risques au public (comme l’aviation et le nucléaire), seules quelques personnes qui ont suivi une formation spécialisée sont chargées de cette tâche pour le compte de leur entreprise. Dans le domaine des soins de santé, où les risques sont généralement bien supérieurs et plus aléatoires et complexes, pratiquement tous les médecins qui ont affaire à des patients devraient leur communiquer des renseignements sur les risques, mais peu d’entre eux y ont été formés. » [8]
Pas d’information du patient pertinente sans transparence sur les sources
16Les professionnels de santé doivent non seulement connaître les médicaments de premier choix, prévenir et gérer les effets indésirables, mais aussi aider les patients en leur apportant une information pertinente. Or, comme le souligne la « Déclaration conjointe pour une information-santé pertinente pour des citoyens responsables » publiée en 2006 par un nombre important d’organisations de patients et d’acteurs de santé en Europe, il faut mettre fin à la confusion des rôles entre les firmes pharmaceutiques et les autres acteurs, confusion entretenue en permanence par la Commission européenne [9].
17« L’information fait partie intégrante des soins de santé. Mais le développement de la publicité directe auprès des consommateurs, de campagnes de “sensibilisation aux maladies” (alias “disease awareness”, puis “disease mongering”), des programmes dits d’“observance”, ainsi que le soutien financier direct et indirect des organisations de patients par les firmes pharmaceutiques, ont brouillé la frontière entre publicité pour les médicaments et information-santé. Si l’objectif est bien de permettre aux patients de faire des choix éclairés concernant leur santé, une distinction claire doit être faite entre information et publicité déguisée en “information”.
18« Pour être pertinente l’information-santé doit répondre aux critères suivants :
- fiable : étayée par des données probantes (mentionnant les sources de données), non biaisées, et mises à jour ; avec transparence totale sur les auteurs et leur financement (ce qui permet de rejeter l’information influencée par des conflits d’intérêts) ;
- comparative : présentant les bénéfices et les risques de l’ensemble des options thérapeutiques existantes (y compris, le cas échéant, l’option consistant à ne pas traiter) et expliquant l’évolution naturelle de la maladie ou du symptôme ;
- adaptée aux utilisateurs : compréhensible, facilement accessible et adaptée au contexte culturel. […]
19« Les firmes pharmaceutiques ont en revanche un rôle spécifique à jouer : la législation les oblige à étiqueter correctement leurs médicaments, accompagnés de notices conformes à la réglementation. La directive 2004/27/CE exige que ces notices soient évaluées par des patients. Cette disposition est importante et très attendue. Des notices et des conditionnements informatifs sont de nature à contribuer à une meilleure utilisation des médicaments et à la prévention des erreurs. » [10]
20« L’indépendance des médecins, des pharmaciens et plus généralement de tous les professionnels de santé est une condition sine qua non de la qualité des soins et de la confiance durable des patients. Cette exigence se prépare à l’université et dans les structures de soins formatrices, où l’étudiant doit apprendre les fondements de l’éthique professionnelle. Ce besoin de rigueur et de liberté se confirme ensuite durant toute la carrière, au cours de laquelle les professionnels doivent préserver leur seul vrai capital : leur autonomie de pensée et d’action dans les soins, dans la formation et dans la recherche. » [11] Ce besoin d’indépendance est d’autant plus crucial aujourd’hui que la marchandisation de la santé tend à se généraliser du fait de la compétition internationale des firmes. Si on veut éviter que les thérapeutiques modernes fassent plus de dégâts que de bien, il faut un vigoureux sursaut collectif.
Notes
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[1]
Éditorial rédaction, « Indépendance », Rev. Prescrire, 18 (182), 161, 1998.
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[2]
Littéralement « moi aussi », le terme désigne une substance développée pour pénétrer un créneau commercial déjà occupé par une spécialité à base d’une substance voisine sans apporter de bénéfice nouveau, la firme pharmaceutique voulant simplement « elle aussi » une part du marché.
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[3]
ISDB, « Déclaration de Paris sur le progrès thérapeutique dans le domaine des médicaments », novembre 2001, http:// www. isdbweb. org/ pag/ therapeutic_dec. php (version en français : 12 p.).
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[4]
ISDB, « Déclaration de Berlin sur la pharmacovigilance », novembre 2003, http:// 66. 71. 191. 169/ isdbweb/ pag/ publications. php (version en français : 16 p.).
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[5]
ISDB, « Déclaration de Berlin sur la pharmacovigilance », op. cit.
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[6]
HAI, Dag Hammarskjöld Foundation, « Déclaration du Groupe de travail international sur la transparence et le contrôle public des décisions officielles concernant les médicaments », septembre 1996 (version en français : 20 p.).
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[7]
ISDB, « Déclaration de Berlin sur la pharmacovigilance », op. cit.
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[8]
ISDB, « Déclaration de Berlin sur la pharmacovigilance », op. cit.
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[9]
HAI, ISDB, AIM, BEUC, Collectif Europe et médicament, « Déclaration conjointe pour une information-santé pertinente pour des citoyens responsables », octobre 2006, http:// 66. 71. 191. 169/ isdbweb/ pag/ documents. php (version en français : 9 p.).
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[10]
HAI, ISDB, AIM, BEUC, Collectif Europe et médicament, « Déclaration conjointe pour une information-santé pertinente pour des citoyens responsables », op. cit.
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[11]
Éditorial rédaction, « Indépendance », op. cit.