Notes
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[1]
Samuel Beckett, « Dante… Bruno. Vico… Joyce », dans Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment. Edited with a foreword by Ruby Cohn. Londres, 1983, John Calder, p. 28 : « Here words are not the polite contorsions of 20th century printer’s ink ».
-
[2]
Edith Fournier, « Préface » de Samuel Beckett, Proust. Traduit de l’anglais et présenté par Edith Fournier. Paris, Les Éditions de Minuit, 1990, p. 15.
-
[3]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 82. Dans l’édition anglaise (donc originale) – nous utilisons Proust and Three Dialogues with Georges Duthuit, Londres, 1965, John Calder – pas toujours traduite avec la fidélité nécessaire en français, on lit, p. 70 : He is stunned by waves of rupture… Nous citons désormais cette édition comme « édition anglaise » ou « éd. angl. ».
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[4]
Marcel Proust, Le temps retrouvé, Paris, 1986, GF Flammarion, p. 256 : « En roulant les tristes pensées que je disais il y a un instant j’étais entré dans la cour de l’hôtel des Guermantes… »
-
[5]
Ibid., p. 254.
-
[6]
Ibid. p. 254-255.
-
[7]
Samuel Beckett, Proust, éd. angl., p. 14
-
[8]
Proust, p. 24.
-
[9]
Traduction remaniée de ce passage de l’original (éd. angl. p. 14) : We are disappointed at the nullity of what we are pleased to call attainement. But what is attainement ? The identification of the subject with the object of his desire.The subject has died – and perhaps many times – on the way.
-
[10]
M. Proust, Le temps retrouvé, op. cit., p. 255-256.
-
[11]
M. Proust, op. cit., p. 47-48.
-
[12]
M. Proust, « À l’ombre des jeunes filles en fleurs II », dans À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 1988, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 77.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
M. Proust, Le temps retrouvé, op. cit., p. 259.
-
[15]
Ibid. p. 259.
-
[16]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 22.
-
[17]
Ibid., p. 21.
-
[18]
Ibid., p. 28.
-
[19]
In noi di cari inganni / non che la speme, il desiderio è spento. Giacomo Leopardi, « A se stesso ». C’est Edith Fournier qui donne cette traduction dans l’appareil des notes de Proust, op. cit., p. 109.
-
[20]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 36.
-
[21]
M. Proust, Le temps retrouvé, op. cit., p. 260-261.
-
[22]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 38.
-
[23]
Ibid., p. 38.
-
[24]
Ibid., p. 38.
-
[25]
Ibid., p. 91. Lors de l’excursion avec Mme de Villeparisis et sa grand-mère, qui amène le narrateur à visiter « l’église couverte de lierre » de Carqueville, il fait l’expérience de l’effort nécessaire à percer à jour ce qu’il appelle « l’Idée » : « Dans le bloc de verdure devant lequel on me laissa, il fallait pour reconnaître une église faire un effort qui me fît serrer de plus près l’idée d’église… ». Le narrateur compare son effort à celui des élèves « qui saisissent plus complètement le sens d’une phrase quand on les oblige par la version ou par le thème à la dévêtir des formes auxquelles ils sont accoutumés… ». Cet effort est donc bien dû à l’expérience d’étrangeté produite par cet édifice. Et, puis, le narrateur, sorti de l’église, voyant une « belle pêcheuse », être énigmatique, il tente à éveiller l’idée de la personne qui vit dans son corps, non sans y rencontrer sa propre image ! « Mais ce n’est pas seulement son corps que j’aurais voulu atteindre, c’était aussi la personne qui vivait en lui et avec laquelle il n’est qu’une sorte d’attouchement, qui est d’attirer son attention, qu’une sorte de pénétration, y éveiller une idée. » Et il poursuit : « Et cet être intérieur de la belle pêcheuse semblait m’être clos encore, je doutais si j’y étais entré, même après que j’eus aperçu ma propre image se refléter furtivement dans le miroir de son regard, suivant un indice de réfraction qui m’était aussi inconnu que si je me fusse placé dans le champ visuel d’une biche. » (« À l’ombre des jeunes filles en fleurs II », op. cit., p. 75-76). On aurait tort de réduire, sur la base de tels exemples, l’Idée proustienne à l’Imaginaire et au narcissisme. L’épisode de la « belle pêcheuse » ne montre-il pas aussi le Réel de l’impossible rapport sexuel qui gît au cœur même de l’Idée ?
-
[26]
Ibid., p. 91.
-
[27]
Samuel Beckett, Mal vu mal dit, Paris 1981, Les Éditions de Minuit.
-
[28]
Ibid., p.32.
-
[29]
Jacques Lacan, Encore, Texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Le Seuil, 1975, p. 12-15, p. 73-82.
-
[30]
Geneviève Morel, Ambiguïtés sexuelles, Paris, Anthropos, 2000, p. 154-174.
-
[31]
Jean-Claude Milner, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, Lagrasse, Verdier, 2003, p. 17-26.
-
[32]
Mal vu mal dit, op. cit., p. 24.
-
[33]
« À l’ombre des jeunes filles en fleurs II », op. cit., p. 96-97.
-
[34]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 78.
-
[35]
Marcel Proust, « Sodome et Gomorrhe », dans À la recherche du temps perdu, vol. III, Paris, 1988, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 151.
-
[36]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 33.
-
[37]
Ulrich Pothast, Die eigentliche metaphysische Tätigkeit. Über Schopenhauers Ästhetik und ihre Anwendung durch Samuel Beckett. Francfort, Suhrkamp, 1989.
-
[38]
Samuel Beckett, Proust, op.cit., p. 30.
-
[39]
Arthur Schopenhauer, Die Welt als Wille und Vorstellung I, Viertes Buch, dans Werke in fünf Bänden, Zürich, 1991, Haffmanns, p. 406-407.
-
[40]
Proust, p.39.
-
[41]
Marcel Proust, « Du côté de chez Swann », I, 2, dans À la recherche du temps perdu I, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1987, p. 162.
-
[42]
Marcel Proust, « La prisonnière », dans À la recherche du temps perdu, III, op. cit., p. 614.
-
[43]
Marcel Proust, « Albertine disparue », dans À la recherche du temps perdu, IV, op. cit., p. 190.
-
[44]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 100.
-
[45]
Ibid., p. 78.
-
[46]
Ibid., p. 77.
-
[47]
Samuel Beckett, Proust, édition anglaise, op. cit., p. 64.
-
[48]
Ibid., p. 75.
-
[49]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 86.
-
[50]
Ibid., p.87.
-
[51]
Ulrich Pothast, op. cit., p. 189.
-
[52]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 87.
-
[53]
Ibid., p. 88. Renate Schlesier écrit dans son article « Kreation und Zeit » (dans Zeitschrift für Ästhetik und Allgemeine Kunstwissenschaft, Heft 51/1, JG. 2006) que pour Proust « le temps n’est pas un concept ontologique mais un concept poétologique qui permet de saisir toute l’amplitude entre l’inspiration et l’immortalité ».
-
[54]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 88.
-
[55]
Jacques Lacan, Encore. Texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris Le Seuil, 1975, p. 86-87.
-
[56]
Samuel Beckett, L’innommable, Paris, Les Éditions de Minuit, 1953.
-
[57]
Id., Proust, op. cit., p. 88.
-
[58]
Ibid.
-
[59]
Proust, édition anglaise, op. cit., p. 76.
-
[60]
Samuel Beckett, L’innommable, op. cit., p. 42.
-
[61]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 96-97.
-
[62]
Marcel Proust, Le temps retrouvé, op. cit., p. 265.
-
[63]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 97.
-
[64]
Samuel Beckett, Disjecta, op. cit., p. 28.
-
[65]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 84.
-
[66]
Samuel Beckett, « Peintres de l’Empêchement », dans Disjecta, op. cit., p. 137.
-
[67]
Samuel Beckett, The complete Short Prose, 1929-1989. Edited with an Introduction and Notes by S.E. Gontarsky, New York, Grove Press, 1995, p. 275-278.
-
[68]
James Knowlson, Damned to fame, New York, Simon & Schuster, 1996, p. 319.
-
[69]
Samuel Beckett, La dernière bande. Suivi de Cendres, Paris, Les Éditions de Minuit, 1959, p. 23.
-
[70]
James Knowlson, Damned to fame, op. cit., p. 319.
-
[71]
Edna O’Brien, « “What would I write – what use is it ?” Samuel Beckett at 80 », dans Sunday Times, avril 1986, p. 53.
-
[72]
Jacques Lacan, « Télévision », dans Autres Écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 533.
-
[73]
Samuel Beckett, L’innommable, op. cit., p. 213.
1Y a-t-il un art sans expérience extatique ? La question se pose pour Beckett, mais aussi avec lui. Ses études sur le work in progress de Joyce et sur la Recherche de Proust, écrites l’une en 1929 et l’autre durant l’été 1930 – il avait alors 24 ans – lui ont lancé un double défi : il faut en finir avec « les contorsions courtoises de l’encre d’imprimerie du xxe siècle [1] » sans se contenter d’un art qui se fierait aux concepts. Si dans « Dante... Bruno. Vico... Joyce », le jeune poète irlandais se trouvait encore embarrassé par l’influence de Joyce, « c’est un écrivain accompli qui s’exprime [2] » dans l’essai sur l’auteur de À la recherche du temps perdu. Je voudrais montrer ici le traitement que réserve Beckett aux états de ravissement et d’extase que la mémoire involontaire déclenche chez le narrateur de la Recherche. Ces expériences contingentes suspendent la volonté du sujet. L’Autre y est barré, dans la mesure où il ne saurait tenir compte de la jouissance qu’elles produisent. Proust offre cette jouissance à l’Autre. C’est justement cette expérience au bord du trou dans l’Autre qui aura encouragé Beckett sur le chemin de sa propre écriture.
2Relevons les thèmes principaux de l’essai beckettien sur Proust avant de parler des extases proustiennes elles-mêmes et des conséquences que le poète irlandais en a tirées pour son propre art. D’emblée, Beckett mentionne la révélation que le narrateur de la Recherche reçoit dans la bibliothèque de la Princesse de Guermantes après avoir été abasourdi dans la cour de l’hôtel de Guermantes par un « déferlement d’extases [3] ». Dans l’original, pas toujours rendu avec la fidélité nécessaire en français, on lit : « He is stunned by waves of rapture… »
3Avant de se rendre à cette matinée chez la Princesse, le narrateur « roulait » en effet de « tristes pensées [4] ».
« Ce n’est vraiment pas la peine de me priver de mener la vie de l’homme du monde, m’étais-je dit, puisque, le fameux “travail” auquel depuis si longtemps j’espère chaque jour me mettre le lendemain, je ne suis pas, ou plus fait pour lui, et peut-être même il ne correspond à aucune réalité. »
5Ou encore, il pense « à cette lassitude et à cet ennui avec lesquels (il) avai(t) essayé, la veille, de noter la ligne qui, dans une de ces campagnes réputées les plus belles de France, séparait sur les arbres l’ombre de la lumière [5] ». D’aller chez Mme de Guermantes lui semble « un plaisir purement frivole ».
« Mais puisque je savais maintenant que je ne pouvais rien atteindre de plus que des plaisirs frivoles, à quoi bon me les refuser. Je me redisais que je n’avais éprouvé, en essayant cette description, rien de cet enthousiasme qui n’est pas le seul mais qui est un premier critérium du talent [6]. »
7Beckett fait grand cas du nom anglais attainement [7] qu’Édith Fournier traduit par « accomplissement [8] ». Ce mot renvoie au verbe français « atteindre » dans la phrase où Proust se plaint de ne pouvoir rien atteindre de plus que des plaisirs frivoles. « Nous sommes déçus par la nullité de ce que nous nous plaisons à appeler l’accomplissement. Mais qu’est ce que l’accomplissement ? C’est l’identification du sujet à l’objet de son désir. Or le sujet est mort – et peut-être plusieurs fois – en route [9]. »
8Nous avons laissé le narrateur abandonné à son désespoir. Vous vous souvenez pourtant quel tournant heureux prennent les évènements quand le narrateur descend de sa voiture dans la cour pavée de l’hôtel. Il introduit l’épisode célébrissime dit « des pavés inégaux dans la cour de l’hôtel des Guermantes » par cette réflexion :
« Mais c’est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l’avertissement arrive qui peut nous sauver ; on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu’on aurait cherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir et elle s’ouvre [10]. »
10En effet, le narrateur bute contre les pavés mal équarris ; il met son pied sur un pavé moins élevé et tout à coup son découragement s’évanouit devant une « félicité » qui lui évoque d’abord la série des sensations éprouvées grâce à l’œuvre de la mémoire involontaire – avant tout la vision de Venise avec les deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc. Beckett dresse la liste de ces « fétiches [11] ».
11Exemple : le « bonheur profond » qui le remplit lorsqu’il aperçoit, de la voiture de Mme de Villeparisis, dans les environs de Balbec, trois arbres « qui devaient servir d’entrée à une allée couverte et formaient un dessin qu’(il) ne voyai(t) pas pour la première fois ». Le narrateur rapporte alors son trouble :
« Je ne pouvais arriver à reconnaître le lieu dont ils étaient comme détachés mais je sentais qu’il m’avait été familier autrefois ; de sorte que mon esprit ayant trébuché entre quelque année lointaine et le moment présent, les environs de Balbec vacillèrent et je me demandai si toute cette promenade n’était pas une fiction, Balbec un endroit où je n’étais jamais allé que par l’imagination, Mme de Villeparisis un personnage de roman et les trois vieux arbres la réalité qu’on retrouve en levant les yeux de dessus le livre qu’on était en train de lire et qui vous décrivait un milieu dans lequel on avait fini par se croire effectivement transporté [12]. »
13Il s’agit de l’expérience d’un réel au sens de Lacan, car le narrateur nous fait part d’un impossible : « Je regardais les trois arbres, je les voyais bien, mais mon esprit sentait qu’ils recouvraient quelque chose sur quoi il n’avait pas prise, comme sur ces objets placés trop loin dont nos doigts, allongés au bout de notre bras tendu, effleurent seulement par instant l’enveloppe sans arriver à rien saisir [13]. »
14Impossible de résumer ce que Beckett appelle « l’expérience mystique et la méditation du narrateur dans le poêle cartésien de la bibliothèque des Guermantes ».Vous le relirez dans Le temps retrouvé. Notons ici seulement cette relation mystérieuse entre des menus objets et les expériences mystiques qu’ils entraînent : « … je comprenais trop que ce que la sensation des dalles inégales, la raideur de la serviette, le goût de la madeleine avaient réveillé en moi n’avait aucun rapport avec ce que je cherchais souvent à me rappeler de Venise, de Balbec, de Combray, à l’aide d’une mémoire uniforme [14]… »
15Ces expériences mystiques du narrateur nous renseignent aussi sur l’articulation de l’extase à l’écriture. Dans l’exemple des trois arbres sur la route qui ramène le narrateur à Balbec, celui-ci se compare, dans sa réflexion, à un lecteur. Toute la promenade devient une fiction, Balbec un lieu de son imagination, Madame de Villeparisis un être de roman, seul les trois arbres appartiennent au réel [15].
16Les déflagrations de la mémoire involontaire, en particulier celles qui frappent le narrateur avant qu’il n’entre dans le salon de la Princesse, lui révèlent l’œuvre qu’il a à écrire, elles la causent, mais elles sont aussi les objets que cette œuvre devra explorer.
17Son livre prend alors forme dans sa tête. Il doit accepter avec regret certaines contraintes de la convention, voire la géométrie, littéraires, et il en rejette d’autres. Malgré, ou peut-être à cause de ce lien entre les objets les plus ordinaires et les sensations qu’ils déclenchent en lui, il ne peut pas briser à sa guise le lien de cause à effet [16]. Le narrateur « refusera les lois de l’espace » mais ses créatures sont les victimes de ce que Beckett appelle « ce monstre bicéphale de damnation et de salut qu’est le Temps [17] ». Et, en y ajoutant la mémoire et l’habitude qui lui appartiennent, le temps devient, sous la plume de l’auteur irlandais, un « cancer [18] ». Avec un accent presque lacanien, Beckett dénonce les compromissions renonciatrices des sages avec ces deux acolytes du Temps que sont la mémoire et l’habitude. Il cite Leopardi : « Les duperies amoureuses font qu’en nous, outre l’espoir, le désir est éteint [19]. » Le temps nous déforme et ne permet pas, même dans le domaine de l’art, de posséder intégralement ce qui s’y réalise. Beckett, interprète cette agence castratrice du temps, inacceptable pour Proust, avec ces mots : « Alors il se dit que notre rêve d’un paradis où nous garderions notre personnalité est vraiment absurde, puisque notre vie est une succession de paradis qui nous sont l’un après l’autre refusés, que le seul vrai paradis est celui qui vient d’être perdu [20]… ». Proust écrit : « … car les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus [21]. » Voilà pourquoi Proust donne aux hommes une place dans le temps qui dépasse de loin celle qu’ils occupent dans l’espace.
18Cet agrandissement de la dimension temporelle de ses créatures amène même le narrateur à faire subir plusieurs morts différentes à cet être cher, cet objet de tendresse irremplaçable qu’est sa grand-mère. Sa mort physique survenue sur les Champs-Élysées est secondaire, sans importance. Pour le narrateur elle meurt de sa vraie mort dans cette expérience étrange qu’il vit après avoir entendu sa voix souffrante, fantomatique, au téléphone. Il retourne précipitamment à Paris. Il la surprend en pleine lecture de Mme de Sévigné, son auteur préféré. « Mais lui n’est pas là, écrit Beckett, puisqu’elle ne sait pas qu’il est là ; il est présent à sa propre absence [22]. » Sa fatigue de voyage a suspendu l’habitude. Il ne la voit donc pas comme il la voyait dans le passé. « La notion de ce qu’il devrait voir n’a pas eu le temps d’interposer son prisme entre l’œil et l’objet [23]. » Beckett poursuit :
« Et il se rend compte avec effroi que sa grand-mère est morte, depuis longtemps et plusieurs fois, que l’être aimé familier à son esprit, recomposé tout le long des années grâce à la sollicitude indulgente de la mémoire habituelle, n’existe plus, que cette vieille femme un peu folle, rêvassante sur son livre, accablée par les ans, rougeaude, lourde et vulgaire, est une étrangère qu’il n’a jamais vue [24]. »
20Proust méprise le réalisme et le naturalisme littéraires qui se contentent de « transcrire… la façade derrière laquelle l’idée reste prisonnière [25] ». À ces mouvements, Beckett oppose cette définition : « Le processus proustien, à l’inverse, est celui d’Apollon qui écorche vif Marsyas, puis, impavide, s’empare de son essence même : les eaux phrygiennes [26] ».
21Les remarques de Beckett sur la perception crue que le narrateur a de sa grand-mère alors que le voile de l’habitude s’est déchiré évoquent la vieille femme solitaire et mystérieuse de Mal vu mal dit. Le narrateur de ce texte émouvant [27], l’avant-dernier de Beckett (1981), regarde sans cesse les va et vient de cette vieille femme énigmatique dont l’être semble échapper à la saisie de son regard : « L’œil reviendra sur les lieux de ses trahisons [28]. » De même que la grand-mère de Proust, au moment où la fatigue de son petit-fils la dérobe à sa perception assurée par l’habitude, la vieille femme de Mal vu mal dit supporte, à mon avis, une stance de ce que Lacan a nommé le « pas tout [29] » de la femme. J’utilise ici le terme de « pas tout » non pas dans son sens logique qui a été expliqué, après Lacan, par Geneviève Morel [30] et, plus récemment, par Jean-Claude Milner [31], mais à partir de ce que Lacan appelle la lettre. Dans la mesure où la lettre dessine « le bord du trou dans le savoir », elle a, comme la femme, affaire à l’Autre barré : le narrateur et spectateur de Mal vu mal dit se heurte à l’énigme de la femme que son œil n’arrive pas à fixer. « Si seulement elle ne pouvait n’être qu’ombre. Ombre sans mélange. Cette vieille si mourante. Si morte [32] » (op. cit., p. 24). Le narrateur de la Recherche dessillé par la chute des voiles de l’habitude, voit, au lieu de sa grand-mère, une femme qu’il n’a jamais encore vue. Dans les deux textes, la lettre borde l’abîme d’une ignorance.
22Il est d’ailleurs notable que le narrateur de la Recherche démasque les créatures « au féminin » : Gilberte, Albertine, quand il ne les aime plus ou quand il en est en deuil, comme dans le cas de celle-ci : sa grand-mère quand elle n’existe plus alors qu’elle est encore en vie, jusqu’à leur arracher tout semblant. Chez un homme, son œil spirituel perce à jour tout autre chose :
« Quelquefois je me reprochais de prendre ainsi plaisir à considérer mon ami comme une œuvre d’art, c’est-à-dire à regarder le jeu de toutes les parties de son être comme harmonieusement réglé par une idée générale à laquelle elles étaient suspendues mais qu’il ne connaissait pas et qui par conséquent n’ajoutait rien à ses qualités propres, à cette valeur personnelle d’intelligence et de moralité à quoi il attachait tant de prix [33]. »
24Beckett a raison d’écrire que « Proust est totalement détaché de toute considération éthique [34] ». En affirmant que Saint-Loup ne connaissait pas l’idée générale à laquelle toutes les parties de son être étaient suspendues, le narrateur nous évoque à la fois Kleist et Freud quand celui-ci lit dans l’expression du visage de l’homme aux rats une jouissance inconnue à lui-même.
25Nous voilà au seuil de l’esthétique que Beckett tire de l’œuvre proustienne, fort de sa lecture de Schopenhauer. Dans Sodome et Gomorrhe, Proust écrit : « Si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première, dont elle n’a ni les cruautés ni les enchantements [35]. » L’action de l’habitude consiste « à dissimuler l’essence, l’idée de l’objet dans la brume de la conception – de la préconception [36] ». Ce démasquage et cette préférence de l’idée au détriment du concept sont schopenhaueriens, comme l’a montré le philosophe allemand Ulrich Pothast [37].
26Celui-ci admet en effet que Beckett développe à partir de Proust et de Schopenhauer sa propre esquisse d’une théorie de l’art. Beckett était assez sensible aux corroborations de ses propres intuitions que lui fournissaient ces œuvres.
27Les réflexions sur l’amour précèdent celles sur l’art. L’amour de Swann, puis celui du narrateur entraînent leur souffrance. Or la souffrance est fondamentale pour l’art. Il s’agit de la « souffrance d’être [38] ». Selon Schopenhauer, le pendule oscille entre la souffrance et l’ennui [39]. Beckett ajoute à cela que la souffrance ouvre une fenêtre sur le réel. Elle est par conséquent « la première condition de toute expérience artistique [40] ».
28Dans la théorie de l’amour que Beckett extrait de Proust, l’amour fait souffrir parce que l’autre manque toujours. Ainsi Beckett relève un instant particulièrement saisissant de la vie amoureuse du narrateur avec Albertine. Le narrateur a déjà fait d’elle sa prisonnière docile ; elle lui est devenue indifférente et il veut rompre avec elle. C’est à ce moment-là qu’elle lui parle de la musique de Vinteuil. D’un seul coup, le narrateur est envahi d’une jalousie paroxystique car le nom du compositeur le ramène à l’acte dit « sadique » de profanation envers l’image de celui-ci par sa fille et par l’actrice Léa, qui est aussi une amie d’Albertine. On se souvient que le narrateur est le spectateur horrifié de la scène où les deux amies lesbiennes se moquent du portrait du compositeur, du père défunt de la première. Dans un excursus sur le sadisme, le narrateur disculpe les deux amis et tous les sadiques « sentimentaux » : « C’est dans la peau des méchants qu’ils tâchent d’entrer et de faire entrer leur complice, de façon à avoir eu un moment l’illusion de s’être évadés de leur âme scrupuleuse et tendre, dans le monde inhumain du plaisir [41]. »
29Une sorte d’introjection a lieu après l’aveu inopportun d’Albertine : Albertine qui avait été déjà si loin de lui, et dont il sait qu’elle ne vaut rien, fait soudain partie de lui-même, elle est en lui ! C’est donc une identification sauvage qui s’est produite. Or, la possession absolue de l’objet ne serait possible que dans une identification totale. Et c’est justement une telle identification que l’acte de l’artiste doit accomplir. Complétude impossible pour l’amour : « On n’aime que ce qu’on ne possède pas tout entier [42] », écrit Proust. Pourtant, la théorie de l’amour de Proust n’est pas entièrement négative. Proust ne suppose-t-il pas à l’amour une grande perspicacité quand il écrit : « Au milieu du plus complet aveuglement la perspicacité existe sous la forme même de la prédilection et de la tendresse, de sorte qu’on a tort de parler en amour de mauvais choix, puisque dès qu’il y a choix, il ne peut être que mauvais [43] » ?
30Tout nous indique que l’art doit suppléer au fait que l’amour ne se réalise pas parce que les êtres humains sont aussi impénétrables que la surface des objets mondains. Il y a là un vrai réel au sens de Lacan. Si Proust explique ses personnages, affirme Beckett, « c’est afin qu’ils puissent paraître tels qu’ils sont : inexplicables. Les expliquant, il épaissit leur mystère [44] ».
31L’artiste, au sens de Proust, ne s’occupe pas de la surface des phénomènes mais « il se laisse attirer jusqu’à l’œil du cyclone [45] ». Son activité est une « excavation », une « immersion [46] ». La théorie esthétique du jeune Beckett vise sans cesse le réel. Aussi parle-t-il de l’artistic tendency [47] (« pulsion artistique ») qui, à la différence de l’univers, n’est pas en expansion mais « une contraction ». Ce réel est noué à l’idéal, et à l’idée. À l’idéal parce que pour Proust, « l’art était l’unique idéal, le seul élément intact dans un monde corruptible ». Beckett va jusqu’à lier les deux termes dans l’expression the ideal real [48] (le réel idéal). De quoi s’agit-il ? Quand la mémoire involontaire ou la suspension de l’habitude produisent une identification de l’expérience immédiate, aussi insignifiante soit-elle, avec une expérience du passé, l’action récurrente de celle-ci dans le présent produit une conjonction entre l’objet idéal (du passé) et l’objet réel du présent, entre l’imagination et la sensation. Cette conjonction libère « une réalité essentielle [49] » qui est refusée et à la vie contemplative et à la vie active. L’idéal réel est une essence extra-temporelle [50].
32Quant au lien du réel à l’idée, rappelons seulement ici que Proust reprend ce terme de Schopenhauer. Celui-ci pensait en effet que l’expérience extatique de l’artiste devait sortir l’objet de son ancrage dans la causalité, dans l’espace et dans le temps, afin de révéler son idée. Proust perce à jour l’idée qui donne une cohérence à ses créatures. Ulrich Pothast montre que Beckett n’accepte ni l’idée statique de Schopenhauer ni son catalogue des idées : toute expérience actuelle peut libérer l’idée dans l’évènement de jouissance du passé auquel elle renvoie [51].
33Beckett compare la Recherche de Proust à une équation dont l’inconnue serait aussi l’inconnaissable. Quelle en est la solution ? C’est la négation du temps et de la mort : « La mort est morte parce que le temps est mort [52]. » Pour l’homme affranchi de l’ordre du temps, le mot de « mort » n’a pas de sens. Le temps n’est pas retrouvé. Le vrai titre de la Recherche serait plutôt « Le temps aboli [53] ». Ainsi l’exaltation d’une « éternité éphémère » – celle qui règne quand la mémoire involontaire fusionne le sujet et l’objet – a permis à Proust de soutenir ces dénis (du temps et de la mort). Dans un livre ultérieur, Beckett dira cette boutade : « Il est vrai que le temps manque à l’éternité. »
34Arrivé au seuil de son œuvre, Proust comprend « la nécessité de son art », une expression de Beckett [54] qui nous renvoie au symptôme tel que Lacan le détermine par sa formule : « Ce qui ne cesse pas de s’écrire [55]. » Le symptôme relève de la modalité du nécessaire car aussi longtemps qu’il n’est pas levé il subjugue le sujet ; le « ne cesse » dans la formule de Lacan évoque cette logique de la nécessité. Beckett, pour sa part, éprouvera plus tard le rapport de ce « ne cesse pas » avec l’impossible réel dans L’Innommable [56]. Pour Proust, l’art est nécessaire car seule sa « clarté brillante [57] » peut lui permettre de déchiffrer « l’extase énigmatique [58] » (baffled extasy [59]) éprouvée jadis en contemplant les « surfaces impénétrables d’un nuage, d’un triangle, d’un clocher, d’une fleur, d’un caillou ». L’œuvre s’écrit donc à la marge de ces expériences mystiques, au bord de leur abîme. Et quel autre moyen Proust aurait-il eu pour sa tâche de déchiffrage que celui de raconter sa vie, qui lui apparaissait si souvent faire obstacle à la possibilité d’écrire ? « Un moment de découragement, à battre pendant qu’il est chaud », notera le narrateur de L’Innommable [60]. Tel un mathématicien platonicien, Beckett pense que l’œuvre n’est pas créée mais « découverte, dévoilée, excavée », qu’elle préexiste à intérieur de l’artiste « en tant que loi de sa nature [61] ». Cette excavation prolonge l’extase. Proust écrit : « La salle à manger marine à Balbec avec son linge damassé préparé comme des nappes d’autel pour recevoir le coucher du soleil, avait cherché à ébranler la solidité de l’hôtel de Guermantes, à en forcer les portes et avait fait vaciller un instant les canapés autour de moi comme elle avait fait un autre jour les tables du restaurant de Paris [62]. » L’éclair se fait hiéroglyphe. Beckett note : « La seule réalité est celle que fournissent les hiéroglyphes tracées par la perception inspirée [63]… »
35Le terme de l’hiéroglyphe se trouve déjà dans « Dante… Bruno. Vico… Joyce », article écrit à la demande de l’auteur de Finnegans Wake comme défense de son work in progress :
« Cette écriture que vous trouvez si obscure est une extraction quintessencielle du langage de la peinture et du geste […] Voilà l’économie sauvage des hiéroglyphes [64]. »
37Écrit un an avant Proust pour Joyce, l’autre géant de la littérature moderne, Beckett y insiste déjà sur le fait que l’artiste doit extraire du langage, mais aussi des objets du désir, ce que Lacan appelle le réel de la jouissance – l’essence, l’idée, cet « élément mystérieux » – que la volonté relègue au « cachot de l’incohérence [65] ». En effet, cet élément perturbe la réalité construite sur la base de la volonté utilitaire et de l’habitude.
38Si Beckett a toujours maintenu sa critique de la volonté utilitaire, ses positions esthétiques ont évidemment évolué. La persécution nazie, la résistance, les années de guerre ont encore radicalisé son écriture. Ainsi il refuse depuis son essai sur les frères Van Velde « le vieux rapport sujet-objet [66] », ce qui ne veut pas dire que l’un ou l’autre soit désormais supprimé. Après avoir travaillé pour la construction d’un hôpital à Saint-Lô, ville martyre de la Seconde Guerre (Beckett a écrit un texte sur ce travail : Capitale des ruines [67]), il retourne, en 1946, à Foxrock, près de Dublin, pour rendre visite à sa mère. C’est lors de ce séjour que se révèle à lui, à l’âge de 40 ans, dans une expérience mystique, sa vraie voie d’écrivain. Ses exégètes ont identifié cette révélation avec un passage de son monologue dramatique : La dernière bande (1959-1960). L’auteur y situe l’épisode une nuit de mars, au bout d’une jetée, dans la rafale, mais l’évènement historique eut lieu dans la chambre de sa mère, comme il y insiste dans une conversation avec James Knowlson [68], son biographe. Dans le passage de La dernière bande, il parle d’une « vision » : « Ce que j’ai vu alors, c’était que la croyance qui avait guidé toute ma vie, à savoir […] que l’obscurité que je m’étais toujours acharné à refouler est en réalité mon meilleur […]. On lit ensuite : “Indestructible association jusqu’au dernier soupir de la tempête et de la nuit avec la lumière de l’entendement et le feu” [69]… ».
39Knowlson raconte comment Beckett a réduit les accents romantiques de cette révélation. Beckett lui a dit qu’il aurait seulement reconnu sa propre stupidité : « Molloy et les autres venaient vers moi le jour où j’étais devenu attentif à ma propre folie. C’est seulement à ce moment-là que j’ai commencé à écrire les choses que je sentais [70] ». Beckett maintient néanmoins dans cet entretien ce qu’il a écrit sur l’acceptation de son obscurité intérieure. Et il assume, en opposition à Joyce, son manque de savoir, l’appauvrissement de son langage, le ratage et l’impuissance. Mais il prend aussi ses distances d’avec Proust. Certes, le temps ne saurait lui imposer aucune limite. Ses textes s’inscrivent souvent dans l’éternité, serait-elle fictive. Par contre, il assume, en écrivant, la castration – l’artiste est loin de l’omniscience littéraire, il rate toujours, il n’a que le choix de mieux rater.
40À la fin d’un article, écrit pour le 80e anniversaire de Samuel Beckett, Edna O’Brien rapporte ce fragment de dialogue : « Est-ce que vous avez un écrivain favori ? – Non. – Non ? – Il n’y a pas quelque chose comme un écrivain favori. – Dieu – Avez-vous quelques pensées sur Dieu que vous voudriez rendre publiques ? – No… no… aucune… Attendez, [avec vigueur] J’en ai – the bastard, he doesn’t exist (Le bâtard, il n’existe pas) [71]. »
41Lacan a forgé un mot pour Dieu : « di-eu-re ». Cette condensation signifie que Dieu est dire [72], qu’il supporte le dire. Cela s’éprouve par le fait qu’en parlant nous nous contredisons à tout bout de champ, ce que, selon Lacan, un vrai athée ne fait pas parce qu’il ne se repose pas sur Dieu ! C’est à la garantie que Dieu donne au « dire » que Beckett s’attaque tout au long de son œuvre après la révélation de 1946 et particulièrement dans L’Innommable. Un aspect de ce roman est la parodie des contradictions dans le discours. Dans ce livre, l’auteur exploite la force de l’aporie comme la figure motrice de la longue transe, de l’incessant polylogue de son narrateur : « Je ne peux pas continuer, je vais continuer [73]. » Mais c’est encore une autre histoire.
Mots-clés éditeurs : mémoire involontaire, malédiction de l'habitude et de la volonté, Schopenhauer, temps aboli, « hiéroglyphes de la perception inspirée »
Date de mise en ligne : 01/11/2007.
https://doi.org/10.3917/sc.008.0107Notes
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[1]
Samuel Beckett, « Dante… Bruno. Vico… Joyce », dans Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment. Edited with a foreword by Ruby Cohn. Londres, 1983, John Calder, p. 28 : « Here words are not the polite contorsions of 20th century printer’s ink ».
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[2]
Edith Fournier, « Préface » de Samuel Beckett, Proust. Traduit de l’anglais et présenté par Edith Fournier. Paris, Les Éditions de Minuit, 1990, p. 15.
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[3]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 82. Dans l’édition anglaise (donc originale) – nous utilisons Proust and Three Dialogues with Georges Duthuit, Londres, 1965, John Calder – pas toujours traduite avec la fidélité nécessaire en français, on lit, p. 70 : He is stunned by waves of rupture… Nous citons désormais cette édition comme « édition anglaise » ou « éd. angl. ».
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[4]
Marcel Proust, Le temps retrouvé, Paris, 1986, GF Flammarion, p. 256 : « En roulant les tristes pensées que je disais il y a un instant j’étais entré dans la cour de l’hôtel des Guermantes… »
-
[5]
Ibid., p. 254.
-
[6]
Ibid. p. 254-255.
-
[7]
Samuel Beckett, Proust, éd. angl., p. 14
-
[8]
Proust, p. 24.
-
[9]
Traduction remaniée de ce passage de l’original (éd. angl. p. 14) : We are disappointed at the nullity of what we are pleased to call attainement. But what is attainement ? The identification of the subject with the object of his desire.The subject has died – and perhaps many times – on the way.
-
[10]
M. Proust, Le temps retrouvé, op. cit., p. 255-256.
-
[11]
M. Proust, op. cit., p. 47-48.
-
[12]
M. Proust, « À l’ombre des jeunes filles en fleurs II », dans À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 1988, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 77.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
M. Proust, Le temps retrouvé, op. cit., p. 259.
-
[15]
Ibid. p. 259.
-
[16]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 22.
-
[17]
Ibid., p. 21.
-
[18]
Ibid., p. 28.
-
[19]
In noi di cari inganni / non che la speme, il desiderio è spento. Giacomo Leopardi, « A se stesso ». C’est Edith Fournier qui donne cette traduction dans l’appareil des notes de Proust, op. cit., p. 109.
-
[20]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 36.
-
[21]
M. Proust, Le temps retrouvé, op. cit., p. 260-261.
-
[22]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 38.
-
[23]
Ibid., p. 38.
-
[24]
Ibid., p. 38.
-
[25]
Ibid., p. 91. Lors de l’excursion avec Mme de Villeparisis et sa grand-mère, qui amène le narrateur à visiter « l’église couverte de lierre » de Carqueville, il fait l’expérience de l’effort nécessaire à percer à jour ce qu’il appelle « l’Idée » : « Dans le bloc de verdure devant lequel on me laissa, il fallait pour reconnaître une église faire un effort qui me fît serrer de plus près l’idée d’église… ». Le narrateur compare son effort à celui des élèves « qui saisissent plus complètement le sens d’une phrase quand on les oblige par la version ou par le thème à la dévêtir des formes auxquelles ils sont accoutumés… ». Cet effort est donc bien dû à l’expérience d’étrangeté produite par cet édifice. Et, puis, le narrateur, sorti de l’église, voyant une « belle pêcheuse », être énigmatique, il tente à éveiller l’idée de la personne qui vit dans son corps, non sans y rencontrer sa propre image ! « Mais ce n’est pas seulement son corps que j’aurais voulu atteindre, c’était aussi la personne qui vivait en lui et avec laquelle il n’est qu’une sorte d’attouchement, qui est d’attirer son attention, qu’une sorte de pénétration, y éveiller une idée. » Et il poursuit : « Et cet être intérieur de la belle pêcheuse semblait m’être clos encore, je doutais si j’y étais entré, même après que j’eus aperçu ma propre image se refléter furtivement dans le miroir de son regard, suivant un indice de réfraction qui m’était aussi inconnu que si je me fusse placé dans le champ visuel d’une biche. » (« À l’ombre des jeunes filles en fleurs II », op. cit., p. 75-76). On aurait tort de réduire, sur la base de tels exemples, l’Idée proustienne à l’Imaginaire et au narcissisme. L’épisode de la « belle pêcheuse » ne montre-il pas aussi le Réel de l’impossible rapport sexuel qui gît au cœur même de l’Idée ?
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[26]
Ibid., p. 91.
-
[27]
Samuel Beckett, Mal vu mal dit, Paris 1981, Les Éditions de Minuit.
-
[28]
Ibid., p.32.
-
[29]
Jacques Lacan, Encore, Texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Le Seuil, 1975, p. 12-15, p. 73-82.
-
[30]
Geneviève Morel, Ambiguïtés sexuelles, Paris, Anthropos, 2000, p. 154-174.
-
[31]
Jean-Claude Milner, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, Lagrasse, Verdier, 2003, p. 17-26.
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[32]
Mal vu mal dit, op. cit., p. 24.
-
[33]
« À l’ombre des jeunes filles en fleurs II », op. cit., p. 96-97.
-
[34]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 78.
-
[35]
Marcel Proust, « Sodome et Gomorrhe », dans À la recherche du temps perdu, vol. III, Paris, 1988, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 151.
-
[36]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 33.
-
[37]
Ulrich Pothast, Die eigentliche metaphysische Tätigkeit. Über Schopenhauers Ästhetik und ihre Anwendung durch Samuel Beckett. Francfort, Suhrkamp, 1989.
-
[38]
Samuel Beckett, Proust, op.cit., p. 30.
-
[39]
Arthur Schopenhauer, Die Welt als Wille und Vorstellung I, Viertes Buch, dans Werke in fünf Bänden, Zürich, 1991, Haffmanns, p. 406-407.
-
[40]
Proust, p.39.
-
[41]
Marcel Proust, « Du côté de chez Swann », I, 2, dans À la recherche du temps perdu I, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1987, p. 162.
-
[42]
Marcel Proust, « La prisonnière », dans À la recherche du temps perdu, III, op. cit., p. 614.
-
[43]
Marcel Proust, « Albertine disparue », dans À la recherche du temps perdu, IV, op. cit., p. 190.
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[44]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 100.
-
[45]
Ibid., p. 78.
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[46]
Ibid., p. 77.
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[47]
Samuel Beckett, Proust, édition anglaise, op. cit., p. 64.
-
[48]
Ibid., p. 75.
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[49]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 86.
-
[50]
Ibid., p.87.
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[51]
Ulrich Pothast, op. cit., p. 189.
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[52]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 87.
-
[53]
Ibid., p. 88. Renate Schlesier écrit dans son article « Kreation und Zeit » (dans Zeitschrift für Ästhetik und Allgemeine Kunstwissenschaft, Heft 51/1, JG. 2006) que pour Proust « le temps n’est pas un concept ontologique mais un concept poétologique qui permet de saisir toute l’amplitude entre l’inspiration et l’immortalité ».
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[54]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 88.
-
[55]
Jacques Lacan, Encore. Texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris Le Seuil, 1975, p. 86-87.
-
[56]
Samuel Beckett, L’innommable, Paris, Les Éditions de Minuit, 1953.
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[57]
Id., Proust, op. cit., p. 88.
-
[58]
Ibid.
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[59]
Proust, édition anglaise, op. cit., p. 76.
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[60]
Samuel Beckett, L’innommable, op. cit., p. 42.
-
[61]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 96-97.
-
[62]
Marcel Proust, Le temps retrouvé, op. cit., p. 265.
-
[63]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 97.
-
[64]
Samuel Beckett, Disjecta, op. cit., p. 28.
-
[65]
Samuel Beckett, Proust, op. cit., p. 84.
-
[66]
Samuel Beckett, « Peintres de l’Empêchement », dans Disjecta, op. cit., p. 137.
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[67]
Samuel Beckett, The complete Short Prose, 1929-1989. Edited with an Introduction and Notes by S.E. Gontarsky, New York, Grove Press, 1995, p. 275-278.
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[68]
James Knowlson, Damned to fame, New York, Simon & Schuster, 1996, p. 319.
-
[69]
Samuel Beckett, La dernière bande. Suivi de Cendres, Paris, Les Éditions de Minuit, 1959, p. 23.
-
[70]
James Knowlson, Damned to fame, op. cit., p. 319.
-
[71]
Edna O’Brien, « “What would I write – what use is it ?” Samuel Beckett at 80 », dans Sunday Times, avril 1986, p. 53.
-
[72]
Jacques Lacan, « Télévision », dans Autres Écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 533.
-
[73]
Samuel Beckett, L’innommable, op. cit., p. 213.