2Quel rapport entretenez-vous à la santé à travers votre métier d’acteur ?
3Véronique Genest :
4Le lien est énorme. C’est comme si vous demandiez à un pilote son rapport avec sa voiture. Si les pneus ne sont pas en bon état, si le moteur ne marche pas, la voiture n’avance pas. Quand je tombe malade, je joue quand même. Dans ce métier, on n’arrête de jouer que quand on est mort. Ca paraît ridicule, mais c’est comme ça. Parfois on joue avec 40°C de fièvre, le cerveau explosé, on est dans des états… Qu’on ait froid, qu’on ait chaud on continue… C’est carrément infernal. J’ai appris à me soigner toute seule. Même si mon père était médecin, quand j’étais petite je me débrouillais pour les petits bobos. Et aujourd’hui je prends rarement des antibiotiques.
5Sève :
6Parvenez-vous tout de même à oublier votre corps ?
7Véronique Genest :
8Jamais. On est obligé de le contrôler en permanence. D’abord par ce que l’on doit toujours être « hyperclean ». Le comédien n’a pas de cernes. On doit avoir une hygiène de vie terrifiante. Il faut faire attention à tout ce qu’on mange. Forcément si on prend 10 kg au cours d’un tournage, il y a un problème… On court, on dévale des escaliers, on est tout le temps debout. Dès qu’il fait chaud on travaille dans des chaleurs épouvantables : il faut fermer les fenêtres et couper la climatisation à cause du bruit. Quand c’est l’hiver, on doit couper le chauffage, laisser les fenêtres ouvertes à cause des câbles qui passent… En hiver, on crève de froid. En été, on crève de chaud.
9Sève :
10Comment joue-t-on un rôle de malade ?
11Véronique Genest :
12D’abord on n’attrape pas réellement la maladie ! Je ne me souviens pas de toutes les maladies que j’ai interprétées. Ah si, dans Nana j’avais la petite vérole. J’ai aussi accouché dans un film. C’était la première fois, donc j’ai inventé. Mais ce n’est pas une maladie. Quand j’étais petite j’ai eu beaucoup de problèmes de santé et à une époque, j’avais même eu une dérogation, en pension, pour pouvoir manger autant de carottes et de salades que je voulais. J’adorais ça. À tel point que mon père m’appelait Flappy, comme le lapin du manège enchanté. J’ai toujours voulu être actrice ou vétérinaire ou Mary Poppins. Pour Mary Poppins, le rôle était déjà pris et quant à être véto, comme je tombais dans les pommes à la vue du sang ou des piqûres… Mais je me suis toujours projetée dans le futur.
13Sève :
14Et le fait d’être confronté à tant de morts dans Julie Lescaut ?
15Véronique Genest :
16Je suis issue d’une famille de médecins avec un mari médecin et j’aime bien ce rapport professionnel qu’on peut avoir à la mort. J’essaie toujours de décaler un peu tout ça, de faire de l’humour un peu noir. Les carabins, les médecins dans le milieu hospitalier, qui côtoient la mort finissent par en rire. Alors c’est vrai que ce rapport à la mort, je l’ai vécu à travers mon père ou mon mari et je l’ai exporté sur le personnage de Julie. Je pense que la commissaire comme les médecins ont le même rapport à la mort et qu’à un moment, ça devient quotidien, et le quotidien devient banal. Je trouve que c’est cette banalité qui peut être intéressante dans un rôle.
17Sève :
18Jouer un rôle aussi longtemps ne finit-il pas par retentir sur la santé mentale de l’acteur ?
19Véronique Genest :
20Je pense que comme beaucoup de choses, si on est fragile à la base, ça va retentir sur la santé mentale. Moi, franchement non. C’est vrai qu’il y a beaucoup de moi dans le personnage de Julie mais je n’ai aucun problème avec ça. Pour moi c’est un métier. Mais vraiment un métier. Je m’amuse, j’ai une famille – qui change d’ailleurs au fur et à mesure des films – mais quand je sors du plateau, pour moi c’est fini. J’oublie que je suis comédienne. C’est souvent le regard des autres qui me renvoie le fait que je le suis. Mais quand je vais chercher mon fils à l’école, je n’y pense pas une seconde.
21Sève :
22Est-ce que vous vous regardez à la télé ?
23Véronique Genest :
24C’est un rapport vraiment difficile à l’image. J’en ai marre de me voir. Il faut toujours être au mieux de sa forme, de son physique. Moi, je n’ai jamais voulu jouer sur mon physique. Il s’avère qu’au tout début, quand j’ai commencé ce métier, tout le monde m’a dit : tu joues là-dessus. Ca m’a toujours fait très très peur. Donc, les années passant, j’ai commencé à ressembler à l’image de moi. Ce qui est extraordinaire c’est que maintenant je suis complètement détachée, donc je ne me surveille pas du tout. Je suis « nature ». Mais ne serait-ce que me faire maquiller, pomponner tout le temps, ça m’énerve… J’ai l’impression de jouer à la poupée Barbie !
25Sève :
26Sur le tournage vous avez pourtant l’air de prendre du plaisir ?
27Véronique Genest :
28Oui, mais c’est facile. Le personnage est tellement approprié que c’est devenu une seconde nature. Elle a du caractère c’est vrai, mais il y aussi des moments où elle est fragile, tant mieux ! Vous avez vu que je me laisse imprégner de l’idée du texte, avant de le jouer. C’est un peu comme une histoire drôle : on vous la raconte d’une manière, puis vous la racontez à la vôtre. C’est ce que je fais quand je joue. Je crois au naturel, à la spontanéité. Je travaille beaucoup sur les scénarios, sur l’écriture, même sur les plateaux. En réalité, rien n’est calibré, rien n’est prévu dans ce métier. Tout n’est fait que d’imprévus, on n’arrête pas de changer les choses. On est toujours en mouvement. Même le scénario bouge ! Moi aussi d’ailleurs : je suis à la fois actrice, productrice, scénariste, et j’ai envie de faire de la mise en scène, peut-être de passer à la réalisation. Je me fais plaisir bien sûr, j’aurais tort de me plaindre. Mais disons que j’aurais plus envie encore de faire jouer les autres que de jouer moi-même. Enfin, il y a encore des rôles que j’aimerais faire… Des rôles plus durs… Mais on est souvent très loin de nos rêves.
29Sève :
30Vous pensez qu’un film peut changer les choses ?
31Véronique Genest :
32Regardez Philadelphia. Qui n’a pas été touché par Philadelphia ? Je pense que les films peuvent contribuer à sensibiliser les gens, à leur donner une vision plus humaine de choses qui leur font peur. Pour le sida, maladie transmise sexuellement, il y a eu une époque où c’était un peu honteux, comme j’imagine la vérole le fut avant cette maladie. Des films comme Philadelphia ont sans doute aidé à changer le regard des gens.
33le 20 juin 2005