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Article de revue

Histoire des universités de médecine : quelques jalons

Pages 19 à 24

Notes

  • [1]
    Comiti V.-P., Les textes fondateurs de l’action sanitaire et sociale, Paris, ESF, 2002, 430 p., et Histoire sanitaire et sociale, Paris, Puf, 1997, 127 p.
  • [2]
    Jehel G., Racinet P., Éducation et cultures dans l’Occident chrétien, Paris, Édition du temps, 1998, 255 p.
  • [3]
    Rossetti L., « L’université de Padoue : aperçu historique », in : Les siècles d’or de la médecine, Padoue, XVe-XVIIIe siècles, Milan, Electa, 1989, pp. 13-18.
  • [4]
    Pigeaud J., « Médecine et médecins padouans », in : Les siècles d’or de la médecine, Padoue, XVe-XVIIIe siècles, op. cit., pp. 19-55.
  • [5]
    Pecker A., « L’enseignement et la pratique de la médecine à Paris », in : La médecine à Paris du XIIIe au XXe siècle, Paris, Hervas, 1984, pp. 15-86.
  • [6]
    On lira, pour ce sujet comme pour d’autres, le toujours irremplaçable A Castiglioni, Histoire de la médecine, trad. J. Bertrand et F. Gibon, Paris, Payot, 1931, 781 p.

1L’histoire des lieux d’enseignement de la médecine fait appel au mot « universitas » dans la mesure où ce substantif désignait l’ensemble des écoliers qui suivaient les cours, mais aussi au terme « école », mais dans un sens très précis. Ici, il s’agit d’un lieu où se donnait un enseignement ou de l’ensemble formé par des professeurs et des étudiants. Le mot « école » a aussi le sens de courant de pensée et de pratique (école vitaliste, pneumatique ou iatrochimique). Nous aborderons peu ces notions ici. Nous avons retenu l’ordre chronologique dans la mesure où il convient mieux à l’exposition des changements comme des continuités. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une approche exhaustive mais de l’exposé de quelques jalons [1].

Et naquit l’école de Salerne

2La médecine s’apprenait auprès de praticiens ou par la fréquentation des lieux de soins. Les barbiers, en théorie sous la prescription des médecins, pratiquaient saignées, application des ventouses, bains et coupes de cheveux ou de barbe, les chirurgiens consacraient leur pratique aux plaies, aux entorses ou fractures tandis que les apothicaires étaient maîtres dans l’art des lavements. Jusqu’au XVIIIe siècle la saignée va régner en thérapeutique comme l’examen des urines (visuel avant tout) dans l’établissement de la gravité de la maladie.

3Mentionnée dès 846, l’école de Salerne, la civitas hippocratica, était placée sous le patronage de saint Matthieu. Dix docteurs sont à sa tête et les examens portent avant tout sur les textes d’Hippocrate, Galien et Avicenne (le Canon d’Avicenne, son œuvre principale, a exercé une influence certaine jusqu’au XVIIe siècle). Le candidat doit avoir plus de vingt et un ans, avoir étudié la médecine de cinq à sept ans et prêté serment d’être fidèle à la société, de ne recevoir aucun salaire des pauvres et aucun avantage de la part des apothicaires. Au cours de la période d’enseignement, les médecins étaient payés par les étudiants. Le rayonnement de l’école reposait surtout sur une compilation de textes anciens (le Passinarium de Guariopontus ou Guarinpotus, mort en 1050, l’Antidotarium, qui rassemble un grand nombre d’ordonnances et a inspiré les formulaires ultérieurs, et le Regimen sanitatis, long poème de préceptes, conseils en matière médicale, alimentation et vie sexuelle).

4En 1225, Fréderic II reconnaît l’école comme institution d’État et lui confère le droit de délivrer des diplômes qui ont valeur universelle (déjà en 1140 Roger, roi de Sicile, avait tenté d’interdire la pratique de la médecine à quiconque n’était pas doté de diplômes approuvés par l’État). Elle fut supprimée par Napoléon en 1811 mais elle n’était plus que l’ombre d’elle-même depuis plusieurs siècles. L’histoire de Salerne est intéressante à plusieurs titres. Tout d’abord elle fut le lieu de convergence des courants grec, judaïque et arabe, voire nordique, et elle fut très importante dans le cadre de l’enseignement de la médecine en Europe du XIe siècle au XIVe siècle. La tendance laïque s’y manifesta rapidement et les études se concentrèrent dans les hôpitaux et les bibliothèques. Ainsi, à côté des monastères où subsistait un enseignement assez rudimentaire destiné aux moines apparut un enseignement que l’autorité laïque reconnaîtra comme de qualité. En 1130 le concile de Clermont et en 1131 celui de Reims tentèrent d’interdire la pratique de la médecine au clergé régulier. La création d’universités où prédominent le droit et la théologie est contemporaine de la renaissance urbaine du XIIe siècle, comme l’ont montré Jehel et Racinet [2], mais il ne faut pas minimiser le rôle de l’Église. Trente et une des quarante-quatre universités fondées avant 1400 ont des lettres d’érection du pape, mais les écoles et les facultés de médecine ont un statut particulier et sont bien moins nombreuses.

Les écoles italiennes

5Il est un peu artificiel de séparer les écoles italiennes et françaises mais l’Italie jusqu’au XVIe siècle joua un rôle majeur, dans le domaine de l’anatomie notamment, et l’importance d’une structure d’enseignement est aussi liée à son rayonnement du fait de ses recherches, de ses découvertes et de ses publications. Indiquons en préambule que de 1200 à la fin du Moyen Âge, quatre-vingts universités ou facultés générales sont fondées en Europe, dont vingt et une en Italie et dix-neuf en France. Sur les dix-neuf universités françaises, seuls Paris et Montpellier ont une faculté de médecine. Mais cela est sans compter avec les petits centres de formation souvent non officiels.

6Bologne, qui aurait été fondée en 1088, est devenue réputée notamment grâce aux dissections qui y furent pratiquées. L’anatomiste Mondino di Luzzi en fut le plus célèbre praticien. La dissection se faisait « en chaire ». Le lecteur lisait un texte classique, par exemple de Galien, de nombreuses fois copié et déformé, et un dissecteur pratiquait des incisions indiquées par un démonstrateur. Ce dernier se servait d’une perche pour indiquer les endroits du corps à disséquer.

7En 1222, des étudiants et des professeurs en conflit avec Bologne arrivèrent à Padoue pour y fonder une école. Padoue se dota en 1229 d’une véritable organisation d’université, c’est-à-dire protégée par les autorités – ici, civiles et religieuses –, le studium. Rossetti [3] a particulièrement bien étudié ce point. L’appellation de studium, en général accordée par le pape et le roi ou l’empereur, leur conférait le privilège d’accorder des diplômes reconnus universellement. Une bulle du pape Clément VI en 1345 reconnaît au studium une grande importance et les artistae (médecine, rhétorique et grammaire) acquirent leur indépendance vis-à-vis des juristes en 1399. Au commencement ce furent les étudiants qui nommèrent les professeurs mais l’autorité publique s’y substitua à partir de 1445 pour les principales chaires. À partir de 1522, les étudiants, dispersés jusque-là dans la ville, se regroupèrent, pour recevoir les cours, dans un bâtiment unique, le palais du Bô (le premier amphithéâtre anatomique fut construit en 1490).

8L’enseignement dispensé à Padoue fut prestigieux. Pigeaud [4] y a consacré un bel article à l’occasion d’une magnifique commémoration. L’enseignement y commença vers 1250 et se prolongea jusqu’au XVIIIe siècle. La richesse naît souvent du métissage. Pierre d’Albano, à partir de 1307, mêla ses connaissances puisées chez Bacon, Albert le Grand ou saint Thomas et chez Aristote, Hippocrate, Galien ou Avicenne et Rhazes. La médecine s’enrichit de nombreux courants. Il écrivit un Conciliator differentiarum philosophorum et praecipue medicorum dont l’édition princeps verra le jour bien plus tard, en 1471. Fracastor enseigna la médecine à Vérone en 1509, termina son poème sur la syphilis en 1525 (Syphilis sive morbus gallicus) et évoqua les phénomènes de contagion, à replacer bien entendu dans le corpus de connaissances du XVIe siècle. Santorio (1561-1636) introduisit la mesure en médecine en s’intéressant à la température du corps humain et en utilisant une balance pour étudier toute variation de poids, toute exonération ou ingestion. Tout était pesé et noté. Mais l’interprétation était impossible compte tenu des connaissances des domaines du savoir de son époque ; il faisait de l’arrêt de la perspiration insensible la cause des maladies. Bien entendu, il faut citer Vésale, qui passa ses examens à Padoue en décembre 1537 et qui, dès le 6 décembre, fut nommé titulaire de la chaire de chirurgie et d’anatomie. Le De humani corporis fabrica, paru en 1543 à Bâle, est l’un des plus beaux livres d’anatomie, non seulement par son iconographie, mais aussi par ses apports scientifiques.

9L’Europe est alors une Europe des voyages. Dès la fin du Moyen Âge, une terra communa voit le jour. De nombreux médecins, et Vésale en est un exemple puisqu’il alla à Paris, se déplaçaient à travers l’Europe.

Les universités françaises

10Montpellier possède la plus ancienne faculté de médecine française. Présente depuis 1137 pour le moins, elle était géographiquement comme intellectuellement proche de Salerne et l’enseignement y fut moins théorique qu’à Paris. Dès 1220, Honorius II accorda à Montpellier les mêmes droits qu’à Paris. Henri de Mondeville (1260-1320) et Guy de Chauliac (environ 1300-1368) l’illustrèrent en anatomie et en chirurgie.

11Il est possible, avec Pecker [5], de suivre l’histoire de la faculté de médecine de Paris qui, avec Montpellier, joua un rôle politique important dans la construction de l’enseignement de la médecine contemporaine.

12Philippe Auguste créa en 1215 la première véritable université parisienne, mais il est fait état d’un enseignement de la médecine à Paris dès 1150. Très rapidement un conflit éclata avec les barbiers et les chirurgiens. Vers 1260 des barbiers firent de la chirurgie leur métier et cessèrent de raser et de couper les cheveux. Ils fondèrent une confrérie placée sous la protection de saint Côme et de saint Damien. Lanfranc, chirurgien italien, les rejoignit. Le conflit perdura au cours des siècles, le roi protégeant souvent les chirurgiens. Ceux de Saint-Côme se déclarèrent élèves de la faculté en 1346 mais la lutte continua. Ambroise Paré fut reçu maître en chirurgie en 1554. Il ne connaissait pas le latin mais son rayonnement fut bénéfique pour les chirurgiens. L’épilogue de cette histoire intervint en décembre 1794 quand furent créées trois écoles de santé (Paris, trois cents élèves, Montpellier, cent cinquante élèves et Strasbourg, cent élèves). La médecine et la chirurgie étaient réunies pour la première fois en France.

13Le deuxième fait d’importance, pour une faculté qui fut à la fin du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle la faculté la plus renommée d’Europe et des Amériques, est la modestie de ses premiers siècles d’existence. L’enseignement était dispensé en latin, les livres étaient rares. On cite le nombre de treize livres en 1395. Il n’y eut pas de lieu spécifique jusqu’en 1470. La première maison se situait rue de la Bucherie dans des locaux insalubres. Les étudiants devaient être célibataires jusqu’en 1452. L’étudiant devenait bachelier, puis obtenait la licence et était nommé docteur deux ans plus tard, après avoir suivi la visite des pauvres. Il n’est pas possible de citer les enseignants qui illustrèrent la faculté, de Sylvius qui fut le premier professeur libre d’anatomie en 1531 à Bichat (1771-1802) qui fonda la pathologie tissulaire ou Pinel (1746-1826) qui fit progresser la nosologie mais surtout œuvra en faveur des malades mentaux. Il faudrait aussi citer Laennec ou Corvisart. Ces auteurs contribuèrent tous, dans le sillage de Morgagni, à faire de l’hôpital, de nouveau, le lieu privilégié des soins et de la confrontation de la clinique avec les données post mortem.

14Au XIXe siècle l’enseignement médical subit une modification intéressante à relater. Un décret de mars 1803 distingua les officiers de santé et les docteurs en médecine. Les officiers de santé devaient avoir été attachés comme élèves à un médecin ou à un hôpital (pendant cinq ans). Théoriquement, ils devaient exercer dans les campagnes. En fait ils restèrent en grand nombre dans les villes. Ce corps fut supprimé en 1892. Cette création avait été un échec.

15L’année suivante l’enseignement entra dans sa phase moderne avec la création du PCN à l’entrée en faculté. Cette année, notamment consacrée à l’étude de la physique, de la chimie et des sciences naturelles, consacrait l’importance des sciences quantitatives, filles de Lavoisier ou de Claude Bernard [6].

16D’autres éléments sont à prendre en compte. La chirurgie nécessita, à partir de la fin du XIXe siècle, des salles d’opération. La radiologie naquit en 1895 et les plateaux techniques s’installèrent dans les hôpitaux. Enfin vint la consécration avec la création des centres hospitalo-universitaires.

Notes

  • [1]
    Comiti V.-P., Les textes fondateurs de l’action sanitaire et sociale, Paris, ESF, 2002, 430 p., et Histoire sanitaire et sociale, Paris, Puf, 1997, 127 p.
  • [2]
    Jehel G., Racinet P., Éducation et cultures dans l’Occident chrétien, Paris, Édition du temps, 1998, 255 p.
  • [3]
    Rossetti L., « L’université de Padoue : aperçu historique », in : Les siècles d’or de la médecine, Padoue, XVe-XVIIIe siècles, Milan, Electa, 1989, pp. 13-18.
  • [4]
    Pigeaud J., « Médecine et médecins padouans », in : Les siècles d’or de la médecine, Padoue, XVe-XVIIIe siècles, op. cit., pp. 19-55.
  • [5]
    Pecker A., « L’enseignement et la pratique de la médecine à Paris », in : La médecine à Paris du XIIIe au XXe siècle, Paris, Hervas, 1984, pp. 15-86.
  • [6]
    On lira, pour ce sujet comme pour d’autres, le toujours irremplaçable A Castiglioni, Histoire de la médecine, trad. J. Bertrand et F. Gibon, Paris, Payot, 1931, 781 p.
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