Couverture de SESTR_006

Article de revue

Le risque d’atteinte à la réputation : le cas de Buffalo Grill

Pages 29 à 37

Notes

  • [1]
    S. Gaultier-Gaillard, J.P. Louisot, J. Rayner, “Managing Reputational Risk – From Theory to Practice”, in Reputation Capital, J. Klewes et R. Wreshniok, 2009, Ed. Springer.
  • [2]
    S. Gaultier-Gaillard, J.P. Louisot, « Risks to Reputation : a Global Approach », The Geneva Papers on Risk & Insurance, 31, 2006, pp.425-445.
  • [3]
    Théorie des Jeux (Economie). Solution à laquelle les participants à un jeu qui ne peuvent pas communiquer entre eux auront tendance à se rallier, parce qu’elle leur semble présenter une caractéristique qui la fera choisir aussi par l’autre.
  • [4]
    Journal du Net, 26/01/2005.
  • [5]
    M. Ogrizek, J.M. Guillery, La Communication de crise, Que sais-je ?, PUF, 2000.
  • [6]
    E. Harasymczuk, Comment Buffalo Grill s’est remis en selle, Etienne Gless, l’entreprise.com, 3/04/2006.
  • [7]
    M.H. Westphalen, Communication : le guide de la communication d’entreprise, Dunod, 2004.
  • [8]
    Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 1er octobre 2003, 03-82.909.
  • [9]
    P. Boistel,« Le management de la réputation chez Sernam : application du modèle IPS », Management et Avenir, 3 :13, 2007, pp.9-25.
  • [10]
    « Valeur de marque et réputation : un enjeu majeur de la nouvelle gouvernance », article précédent.

1Renault, BP, Quick, les Laboratoires Servier... Ces entreprises ne semblent pas avoir de point commun ... Et pourtant l’actualité nous rappelle qu’elles ont récemment traversé une crise ayant porté atteinte à leur réputation. Aujourd’hui, la préservation de la réputation est donc un défi majeur pour toute entreprise si bien qu’elle semble être au cœur de la gestion des risques au XXIe siècle.

Un contexte évocateur

2La réputation est un construit social qui repose sur les croyances et les perceptions d’individus. Elle est devenue une variable économique à part entière, considérée aujourd’hui par les entreprises comme un actif immatériel. S’il fallait lui attribuer une valeur comptable, nous pourrions l’estimer par la différence entre la valeur des actions sur le marché et l’ensemble des actifs physiques et immatériels chiffrables immédiatement. Toutefois, l’intérêt que lui attribuent les entreprises peut sembler surdimensionné eu égard aux coûts et bénéfices générés. La réputation se construit sur de nombreuses années et peut, parfois, être anéantie en un court laps de temps, mais de façon non systématique. Le risque généré par la réputation, comme toute nature de risque, peut à la fois revêtir la forme d’opportunités ou de vulnérabilités.

3Selon Jenny Rayner, directrice associée d’Abbey Consulting, c’est « un ensemble de perceptions et d’opinions, passées et présentes, sur une organisation qui se gravent dans la conscience des parties prenantes »[1]. Pour le fondateur de l’Observatoire de la réputation, Jean-Pierre Piotet, « la réputation est à l’image de ce que le cinéma est à la photographie. Au-delà de l’intention, il y a un scénario ». En fonction des domaines d’étude, la réputation peut prendre des connotations différentes. Toutefois, elle s’inscrit toujours dans le temps et constitue le socle de confiance autour duquel s’articule et fluctue une image [2]. C’est ainsi que la confiance apparaît être au cœur du concept de réputation. En économie, le risque de réputation a émergé dans les années 60, mais il faudra attendre les années 90 pour que ce concept soit étudié (Kresp, 1990 ; Tirole, 1993). La coordination au sein de l’entreprise est analysée sous la forme d’un jeu de confiance entre un joueur qui s’engage dans la transaction en prenant le risque que l’autre en profite unilatéralement. Si le jeu est joué une fois sans aucune coopération, alors le seul équilibre envisageable est une situation inefficiente de non confiance. Si le jeu est répété à l’infini, un contrat implicite de confiance mutuelle s’instaure entre les joueurs. Le problème de l’observabilité des transactions nécessite un niveau de confiance permettant de respecter les accords entre entreprises. L’instauration d’un repère collectif suppose que l’entreprise est un support de réputation qui permet de faire respecter les « contrats de confiance » entre individus sans qu’il n’y ait jamais eu de transactions communes entre les parties. Les notions de principes focaux [3] (Schelling, 1960) construits au cours de l’histoire de l’entreprise servent de références à l’attribution d’une réputation. La réputation est alors considérée comme un support de transmission de l’information et permet d’assurer un lien de coordination entre les entreprises. Preuve de l’intérêt croissant pour ce concept, des index ont été construits pour suivre la réputation des entreprises. Bien que contestables, comme tout principe de scoring, ces indicateurs permettent de suivre l’évolution de la réputation de certaines entreprises auprès de l’opinion publique. Depuis 1983, la revue Fortune publie un classement mondial des 50 compagnies les plus admirées, la liste des « most admired companies ». Ce classement fait référence dans le domaine de la gestion de la réputation, grâce notamment à son caractère pionnier. En 2011, les 5 premières entreprises les mieux notées sont : Apple, Google, Berkshire Hathaway, Southwest Airlines et Procter et Gamble. En France, depuis 10 ans, le Reputation Index, créé par l’Observatoire de la Réputation, rassemble les dix sociétés du CAC 40 les mieux notées sous cet angle. Si la réputation exceptionnelle de L’Oréal s’explique par son « attractivité » et sa « bonne santé », Michelin est d’abord reconnue pour la « qualité de ses produits », Air Liquide est l’entreprise qui « inspire confiance », Danone est considérée comme ayant un « comportement responsable » et EADS est perçue comme « l’entreprise d’avenir ». L’approche européenne est plus culturelle que commerciale par rapport à l’approche anglo-saxonne.

4Au delà de ces outils de mesure, nous pouvons nous demander quelles sont les stratégies existantes en entreprise pour faire face au risque d’atteinte à la réputation.

5Pour apporter des éléments de solution, nous poserons 3 hypothèses :

H1.Les entreprises sont de plus en plus vulnérables au risque d’atteinte à la réputation.
H2.Le risque d’atteinte à la réputation peut affecter, simultanément, différents secteurs d’activité de l’entreprise.
H3.Les entreprises ne sont pas assez préparées à affronter le risque d’atteinte à la réputation.

6Nous illustrerons ces hypothèses à travers la crise qu’a traversée la chaîne de restauration Buffalo Grill au début de l’année 2003, en nous intéressant plus particulièrement à la gestion de la réputation de l’entreprise avant, pendant et après la crise. Nous tenterons également de mettre en relief les stratégies déployées pour parer et gérer au mieux le risque d’atteinte à la réputation.

Le cas Buffalo Grill : une réputation en péril

Les prémices de la crise

7Avant de rappeler les prémices de la crise traversée par Buffalo Grill, il est important de rappeler l’identité du groupe depuis sa création. Créée en 1980 par Christian Picart, Buffalo Grill (société anonyme) est une enseigne de restauration spécialisée dans la grillade (steakhouse), inspirée des Etats-Unis. Le développement de l’entreprise est très rapide et l’enseigne aux cornes de taureaux s’impose comme le roi du steakhouse en France. A la fin 2010, le groupe compte 327 restaurants, dont 101 en franchise et présente un chiffre d’affaires d’environ 630 millions d’euros. Le groupe aujourd’hui dirigé par Jean-François Sautereau est présent dans 5 pays européens et compte plus de 8 000 salariés.

8Fin 2002, suite aux affirmations d’un ancien salarié face aux gendarmes, Buffalo Grill est soupçonné d’avoir importé de la viande britannique après l’embargo de 1996 lié à la vache folle. Le 19 décembre, le juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui enquête sur le décès en 2000 de deux victimes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, met en examen Christian Picart et Daniel Batailler, directeur des achats, pour « homicides involontaires ». D’après un communiqué du 3 janvier 2002, la fréquentation des restaurants a baissé de 40 % dès le début de la crise. Le groupe qui avait pour slogan « une grillade de qualité » fait face à une grave atteinte à sa réputation.

Pendant la crise

Buffalo dans l’arène de la crise : une réputation sur le grill

9Les événements s’enchaînent très rapidement pour Buffalo Grill. Un tel scandale peut porter gravement atteinte à la réputation d’une entreprise alimentaire. Dès lors, se posent deux questions essentielles pour mesurer l’impact de l’atteinte à la réputation du groupe français :

  • Comment Buffalo Grill a-t-il réussi à faire face à la crise de 2002 ?
  • Comment l’entreprise a-t-elle réussi à rétablir sa réputation ?

Un manque de préparation évident

10Ce qui frappe tout d’abord lorsqu’on porte un regard attentif sur le déroulé des événements, c’est le manque de préparation de Buffalo Grill à la crise. En tant qu’entreprise de restauration, le risque de contamination alimentaire est pourtant bien présent et susceptible de porter atteinte à la réputation. Au vu de la chronologie des faits, nous pouvons affirmer que Buffalo Grill n’avait pas de parade efficace face à ces risques. Comme le précise Michèle Gabay, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris VII et à HEC : « La direction de Buffalo Grill n’avait manifestement pas imaginé qu’un tel risque puisse toucher l’entreprise »[4]. Sans véritable mécanisme de gestion de crise, la direction de Buffalo Grill est désarçonnée par les révélations et leurs premières conséquences, et ne sait comment réagir, gardant le silence pendant la garde à vue du PDG Christian Picart.

Une réputation dégradée par le contexte médiatico-judiciaire

11La cellule de crise activée quelques semaines après le début de l’affaire n’est pas préparée à affronter une telle tempête et va effectuer les mauvais choix. Après avoir gardé le silence durant les 48h de garde à vue du PDG, Buffalo Grill s’exprime sur la scène publique. Les avocats prennent alors la parole et se contredisent. Première erreur, la presse et les français ont face à eux plusieurs interlocuteurs qui agressent les médias au lieu de tenter de rassurer l’opinion publique. Buffalo Grill oublie ainsi les clients, élément crucial pour la réputation. Or, le manque d’une stratégie claire en matière de communication de crise laisse le client perdu au milieu de cette tempête médiatique. Pourtant, Jean-Michel Guillery affirme que « dans le secteur alimentaire, lorsqu’une marque est mise en cause sur un de ses produits, la règle d’or consiste à s’adresser d’abord et avant tout à ses clients et d’éviter la polémique »[5]. Même si personne n’a mesuré l’impact de cette gestion de crise sur la réputation de l’entreprise, nous pouvons tirer quelques enseignements de bon sens pratique. Tous les voyants sont au rouge : Buffalo Grill a négligé les médias et les clients. L’image de l’entreprise et sa réputation sont en péril.

De la préservation de la réputation à la reconquête : la direction prend le taureau par les cornes

Une mobilisation pertinente des acteurs pour renforcer la réputation

12Enfermée dans une gestion de crise qui s’apparentait à un conciliabule entre hauts dirigeants et avocats, l’entreprise Buffalo Grill a su petit à petit mobiliser des acteurs cruciaux (internes et externes) pour initier sa sortie de crise et commencer à reconstruire son image.

13Tout d’abord, en interne, la direction de l’entreprise alimentaire va s’appuyer sur les employés. Ce sont en effet les principaux acteurs concernés par la crise, sur le terrain. La forte culture d’entreprise permet à Buffalo Grill de refaire surface et de renvoyer une image positive. Au plus fort de la crise, les salariés ont toujours fait preuve de cohésion à tous les niveaux. « Il fallait être solide. Sans notre forte cohésion interne, nous serions morts. Heureusement, nous avons su agir comme une armée. Avec un chef qui prenait des décisions et des troupes prêtes à les appliquer »[6]. Cette cohésion est primordiale pour Buffalo Grill afin de reconquérir les clients, préserver l’image et par la même occasion la réputation de l’entreprise. Les restaurants franchisés font également bloc. Quatre d’entre eux seulement assignent Buffalo Grill devant un tribunal du commerce pour demander des dommages et intérêts. Les dirigeants décident d’ailleurs de rompre avec ces franchises au motif qu’elles n’ont pas payé leur redevance. Si la force intérieure est un atout indéniable, l’entreprise de restauration va solliciter un acteur extérieur pour optimiser sa gestion de crise et limiter les conséquences des événements. Ainsi, dès le 27 décembre, la cellule de crise fait appel à Image Force, agence de communication spécialisée dans le marketing relationnel et la communication interactive. L’objectif est clair : réaliser un site d’information à destination des médias et des consommateurs. Les mots d’ordre le sont également : dynamisme et réactivité.

14La cellule de crise de Buffalo Grill a donc compris l’importance de la gestion de tels événements. Lors du début de crise, le risque d’atteinte à la réputation était devenu important, puisque l’image était déjà menacée. La direction de l’entreprise a su s’organiser rapidement et contre-attaquer, en mobilisant ses salariés et en faisant appel à un spécialiste de la communication.

Une stratégie payante menant à la sortie de crise

15Le feu a donc finalement été éteint assez rapidement par la cellule de crise, qui a pu se concentrer sur la reconquête de son image et sur la consolidation de sa réputation. L’enseigne aux deux cornes de buffle adopte alors une stratégie offensive, pour montrer à l’opinion publique qu’elle fournit des prestations de qualité. Ainsi, une charte d’engagement éthique est mise en ligne. Comme l’explique Marie-Hélène Westphalen, l’attitude offensive en matière de communication consiste à « nier la crise et à retourner l’opinion »[7]. Buffalo Grill s’inscrit dans cette démarche. L’entreprise refuse ainsi de parler de crise et tente de rappeler à l’opinion son cœur de métier et son savoir-faire unique. Ainsi, une campagne de publicité très ambitieuse est lancée. Les slogans parlent d’eux même : « l’épreuve rend plus fort », « les grillades de qualité, c’est notre métier ». La reconquête des consommateurs est lancée. Malgré le coût élevé, les bénéfices sont quasi immédiats. L’entreprise de restauration va également changer de stratégie dans sa relation avec les médias. Les attaques frontales ne sont plus de rigueur. Buffalo Grill va désormais se présenter comme victime face aux journalistes. D’autre part, François Picart est placé comme principal interlocuteur afin de pacifier le discours en direction des médias. Dans le même temps, le site Internet et les informations diffusées sont un gage de transparence face à l’opinion publique et aux médias. La communication et la publicité permettent alors à Buffalo Grill de restaurer son image, mais surtout de préserver sa réputation. D’autres enseignes ne parviennent pas à rebondir aussi aisément face à une crise. En mars 2011, deux mois après le décès d’un adolescent, suite à une intoxication alimentaire, dans un de ses restaurants du Vaucluse, Quick est à nouveau dénigré. Quick a vu sa fréquentation baisser et sa réputation vaciller sans être mis en cause par la justice dans cette nouvelle affaire. Les analyses scientifiques ont totalement disculpé l’entreprise belge mais les retombées négatives sur son image sont encore perceptibles.

Après la crise

Buffalo Grill se remet en selle grâce à une réputation fondée sur le lien affectif avec les consommateurs

16Contre toute attente, Buffalo Grill est parvenu à préserver sa réputation, en adoptant une attitude audacieuse sur le plan financier, et en misant sur l’importance de ses valeurs. En matière de perte de chiffre d’affaires, en équivalent d’achat d’espace publicitaire, le bruit médiatique a coûté à la chaîne de restaurants 1 à 2 millions d’euros par jour pendant deux à trois semaines. Cependant, le groupe parvient à se redresser. D’après un sondage Ifop réalisé mi-2003, l’enseigne jouit d’un fort capital sympathie auprès des Français. C’est l’annulation par la Cour de cassation de la mise en examen de Christian Picart, à l’automne 2003, qui va achever de blanchir l’enseigne et l’ensemble de ses dirigeants [8]. L’entreprise apparait alors comme victime d’une société obsédée par le risque zéro et en voie de judiciarisation croissante. Certains affirmeront que le lien affectif des Français avec Buffalo Grill a sauvé l’enseigne. C’est sans doute la raison principale pour laquelle la chaîne n’a pas déposé le bilan. Même sur la pointe des pieds, les consommateurs ont vite repris le chemin des restaurants. A cette occasion, Christian Picart a pu compter sur des salariés très soudés. La culture d’entreprise apparaît être un des facteurs de la préservation de la réputation. Enfin, en matière d’e-réputation, Buffalo Grill a opéré une refonte complète du site Internet qui a permis de mieux communiquer et donc de préserver l’image de l’entreprise.

Une identité et des valeurs assumées

17Buffalo Grill n’a pas tellement modifié sa manière de fonctionner en misant toujours, malgré la crise, sur l’image de la qualité des viandes qui ont fait sa réputation. Ainsi, en 2005, deux ans après l’affaire, le roi du steakhouse affiche un chiffre d’affaires en hausse de 13 %. Buffalo Grill se voit en 2015 à la tête d’un petit empire de 400 restaurants en France (contre 267 actuellement) et quelques autres à l’étranger. La croissance de l’entreprise peut donc continuer, avec une réputation renforcée après la crise de 2003.

Des stratégies pour préserver sa réputation

18Nous pouvons tester la pertinence des hypothèses par rapport aux enseignements tirés du cas pratique Buffalo Grill.

Le risque d’atteinte à la réputation peut affecter différents domaines de l’entreprise

19Notre étude de la crise de 2003 chez Buffalo Grill nous permet d’affirmer que cette hypothèse est vraie. Le risque d’atteinte à la réputation peut ainsi avoir des conséquences sur différents domaines de l’entreprise :

  • au niveau organisationnel : dans le cas de Buffalo Grill, les équipes ont été directement sollicitées et réorganisées pour reconquérir la clientèle ;
  • au niveau de la communication : lorsque la réputation d’une entreprise est touchée, sa communication s’en retrouve grandement modifiée. Le cas de Buffalo Grill est là encore un bon exemple. En effet, l’entreprise, voyant que sa réputation était mise à mal, a mis au point une stratégie de communication offensive à destination de ses clients, avec un PDG désormais en première ligne ;
  • la relation client a été modifiée à long terme. Désormais désireuse de préserver sa réputation, l’entreprise de restauration met davantage en avant la qualité de ses viandes et de son savoir-faire, et prête une attention toute particulière à la satisfaction ou l’insatisfaction du client.

Les entreprises ne sont pas assez préparées à affronter le risque d’atteinte à la réputation

20Cette affirmation peut être vérifiée dans le cas de Buffalo Grill, nous avons pu mettre en exergue un manque de préparation évident. La crise est survenue et a déstabilisé l’organisation en quelques jours seulement. Si elle a su redresser la barre assez vite, en mettant notamment en place une campagne de communication agressive, il n’y avait pas chez Buffalo Grill de mécanisme de prévention du risque d’atteinte à la réputation. Cependant, lorsqu’on étudie de près les entreprises actuelles, l’hypothèse s’avère aujourd’hui quelque peu erronée. En effet, les entreprises sont plus au fait des conséquences du risque d’atteinte à la réputation. Elles s’y préparent mieux compte tenu des crises récentes et seraient plutôt moins vulnérables. On peut citer l’exemple de Schlumberger, qui bâtit sa croissance en intégrant au quotidien le risque d’atteinte à la réputation dans sa gestion des risques. Des outils existent également permettant de mesurer la réputation. Aux Etats-Unis par exemple, la société Interbrand a pour activité l’appréciation annuelle de la valorisation d’une marque. Des modèles émergent, comme le modèle Identité, Positionnement et Système d’Offre (IPS) [9] qui permet de faire correspondre tous ces concepts mais son application reste très subjective. Les entreprises seraient donc mieux préparées au risque d’atteinte à la réputation puisqu’elles auraient développé des outils pour l’intégrer dans leur stratégie.

Le risque d’atteinte à la réputation est de plus en plus difficile à gérer pour les entreprises

21D’un côté, les entreprises semblent avoir développé des mécanismes pour se préparer et gérer au mieux le risque d’atteinte à la réputation. L’hypothèse serait-elle donc fausse ? En réalité, elle s’avère exacte. En effet, on a beau mesurer, essayer de quantifier et de mettre la réputation dans un carcan, elle reste insaisissable car immatérielle. Les méthodes utilisées permettent d’être plus réactif et de minimiser l’ampleur d’une crise par l’identification et le traitement de signaux faibles, mais ne permettent pas une mesure précise et n’apportent pas grand-chose à la gestion du risque d’atteinte à la réputation. Tout juste servent-elles à l’apprécier à un instant « t ». De plus, la nouvelle place des médias et d’Internet fragilise un peu plus aujourd’hui la réputation des entreprises. En effet, les médias (avec les réseaux sociaux notamment) sont sans cesse plus réactifs et incisifs et peuvent transformer n’importe quel événement en un point critique pour une entreprise.

Discussion

22Il n’existe donc pas de stratégies fiables pour se parer contre le risque d’atteinte à la réputation. Les mécanismes de gestion du risque d’atteinte à la réputation semblent très peu développés et n’ont en tout cas pas encore été théorisés. Les suggestions formulées par les auteurs du précédent article sont donc des plus salutaires [10]. Cependant, l’exemple de Buffalo Grill peut là encore nous éclairer. En agissant sur les acteurs de la crise et les parties prenantes de la réputation de l’entreprise, les dirigeants ont su préserver l’image et la réputation. Nous allons donc tenter de dresser une liste non exhaustive d’éléments de solution utilisés par cette enseigne et mettre en avant des stratégies possibles pour se prémunir du risque d’atteinte à la réputation.

Les acteurs

23Les acteurs sources de risque d’atteinte à la réputation pour les entreprises sont :

24Les clients : via les réseaux sociaux ou les médias, les clients peuvent générer une menace pour l’image et la réputation de l’entreprise. A partir d’une simple rumeur, ils peuvent s’embraser. S’ils véhiculent parfois le risque d’atteinte à la réputation, ils sont toujours parmi les premiers touchés. Ils constituent donc un groupe d’acteurs sur lequel l’entreprise doit agir pour préserver son image et sa réputation.

25Les employés : ils peuvent être vecteurs du risque d’atteinte à la réputation, comme dans le cas de Buffalo Grill. Mais en cas de menace directe sur l’image de l’entreprise, ils constituent un groupe d’acteurs que l’entreprise doit mobiliser pour préserver son image et sa réputation.

26Les institutions représentatives du personnel : elles peuvent aussi être des vecteurs du risque d’atteinte à la réputation en diffusant certaines informations compromettantes. En cas de menace pour l’image de l’entreprise, les organisations syndicales doivent être consultées et mobilisées par la direction pour souder les employés.

27Les franchisés : dans le cas de Buffalo Grill, les franchisés ne se sont pas élevés en masse contre la maison mère. Cependant, ce type d’acteurs peut être amené à demander des dédommagements en cas de crise et de perte de valeur de la marque. La direction doit donc les rassurer en début de crise et leur renvoyer l’image d’une entreprise unie et qui fait face.

28Les actionnaires : composantes de l’entreprise, ils sont très dangereux en cas de menace directe sur la réputation. S’ils réagissent mal, ils peuvent mettre l’entreprise en difficulté financière. Les dirigeants doivent donc les rassurer durant les périodes d’instabilité.

29Les médias : ils peuvent être eux aussi vecteurs du risque d’atteinte à la réputation. En diffusant des informations ou en propageant des rumeurs, ils sont une menace pour la réputation de l’entreprise. L’entreprise doit être capable, en cas d’atteinte à son image et à sa réputation, de communiquer pertinemment vers ces parties prenantes. En effet, les médias ont une grande influence sur l’opinion publique. La reconquête des clients passe donc par la conquête des médias.

30Les pouvoirs publics : véhicules possibles du risque d’atteinte à la réputation, ils sont amenés à prononcer des sanctions contre l’entreprise. Celle-ci ne pouvant pas influer sur le pouvoir judiciaire, elle laisse faire ses avocats. Cependant, une organisation peut bénéficier d’appui politique soutenant sa défense et contribuant ainsi à restaurer son image dans l’opinion publique.

31Les concurrents : vecteurs du risque d’atteinte à la réputation, ils cherchent parfois à déstabiliser l’entreprise.

32Les associations, lobbies, ONG… : ils sont eux aussi vecteur du risque d’atteinte à la réputation. Tout comme les clients, ils constituent un groupe qu’il faut convaincre en période instable.

Les stratégies d’action

33A partir d’une identification de ces acteurs, vecteurs de risque d’atteinte à la réputation, il est possible pour une entreprise d’agir dans plusieurs domaines pour préserver son image et sa réputation ou la reconquérir en période de crise.

Prévoir la crise

34Prévenir le risque d’atteinte à la réputation implique de se doter de mécanismes de gestion de crise efficaces (cellule de crise…) prêts à répondre à toute menace à tout moment. C’est un prérequis pour bien gérer toute atteinte à l’image et à la réputation,

  • cultiver les valeurs de l’entreprise, les mettre en exergue ;
  • mesurer l’image/la perception de l’entreprise au sein de la clientèle et des médias : par des enquêtes d’opinion, des questionnaires, veille Internet, forums, de façon à mieux réagir en période de crise.

Gérer la crise, au cœur de l’événement alors que la réputation est menacée

35

  • parler d’une seule voix pour capter immédiatement l’attention des médias, des actionnaires et de l’opinion publique ;
  • être réactif : utiliser Internet et les réseaux sociaux ;
  • réaffirmer les valeurs de l’entreprise ;
  • communiquer en interne pour souder les collaborateurs autour d’un seul but : la reconquête de l’image et la préservation de la réputation ;
  • amorcer le plus vite possible la reconquête de la clientèle : si celle-ci boude l’entreprise, il est nécessaire de tout tenter pour la récupérer.
    La publicité est un bon moyen de réaffirmer ses valeurs et de cibler le consommateur pour qu’il refasse confiance à la marque.

Après la crise : stabilisation et renforcement de la réputation

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  • renforcer la réputation de l’entreprise à travers des campagnes de publicité offensives et associant le client ;
  • réaffirmer ses valeurs ;
  • tirer les leçons de la crise et colmater les brèches rendant la réputation de l’entreprise friable ;
  • repenser la réputation de l’entreprise sur le long terme.

Conclusion

37Le cas pratique de l’entreprise Buffalo Grill restera vraisemblablement un cas d’école en matière d’atteinte à la réputation. Cependant, le risque de confusion entre l’atteinte à la réputation et la communication de crise est grand. Gérer la réputation d’une entreprise en période de crise ne dépend pas seulement de la communication, mais repose sur la culture de l’entreprise et ses valeurs. Une réputation n’est pas acquise et doit être continuellement entretenue. Un comportement responsable, éthique, est au cœur du jugement de l’opinion publique sur la réputation. Elle est d’ailleurs en complète concordance avec l’émergence de l’intérêt soudain des entreprises pour un comportement responsable intégrant une gouvernance sociale et environnementale.

Bibliographie

Bibliographie

  • P. Boistel, « Le management de la réputation chez Sernam : application du modèle IPS », Management et Avenir, 3 :13, 2007, pp.9-25.
  • S. Gaultier-Gaillard, J.P. Louisot, J. Rayner, « Managing Reputational Risk – From Theory to Practice », in Reputation Capital, Joachin Klewes et Robert Wreshniok, Ed. Springer, 2009.
  • S. Gaultier-Gaillard, J.P. Louisot, « Risks to Reputation : a Global Approach », The Geneva Papers on Risk & Insurance, 31, 2006, pp.425-445.
  • M. Ogrizek, J.M. Guillery, La Communication de crise, Que sais-je ?, PUF, 2000.
  • D.M. Kreps, « Corporate Culture & Economic Theory », in Perspectives on Positive Economy, Alt JE & Kenneth (Eds), Cambridge University Press, 1990, pp.90-143.
  • T.C. Schelling, The Strategy of Conflict, Oxford University Press, 1960.
  • J. Tirole, « A theory of Collective Reputations », MIMEO, 1993.
  • M.H. Westphalen, Communication : le guide de la communication d’entreprise, Dunod, 2004.

Notes

  • [1]
    S. Gaultier-Gaillard, J.P. Louisot, J. Rayner, “Managing Reputational Risk – From Theory to Practice”, in Reputation Capital, J. Klewes et R. Wreshniok, 2009, Ed. Springer.
  • [2]
    S. Gaultier-Gaillard, J.P. Louisot, « Risks to Reputation : a Global Approach », The Geneva Papers on Risk & Insurance, 31, 2006, pp.425-445.
  • [3]
    Théorie des Jeux (Economie). Solution à laquelle les participants à un jeu qui ne peuvent pas communiquer entre eux auront tendance à se rallier, parce qu’elle leur semble présenter une caractéristique qui la fera choisir aussi par l’autre.
  • [4]
    Journal du Net, 26/01/2005.
  • [5]
    M. Ogrizek, J.M. Guillery, La Communication de crise, Que sais-je ?, PUF, 2000.
  • [6]
    E. Harasymczuk, Comment Buffalo Grill s’est remis en selle, Etienne Gless, l’entreprise.com, 3/04/2006.
  • [7]
    M.H. Westphalen, Communication : le guide de la communication d’entreprise, Dunod, 2004.
  • [8]
    Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 1er octobre 2003, 03-82.909.
  • [9]
    P. Boistel,« Le management de la réputation chez Sernam : application du modèle IPS », Management et Avenir, 3 :13, 2007, pp.9-25.
  • [10]
    « Valeur de marque et réputation : un enjeu majeur de la nouvelle gouvernance », article précédent.
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