1La gestion préventive des risques* torrentiels repose largement sur des mesures de protection structurelles au travers d’ouvrages de correction torrentielle. Sur un plan global de gestion du risque, les problématiques concernent le choix de stratégies de protection et la caractérisation de l’efficacité des dispositifs existants. Alors que la majorité des sites torrentiels sont aujourd’hui connus et équipés, un des enjeux devient la caractérisation de l’état et de l’efficacité des équipements existants pour définir le niveau de sécurité des enjeux qu’ils protègent et les priorités d’investissement.
2En s’intéressant aux défaillances potentielles, cet article montre comment les méthodes de conception et l’analyse des pathologies contribuent à cet objectif. Il reprend des éléments existants au travers de documents de formation et/ou rapport d’études ayant impliqué l’unité de recherche « Érosion torrentielle, neige et avalanches » (ETGR*) du Cemagref.
3La première partie rappelle tout d’abord les principes généraux et les types et fonctions de barrages de correction torrentielle. La seconde partie résume les grands principes de conception et d’analyse des pathologies de barrages de correction torrentielle.
Rôle et fonctions des barrages de correction torrentielle
4Dans le domaine des crues* torrentielles, les ouvrages de correction tentent d’agir sur les mécanismes de production de matériaux solides dans le cadre de mesures dites « actives » ou bien de protéger directement les enjeux dans le cadre d’ouvrages dits « passifs » tels que les barrages de sédimentation.
Stratégies de correction torrentielle
5Dans le cadre des mesures dites « structurelles » de prévention contre les risques torrentiels, les différentes stratégies de correction se distinguent par leurs objectifs, la localisation et la nature des travaux associés (figure 1).
Nature et localisation des stratégies de correction torrentielle
Nature et localisation des stratégies de correction torrentielle
Typologie et fonctions des barrages de correction torrentielle
6Les ouvrages de génie civil occupent encore une place essentielle dans les dispositifs de protection contre les risques liés aux crues torrentielles. Dans le cadre de travaux de correction active, les barrages de consolidation sont positionnés dans les tronçons fortement érodables du chenal d’écoulement* pour limiter l’érosion longitudinale et les divagations du torrent. Les zones de berges en glissement constituent d’importantes zones d’apport de matériaux solides et constituent souvent des zones prioritaires d’implantation des barrages de correction torrentielle (figure 2).
Fonctions des barrages de correction torrentielle de type consolidation
Fonctions des barrages de correction torrentielle de type consolidation
Sédimentation
Sédimentation
Typologie de défaillances
7Les ouvrages de correction torrentielle ne dérogent pas aux principes généraux de conception et de dimensionnement des ouvrages de génie civil. Des spécificités concernent par contre la définition des cas de charges (en lien avec la dynamique du transport solide) et des actions (impacts dynamiques dus aux écoulements, blocs, bois charriés par le torrent*, poussées de berges). Par exemple, la conception d’un barrage de consolidation repose sur une expertise conjointe en hydraulique torrentielle, génie civil et géotechnique (figure 3). La méthodologie de dimensionnement s’appuie sur un référentiel terminologique et une décomposition des ouvrages (figure 4) (Deymier et al., 1995).
Aspects de conception des barrages de consolidation
Aspects de conception des barrages de consolidation
Éléments d’un barrages de consolidation
Éléments d’un barrages de consolidation
8Dans ce cadre, les facteurs externes liés au contexte d’implantation doivent être pris en compte : possibilité de suppression d’appui en fondation, de sollicitations complexes liées à l’action de glissements sur les ouvrages, d’érosion externe des ouvrages par les écoulements.
9La réalisation des ouvrages nécessite également un savoir-faire particulier pour prendre en compte les contraintes liées à l’utilisation de matériaux prélevés sur place dans le cadre d’ouvrages géotechniques et adopter les bonnes dispositions constructives sur des ouvrages de type béton armé. Par rapport à des applications classiques de génie civil, l’ingénierie de ces ouvrages de protection constitue finalement un domaine de spécialité à part entière. Le concepteur d’ouvrage aura en effet à prendre en compte des exigences fonctionnelles et structurelles. Un défaut sur un de ces volets de la conception conduira à des défaillances de l’ouvrage (figure 5).
Les deux volets structurel et fonctionnel de la conception des ouvrages de protection
Les deux volets structurel et fonctionnel de la conception des ouvrages de protection
10Plutôt qu’une présentation classique des règles de dimensionnement, l’approche choisie conduit à mettre en avant les défaillances possibles pour en faire dans l’esprit du concepteur autant de points critiques à surveiller. L’accent est mis également sur la dualité entre les défaillances fonctionnelles et structurelles : un barrage peut être intact mais ne plus assurer sa fonction parce qu’il est complétement contourné. Dans le même temps, un ouvrage entièrement fissuré peut continuer à jouer son rôle dans le dispositif mais sans garantie de durabilité…
Les défaillances fonctionnelles
11Les défaillances fonctionnelles des ouvrages de correction torrentielle correspondent à une mise en défaut des objectifs initiaux (figure 2). Ces défaillances sont étroitement liées à la dynamique des écoulements et au contexte d’implantation des ouvrages. Les défaillances se référent aux objectifs fonctionnels des barrages. Ils correspondent par exemple à l’affouillement* (enfoncement du lit) d’un ouvrage, suite à un phénomène très local ou bien à une évolution globale du profil en long (figure 6).
Défaillances fonctionnelles par affouillement
Défaillances fonctionnelles par affouillement
12Cet affouillement se manifeste à l’aval des barrages provoquant des chutes, mais aussi en fin de radier* et/ou au niveau de protections de berges (figure 7).
Exemples d’affouillement longitudinal à l’aval d’un barrage, d’un radier, ou le long d’une protection de berge
Exemples d’affouillement longitudinal à l’aval d’un barrage, d’un radier, ou le long d’une protection de berge
13Vis-à-vis du rôle de stabilisation du profil en long, les ouvrages sont implantés de l’aval vers l’amont (notion de point « fixe » ou de base, figure 2). Par rapport au rôle de recentrage des écoulements, l’implantation des ouvrages doit conduire à ce que la cuvette déversoir de chaque ouvrage soit dirigée vers celle de l’ouvrage situé à son aval immédiat. Dans le cas contraire, l’écoulement contourne le barrage et érode les berges (figure 8).
Éléments de conception fonctionnelle des barrages de consolidation
Éléments de conception fonctionnelle des barrages de consolidation
Les défaillances structurelles
14Les défaillances structurelles affectent la stabilité externe (équilibre global de l’ouvrage supposé indéformable) et la stabilité interne des ouvrages (résistance des éléments et matériaux de la structure). L’altération des matériaux suite au vieillissement se rattache également aux défauts structurels. Les paragraphes suivants donnent quelques exemples, non exhaustifs, de défauts dans chacune des catégories.
Défauts de stabilité externe
15Les défauts de stabilité externe peuvent résulter d’une mauvaise estimation des actions s’exerçant sur l’ouvrage soit en raison d’une erreur en phase de conception, soit suite à une évolution défavorable du contexte conduisant à l’apparition d’actions non prévues. Le cas d’apparition d’une poussée hydrostatique sur le voile (figure 9a) ou sous la semelle (sous-pressions) (figure 9b) est particulièrement préjuciable pour l’ouvrage. Dans certains cas, la présence d’eau peut conduire à des phénomènes d’érosion interne qui correspondent plus à une problématique d’altération du matériau. Dans ce cas, on cherche alors à étancher les parements amont ou à allonger les cheminements hydrauliques (figure 10).
Exemples de défaillance structurelle – stabilité externe ; sous-estimation des poussées hydrostatiques sur le parement (a) et des sous-pressions en fondation (b)
Exemples de défaillance structurelle – stabilité externe ; sous-estimation des poussées hydrostatiques sur le parement (a) et des sous-pressions en fondation (b)
Exemples de défaillance structurelle – stabilité interne ; risque d’érosion interne des remblais de digues de plages de dépôt
Exemples de défaillance structurelle – stabilité interne ; risque d’érosion interne des remblais de digues de plages de dépôt
16D’autres actions, telles que les actions de poussée des terres sur les parements peuvent faire l’objet d’estimations erronnées (figures 11a et 11b). Enfin, les défauts peuvent provenir d’une hétérogénéité des appuis en fondation, les tassements différentiels pouvant causer des défauts structurels importants (figure 11c).
Exemples de défaillance structurelle – stabilité externe ; sous-estimation des actions de type poussée des terres (a) et surcharge (b) – non-prise en compte de l’hétérogénéité des fondations (c)
Exemples de défaillance structurelle – stabilité externe ; sous-estimation des actions de type poussée des terres (a) et surcharge (b) – non-prise en compte de l’hétérogénéité des fondations (c)
Exemples d’actions spécifiques et de défauts de stabilité interne
Exemples d’actions spécifiques et de défauts de stabilité interne
Défauts de stabilité interne
17Les défauts de stabilité interne se référent à des défauts de résistance des structures et/ou une altération des matériaux constitutifs. Ces pathologies peuvent notamment survenir en raison des modes de sollicitation particulièrement extrêmes auxquels les barrages sont exposés notamment en termes de chocs. Ces impacts sont dus aux écoulements de lave torrentielle*, aux blocs charriés et aux éventuels troncs emportés sur les berges. Les sollicitations exercées par une action dynamique sur un ouvrage rigide restent mal connues même si des travaux récents ont permis de progresser dans le contexte des laves torrentielles (Tiberghien, 2007) ou des avalanches (Tacnet, Berthet-Rambaud et al., 2009). D’autres actions moins dynamiques, telles que les poussées de berges, sollicitent les ouvrages selon des modes et directions complexes. Ces actions d’un glissement sur l’ouvrage engendrent des basculements d’ouvrages et des fissurations dont le faciès est très variable et complexe à interpréter.
18Les défauts structurels des ouvrages de correction torrentielle peuvent également survenir en raison de mauvaises dispositions constructives relatives au ferraillage. Par rapport aux recommandations habituelles des règlements de calcul, les ouvrages de correction torrentielle doivent être considérés comme soumis à des environnements particulièrement agressifs. Dans ce cadre, on retiendra les bornes hautes d’épaisseur d’enrobage du béton (figure 13). Les dispositions classiques de ferraillage, permettant d’éviter par exemple les poussées au vide et les défauts de recouvrement, doivent évidemment être respectées sous peine de défaillance. Une attention particulière doit être portée à l’adoption systématique de chaînages au niveau des ouvertures dans les voiles mais aussi en extrémités de couronnement, sur les redans* de la semelle (Deymier et al., 1995). Dans les contextes de sollicitations dynamiques, des cadres permettant de reprendre les efforts tranchants sont particulièrement indiqués, même dans les configurations où les structures sont apparentées à des dalles n’en nécessitant théoriquement et règlementairement pas (Tacnet, Berthet-Rambaud, 2009).
Prescriptions de ferraillage dont le non-respect est cause de défaut structurel
Prescriptions de ferraillage dont le non-respect est cause de défaut structurel
Améliorer l’efficacité structurelle des ouvrages
Dimensionner et concevoir les ouvrages
19La démarche de conception globale d’un barrage de correction torrentielle suit une méthodologie classique en génie civil décomposée en plusieurs étapes (figure 14). En phase projet, il s’agit donc successivement de choisir un (des) phénomène(s) de référence, de définir le principe de fonctionnement de la structure (résister, absorber) sous forme de scénarios fonctionnels, afin d’aboutir aux cas de charges. Ces cas de charges correspondent à des regroupements d’actions généralement envisagés dans un cadre bi-dimensionnel par simplification. La stabilité est analysée sur des sections d’ouvrage représentatives (figure 15). En toute rigueur, les conditions d’application de l’hypothèse bi-dimensionnelle (faible variation de la géométrie et des chargements sur la largeur de l’ouvrage) sont rarement atteintes et il serait nécessaire de recourir à un calcul tri-dimensionnel (Tacnet et al., 2000a, 2000b).
Démarche globale de conception d’un barrage de correction torrentielle
Démarche globale de conception d’un barrage de correction torrentielle
Approches de calcul bi-dimensionnelle et tridimensionnelle
Approches de calcul bi-dimensionnelle et tridimensionnelle
20Les actions sont ensuite quantifiées et combinées en fonction de leur nature permanente, variable ou accidentelle pour justifier les équilibres de stabilité externe (glissement, résistance du sol en fondation…) et de stabilité interne (résistance des élements de la structure) selon des approches aux états-limites (ultime et de service) (Deymier et al., 1995). Des logiciels permettent de vérifier plus aisément ces équilibres : le logiciel BARTO effectue ces calculs selon les spécifications du prototype CaoBar décrites dans Tacnet et Gérard (1998).
21Cette phase fournit les premiers éléments de dimensionnement qui sont ensuite complétés par des dispositions dites « constructives ». Dans le contexte des risques naturels, ces dispositions constructives intégrent un savoir-faire et une certaine prudence en raison de la méconnaissance des phénomènes.
22Les méthodes de dimensionnement des ouvrages sont généralement issues du domaine du génie civil classique (exemple d’une digue torrentielle, figure 16). Les ouvrages de correction torrentielle se différencient des ouvrages classiques de génie civil en raison du contexte de sollicitation, des conditions de réalisation et des matériaux utilisés, surtout pour les ouvrages géotechniques où le sol prélevé sur place constitue le matériau de l’ouvrage (figure 17).
Éléments de conception structurelle des digues de correction
Éléments de conception structurelle des digues de correction
Spécificités des barrages des digues de correction torrentielle
Spécificités des barrages des digues de correction torrentielle
23Sur des ouvrages neufs, cette démarche permet théoriquement de concevoir et réaliser des ouvrages résistants. Sur des ouvrages existants et endommagés, elle constitue également la trame d’analyse d’éventuelles pathologies.
Analyser les pathologies pour mieux garantir la sûreté des ouvrages
24L’analyse des pathologies des ouvrages constitue un des domaines les plus difficiles du génie civil nécessitant des compétences dans les trois domaines du dimensionnement d’ouvrages neufs (volet fonctionnel et structurel), du diagnostic de pathologies et de la réhabilitation d’ouvrages (figure 19). En se basant sur les trois grandes catégories de défauts, le diagnostic des désordres doit conduire à caractériser un niveau de gravité des défauts (figure 18).
Méthodologie d’analyse et de caractérisation des pathologies
Méthodologie d’analyse et de caractérisation des pathologies
Les pathologies d’ouvrages, un des domaines du génie civil parmi les plus complexes
Les pathologies d’ouvrages, un des domaines du génie civil parmi les plus complexes
25L’homogénéité du diagnostic souvent réalisé par des personnes différentes requiert l’utilisation de méthodologies communes permettant de décrire et d’évaluer les défauts observés. Dans cet esprit, une première approche (Tacnet et al., 1999) a été conduite dans le contexte des barrages de correction torrentielle et des ouvrages paravalanches pour proposer des grilles d’analyse par défaut, l’objectif étant de définir un niveau de gravité global, en termes structurels, pour l’ouvrage (figure 20).
Évaluation d’un défaut structurel de type fissuration
Évaluation d’un défaut structurel de type fissuration
Conclusion et perspectives
26Les méthodes de conception et d’analyse de pathologies des ouvrages constituent les fondements techniques dans la chaîne globale de gestion du risque, notamment en vue de la caractérisation de la sûreté et de l’efficacité des ouvrages. Ces éléments s’avèrent donc indispensables pour développer, par exemple, de nouvelles méthodologies telles que celles prescrites dans le cadre des études de dangers relatives aux digues et barrages (Bulletin officiel du MEEDDAT*, 2008 ; Journal officiel de la République française, 2008).
27Ce socle technique aujourd’hui amené à être utilisé dans le cadre de l’amélioration de la sécurité globale s’appuie et repose sur des travaux de recherche et d’expertise menés dans le domaine des ouvrages de protection depuis plusieurs décennies. À l’heure actuelle, les enjeux de recherche concernent à la fois les volets structurels et fonctionnels.
28Sur le premier volet, le comportement des ouvrages soumis à des impacts reste encore un sujet de recherche pour faire évoluer les approches d’ingénierie encore très empiriques sur ce plan. D’un point de vue pratique, des méthodes et outils performants telles que les approches aux éléments finis avec prise en compte d’endommagement devraient être déclinés sous une forme simplifiée dans le contexte des barrages de correction torrentielle. Le volet associé aux défaillances fonctionnelles, liées par exemple au rôle des ouvrages sur la dynamique du transport solide ou au fonctionnement des ouvrages de sédimentation, est probablement le domaine sur lequel de nombreux progrès sont nécessaires. La connaissance en matière d’hydraulique torrentielle n’a eu pour le moment que peu d’applications pour analyser l’efficacité globale de dispositifs de protection. Le développement d’approches intégrées associant la dynamique torrentielle et la prise en compte des ouvrages reste une piste de recherche et de développement avec un intérêt majeur pour les gestionnaires.
Quelques références clés…
- DEYMIER, C., TACNET, J.-M., MATHYS, N., 1995, Conception et calcul de barrages de correction torrentielle, Cemagref Éditions, Antony, 287 p.
- TACNET, J.-M., POYMIRO, N., RAPIN, F., QUEFFELEAN, Y., MATHIEU, G., 1999, Éléments d’aide à la décision pour la gestion d’ouvrages de protection contre les risques naturels. Pathologies – diagnostic-réparation. Application aux ouvrages de correction torrentielle et de protection contre les avalanches, rapport d’études, Cemagref/MATE/DPPR – 7 fascicules.
- TACNET, J.-M., GARIN, L., CHERUY, O., 2000 (b), Calcul global des barrages de correction torrentielle, Prise en compte des interactions sol-structures, in : Actes du Colloque international INTERPRAEVENT, Villach, Autriche, p.295-306.
- TACNET, J.-M., 2000 (c), Ouvrages de correction torrentielle – Principes généraux de conception, Stage ENGREF/Cemagref/ RTM/ONF – Présentation, Mai 2000, Grenoble, 70 diapositives.
- TACNET, J.-M, BERTHET-RAMBAUD, P., LIMAM, A., PERROTIN, P., TONELLO, J., 2009, Action des avalanches sur les ouvrages de génie civil : pratiques et connaissances actuelles, lacunes et enjeux associés, rapport d’études, Cemagref/INSA/Cete/ ESIGEC/Tonello I.C., MEEDDAT/DIREN Rhône-Alpes, 91 p.