Notes
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[1]
Même si ces règles varient en fonction des conventions internationales signées, il y a toujours des règles plus ou moins enfreintes mais des règles.
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[2]
Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement Social 2007/1 (n° 218), p. 64. Cet article est l’étude historique la plus complète sur l’état d’urgence. On regardera aussi dans Vacarme, l’article important de Marius Loris « Voter l’état d’urgence, c’est légaliser l’arbitraire », 21 novembre 2015, http://www.vacarme.org/article2823.html.
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[3]
Giorgio Agamben, Homo Sacer, Homo Sacer : le pouvoir souverain et la vie nue, Le Seuil, Paris, 1998.
-
[4]
Saint-Just 26 germinal an II, in Œuvres complètes, présentées par Miguel Abensour et Anne Kupiec, Paris, Gallimard, 2004, p. 750.
-
[5]
Le conflit des facultés, cité dans Philonenko, la théorie kantienne de l’histoire, Paris Vrin, 1986, p. 45.
-
[6]
Walter Benjamin, « Critique de la violence » in Walter Benjamin, Œuvres complètes, trad. de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000, t.1, pp. 210-244.
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[7]
Fragment d’institutions républicaines, 8. in Œuvres complètes, présentées par Miguel Abensour et Anne Kupiec, Paris, Gallimard, 2004.
-
[8]
Sur la mort de Rémi Fraisse et la fin de notre démocratie, je renvoie à mon article paru dans Vacarme. http://www.vacarme.org/article2712.html
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[9]
Robespierre, 18 décembre 1791, Œuvres complètes, tome VIII, p. 48
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[10]
Robespierre, idem p. 49.
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[11]
Fragments d’institutions républicaines, Œuvres complètes, op. cit., p. 1090.
1L’état d’urgence n’est ni la paix qui suppose la libre circulation des personnes et le respect de toute une série de libertés publiques telles que manifester, s’attrouper, avoir son domicile inviolable, etc., ni la guerre qui suppose de parler d’état de siège et de reconnaître des combattants avec des règles établies de longue date ...
2L’état d’urgence provient d’une loi votée le 3 avril 1955, préparée sous le gouvernement de Pierre Mendès France, et votée sous le suivant, dirigé par Edgar Faure. Cet « état » a été en vigueur trois fois durant la guerre d’Algérie : en 1955, en 1958 au moment de la crise de la IVe République, et en 1961 durant le putsch des généraux. Dès sa préparation, les termes « d’état d’urgence » plutôt que d’« état de siège » sont choisis, afin de taire l’existence de la guerre d’Algérie, de nier le statut de combattants aux nationalistes algériens et de déplacer le territoire de la guerre vers celui de la police et du maintien de l’ordre public.
3L’état d’urgence n’est donc ni la paix qui suppose la libre circulation des personnes et le respect de toute une série de libertés publiques telles que manifester, s’attrouper, avoir son domicile inviolable, etc., ni la guerre qui suppose de parler d’état de siège et de reconnaître des combattants avec des règles établies de longue date [1] quant à leur traitement.
4Or cette loi donne tout pouvoir en fait à l’exécutif et permet au préfet « d’instaurer un couvre-feu, de réglementer la circulation et le séjour dans certaines zones géographiques, de prononcer des interdictions de séjour et des assignations à résidence contre des individus. Il autorise aussi la fermeture de lieux publics, tels que des salles de spectacle, des cafés ou des salles de réunion, l’interdiction de réunions ou rassemblements, la confiscation des armes détenues par des particuliers, le contrôle de la presse, des publications, des émissions de radio ou encore des projections de cinéma et des représentations théâtrales [2]. »
5En 1984, l’état d’urgence fut décrété en Nouvelle-Calédonie pour combattre la lutte des indépendantistes kanaks. En 2005, l’état d’urgence a été prononcé dans le cadre des émeutes des banlieues, se traduisant par l’instauration d’un couvre-feu dans certaines communes, l’arrestation de 3000 personnes et plus de 500 détentions.
6L’état d’urgence est-il alors un état de siège sans le nom car la guerre est d’un autre type ? De quel type ? Est-ce une guerre civile ? Ou est-ce, ce qui est plus complexe, la guerre faite à un peuple par ses gouvernants ? Cette guerre-là que fait-elle disparaître ? Je voudrais montrer qu’elle fait disparaître le pacte démocratique de la représentation. Celui où il s’agit de remettre ses pouvoirs à des représentants qui, en échange, vous garantissent la liberté, la paix et la sûreté. Ce qui se perd c’est la possibilité même de considérer que les libertés publiques sont garanties par le droit et par la résistance à l’oppression quand le droit n’est plus respecté.
7L’état d’urgence c’est l’affirmation d’un droit qui fabrique un hors-le-droit, un espace dénué de garanties, ce que Giorgio Agamben [3] appelle espace sacré où sont capturés des corps sacrés, capture légitimée par un pseudo-droit de circonstances.
8Cela a-t-il une quelconque ressemblance avec la période dite de la Terreur, pendant la Révolution française ? Oui, il y a des éléments de ressemblance. D’abord parce que la période de la Terreur est théorisée comme état d’exception, le gouvernement révolutionnaire est pensé comme celui de la guerre de la tyrannie contre la liberté. Quand la liberté sera affermie, le gouvernement redeviendra constitutionnel. Les règles de droit ordinaires sont en partie suspendues au profit de règles qui ne sont plus si facilement contrôlables. Les visites domiciliaires sont instituées dès 1792 pour rechercher des armes et des suspects, l’inviolabilité du domicile est donc suspendue par décision non des juges mais le plus souvent de la municipalité ou des sections, voire de l’assemblée, et oui cela contrarie le droit ordinaire. Le système de fichage avec des cartes de sûreté produit une distinction de traitement entre citoyens. Et la police du temps certainement n’était pas recommandable car Saint-Just déplore, dans le rapport du 26 germinal an II, qu’on ait pu prendre le métier de policier pour un métier de sbire. « La police a reposé sur de faux principes : on a cru qu’elle était un métier de sbire : non point ; rien n’est plus loin de la sévérité que la rudesse ; rien n’est plus près de la frayeur que la colère, la police a marché entre ces deux écueils. » [4]
9Il y a donc bien des gestes inquiétants et contraires au droit ordinaire ou commun qui sont effectifs pendant cette période de la Terreur, et pourtant cela n’est pas vraiment analogue avec l’état d’urgence. Car l’esprit des gestes et de la loi n’est pas le même, et des gestes insupportables quoi qu’il en soit n’ont pas le même sens.
10Alors quel sens ont-ils ? La Terreur, déclare Robespierre, n’est autre chose que la « justice prompte, sévère, inflexible ». Cette justice est explicitée comme garantie démocratique. Là où l’état d’urgence fait vaciller les principes démocratiques, qui ne sont pas seulement dans les gestes et les formes de jeu social et politique, mais bien dans leur visée, les lois de terreur tentent de ne pas tuer dans l’œuf cette démocratie. C’est pourquoi il vaut la peine de déjouer l’analogie. Un état d’exception peut avoir une visée démocratique ou servir au contraire à détruire la démocratie.
La visée démocratique des lois de terreur
11Comment défendre la terreur, est-ce défendable ? Disons d’emblée que oui, même si, comme le dit Kant, nul sans doute « ne se résoudrait jamais néanmoins à tenter l’expérience à ce prix. » Mais, dit-il, peu importe. « Peu importe si la révolution d’un peuple plein d’esprit, que nous avons vu s’effectuer de nos jours, réussit ou échoue, peu importe si elle accumule misères et atrocités au point qu’un homme sensé qui la referait avec l’espoir de la mener à bien ne se résoudrait jamais néanmoins à tenter l’expérience à ce prix, cette révolution trouve – dis-je quand même dans l’esprit de tous les spectateurs (qui ne sont pas engagés dans ce jeu) – une sympathie d’aspiration qui frise le véritable enthousiasme et dont la manifestation même comporte un danger ; cette sympathie par conséquent ne peut avoir d’autre cause qu’une disposition morale du genre humain. » [5]
12Foucault reprendra cette position à son compte quand il réfléchira en 1983 sur les Lumières. Voilà, il y a d’une part des situations d’exception souveraines qui témoignent d’une disposition morale et d’autre part un archaïsme de l’arbitraire princier qui ne vise la domination que pour son bon plaisir et non en vue de la justice. C’est également ce que dit Walter Benjamin quand il distingue une violence archaïque qui détruit toute convention de vie commune et une violence souveraine et divine fondatrice de droit. [6] D’un côté ce qu’il appelle la cruauté du prince arbitraire et archaïque, de l’autre la violence fondatrice.
13Or les révolutionnaires français n’ont jamais cessé de s’inquiéter de ce partage difficile et des effets d’une violence arbitraire agie au nom de la fondation démocratique qui vient détruire sa possibilité à venir.
14Saint-Just en particulier explicite le partage entre une police en vue de la liberté et une police en vue de la tyrannie.
« Il n’est point de gouvernement qui puisse maintenir les droits des citoyens sans une police sévère, mais la différence d’un régime libre à un régime tyrannique est que dans le premier, la police est exercée sur une minorité, opposée au bien général, et sur les abus et négligences de l’autorité, au lieu que dans le second, la police de l’état s’exerce contre les malheureux, livrés à l’injustice et à l’impunité du pouvoir.
Dans les monarchies, tous les hommes puissants sont libres, et le peuple est esclave ; dans une république, le peuple est libre, et les hommes revêtus du pouvoir, sans être assujettis, sont soumis à des règles, à des devoirs et à une modestie très rigoureuse. »
16Au-delà même de la dénonciation de la dissymétrie de traitement en situation tyrannique des faibles et des puissants, il faut souligner que pour les révolutionnaires, le danger en démocratie de la voir bafouer vient toujours des puissants, c’est-à-dire de ceux qui sont revêtus de l’autorité ou qui disposent de plus de moyens pour agir, pour persuader le commun des mortels, qui de ce fait est réduit au silence. Or le propre de la démocratie défendue est d’être délibérative. Si les puissants, d’une manière ou d’une autre, font disparaître la délibération, alors il n’y a plus de démocratie. « Malheur à ceux qui vivent dans un temps où l’on persuade par la finesse de l’esprit, et où l’homme ingénu, au milieu des factions déliées, est trouvé criminel parce qu’il ne peut comprendre le crime. Alors toute délibération cesse, parce que dans son résultat on ne trouve plus et celui qui avait raison et celui qui était dans l’erreur, mais celui qui était le plus insolent et celui qui était le plus timide. Toute délibération cessant sur l’intérêt public, les volontés sont substituées au droit, voilà la tyrannie. » [7]
17La volonté substituée au droit signe en fait la fin de la démocratie protégée par le droit, et sans cette protection, il y a alors impossibilité de maintenir ce que Saint-Just appelle la confiance civile. Or sans cette confiance, les hommes se fuient et ne peuvent plus penser qu’ils sont libres parce qu’ils font lien, ils finissent par croire que les autres sont toujours des obstacles à leur liberté ou des dangers. Alors règne cette guerre de tous contre tous, ou guerre civile généralisée, guerre civile en guérilla du quotidien, sans front et avec des armes sournoises, le déguisement, la falsification du langage et de la valeur. Là commence le règne d’une perversion généralisée des rapports démocratiques.
18Or la terreur lutte contre les acteurs qui veulent et agissent cette perversion des rapports démocratiques et de l’action révolutionnaire, qui est aussi une perversion de la sensibilité démocratique qui suppose un citoyen vif, aux aguets et sensible. Au printemps de l’an II, sans doute chacun comprend comment l’arme fatale consiste à dissoudre en fait la sensibilité des hommes, leur capacité à s’indigner, se révolter, à résister. Même l’homme révolutionnaire peut être dénaturé, avili par des processus et des mécanismes réfléchis qu’il s’agit donc de comprendre. Rendre les citoyens apathiques, indifférents, fatigués ce serait vraiment avoir tué la cité. Le « crime » et la « perversité » dans le vocabulaire de l’an II pourraient alors prospérer sans entraves.
19A contrario de la terreur, l’état d’urgence fabrique l’impossible démocratie et finalement ne fait que parachever sa mise en difficulté, voire sa mise à mort, incarnée par celle de Rémi Fraisse à Sivens [8] en 2014.
L’état d’urgence contre la démocratie et la confiance civile
20C’est désormais avéré. L’état d’urgence a servi davantage à contraindre les militants écologistes qui voulaient peser sur les délibérations de la COP 21, à produire une discrimination au faciès et à l’origine populaire et étrangère qu’à arrêter des terroristes.
21Et c’est là que l’état d’urgence comme état de siège mal nommé, montre son visage, il ne vise pas à produire une sécurisation de temps de guerre mais prend prétexte du terrorisme comme forme nouvelle de guerre, pour contraindre drastiquement l’espace public démocratique. Le rendre suspect sans avouer son but. Là encore l’écart est fort avec la période révolutionnaire, qui s’est toujours méfiée du pouvoir exécutif et a refusé au plein cœur de la Terreur qu’il puisse s’autonomiser du pouvoir législatif, méfiée de la confusion entre pouvoir civil et pouvoir militaire.
22Robespierre pensait ainsi qu’il fallait se défier du pouvoir exécutif et plus particulièrement en temps de guerre. Dans le débat sur la guerre qui se déroule de l’automne 1791 au printemps 1792, il affirmait que « c’est pendant la guerre que le pouvoir exécutif déploie la plus redoutable énergie, et qu’il exerce une espèce de dictature qui ne peut qu’effrayer la liberté naissante. […] C’est pour la guerre qu’ont été combinées par les nobles et les officiers militaires les dispositions trop peu connues de ce code qui, dès que la France est censée être en état de guerre, livre la police de nos villes frontières aux commandants militaires et fait taire devant eux les lois qui protègent les droits des citoyens. » [9] Robespierre affirme ainsi que toute nation en guerre est à la merci de l’exécutif. La nécessité faisant loi, les contrôles des pouvoirs n’existent plus et les rapports de pouvoir qui articulent le pouvoir législatif au pouvoir exécutif sont fondamentalement transformés. C’est pourquoi la situation de guerre s’apparente ainsi à une situation d’exception. « C’est pendant la guerre que la loi investit les commandants militaires du pouvoir de punir arbitrairement les soldats. […] Dans les temps de troubles, les chefs des armées deviennent les arbitres du sort de leur pays et font pencher la balance en faveur du parti qu’ils ont embrassé. Si ce sont des Césars ou des Cromwells, ils s’emparent eux-mêmes de l’autorité. » [10] Robespierre appelle alors à inventer l’art de se défier de l’exécutif qui peut tuer la liberté naissante mais aussi la liberté expirante. La liberté fragile.
23La défiance est alors un refus de se soumettre, le refus de devenir esclave du pouvoir exécutif, le refus de subordonner la liberté au pouvoir exécutif. Cette question de la défiance engage ainsi le mode sensible du contrôle de séparation des pouvoirs et de non-subordination du pouvoir législatif au pouvoir exécutif. Ce que la guerre, l’état de siège comme l’état d’urgence produisent, c’est l’impossibilité de maintenir ce rapport libre au gouvernement, de maintenir la décision comme construction complexe d’un accord entre ces deux instances de pouvoir, entre ces instances et le pays. Nous y sommes. Mais d’une manière justement perverse. D’un côté les terroristes sont exécutés sans procès comme en temps de guerre quand ils sont « pris », mais de l’autre on se refuse à reconnaître la notion d’état de siège qui mobiliserait l’armée. Enfin, on ne distingue plus les corps de police et de gendarmerie, c’est-à-dire ceux qui relèvent du ministère de l’intérieur et ceux qui relèvent du ministère de la défense et donc de l’armée.
24La confusion règne au nom de notre protection, mais au lieu d’échanger notre pouvoir et de pouvoir continuer d’être le souverain peuple, on nous demande désormais une confiance aveugle, une soumission effective très éloignée de ce qui fait de nous des citoyens : un droit de regard, de dispute et même de résistance à l’oppression quand le gouvernement viole les droits du peuple. Ce qui est demandé à chaque citoyen ce n’est plus la vigilance, mais l’apathie.
25Pouvons-nous alors parler de guerre civile ? Plutôt d’une guerre faite par le gouvernement à ses citoyens en prolongeant indéfiniment cet état d’urgence et sa possibilité discrétionnaire de juguler tout mouvement social, politique, syndical, voire culturel sous prétexte de protection des corps face au terrorisme.
26Plus les discriminations sont vécues, plus la confiance civile se fait rare, chacun s’isole de fait, dans son univers familial ou professionnel. Et se tait. Pire, finit par confondre démocratie et république autoritaire, puis par considérer que ce n’est pas la démocratie qui est manquante mais l’autorité.
27C’est alors qu’il faut remailler les liens défaits par la loi qui jusque-là était censée les garantir et s’emparer à nouveau de son métier de citoyen.
28C’est ce que le Conseil d’urgence citoyenne a appelé à faire dans l’alarme de novembre 2015 dans les termes de ce manifeste.
« Manifeste – Création du Conseil d’urgence citoyenne
En ces temps d’effroi face aux attentats et de péril pour la République du fait des réponses qui leur ont été données, nous citoyens voulons réaffirmer la force des principes et l’authenticité des valeurs d’un peuple républicain.
Notre gouvernement fait de l’état d’urgence et de la menace de déchéance de nationalité pour les binationaux les seules réponses à notre situation historique et souhaite en faire des droits constitutionnels.
Loin de déboucher sur une protection accrue des populations, le déploiement de l’état d’urgence a conduit sans délai et conduira à une confiscation des libertés publiques politiques par :La menace de la déchéance de la nationalité française pour les binationaux est une disposition inacceptable devant le principe d’égalité des droits, rappelant l’abjection que fut le régime de Vichy dans la mémoire collective française, et faisant rejouer la perte de nationalité sur le territoire métropolitain des Français d’origine algérienne de confession musulmane, en juillet 1962.
- L’absence de contrôle du pouvoir exécutif dans l’exercice de ses fonctions ;
- L’absence du juge dans les procédures de perquisitions et assignations à résidence qui fabrique un pouvoir préfectoral abusif et arbitraire ;
- La restriction des multiples droits politiques par intérêt et cynisme.
On peut et on doit combattre le terrorisme efficacement en respectant les droits fondamentaux.
Nous sommes conscients de la gravité des périls qui nous menacent, ce qui implique d’en traiter les causes et non seulement les effets.
Partout où l’état de droit et l’état régulateur des inégalités disparaissent, quartiers de grande relégation et prisons, le crime organisé s’installe. Or aujourd’hui c’est sur ce terreau que l’embrigadement mortifère se propage et non sur le terreau religieux qui vient souvent seulement le recouvrir.
La compréhension de ces mécanismes sociaux doit conduire à un ciblage extrême des mesures de surveillance ou assignations et non pas à leur généralisation, synonyme de propagation de ce qu’on prétend maîtriser.
La République française doit retrouver la voie de la souveraineté démocratique et la maîtrise de ses choix économiques en luttant contre toutes les formes actuelles de corruption à l’origine aussi du déploiement du terrorisme.
Le choix du tout répressif et de la surveillance généralisée transforme l’état de droit en état policier sans aucun résultat probant, sacrifiant sur l’autel d’une sécurité fantasmée, la maîtrise démocratique consubstantielle à notre identité Républicaine.
La République française doit retrouver le discours de l’égalité et une parole publique respectueuse des différences, sans que la stigmatisation des populations musulmanes serve de paravent à l’inefficacité des mesures de sécurité.
La République française doit retrouver le chemin de la fraternité qu’elle a abandonné au profit des logiques d’exclusion.
Pour toutes ces raisons, nous affirmons notre désaccord et notre résistance aux politiques de l’urgence qui sont des politiques de la peur, et qui si nous n’y prenons garde, deviendront permanentes.
Non, l’État de droit n’est pas soluble dans l’urgence policière !
Passons à l’action !
Seuls six membres du Parlement ont voté contre la prolongation de l’état d’urgence. La tentation autoritaire sécuritaire est bien là. Face à cela de nombreuses initiatives ont été prises pour s’opposer à cette dérive: tribunes, pétitions et meetings se multiplient. Nous nous en félicitons mais il ne suffit plus de témoigner de notre désaccord. Il faut relier l’ensemble des acteurs qui font preuve de lucidité politique et qui sont attachés à construire une alternative en France et en Europe, et agir.
Nous invitons tous les citoyens à se constituer en Conseil de vigilance citoyenne c’est-à-dire :
À constituer des comités locaux, soit sur des assises associatives et civiles existantes, soit ex nihilo et à en faire des lieux de débats qui viseront à :Faisons de ce désastre républicain une chance pour refonder ensemble notre conception du droit, de la justice et de la démocratie. »
- Nous opposer au nom de l’état de droit nécessaire en démocratie, au projet de réforme constitutionnelle relatif à l’état d’urgence et à la déchéance de nationalité ;
- Mettre en œuvre toutes les parades possibles au terrorisme qu’elles soient éducatives, sociales et judiciaires sans nous plier à des réflexes du type du patriot act qui a montré son inefficacité ;
- Nous mobiliser pour renforcer l’indépendance et les prérogatives de notre système judiciaire ;
- Démocratiser nos institutions en mettant le citoyen au cœur de la prise de décision politique ;
- À consigner ces travaux dans des cahiers de vigilance et de propositions ;
- À organiser pour chaque comité une délégation afin de participer à une Convention nationale qui exprimera la voix de l’intelligence démocratique face à notre situation historique. Elle aura pour mission de présenter une série de propositions de lois.
30Or force est de constater que ceux qui ont appelé à cet effort, sont restés plus que minoritaires. Certes, nous avons gagné sur deux points : l’état d’urgence n’est pas constitutionalisé et la déchéance de nationalité et la rupture d’équité juridique qu’elle entraînait n’a pas été acceptée, certes il y a eu « Nuit debout ». Mais sans se voiler la face, c’est bien l’apathie qui désormais domine. Soit le feu couve et peut être demain le feu, soit il est déjà bien éteint et demain l’hiver vient. Mais n’est-ce pas déjà demain? Un état d’exception rendu permanent et sans visée démocratique, c’est l’hiver.
« C’est une terre de désolation que celle où le peuple est exclusivement gouverné, et se trouve sans garantie contre un gouvernement négatif. » [11]
Notes
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[1]
Même si ces règles varient en fonction des conventions internationales signées, il y a toujours des règles plus ou moins enfreintes mais des règles.
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[2]
Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement Social 2007/1 (n° 218), p. 64. Cet article est l’étude historique la plus complète sur l’état d’urgence. On regardera aussi dans Vacarme, l’article important de Marius Loris « Voter l’état d’urgence, c’est légaliser l’arbitraire », 21 novembre 2015, http://www.vacarme.org/article2823.html.
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[3]
Giorgio Agamben, Homo Sacer, Homo Sacer : le pouvoir souverain et la vie nue, Le Seuil, Paris, 1998.
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[4]
Saint-Just 26 germinal an II, in Œuvres complètes, présentées par Miguel Abensour et Anne Kupiec, Paris, Gallimard, 2004, p. 750.
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[5]
Le conflit des facultés, cité dans Philonenko, la théorie kantienne de l’histoire, Paris Vrin, 1986, p. 45.
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[6]
Walter Benjamin, « Critique de la violence » in Walter Benjamin, Œuvres complètes, trad. de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000, t.1, pp. 210-244.
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[7]
Fragment d’institutions républicaines, 8. in Œuvres complètes, présentées par Miguel Abensour et Anne Kupiec, Paris, Gallimard, 2004.
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[8]
Sur la mort de Rémi Fraisse et la fin de notre démocratie, je renvoie à mon article paru dans Vacarme. http://www.vacarme.org/article2712.html
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[9]
Robespierre, 18 décembre 1791, Œuvres complètes, tome VIII, p. 48
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[10]
Robespierre, idem p. 49.
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[11]
Fragments d’institutions républicaines, Œuvres complètes, op. cit., p. 1090.