1À l’occasion de la tenue des deuxièmes Assises nationales organisées par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS), son président, Alain Bauer, et le président du conseil scientifique, Philippe Baumard, questionnent la capacité d’analyse stratégique française et internationale. Pour ces deux auteurs, à l’aube d’un XXIe siècle marqué par des crises majeures (« Trois crises » majeures hantent cette première décennie du siècle : une crise des systèmes de gouvernement ; une crise de l’écosystème climatique et naturel ; une crise de l’analyse et de l’anticipation), les très grands événements mondiaux (la crise financière, la révolte arabe et Fukushima) ont été ratés par les experts. Ils analysent les causes de cette défaite de la pensée. Trois éléments se distinguent : l’échec des modèles technocratiques, l’aveuglement stratégique et l’arrogance d’une pensée occidentale trop sûre d’elle-même. À partir de ce constat, A. Bauer et P. Baumard suggèrent de dépasser les méthodes actuelles, de briser les modèles convenus pour articuler la pensée stratégique, l’anticipation et la prospective au moyen de nouveaux outils. Ils relèvent d’abord, une fois les œillères tombées, du travail sur les signaux faibles, sur la transversalité et le croisement des champs scientifiques et la pluridisciplinarité. C’est ce nouvel élan qu’a entrepris de mener le CSFRS.
2La crise financière mondiale a ruiné des millions de petits épargnants (et quelques gros). Son effet sur les finances publiques a mis un certain nombre d’États (dont certains européens) en situation de quasi-faillite. Doubaï, le pays le plus exposé, a, pour ainsi dire, été racheté par Abou Dhabi. D’autres plus malins ou meilleurs connaisseurs du système se sont considérablement enrichis. Dans l’intervalle 2008-2010, 55 000 milliards de dollars ont disparu. Bien que virtuels pour la plupart, ces montants ont eu un effet bien réel hélas sur l’économie mondiale. De très nombreux pays émergents se sont vus plonger dans une crise majeure en raison de la chute des exportations, des prix des matières premières et des échanges globaux. Un des éléments constitutifs de la révolte arabe, entre autres facteurs, est à chercher dans les effets dévastateurs de cette crise.
3Cependant, parmi les facteurs peu travaillés ou même évoqués par les analystes et les gouvernements, la face criminelle de la crise financière mérite une particulière attention. Cette très importante part d’ombre de la crise a été occultée, soit par ignorance des médias et chercheurs traditionnels (quel économiste accepte de placer les variables de l’informel dans ses modèles ?), soit par intention. Le dossier que Sécurité globale consacre à la « La face noire de la finance » est particulièrement éclairant. Les papiers de Jean-François Gayraud, Xavier Raufer et Pascal Junghans s’attachent à décrire l’univers opaque des activités financières mondialisées. Point ici de théorie du complot, mais une analyse lucide à partir de faits. Des Junk Bonds (« obligations pourries ») des années 1980, aux titrisations, en passant par les Credit Default Swap (mécanismes de garantie des dettes d’États devenus aussi objets de spéculations – la Grèce en sait quelque chose) jusqu’aux plus « modernes », nouveaux et redoutables American Depositary Receipt Unsponsored (ADR non parrainés), sortes d’actions d’entreprises non américaines qui peuvent être émises sans l’autorisation de ces entreprises et sans leur contrôle … À ces objets financiers non identifiés (OFNI) qui, tel le Golem ou Frankenstein, échappent à leurs créateurs, s’ajoutent les vrais escrocs, les vrais prédateurs. Tout le monde connaît désormais Madoff. Il y en a beaucoup d’autres – tout aussi dangereux, tout aussi dévastateurs. La crise financière, passée, en cours et à venir (car, sans parler des dettes souveraines, la deuxième vague de dettes bancaires arrive en 2012, ce dont personne ou presque ne parle) n’est donc pas que le fruit d’ordinateurs et de modèles théoriques empruntés à la physique fondamentale devenus fous. Elle est aussi le produit de l’activité humaine. On ne sortira pas indemne de cette lecture.
4En point de vue, Marc-Antoine Pérouse de Montclos analyse dans un texte particulièrement fouillé, la question des ONG islamiques en Afrique subsaharienne. Anges ou démons, ces organisations promènent en Occident une odeur de souffre. Ces ONG humanitaires islamiques sont souvent suspectées de chercher à convertir la population et, à l’occasion, de soutenir des groupes armés, voire terroristes. L’auteur souligne la prudence nécessaire pour aborder ce phénomène. D’abord, les ONG « musulmanes », « islamiques » ou « islamistes » ne relèvent pas des mêmes catégories. Les cas déviants restent rares. Ensuite, certaines ONG évangéliques sont elles-mêmes prosélytes. Reste l’absence de certification internationale et de contrôle gouvernemental dans les pays où elles interviennent qui facilite l’émergence spontanée de toute organisation prosélyte.
5Deux varias accompagnent ce numéro : celui de Carole Stora-Calté sur « Pétrole, politique et rivalités territoriales : le cas du Sud-Soudan et du Darfour », papier hautement utile au moment où une de ces deux régions vient d’accéder officiellement à l’indépendance ; celui de Léon Koungou qui nous donne une intéressante analyse de la prégnance des cultures stratégiques à partir du fait colonial en prenant pour exemple l’émergence d’une pensée stratégique camerounaise.