Notes
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[1]
Cité par G. Deleuze et F. Guattari dans Qu’est-ce que la philosophie ? Paris, Les Éditions de Minuit, 1991, p. 102.
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[2]
P. Levi, Les Naufragés et les Rescapés, trad. A. Maugé, Paris, Gallimard, 1989. Voir en particulier le chapitre « La Honte ».
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[3]
G. Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz, Paris, Seuil, 1999, p. 113-114.
-
[4]
E. Lévinas, De l’évasion, Montpellier, Fata Morgana, 1982.
-
[5]
G. Deleuze, F. Guattari, Op. cit., p. 103.
-
[6]
M. L. E. Moreau de Saint-Méry, Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie francaise de l’isle de Saint-Domingue, Philadelphie, 1797.
-
[7]
F. Kafka, Lettre au père, trad. M. Robert, Paris, Gallimard, 1995, p. 29.
-
[8]
Le fumier de Job, Éditions Circé, Paris 1996, Circé/poche, p. 91.
-
[9]
E. Levinas, en découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1998.
-
[10]
Dans La tradition cachée, Paris, Bourgois éditeur, 1997, p. 57-76.
-
[11]
Ibid.
-
[12]
M. Proust, Le côté de Guermantes, Garnier-Flammarion, 1986.
-
[13]
M. Proust, Sodome et Gomorrhe, Paris, Garnier-Flammarion, 1986.
-
[14]
M. Proust, le temps retrouvé, Paris, Garnier-Flammarion, 1986, p. 101.
-
[15]
Ibid., p. 98.
-
[16]
Op. cit., p. 95.
-
[17]
Ibid., p. 96.
-
[18]
Ibid.
-
[19]
Ibid., p. 101.
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Ibid.
-
[22]
A. Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, 1983, p. 40-41.
« La honte d’être un homme » [1], voilà le sentiment que nous inspirent le nazisme et les camps selon Primo Levi. Voilà le sentiment où l’humanité se réfugie et se révèle à elle-même. Dans le processus de déshumanisation, je reste humain précisément dans la mesure où j’ai honte d’être humain, et c’est ma honte d’appartenir à cette espèce qui atteste que j’en fais encore partie. La dimension ici déployée est d’ordre résolument ontologique : elle porte sur l’être et non sur le faire ou le dire. Bien-sûr, le survivant, le témoin, peut avoir honte d’un acte, d’une parole, ou au contraire de n’avoir pas fait ou dit ce qu’il fallait, mais l’essentiel de la honte n’est pas là. L’essentiel réside dans le fait d’avoir été là et d’avoir vu. La honte est alors ce qui d’un même mouvement et dans un même espace, relie et sépare le bourreau, la victime et le témoin et il est important pour comprendre cela de la distinguer de la culpabilité.
« Par une inattendue et bienfaisante révolution intérieure, j’honore maintenant mes laideurs repoussantes. »
1L’inadéquation du concept de faute pour penser la honte apparaît de manière flagrante avec Primo Levi lui-même qui a du mal à s’en tenir à ce qu’il a découvert et retombe dans la confusion honte/culpabilité : dans Les naufragés et les rescapés [2] il se livre à une sorte d’examen de conscience et, traquant les fautes qui pourraient expliquer sa honte de rescapé, il parvient à extraire de ses souvenirs un haussement d’épaules impatient devant des camarades plus jeunes ou l’épisode d’un filet d’eau partagé avec un codétenu et refusé à un autre. On voit bien, comme le note Giorgio Agamben dans Ce qui reste d’Auschwitz [3], que l’énoncé de fautes aussi dérisoires ne vient nullement à bout de la honte, ne parvient pas du tout à en rendre compte. Et c’est d’ailleurs pour cela que les grands récits de captivité (Robert Antelme, David Rousset, Margarete Buber-Neumann…) n’ont que très rarement le ton de l’aveu et de la confession. Ce qui s’y joue n’est pas au premier chef la culpabilité.
2Que la honte ne soit pas la culpabilité, cela est encore plus évident lorsqu’elle renvoie à l’origine des individus qui l’éprouvent, c’est-à-dire lorsqu’elle a trait à leur naissance et à ce qui leur est donné par-là, indépendamment de tout ce qu’ils ont pu faire. Être né juif, être né dans un milieu paysan, etc. Quoi qu’il puisse arriver, ce fait, ce donné, est irrévocable, il échappe complètement à la volonté, et à travers la honte, il est vécu comme un destin. Par la naissance, ainsi que le suggère d’ailleurs l’étymologie, l’existence est alors inscrite et enfermée dans une nature. Or il y a là une sorte de contresens existentiel car en vérité toute naissance humaine s’inscrit dans une histoire qui l’a précédée. L’œuvre de la honte est ici complexe et paradoxale : elle rabat l’individu sur une appartenance et une identité posées comme figées, indépassables et souvent marquées d’infamie, et dans le même temps elle le détourne et le sépare de cette histoire qui est la sienne, et donc de son origine. Il lui est alors nécessaire de se battre contre la honte, de la dépasser pour que sa naissance n’ait pas pour seule signification d’être un fait naturel, pour qu’elle ait sa place dans l’histoire et donc dans le monde des hommes.
3Enfin, et là encore à mille lieues de toute culpabilité, il y a le fait pour l’individu d’être assigné non pas seulement à une espèce (l’espèce humaine), non pas seulement à un groupe, mais à un corps qui est celui-là et pas un autre, et auquel il est impossible d’échapper. Emmanuel Levinas dans De l’évasion [4] a montré que la honte ne vient pas d’un manquement ou d’une défaillance relativement à quelque plénitude ou perfection d’ordre moral, mais au contraire fait fond sur un trop-plein, une saturation de soi, le sentiment de ne pouvoir rompre avec soi. La honte ressentie dans la nudité vient de là : ne pas pouvoir être ailleurs que là où l’autre voit notre corps. Ce n’est pas seulement notre corps comme objet, mais notre être total qui est mis à nu.
4Ainsi, qu’il s’agisse du rapport à l’humanité, au groupe, ou à soi-même, la honte, avec une puissance de révélation sans pareille, est ce autour de quoi se noue la relation entre le lien et la séparation, entre l’appartenance comme donnée et l’adhésion librement consentie. Elle est dans tous les cas une modalité privilégiée de notre rapport à l’involontaire en nous, c’est-à-dire tout ce qui résiste à notre volonté de sujet libre et conscient et en destitue la souveraineté. La honte atteste que nous ne sommes pas les auteurs de notre être, qu’il reste toujours quelque chose qui échappe à la volonté, qui trahit le désir de maîtrise et de transparence. C’est pourquoi si la modernité se caractérise par la croyance en la toute-puissance de la volonté humaine, et si les désastres du xxe siècle sont un résultat de cette croyance (produire l’homme nouveau ou la race pure sans que rien d’ancien ou d’allogène ne reste), on peut dire qu’il y a dans la honte une formidable puissance critique, une formidable puissance de résistance au présent. Elle peut être, par des voies qui lui sont propres, un moteur philosophique, esthétique et politique… et il y a du travail, car pour reprendre Deleuze et Guattari : « La honte d’être un homme, nous ne l’éprouvons pas seulement dans les situations extrêmes décrites par Primo Levi, mais dans des conditions insignifiantes, devant la bassesse et la vulgarité d’existence qui hante les démocraties, devant la propagation de ces modes d’existence et de pensée-pour-le-marché, devant les valeurs, les idéaux et les opinions de notre époque. L’ignominie des possibilités de vie qui nous sont offertes apparaît du dedans. Nous ne nous sentons pas hors de notre époque, au contraire nous ne cessons de passer avec elle des compromis honteux. Ce sentiment de honte est un des plus puissants motifs de la philosophie. » [5]
La visibilité sociale et la tentation de la fuite
5Ceci dit pour que la honte ait cette vertu qui permet de faire face (« nous ne sommes pas responsables des victimes mais devant les victimes ») et de résister, il ne faut pas se laisser écraser et dominer par elle, il faut la faire entrer dans une stratégie, sinon elle nous enferme dans la triste alternative, analysée en son temps par Hannah Arendt, de l’enfermement en soi-même (résignation muette et fataliste du paria) ou de la fuite éperdue hors de soi (efforts de tous les instants du parvenu pour faire oublier d’où il vient). Je voudrais illustrer cela par le rapprochement de deux textes, deux témoignages assez terribles sur les ravages de la honte. L’un est de Moreau de Saint-Méry, planteur à Saint-Domingue à la fin du xviiie siècle. Il y est question de l’intervention qu’il fit pour que les femmes noires libres puissent aller au théâtre. L’autre est de Kafka, extrait de la fameuse lettre au père (qu’il n’envoya d’ailleurs jamais à son destinataire). Nous ne sommes donc dans la fiction ni avec l’un ni avec l’autre.
6Moreau de Saint-Méry : « ce n’est que depuis le mois de juin 1785 que les nègres libres ont obtenu l’entrée du spectacle où l’on avait depuis 1776 les nuances supérieures des deux sexes au fond de l’angle de l’amphithéâtre. Elles me choisirent pour rédiger leur demande, et je ne dis qu’un mot ; ce fut pour demander qu’elles pussent aller s’asseoir auprès de leurs filles. Mais ces filles menaçaient de leur céder toute la place si cette confusion avait lieu, et il fallut les mettre dans des loges séparées. Ainsi quand une négresse et une mulâtresse viennent à la comédie elles se séparent ; l’ébène est pour la gauche, le cuivre est pour la droite. » [6]
7Kafka : « Car j’étais déjà écrasé par la simple existence de ton corps. Il me souvient par exemple, que nous nous déshabillions souvent ensemble dans une cabine. Moi, maigre, chétif, étroit ; toi, fort, grand large. Déjà dans la cabine je me trouvais lamentable, et non seulement en face de toi mais en face du monde entier, car tu étais pour moi la mesure de toute chose. Mais quand nous sortions de la cabine et nous trouvions devant les gens, moi te tenant la main, petite carcasse pieds nus vacillant sur les planches, ayant peur de l’eau, incapable de répéter les mouvements de natation que dans une bonne intention, certes, mais à ma grande honte, tu ne cessais littéralement pas de me montrer, j’étais très désespéré et à de tels moments mes tristes expériences dans tous les domaines s’accordaient de façon grandiose. Là où j’étais encore le plus à l’aise, c’est quand il t’arrivait de te déshabiller le premier et que je pouvais rester seul dans la cabine et retarder la honte de mon apparition publique, jusqu’au moment où tu venais voir ce que je devenais et où tu me poussais dehors ; je t’étais reconnaissant de ce que tu ne semblais pas remarquer ma détresse, et, d’autre part j’étais fier du corps de mon père. Il subsiste d’ailleurs aujourd’hui encore une différence de genre entre nous. » [7]
8Il y a une étrange intimité entre ces deux textes. Différents par la position de leurs auteurs, par l’époque, par le lieu, ils mettent pourtant en présence de quelque chose de semblable dans les deux cas : c’est la même violence qui est à l’œuvre, la même force de séparation et de négation, qui ne s’exerce pas à partir d’une action accomplie par telle ou telle des personnes en scène mais à partir du sentiment de honte qui les traverse. Le lecteur, lui, se retrouve dans la position du témoin involontaire, voyeur à son corps défendant, à son tour gêné et un peu honteux ; il n’y a pas vraiment ici de « plaisir du texte ». C’est qu’il y a quelque chose de singulier dans la manière dont la honte se transmet, passe du texte au lecteur. Avec les autres sentiments ou états humains, le plaisir lié à la narration ou à la représentation vient de ce que l’on peut éprouver, avec un personnage, les affres de la maladie, ou de la folie, ou de la peur (suspens), sans être pour autant malade ou fou ou en danger. Or ici pas d’échappatoire : il est question de la honte et je suis mal à l’aise. Avec elle les lois habituelles du rapport au texte semblent transgressées.
9Reste (et c’est cela qui rend le rapprochement des deux textes plus troublant) que nous avons là deux situations bien distinctes : d’un côté une société coloniale sur fond d’esclavage et de ségrégation ; de l’autre la famille Kafka, juive certes, mais presque complètement assimilée, dans un empire austro-hongrois relativement libéral (égalité complète des droits civiques en 1969 pour les juifs). Il y a une opposition symétrique entre les deux configurations : d’un côté des mères et des filles ; de l’autre un père et un fils. Élévation des filles par rapport à leurs mères ; défaut constitutif, déchéance du fils devant le père. Les filles n’ont qu’une crainte : être confondues avec leurs mères, ce qui les rabaisserait aux yeux de tous. Le fils est tourmenté par le sentiment contraire : du fait de sa débilité physique il ne peut pas être confondu avec son père. Pas assez de contraste pour les unes : on peut les voir comme des négresses ; trop de contraste pour l’autre : on ne peut pas le voir comme son père. Mais au fond cette possibilité et cette impossibilité renvoient à une même impuissance radicale (relativement au corps), elle-même source de panique : tentation de la désertion (vider les lieux, la salle de spectacle), ou de la disparition (rester dans la cabine, s’y faire oublier), avec la même « solution » dérisoire : une cloison. L’épreuve de cette impuissance c’est la honte et c’est bien elle qui est commune à ces deux textes, même si le terme n’apparaît pas expressément sous la plume de Moreau de Saint-Méry.
10Dans les deux cas, le caractère traumatisant de cette épreuve d’impuissance est inséparable d’une dimension de visibilité et de publicité (au sens d’apparition en public), d’un espace de déploiement et de dévoilement qui n’est en l’occurrence ni l’espace politique de l’action en commun, ni l’espace économique de la production et de l’échange de biens. Un espace où il ne s’agit ni d’agir ni de produire, mais seulement de voir et d’être vu, de faire signe, et donc évidemment de (se) montrer, (se) cacher, (se) démasquer, (se) déshabiller. La loge, la cabine, le théâtre, la plage… tout un réseau qui constitue la « société » dans la suspension, toujours provisoire et précaire, de l’économique et du politique. Et cette suspension est foncièrement ambivalente, car si elle rend possible le divertissement et l’oubli dans le loisir, elle est aussi ce qui sous le regard de l’autre, rabat, reconduit, rappelle l’individu à lui-même, et l’implique jusqu’au fond de son être.
Le paria et le parvenu
11Cette impuissance, ce poids de l’involontaire, qui fait que l’on ne peut changer ni de corps ni de peau, peut alors susciter deux attitudes symétriquement opposées, mais qui relèvent de la même incapacité à l’assumer de manière singulière, à s’appuyer dessus pour dire qui l’on est : d’un côté l’enfermement en soi dans une sorte d’essentialisation fataliste de l’identité, et cela implique une quête d’invisibilité sociale et donc une fuite hors du monde, typique du paria ; de l’autre, la fuite hors de soi dans le monde, dans une sur-visibilité sociale, typique du parvenu. La honte dans les deux cas est ce qui empêche l’individu d’entretenir un rapport libre et actif à son origine, ce qui empêche de la penser et de se la représenter : le paria est englué en elle et dans son groupe d’appartenance, le parvenu s’en est lui-même coupé, amputé, pour se réfugier dans une appartenance d’emprunt. Bernard Lazare (à qui nous devons cette distinction paria/parvenu et qui fut le premier parmi les écrivains à prendre la défense de Dreyfus) écrivait à propos du parvenu : « Alors que chacun s’ingénie à se trouver des ancêtres, il veut oublier qu’il en a un » [8]. Le moins qu’on puisse dire c’est que les mulâtresses de Saint-Domingue sont dans cette logique, qui voit les assimilés (issus de l’immigration ou d’un groupe opprimé) afficher sans vergogne et de manière ostentatoire leur distance et leur mépris des nouveaux venus (qui, bien que contemporains, sont en quelque sorte l’image de l’ancêtre gênant). Il y a une brève anecdote tout à fait édifiante relatée par Emmanuel Levinas à ce propos. Lui-même jeune étudiant juif récemment émigré de Lituanie, il lui arrivait de rencontrer son maître Husserl en présence de la femme de ce dernier : « Husserl et sa femme, on le sait, étaient des juifs convertis au protestantisme […] Madame Husserl me parlait des juifs rigoureusement à la troisième personne, même pas à la deuxième. Husserl ne m’en parlait jamais. Sauf une fois. Sa femme devait profiter de son passage à Strasbourg pour faire un très important achat. Rentrant des courses elle a déclaré en ma présence : « Nous avons trouvé une maison sérieuse. Les patrons, bien que juifs, sont très fiables. » Je n’ai pas caché ma blessure. Alors Husserl : « Laissez cela M. Levinas, je proviens moi-même d’une maison de commerçants et… » Il n’a pas continué. » [9]
12L’assimilé-parvenu est en fait dans une lutte de tous les instants pour l’oubli : oublier qui l’on est, d’où l’on vient, et surtout le faire oublier par les autres, effacer les traces et les indices, les rendre invisibles. Le parvenu dans son désir d’être de la bonne société ne supporte pas tout ce qui peut lui rappeler qu’il a bien fallu qu’il y rentre un jour. Il veut faire comme s’il y avait sa place de toute éternité. Bien sûr cela ne porterait guère à conséquence s’il ne s’agissait que d’un trait de caractère antipathique. Le problème, c’est que ce caractère induit un investissement exclusif dans le social et une désertion du politique dont les conséquences sont catastrophiques. Tout à son affaire, le parvenu ne veut pourtant pas qu’on l’implique dans quelque lutte ou revendication collective que ce soit et cela pour deux raisons : sa stratégie est individualiste dans ses fondements mêmes. Et l’idée même qu’il puisse y avoir quelque chose à revendiquer suppose l’existence d’un manque, d’un déficit, ce que précisément il passe son temps à dénier. Cet aveuglement peut être suicidaire comme pour tous ces juifs allemands qui ne quittèrent pas l’Allemagne quand il en était encore temps, sous prétexte qu’ils étaient de bons Allemands, bien intégrés et qu’il ne pouvait par-là même rien leur arriver… à eux en tout cas ; ou pour tous ceux qui étant eux-mêmes partis sous la pression des circonstances, mirent tout leur zèle, avec un optimisme sidérant, à devenir de bons Français par exemple, puis, rattrapés par les événements et s’ils en réchappaient, à devenir de bons Américains (non sans avoir entre-temps séjourné en tant qu’Allemands en camp d’internement en France au début de la guerre… Mais cette humiliation, incompatible avec leur optimisme, ils l’occultaient complètement dans leurs récits). Arendt a parlé de tout cela de manière ironique et impitoyable dans un article de 1943 : « Nous autres réfugiés » [10]. Pour elle la seule position tenable était la suivante : « lorsqu’on est attaqué en qualité de juif, c’est en tant que juif que l’on doit se défendre. Non en tant qu’Allemand, citoyen du monde ou même au nom des droits de l’homme, […] mais : que puis-je faire de façon très concrète en ma qualité de juive ? » [11]
13Mais revenons au parvenu lorsque les circonstances lui laissent le temps de parvenir : pour cela il se livre à une surenchère dans l’imitation et l’affirmation de ce que la société à laquelle il aspire a de plus visible : ses préjugés, ses manies, ses singeries. Et comme en l’occurrence cette identification ne se fait pas de l’intérieur mais par une course aux signes extérieurs, il est en quelque sorte condamné au regard : pour être comme les membres à part entière de cette société, pour en être vraiment, il doit se livrer à un incessant travail d’observation, il ne doit rien négliger, rien oublier, tout noter. Il doit se faire un peu ethnologue, ce qui à son corps défendant réintroduit une distance (nécessaire à l’observation) entre lui et les autres, ceux qui en sont vraiment. Il est dans un cercle : pour abolir la distance, il doit se tenir à distance. Et par là, ce qu’il dit et fait est toujours légèrement déplacé, fût-ce de manière infinitésimale : il en fait un peu trop et le petit décalage lié à sa double position d’acteur et d’observateur lui donne à certains moments un air extravagant et bizarre. Les autres, troublés par cette étrangeté, vont la mettre sur le compte d’une essence supposée qui se révélerait par-là, ne comprenant pas qu’elle émane de sa position inconfortable. On va donc le tolérer non pas comme un semblable, mais dans la mesure où son étrangeté met une note d’originalité et d’exotisme dans le groupe et à condition qu’il joue le jeu. Mais il est attendu au tournant, pouvant à la moindre défaillance être désigné comme ce qu’il n’a jamais cessé d’être : un intrus. C’est la crainte sourde et insistante de ce genre de disgrâce qui le pousse au rejet de tout ce et de tous ceux qui peuvent lui rappeler d’où il vient, le condamnant par-là à une terrible solitude. Il n’est parmi les siens dans aucun groupe humain : ni celui d’origine, ni celui « d’accueil ». Plus : les barrières qu’il met entre lui et ses proches ne suffisant jamais, il finit par en ériger à l’intérieur de lui-même pour bien séparer l’être nouveau qu’il est devenu, de l’être ancien et paria. Mais alors il intériorise le soupçon et le retourne contre lui-même. Il se surveille et guette tout ce qui pourrait évoquer l’origine : un accent, certains gestes, certaines postures. Là encore il est en prise avec l’involontaire comme point d’indistinction entre la passivité et l’activité : le geste, c’est bien lui qui l’exécute, mais il est passif dans la mesure où sa manière de la faire est toujours plus ou moins héritée. D’où la crainte de se trahir, mais qui repose elle-même sur une trahison déjà accomplie et plus fondamentale. S’il a des soucis de parvenu, c’est qu’il a bel et bien trahi son origine, en refusant de l’assumer.
En être ou pas : Bloch et Charlus
14Il a souvent été noté que l’avènement de la « société » dans la période moderne correspond dans la littérature à l’émergence du roman. Les salons et les cercles forment l’horizon naturel des romans de Balzac et de Proust. Chez ce dernier on a par exemple le personnage de Bloch qui veut y entrer, faire partie du monde, mais qui traine avec lui comme son ombre ou comme son double son personnage de juif. On lui assigne le rôle du juif en général, et on l’accepte que dans la mesure où il le joue, ce qu’il fait mais à son insu ; d’où ricanements et chuchotements de la part du groupe chez qui la curiosité amusée se convertit très vite en persécution sadique. Et pourtant il ne cesse de venir qu’une fois mis explicitement à la porte. Il y a donc un sadomasochisme constitutif du lien social et auquel personne n’échappe puisqu’au fond aucun membre d’un groupe n’y a sa place de manière absolue et définitive. N’importe qui peut pour une raison ou une autre être frappé de disgrâce. Le personnage du Baron de Charlus concentrant en lui tout ce nœud social, formule odieusement ce type de fantasme lorsqu’il propose au narrateur d’inviter Bloch à organiser un « spectacle exotique » dans lequel Bloch pourrait blesser son père ou « frapper à coups redoublés sur sa charogne, ou comme dirait ma vieille bonne sur sa carogne de mère » [12]. A ce moment du récit Charlus est encore dans toute sa splendeur aristocratique et le narrateur ne peut pas ne pas savoir que c’est de son propre sadomasochisme (non pas juif mais homosexuel en l’occurrence) qu’il se délecte en le projetant sur la scène infâme qu’il imagine. Proust avait très bien saisi cette analogie entre le juif et l’homosexuel dans leur rapport à la société : dans les deux cas il s’agit d’une identité qui ne se voit pas. Pourtant elle est supposée agir et expliquer certains comportements. Or une propriété qui agit en se dissimulant, c’est une perversion, un vice, et tout l’antisémitisme du début du xxe siècle fut dominé par cette caractérisation de la judéité comme vice, sur le modèle de la définition classique de l’homosexualité comme vice. Et d’un vice, on n’est certes pas coupable, mais on est condamné à avoir honte (il n’est pas inutile à propos de ce rapprochement de penser que l’affaire Dreyfus et l’affaire Oscar Wilde eurent lieu dans les mêmes années). Mais justement tout ce jeu du caché et du visible, cette assignation au regard qui pousse à voir des signes partout, peut être créatrice et c’est elle qui explique l’inépuisable fécondité artistique du roman. S’ouvre ainsi un rapport herméneutique au monde, où tout se transforme en une réserve infinie de signes à interpréter. L’enjeu de cette interprétation, pour les personnages de La recherche du temps perdu, n’est plus alors être ou ne pas être mais en être ou pas. Cette question en forme d’alternative traverse toute La recherche, elle colore tout, articulant les enjeux sociaux (être du monde ou pas, et si oui être de la noblesse ou de la bourgeoisie), politiques (être Dreyfusard ou pas, et le fait est qu’il y a contre toute attente des partisans de Dreyfus dans le Faubourg Saint-Germain, ainsi M. et Mme de Guermantes à l’insu l’un de l’autre), sexuels (homosexualité, sadomasochisme). Et le lent décryptage des signes révèle qu’au bout du compte tout le monde « en est ». L’effet est esthétique mais aussi humoristique du fait du décalage entre ce que les uns savent et ce que les autres ne savent pas encore. Ainsi Charlus à la fin d’un repas s’entend dire par M. Verdurin à propos de la prochaine soirée : « Vous en êtes n’est-ce pas Baron ? » [13] et dans un moment de panique que trahit un rictus perçu par le seul narrateur, croit que la question porte sur son homosexualité. Le rire vient ici de l’irruption, de la mise à nu soudaine de la question centrale habituellement cachée par les questions futiles, superficielles, mondaines. Le baron manque de peu de se trahir mais il réalise sa confusion avant que quiconque (sauf Marcel) ait vu quoi que ce soit. Or il est remarquable que Charlus qui cristallise tous ces enjeux, trahir, se trahir…, arrivé au terme de sa déchéance est soupçonné dans les salons de trahison et d’espionnage en faveur de l’Allemagne. Chez les Verdurin cette accusation est comme naturellement indissociable de la révélation de son homosexualité (là encore le lien passe par l’idée d’un vice fondamental). Et les surnoms fusent : « L’inversion du baron n’était pas la seule dénoncée, mais aussi sa prétendue nationalité germanique : Frau Bosch, Frau van den Bosch étaient les surnoms habituels de M. de charlus », ou encore « tante de Francfort » [14]. C’est à son tour d’être le souffre-douleur. Mais lui garde une grandeur dans la chute et s’installe dans l’ambiguïté : un noble comme lui n’est-il pas par le sang plus proche de l’empereur d’Autriche (qui serait son cousin) que d’un roturier français ? Alors où est la vraie fidélité ? C’est l’idée moderne de nation (et donc toutes ses implications : chauvinisme, impérialisme, antisémitisme) qui s’en trouve subvertie. Et cette subversion d’ordre intellectuel s’incarne en une subversion charnelle dans la scène de sadomasochisme avec les soldats (le corps de la nation) en permission. Comme si ce que Charlus voulait s’entendre dire était le « tu n’as pas honte, dis ? » que le maître de cérémonie envoie à son esclave dans ce type de relation. Je voudrais terminer ce rapide examen en notant quelque chose d’extrêmement troublant : Madame Verdurin dans son acharnement contre Charlus ne se contente pas de prononcer son exclusion, ne propose pas de le fusiller pour haute trahison. Elle a sa solution pour les gens de son espèce : « si nous avions un gouvernement plus énergique, tout ça devrait être dans un camp de concentration […] Rien ne m’enlèvera de l’idée que pendant deux ans Charlus n’a pas cessé d’espionner chez moi. » [15] Or cela est écrit au tout début des années 1920. On reste interdit devant la force de pénétration quasi prophétique de Proust, sentant monter dans la société quelque chose qui allait rendre possible quelques années plus tard l’internement, réel cette fois-ci, de tous les Bloch et de tous les Charlus. Pour justifier le rapprochement, qu’il suffise de penser que ce qui caractérise un système totalitaire, c’est justement de pourchasser sans relâche ceux qui « en sont » (et tout le monde est susceptible « d’en être ») et qui devraient en avoir honte. L’internement en camp, qui n’a rien à voir avec la liquidation ou la neutralisation des opposants politiques, a justement pour fonction de produire et d’entretenir cette honte.
15On voit donc avec ce qui précède, que si tout se joue sur fond de honte entre processus de déchiffrement (tension cryptage/décryptage) d’un côté, et processus de trahison (en tension avec la fidélité) de l’autre, le personnage qui incarne par excellence cette situation exceptionnelle c’est l’espion. Le dernier masque de Charlus, on vient de le voir, est celui d’espion. Par ailleurs, l’affaire Dreyfus offrit en pâture à l’opinion un juif accusé d’espionnage, et les choses prirent une tournure extravagante lorsqu’il ne fut plus question de sa culpabilité réelle (son innocence étant avérée) mais du fait qu’étant juif il était traître au moins en puissance de par son origine, qui en faisait un corps irrémédiablement étranger à la nation. Le plus fort était qu’étant lui-même un prototype du parvenu, il reconnut un jour que s’il avait été quelqu’un d’autre il n’aurait pas été dreyfusard : en s’assimilant on assimile aussi le racisme de celui à qui on veut ressembler.
Le « père vague » : l’impossible trahison
16C’est par ce problème de la trahison que je reviens au texte de Kafka. Apparemment il n’y est pas question de cela : il y a juste la honte de l’enfant chétif devant la carrure, la stature de son père, qui d’ailleurs se convertit en fierté devant les autres (« j’étais fier du corps de mon père »). Mais regardons-y de plus près : d’abord cette carrure n’est pas présentée comme un modèle à atteindre, comme un objectif dont l’enfant pourrait se rapprocher avec l’âge, mais comme un fait inaltérable. Voilà un père qui donne la mesure, au lieu de transmettre et d’ouvrir des possibilités d’existence. Ici toute possibilité est barrée : le fils est assigné à sa déficience constitutive, à son impuissance fondamentale, à n’avoir nulle place dans le monde (la plage étant ici le monde). Il ne parvient pas à faire corps avec son élément comme le montrent les gestes mécaniques et pathétiques de la natation. L’eau telle que son père la lui présente n’est pas un champ de possibles où il pourrait se réaliser, mais le lieu de mise en œuvre de gestes conventionnels, de simagrées. Ce qui lui est transmis ainsi, c’est donc une sorte d’impuissance a priori, d’incapacité à trouver sa place, d’où la gêne, la honte. Cette impuissance héritée, il ne faut pas l’accepter, il ne faut pas la reconduire, mais l’attaquer à la racine et pour cela il faut transformer le désespoir et l’accablement en accusation : la faute est chez le père. Il y a là quelque chose de particulier : le père qu’il faut affronter soit pour se réconcilier avec lui, soit pour rompre définitivement, n’est pas le père innocent d’Œdipe, c’est en fait un père qui n’est pas au clair avec le judaïsme, qui fait partie de cette génération intermédiaire et suspendue ayant quitté le ghetto mais ne s’étant pas encore tout à fait identifiée au citadin germanique. La faute n’est pas dans le processus ou le désir d’assimilation mais dans une espèce d’indécision frileuse qui caractérise ce que Marthe Robert a appelé le père vague, et qui fut le lot de gens comme Kafka, Freud, en fait tous les intellectuels juifs de l’époque. Des pères qui n’ont pas le courage, l’énergie, même l’idée de rompre vraiment, qui évitent mollement la trahison. Ils continuent d’aller à la synagogue et d’accomplir les gestes rituels mais de manière mécanique, comme un reste dont une vague crainte superstitieuse les empêche de se défaire. « Que m’as-tu transmis en fait de judaïsme ? » [16] Voilà la question accusatrice de Kafka dans cette lettre. Et il expose les étapes de sa prise de conscience. D’abord l’enfant à qui l’on reproche « de ne pas aller assez souvent à la synagogue, de ne pas jeûner etc. » [17], et qui se retrouve accablé de faire, par là même, tort à son père. Puis l’adolescent réalise que tous ces gestes et ces habitudes, aussi bien à la maison qu’au temple, ne sont qu’une mascarade. Alors il rêvasse et cherche des diversions. C’est l’époque de l’ennui, des fous rires et de l’incompréhension : « Je ne comprenais pas que toi, avec le fantôme de judaïsme dont tu disposais, tu pusses me reprocher de ne pas faire d’efforts pour développer quelque chose d’aussi fantomatique » [18]. Dès lors la seule solution semble la rupture : « Je ne voyais pas ce qu’on pouvait faire de mieux avec un pareil matériel que de s’en libérer au plus vite. » [19] Mais cette libération, il ne sera pas donné au jeune homme de la vivre, car survient la dernière étape de son chemin de conscience, la compréhension malheureuse : si le père croit que le fils le trahit avec méchanceté, c’est parce qu’il a effectivement rapporté un peu de judaïsme de « cette sorte de ghetto rural dont [il] était issu » [20], et qu’il s’identifie à ce reste. Mais justement, d’un côté ce reste, « c’était trop peu pour être transmis, ton judaïsme s’épuisait complètement tandis que tu le remettais entre mes mains » [21] ; et d’un autre côté comme le père au fond ne croit pas lui-même à sa valeur, il ne peut vouloir l’inculquer que par la persuasion ou la menace. Avec un tel judaïsme, il serait puéril de vou-loir rompre puisqu’il est déjà mort. Mais il est pour la même raison impossible se reconnaître et de se retrouver en lui. Suspension donc puisque la rupture et le rapprochement sont également impossibles. Cette suspension qui atteint l’existence à sa racine et en étouffe les possibilités, produit des individus privés de sol, ballottés, incapables d’inscrire leur existence dans une histoire. Mais, à travers elle, il leur est donné de sentir de manière privilégiée ce qu’il y a d’universel dans ce déracinement lié à la modernité, mais aussi peut-être à la condition humaine en général. Le sentiment d’être étranger au monde. Ce malaise, cette gêne, ce sentiment d’être déplacé peut certes générer les attitudes de repli ou de fuite évoquées, mais il est aussi le moteur d’une autre manière de sortir de soi : faire une sorte d’appel à témoin par l’écriture, par la narration.
Maintenir la honte
17On voit donc que la honte n’a pas pour seul effet de ravager et de détruire les individus, et qu’elle est à l’origine d’œuvres majeures comme celles de Kafka et de Proust. Et que dire de Césaire ? Tout le Cahier d’un retour au pays natal peut-être lu sous cet angle : L’écriture comme victoire non pas sur la honte mais sur ses effets dégradants. La condition de paria, exclu du monde, interdit de lumière, comme point de départ : « L’affreuse inanité de notre raison d’être » ; « Dans cette ville inerte, cette foule désolée sous le soleil, ne participant à rien de ce qui s’exprime, s’affirme, se libère au grand jour de cette terre sienne ». Mais aussi la suffisance, un instant éprouvée, du parvenu, de celui qui s’en est sorti, de l’exception. C’est l’épisode du tramway : « Il faut savoir jusqu’où je poussai la lâcheté […] C’était un nègre […] un nègre comique et laid et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant […] J’arborai un grand sourire complice… Ma lâcheté retrouvée. » [22] Mais justement c’est la honte, la honte d’avoir souri, qui brise ce destin possible de parvenu. Pour ce sourire « je réclame pour ma face la louange éclatante du crachat ». C’est parce que la honte a en quelque sorte sauvé son âme qu’il peut désormais éviter l’infamie de la fuite (celle du paria ou celle du parvenu). Tel est le sens du « j’accepte… j’accepte… entièrement, sans réserve » qui se répète et s’impose à la fin du texte. Voilà une illustration magistrale de ce qui pour Bernard Lazare est la seule attitude acceptable dans ce cas : celle du « paria conscient ». Et, bien entendu, cela doit nous rendre attentifs à la nécessaire distinction entre assimilation et démarche de parvenu. Dès qu’il y a culture il y a assimilation, sinon c’est le folklore qui, à vouloir barrer la question de la honte, prend souvent le chemin du ridicule.
Notes
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[1]
Cité par G. Deleuze et F. Guattari dans Qu’est-ce que la philosophie ? Paris, Les Éditions de Minuit, 1991, p. 102.
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[2]
P. Levi, Les Naufragés et les Rescapés, trad. A. Maugé, Paris, Gallimard, 1989. Voir en particulier le chapitre « La Honte ».
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[3]
G. Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz, Paris, Seuil, 1999, p. 113-114.
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[4]
E. Lévinas, De l’évasion, Montpellier, Fata Morgana, 1982.
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[5]
G. Deleuze, F. Guattari, Op. cit., p. 103.
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[6]
M. L. E. Moreau de Saint-Méry, Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie francaise de l’isle de Saint-Domingue, Philadelphie, 1797.
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[7]
F. Kafka, Lettre au père, trad. M. Robert, Paris, Gallimard, 1995, p. 29.
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[8]
Le fumier de Job, Éditions Circé, Paris 1996, Circé/poche, p. 91.
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[9]
E. Levinas, en découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1998.
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[10]
Dans La tradition cachée, Paris, Bourgois éditeur, 1997, p. 57-76.
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[11]
Ibid.
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[12]
M. Proust, Le côté de Guermantes, Garnier-Flammarion, 1986.
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[13]
M. Proust, Sodome et Gomorrhe, Paris, Garnier-Flammarion, 1986.
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[14]
M. Proust, le temps retrouvé, Paris, Garnier-Flammarion, 1986, p. 101.
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[15]
Ibid., p. 98.
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[16]
Op. cit., p. 95.
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[17]
Ibid., p. 96.
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[18]
Ibid.
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[19]
Ibid., p. 101.
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[20]
Ibid.
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[21]
Ibid.
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[22]
A. Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, 1983, p. 40-41.