1Si la crise, et en particulier sa gestion, est un domaine souvent exploré, la prise en charge de l’un de ses effets immédiats, à savoir l’état de choc dans lequel peuvent se trouver ceux qui la vivent, l’est beaucoup moins. Les spécialistes divergent. Certains partent du principe que la gestion de crise doit se passer des émotions, d’autres écoles estiment qu’elles sont indispensables pour participer à la stratégie de résolution de diverses étapes connues en situation de crise, dont celles du déchoquage.
2Or, il est un fait que lorsqu’une crise grave survient, bien souvent, et tout particulièrement dans des environnements économiques ou stratégiques, ses victimes n’en demeurent pas moins ses acteurs. Pour Isabelle Tisserand, docteur de l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, anthropologue médical et spécialiste de la protection des patrimoines stratégiques et des plans de continuité d’activités en cas de crises, il est donc nécessaire, pour une conduite efficace de la crise, de ne pas négliger le facteur humain et de penser à tout ce qui peut être mis en œuvre dès les premiers instants pour proposer un « déchoquage » efficace, afin que se poursuivent les plans de continuité d’activités.
3Cet essai ouvre le débat en s’appuyant sur des expériences de terrains sélectionnées. Il dessine une méthodologie de prise en charge du choc et insère le processus de déchoquage dans une approche plus globale de gestion des crises. C’est l’un des messages que cet ouvrage veut faire passer : face à la crise il n’y a ni « petits » ni « grands » chocs, pas plus de hiérarchie naturelle ni de résilience automatique. Chaque acteur de la crise, qu’il soit manager, responsable des ressources humaines, opérateur, spécialiste, ou citoyen, va absorber le choc, avec une résonnance particulière pour chacun d’entre eux. Mais chaque acteur communiquera alors cette « onde de choc » à son entourage, son environnement puis, à l’instar des répliques d’un tremblement de terre, à nouveau à l’organisation elle-même, et ce même quand la situation de crise est dans les faits terminée …
4Concrètement, l’auteur s’intéresse donc, en tant qu’intervenant extérieur spécialisé dans la prise en charge du choc, à la technique qui permet d’évaluer l’intensité du choc individuel et collectif, afin d’élaborer un dispositif d’intégration et de mutation de ses effets secondaires pour une meilleure résilience. Cette approche propose de comprendre les mécanismes du choc, ses effets secondaires négatifs, positifs et neutres. Plutôt que disséquer les procédures, l’auteur préfère entrer dans l’intime des opérationnels en charge du déchoquage de victimes, détaille leur rôle fondamental et complémentaire dans le cadre de la gestion de crise, sans oublier la logistique qui joue un rôle majeur dans la méthode.
5L’aspect humain chez le déchoqueur lui-même est abordé, avec notamment les questions éthiques et déontologiques, sa position de pouvoir vis-à-vis des victimes ainsi que les interrogations posées par les émotions ressenties en situation de crise. Les dernières avancées permettant d’agir sur des sujets choqués physiquement, psychiquement et socialement sont également évoquées, de même que l’examen des origines cérébrales et culturelles du geste de déchoquage. Enfin, l’auteur établit également les liens qui s’instaurent entre les actions de protection des patrimoines économiques, technologiques, énergétiques, technologiques… et les crises qui peuvent les contrecarrer. Il est ainsi question, dans le cadre de l’Intelligence Economique, de repenser le concept de protection du patrimoine humain, de transmettre les savoirs utiles pour les sélections, recrutements, formations, suivis et actions des citoyens et des professionnels qui vivent désormais dans un contexte de concurrence mondialisée.
6Pour conclure, le professionnel (ou non) de la gestion de crise peut se retrouver confronté avec cet ouvrage à une expérience déroutante. L’auteur fait en effet le choix, plutôt que chercher à tout dire, de créer un « effet tunnel », à savoir qu’il plonge son lecteur dans sa propre expérience et son ressenti pour mieux provoquer la prise de conscience des enjeux humains du déchoquage. Cette approche déstabilisera celui qui chercherait d’abord dans cet ouvrage une multiplication de références ou un matériel pédagogique prêt à l’emploi. Impliquer humainement le lecteur peut sembler risqué au premier abord : soit ce dernier entre en « résonnance » avec le vécu de l’auteur et cherche à approfondir une démarche au demeurant très riche, soit il n’y voit qu’un témoignage ne le concernant que de loin. Au vu des enjeux, à savoir contribuer à l’amélioration des stratégies de gestion des crises sociales, économiques, climatiques, technologiques, sanitaires, socio-politiques… qui s’annoncent dans un monde toujours plus interconnecté, ce pari d’Isabelle Tisserand valait assurément le coup d’être tenté.