Notes
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[1]
Ahmet Arslan c/ Turquie rendu le 23 février 2010 (Requête n° 41135/98). Par cet arrêt le Cour a considéré comme incompatible avec l’article 9 de la Convention une sanction pénale infligée en raison du port d’un vêtement de caractère religieux sur la voie publique.
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[2]
Gesetz zur Änderung des Schulgesetzes vom 1. April 2004 (GBl. S. 178, Nr. 6). De même une loi du 1er août 2006 du Land de Rhénanie du Nord Westphalie comporte une règlementation semblable.
-
[3]
The Religious Freedom Restoration Act (42 U.S.C. § 2000bb), loi fédérale de 1993 déclarée ultérieurement inconstitutionnelle par la Cour suprême. Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Religious_Freedom_Restoration_Act.
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[4]
À la suite du vote de la loi du 15 mars 2004, les organisations musulmanes avaient recommandé aux jeunes filles souhaitant se couvrir la tête d’opter pour le bandana, celui-ci devant être regardé comme signe « non ostensible « ou discret. Mais l’administration scolaire a vu dans ce morceau de tissu la volonté d’exprimer une adhésion religieuse.
-
[5]
CE 10 juin 2009 Kervanci, n° 306833.
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[6]
Certains établissements hospitaliers ont accepté que des employés portent une charlotte à la place d’un voile. Mais cet arrangement a été contesté par le syndicat CGT (http://www.elle.fr/elle/Societe/News/Polemique-une-charlotte-remplace-le-voile-d-une-psy-musulmane/(gid)/1088838). Les tribunaux ont effectivement reconnu dans cette tenue médicale un substitut destiné à manifester une appartenance religieuse. Les motivations dans ce cas concret peuvent être considérées comme confuses. La vraie question aurait due être de savoir si le signe religieux était perceptible pour les usagers derrière cette coiffe médicale.
-
[7]
Par exemple un uniforme dans le cas de personnes appartenant à l’Armée du Salut : CEDH Branche de Moscou de l’Armée du Salut, 5 oct 2006, n° 72881/01.
-
[8]
On peut cependant citer le cas d’une enseignante du Land de Rhénanie du Nord Palatinat dont une loi prohibe le port du foulard islamique et qui est entré en conflit avec son administration en raison du port d’un bonnet : l’enseignante affirme ne pas le porter pour un motif religieux mais pour surmonter le sentiment qu’elle aurait de « ne pas être habillée », alors que l’autorité administrative y voit un signe religieux (taz Nr. 8178 vom 18.1.2007, Seite 6, 162 TAZ-Bericht HEIDE OESTREICH ; http://www.migrantenkind.net/muetze-als-kopfbedeckung-oder-kopftuch.html). Un jugement du Tribunal administratif du Travail du 20 août 2009 a rejeté cet argument en considérant que c’était la perception du public et non l’intention de l’agent qui est déterminante.
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[9]
TA Cergy Pontoise 12 déc. 2008 Najatt Kaddouri, n° 054004 : pour ce tribunal, le port d’une charlotte de bloc opératoire en dehors des situations ou cela est requis par les besoins du service constitue l’expression d’une appartenance religieuse et donc un comportement professionnel fautif. (Voir aussi la note 4 ci-dessus). Une motivation de cette position aurait été souhaitable ; pour les usagers du service hospitaliers au bénéfice desquels le principe de neutralité a été instauré, il est loin d’être certain que la vue d’une charlotte de bloc opératoire soit comprise comme manifestation d’une appartenance religieuse. C’est le reste du personnel qui sait que l’agent en question s’est mis à porter une charlotte après avoir cessé de porter le voile. Mais avec ou sans Charlotte ce personnel connaît à l’évidence les opinions religieuses de cet agent. Dans ces conditions, ce port d’une « charlotte constituait-il vraiment la manifestation d’une conviction religieuse ou n’était-ce pas plutôt un pied de nez ironique de cet agent à l’égard de son supérieur qui aurait du la poursuivre disciplinairement pour comportement et non pour manifestation de sa religion ? Il est vrai que la Cour suprême a bien qualifié une « minute de silence » remplaçant une prière d’atteinte au principe constitutionnel de séparation : Wallace v. Jaffree, 472 U.S. 38, 72 (1985).
-
[10]
BVerfG 24. September 2003 – 2 BvR 1436/02 – BVerfGE 108, 282.
-
[11]
La juridiction aurait dû déclarer comme non véridique l’intention déclarée par la personne portant un bonnet de ne pas manifester une conviction religieuse et non pas déclarer cette intention sans importance dès lors que pour les élèves et les parents le port de ce bonnet manifeste la conviction musulmane de la personne en cause. On ne peut qu’être étonné de constater que l’on aboutit ici à une ingérence dans le for intérieur de la personne : elle est renvoyée à une conviction qu’elle nie car des tiers sont convaincus que son bonnet de laine est porté pour des motifs religieux ! http://www.bverwg.de/media/archive/7063.pdf.
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[12]
CEDH Aktas c/ France, 30 juin 2009, 5e sect. Requ. n° 43563/68.
-
[13]
Ainsi, contrairement à l’opinion parfois développée, l’interdiction de minarets décidée par un referundum en Sisse ne porte pas atteinte à la liberté de religion car cette interdiction n’implique nullement l’interdiction ou la restriction de l’édification de lieux de culte musulmans. Le minaret n’est pas un objet nécessaire au culte musulman mais un symbole public de ce culte. Par contre, on peut voir dans cette mesure, un comportement discriminatoire à l’encontre des communautés religieuses musulmanes.
-
[14]
CE, 25 novembre 1988, Dubois ; Rec. CE, p. 422 l’érection d’une statue du cardinal Lienart « compte tenu de l’ensemble des activités exercées, et notamment du rôle joué par le cardinal dans la ville de Lille.
-
[15]
Tribunal administratif d’Amiens, n° 0803521, 16 novembre 2010, M. Claude D ; le tribunal s’est borné à constater que cet objet représentait, dans un premier temps Marie et Joseph, puis également, à partir du 25 décembre 2008, l’enfant Jésus. Voir http://www.droitdesreligions.net/
-
[16]
TA Besançon, 20 décembre 2001, n° 97-0044, Christian G. c/ Ville de Besançon.
-
[17]
CAA Nantes, 11 mars 1999, Assoc. « Une Vendée pour tous les Vendéens » : Rec. CE, tables p. 668 ; RFD adm. 2000, p. 1084, concl. Jacquier.
-
[18]
CAA Nantes, 12 avril 2001, n° 00NT01993, Guillorel.
-
[19]
Lemon V. Kurtzman403 US 602(1971).
-
[20]
County of Allegheny. ACLU 492 US 573 (1989). La crèche comportait une bannière avec l’inscription « gloria in exelcis Deo ».
-
[21]
McCreary County v. ACLUt et Van Orden v. Perry 25 june 2005 Avec un commentaire de Jean Paul Jaqué : http://leuropedeslibertes.u-strasbg.fr/article.php?id_article=1&id_rubrique=3.
-
[22]
Voir Monique Pauti, AJDA 2010, p.
-
[23]
BVerfGE 93, 1 – Kruzifix ; Voir ce jugement en traduction française et notre commentaire à la Revue de Droit Canonique t. 50/1, 2000.
-
[24]
Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256, 2006 CSC 6.
-
[25]
Cour supérieure ([2002] J.Q. no 1131 (QL)).
-
[26]
José Woehrling, « L’obligation d’accommodement raisonnable et l’adaptation de la société à la diversité religieuse » (1998), 43 R.D. McGill 325, p. 360.
-
[27]
Par exemple, l’argument que la seule vue d’un symbole d’origine religieuse porte atteinte à la liberté religieuse, comme l’a affirmé la CEDH dans l’arrêt Lautsi peut laisser sceptique. On peut certainement être incommodé par la vision d’un signe dont on réprouve la présence, mais il est douteux qu’une telle gêne soit de nature à perturber une conviction religieuse ou anti-religieuse. L’argument de la neutralité est également douteux car il n’y a pas de raison d’écarter de la sphère publique uniquement les signes religieux.
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[28]
Au Québec, on a interdit les prières avant le début des réunions des conseils municipaux, mais on y encourage le passage le calumet de la paix, sans même se rendre compte qu’on a substitué un symbole religieux par un autre.
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[29]
D’autant que beaucoup de drapeaux comportent des croix, croissants ou étoiles.
-
[30]
La fonction symbolique de la langue est souvent comparable à la symbolique religieuse ou même directement confondue avec cette dernière.
-
[31]
Pour échapper à la qualification comme signes religieux des signes qu’ils souhaitent promouvoir, les partisans de signes tels que les crucifix cherchent eux aussi à minorer cette dimension religieuse pour insister sur la dimension culturelle, historique ou nationale de ce signe.
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[32]
Voir le jugement du tribunal administratif du travail susmentionné note
-
[33]
BVerwG 16. Dezember 2008 – 2 B 46.08 –, ZTR 2009, 167 ; 24. Juni 2004 – 2 C 45.03.
-
[34]
On peut ce pendant avoir des difficultés à considérer comme répondant à l’objectif de neutralité assigné à l’État le fait de promouvoir certaines valeurs culturelles par rapport à d’autres.
-
[35]
Selon l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation issu de la loi du 15 mars 2004 « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
1Un certain nombre de dispositions juridiques visent les « signes religieux », soit pour en restreindre l’usage, soit pour en protéger l’utilisation. Ainsi, l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 interdit d’apposer de tels signes sauf exception dans les emplacements publics ; la loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les collèges et lycées. Inversement l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme garantit le droit de manifester sa religion en public ou en privé par les pratiques et rites, lesquels comportent l’usage de signes religieux [1]. Une loi du 1er avril 2004 du Land de Bade Wurtemberg interdit aux enseignants d’émettre une expression religieuse ou une autre conviction, mais exclut de cette prohibition la représentation de valeurs culturelles ou de civilisation occidentales et chrétiennes [2]. La loi américaine « Freedom of Religion Restauration Act » [3] vise entre autres à faire prévaloir la liberté de port de signes religieux sur des réglementations publiques qui ne présenteraient pas le cas d’une nécessité impérieuse. Sans viser explicitement les signes religieux le principe de neutralité religieuse de l’État est interprété en France, en Allemagne ou par la Cour européenne des Droits de l’Homme comme restreignant l’usage de signes religieux dans le cadre de certaines activités publiques. Puisque des textes juridiques visent les signes religieux, la question se pose : qu’est-ce en droit qu’un signe religieux ?
2La présente étude vise non pas à analyser directement les règles juridiques relatives à l’usage ou à la prohibition de signes religieux, mais à approfondir du point de vue du droit la notion même de signe religieux. Qu’entend-on juridiquement par signe religieux ? Quelles observations peut-on retirer de ce questionnement ?
3A priori, on pourrait s’attendre à ce que, comme le concept de religion lui-même, celui de signe religieux suscite beaucoup de discussions quant à sa définition. On pourrait aussi penser que la définition donnée du signe religieux soit de nature à éclairer le statut juridique dont il fait l’objet. On verra que ces suppositions ne sont que partiellement confirmées par l’analyse en raison du caractère généralement non univoque de tels signes.
Qu’entend-on par signe (religieux)
4Ce terme très général recouvre plusieurs réalités assez différentes. On peut distinguer trois situations :
- le signe religieux comme manifestation d’une conviction religieuse ;
- le symbole religieux, instrument de visibilité d’une religion ;
- le signe manifestation d’une obligation religieuse.
Le signe religieux au sens strict
5On peut définir le signe religieux au sens strict comme un objet ou un comportement (ou une combinaison d’un objet avec un comportement) qui vise à manifester l’adhésion à une conviction de caractère religieux de la personne qui le revendique.
6Le signe religieux comme manifestation d’une conviction religieuse a connu depuis quelques années une évolution curieuse. D’une manière traditionnelle, le signe religieux était protégé de manière plus favorable que d’autres signes au titre de la liberté de religion. Depuis quelque temps, les mesures tendant à limiter spécifiquement les signes religieux ont tendance à se développer dans un objectif de renforcement de la « neutralité » religieuse de certains espaces.
7Le signe religieux a un objectif de manifester une appartenance religieuse. Cet objectif résulte en principe de la volonté de la personne qui porte le signe (critère subjectif). Mais le signe peut aussi être considéré comme exprimant par lui-même une adhésion religieuse (critère objectif).
8L’exemple le plus actuel d’un signe religieux dans une dimension subjective est le « foulard islamique ». Un foulard est un objet ordinaire (non cultuel) dont le port vise à manifester l’adhésion à des préceptes musulmans. Le caractère de signe religieux de cet objet ne résulte pas de particularités intrinsèques telles que la contexture, la couleur, la forme ou la façon de le porter. Cet objet devient signe religieux par la volonté de la personne qui le porte dans l’intention de manifester son appartenance à une certaine conviction. Si cette intention fait défaut, cet objet redevient un simple morceau de tissu. Si elle existe, n’importe quel morceau de tissu, un « bandana » [4], un bonnet de laine [5] ou même une charlotte médicale [6] peut devenir un « voile islamique ».
9Ceci explique qu’il n’y a que peu de contestations sur le caractère d’un signe religieux entendu au sens d’objet manifestant la conviction religieuse de la personne qui l’arbore [7]. En effet, si la personne concernée dénie à l’objet en question son rôle de manifestation d’une conviction religieuse, la situation change radicalement. La question qui est posée n’est alors plus celle de la liberté ou de la limitation de manifestation d’une conviction : si cette volonté de manifestation d’une conviction est absente, la question de savoir si une telle volonté aurait été licite ou non ne se pose plus.
10On peut certes envisager l’hypothèse d’une personne qui porte un foulard caractéristique des traditions musulmanes ou une grande croix ou un bonnet ressemblant à une kippa ou encore un signe ésotérique et qui dénie toute intention religieuse pour ne se référer qu’à un choix d’aménagement vestimentaire purement personnel et décoratif. De tels cas suscitent rarement des litiges [8] sauf le cas d’une provocation intentionnelle.
11Cette hypothèse conduit cependant à donner une définition objective du signe religieux : certains objets sont considérés comme exprimant une adhésion religieuse par eux-mêmes. Ils ont acquis un caractère objectivement religieux et deviennent alors des symboles religieux quelle que soit l’intention des personnes qui les portent.
12Tel est aussi le cas des couvre-chefs portés de manière systématique par des personnes du genre féminin : même s’il s’agit de bonnets ou de casquettes, on a tendance à y voir un substitut du foulard islamique, donc un signe religieux. Certains tribunaux ne cherchent même pas à justifier cette extrapolation, tellement elle leur paraît aller de soi : si, après avoir enlevé un foulard, une employée publique porte une coiffe quelconque sans nécessité objective, cette coiffe constitue manifestement un substitut du foulard et donc un signe religieux [9] !
13La Cour constitutionnelle allemande a recherché un raisonnement plus construit, mais n’échappe pas à quelques inconséquences. Pour cette juridiction, c’est la signification donnée au signe par un nombre non négligeable de personnes qui l’aperçoivent qui est déterminant [10]. Le caractère religieux d’un vêtement dépend selon cette analyse de son effet sur les personnes auquel il est exposé. On peut comprendre cette volonté d’objectiver le caractère religieux du signe considéré, mais on ne peut manquer d’y voir une contradiction interne : en effet, le point de départ reste la manifestation consciente d’une conviction religieuse ; on ne peut donc déclarer, comme le font certains jugements allemands, que l’intention de la personne qui porte le signe en cause est dépourvue de portée, [11] car s’il n’y a aucune intention de donner une signification religieuse à un objet de la part de la personne qui le porte et si cet objet ne présente en lui-même aucune caractéristique religieuse, l’interdiction du port de cet objet n’a plus de fondement, même si ceux qui le voient lui attribuent une signification religieuse.
14Il n’en serait autrement que si le signe comporte par lui-même une symbolique religieuse. Si par exemple, une personne connue pour ses convictions athéistes porte un signe considéré usuellement comme religieux, ce signe conservera légitimement ce caractère aux yeux du public. Il serait d’ailleurs délicat de traiter de manière différente les personnes portant des signes identiques et perçus usuellement comme comportant une signification religieuse en raison de leurs intentions subjectives.
15La Cour européenne se montre relativement peu sensible à cette problématique. Saisie d’une requête dirigée contre la France, dans laquelle la requérante faisait valoir que le bonnet qu’elle a substitué au foulard n’avait aucune connotation religieuse et n’exerçait aucune pression, le Cour fait valoir « qu’une telle appréciation relève pleinement de la marge d’appréciation de l’État [12] » !
16Ainsi, en pratique, une application exclusive du critère subjectif paraît peu praticable, car cela signifierait qu’on traiterait de manière différente deux personnes ayant exactement le même comportement en fonction de leur conviction : deux personnes portant deux signes identiques se verraient appliquer des normes différentes, car pour l’une, ce signe est religieux et pour l’autre dépourvu de lien avec une conviction. Cette différence de traitement n’est cependant pas inconcevable si le caractère religieux ouvre droit à une protection spécifique : par exemple, une exception faite au port d’un uniforme en raison des convictions religieuses de l’intéressé. Par contre, elle est plus difficilement applicable si le caractère religieux du signe entraîne une règle plus stricte : en pure logique, si une norme interdit le port d’un signe religieux, une personne qui démontre l’absence pour elle de toute portée religieuse d’un objet pourrait le porter à la différence de celle qui y projette l’expression de son adhésion religieuse. C’est la raison pour laquelle c’est une combinaison des deux critères subjectifs et objectifs qui prévaut dans la plupart des cas.
Le signe au sens de symbole religieux
17Le symbole religieux peut être distingué du signe en ce sens qu’il n’a pas pour objet de manifester une adhésion d’une ou plusieurs personnes à une conviction. Il fait référence à une religion de manière objective afin de donner une visibilité publique à celle-ci : tel est le rôle des emblèmes, monuments ou autres objets destinés à faire référence à une conviction religieuse : la croix sur un mur ou un monument, le minaret, une statue avec la représentation du décalogue, une crèche de Noël, etc. peuvent constituer de tels symboles.
18L’appréciation du caractère de symbole religieux de tels objets peut donner lieu à discussion. Le critère à appliquer ici est principalement objectif : les objets en question ont-ils pour effet d’évoquer une conviction religieuse, un peu comme le fait un message publicitaire ? La question de la dimension subjective ne paraît a priori pas relevante dans ce cas, car le symbole se détache de l’intention de ses auteurs et peut continuer à exister longtemps après que ceux-ci ont disparu.
19C’est au regard de la situation concrète qu’il semble possible de déterminer si l’objet est objectivement perceptible comme un symbole religieux ou non. L’objet peut en effet être polysémique ; tel est d’ailleurs le cas le plus souvent : un objet a en même temps une dimension esthétique, culturelle, religieuse, voire politique. Le caractère religieux peut être déterminant ou être décisif même s’il est accessoire, en fonction des situations, mais aussi des intentions de la norme à appliquer.
20Alors que le signe religieux au sens strict constitue un élément de la manifestation d’une conviction religieuse et comporte donc un lien étroit avec la liberté religieuse, le symbole religieux n’est pas directement protégé par la liberté religieuse comme un droit [13]. Par contre, son interdiction, sa remise en cause ou sa destruction peut être regardée une atteinte à des convictions religieuses ou une discrimination, si l’atteinte au symbole vise à décourager la conviction religieuse concernée ou si d’autres convictions sont mieux traitées.
21La jurisprudence française n’a pas dégagé de raisonnement permettant de dégager un critère précis du symbole religieux. Selon les cas, elle admet que la statue d’un évêque n’est pas un symbole religieux [14] ; par contre une crèche [15] ou une croix posée au sommet d’un bâtiment [16] en est un. Ainsi certains tribunaux semblent prendre pour critère le caractère « intrinsèquement religieux » d’un signe. Mais d’autres tribunaux poussent plus loin leur analyse et recourent alors au critère de l’intention de l’autorité qui a décidé d’exposer le signe en cause : voulait-elle lui donner une signification religieuse ou pas ? Dans le cas d’une figure constituant le symbole du département de la Vendée ; la Cour d’appel administrative de Nantes a retenu que cet objet n’avait aucun but de manifestation religieuse, ni pour objet de promouvoir une religion [17]. Dans une autre espèce la même juridiction a considéré que le dépôt du crucifix « dans une vitrine dans laquelle sont conservés un certain nombre d’objets reçus ou acquis à l’occasion d’événements ayant marqué la vie de la commune » n’était pas contraire à la loi du 9 décembre 1905, laquelle ne faisait pas obstacle « à ce qu’un objet de culte puisse être conservé, au titre du patrimoine historique d’une commune [18].
22La jurisprudence américaine retient de manière similaire depuis l’arrêt Lemon [19] le test de l’approbation » : l’autorité publique entend-elle par l’usage du signe en cause transmettre un message d’approbation ou de désapprobation d’une religion déterminée ? En application de ce test, une Ville peut faire figurer une crèche dans une animation publique pour Noël, car elle ne vise pas à promouvoir la religion chrétienne, mais à évoquer les origines de cette fête. Par contre l’exposition d’une crèche dans une cour de justice est déclarée illégale [20]. Dans des arrêts plus récents, la Cour suprême s’est penchée sur le symbole des dix commandements : ce symbole est considéré comme prosélytes sous la forme d’une exposition dans un tribunal et comme décoration avec une visée séculière sous la forme d’un bloc de pierre dans un parc [21].
23Dans le cas du symbole religieux, l’approche purement objective ne paraît donc pas appropriée. Il faut la compléter par l’objectif poursuivi, ce qui comporte une dimension plus subjective. Mais celle-ci peut elle-même faire l’objet d’une appréciation objectivée : ce n’est pas tant l’intention de l’auteur du symbole qui est recherchée que la portée effective du symbole.
24La part des motifs subjectifs et des finalités objectives est souvent mêlée. Une telle démarche apparaît dans les jugements des Cours allemande et européenne sur le crucifix. Les Gouvernements concernés ont affirmé son intention de ne pas donner une signification religieuse à la présence de crucifix à l’école. Dans une décision n° 556 du 13 février 2006, le Conseil d’État italien admet ce motif et confirme que le crucifix représente le symbole de la laïcité de l’État italien témoignant des « valeurs de tolérance, de respect réciproque, de valorisation de la personne, d’affirmation de ses droits, de respect de sa liberté, d’autonomie de la conscience morale par rapport à l’autorité, de solidarité humaine, de refus de toute discrimination ». Selon le Conseil d’État, il semble difficile, « dans le contexte culturel italien […] de trouver un autre symbole qui remplisse cette mission mieux que celui-ci […]. Il est donc impossible d’accueillir la requête visant à ce que l’État et ses organes s’abstiennent de faire appel aux instruments éducatifs considérés comme les plus efficaces pour exprimer les valeurs sur lesquelles l’État lui-même se fonde et qui le caractérisent, rassemblées et exprimées par la Constitution… » [22] La Cour constitutionnelle allemande et la Cour européenne ont néanmoins retenu le caractère nécessairement religieux de ce signe. La Cour européenne est restée relativement générale dans son appréciation : elle relève que « la présence du crucifix dans les salles de classe va au-delà de l’usage de symboles dans des contextes historiques spécifiques ». Elle note que « la présence du crucifix peut aisément être interprétée par des élèves de tous âges comme un signe religieux » et conclu que c’est « un symbole qu’il est raisonnable d’associer au catholicisme ». La Cour constitutionnelle allemande avait affirmé plus nettement que « la croix était le symbole d’une conviction religieuse particulière et non pas seulement l’expression d’une civilisation occidentale marquée par le christianisme… c’est même le symbole fondamental du christianisme » [23]. Dans ces trois jugements, on trouve les trois définitions du symbole religieux : la définition substantielle (par référence à la nature intrinsèque du symbole), la définition finaliste (par référence aux objectifs recherchés) et la définition empirique (par référence à la perception du public).
L’obligation religieuse
25Certains signes objets ou symboles ne sont pas destinés directement à manifester une conviction ou à donner une visibilité à une confession. Ils sont l’expression d’une obligation religieuse. Certains objets doivent être portés indifféremment du fait qu’ils sont ou non visibles. Il en est ainsi du poignard sikh (Kirpan) ou de la kippa. Compte de l’obligation religieuse qui s’y attache le port du Kirpan a été autorisé dans les écoles québécoises par la Cour suprême du Canada [24] à la suite de la Cour supérieure du Québec [25] sous réserve qu’il soit gardé dans un fourreau cousu caché sous les vêtements. L’autorité scolaire affirmait que cet objet était une arme destinée à blesser ou tuer. Les tribunaux y ont reconnu un objet religieux au port duquel l’élève sikh concerné se considérait comme sincèrement tenu. Un accommodement raisonnable [26] de cette obligation religieuse avec les impératifs de sécurité peut être trouvé. Dans ce cas, tant la dimension religieuse de l’objet que le statut privilégié qui lui est donné sont déduits de la conviction subjective de la personne qui demande l’autorisation de le porter.
26Le port du foulard est tantôt perçu comme une obligation religieuse, tantôt comme une manifestation d’une conviction religieuse, tantôt comme une pratique à connotation religieuse sans dimension obligatoire. Une fois de plus, le foulard musulman est exemplaire de la problématique : dans la plupart des cas, ce qui en fait un signe religieux, ce ne sont pas ses caractéristiques physiques, mais le fait que la personne qui le porte s’estime dans l’obligation de le conserver en toutes circonstances en public ; c’est l’affirmation d’une contrainte religieuse qui en fait un objet religieux ; le même objet porté et ôté en fonction de règles « profanes » (courtoisie, règlement intérieur, règle professionnelle, etc. ;) perd son caractère religieux, car in n’est plus affirmé comme une obligation religieuse, mais comme l’expression d’un goût vestimentaire.
27On peut relever donc une différence de perception entre un comportement destiné à signifier l’appartenance religieuse sans que cela représente une contrainte de nature religieuse et un comportement exprimant une obligation religieuse. Lorsqu’existe une contrainte religieuse avérée, le comportement est mieux accepté, car sa tolérance est nécessaire pour l’exercice de la liberté religieuse. Pourtant dans les deux cas, le comportement aboutit à manifester l’appartenance religieuse. Par exemple, on interdit aux enseignantes de porter le voile durant le service, mais elles peuvent ouvertement revendiquer une nourriture hallal à la cantine scolaire. Or les deux comportements conduisent également à signifier « ostensiblement » un engagement religieux.
28Dans la plupart des cas, la reconnaissance d’une obligation religieuse de porter ou de détenir un objet dépend de l’existence d’une conviction profonde et sérieuse de la part de la personne concernée. L’élément subjectif est donc déterminant. Le fait que les autorités officielles du culte concerné reconnaissent ou dénient ce caractère obligatoire peut constituer un indice, mais ne saurait avoir un caractère déterminant pour reconnaître la contrainte religieuse qui pèse sur la personne concernée. Toutefois, il peut être difficile de connaître les motivations intimes d’une personne. Aussi la tendance existe de rechercher même dans ce cas des éléments qui permettent de donner une réponse objective. Pour écarter le caractère religieux du foulard, il n’est pas rare en France que l’on invoque la position d’autorités religieuses [appréciation objective] déniant le caractère religieusement obligatoire de son port, plutôt que de vérifier la conviction intime [appréciation « subjective »] de la personne concernée.
29Un autre facteur favorable à un traitement objectif sans tenir compte des convictions particulières tient à la volonté de garantir un traitement égalitaire. Il peut en effet paraître difficile de donner des solutions divergentes au cas pas par cas et de surcroît fondées sur des éléments tenant à la conviction intime des personnes.
30Au total, on constate que d’un point de vue logique le critère subjectif devrait dans bien des cas prévaloir pour la qualification d’un signe comme religieux. Dans la pratique cependant, c’est l’approche objective qui l’emporte. Ceci est dû à la difficulté de déterminer l’intention subjective des auteurs d’un signe et des contraintes inhérentes au contrôle ; cela tien également au risque de de traitements différents de personnes ayant des comportements identiques en se basant sur leur intention subjective ; mais, cela paraît souvent aussi peu adapté aux objectifs implicites de la régulation des signes religieux : celle-ci vise certes à protéger la conviction religieuse, mais encore davantage à organiser la cohabitation de personnes ayant des convictions distinctes ; au fur et à mesure que le principe de neutralité l’emporte sur le principe de liberté, le critère objectif prend le pas sur le critère subjectif.
Univocité ou polysémie des signes religieux
31Comme on l’a vu, un objet peut avoir une pluralité de significations. Il en est nécessairement ainsi des objets pouvant comporter un signe religieux. Selon les situations ou les personnes, l’objet est investi de sens divers. Le même objet peut être vu comme une fantaisie individuelle, une décoration traditionnelle, comme un engagement national ou politique, comme une provocation ou comme un signe religieux.
Signe culturel ou signe religieux
32La principale difficulté qui s’attache à la détermination du caractère d’un signe ou d’un symbole tient à la distinction entre sa dimension cultuelle et son caractère cultuel. Qu’il s’agisse de la croix sur un mur d’école, du décalogue devant un tribunal, d’une crèche dans un lieu public, d’une toile comportant un crucifix dans une mairie, etc. ; les dimensions historiques, culturelles, artistiques et religieuses s’entrelacent.
33Selon les circonstances les autorités compétentes ou les tribunaux feront prévaloir la dimension culturelle ou la dimension cultuelle. Plusieurs critères sont utilisés à cette fin. Le plus fréquent réside dans la protection des convictions des tiers. En effet, dans la plupart des cas, la réglementation relative à des objets à connotation religieuse dans l’espace public vise à ce que des personnes étrangères à la conviction religieuse en cause ne se sentent atteintes dans leurs propres convictions par la vision de l’objet religieux concerné. Parfois, c’est un principe abstrait de neutralité de l’espace public qui est mis en œuvre. Plus rarement on évoque une parité à respecter dans l’affichage public de signes religieux. Tous ces critères comportent une large part d’artifice et d’arbitraire dans leur mise en œuvre [27]. Souvent, les tribunaux essaient de se placer dans le courant dominant au sein de l’opinion publique, mais parfois ils prennent cette dernière à contrepied dans leur souci de poursuivre un raisonnement théorique.
34La question de la perception d’un signe comme l’expression d’une identité collective (ou sa négation) ou comme un symbole religieux peut aboutir à des tensions très vives entre démocratie et État de droit : lorsque 90 % d’une population estime qu’une croix exprime son identité collective et peut légitimement apparaître dans des bâtiments scolaires et que les tribunaux déclarent ce signe illégal au regard du principe juridique de neutralité religieuse des pouvoirs publics, on est en face d’une sérieuse contradiction.
35Une autre contradiction tient à la difficulté de faire une différence de traitement entre signe religieux et signes antireligieux ou signes parareligieux. Ainsi, s’il y a des motifs à restreindre la présence dans un espace public de crèches de Noël, on peut se demander pourquoi il n’en est pas de même pour le père Noël qui ne constitue que l’équivalent anti chrétien du petit Jésus. Les dieux (et surtout les déesses !) grecs, les mythes païens, les emblèmes maçonniques seront mieux traités que les symboles des religions du livre [28]. Si l’on veut éviter ce reproche de discrimination, il faut neutraliser radicalement l’espace public, donc à peu de choses près le vider.
36La question du signe religieux conduit donc à se poser la question du religieux. La réponse implicite résultant de la doctrine de la neutralité est d’ordre nominaliste : sont religieux les signes appartenant à des convictions qualifiées traditionnellement de religieuses dans notre tradition culturelle : christianisme et islam principalement. L’analyse juridique des signes religieux reste imperméable aux analyses sociologiques modernes des phénomènes religieux qui considèrent que l’essence du religieux est de sublimer le corps social. Tout processus d’élaboration de valeurs et de signes communs à un groupe s’apparente à une démarche religieuse : l’identification avec un drapeau n’est pas différente de l’identification avec une croix, un croissant ou une étoile à six branches [29]. La Marianne n’a pas sociologiquement parlant de fonction différente de la vierge à l’enfant. Entre les figures symboliques mythes républicains (Marianne, panthéon, représentation de la Justice, de la science, de héros nationaux, langue [30], etc.), celles des mythes monarchiques plus anciens (Jeanne d’Arc, St Louis, etc.) et le symbolisme « religieux au sens strict », les différences sont ténues : même procédés sémiologiques, même nature subjective, même portée polysémique, même réception différenciée. La plupart prétendent être neutres et universalistes ; aucun n’est exempt de contestation, de distanciation voire de rejet [31].
37La jurisprudence allemande admet que la représentation de valeurs ou de traditions occidentales et chrétiennes ne peut être assimilée à la manifestation de convictions chrétiennes. Dans le premier cas, il s’agirait seulement de représenter des valeurs sociales (et non de manifester une conviction individuelle) pour les expliquer et les discuter [32]. Le terme de valeurs chrétiennes doit s’entendre comme désignant des valeurs culturelles occidentales détachées de leur dimension religieuse originelle et que l’école a comme mission de transmettre [33]. Si l’on comprend l’intention de cette distinction et si l’on peut même en accepter la légitimité, elle paraît cependant impraticable d’un point de vue objectif [34].
Signe religieux et signe politique
38La plupart des signes religieux sont aussi des signes politiques au sens large. Cela est évident pour le foulard islamique : celui-ci est perçu comme le refus d’une intégration dans la société d’accueil (même si la personne qui porte le signe a une autre intention) ; il a certainement dans certains cas été instrumentalisé comme provocation à l’égard des autorités nationales. Les signes religieux catholiques ont pendant longtemps exprimé intentionnellement ou malencontreusement une vision « ultramontaine » de la société en opposition à une société unifiée autour de valeurs nationales. Avec la question de l’État d’Israël, l’intégration des symboliques religieuses et politiques s’étend au judaïsme.
39La différence de perception du signe religieux par exemple au Canada et en France est fondamentalement de nature politique. En France, l’affichage d’un signe est perçu comme l’adhésion à un groupe particulier en rupture avec la société commune : c’est l’expression du communautarisme. Comme le formule le Conseil constitutionnel, l’ordre constitutionnel s’oppose à la constitution de « communautés d’origine, de culture, de langue ou de croyance » qui voudraient s’affranchir des « règles communes ». Le signe religieux ne constitue qu’une facette de signes communautaires, expression d’une différenciation assimilée à un refus de la reconnaissance complète de la loi commune. La dimension collective du signe est soulignée parce qu’elle est redoutée et rejetée. Au Canada, c’est la dimension individuelle et personnelle du signe qui est mise en avant. Les tribunaux s’interrogent sur l’intention intime de la personne qui arbore le signe. En respectant son choix personnel, on en fait aussi un choix individuel. En mettant en pratique son droit à l’autonomie individuelle, le porteur d’un signe religieux met en pratique le principe fondamental d’une société libérale : la libre détermination individuelle. Le port d’un tel signe ne constitue donc pas une rupture avec cette société, mais l’expression d’une adhésion à celle-ci par la mise en œuvre de la liberté individuelle, notamment religieuse. La conciliation avec des impératifs collectifs se fait par la règle de l’accommodement raisonnable qui conduit elle aussi à des solutions individuelles appliquées au cas concret, qui, en théorie du moins, s’oppose à une généralisation qui donnerait un sens collectif au règlement adopté. La prise en compte individuelle des besoins particuliers doit permettre l’intégration sociale en offrant une solution satisfaisante aux demandes particulières. Dans les deux approches, le signe religieux est donc lu à travers un prisme politique : signe de refus d’intégration et de division en France ; signe d’adhésion au modèle individualiste de la société occidentale au Canada.
Conclusion
40Les réflexions qui précèdent conduisent à la conclusion qu’il est assez vain de prétendre trouver une définition juridique du signe religieux. Une définition juridique satisfaisante du signe religieux est aussi difficile que la définition juridique d’une religion. Un signe religieux est toujours aussi autre chose qu’un signe religieux et tout objet non religieux peut devenir un signe religieux. Un objet peut avoir une signification différente pour l’émetteur et pour les récepteurs. Les effets peuvent ne pas avoir les mêmes contenus que les intentions. Le signe religieux étant avant tout un code destiné à communiquer une information, toutes les complexités et ambiguïtés de la communication se retrouvent au niveau du signe religieux.
41Sur un plan plus juridique, le signe religieux ne peut trouver de définition uniforme aussi parce qu’il n’a qu’un objet fonctionnel, à savoir permettre la mise en œuvre d’une norme. La définition du signe religieux variera en fonction des caractères et des finalités de cette norme ; selon qu’il s’agira de favoriser l’expression de la liberté religieuse ou de garantir la neutralité de l’espace publique les critères du signe religieux ne seront pas les mêmes.
42À vrai dire, il n’y a pas de signe religieux en soi. Cette formulation de signe religieux désigne en pratique un objet ou un comportement quelconque perçu par les tiers comme religieux et faisant l’objet pour ce motif d’une protection ou, plus souvent d’une restriction : les caractéristiques propres au signe sont largement indifférentes ; les intentions de l’auteur du signe ou du comportement ne sont pas déterminantes : c’est la perception par les tiers qui est décisive : si ce signe ou ce comportement est perçu comme une intrusion d’un prosélytisme religieux dans un lieu qualifié de neutre, comme une prise de position religieuse de l’État, comme une atteinte à l’autonomie religieuse ou areligieuse des personnes qui l’appréhendent, il fera l’objet de restrictions, quelles que soient leurs caractéristiques intrinsèques ou les intentions de ceux dont ils émanent ; si les tiers le perçoivent comme une composante incontournable d’une conviction religieuse, voire d’une obligation religieuse, le signe ou la protection fera l’objet d’un traitement conciliant indépendamment sauf exception de la conviction individuelle dans le for intérieur de l’auteur d’un tel signe ou comportement.
43Il semble dans ces conditions, au plan de la technique juridique, que la position la plus sage consiste à renoncer à faire référence à la notion de signe religieux dans une norme juridique, puisque l’auteur de la norme dans un État respectueux de la liberté, de l’égalité et de la neutralité religieuse doit à la fois réglementer un comportement religieux et ne pas y porter atteinte. Il paraît plus expédient de viser dans la loi les effets négatifs que l’on entend éviter : troubles, discrimination, etc. plutôt que de désigner l’objet susceptible de provoquer de tels effets. C’est la solution retenue à bon droit dans la loi sur la Burka : cette loi ne fait pas référence à la signification éventuellement religieuse de ces vêtements. Il aurait été sage d’en faire de même pour les tenues vestimentaires [35] à prohiber à l’école.
Notes
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[1]
Ahmet Arslan c/ Turquie rendu le 23 février 2010 (Requête n° 41135/98). Par cet arrêt le Cour a considéré comme incompatible avec l’article 9 de la Convention une sanction pénale infligée en raison du port d’un vêtement de caractère religieux sur la voie publique.
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[2]
Gesetz zur Änderung des Schulgesetzes vom 1. April 2004 (GBl. S. 178, Nr. 6). De même une loi du 1er août 2006 du Land de Rhénanie du Nord Westphalie comporte une règlementation semblable.
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[3]
The Religious Freedom Restoration Act (42 U.S.C. § 2000bb), loi fédérale de 1993 déclarée ultérieurement inconstitutionnelle par la Cour suprême. Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Religious_Freedom_Restoration_Act.
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[4]
À la suite du vote de la loi du 15 mars 2004, les organisations musulmanes avaient recommandé aux jeunes filles souhaitant se couvrir la tête d’opter pour le bandana, celui-ci devant être regardé comme signe « non ostensible « ou discret. Mais l’administration scolaire a vu dans ce morceau de tissu la volonté d’exprimer une adhésion religieuse.
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[5]
CE 10 juin 2009 Kervanci, n° 306833.
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[6]
Certains établissements hospitaliers ont accepté que des employés portent une charlotte à la place d’un voile. Mais cet arrangement a été contesté par le syndicat CGT (http://www.elle.fr/elle/Societe/News/Polemique-une-charlotte-remplace-le-voile-d-une-psy-musulmane/(gid)/1088838). Les tribunaux ont effectivement reconnu dans cette tenue médicale un substitut destiné à manifester une appartenance religieuse. Les motivations dans ce cas concret peuvent être considérées comme confuses. La vraie question aurait due être de savoir si le signe religieux était perceptible pour les usagers derrière cette coiffe médicale.
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[7]
Par exemple un uniforme dans le cas de personnes appartenant à l’Armée du Salut : CEDH Branche de Moscou de l’Armée du Salut, 5 oct 2006, n° 72881/01.
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[8]
On peut cependant citer le cas d’une enseignante du Land de Rhénanie du Nord Palatinat dont une loi prohibe le port du foulard islamique et qui est entré en conflit avec son administration en raison du port d’un bonnet : l’enseignante affirme ne pas le porter pour un motif religieux mais pour surmonter le sentiment qu’elle aurait de « ne pas être habillée », alors que l’autorité administrative y voit un signe religieux (taz Nr. 8178 vom 18.1.2007, Seite 6, 162 TAZ-Bericht HEIDE OESTREICH ; http://www.migrantenkind.net/muetze-als-kopfbedeckung-oder-kopftuch.html). Un jugement du Tribunal administratif du Travail du 20 août 2009 a rejeté cet argument en considérant que c’était la perception du public et non l’intention de l’agent qui est déterminante.
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[9]
TA Cergy Pontoise 12 déc. 2008 Najatt Kaddouri, n° 054004 : pour ce tribunal, le port d’une charlotte de bloc opératoire en dehors des situations ou cela est requis par les besoins du service constitue l’expression d’une appartenance religieuse et donc un comportement professionnel fautif. (Voir aussi la note 4 ci-dessus). Une motivation de cette position aurait été souhaitable ; pour les usagers du service hospitaliers au bénéfice desquels le principe de neutralité a été instauré, il est loin d’être certain que la vue d’une charlotte de bloc opératoire soit comprise comme manifestation d’une appartenance religieuse. C’est le reste du personnel qui sait que l’agent en question s’est mis à porter une charlotte après avoir cessé de porter le voile. Mais avec ou sans Charlotte ce personnel connaît à l’évidence les opinions religieuses de cet agent. Dans ces conditions, ce port d’une « charlotte constituait-il vraiment la manifestation d’une conviction religieuse ou n’était-ce pas plutôt un pied de nez ironique de cet agent à l’égard de son supérieur qui aurait du la poursuivre disciplinairement pour comportement et non pour manifestation de sa religion ? Il est vrai que la Cour suprême a bien qualifié une « minute de silence » remplaçant une prière d’atteinte au principe constitutionnel de séparation : Wallace v. Jaffree, 472 U.S. 38, 72 (1985).
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[10]
BVerfG 24. September 2003 – 2 BvR 1436/02 – BVerfGE 108, 282.
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[11]
La juridiction aurait dû déclarer comme non véridique l’intention déclarée par la personne portant un bonnet de ne pas manifester une conviction religieuse et non pas déclarer cette intention sans importance dès lors que pour les élèves et les parents le port de ce bonnet manifeste la conviction musulmane de la personne en cause. On ne peut qu’être étonné de constater que l’on aboutit ici à une ingérence dans le for intérieur de la personne : elle est renvoyée à une conviction qu’elle nie car des tiers sont convaincus que son bonnet de laine est porté pour des motifs religieux ! http://www.bverwg.de/media/archive/7063.pdf.
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[12]
CEDH Aktas c/ France, 30 juin 2009, 5e sect. Requ. n° 43563/68.
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[13]
Ainsi, contrairement à l’opinion parfois développée, l’interdiction de minarets décidée par un referundum en Sisse ne porte pas atteinte à la liberté de religion car cette interdiction n’implique nullement l’interdiction ou la restriction de l’édification de lieux de culte musulmans. Le minaret n’est pas un objet nécessaire au culte musulman mais un symbole public de ce culte. Par contre, on peut voir dans cette mesure, un comportement discriminatoire à l’encontre des communautés religieuses musulmanes.
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[14]
CE, 25 novembre 1988, Dubois ; Rec. CE, p. 422 l’érection d’une statue du cardinal Lienart « compte tenu de l’ensemble des activités exercées, et notamment du rôle joué par le cardinal dans la ville de Lille.
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[15]
Tribunal administratif d’Amiens, n° 0803521, 16 novembre 2010, M. Claude D ; le tribunal s’est borné à constater que cet objet représentait, dans un premier temps Marie et Joseph, puis également, à partir du 25 décembre 2008, l’enfant Jésus. Voir http://www.droitdesreligions.net/
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[16]
TA Besançon, 20 décembre 2001, n° 97-0044, Christian G. c/ Ville de Besançon.
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[17]
CAA Nantes, 11 mars 1999, Assoc. « Une Vendée pour tous les Vendéens » : Rec. CE, tables p. 668 ; RFD adm. 2000, p. 1084, concl. Jacquier.
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[18]
CAA Nantes, 12 avril 2001, n° 00NT01993, Guillorel.
-
[19]
Lemon V. Kurtzman403 US 602(1971).
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[20]
County of Allegheny. ACLU 492 US 573 (1989). La crèche comportait une bannière avec l’inscription « gloria in exelcis Deo ».
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[21]
McCreary County v. ACLUt et Van Orden v. Perry 25 june 2005 Avec un commentaire de Jean Paul Jaqué : http://leuropedeslibertes.u-strasbg.fr/article.php?id_article=1&id_rubrique=3.
-
[22]
Voir Monique Pauti, AJDA 2010, p.
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[23]
BVerfGE 93, 1 – Kruzifix ; Voir ce jugement en traduction française et notre commentaire à la Revue de Droit Canonique t. 50/1, 2000.
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[24]
Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256, 2006 CSC 6.
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[25]
Cour supérieure ([2002] J.Q. no 1131 (QL)).
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[26]
José Woehrling, « L’obligation d’accommodement raisonnable et l’adaptation de la société à la diversité religieuse » (1998), 43 R.D. McGill 325, p. 360.
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[27]
Par exemple, l’argument que la seule vue d’un symbole d’origine religieuse porte atteinte à la liberté religieuse, comme l’a affirmé la CEDH dans l’arrêt Lautsi peut laisser sceptique. On peut certainement être incommodé par la vision d’un signe dont on réprouve la présence, mais il est douteux qu’une telle gêne soit de nature à perturber une conviction religieuse ou anti-religieuse. L’argument de la neutralité est également douteux car il n’y a pas de raison d’écarter de la sphère publique uniquement les signes religieux.
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[28]
Au Québec, on a interdit les prières avant le début des réunions des conseils municipaux, mais on y encourage le passage le calumet de la paix, sans même se rendre compte qu’on a substitué un symbole religieux par un autre.
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[29]
D’autant que beaucoup de drapeaux comportent des croix, croissants ou étoiles.
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[30]
La fonction symbolique de la langue est souvent comparable à la symbolique religieuse ou même directement confondue avec cette dernière.
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[31]
Pour échapper à la qualification comme signes religieux des signes qu’ils souhaitent promouvoir, les partisans de signes tels que les crucifix cherchent eux aussi à minorer cette dimension religieuse pour insister sur la dimension culturelle, historique ou nationale de ce signe.
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[32]
Voir le jugement du tribunal administratif du travail susmentionné note
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[33]
BVerwG 16. Dezember 2008 – 2 B 46.08 –, ZTR 2009, 167 ; 24. Juni 2004 – 2 C 45.03.
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[34]
On peut ce pendant avoir des difficultés à considérer comme répondant à l’objectif de neutralité assigné à l’État le fait de promouvoir certaines valeurs culturelles par rapport à d’autres.
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[35]
Selon l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation issu de la loi du 15 mars 2004 « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».