Couverture de SDES_013

Article de revue

Arctic Monkeys, AM (Domino Records/Sony, 2013)

Pages 155 à 157

1Qu’est-ce qui rend un groupe de rock d’aujourd’hui indispensable ? Peut-être quand celui-ci se concentre sur ce qui lui est propre. Ainsi, le jeune Alex Turner et ses Arctic Monkeys ont su allier écriture poétique d’amoureux de littérature, rock non dénué de gras, soul music et goût immodéré pour le hip-hop et le Rn’B. Tout ce qu’ils ont toujours aimé et fait leur, en somme...

2Alex Turner, le chanteur et principal compositeur d’Arctic Monkeys, vient de fêter ses vingt-sept ans et ce jeune homme a déjà la bagatelle de sept albums derrière lui. Le premier de ceux-ci, Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not (« Quoi que les gens disent de moi, c’est ce que je ne suis pas », citation d’un roman d’Alan Silletoe), est sorti en 2006. Il l’avait enregistré avec trois potes de Sheffield, sa provinciale ville natale de Yorkshire, sous le nom un peu ridicule d’Arctic Monkeys (les singes arctiques). Ces jeunes singes avaient fait le buzz l’année précédente outre-Manche avec un morceau posté sur le site communautaire Myspace (mis en ligne par un fan et non pas par le groupe lui-même). « I Bet You Look Good On The Dancefloor » est le premier N° 1 des charts britanniques de l’ère internet (et peut-être le dernier aussi, ce genre de miracle n’arrivant déjà plus !). Outre un rock nerveux clairement influencé par les Strokes et les Libertines, on est frappé par la voix déjà très personnelle d’Alex Turner, par la qualité instrumentale de ses comparses (en particulier du batteur Matt Helders). Mais surtout, Alex Turner se révèle être un vrai parolier qui aime les mots et sait les interpréter. Les chansons de ce disque évoquent la vie provinciale de ses copains de Sheffield, leurs galères, leurs amours, avec une précision saisissante. À ce titre, Alex Turner écrit comme un rappeur, un vrai chroniqueur social. Le succès est bien sûr énorme.

3Huit ans plus tard, Arctic Monkeys est devenu l’un des groupes majeurs de la pop mondiale sans pour autant avoir versé dans le rock taillé pour les stades ni dans l’auto-parodie, ce qui serait tragique ayant à peine vingt-sept ans. Les jeunes gens ont grandi, se sont frottés au rock américain lors d’un troisième album risqué, Humbug, en 2009, produit dans le désert californien par celui qui deviendra leur mentor, Josh Homme des Queens of the Stone Age, qui a su mettre un peu de plomb dans leurs guitares et leur a permis d’oser des compositions plus étranges. Bien sûr, ils ont quitté Sheffield pour Los Angeles et sont devenus des hommes. Alex Turner s’est mesuré symboliquement aux plus grands songwriters, comme Scott Walker (pour le joli side project monté avec son pote Miles Kane, The Last Shadow Puppets, tout en arrangements cinématographiques et mélodies crève-cœur), David Bowie ou Morrissey (dans leur classique quatrième album Suck It And See en 2011).

4En 2013, armé d’un furieux look post-rockabilly, il dégaine avec Arctic Monkeys AM (hommage au « VU » du Velvet Underground, nouvelle et majeure obsession). Ce qu’il y a de prodigieux, c’est que ce disque est non seulement le meilleur disque de rock sorti en 2013 (voire depuis quelques années), qu’il est l’œuvre d’un groupe en pleine possession de ses moyens, et qu’on sent malgré tout qu’il n’est pas encore à son apogée, que la marge de progression est encore très large ! Alors certes, le quatuor sait composer et Alex Turner sait écrire. Mais qui aurait imaginé ce novateur pop rock où transparaît une grosse influence rap et Rn’B ? Non pas sous la forme d’un rock où l’on plaque un phrasé rap totalement laid et indigeste (malheureusement, ça a déjà été fait, par des lourdauds américains comme Kid Rock ou Limp Bizkit pour un résultat tout bonnement atroce). Non, l’influence hip-hop se sent ici dans les gimmicks de guitare secs et mélodiques, dans la rythmique d’une précision et d’un groove diaboliques, d’omniprésents chœurs en falsetto qui sonnent vrai. Écoutez « One For The Road » ou « Why’d You Call Me When You’re High » et vous comprendrez de quoi je parle. « Arabella », ode amoureuse au rythme hip-hop et aux riffs de guitare qu’on jurerait sortis d’un morceau de Black Sabbath, semble mêler en une seule chanson toutes les influences du groupe, et c’est parfaitement cohérent. Le single « Do I Wanna Know ? » est une vraie tuerie groovy dotée d’un refrain énorme. Mais AMcomporte aussi de merveilleuses ballades, comme le slow soul à l’ancienne « N° 1 Party Anthem » où Turner croone avec conviction, évoquant John Lennon, ou la sublime « Mad Sounds » qui fait se percuter le Lou Reed de « Transformer » avec la soul music la plus émouvante. « I Wanna Be Yours » qui clôt l’album en douceur met en musique un texte du poète punk de Manchester John Cooper Clarke. Les textes attaquent cette fois la sphère de l’intime, des brouillages de communication, de maladresses amoureuses avec véracité et poésie. Notons aussi que ce chef-d’œuvre ne comporte ni gras, ni moments dispensables, ni vaine virtuosité. Douze morceaux en à peine 42 minutes suffisent à asseoir AM au panthéon des très grands disques de pop. La suite sera palpitante !

5Si la chanson "Mad Sounds" sonne comme une chute de "Transformers", Artic Monkeys rendent hommage à Lou Reed, récemment décédé, en reprenant "Walk on he wild side.

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