1Le stress est controversé. Certains le vivent comme positif, d’autres comme négatif. Pour certains, c’est avant tout le signal utile d’un danger, pour d’autres, c’est surtout une altération de notre capacité d’action et de réflexion. Pour Jacques Fradin, le stress est un signal interne émis par le cortex préfrontal, dernière évolution de notre cerveau mais dont le fonctionnement est inconscient.
2Ce livre résume l’état de certaines recherches utilisant l’imagerie cérébrale fonctionnelle pour développer une théorie selon laquelle le stress proviendrait d’un obstacle à la production préfrontale. Jacques Fradin exprime son concept par une question qui intéresse chacun d’entre nous : « comment faciliter l’accès du préfrontal à notre conscience, pour que le conflit à l’origine du stress se résolve en idées et actes plus adaptés et créateurs ? » Sans crainte d’aborder les concepts des neurosciences, l’auteur prend en permanence le soin de guider le lecteur profane vers une compréhension du sujet lui permettant de s’approprier le concept et d’envisager de l’appliquer au quotidien. Dans ce cadre, il expose une méthode développée depuis près de vingt ans, la méthode dite de Gestion de Modes Mentaux (GMM) destinée à ouvrir la conscience au préfrontal.
3Le premier chapitre plante le décor en revenant sur le stress et le fonctionnement de notre cerveau. Tout commence par un retour sur le rôle du stress aux temps anciens des premiers hommes et sur les trois états d’urgence de l’instinct : la fuite, la lutte et l’inhibition. Mais ce qui fut un signal d’alarme face à un danger externe est devenu une information nous indiquant que nous commettons une erreur de raisonnement au niveau de l’intention, de l’attitude ou du comportement.
4Le néocortex préfrontal serait capable de détecter ces incohérences de raisonnement. Cette affirmation s’appuie sur une description neuroscientifique du cerveau et notamment de ses évolutions. Il n’est pas seulement constitué de deux hémisphères mais il est le fruit de trois évolutions majeures. Ces trois strates de développement anatomique et fonctionnel comprennent la strate reptilienne (qui gère les besoins individuels), la strate limbique (lieu de la conscience immédiate du soi, siège des émotions et motivations, de la personnalité) et la strate néo-corticale où l’on retrouve la partie préfrontale (qui permet de gérer le nouveau et l’inconnu).
5Ce n’est donc pas le changement qui stresse mais le déficit de capacité d’adaptation personnelle. En campant sur ses positions, le mode automatique généré par la strate reptilienne nous exposerait donc au risque de l’inadaptation en visant pourtant la sécurité.
6Le deuxième chapitre propose alors de découvrir comment mesurer puis gérer consciemment et volontairement la bascule entre ces modes mentaux. C’est la Gestion des Modes Mentaux (GMM). Suivant sa volonté de donner au lecteur des outils et les moyens de se les approprier, l’auteur se focalise sur son principal outil qu’il nomme l’Echelle d’Evaluation des Modes Mentaux (EEMM) avant de livrer d’autres outils, comme la grille de pensée stable, à destination de ceux qui maitrisent l’EEMM.
7Pour bien comprendre l’EEMM, l’auteur décrit dans un premier temps ces modes mentaux. Le Mode Mental Automatique (MMA) se caractérise par la routine, le refus, la dichotomie, les certitudes, l’empirisme et l’image sociale. Le Mode Mental Préfrontal (MMP), a contrario, se caractérise par la curiosité sensorielle, l’acceptation, la nuanciation, la relativité, la réflexion logique et l’opinion personnelle. Les deux sont complémentaires et l’objectif de la GMM est d’améliorer les synergies, de faciliter la bascule de l’un vers l’autre pour faciliter l’action ou la réflexion en action. Tous, à des degrés divers, et sans forcément en prendre conscience, utilisons ces deux modes mentaux. L’auteur tente donc de nous faire prendre conscience que nous avons dans certaines situations à faire appel à notre préfrontal afin de nous convaincre qu’il ne tient qu’à nous de l’étendre aux situations que nous croyons être incapables de gérer. À grand renfort d’exemples et d’exercices, l’auteur guide le néophyte afin qu’il s’approprie cette approche.
8Pour les plus expérimentés, l’auteur évoque alors d’autres techniques de GMM : la méthode pyramide Moyens/Exigences pour mettre en œuvre une vraie ambition, la méthode du Pack Valeur – Antivaleur pour nuancer succès et échec, la méthode de la Pensée Stabilisée pour rendre ses évaluations plus cohérentes.
9La préfrontalisation peut être utilisée comme un outil spécifique pour traiter une incohérence passagère ou résoudre une situation d’échec. C’est alors un moyen de réduire la souffrance, de prévenir ou de gérer une crise, sans pour autant avoir l’ambition de changer ses motivations de base. Mais l’auteur propose dans la dernière partie de l’ouvrage de faire de la recherche de préfrontalité par la GMM une quête d’art de vivre plus ou moins permanente. Car le MMP requiert moins un changement d’activité (contenu) qu’une modification de la façon d’être et de penser, en fait de traiter l’information (contenant). Le MMP n’étant pas dominant, il est nécessaire de pratiquer des exercices pour conscientiser davantage les moyens d’y accéder et de s’y maintenir malgré les résistances du MMA sans cesse réactivées. La disponibilité durable au préfrontal est aussi, selon J. Fradin, le fruit d’une longue tradition culturelle et d’une éducation exigeante ; c’est-à-dire un long accouchement collectif et individuel.
10Pour entrer dans le monde préfrontal, l’auteur propose une méditation en plusieurs temps qu’il nomme la curiosité (travail sensoriel basé sur l’ouïe et la vue), l’acceptation (concevoir l’opportunité qui se cache derrière le désagrément), la nuanciation et la complexification (se focaliser sur les détails de l’objet de notre attention pour en saisir toute la complexité et éviter les simplifications infantilisantes), la relativité (en replaçant l’objet de notre attention dans le contexte de complexité du monde), la réflexion logique (prendre le temps de réfléchir et de laisser son bon sens fonctionner) et enfin l’opinion personnelle (assumer son opinion sans craindre celle des autres).
11L’accès à l’art de vivre préfrontal sous-tend l’acceptation de l’incertitude. La vie est faite d’imprévus. La prise de risque est la seule réponse raisonnable à la non-maîtrise structurelle du monde dans lequel nous vivons. Mais heureusement, l’intelligence préfrontale sait gérer l’incertitude. L’anxiété ne viendrait donc pas de l’incertitude mais du refus que nous avons de l’assumer. En cas d’échec, la culpabilité anxieuse est une négation du risque. C’est une caractéristique limbique tandis que le mode préfrontal « sait qu’il ne sait pas » et y puise de l’apaisement. Echouer est d’abord l’accomplissement d’un choix risqué qui a mal tourné … mais peut être moins qu’un autre. La réussite n’est que l’inverse, un état aléatoire et provisoire.
12L’auteur se pose alors la question de la confiance en soi. Pour pouvoir rebondir de l’échec, la première chose à apprendre, ou à réapprendre constamment, est notre confiance en nos capacités d’apprentissage. Nous manquons souvent de confiance en nous. Cela pourrait être bon signe tant que cela concerne le MMA (pour des raisons biologiques, l’échec est beaucoup plus programmant que le succès). Nous pouvons alors chercher la confiance au deuxième degré, en notre capacité d’adaptation.
13La GMM est par définition une gestion d’état mental, une compétence dans la gestion de notre cerveau. Elle nous permet de recruter le mode mental adapté à la situation. Mais elle ne se prétend pas thérapie à part entière. Elle ne prétend notamment pas agir de façon précise et structurée à l’intérieur du mode émotionnel limbique. Elle permet en effet un contournement de l’émotionnel limbique, non pas en évitant l’objet qui le déclenche comme on le fait spontanément dans la vie, mais en « débranchant » en quelque sorte le MMA qui supporte le problème. Il s’agit d’un changement d’état mental qui permet de gérer avec calme et pertinence, mais sans refouler, une situation qui nous était autrement et jusqu’ici ingérable.
14Quelle que soit l’ambition du lecteur, outil de gestion d’une difficulté passagère ou changement comportemental plus profond, l’auteur l’incite à l’expérience d’un jeu sans défausse ni alibi. Stress = erreur de mode mental immédiat. Cela pour voir jusqu’où notre vie pourrait changer, à commencer par une augmentation de sérénité même en situation difficile. Mais aussi pour l’intelligence qu’il révèle. Car c’est lui qui fait les génies, les scientifiques, les philosophes et les méditants, les créatifs et les altruistes.