Couverture de SC_014

Article de revue

La folie à Hollywood : Mankiewicz, Forman, Scorsese

Pages 64 à 75

Notes

  • [*]
    Éric Le Toullec, psychanalyste, psychiatre, Toulouse.
  • [1]
    S. Freud, « Observations sur l’amour de transfert » (1915), dans La technique psychanalytique, Paris, puf, 1953, p. 130.
  • [2]
    Collectif sous la direction d’A. De Baeque, Théories du cinéma, vol. VII, Paris, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma /Éd. des Cahiers du Cinéma, 2001.
  • [3]
    R. Brody, Jean-Luc Godard, tout est cinéma, trad. J.-C. Provost, Paris, Presses de la Cité, 2010, p. 19.
  • [4]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVI (1968-1969), D’un Autre à l’autre, Paris, Le Seuil, 2006, p. 190 ; Le Séminaire, Livre XVIII (1970-1971), D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Le Seuil, 2007, p. 133-134.
  • [5]
    P. Brion, Joseph L. Mankiewicz, Paris, Éd. de La Martinière, 2005, p. 569-575.
  • [6]
    Dans son séminaire sur le transfert, Lacan critique le film de Mankiewicz comme ceux de Hitchcock sur le même sujet, en dénonçant l’usage stéréotypé au cinéma de la beauté du psychanalyste. Il y repère une méconnaissance de la question du transfert perçue de manière insistante et exclusive dans sa dimension de prestige et de captation imaginaire. J. Lacan, Le Séminaire, Livre VIII (1960-1961), Le transfert, Paris, Le Seuil, 1991, p. 23.
  • [7]
    « L’idéologie n’est pas cachée derrière les apparences et ne doit pas être extirpée des “profondeurs” du sens caché. Il ne s’agit pas de la démasquer, au sens où le réel serait dissimulé derrière un masque inessentiel. Bien au contraire, l’idéologie est déchiffrable à la surface, dans les images et les dialogues, dans leur inconsistance même » (G. Morel, « L’écran noir, Slavoj Žižek, le cinéma et l’idéologie », dans R. Moati (sous la direction de), Autour de Slavoj Žižek, Paris, puf, 2010, p. 174.
  • [8]
    V. Pinel, Le cinéma muet, Paris, Larousse, 2010, p. 62-63.
  • [9]
    G. Deleuze, Pourparlers, Paris, Éd. de Minuit, coll. « Critique », 1990, p. 78-79.
  • [10]
    M. Vernet, « Freud : effets spéciaux, Mise en scène : usa », Communications, vol. 23, n° 1, 1975, p. 223-234.
  • [11]
    En dépit des dénégations du coscénariste Gore Vidal qui se présente comme une victime de la censure, le film porte à travers la scène du dénouement des clichés ostensiblement racistes et homophobes dont il n’a malheureusement pas le monopole à l’époque. On pense aux Neiges du Kilimandjaro (The Snows of Kilimanjaro, H. King, 1952) qui pousse la question de la représentation de l’homme africain, si ce n’était pour y voir la caricature d’une époque, dans les retranchements du supportable (cf. note 7).
  • [12]
    One Flew over the Cuckoo’s Nest (1962).
  • [13]
    E. Goffman, Asiles, Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1968.
  • [14]
    On pense à la performance exceptionnelle de Jack Nicholson mais aussi à la participation de certains patients qui acceptèrent de tenir leur propre rôle pour l’occasion. Cf. M. Ciment, Passeport pour Hollywood, Paris, Le Seuil, 1987, p. 284 ; M. Forman, J. Novak, Et on dit la vérité. Mémoires, Paris, Robert Laffont, p. 279-280.
  • [15]
    Trad. fr., Ed. Rivages, 2003.
  • [16]
    Sur cette critique édifiante de la notion de perte de la réalité dans la psychose, on peut lire ou relire l’article princeps de J. Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 531-583 et p. 542?543.
  • [17]
    On se reportera à la scène de la révélation du stratagème psychothérapique dans le phare.
  • [18]
    Le neurochirurgien portugais António Caetano de Abreu Freire Egas Moniz reçut le prix Nobel de médecine en 1949 pour sa découverte de « la valeur thérapeutique de la lobotomie dans certaines psychoses ». De l’immédiat après-guerre jusqu’à l’avènement des neuroleptiques, soit durant une bonne dizaine d’années, de nombreux patients psychotiques aux États-Unis furent lobotomisés au nom d’un progrès scientifique dûment attesté. Ce fut le cas de la sœur de Tennessee Williams.
  • [19]
    Le personnage du docteur Nearhing en ex-nazi comme la scène du chauffeur de Jeep, s’ils font partie de la construction délirante persécutive du héros, jouent néanmoins sur un aspect particulièrement dérangeant de la production littéraire contemporaine où l’on voit trop souvent opérer un détournement de la thèse de Hannah Arendt sur la banalité du mal. Nous renvoyons sur ce point à l’excellent ouvrage de Charlotte Lacoste, Séductions du bourreau, Paris, puf, 2010.
  • [20]
    Je me réfère ici à sa propre interview figurant dans les bonus du dvd.
  • [21]
    Black Swan, réal. Darren Aronofsky, 2011.
  • [22]
    Inception, réal. Christopher Nolan, 2010.
  • [23]
    Au-delà du comique de la scène, le silence simulé de Mac Murphy dans la scène prémonitoire de Vol au-dessus d’un nid de coucou dénonce la vanité de cette rétorsion vis-à-vis du symptôme, c’est du moins ce que Forman nous laisse entrevoir ironiquement.
  • [24]
    J. Lacan, « Le séminaire sur La lettre volée », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 31.
  • [25]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVIII, op. cit., p. 116.
  • [26]
    « Pour autant que c’est au lieu de l’Autre qu’est appendue la possibilité du sujet en tant qu’il se formule, il est des plus importants de savoir que ce qui le garantirait, à savoir le lieu de la vérité, est lui-même un lieu troué » (J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVI, op. cit., p. 59).

1Au moment où une lecture sécuritaire de la psychiatrie revient en force dans les médias et dans le discours des décideurs politiques, où la question de la naturalisation des conduites l’emporte souvent sur la nécessaire inscription de tout être parlant dans l’ordre symbolique, quelques jours à peine après le vote à l’Assemblée nationale d’une loi renforçant les pouvoirs de décision délégués au préfet sur l’enfermement de certains patients, cette tentation d’un retour de notre société vers une vision archaïque du soin psychiatrique, héritée de l’âge classique, ne pouvait manquer de nous questionner aujourd’hui. Mon intérêt pour les films que je vais évoquer se nourrit d’une réflexion autour de cette répétition délétère dans le discours contemporain, triste expression de la pulsion de mort dans le lien social.

Cinéma, cruauté et folie

2Au cinéma, la lobotomie est un motif récurrent, point extrême et refoulé d’une cruauté propre à la pulsion d’emprise qui sous-tend le désir de soigner. Freud parlait de furor sanandi pour mieux dénoncer cette tentation, considérant que « pas plus que tout autre fanatisme, [elle] ne saurait être de quelque utilité à la société humaine [1] ». Comment interroger à travers l’histoire du cinéma cette dénonciation répétée d’une dérive totalitaire du soin psychiatrique ? Au-delà d’une simple mise en garde par la fiction, nous tenterons de dégager de cette répétition un élément de structure. « Le cinéma est une forme qui pense », c’est-à-dire qu’il constitue « une pensée qui prend forme tout autant qu’une forme qui permet de penser [2] ». Ces considérations esthétiques de Jean-Luc Godard datent de la fin des années 1950 et prolongent une réflexion originale inaugurée par cet autre aphorisme choc d’un Godard encore adolescent, qui écrivait dans La gazette du cinéma dès octobre 1950 : « Au cinéma nous ne pensons pas, nous sommes pensés [3]. » Les films ne font qu’un avec le monde réel. Autrement dit et en suivant cette fois l’enseignement de Lacan, c’est bien la vérité qui a structure de fiction [4].

3En gardant à l’esprit ces remarques préliminaires, nous tenterons de démêler certaines questions que suscite l’interaction entre cinéma, discours contemporain et folie aujourd’hui. Parmi les nombreux films hollywoodiens sur la folie, certains portent à l’écran le conflit entre deux types d’approches thérapeutiques : d’une part, celle qui privilégie la parole libératrice sur le modèle souvent caricaturé de la talking cure psychanalytique et, d’autre part, une approche organique neurochirurgicale sur fond d’enfermement asilaire. Par ordre chronologique nous proposerons une lecture des films suivants : Soudain l’été dernier de Joseph Mankiewicz (Suddenly Last Summer, 1959), Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman (One Flew over the Cuckoo’s Nest, 1975) et le dernier film de Martin Scorsese Shutter Island (2010).

Mankiewicz ou la scansion du récit

Le tournage

4Soudain l’été dernier est un film adapté d’une pièce de Tennessee Williams dont la première représentation eut lieu en janvier 1958 dans un théâtre de Broadway. L’adaptation au cinéma de la pièce fut confiée dès l’année suivante au scénariste Gore Vidal. Ce dernier estima ses efforts de travail contrariés par une censure omniprésente à l’époque sur la question de l’homosexualité, et aurait souhaité que les scènes supprimées dans lesquelles la pédophilie et l’homosexualité d’un des personnages étaient explicitement mentionnées soient conservées. Le sujet du film s’inspire indirectement d’un élément biographique de la vie de Tennessee Williams dont la sœur schizophrène subit une lobotomie à la demande de sa mère. Joseph Mankiewicz ne fut que le strict metteur en scène et n’intervint à aucun moment sur le scénario. Il eut fort à faire pour contenir les différents conflits qui ne manquèrent pas de surgir avec les acteurs. Katharine Hepburn, pourtant dans un de ses meilleurs rôles, estimant que son image venait d’être définitivement ternie par le rôle qu’on venait de lui faire jouer, lui cracha à la figure à la fin du tournage [5].

Synopsis

5Le générique s’ouvre sur les murs d’un asile psychiatrique d’une ville de province, l’histoire se déroule aux États-Unis en 1937. Dès la première scène nous entrons dans une salle commune où des patients au regard hagard marmonnent d’une voix inarticulée et inquiétante des sons à peine audibles. Tout en se balançant sur leur chaise au gré de stéréotypies lancinantes, ils s’occupent mécaniquement à des tâches dérisoires (vannerie, tricot…). Lentement la caméra se tourne vers le visage d’une jeune femme silencieuse au regard halluciné qui fixe une poupée en la tenant au-dessus de sa tête. Des infirmières viennent la chercher. Le plan d’après nous la montre dans un lit d’hôpital, la tête enroulée dans des bandages. Endormi, son corps est placé sur une civière qui sort de la chambre et l’emmène vers le bloc opératoire. La poupée reste seule derrière la porte… Avant même le démarrage de l’intrigue, l’accent est mis sur l’effroyable coupure d’avec la parole et sur la non moins effroyable solution thérapeutique qui semble ici proposée. Nous pénétrons ensuite dans la salle d’opération où le docteur Cukrowicz (Montgomery Clift), brillant chirurgien de Chicago, vient faire la démonstration de son savoir-faire à travers une intervention pionnière sous les yeux médusés d’un aréopage de jeunes internes : soudain la rambarde qui contient les étudiants en surplomb craque, et un peu de plâtre tombe non loin du champ opératoire en contrebas. Le visage du chirurgien se crispe et ce sont alors les projecteurs dont la lumière vacille dangereusement. Puis la caméra nous montre les gouttes de sueur sur le front du directeur de l’établissement qui voit s’évanouir le bénéfice de la publicité de cette grande première chirurgicale. Dans un mouvement de colère, Cukrowicz interrompt l’intervention en lâchant son scalpel et sort pour retrouver le directeur dans son bureau. Il dénonce avec véhémence le manque de moyens du service public ainsi que les lamentables conditions matérielles dans lesquelles on le force à exercer. Cukrowicz menace de retourner vivre à Chicago où il pourra exercer avec des moyens suffisants… C’est à ce moment que surgit l’élément perturbateur de l’intrigue : Violet Venable (Katharine Hepburn), riche héritière de la ville, se propose d’aider la clinique par l’intermédiaire de sa fondation. Elle demande en échange au chirurgien d’opérer sa nièce, Catherine, qui souffre selon ses dires d’une folie incurable. Catherine Holly, une jeune femme qu’incarne à l’écran Elizabeth Taylor, semble devenir folle depuis la mort de son cousin Sebastian, décédé dans de mystérieuses circonstances lors d’un voyage en Europe auquel elle participait l’été précédent… Très vite les motivations de cette généreuse bienfaitrice nous apparaissent troubles et intéressées. De fait, Violet Venable cherche à faire taire Catherine pour ses propos compromettants sur la mort de son fils. Violet Venable pense tenir son monde en exerçant une pression financière sur les intervenants du soin. Mais avec l’aide du docteur Cukrowicz, Catherine finira par dire l’effroyable vérité qui entoure la mort de son cousin. Effroyable scène donc, à laquelle elle assista « soudain l’été dernier » : Sebastian est mort dévoré aux mains de jeunes hommes qu’il tentait de séduire en se servant de la beauté de Catherine comme appât, après avoir mesuré combien celle de sa propre mère était maintenant dépassée pour poursuivre avec elle son scénario pervers…

Flash-back, catharsis et idéologie

6Dans la scène finale, le dénouement nous fait voir le récit rétrospectif des circonstances violentes de la mort de Sebastian. Il s’agit d’une catharsis par la parole qui produit à elle seule une guérison de l’héroïne et qui, à son tour, plonge sa tante Violet dans la folie. Le titre du film lui-même, Soudain l’été dernier, met en avant la scansion temporelle du récit libérateur par la parole. Le chirurgien-psychiatre, héros du film, qui au début de l’histoire était censé pratiquer cette opération sur Catherine, va progressivement, à mesure que l’histoire lui est révélée, être lui-même transformé par les dires de la patiente [6]. Il laisse derrière lui sa fonction de chirurgien pour une position d’écoute censée le rapprocher de celle de l’analyste, au grand dam du directeur de la clinique qui voit s’éloigner les dollars promis par la tante. Cette opposition entre le caractère muet de la première scène du film et celle du dénouement cathartique par une parole retrouvée soutient une vision optimiste, pour ne pas dire humaniste, du statut de la folie et de son traitement, au sens où elle tente de montrer la supériorité thérapeutique de la parole sur le scalpel. Le traitement cinématographique par le flash-back permet la résolution d’une énigme en accédant à un souvenir refoulé qui n’est aucunement remis en question dans sa véracité d’événement. Ces films hollywoodiens des années 1950 sur la folie s’appuient sur une adaptation à l’écran de la première topique freudienne, ayant pour finalité de faire coïncider la logique de résolution de l’énigme posée par le symptôme avec la levée du refoulement à travers le maniement du flash-back. L’enfermement psychique par le symptôme est ici délivré par le retour à la réalité traumatique d’un souvenir factuel. C’est toute la question de l’abréaction dans le traitement de l’hystérie d’avant 1900 pour Freud. Aux États-Unis, la vision de la psychanalyse qui en découle est aussi la conséquence idéologique d’un langage cinématographique en cours à cette époque (Joseph Mankiewicz comme Alfred Hitchcock qui, cinq ans plus tard, réalisera Marnie sur le même processus, après Spellbound en 1945). C’est bien le cinéma comme machine à fabriquer de l’idéologie qui prend un ascendant sur la psychanalyse et non l’inverse. Le cinéma hollywoodien sur la folie est trop souvent considéré comme un simple reflet d’une dérive américaine de la psychanalyse. Sans minimiser l’intérêt d’une telle lecture, il faut aussi penser cette dérive psychanalytique comme le fruit d’une idéologie du flash-back. Se référant aux récents travaux de Slavoj Žižek, Geneviève Morel [7] rappelle à ce sujet qu’au cinéma la part idéologique se révèle dans la partie la plus lisible de la mise en scène et, contrairement à une idée répandue, n’appartient donc pas au contenu elliptique et refoulé des images. Au cinéma, les films hollywoodiens des années 1950 consacrent l’apogée de l’aventure du flash-back conçu comme un mode résolutif de la narration au cinéma, aventure qui a commencé en France en 1901 avec le film de Ferdinand Zecca [8], L’histoire d’un crime. Du fond de sa cellule, le souvenir des circonstances du meurtre revient au prisonnier. Le dispositif filmique est un écran dans l’image elle-même, réalisant un film dans le film sous la forme d’un drap suspendu au-dessus de son lit et sur lequel est projetée pendant sa détention l’histoire de ses forfaits. Ici le cinéma naissant, fasciné par sa propre image, expose son propre support, c’est-à-dire l’écran, pour y projeter la mise en lumière de l’énigme. Dimension réflexive et spéculaire du flash-back, qui fera dire à Deleuze que « le cerveau, c’est l’écran [9] ».

7Si elle défend la parole et son usage thérapeutique contre les techniques scientistes du moment, cette inscription par le flash-back place pourtant la réalité du sujet du côté d’un accès au temps retrouvé d’une mémoire factuelle, réservoir passif d’événements traumatiques refoulés, sans distorsion ni réaménagement propre à l’inconscient. À évoquer la psychanalyse à travers la fameuse talking cure, le paradoxe est qu’ici la technique du flash-back des films des années 1950 sur la folie fait la part belle à cette dimension imaginaire d’une pensée consciente et réflexive tournée vers une version advenue du traumatisme. Cette réalité événementielle extérieure au sujet, articulée le plus souvent de manière caricaturale à la première topique freudienne, conduit certains auteurs [10] à critiquer cette alliance réciproque du cinéma hollywoodien avec les courants de l’ego-psychologie. Mais tous ces désaccords bien connus maintenant n’expliquent pourtant pas le plaisir que l’on continue d’éprouver à regarder ces films, et tout particulièrement celui-ci.

Une construction filmique de l’objet a

8Malgré toutes les réserves sur l’idéologie douteuse qui traverse la résolution de Soudain l’été dernier[11], la scène finale comporte une tentative de mise en scène originale du désir et de son objet, celui qui, situé en amont, le déclenche et que Lacan a nommé l’objet a. Mankiewicz regrettait que personne n’ait remarqué à l’époque l’originalité de son procédé scopique. Comme dans le film de Zecca précédemment cité, la mise en perspective de la rétroaction du récit dans la scène du dénouement fait intervenir deux images en une. Sur la partie droite de l’écran, celle de l’énonciation actualisée à travers le visage tragique de Catherine en train de se souvenir, et sur le reste de l’écran, la scène traumatique en elle-même. Mais la scène en question, au début vacillante, disparaît en même temps que le souvenir puis s’impose sur une surface de plus en plus grande de l’écran, alors que le plan de droite se resserre autour de la bouche en train de retrouver les mots pour le dire. Puis le récit s’épuise à nouveau, dissous dans un bruit de casseroles assourdissant et une lumière blanche de plus en plus crue. Mort aveuglante dont la dimension réelle, sans mot et sans visage pour Sebastian, est remarquablement mise en image par Mankiewicz. À l’issue de cette scène aux vertus cathartiques, Catherine échappe aux conséquences réelles si radicales de la menace chirurgicale. Littéralement portée à l’écran, l’articulation du registre imaginaire et symbolique fait office de délivrance : elle se libère en racontant ce qu’elle a vu. Ce qui apparaît donc ici, c’est le nouage du cercle imaginaire et symbolique pour échapper à l’issue qui aurait été fatale pour le récit lui-même : trépanée, elle aurait été condamnée de fait au silence, réalisant le projet machiavélique de Violet, sa tante… Le regard est ce qui soutient le phénomène de délivrance du symptôme, mais aussi la possibilité même du film puisqu’il faut la dire et la voir, cette scène, pour que le film touche à sa fin. C’est donc aussi le regard du spectateur qui est concerné ici, jusque dans la rencontre avec l’écran immaculé et incandescent de la dernière image muette, évidement cannibalique de toute forme dans l’image, pour signifier la mort de Sebastian. Autrement dit l’objet a, ici l’objet-regard, en même temps qu’il soutient et délivre le symptôme de Catherine, met aussi en tension le désir du spectateur comme être-pour-la-mort dans son rapport à la castration. À l’instar du discours de l’analyste, le cinéma de Mankiewicz met l’objet a, cause du désir, à la place de l’agent tout en le maintenant dans un rapport voilé, celui d’un mi-dire, à la vérité du sujet (a/S2).

Milos Forman, l’institution contestée ou le pouvoir de rendre l’autre fou

9En 1976, avec Vol au-dessus d’un nid de coucou, le célèbre film de Milos Forman extrait d’un roman de Ken Kesey [12], c’est l’institution psychiatrique comme symbole d’un pouvoir arbitraire qui est dénoncée. Rappelons que Forman, cinéaste tchécoslovaque à l’origine, avait quitté Prague pour les États-Unis, dès 1969, fuyant la reprise en main autoritaire du régime communiste après le Printemps de Prague.

10Dans une vision foucaldienne héritière de l’antipsychiatrie, inspiré par le livre d’Ervin Goffman [13], il réussit à faire de l’institution psychiatrique le symbole de toute forme d’oppression totalitaire, renvoyant dos à dos le totalitarisme des pays communistes du bloc de l’Est et le système oppressant du maccarthysme qui sévissait aux États-Unis dans les années 1950. Le titre du film est tiré d’une comptine américaine pour enfants : trois oies dans le ciel, une vole vers l’est, l’autre vole vers l’ouest, la dernière vole au-dessus d’un nid de coucou… En 1975, année de la sortie du film, le succès mondial du film de Milos Forman tient à de réelles qualités d’acteurs [14], à une mise en scène tout à fait remarquable, mais aussi au contexte politique de l’époque.

11Le film s’ouvre sur l’entrée de l’infirmière Ratched (Louise Fletcher) dans le service, avec une présentation de tous les détails qui font de ce lieu un espace fermé (la porte grillagée, l’usage répété des clefs, l’espace clos de l’infirmerie séparant les soignants des patients à travers une vitre) et fortement ritualisé (la prise des médicaments qui mime la distribution de l’hostie lors d’une messe, le stérile passe-temps de la partie de cartes). Mac Murphy, interprété par Jack Nicholson, est un repris de justice qui est transféré de la prison à l’hôpital psychiatrique. Son séjour est motivé par ses excès comportementaux et le besoin de distinguer norme et folie. Rapidement il va contrarier les efforts de thérapie de groupe de l’infirmière Ratched en sabotant jeux et promenades. À la suite d’une mutinerie, Mac Murphy est soumis, avec Bromden, l’Indien qu’il appelle Chef, à des électrochocs. Excédé par le comportement de l’infirmière Ratched, il tente de l’étrangler. Dans ce climat de rétorsion et d’escalade de la violence institutionnelle, il subit une lobotomie qui le déshumanise définitivement. Écœuré, le chef indien Bromden l’étouffe sous un coussin et s’évade.

12Dans une scène prémonitoire, on voit Mac Murphy revenir d’une séance d’électrochocs, il entre dans la salle commune en mimant la démarche hésitante d’un patient qui ne pourrait plus parler, on voit les regards apeurés des autres patients, et le spectateur participe à cette angoisse, pensant quelques secondes avec effroi aux ravages de cette amputation psychique. Lorsque notre héros sort brusquement de son jeu de mime, au-delà de l’effet de soulagement comique, c’est l’anticipation d’une scène finale tragique qui s’entrevoit dès lors. « Ne soyez pas soumis ou vous serez réduits au silence », tel semble être le message de Forman. Cette dimension du pire qui serait de ne plus pouvoir parler, si elle peut apparaître dans la symptomatologie de la psychose, appartient aussi bien à une certaine logique de « soins », point ultime de la furor sanandi envers laquelle Freud nous mettait en garde (la lobotomie, par exemple, au nom de la gravité du trouble rencontré). Ces pratiques de contention délétères visent la mort du sujet dans l’autre. Elles peuvent se multiplier, à ne pas prendre la folie au sérieux dans son rapport au langage. Le groupe de parole, tellement ritualisé et contraint, stérilise toute réelle échappée de la pulsion de mort. L’institution fonctionne pour elle-même et remet en place les conditions d’émergence de la folie qu’elle est censée prendre en charge. En toile de fond, c’est bien la chronicisation institutionnelle qui est dénoncée et, à travers elle, toutes les formes d’oppressions totalitaires.

Scorsese, la violence des images et la mise en abyme du réel

13Shutter Island est une adaptation cinématographique (Scorsese, 2010) du roman éponyme de Dennis Lehane [15]. En 1954, sur une île battue par les vents au large de Boston, débarquent deux marshals, Teddy Daniels (Leonardo Di Caprio) et Chuck Aule venus enquêter sur la disparition d’une patiente, internée après avoir noyé ses trois enfants. L’endroit est réservé aux fous criminels. Ces deux enquêteurs fédéraux vont devoir affronter la méfiance des médecins et la violence d’un ouragan. Au fur et à mesure de l’intrigue, un climat paranoïaque se referme sur eux, isolant progressivement Teddy dans une position où il décide de poursuivre son enquête seul contre tous. Il est régulièrement assailli par des souvenirs très violents plus ou moins hallucinés, par lesquels on comprend qu’il a participé à la libération d’un camp de concentration et qu’il a perdu sa femme. Lors d’une scène clé dans le phare, les psychiatres expliquent qu’ils ont monté une sorte de psychodrame pour aider Teddy Daniels à retrouver sa véritable identité (Andrew Laeddis, anagramme de son premier nom) et lui faire abandonner son délire. Le spectateur apprend donc que l’histoire qu’il suivait contenait des bribes délirantes. Il est amené à reconstruire la trame narrative après coup sur la fin du film, émergeant ainsi d’une fausse piste à laquelle il ne pouvait pourtant que se résoudre. Sa place est alors analogue à celle du héros qui ne peut que croire au contenu de son délire. La réussite dérangeante du film tient à ce climat d’identification inquiétante, fruit de la manipulation du point de vue du spectateur pour l’amener, symétriquement au héros, à perdre la conviction de ce qu’il croyait vrai jusque-là. Revenu à la lucidité, Andrew Laeddis ne supportera pas la culpabilité de son crime (en fait, il a assassiné sa femme schizophrène qui avait elle-même tué ses trois enfants) et se laissera conduire vers l’intervention chirurgicale dans une position que l’on pourrait qualifier de mélancolique. Au fond nous assistons à la fin du film à l’échec thérapeutique de ceux qui ont cru que la dangerosité du patient tenait à son délire. Sa lucidité retrouvée conduit le héros du film vers une sorte de suicide par lobotomie. C’est au passage l’illustration de la thèse lacanienne selon laquelle le délire peut parfois servir à capitonner le discours d’un sujet psychotique et qu’un retour à la réalité n’est qu’un leurre thérapeutique puisque celle-ci ne peut justement se concevoir comme extérieure au sujet [16]. Le pessimisme du film de Scorsese, à l’opposé de l’entrain humaniste de Mankiewicz, tient à la mise en échec simultanée de l’approche neurochirurgicale et de l’approche psychothérapique qui, dans la version qu’il nous en livre, ne fait que viser de manière naïve, à travers une sorte de psychodrame thérapeutique, ce fameux (ici fâcheux…) retour à la réalité [17].

14L’utilisation d’une hyperviolence dans les films de Scorsese fait référence à celle de la société américaine dont il dit chercher à montrer les excès. Dans Shutter Island, il expose une période noire de la psychiatrie d’après-guerre où, en plein maccarthysme, avant l’avènement des neuroleptiques, le combat fait rage entre différentes écoles sur la manière de soigner dans le champ de la psychiatrie. Débat virulent entre trois courants, essentiellement la pharmacologie naissante, la psychothérapie d’obédience psychanalytique et l’approche psychochirurgicale avec la mise au point d’une technique transorbitale récompensée par le prix Nobel de médecine en 1949 [18]. L’année 1954, pendant laquelle se déroule l’action du film, est celle de la découverte et de la mise sur le marché du premier neuroleptique. Cette année-là, certains psychiatres connus réussissent à diffuser la pratique de la lobotomie transorbitale pour faire taire définitivement les patients délirants trop dérangeants. Le propos de Scorsese se veut donc engagé, humaniste, à l’instar d’un Forman avant lui ou d’un Mankiewicz encore plus tôt. Mais là où, pour délivrer le sujet de son symptôme, Mankiewicz sans faire appel aux artifices de la violence et du réel dans l’image cherchait à mettre en avant l’utilisation bénéfique de la parole guidée par la psychanalyse, Scorsese, comme Milos Forman avant lui, soutient un point de vue radicalement pessimiste et livre son héros à la mort psychique par la lobotomie. Shutter Island est un titre qui contient la fermeture de la parole, contrairement à celui de Mankiewicz qui lui insistait sur la prise de parole salvatrice. L’ambiguïté du film tient dans cette complaisance par rapport à la dangerosité psychiatrique et à la violence des images. Certes, une partie de cette violence sert la mise en image du surgissement du réel – thématique récurrente du réalisateur que cette mise en abyme du réel par la violence des images – et vient illustrer de manière convaincante la souffrance attachée aux phénomènes hallucinatoires ; mais d’un autre côté, le thème du bourreau et le lien avec les camps de la mort, au-delà de leur nécessaire participation à la trame narrative, y sont aussi mis en scène non sans un certain degré de séduction plutôt dérangeant [19].

15Avec Shutter Island, les séquences mnésiques insérées dans la trame narrative et qui font retour sur le passé se doublent d’une volonté de brouiller les pistes du récit avec la part de distorsion qu’introduisent des images saturées de violence et un scénario propre à instiller le doute sur la véracité même d’événement. Le statut des images rapportées au récit ne concerne plus seulement l’écoulement du temps vers la résolution de l’énigme mais convoque la sphère du réel et introduit un doute sur le poids de vérité qu’elles véhiculent. Le film pourrait être qualifié de paranoïaque au sens où il déplace la question d’une quête de solution de l’énigme narrative, censée trouver son issue à travers l’écoulement temporel du récit, vers le statut perceptif et synchronique de l’image elle-même. Scorsese [20] parle de clef pour aider le spectateur à comprendre rétrospectivement le sens de ce qu’il a vu : ainsi, au début du film, l’hésitation de Chuck au moment où il doit céder son arme aux gardiens de l’hôpital fortifié est une clef qui est censée laisser entendre au spectateur attentif (plus probablement à celui qui décide de visionner à plusieurs reprises le film) que son personnage fait partie d’une mise en scène, qu’il joue le rôle du policier dans le film car le vrai policier ne coince pas son arme au moment de la dégainer (sic)… Qu’est-ce que je suis en train de regarder ? Le récit d’une histoire qui court vers la résolution de son énigme, le délire du héros ou bien encore une mise en scène dans la mise en scène, un rêve ou bien une séquence hallucinatoire ? Toutes ces questions se posent en même temps au spectateur, déplaçant la résolution de l’énigme (le savoir caché du récit) vers le statut d’une vérité qui concerne le domaine perceptif de l’image. D’où un renouveau des films sur la folie au cinéma qui ne doit pas nous laisser indifférents. Quelle valeur accorder à la séquence rapportée par le récit dans sa dimension de vérité narrative ? Si elle ne représente plus un souvenir, comment éclairer la fiction ? L’introduction de ce doute par la manipulation des images est au cœur de bon nombre de scénarios hollywoodiens actuels. Le dernier en date tente avec beaucoup de réussite, et de manière très inquiétante, de traduire en image l’éclosion psychotique d’une danseuse étoile [21]. Il y a quelques mois, un film prenait le pari de nous faire voyager dans les multiples rêves de chaque personnage, les rêves s’emboîtaient les uns dans les autres [22]… Cette tentative de captation du réel qui fait retour dans l’image, cette mise en doute de ce qui peut être tenu pour vrai dans l’image, traduit l’évolution du sens de la fiction vers une préoccupation du statut de la vérité du sujet. Autrement dit, la mise en question du point d’énonciation de l’image traduit-elle une perte de repères subjectifs propre à la psychose, ou bien met-elle en valeur une conscience renouvelée de la complexité et de l’intrication des différents niveaux d’énonciation propre à tout récit ?

Noli me tangere

16Mais au fond, de quoi ces films sur la lobotomie viennent-ils nous parler ? À constater leur répétition à plusieurs dizaines d’années d’écart, de quoi sont-ils le symptôme ? Comment ne pas remarquer que le point qui échappe à toute mise en image est justement le signifiant autour duquel s’organise toute la menace dans l’intrigue, à savoir celui du cerveau comme organe. Notion remarquable dans les trois films : Mankiewicz laissera hors champ le cerveau lors de la scène du bloc opératoire au début de son film, mais aussi lors de la scène de cannibalisme qui n’est pas filmée ; Forman se servira de l’image de la cicatrice pour signifier que l’intervention a eu lieu sur Mac Murphy, et ceci est encore plus frappant chez Scorsese, que l’on ne peut soupçonner d’une quelconque pudeur en ce domaine. La scène de la lente agonie sanglante du commandant ss suffit à nous convaincre qu’il n’aurait pas eu de scrupules à nous montrer la matière pulsatile et gélatineuse des lobes cérébraux sous le coup d’un scalpel. Au cinéma, ce hors-champ récurrent vient inscrire le cerveau comme organe dans la catégorie du réel, c’est-à-dire de ce que l’on ne peut pas voir, ni appréhender symboliquement et qui pourtant est là. Objet particulier donc, qui à s’atteindre dans le réel se voit diminué de son pouvoir, celui de la parole en l’occurrence [23]. Or cette place si singulière d’un objet existant mais qu’on ne peut atteindre, sauf à en voir ses compétences symboliques s’évanouir, Lacan nous en donne une interprétation dans son séminaire sur « La lettre volée » d’Edgar Poe. La lettre volée, c’est l’objet qui permet la circulation du signifiant. On comprend alors que c’est aussi la possibilité de la fiction comme celle du sujet qui s’y trouve relié. La lettre sépare deux espaces hétérogènes. Elle est, pour reprendre un terme cher à Lacan, cette trace littorale entre les deux surfaces hétérogènes du savoir et de la jouissance, mais aussi entre la dimension du sujet porté dans la chaîne signifiante et la répétition symptomatique actualisée dans son rapport à la jouissance. Cette fonction littorale du cerveau, analogon au cinéma de l’insaisissable saut corps-psyché, sépare donc bien l’espace de la jouissance, furor sanandi, d’avec celui de la parole du sujet qui, de signifiant en signifiant, trouve à se représenter. À l’aliénation dans sa représentation la plus archaïque, ces films opposent la parole inaliénable du sujet pour faire entendre la pleine mesure de ce que parler veut dire. Cette menace d’une jouissance débridée effractant le support organique de l’énonciation (furor sanandi) nous ramène au noli me tangere, allusion biblique de Lacan [24] pour dire le recouvrement impossible de ces deux surfaces séparées par la fonction littorale de la lettre. « Touche pas à mon cerveau et prends le temps de m’écouter » serait la maxime dépassée d’une psychiatrie déjà révolue parce qu’à l’époque moins préoccupée du souci quantitatif de sa propre évaluation ? Gageons qu’il n’en est rien et qu’elle restera un axiome de la psychiatrie des temps à venir.

17Il s’agit ici de rappeler avec force que l’idée même du soin en psychiatrie, quand elle est éclairée par la psychanalyse, ne peut faire l’économie de cette part évidée dans le savoir par un signifiant. C’est le sens du phallus que d’orienter la question du désir et d’incarner comme signifiant privilégié cette place du manque-à-être pour le sujet parlant. Et pour ceux que l’incomplétude du grand Autre plongerait dans le plus profond désarroi, rappelons cet autre aphorisme consolateur de Lacan : « Le savoir en échec n’est pas l’échec du savoir [25]. » Ce trou dans le symbolique [26] qu’incarnent au cinéma l’insistance du thème de la lobotomie avec son corollaire l’impossible à dire, mais aussi cet évidement que suggère le hors-champ appuyé des trois cinéastes pour l’image du cerveau, vient contredire les tentations encore très actuelles de venir à bout du réel de la maladie mentale, fussent-elles portées par les meilleures intentions du monde. L’usage distinctif de la parole chez l’homme ne peut se confondre avec celui de son cerveau. Quels que soient les dérèglements statistiques que les techniques d’imagerie cérébrale nous permettent de déceler dans un cerveau malade, le principe singulier d’énonciation en cause derrière chaque plainte humaine échappe définitivement à toute forme de substantialisation.

18Ces films ont donc à l’évidence un intérêt pour penser la tentation sécuritaire à l’œuvre dans le champ de la psychiatrie, tentation-symptôme d’une dimension paranoïaque du lien social contemporain : la folie y est perçue avant tout comme un danger, celui qui persécute l’aspiration à la norme du plus grand nombre, et non plus prioritairement comme un élément de gravité pour celui qui en souffre, encore moins comme le grain dont nous aurions tous besoin pour tenir debout…


Mots-clés éditeurs : cinéma, furor sanandi, flash-back, lobotomie, folie, psychanalyse, psychiatrie

Date de mise en ligne : 12/10/2011

https://doi.org/10.3917/sc.014.0064

Notes

  • [*]
    Éric Le Toullec, psychanalyste, psychiatre, Toulouse.
  • [1]
    S. Freud, « Observations sur l’amour de transfert » (1915), dans La technique psychanalytique, Paris, puf, 1953, p. 130.
  • [2]
    Collectif sous la direction d’A. De Baeque, Théories du cinéma, vol. VII, Paris, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma /Éd. des Cahiers du Cinéma, 2001.
  • [3]
    R. Brody, Jean-Luc Godard, tout est cinéma, trad. J.-C. Provost, Paris, Presses de la Cité, 2010, p. 19.
  • [4]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVI (1968-1969), D’un Autre à l’autre, Paris, Le Seuil, 2006, p. 190 ; Le Séminaire, Livre XVIII (1970-1971), D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Le Seuil, 2007, p. 133-134.
  • [5]
    P. Brion, Joseph L. Mankiewicz, Paris, Éd. de La Martinière, 2005, p. 569-575.
  • [6]
    Dans son séminaire sur le transfert, Lacan critique le film de Mankiewicz comme ceux de Hitchcock sur le même sujet, en dénonçant l’usage stéréotypé au cinéma de la beauté du psychanalyste. Il y repère une méconnaissance de la question du transfert perçue de manière insistante et exclusive dans sa dimension de prestige et de captation imaginaire. J. Lacan, Le Séminaire, Livre VIII (1960-1961), Le transfert, Paris, Le Seuil, 1991, p. 23.
  • [7]
    « L’idéologie n’est pas cachée derrière les apparences et ne doit pas être extirpée des “profondeurs” du sens caché. Il ne s’agit pas de la démasquer, au sens où le réel serait dissimulé derrière un masque inessentiel. Bien au contraire, l’idéologie est déchiffrable à la surface, dans les images et les dialogues, dans leur inconsistance même » (G. Morel, « L’écran noir, Slavoj Žižek, le cinéma et l’idéologie », dans R. Moati (sous la direction de), Autour de Slavoj Žižek, Paris, puf, 2010, p. 174.
  • [8]
    V. Pinel, Le cinéma muet, Paris, Larousse, 2010, p. 62-63.
  • [9]
    G. Deleuze, Pourparlers, Paris, Éd. de Minuit, coll. « Critique », 1990, p. 78-79.
  • [10]
    M. Vernet, « Freud : effets spéciaux, Mise en scène : usa », Communications, vol. 23, n° 1, 1975, p. 223-234.
  • [11]
    En dépit des dénégations du coscénariste Gore Vidal qui se présente comme une victime de la censure, le film porte à travers la scène du dénouement des clichés ostensiblement racistes et homophobes dont il n’a malheureusement pas le monopole à l’époque. On pense aux Neiges du Kilimandjaro (The Snows of Kilimanjaro, H. King, 1952) qui pousse la question de la représentation de l’homme africain, si ce n’était pour y voir la caricature d’une époque, dans les retranchements du supportable (cf. note 7).
  • [12]
    One Flew over the Cuckoo’s Nest (1962).
  • [13]
    E. Goffman, Asiles, Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1968.
  • [14]
    On pense à la performance exceptionnelle de Jack Nicholson mais aussi à la participation de certains patients qui acceptèrent de tenir leur propre rôle pour l’occasion. Cf. M. Ciment, Passeport pour Hollywood, Paris, Le Seuil, 1987, p. 284 ; M. Forman, J. Novak, Et on dit la vérité. Mémoires, Paris, Robert Laffont, p. 279-280.
  • [15]
    Trad. fr., Ed. Rivages, 2003.
  • [16]
    Sur cette critique édifiante de la notion de perte de la réalité dans la psychose, on peut lire ou relire l’article princeps de J. Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 531-583 et p. 542?543.
  • [17]
    On se reportera à la scène de la révélation du stratagème psychothérapique dans le phare.
  • [18]
    Le neurochirurgien portugais António Caetano de Abreu Freire Egas Moniz reçut le prix Nobel de médecine en 1949 pour sa découverte de « la valeur thérapeutique de la lobotomie dans certaines psychoses ». De l’immédiat après-guerre jusqu’à l’avènement des neuroleptiques, soit durant une bonne dizaine d’années, de nombreux patients psychotiques aux États-Unis furent lobotomisés au nom d’un progrès scientifique dûment attesté. Ce fut le cas de la sœur de Tennessee Williams.
  • [19]
    Le personnage du docteur Nearhing en ex-nazi comme la scène du chauffeur de Jeep, s’ils font partie de la construction délirante persécutive du héros, jouent néanmoins sur un aspect particulièrement dérangeant de la production littéraire contemporaine où l’on voit trop souvent opérer un détournement de la thèse de Hannah Arendt sur la banalité du mal. Nous renvoyons sur ce point à l’excellent ouvrage de Charlotte Lacoste, Séductions du bourreau, Paris, puf, 2010.
  • [20]
    Je me réfère ici à sa propre interview figurant dans les bonus du dvd.
  • [21]
    Black Swan, réal. Darren Aronofsky, 2011.
  • [22]
    Inception, réal. Christopher Nolan, 2010.
  • [23]
    Au-delà du comique de la scène, le silence simulé de Mac Murphy dans la scène prémonitoire de Vol au-dessus d’un nid de coucou dénonce la vanité de cette rétorsion vis-à-vis du symptôme, c’est du moins ce que Forman nous laisse entrevoir ironiquement.
  • [24]
    J. Lacan, « Le séminaire sur La lettre volée », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 31.
  • [25]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVIII, op. cit., p. 116.
  • [26]
    « Pour autant que c’est au lieu de l’Autre qu’est appendue la possibilité du sujet en tant qu’il se formule, il est des plus importants de savoir que ce qui le garantirait, à savoir le lieu de la vérité, est lui-même un lieu troué » (J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVI, op. cit., p. 59).

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