1L’année 2010 a été marquée par un vent de révolte au sein des entreprises en Chine. En effet, d’après Chloé Froissart, chercheur à l’EHESS, les grèves, pourtant interdites depuis 1982 dans la Constitution chinoise, ont été plus nombreuses et plus radicales que les années précédentes, le meilleur exemple en matière de radicalité étant la grève chez Honda Nanhai à Foshan qui a duré du 17 mai au 3 juin 2010. Ces grèves sont également massives et peuvent réunir plusieurs milliers de personnes : 1500 ouvriers pour la grève d’Honda Nanhai, 2000 pour la grève dans l’usine de Wintek Corp en janvier 2010 ...
2Or, ces grèves massives sont en train de changer de nature et ce, pour trois raisons essentielles.
3Premièrement, les grèves tendent à devenir un mode de mobilisation à part entière en Chine. « On assiste à un élargissement des revendications à la fois sociales, en matière de sécurité au travail, de représentation des travailleurs et de reconnaissance du droit de grève ».
4Deuxièmement, les grèves sont mieux organisées et donc plus efficaces. « Les ouvriers des ateliers d’assemblage d’où est partie la grève d’Honda Nanhai ont réussi au moyen d’affiches murales et de messages SMS à mobiliser les 1500 ouvriers de l’usine au point de complètement paralyser la production » (p.15).
5Troisièmement, et nouveauté importante, ces grèves font tâche d’huile. « Après que les ouvriers d’Honda Nanhai ont obtenu une augmentation de 34% de salaires, ce sont quatre autres sous-traitants de constructeur automobile japonais qui se sont mis en grève […]. Les grèves ont également touché d’autres constructeurs automobiles dans la province du Guangdong […] En tout ce sont 27 grèves qui ont été comptabilisées » (p.17).
6L’article avance ensuite les facteurs explicatifs de ces mouvements sociaux. La principale cause de ces mouvements provient de la situation économique et sociale des travailleurs migrants. Presque 70% des migrants ne disposent pas d’une assurance sociale contre 38% des urbains. 80% n’ont pas de retraite contre 40% des urbains ! Près de 25% des travailleurs migrants n’ont pas obtenu d’augmentation de salaire depuis 5 ans et la part de leur revenu dans le PNB global ne cesse de baisser. Parallèlement, ces travailleurs migrants sont de plus en plus éduqués (près d’un tiers sont diplômés du secondaire ou possèdent un BTS). Par conséquent, ceux-ci ont des aspirations bien plus poussées que les générations précédentes et ils ont une meilleure connaissance de leurs droits.
7Autre raison de la radicalisation des actions collectives : le changement des rapports de force entre le travail et le capital. L’Est de la Chine connait en effet un déficit de main d’œuvre, celle-ci préférant se rediriger vers les provinces de l’intérieur où leur pouvoir d’achat est plus important.
8Au moment où des internautes chinois appellent à des « rassemblements du Jasmin », la fragilité du tissu social ne pousserait-elle pas la Chine au bord de la Révolution ? L’auteur conclut en soulignant les progrès qui sont apportés par l’Etat chinois afin de calmer les velléités de mouvements sociaux. A titre d’exemple, un budget équivalent à celui de la défense serait destiné chaque année à maintenir la stabilité sociale. D’autres mesures sont également prises en matière de droit du travail. Pour autant, pas sûr que cela suffise à calmer ce que certains sociologues chinois considèrent comme « la constitution d’une nouvelle classe de prolétaires esclaves d’un néo-colonialisme des multinationales ».
9Toujours est-il que cet article fort percutant intéressera bon nombre de spécialistes du risque, qui cherchent à mieux comprendre et appréhender les mutations rapides rencontrées par l’Empire du Milieu.
