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Article de revue

‪Avant la « langue des calculs ». L’écriture des opérations dans l’Algebra de Pierre de La Ramée‪

Pages 81 à 113

Notes

  • [1]
    J’emprunte l’expression « révolution scripturaire» à Jean-Louis Gardies [Gardies 1978, 25], [voir aussi, Gardies 2004, chap. 4], tandis que La Révolution symbolique est le titre d’un ouvrage de Michel Serfati [Serfati 2005]. Les deux expressions ne sont pas équivalentes et ces deux auteurs ne donnent pas le même contenu à cette « révolution». Mais tous deux soulignent la contribution décisive de Descartes et estiment qu’elle est pour l’essentiel accomplie avec Leibniz.
  • [2]
    Pour un exemple d’une « généalogie» des notations, voir, dans l’étude classique de Florian Cajori, la section III du premier volume, « Symbols in Arithmetic and Algebra (Elementary Part)» [Cajori 1928-1929, 100–199]. Cajori commence par dresser un inventaire des notations arithmétiques et algébriques, exhaustif au regard des sources accessibles en son temps, et organisé chronologiquement depuis Diophante jusqu’à Leibniz.
  • [3]
    J’use ici de l’expression « langue des calculs» par commodité et ne me réfère pas à l’ouvrage posthume de Condillac qui porte ce titre.
  • [4]
    [Oaks 2012]. Il s’agit d’une douzaine d’ouvrages, produits au Maghreb (et peut-être en Andalus), et datant pour les plus anciens de la fin du xiie siècle. L’auteur donne en annexe la liste de ces manuscrits.
  • [5]
    [Oaks 2012, 74] : « This lack of development [of symbolism] may be partially due to the fact that Algebra was still tied to rhetorical presentation.» L’oralité, souligne Oaks, n’est toutefois pas la seule cause de l’absence de développement du symbolisme dans le Moyen Âge arabe. Il met en avant un certain déclin de l’activité mathématique et de l’éducation après le xive siècle.
  • [6]
    Pour un panorama de l’algèbre à la Renaissance, voir les études réunies dans le volume édité par Sabine Rommevaux, Maryvonne Spiesser & Maria Rosa Massa Esteve [Rommevaux, Spiesser et al. 2012]. Parmi les travaux récents sur le symbolisme algébrique, voir par exemple les études réunies dans le recueil Philosophical Aspects of Symbolical Reasoning in Early Modern Mathematics [Heeffer & Van Dyck 2010] et celles contenues dans le volume 87 de la revue Philosophica [Heeffer & Esteve 2012]. L’article de Jeffrey Oaks mentionné ci-avant est tiré de ce dernier recueil.
  • [7]
    Voir l’avant-propos dans [Rommevaux, Spiesser et al. 2012].
  • [8]
    Je trouve excessif le point de vue de Jens Høyrup, lorsqu’il affirme qu’il y aurait eu chez les mathématiciens de la Renaissance une tendance générale (relevant à la fois de l’« ignorance» et de la « mauvaise foi») à nier les origines arabes de l’algèbre, même si Pierre de La Ramée lui-même ne dit effectivement rien des apports arabes [Høyrup 1996].
  • [9]
    Sur l’œuvre mathématique de Pierre de La Ramée, voir l’étude classique de Verdonk [Verdonk 1966].
  • [10]
    La première version de l’Arithmetica en trois livres est parue en 1555 à Paris et a été rééditée en 1557 ; une autre édition est parue à Bâle en 1567 et de multiples éditions sont parues après la mort de La Ramée  ; La Ramée a également publié une Arithmetica en deux livres, parue d’abord en 1562 (sans nom d’auteur), reprise dans les Arithmeticae libri duo et geometriae septem et viginti (Bâle, 1569) et rééditée séparément à de nombreuses reprises après sa mort. Les Scholae mathematicae sont parues à Bâle en 1569. Je renvoie à Walter J. Ong [Ong 1958a] pour l’inventaire de ces éditions et des nombreuses éditions et commentaires produits par les « ramistes». L’Algebra a quant à elle fait l’objet de deux éditions commentées, l’une par Bernard Salignac [Salignac 1580], l’autre par Lazare Schöner [Schöner 1586].
  • [11]
    On trouvera plus de détail sur les circonstances qui ont présidé à la publication de l’Algebra, ainsi que sur ses rééditions par Salignac et Schöner, dans un des articles que j’ai consacré à cet ouvrage [Loget 2011].
  • [12]
    [Scheybl 1550, 1551]. Dans l’édition bâloise de 1550, le traité d’algèbre est placé dans un ensemble de pièces liminaires précédant le texte des Éléments. L’année suivante, c’est le seul traité d’algèbre qui est imprimé à Paris par Guillaume Cavellat.
  • [13]
    Je renvoie à un autre de mes articles [Loget 2008], pour une comparaison plus détaillée entre la Descriptio et l’Algebra. Voir aussi la note 19 ci-dessous.
  • [14]
    Le domaine des « nombres figurés», explique La Ramée au début de l’Algebra, constitue l’objet spécifique de l’algèbre, alors que l’arithmétique a pour objet l’étude des nombres « simples», entiers et fractionnaires.
  • [15]
    Conformément à son modèle et à une tradition remontant au Moyen Âge, La Ramée aborde les équations du premier degré et du second degré, dont il distingue trois formes. Ces trois formes (qu’on noterait aujourd’hui x 2 + ax = b,ax + b = x 2 , x 2 + bx = a) et les méthodes de résolution associées sont celles qu’on trouve dans le traité d’al-Khwârizmî, dont les traductions latines médiévales ont été la principale source pour la connaissance de l’algèbre en Occident.
  • [16]
    Je me suis penché sur cette question et sur les causes qui ont pu conduire La Ramée à ce choix dans un précédent article [Loget 2012]. J’y défends l’hypothèse d’un travail conjoint de Pierre de La Ramée d’une part, de Jacques Peletier de l’autre, avec leurs imprimeurs respectifs (André Wéchel pour l’un, Jean de Tournes et Guillaume Cavellat pour le second) pour expliquer les singularités de leurs notations algébriques.
  • [17]
    Les appellations « binômes» et « résidus» désignent dans le Livre X d’Euclide des classes de lignes irrationnelles. Pour La Ramée et ses contemporains, ce sont des « nombres» qu’il convient d’apprendre à manipuler, dans les traités d’algèbre, au moyen des opérations courantes. Il s’agit d’expressions de la forme (resp. ) a + √b et a - √b (où a et b sont des nombres entiers ou fractionnaires positifs non nuls).
  • [18]
    Comme pour ce qui concerne les puissances, les notations qu’introduit La Ramée pour les racines sont originales. Les lettres l, lc, ll, préfixées à un nombre, sont employées par lui pour noter (respectivement) les racines carrées, cubique et quatrième de ce nombre.
  • [19]
    Scheybl n’aborde l’addition qu’au chapitre 4 d’une section présentant les opérations sur les racines carrées, après avoir défini cette classe de nombres (chap. 1) et donné les méthodes de multiplication et de division (chap. 2 et 3). Dans les deux sections suivantes, il suit le même ordre pour présenter plus brièvement les opérations sur deux autres classes d’irrationnels  : racines cubiques (fol. 28v.-30r.) et quatrièmes (fol. 30r–32r). Observons par ailleurs que la méthode d’addition présentée en Annexe 2 n’est ni la seule, ni la première que donne Scheybl  : il propose d’abord une méthode « générale» qu’il fonde sur la proposition II, 4 des Éléments (fol. 26r.-v.). Le remaniement que propose La Ramée est donc profond. D’une part, il s’abstient de répéter la présentation des opérations pour chacune des classes d’irrationnels  ; d’autre part, il présente les opérations dans un ordre qu’il juge sans doute plus « naturel»  : addition et soustraction, puis multiplication et division  ; enfin, il ne propose qu’une méthode d’addition et non deux. Toutes ces modifications, qui sont certainement vues par La Ramée comme des simplifications, contribuent à abréger le traité.
  • [20]
    Ainsi, rien ne distingue, tant du point de vue de l’écriture que de la forme, une addition d’une soustraction, à ceci près que dans la seconde, le mot de (pour le signe −) se substitue au mot ad à la première ligne.
  • [21]
    Au début de l’Algebra, La Ramée expose les techniques opératoires pour les « nombres figurés explicables», c’est-à-dire les puissances de l’inconnue. Il illustre ces méthodes en calculant sur des expressions que nous appellerions polynômes, comme on le voit sur l’exemple présent.
  • [22]
    On trouve d’ailleurs dans la version de l’Algebra éditée par Salignac (1580) de tels exemples, p. 126–128.
  • [23]
    Les équations sont systématiquement résolues au fil du texte, à l’exception d’un problème où les calculs sont posés sous forme de schémas.
  • [24]
    [Pacioli 1494]. La réédition de 1523 présente les mêmes caractéristiques.
  • [25]
    [Nuñez 1567]. On ne trouve en effet chez Nuñez que quelques schémas de calcul. Ainsi par exemple, aux pages 46 et 47, deux schémas illustrent, l’un un calcul préalablement effectué au fil du texte, l’autre une règle exposée verbalement. Les notations et la disposition choisie pour ces calculs y sont néanmoins remarquables.
  • [26]
    [Stifel 1544]. Chez Stifel de nombreux calculs sont présentés sous forme de schémas qui possèdent, comme ceux de La Ramée, une qualité graphique et des fonctions linguistiques. Jens Høyrup mentionne l’Arithmetica integra (et précisément le chapitre ou Stifel présente l’algorithme des nombres cossiques) comme une « source possible» des schémas de La Ramée [Høyrup 1996, 13, n. 26]. Si l’auteur de l’Algebra prend pour modèle la Brève description de Scheybl, il est tout à fait possible qu’il ait pu avoir en main, comme son contemporain Jacques Peletier, l’ouvrage de Stifel. La remarque de Høyrup invite en tout cas à réfléchir au fait que la « langue des calculs» est en cours d’élaboration chez d’autres auteurs que La Ramée. Une étude systématique qu’il n’est pas possible de mener ici serait utile.
  • [27]
    [Peletier 1554]. Peletier a pour principale source Stifel et reprend des dispositions de l’Arithmetica integra pour certains schémas de calculs. La qualité des notations de Peletier a été observée et on sait le soin qu’il a mis aux deux éditions de son traité, la première préparée à Lyon aux côtés de Jean de Tournes, la seconde produite par Cavellat à Paris [Peletier 1560].
  • [28]
    Walter Jackson Ong (S. J.), mort en 2003, a bâti une œuvre qu’il est impossible de rattacher à un seul champ disciplinaire, mais dont une part touche à la littérature de la Renaissance et aux œuvres de Pierre de La Ramée et de ses épigones. Outre l’essai sur lequel je vais m’appuyer ci-après, publié au début de sa carrière de chercheur, il a réalisé l’inventaire des écrits de Pierre de La Ramée [Ong 1958b], édité ou traduit certains de ses ouvrages et publié de nombreux articles sur La Ramée et le ramisme. Un seul de ces articles à ma connaissance concerne les mathématiques ramistes [Ong 1974]. Voir sa bibliographie complète établie par Thomas Walsh, dans [Van den Berg & Walsh 2011], également disponible sur le site internet « The Walter J. Ong, S.J., Center for Digital Humanities» https ://www.slu.edu/arts-and-sciences/ong-center/pdfs/ong-bibliography.pdf.
  • [29]
    Certains spécialistes de La Ramée ont contesté la lecture que propose Ong de l’œuvre de La Ramée. Un aperçu de ces critiques est donné par Nelly Bruyère [Bruyère 1984, 397–398 et passim], par exemple. Tout ceux qui s’attachent à la cohérence interne de l’œuvre du professeur royal jugeront que ces critiques sont fondées. Ainsi, il est juste de souligner que Ong s’appuie principalement sur les publications de l’année 1543 et qu’il fait peu de cas par conséquent des remaniements constants de l’œuvre dialectique du professeur royal, remaniements dont Nelly Bruyère montre justement qu’ils indiquent l’évolution de sa pensée. Plus généralement, on peut s’étonner de ce que Ong ne cite que rarement La Ramée et n’étaye pas plus souvent ses interprétations sur un commentaire direct. Enfin et surtout, les critiques féroces que Ong adresse à La Ramée semblent presqu’incongrues si l’on considère que Ong ne se donne pas seulement pour objet d’étudier l’œuvre de La Ramée, mais surtout de décrire la mutation de la pensée que représente le « tournant visualiste» à l’âge de l’imprimé. Et précisément, ceux qui (comme c’est mon cas), abordent la lecture de l’ouvrage en y voyant non seulement une étude sur l’œuvre de La Ramée, mais aussi l’illustration d’une thèse, pourront tomber d’accord sur le fait que, en dépit de certaines faiblesses ou imprécisions, il mérite examen.
  • [30]
    [Ong 1958b, 107–112]. La question de la relation entre sujet et prédicat est centrale pour qui étudie la logique d’Aristote. Ong mentionne parmi ses références les travaux de R. J. Blackwell et L. Robin et surtout la thèse de J.-M. Le Blond [Le Blond 1936].
  • [31]
    Traditionnellement, les lieux rhétoriques sont les notions-clés auxquelles on se réfère pour traiter un sujet donné. Chez Agricola, ils se substituent aux catégories, empruntées à Aristote, sur lesquelles se fondait la logique médiévale.
  • [32]
    La première édition parisienne a été donnée par Chrétien Wéchel en 1529. Une quinzaine d’autres, par divers éditeurs, ont été produites jusqu’en 1543. Le succès de cet ouvrage tient, selon Ong, à ce qu’il offrait un résumé simple et pratique de la logique médiévale et qu’il était adapté aux besoins des étudiants de la faculté des arts.
  • [33]
    [Ong 1958b, 74–83]. Ong prend pour exemple des éditions imprimées d’ouvrages de Pierre Tartaret, Juan de Celaya, Jean Mair et Jacques Lefèvre d’Étaples et porte son attention sur les schémas logiques qui y figurent. Il parle à leur sujet de « logique dans l’espace» (p. 74), de « géométrisation de la logique» (p. 82) ou même d’« arithmétisation de la logique», lorsqu’il évoque la Grammatologia de Lefèvre d’Étaples. Pour Ong, tous ces auteurs exploitent ce qui, dans la logique d’Aristote, relève d’une logique des classes et se prête à la quantification. Cette forme de logique se serait ensuite dégradée pour laisser place aux simples tables dichotomiques, présentes notamment chez La Ramée. Ce n’est que plus tard, au xixe siècle, qu’elle serait réapparue avec les travaux de Boole et Frege et le développement de la logique mathématique.
  • [34]
    [Ong 1958b, 307–308]. Relevons à ce sujet une certaine ambiguïté  : Ong souligne que la « révolution de l’imprimé» n’advient qu’après que soit accomplie une « révolution mentale» qui conduit à l’émergence de la mentalité visualiste. Mais lorsqu’il explique les connections entre l’œuvre de La Ramée et la nouvelle technologie, il semble inverser la relation, puisqu’il la décrit comme une application habile des possibilités qu’offre la technologie de l’imprimé.
  • [35]
    [Ong 1958b, 311, je traduis] : « Dans ce contexte, la méthode trouve en réalité sa définition et sa forme finale à mesure que les livres de Ramus deviennent de mieux en mieux organisés, à une époque où les imprimeurs se libéraient de la tradition manuscrite et apprenaient que la forme imprimée exige une relation à l’espace tout à fait différente de celle de la forme manuscrite.»
  • [36]
    L’état le plus élaboré des manuels ramistes est produit après la mort de La Ramée par ses épigones. L’Algebra ne fait ici pas exception, puisque si c’est l’un des rares traités qu’il n’a jamais republié lui-même sous une forme plus aboutie, on a vu qu’il a fait l’objet de rééditions plus complètes par Lazare Schöner et Bernard Salignac. Au début de l’Algebra de ce dernier, on trouve d’ailleurs une table dichotomique résumant le contenu de l’ouvrage.
  • [37]
    Sur l’assimilation mémoire/jugement, voir [Ong 1958b, chap. 12].
  • [38]
    [Nesselmann 1842, 301–302]. Albrecht Heeffer offre une critique de cette ancienne catégorisation et tente de lui substituer une nouvelle tripartition (« Non-Symbolic Algebra»/« Proto-Symbolic Algebra»/« Symbolic Algebra») [Heeffer 2012].
  • [39]
    Le constat que dresse Michel Serfati est de cet ordre  : « On n’observe [après Diophante et l’apparition de la « première symbolique»] aucune véritable modification dans la structure de la représentation, avant le milieu du xvie siècle (Recorde) et surtout sa fin (Viète). [...] À la fin du xve siècle, avec l’introduction de l’imprimé, les représentations de l’inconnue, de son carré de l’addition, etc., dans le droit fil des techniques diophantiennes, devinrent usuelles chez les calculateurs, tout en demeurant le plus souvent singulières, valides dans l’œuvre d’un seul auteur. D’où, à cette époque, une incroyable floraison de représentations insolites et de tentatives avortées» [Serfati 2005, 28].
  • [40]
    Certaines spécificités de l’écriture mathématique dont use Jacques Peletier du Mans dans ses traités d’algèbre ont été mises en évidence il y a déjà longtemps cf. par exemple [Cifoletti 1992]. Hors du cadre français, l’Arithmetica integra (1544) de Stifel ou l’Algebra (1572) de Bombelli présentent un intérêt certain. Et bien sûr, aussi bien Viète que Descartes constituent des sujets privilégiés pour de telles enquêtes.
  • [41]
    On pourrait chercher, dans les traités d’algèbre de la Renaissance, les vestiges de l’oralité. La formule, présente dans de nombreuses préfaces de traités d’algèbre (l’Arithmetica integra de Stifel encore, ou le Libro de Algebra de Nuñez, pour ne donner que deux exemples), indiquant qu’ils offrent aux studieux la possibilité d’apprendre l’algèbre « sans maître» montre peut-être aussi que l’on est en train de rompre avec un usage où la transmission des connaissances se faisait de maître à élève, pour donner au livre le rôle premier dans la médiation.

1 Avant la « langue des calculs » : L’écriture des opérations dans l’Algebra de Pierre de La Ramée

1 Les historiens des mathématiques se sont penchés, depuis longtemps et encore récemment, sur la question de l’élaboration du symbolisme algébrique, y voyant la préparation de ce que certains ont appelé une révolution « symbolique » ou « scripturaire [1] », à l’issue de laquelle la langue des mathématiques a gagné des fonctions qu’elle n’avait pas auparavant. Ce symbolisme et la syntaxe associée ont rendu possibles au début de l’époque moderne un usage calculatoire du langage et conduit à « substituer le calcul sur les signes au raisonnement sur les choses » [Gardies 2004, 89–91].

2 Pour étudier la « révolution » en question, on ne peut pas s’en tenir à la brève séquence dans laquelle Viète, Descartes, puis Leibniz, tiennent les premiers rôles. Pour comprendre les apports décisifs de ces derniers, on a d’abord dû faire la généalogie des notations arithmétiques et algébriques modernes [2]. Plus récemment, des études portant sur les traités d’algèbre imprimés à la Renaissance, sur les manuscrits de la tradition abaciste, sur certains manuscrits arabes ont inscrit l’étude de la « révolution symbolique » dans une temporalité plus longue. Ces études ont aussi renouvelé notre réflexion en interrogeant les conditions, culturelles et techniques, qui ont rendu possible l’émergence d’une « langue des calculs [3] ».

3 Ainsi par exemple, Jeffrey Oaks a, dans un article récent, mis en évidence l’importance de certains facteurs culturels. S’interrogeant sur la présence d’expressions symboliques algébriques dans quelques traités d’arithmétique en langue arabe où les problèmes sont par ailleurs énoncés et résolus rhétoriquement [4], il distingue deux formes d’écriture de l’algèbre au Moyen Âge : l’écriture rhétorique permettait de transmettre méthodes et résultats dans des livres à usage scolaire ; quant à l’écriture symbolique, elle restituait les calculs tels qu’ils se pratiquaient sur la table à poussière (et offrent donc à l’historien un témoignage précieux). Mais, dans une culture dominée par l’oralité, où l’apprentissage consistait avant tout en un échange entre maître et élève, le manuel d’arithmétique n’avait d’autre fonction que de permettre la mémorisation et la récitation d’une leçon orale. La forme rhétorique s’imposait donc, et l’écriture symbolique, utilisée dans des calculs dissociés du texte constituant la leçon proprement dite, n’était d’aucune utilité pour l’apprentissage. Oaks en conclut que les conditions de production des traités d’algèbre et de la transmission des savoirs ont été, dans le Moyen Âge arabe, des facteurs limitants pour le développement du symbolisme [5].

4 L’étude présente s’attache à un contexte historique et culturel autre que celui sur lequel Jeffrey Oaks a placé son attention, puisqu’elle porte sur l’algèbre de la Renaissance [6], un domaine qui a récemment été caractérisé comme « pluriel [7] ». Compte tenu de cette pluralité, on doit admettre comme un préalable que chaque auteur, chaque ouvrage, offrent un éclairage singulier sur l’algèbre à la Renaissance. L’ouvrage auquel je consacre l’étude présente, publié en France dans la deuxième moitié du xvi e siècle, n’échappe pas à cette règle. Comme les autres traités d’algèbre imprimés à Paris et Lyon durant cette période, l’Algebra témoigne d’un intérêt pour une branche nouvelle des mathématiques et pour son enseignement, d’un effort pour en connaître l’origine et en définir précisément les contours. L’origine arabe de l’algèbre est généralement admise par les mathématiciens de la Renaissance [8], mais l’attention qu’ils portent aux sources antiques peut conduire certains auteurs à chercher dans les livres II et X d’Euclide, puis chez Diophante, une origine de la science qu’ils prétendent alors « restaurer » dans sa pureté. Ils s’inscrivent par ailleurs dans une tradition mathématique dominée par l’ancienne division entre quantités discrètes et continues et leurs auteurs s’efforcent de situer d’algèbre par rapport à l’arithmétique et à la géométrie.

5 Mon hypothèse est que l’émergence au xvii e siècle de la « langue des calculs » est préparée par les usages, visibles dans le livre imprimé du xvi e siècle, d’une « écriture des calculs ». Il faut donc, si l’on veut étudier les prémisses de la « révolution scripturaire », non seulement étudier le symbolisme des algébristes du xvi e siècle, mais étudier les usages de ce symbolisme, la manière dont les calculs sont posés, et les conditions, y compris matérielles et techniques, qui rendent possibles ces usages dans le livre imprimé. Tel est l’objet de la présente étude. L’exemple de La Ramée, qui accorde un soin scrupuleux aux ouvrages qu’il fait réaliser par l’imprimeur André Wéchel, permet d’illustrer cette hypothèse. Les analyses de W. J. Ong sur l’œuvre de Pierre de La Ramée me fourniront ensuite une clé pour interpréter certaines spécificités de cette écriture.

2 L’Algebra (1560) et les « schémas d’opération »

2.1

6 Dans la masse imposante des ouvrages publiés par Pierre de La Ramée, l’œuvre mathématique occupe une place assez importante [9]. La Ramée, professeur royal d’éloquence et de philosophie, a accordé aux mathématiques une place centrale dans sa réforme du curriculum. Il a été conduit à les enseigner à plusieurs reprises au cours de sa carrière et y a consacré plusieurs ouvrages, parmi lesquels l’Arithmetica, qui a fait l’objet de plusieurs éditions remaniées, et les Scholae Mathematicae de 1569. À ces traités publiés du vivant de l’auteur, il faut ajouter les multiples rééditions, commentaires et traductions publiés après sa mort par ses nombreux épigones. Dans cette œuvre mathématique, l’Algebra occupe une place marginale [10]. Publié en 1560 (sans nom d’auteur), c’est le seul traité mathématique qui n’a fait l’objet d’aucune réédition du vivant de son auteur. L’algèbre a pourtant tenu, dans les années 1550 et 1560, une place dans le programme pédagogique de La Ramée, avant d’être abandonnée. Il avait préconisé l’introduction de l’algèbre dans le curriculum et, s’il n’y a pas d’indice matériel qu’il l’ait lui-même enseignée, les caractéristiques de l’Algebra laissent penser qu’elle a été conçue en vue d’un enseignement et pour être mise à la disposition des étudiants [11].

7 Pour rédiger son Algebra, La Ramée a pris pour modèle la Brève description de l’algèbre de Johann Scheybl, traité initialement publié à Bâle en 1550 en tête d’une édition des Éléments d’Euclide et réimprimé l’année suivante par l’imprimeur parisien Guillaume Cavellat [12]. L’Algebra n’est pas pour autant une simple reprise de la Descriptio de Scheybl [13]. La Ramée ne suit pas le même ordre que Scheybl, mais réorganise son traité en deux parties principales. Dans la première (Numeratio simplex), il expose les techniques pour opérer sur ce qu’il appelle les « nombres figurés », dont il distingue alors deux catégories : « figurés explicables » (puissances de l’inconnue) d’une part, « figurés inexplicables » (nombres irrationnels) de l’autre [14] ; dans la deuxième partie (Numeratio comparata), il expose les méthodes de résolution des équations [15] et illustre ces méthodes au moyen de quelques exemples numériques.

8 Comparé aux traités d’algèbre contemporains, et même comparativement à la Descriptio de Scheybl, l’Algebra, qui compte moins de quarante pages, apparaît particulièrement compacte. La vocation pédagogique de l’ouvrage explique sans doute la volonté de l’auteur de se limiter à un propos sommaire et son choix de ne proposer que quelques problèmes résolus sous forme d’équations, là où la plupart des traités contemporains multiplient les exercices pratiques. Mais l’écriture mathématique adoptée par La Ramée joue également un rôle dans cette brièveté. Je ne reviens pas ici sur l’usage par La Ramée de lettres minuscules en lieu et place des symboles « cossistes » en usage dans bon nombre de traités contemporains pour désigner les puissances de l’inconnue [16]. Je vais cette fois me pencher sur la manière dont les expressions algébriques contenant ces symboles sont agencées.

2.2

9 Pierre de La Ramée propose en effet dans son traité d’algèbre une manière caractéristique de poser certaines opérations. Les étapes en sont détaillées sous la forme de ce que j’appellerai des « schémas d’opération ». Ces dispositions, inspirées de celles qu’on trouve dans la Descriptio de Scheybl, sont une des particularités de ce traité et constituent un aspect singulier de l’écriture mathématique de Pierre de La Ramée. Je vais à présent examiner quelques pages de l’Algebra où apparaissent des schémas d’opération. Pour en montrer les caractéristiques, je comparerai ces schémas à ceux de la Descriptio.

10 On trouve des schémas d’opération caractéristiques dans les pages où La Ramée expose les méthodes de calcul sur les nombres irrationnels, dits « sourds » ou « nombres figurés inexplicables », ainsi que sur ces autres « nombres » que sont les « binômes » et « résidus [17] ». J’examinerai d’abord les pages (6v-9r) où La Ramée expose la « numération » des nombres « sourds », c’est-à-dire les opérations (addition, soustraction, multiplication, division) mettant en jeu cette catégorie de nombres particuliers que sont les nombres irrationnels ; j’examinerai ensuite les pages (11r-v) où il s’agit de l’extraction de la racine des « binômes » et « résidus ».

3 Les opérations sur les irrationnels

3.1 Additions et soustractions

11 L’exposé de la « numération » des nombres irrationnels commence par un bref paragraphe (p. 6v-7r) où La Ramée explique d’abord le sens de l’expression « nombre sourd ». Immédiatement ensuite (p. 7r), il explique la procédure en quoi consiste l’addition des nombres irrationnels, puis résout, dans le même paragraphe, deux cas numériques : deux sommes de deux racines carrées. Je donne ci-après une traduction du texte correspondant, en conservant les notations de La Ramée [18]. Le texte latin est donné en Annexe 1.

12

Additionner les côtés sourds, c’est multiplier les côtés réduits et arrangés, par eux-mêmes selon leur genre, et par la mesure commune, et ceci fait, découvrir le côté. Ainsi, pour ce qui est des côtés du carré, que l’on ajoute d’abord le côté 27 à l12 ; tu [les] réduiras aux vrais carrés 9 et 4 [en les divisant] par 3, mesure commune, et tu ajouteras alors leurs côtés 3 et 2 ; et à partir de la somme 5, tu multiplieras d’abord par soi selon son genre, c’est-à-dire [que tu élèveras] au carré, ensuite tu multiplieras le produit 25 par 3, la mesure commune ; enfin seulement le côté du produit 75 sera la somme des côtés donnés. Il en sera de même pour ce qui est des fractions. Ainsi, soit à ajouter l16/3 à l27/4, on compose l289/12, c’est-à-dire l24 et 1/12 ; et de même dans les exemples suivants. [La Ramée 1560, 7r]

13 Ce paragraphe, dont j’ai donné une traduction aussi littérale que possible, est obscur à la première lecture. Relevons d’abord les usages du mot « côté » (latus) pour nommer la racine carrée, et de la lettre l (préfixée au nombre), pour la désigner ; dans la deuxième phrase, les deux racines dont on indique vouloir prendre la racine sont désignées l’un par le mot, l’autre par la lettre. Notons par ailleurs que la phrase d’explication est censée convenir pour définir l’addition de deux racines quelles qu’elles soient, pourvu qu’elles soient « de même genre » (i.e., deux racines carrées, cubiques, quatrièmes, etc.). Remarquons enfin que les deux moments – phrase d’explication et cas numériques – sont couplés : dans la phrase d’explication, La Ramée s’efforce de ramasser en une formule brève toutes les opérations qu’il effectue ensuite sur des nombres donnés (racines carrées de deux nombres entiers, puis de deux nombres fractionnaires) et dans un ordre déterminé. Mais la formule d’explication agglomère ces étapes sans montrer l’ordre suivi. Ainsi définie et illustrée de façon rhétorique, la méthode d’addition des racines est d’une compréhension malaisée. Il faudra se demander quelle est la fonction de cette présentation, mais pour l’heure, demandons-nous si les schémas d’opération que propose ensuite La Ramée permettent de mieux la comprendre.

14 À la suite de ce paragraphe, on trouve donc une série de six exemples d’addition de nombres irrationnels présentés sous la forme de schémas d’opération. Les deux premiers (p. 7r) sont ceux qui viennent d’être exposés « rhétoriquement » (√27+√12 et √16/3+√27/4), les autres illustrent la méthode d’addition de racines cubiques (7r) et quatrièmes (7v) (cf. Annexe 1).

15 Pour ce qui est de la méthode de soustraction des nombres irrationnels, La Ramée l’expose, comme pour l’addition, en trois temps : il propose d’abord une explication littérale qui résume en une phrase l’opération effectuée ; puis il illustre cette opération en développant deux cas numériques (sommes de deux racines carrées entières et fractionnaires) ; enfin une série d’exemples est présentée sous la forme de schémas d’opération.

16 Au total, quatorze schémas exemplifiant les méthodes d’addition et de soustraction des nombres irrationnels (racines carrées, cubiques et quatrièmes) sont présentés aux pages 7v–8r. La séquence en trois temps (explication littérale de la méthode, illustration sur quelques cas numériques, série d’exemples) par laquelle sont présentées les méthodes d’addition et de soustraction est familière. C’est celle qu’on trouve dans les traités d’algèbre depuis le Moyen Âge, et encore dans les traités du xvi e siècle, lorsque sont exposés les canons des équations du second degré.

17 Pour ce qui est des exemples, la démarche suivie reproduit exactement celle qu’il a détaillée dans le cas numérique. J’ai mis en correspondance, dans le tableau suivant, une traduction française du texte du cas numérique √27+√12 et le schéma d’opération correspondant ; la transcription en langage mathématique courant, qui aide à comprendre les calculs effectués, fera l’objet d’un commentaire ultérieur :

18

Additionner les côtés sourds, c’est multiplier les côtés réduits et arrangés, par eux-mêmes selon leur genre, et par la mesure commune, et ceci fait, découvrir le côté.
Figure 0

19 Pour comprendre l’originalité de la présentation de La Ramée, comparons-la avec celle qu’on trouve dans la Descriptio. Dans le chapitre qu’il consacre à l’addition des racines carrées, Scheybl propose une méthode identique à celle de La Ramée (cf. Annexe 2). Pour présenter cette méthode, il associe comme La Ramée une explication rhétorique et des exemples présentés sous forme de schémas. L’explication est ainsi rédigée :

20

D’abord, ces nombres sourds commensurables seront réduits à des nombres carrés. Ensuite, les racines de ces carrés seront ajoutées ensemble et de ce qui en résulte, le carré sera multiplié par le nombre commun aux nombres commensurables [i.e., par leur commune mesure]. Ceci fait, la racine du produit indiquera la somme des racines sourdes. [Scheybl 1551, 27r]

21 L’explication que propose Scheybl détaille mieux la méthode en en distinguant trois grandes phases : réduction, calcul (plusieurs opérations intermédiaires), résultat. Elle est aussi moins générale, puisque Scheybl ne décrit ici que l’addition de deux racines carrées [19]. En rédigeant une formule brève, La Ramée voulait peut-être en faciliter la mémorisation. En donnant à cette formule la plus grande généralité, il suivait l’ordre imposé par sa méthode, exigeant que l’on procède du général au particulier. Mais ces deux exigences contribuaient à rendre la phrase d’explication obscure. L’exposé des cas numériques (omise par Scheybl) ne suffisait pas à rendre claire l’explication. Qu’ils constituent en revanche un commentaire indispensable pour déchiffrer les schémas d’opération, cela est confirmé par la comparaison entre les schémas d’opération de La Ramée et ceux de Scheybl, comme on va le voir.

22 Immédiatement après cette explication, Scheybl donne en effet deux exemples d’additions de racines carrées développés sous forme de schémas, puis deux autres présentés sous une forme réduite à deux lignes (données du problème et résultat). Considérons le premier schéma de Scheybl, à savoir la somme √27+√12. La comparaison fait apparaître la parenté et les différences par rapport au schéma de La Ramée pris en exemple :

Figure 1

23 Remarquons d’abord que, dans la Descriptio, des traits d’opération isolent les calculs proprement dits des données initiales du problème d’une part, du résultat d’autre part. Ensuite, Scheybl inscrit dans son schéma des annotations verbales qui donnent des indications sur les calculs intermédiaires : l’abréviation com. nu explique la « réduction » initiale effectuée au moyen du nombre 3, facteur commun aux deux racines à ajouter ; les mots quadrata et radices indiquent les opérations effectuées (élévations) au carré, extractions de racines carrées) ; de même, l’expression in se signale qu’il faut multiplier le nombre 5 par lui-même ; le « nombre commun » com. numerus réapparaît à la fin de la procédure, lorsqu’il s’agit d’effectuer la multiplication qui permet d’obtenir le radical 75 ; le résultat est finalement posé, désigné par l’expression summa radicum, en préfixant au nombre le signe radical.

24 On le voit, les schémas d’opération de La Ramée sont présentés sous une forme proche de celle observée chez Scheybl, mais épurée. La Ramée a repris globalement la disposition de Scheybl, mais il a éliminé toutes les annotations verbales et laissé implicites certaines opérations intermédiaires (ainsi à la fin de la procédure, où La Ramée laisse au lecteur le soin de « deviner » que le nombre radical s’obtient en multipliant 25 par la « mesure commune » 3). Au final, ne figurent dans son schéma (si on excepte le mot latin ad, utilisé en lieu et place du signe +) que les deux nombres entiers à additionner, les résultats des opérations intermédiaires et le résultat final, tout cela exprimé au moyen de chiffres et des lettres l, lc, ll. Ainsi réduit à l’état d’épure, le schéma d’opération de La Ramée est plus difficile à lire que celui de Scheybl. Pour le décoder, la lecture du cas numérique, où la procédure est exposée verbalement, paraît indispensable.

25 Les pages 7r–v de l’Algebra (Annexe 1) montrent l’effet de l’élimination des annotations verbales : l’empagement est presqu’entièrement occupé par les schémas d’opération, bien isolés les uns des autres, ainsi que des pavés de texte. On peinerait à trouver une mise en page aussi aérée dans d’autres ouvrages d’algèbre publiés dans les mêmes années ou auparavant. En revanche, semblable présentation sera reprise dans le manuel du ramiste Bernard Salignac, qui reprend et complète le traité d’algèbre de La Ramée [Salignac 1580, 120v]. Il faut donc bien voir là une spécificité des algèbres ramistes.

26 La disposition de ces schémas est particulièrement remarquable. Les calculs effectués sur chacun des deux termes de l’addition ou de la soustraction s’échelonnent sur plusieurs lignes et, au lieu que les résultats intermédiaires soient placés à l’aplomb des deux termes de l’opération, ils sont disposés sur deux obliques convergentes au croisement desquelles figure le résultat final. Le calcul affecte ainsi une forme en triangle, disposition qu’on retrouve dans tous les schémas d’additions et soustractions de deux racines (qu’elles soient carrées, cubiques, quatrième, etc.) de nombres aussi bien entiers que fractionnaires [20]. Chaque schéma occupe une portion de l’espace de la page et constitue dans cet espace une unité visible et reconnaissable par sa forme.

27 On a donc ici la forme canonique adoptée par La Ramée pour présenter les exemples d’addition et de soustraction des irrationnels. C’est pour lui la manière dont il convient de poser ces opérations. C’en est l’écriture par excellence et cette écriture possède des caractéristiques propres : outre l’usage raisonné des signes (lettres minuscules, chiffres, signes opératoires), une syntaxe (règles d’agencement de ces signes) marquée notamment par la « bidimensionnalité » (le calcul se déploie sur plusieurs lignes et chaque ligne constitue une étape du calcul). Mais à ces caractéristiques proprement langagières se joint une dimension graphique, puisque la composition typographique produit une « image » qui permet d’identifier un type d’opération par la figure que prennent les calculs sur la page.

28 Ces constats valent pour l’addition et la soustraction des nombres irrationnels, mais peut-on retrouver des caractéristiques semblables pour les autres opérations portant sur les irrationnels ?

3.2 Multiplications et divisions des irrationnels

29 L’examen des chapitres suivants, qui concernent la mutiplication et la division des irrationnels, donne des éléments de réponse à cette question. La Ramée expose d’abord la méthode pour les multiplications et divisions de deux nombres irrationnels « de même genre » (fol. 8r–v), c’est-à-dire de deux racines carrées, cubiques ou quartes.

30 Pour la multiplication, on retrouve un exposé en trois temps – explication littérale, cas numériques, exemples –, mais la méthode est ici exposée en quelques lignes. Pour ce qui est des exemples de multiplications, La Ramée se contente de poser les termes de l’opération (multiplicande et multiplicateur) d’une part, le résultat d’autre part. Les exemples sont ainsi présentés sur deux lignes, la première pour les deux termes, la seconde pour le produit, séparées par un trait d’opération (Annexe 3). Une telle disposition est encore très proche de celle adoptée dans la Descriptio de Scheybl (Annexe 4).

31 En ce qui concerne la division, La Ramée ne rédige pas d’explication, mais se contente de donner des exemples, présentés sommairement sur une seule ligne, le quotient étant placé à droite des termes de l’opération et simplement séparé par une parenthèse ouvrante, comme ci-après, où il s’agit de diviser √8 par √56 :

32

per l8 div. l56 ( l7

33 Dans les exemples d’opérations qu’il a choisis, multiplications comme divisions, où le résultat s’obtient sans que soit posée aucune opération intermédiaire, il n’est pas nécessaire que la composition typographique indique la procédure suivie. La disposition choisie rappelle toutefois celle adoptée, au début de l’Algebra, pour les multiplications et divisions de cette autre catégorie de nombre de l’algèbre qu’il appelle « figurés explicables » (p. 3v-4r) [21]. Il posait alors la multiplication de 7x 2 4x par 9x comme suit,

q 4 l
9 l
63 c 36 q

34 distinguant ainsi multiplicateur et multiplicande d’une part, produit de l’autre, par un trait d’opération ; de même pour la division, il usait déjà de la parenthèse ouvrante comme séparateur entre dividende et diviseur d’une part, quotient de l’autre, comme dans l’exemple suivant où il s’agit de diviser 9x 2 + 4x par 3x :

q +l (3l + 1 ⅓
3 l 3  l

35 Dans les autres exemples de multiplication de nombres « figurés explicables », on voit (cf. Annexe 5) que les calculs intermédiaires sont placés entre deux traits d’opération, qui jouent bien leur rôle de séparateur ; de même pour les divisions, où les calculs menant au résultat s’ajoutent en lignes successives, mais où la parenthèse ouvrante garde son rôle de séparateur. Cet usage des séparateurs et, plus généralement, l’agencement des signes et la disposition des calculs (lignes successives et alignement vertical des termes, chiffres barrés dans les divisions), constituent la syntaxe permettant de poser et d’effectuer les multiplications et divisions des « figurés explicables ». On peut supposer que si La Ramée avait donné des exemples plus complexes de multiplication et de division des irrationnels, il aurait usé de la même syntaxe et leur présentation sous forme de schémas aurait obéi aux mêmes règles [22].

36 Pour ces opérations, comme pour les additions et soustractions des nombres irrationnels, la disposition typographique contribue à donner aux schémas une forme caractéristique, en dépit des différences liées à la mise en œuvre effective des calculs sur des nombres donnés. On retrouve les deux aspects, syntaxique et graphique, observés précédemment, et on peut conclure que La Ramée, en même temps qu’il use d’une syntaxe particulière et d’une écriture bidimensionnelle, s’appuie sur les ressources de la typographie pour donner aux multiplications et divisions une forme régulière et facile à reconnaître.

37 Une disposition plus surprenante est adoptée pour les cas où, les termes à multiplier ou diviser étant « hétérogènes » (fol. 8v-9r), ils doivent faire l’objet d’une « réduction ». Dans le paragraphe où il détaille la méthode et l’illustre par des cas numériques, La Ramée distingue deux circonstances, selon que ce sont les « termes » [termini] ou les « signes » [notae] qui sont hétérogènes. Dans la première, où l’on opère sur un entier d’une part et d’autre part sur une racine carrée, cubique ou quatrième, la réduction ne présente pas de difficulté ; dans la seconde, où il s’agit de multiplier ou diviser deux nombres dont les « signes » diffèrent, des exemples sont donnés (p. 9r) pour montrer la démarche à suivre. Dans ce cas, deux séries de trois exemples sont présentées. Je reproduis ici la seconde où il s’agit de la multiplication d’une racine carrée par une racine cubique, d’une racine carrée par une racine quatrième et d’une racine cubique par une racine quatrième (cf. aussi Annexe 6).

l 24lc16l qc3538944l qc54
perl 72 cum vel inll32fitll165888exitll162
lc 32ll8ll536870912l bqc2048

38 Chacun des trois exemples est disposé sur une ligne comportant quatre nombres : multiplicateur, multiplicande, résultat ; le terme le plus à droite est le radical restant après simplification, mais bizarrement, le résultat de la factorisation n’est jamais exprimé. Les trois exemples sont présentés ensemble, si bien que les quatre termes successifs sont placés les uns sous les autres. La disposition d’ensemble est celle d’un tableau à trois lignes et quatre colonnes. Dans ce tableau, des mots figurent, qui permettent de « lire » les opérations : ainsi par exemple, le premier exemple pourrait se lire

‪per l 24 cum vel in‪ lc16fitlqc3538944exitlqc54

39 et se traduirait « La racine carrée de 24 multipliée par la racine cinquième de 16, cela donne la racine cinquième de 3538944 ; il en provient la racine cinquième de 54. » Le résultat simplifié après factorisation,

40 Figure 2 ,

41 n’est donc pas correctement exprimé dans cet exemple, pas plus que dans les autres exemples de la page 9r.

42 La Ramée reprend ici encore une disposition proche de celle proposée par Scheybl (à ceci près que le quatrième terme est absent dans la Descriptio). Il y a bien là une composition typographique régulière qui produit une forme caractéristique et facilement identifiable. Mais, à la différence de ceux proposés précédemment, ces schémas ne sont pas « purs » de toute expression verbale. Par ailleurs, ils servent à illustrer plusieurs opérations à travers plusieurs exemples. La concaténation des opérations et des exemples produit la disposition en tableau et la régularité typographique, mais ne sert pas à identifier un type d’opération ni à détailler les étapes d’un calcul particulier. Ici, l’agencement des signes sert seulement à produire une forme caractéristique. La Ramée propose bien une disposition typographique régulière, mais cette disposition n’est qu’un artifice de présentation. On pourrait dire que la dimension graphique du schéma prévaut sur sa dimension syntaxique.

3.3 Les opérations sur les binômes et résidus

43 Le livre 1 de l’Algebra s’achève sur les pages consacrées aux opérations sur cette autre catégorie de nombres « figurés inexplicables » que sont les binômes et résidus (p. 9v-11v). Après avoir en quelques lignes (p. 9v) défini ces objets et énoncé une règle de base pour les opérations, La Ramée propose une série d’exemples pour l’addition (p. 9r–v), la soustraction (p. 9v-10r), la multiplication et la division (p. 10r–11r). Je laisse de côté ces développements pour ne considérer que ce qui concerne l’extraction de la racine des binômes et résidus (p. 11r–v). L’explication de la méthode est exposée en une longue phrase qui en détaille les étapes :

44

Le côté du binôme ou du résidu sera tiré en retranchant d’abord la moitié du carré du plus petit segment à la moitié du carré du plus grand segment et en ajoutant le côté du reste à la moitié du plus grand ; le côté de la somme sera le grand segment du côté recherché ; ensuite en retranchant le même tout du même grand segment du carré proposé ; le côté de la différence sera le petit segment du côté recherché. [La Ramée 1560, 11r]

45 Cette méthode n’est pas illustrée par un cas qui en détaillerait chacun des pas, mais immédiatement appliquée dans cinq exemples disposés sous forme de schémas (Annexe 7). L’examen des schémas constitue le complément indispensable à la lecture pour comprendre le détail de la procédure. Examinons le deuxième exemple présenté par La Ramée. Il s’agit d’extraire la racine du binôme √448 + 14 (la numérotation est la mienne) :

1.l 448+14
2.l 1127
3.11249
4.63
5.l 63l 112
6.7
7.916
8.34
9. Additio 7 Subd.1
10.491
11.3437
12.ll 343+ll 7

46 Dans un premier temps, on prend la moitié de chacun des termes (l. 2) ; on élève les deux résultats au carré (l. 3) et on en prend la différence (l. 4). On prend ensuite la racine de la différence que l’on pose à gauche de la moitié du carré du plus grand terme (l. 5). Dans un deuxième temps, la méthode demande qu’on calcule la somme et la différence de ces deux termes ; pour pouvoir procéder à ces opérations, La Ramée doit recourir à la méthode déjà connue pour sommer les irrationnels en effectuant une simplification par factorisation ; il fait d’abord apparaître ce qu’il appelle la « commune mesure » (l. 6), c’est-à-dire le radicande commun aux deux termes, puis leurs facteurs (l. 8–9). Il pose alors (l. 10) les résultats cherchés de la somme d’une part, de la différence d’autre part, avant de réintégrer les produits de la factorisation sous le radical et de poser le résultat final (l. 11–12).

47 Dans cette illustration de l’extraction de la racine du binôme

48 Figure 3 ,

49 chaque étape du calcul est détaillée sur une ligne, ce qui donne au calcul une disposition en colonnes où les termes sont soigneusement alignés verticalement. Cette décomposition et cet alignement, identiques pour les autres exemples de la même opération, donnent au schéma sa forme spécifique. Dans ce cas précis, où un calcul intermédiaire est nécessaire, cette forme se combine avec celle déjà vue pour l’addition des irrationnels, sans que cela nuise à la disposition régulière des calculs.

4 Interprétation de ces schémas

50 Essayons de décrire les propriétés principales des « schémas d’opération » que nous venons d’examiner.

4.1

51 D’abord, soulignons à nouveau que les schémas n’apparaissent que dans le livre I, mais qu’ils y ont une présence massive. Et si j’ai mis ici l’accent sur ceux qu’on trouve dans les chapitres concernant les nombres irrationnels, l’examen systématique de ceux qui apparaissent plus tôt dans le traité, lorsque sont exposées les méthodes de calculs sur les nombres « figurés explicables », montrerait que La Ramée s’efforce d’élaborer des règles d’écriture pour l’ensemble des opérations sur les nombres de l’algèbre. Les règles syntaxiques qu’il met en œuvre dans le livre I ont un caractère systématique. La typographie est également mise au service de cette écriture et contribue à sa régularité. Quant au livre II, dans lequel on traite de la résolution des équations, La Ramée n’y recourt généralement pas aux schémas [23]. Après avoir simplement défini l’équation comme « ce par quoi des [nombres] figurés sont dits égaux entre eux par hypothèse », il distingue les deux formes d’équations « simples » et « composées ». Il illustre ensuite ces formes au moyen d’exemples empruntés pour la plupart à Scheybl, et résolus de façon purement rhétorique. La Ramée n’étend donc pas sa quête d’une écriture mathématique à ce type de calcul que constitue la résolution des équations.

4.2

52 L’Algebra et son modèle, la Descriptio, ne sont pas les seuls traités de la Renaissance où l’on trouve des calculs présentés sous forme de schémas. Un des premiers ouvrages imprimés traitant de mathématiques, la Summa de arithmetica geometria Proportioni et proportionalita de Pacioli, produite à Venise en 1494, offre d’abondants exemples de schémas d’opérations. Mais ceux-ci, présentés en marge, sont dissociés d’un texte où les calculs sont par ailleurs effectués rhétoriquement [24]. Ne peut-on pas faire l’hypothèse que cette dissociation a, dans la Summa, la même signification que dans les manuscrits étudiés par Jeffrey Oaks ? Rappelons que pour Oaks, les schémas n’offraient qu’une illustration de la manière dont étaient posés et effectués les calculs, tandis que la transmission des connaissances mathématiques et des techniques de calcul se faisait par la voie d’un texte transcrivant la leçon dispensée par le maître à son élève. À la fin du xv e siècle, les pratiques de calcul dont rendent compte les schémas de Pacioli sont celles de l’algorisme, et non plus celles de la table à poussière. Par ailleurs, dans l’imprimé de Venise, les schémas sont des transcriptions typographiques des calculs posés. Ils sont composés soigneusement, et leur présentation dans la Summa obéit manifestement à des règles systématiques. Néanmoins, la relégation en marge des schémas de calculs peut signifier qu’ils jouaient un rôle secondaire par rapport à la leçon rédigée.

53 Pour ce qui est des traités imprimés au milieu du xvi e siècle, les cas de figure sont très variés. Chez certains auteurs, les calculs sont enchassés dans le texte et se lisent au fil du texte. C’est le cas dans le Libro de Algebra de Pedro Nuñez, où l’on ne trouve que de très rares schémas [25]. Mais on trouve dans de nombreux traités une écriture des calculs qui pourrait faire l’objet d’un examen poussé. C’est le cas par exemple de l’Arithmetica integra de Michael Stifel, produite par le fameux imprimeur Petreius à Nuremberg [26], ou de l’Algebre de Jacques Peletier du Mans [27]. Il reste que dans le traité de La Ramée, les schémas occupent une place significative, compte tenu de la brièveté du traité, et toute la mise en page s’en trouve affectée. Les schémas s’inscrivent dans un empagement où on repère nettement des zones distinctes : d’une part des pavés de texte (où les procédures sont expliquées et exemplifiées), justifiés à gauche et à droite, d’autre part les schémas eux-mêmes, éventuellement centrés dans la page, ou du moins isolés par des marges ordinairement vierges de toute écriture. Sur la page ainsi organisée, les passages rédigés en langue « littéraire » et ceux rédigés en langue « mathématique » sont clairement distincts, mais ils sont néanmoins associés dans un ensemble continu. Ainsi intégrés au texte, les schémas de La Ramée ne peuvent être considérés comme de simples transcriptions typographiques des calculs préalablement effectués à la plume. Dans l’Algebra, ouvrage à vocation exclusivement pédagogique, ils prennent un rôle essentiel dans l’apprentissage des mathématiques. On voit là que l’écriture mathématique, dans cet ouvrage, et dans d’autres qui lui sont contemporains, est en train de gagner un statut qu’elle n’avait pas encore à la fin du xv e siècle.

4.3

54 Avec les schémas d’opération, on voit se déployer une écriture des calculs qui permet de poser et d’effectuer les opérations sur les nombres de l’algèbre. Pourtant, cette écriture n’est pas pleinement fonctionnelle, puisque rien ne permet d’identifier les calculs effectués à chaque étape. En confrontant l’écriture de La Ramée avec celle qui nous est coutumière, on saisit clairement ce qui lui manque. Si l’on se reporte à la transcription dans notre langage de la somme d’irrationnels examinée plus haut, on voit que La Ramée effectue, comme nous le ferions, une factorisation, mais celle-ci est bien difficile à lire sur le schéma. Une écriture « cartésienne » au contraire, non seulement la fait apparaître, mais offre en même temps une justification des calculs, puisque chacune des formules de la colonne de droite qui correspondent aux étapes successives du calcul de La Ramée, a été formée en remplaçant, dans celle qui la précède, un membre par une expression équivalente du point de vue sémantique. L’usage de cette « règle de remplacement », manifeste dans l’écriture mathématique qui nous est familière, rend explicite la démarche qui conduit au résultat.

55

Figure 4

56 Pour lire les schémas de La Ramée, il faut au contraire avoir lu au préalable l’explication et éventuellement les cas numériques qui les précèdent. Il y a donc une forte dépendance entre le schéma d’opération et le texte qui l’accompagne. En dépit du fait que, par la mise en page, chaque schéma apparaisse comme une unité autonome, et bien qu’il décompose l’opération en une série de calculs successifs, le schéma ne contient pas en lui-même les instructions qui permettent d’effectuer ces calculs. En somme, si la démarche de La Ramée est semblable à celle que l’on suit aujourd’hui, l’écriture qu’il adopte n’offre au lecteur ni compréhension ni justification du résultat. Il lui faut, pour obtenir cette compréhension et cette justification, se reporter à l’explication et aux cas numériques et s’assurer que la « recette » qui y est développée a bien été suivie. On pourrait dire que la syntaxe du langage mathématique de La Ramée est incomplète, puisque, malgré le choix d’un symbolisme et l’usage de règles (pour l’essentiel implicites) de formation des expressions, le décodage du schéma impose au lecteur de se reporter à un texte extérieur. La Ramée, pas plus que ses contemporains, n’use donc pas d’une « langue des calculs », mais seulement d’une « écriture des calculs », caractérisée par un symbolisme et une syntaxe insuffisamment développés pour être pleinement opératoires.

4.4.

57 La Ramée use d’une manière systématique de disposer les calculs dans la page. La dimension graphique de cette écriture mathématique interroge : les schémas sont des « images » composées d’éléments typographiques, autant que des textes destinés à être décodés. La présence de telles « images », leur fonction dans l’œuvre de Pierre La Ramée, ont été étudiées par Walter J. Ong. C’est en m’appuyant sur l’essai qu’il a consacré à cette œuvre que je vais à présent chercher une clé d’interprétation des « schémas d’opération ». Il me faut pour cela m’éloigner temporairement de mon sujet pour présenter aussi brièvement que possible le cadre théorique dans lequel Ong inscrit son étude de l’œuvre de La Ramée.

5 L’écriture et le livre imprimé selon W. J. Ong

5.1 Remarque préliminaire

58 L’ambition de Walter J. Ong dans toute son œuvre [28] est d’étudier les relations entre l’oralité et l’écriture. Ces relations auraient pris de multiples formes et connu des transformations que Ong envisage dans la longue durée et sans se limiter à l’espace culturel occidental. La Renaissance occidentale lui apparaît toutefois comme une période charnière où s’accomplit une « révolution mentale » qui affecte la représentation du monde et les modalités de la connaissance dans leur ensemble. On passe, explique Ong, d’un univers mental dominé par l’ouïe à un univers mental dominé par la vue. On cesse de considérer les mots comme inscrits dans un univers sonore pour les considérer dans l’espace de l’écriture. Les processus de pensée sont spatialisés. Toutes les connaissances, tous les produits de l’esprit, sont désormais considérés comme des « choses » occupant un certain espace. La nouvelle mentalité qui naît alors est dite « visualiste ».

59 Si Walter J. Ong s’intéresse à l’œuvre de La Ramée, c’est parce qu’elle lui semble offrir le meilleur exemple pour illustrer cette révolution. Dans l’essai qu’il lui consacre, il trace une histoire de la logique qui le conduit des universités médiévales à l’humanisme, de la scolastique au ramisme en passant par la dialectique d’Agricola. Ce panorama historique laisse ensuite place à l’étude des origines et du développement de la pensée de La Ramée, puis de sa diffusion [29].

5.2 De la logique des classes à la logique des lieux

60 La réflexion sur l’histoire de la logique que conduit Ong s’enracine dans une réflexion originale sur la théorie de la prédication. Dans la logique d’Aristote, la prédication (la liaison d’un sujet et d’un prédicat dans un énoncé dit « déclaratif ») ne se réduit pas à une articulation logique. Aux yeux de Ong, tout énoncé « déclaratif » doit être considéré comme une « imputation » [accusation] : de tels énoncés portent un jugement sur le monde et, pour ce faire, doivent être exprimés, soit verbalement, soit en pensée. Autrement dit, les énoncés conservent dans la logique aristotélicienne une dimension orale/auditive irréductible [30].

61 Dans le courant du xv e siècle, le Hollandais Rudolph Agricola intègre dans son exposé de la logique la théorie des « lieux », traditionnellement développée dans les traités de rhétorique [31]. Son manuscrit (De Inventione Dialectica libri tres), rédigé à la fin des années 1470 mais resté incomplet, a bénéficié d’une très large diffusion par le biais d’éditions imprimées, à partir de 1515 en Allemagne et aux Pays-Bas, puis à Paris dans le deuxième quart du xvi e siècle [32]. Dans la logique d’Agricola, le résidu oral/auditif de la logique d’Aristote disparaît au profit d’une conceptualisation en termes d’analogies purement visuelles/spatiales. La « logique des lieux » favorise ainsi le développement de ce que W. J. Ong appelle la « mentalité visualiste ». Héritier de Rudolph Agricola, La Ramée est le promoteur après lui d’une logique des lieux qui se substitue à la logique des classes développée dans les universités médiévales. Pour Ong, son œuvre de logicien témoigne du développement de la mentalité visualiste.

5.3 La « mentalité visualiste » et le livre imprimé

62 Le développement de cette mentalité, explique Ong, est favorisé par le nouveau médium qu’est le livre imprimé. Dans certains manuscrits de logique médiévale figuraient déjà des schémas simples (arbres de Porphyre ou carrés des opposés) montrant les relations entre genre et espèce. Au début du xvi e siècle, cette tendance s’affirme. Ong présente quelques exemples de traités de logique [33] où l’on trouve des schémas complexes qu’il aurait été impossible de reproduire avec exactitude à l’âge du manuscrit. On voit naître alors une « logique dans l’espace » où les mots sont disposés dans l’espace de la page et où sont établies entre ces mots des relations logiques. Venant après Agricola et à l’époque de la diffusion massive du livre imprimé, La Ramée tire parti de la nouvelle technologie. Les tables dichotomiques, dont il use abondamment dans ses ouvrages (mais dont on trouve aussi d’abondants exemples dans les éditions imprimées antérieures, d’Agricola lui-même ou d’autres logiciens comme Jean Sturm), sont, comme les schémas logiques, une manifestation de la « logique dans l’espace ».

63 Ong établit donc une relation entre l’émergence de la mentalité « visualiste » et la nouvelle culture du livre imprimé. La prolifération des schémas complexes dans les traités de logique du début du xvi e siècle, puis l’usage systématique des dichotomies dans l’œuvre de La Ramée, rendus possibles par la maîtrise de la technologie de l’imprimé, sont aussi des témoignages de la mentalité visualiste [34]. Mais il va plus loin, puisqu’il entend montrer que le développement du thème de la méthode, central dans l’œuvre de La Ramée, se rattache à l’art de disposer les matériaux dans le livre imprimé [35]. Il souligne que, dans les éditions successives de ses ouvrages, on observe généralement une progression depuis les premières éditions (où le texte paraît peu organisé, sans titres courants ni divisions en chapitres ni paragraphes) jusqu’aux dernières, où l’arrangement spatial est nettement plus élaboré [36]. Ainsi, Ong estime que, chez La Ramée, le progrès vers des éditions mieux organisées correspond à l’évolution de la doctrine vers une formalisation plus aboutie. Tout se passerait comme si, pour qu’une doctrine réponde aux normes de la bonne méthode, il fallait qu’elle soit exposée dans un ouvrage répondant à des normes typographiques : un tel livre serait parfait sur le plan logique.

64 Un tel ouvrage sera aussi plus facile à mémoriser. Comme Agricola, La Ramée fait migrer le thème de la mémoire de la rhétorique vers la dialectique. Il définit la mémoire comme l’acte par lequel le dialecticien, en vue de résoudre une question donnée, met en ordre ses arguments. Autrement dit, il l’assimile à ce qu’il appelle « jugement », et plus généralement à la méthode en tant que telle [37]. Si l’ordre typographique et les tables dichotomiques sont des instruments au service de la méthode, c’est parce qu’ils permettent de s’approprier et de mémoriser la doctrine. Avec ces instruments, La Ramée substitue à la mémoire auditive, centrale dans l’ancienne rhétorique, une mémoire visuelle et locale. C’est en cela qu’il fait du livre le vecteur principal de la transmission de la connaissance. Ong interprète le succès du ramisme, au moment où croît la culture du livre imprimé, comme le signe de la « révolution mentale » qu’il entend étudier. Il y voit le déclin de l’oralité au profit de la culture écrite.

5.4 Fonctions des schémas d’opération

65 Les tables dichotomiques, artefacts dont l’usage généralisé est rendu possible par la maîtrise des techniques de l’imprimerie, sont donc, pour le lecteur, des images qui résument l’organisation de l’ouvrage, qui lui permettent de saisir d’un coup d’œil les articulations logiques entre des concepts et en facilitent la mémorisation. Leur fonction est donc double : logique (elles résument le contenu de l’ouvrage organisé suivant la bonne méthode) et mnémotechnique (elles permettent de s’en approprier le contenu). Le parallèle avec les schémas d’opération que nous avons examinés est permis. D’abord, leur usage généralisé est rendu possible par un usage habile des techniques de l’imprimerie : le travail de composition typographique permet en effet de prévoir à l’avance et de contrôler précisément la disposition des signes sur la page. Ensuite, les schémas détaillent la méthode permettant d’effectuer un certain type d’opération et en facilitent du coup la mémorisation : en associant à un type d’opération une forme régulière figée, le schéma permet au lecteur qui aura à la fois visualisé cette forme et retenu les instructions écrites qui l’accompagnent de se remémorer les calculs qui la produisent et permettent d’obtenir le résultat final. La fonction des schémas d’opération serait donc d’aider à la mémorisation et à la mise en œuvre des algorithmes, tout comme ces autres « schémas » que sont les dichotomies constituent des outils pour résumer et mémoriser le contenu des ouvrages dans lesquels ils apparaissent.

6 Éléments de conclusion

66 L’originalité de l’écriture mathématique de La Ramée a été depuis longtemps soulignée, tout autant que son caractère rudimentaire et inachevé. L’examen que j’ai proposé confirme bien sûr ces constats. Non seulement le symbolisme qu’il introduit n’est pas tout à fait fixé, mais encore les schémas d’opération ne sont pas mis en œuvre dans l’intégralité de l’ouvrage. Et surtout, s’ils figent dans une disposition régulière les calculs en en distinguant nettement les différentes étapes, ils ne permettent pas de les décoder à moins de se référer aux explications qui les précèdent.

67 On pourrait en rester à ce constat et renvoyer aux anciennes catégories de Nesselman : l’Algebra se situerait dans un entre-deux : au-delà de l’algèbre rhétorique, en deçà de l’algèbre symbolique [38]. Son écriture mathématique entrerait dans un vaste ensemble d’écritures, développées par ses prédécesseurs ou contemporains, qui n’auraient en commun que d’être toutes différentes (chacune étant l’exclusivité d’un seul auteur) et de ne pas offrir les facilités qui se font jour progressivement à partir de Viète [39]. Une telle conclusion me paraît insatisfaisante à double titre ; d’abord parce qu’elle conduit à renoncer à mettre à jour les singularités des diverses écritures mathématiques en usage à la Renaissance et, d’autre part, parce qu’elle invite à déporter le regard vers les écritures qui naissent après Viète, accréditant ainsi la thèse d’une « révolution symbolique » aussi radicale et soudaine qu’inexplicable.

68 Il ne s’agit pas pour moi non plus de jeter ici le doute sur le caractère décisif des contributions de Viète et de Descartes à l’élaboration de la « langue des calculs », mais d’essayer de mettre au jour certaines conditions qui l’ont rendue possible. J’ai entrepris cela au moyen d’une étude de cas et j’ai choisi de porter mon attention sur l’Algebra de La Ramée, mais une enquête de la même nature pourra être entreprise sur d’autres traités d’algèbre du xvi e siècle [40]. J’ai d’abord voulu montrer, en examinant quelques pages de l’Algebra, que la syntaxe et le symbolisme rudimentaires dont use La Ramée, spécifiques sans être radicalement différents de ceux de ses contemporains, lui permettent de poser et d’effectuer les opérations. Dans l’Algebra, l’écriture mathématique se déploie dans la page suivant des règles précises, distinctes de celles en usage pour le texte courant. Un partage se dessine donc entre deux langages : celui qui permet d’effectuer les calculs d’une part, celui qui en décrit les procédures d’autre part (discours ordinaire).

69 La lecture de Ong me permet d’aller au-delà de cette première conclusion. Pour cet auteur, La Ramée a joué un rôle clé dans un processus historique qui conduit au déclin de l’oralité. La Ramée conçoit le livre comme la forme adéquate permettant d’organiser et de transmettre une doctrine. Il lui donne de ce fait une place plus centrale qu’auparavant dans la culture savante et scolaire. Là où l’oralité conservait un rôle prépondérant dans la transmission des connaissances, c’est désormais le livre qui doit assurer cette médiation. La nécessité de donner au lecteur un instrument qui lui permettra de s’approprier par lui-même, c’est-à-dire sans la médiation d’un maître, le contenu d’une doctrine guide la réflexion de La Ramée sur la forme du livre imprimé, conçu comme le lieu où se déploient le contenu et l’ordre de la doctrine. Cette nécessité commande aussi son usage des schémas d’opérations (aussi bien que des dichotomies). La présence des schémas d’opération dans l’Algebra (et les autres traités mathématiques de La Ramée) pourrait donc s’interpréter, si l’on en croit Ong, comme un indice du nouveau statut donné au livre et, simultanément, du déclin de l’oralité.

70 Sans doute le primat de l’oralité était-il une condition limitante pour le développement du symbolisme, comme l’a observé Jeffrey Oaks. Plus généralement, le livre et l’écriture ne pouvaient jouer qu’un rôle secondaire tant que subsistait la conception selon laquelle le manuel ne propose que la transcription d’une leçon orale. Dans ce régime de connaissance, les calculs posés étaient nécessairement dissociés de la leçon et il n’était ni utile, ni possible de développer les fonctionnalités de l’écriture mathématique. Comme le montre Ong, La Ramée va sans doute plus loin que ses contemporains dans la promotion du livre et la rupture avec l’oralité, mais il accompagne un mouvement amorcé bien avant lui, qu’amplifie la « révolution de l’imprimé », et auquel participent ses contemporains [41]. La place qu’il donne au livre dans l’apprentissage le conduit à organiser le déploiement systématique de l’écriture mathématique sur la page. Il contribue ce faisant à faire apparaître une langue mathématique déconnectée de la langue ordinaire. Cette déconnexion n’est toutefois que partielle parce que ses schémas ont une fonction mnémotechnique : ce sont des images que l’œil doit s’approprier, y reconnaissant une forme et une organisation spécifiques. Aux yeux de La Ramée, ils sont destinés avant tout à produire des formes faciles à mémoriser, mais ces formes sont composées de signes typographiques agencés dans un langage spécifique. Les schémas font par conséquent apparaître les fonctionnalités que permettent un symbolisme et une syntaxe propres à l’écriture des calculs. ll faudra ensuite développer ces fonctionnalités pour donner à la langue des calculs sa pleine autonomie et en faire un pur « calcul sur les signes ».

Cet article est issu d’une communication délivrée en 2016 dans le cadre du 24e congrès annuel de la Society for History of Authorship, Reading and Publishing (SHARP 2016). J’ai bénéficié, pour en améliorer le texte, des échanges avec les collègues présents. Les remarques des rapporteurs auxquels a été soumis la première version de l’article m’ont également été précieuses.

71

‪Annexe 1 : ‪ ‪Algebra‪ ‪, fol. 7r–7v. ‪Somme de nombres irrationnels

Figure 5

‪Annexe 1 : ‪ ‪Algebra‪ ‪, fol. 7r–7v. ‪Somme de nombres irrationnels

72

‪Annexe 1b : ‪ ‪Algebra‪ ‪, fol. 7r–7v. ‪Somme de nombres irrationnels

Figure 6

‪Annexe 1b : ‪ ‪Algebra‪ ‪, fol. 7r–7v. ‪Somme de nombres irrationnels

73

Annexe 2 : Scheybl, p. 27r. Addition des nombres irrationnels

Figure 7

Annexe 2 : Scheybl, p. 27r. Addition des nombres irrationnels

74

Annexe 3 : Algebra, fol. 8r. Multiplication des racines carrées et cubiques

Figure 8

Annexe 3 : Algebra, fol. 8r. Multiplication des racines carrées et cubiques

75

‪Annexe 4a: Scheybl fol. 25v. ‪Multiplications de racines carrées, fol. 28v. Multiplications de racines cubiques

Figure 9

‪Annexe 4a: Scheybl fol. 25v. ‪Multiplications de racines carrées, fol. 28v. Multiplications de racines cubiques

76

‪Annexe 4b: Scheybl fol. 25v. ‪Multiplications de racines carrées, fol. 28v. Multiplications de racines cubiques

Figure 10

‪Annexe 4b: Scheybl fol. 25v. ‪Multiplications de racines carrées, fol. 28v. Multiplications de racines cubiques

77

Annexe 5 : Algebra, fol. 3v. Multiplication de nombres « figurés simples »

Figure 11

Annexe 5 : Algebra, fol. 3v. Multiplication de nombres « figurés simples »

78

Annexe 6 : Algebra, fol. 9r

Figure 12

Annexe 6 : Algebra, fol. 9r

79

Annexe 7 : Algebra, fol. 9r

Figure 13

Annexe 7 : Algebra, fol. 9r

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Date de mise en ligne : 04/12/2020

https://doi.org/10.4000/philosophiascientiae.1420

Notes

  • [1]
    J’emprunte l’expression « révolution scripturaire» à Jean-Louis Gardies [Gardies 1978, 25], [voir aussi, Gardies 2004, chap. 4], tandis que La Révolution symbolique est le titre d’un ouvrage de Michel Serfati [Serfati 2005]. Les deux expressions ne sont pas équivalentes et ces deux auteurs ne donnent pas le même contenu à cette « révolution». Mais tous deux soulignent la contribution décisive de Descartes et estiment qu’elle est pour l’essentiel accomplie avec Leibniz.
  • [2]
    Pour un exemple d’une « généalogie» des notations, voir, dans l’étude classique de Florian Cajori, la section III du premier volume, « Symbols in Arithmetic and Algebra (Elementary Part)» [Cajori 1928-1929, 100–199]. Cajori commence par dresser un inventaire des notations arithmétiques et algébriques, exhaustif au regard des sources accessibles en son temps, et organisé chronologiquement depuis Diophante jusqu’à Leibniz.
  • [3]
    J’use ici de l’expression « langue des calculs» par commodité et ne me réfère pas à l’ouvrage posthume de Condillac qui porte ce titre.
  • [4]
    [Oaks 2012]. Il s’agit d’une douzaine d’ouvrages, produits au Maghreb (et peut-être en Andalus), et datant pour les plus anciens de la fin du xiie siècle. L’auteur donne en annexe la liste de ces manuscrits.
  • [5]
    [Oaks 2012, 74] : « This lack of development [of symbolism] may be partially due to the fact that Algebra was still tied to rhetorical presentation.» L’oralité, souligne Oaks, n’est toutefois pas la seule cause de l’absence de développement du symbolisme dans le Moyen Âge arabe. Il met en avant un certain déclin de l’activité mathématique et de l’éducation après le xive siècle.
  • [6]
    Pour un panorama de l’algèbre à la Renaissance, voir les études réunies dans le volume édité par Sabine Rommevaux, Maryvonne Spiesser & Maria Rosa Massa Esteve [Rommevaux, Spiesser et al. 2012]. Parmi les travaux récents sur le symbolisme algébrique, voir par exemple les études réunies dans le recueil Philosophical Aspects of Symbolical Reasoning in Early Modern Mathematics [Heeffer & Van Dyck 2010] et celles contenues dans le volume 87 de la revue Philosophica [Heeffer & Esteve 2012]. L’article de Jeffrey Oaks mentionné ci-avant est tiré de ce dernier recueil.
  • [7]
    Voir l’avant-propos dans [Rommevaux, Spiesser et al. 2012].
  • [8]
    Je trouve excessif le point de vue de Jens Høyrup, lorsqu’il affirme qu’il y aurait eu chez les mathématiciens de la Renaissance une tendance générale (relevant à la fois de l’« ignorance» et de la « mauvaise foi») à nier les origines arabes de l’algèbre, même si Pierre de La Ramée lui-même ne dit effectivement rien des apports arabes [Høyrup 1996].
  • [9]
    Sur l’œuvre mathématique de Pierre de La Ramée, voir l’étude classique de Verdonk [Verdonk 1966].
  • [10]
    La première version de l’Arithmetica en trois livres est parue en 1555 à Paris et a été rééditée en 1557 ; une autre édition est parue à Bâle en 1567 et de multiples éditions sont parues après la mort de La Ramée  ; La Ramée a également publié une Arithmetica en deux livres, parue d’abord en 1562 (sans nom d’auteur), reprise dans les Arithmeticae libri duo et geometriae septem et viginti (Bâle, 1569) et rééditée séparément à de nombreuses reprises après sa mort. Les Scholae mathematicae sont parues à Bâle en 1569. Je renvoie à Walter J. Ong [Ong 1958a] pour l’inventaire de ces éditions et des nombreuses éditions et commentaires produits par les « ramistes». L’Algebra a quant à elle fait l’objet de deux éditions commentées, l’une par Bernard Salignac [Salignac 1580], l’autre par Lazare Schöner [Schöner 1586].
  • [11]
    On trouvera plus de détail sur les circonstances qui ont présidé à la publication de l’Algebra, ainsi que sur ses rééditions par Salignac et Schöner, dans un des articles que j’ai consacré à cet ouvrage [Loget 2011].
  • [12]
    [Scheybl 1550, 1551]. Dans l’édition bâloise de 1550, le traité d’algèbre est placé dans un ensemble de pièces liminaires précédant le texte des Éléments. L’année suivante, c’est le seul traité d’algèbre qui est imprimé à Paris par Guillaume Cavellat.
  • [13]
    Je renvoie à un autre de mes articles [Loget 2008], pour une comparaison plus détaillée entre la Descriptio et l’Algebra. Voir aussi la note 19 ci-dessous.
  • [14]
    Le domaine des « nombres figurés», explique La Ramée au début de l’Algebra, constitue l’objet spécifique de l’algèbre, alors que l’arithmétique a pour objet l’étude des nombres « simples», entiers et fractionnaires.
  • [15]
    Conformément à son modèle et à une tradition remontant au Moyen Âge, La Ramée aborde les équations du premier degré et du second degré, dont il distingue trois formes. Ces trois formes (qu’on noterait aujourd’hui x 2 + ax = b,ax + b = x 2 , x 2 + bx = a) et les méthodes de résolution associées sont celles qu’on trouve dans le traité d’al-Khwârizmî, dont les traductions latines médiévales ont été la principale source pour la connaissance de l’algèbre en Occident.
  • [16]
    Je me suis penché sur cette question et sur les causes qui ont pu conduire La Ramée à ce choix dans un précédent article [Loget 2012]. J’y défends l’hypothèse d’un travail conjoint de Pierre de La Ramée d’une part, de Jacques Peletier de l’autre, avec leurs imprimeurs respectifs (André Wéchel pour l’un, Jean de Tournes et Guillaume Cavellat pour le second) pour expliquer les singularités de leurs notations algébriques.
  • [17]
    Les appellations « binômes» et « résidus» désignent dans le Livre X d’Euclide des classes de lignes irrationnelles. Pour La Ramée et ses contemporains, ce sont des « nombres» qu’il convient d’apprendre à manipuler, dans les traités d’algèbre, au moyen des opérations courantes. Il s’agit d’expressions de la forme (resp. ) a + √b et a - √b (où a et b sont des nombres entiers ou fractionnaires positifs non nuls).
  • [18]
    Comme pour ce qui concerne les puissances, les notations qu’introduit La Ramée pour les racines sont originales. Les lettres l, lc, ll, préfixées à un nombre, sont employées par lui pour noter (respectivement) les racines carrées, cubique et quatrième de ce nombre.
  • [19]
    Scheybl n’aborde l’addition qu’au chapitre 4 d’une section présentant les opérations sur les racines carrées, après avoir défini cette classe de nombres (chap. 1) et donné les méthodes de multiplication et de division (chap. 2 et 3). Dans les deux sections suivantes, il suit le même ordre pour présenter plus brièvement les opérations sur deux autres classes d’irrationnels  : racines cubiques (fol. 28v.-30r.) et quatrièmes (fol. 30r–32r). Observons par ailleurs que la méthode d’addition présentée en Annexe 2 n’est ni la seule, ni la première que donne Scheybl  : il propose d’abord une méthode « générale» qu’il fonde sur la proposition II, 4 des Éléments (fol. 26r.-v.). Le remaniement que propose La Ramée est donc profond. D’une part, il s’abstient de répéter la présentation des opérations pour chacune des classes d’irrationnels  ; d’autre part, il présente les opérations dans un ordre qu’il juge sans doute plus « naturel»  : addition et soustraction, puis multiplication et division  ; enfin, il ne propose qu’une méthode d’addition et non deux. Toutes ces modifications, qui sont certainement vues par La Ramée comme des simplifications, contribuent à abréger le traité.
  • [20]
    Ainsi, rien ne distingue, tant du point de vue de l’écriture que de la forme, une addition d’une soustraction, à ceci près que dans la seconde, le mot de (pour le signe −) se substitue au mot ad à la première ligne.
  • [21]
    Au début de l’Algebra, La Ramée expose les techniques opératoires pour les « nombres figurés explicables», c’est-à-dire les puissances de l’inconnue. Il illustre ces méthodes en calculant sur des expressions que nous appellerions polynômes, comme on le voit sur l’exemple présent.
  • [22]
    On trouve d’ailleurs dans la version de l’Algebra éditée par Salignac (1580) de tels exemples, p. 126–128.
  • [23]
    Les équations sont systématiquement résolues au fil du texte, à l’exception d’un problème où les calculs sont posés sous forme de schémas.
  • [24]
    [Pacioli 1494]. La réédition de 1523 présente les mêmes caractéristiques.
  • [25]
    [Nuñez 1567]. On ne trouve en effet chez Nuñez que quelques schémas de calcul. Ainsi par exemple, aux pages 46 et 47, deux schémas illustrent, l’un un calcul préalablement effectué au fil du texte, l’autre une règle exposée verbalement. Les notations et la disposition choisie pour ces calculs y sont néanmoins remarquables.
  • [26]
    [Stifel 1544]. Chez Stifel de nombreux calculs sont présentés sous forme de schémas qui possèdent, comme ceux de La Ramée, une qualité graphique et des fonctions linguistiques. Jens Høyrup mentionne l’Arithmetica integra (et précisément le chapitre ou Stifel présente l’algorithme des nombres cossiques) comme une « source possible» des schémas de La Ramée [Høyrup 1996, 13, n. 26]. Si l’auteur de l’Algebra prend pour modèle la Brève description de Scheybl, il est tout à fait possible qu’il ait pu avoir en main, comme son contemporain Jacques Peletier, l’ouvrage de Stifel. La remarque de Høyrup invite en tout cas à réfléchir au fait que la « langue des calculs» est en cours d’élaboration chez d’autres auteurs que La Ramée. Une étude systématique qu’il n’est pas possible de mener ici serait utile.
  • [27]
    [Peletier 1554]. Peletier a pour principale source Stifel et reprend des dispositions de l’Arithmetica integra pour certains schémas de calculs. La qualité des notations de Peletier a été observée et on sait le soin qu’il a mis aux deux éditions de son traité, la première préparée à Lyon aux côtés de Jean de Tournes, la seconde produite par Cavellat à Paris [Peletier 1560].
  • [28]
    Walter Jackson Ong (S. J.), mort en 2003, a bâti une œuvre qu’il est impossible de rattacher à un seul champ disciplinaire, mais dont une part touche à la littérature de la Renaissance et aux œuvres de Pierre de La Ramée et de ses épigones. Outre l’essai sur lequel je vais m’appuyer ci-après, publié au début de sa carrière de chercheur, il a réalisé l’inventaire des écrits de Pierre de La Ramée [Ong 1958b], édité ou traduit certains de ses ouvrages et publié de nombreux articles sur La Ramée et le ramisme. Un seul de ces articles à ma connaissance concerne les mathématiques ramistes [Ong 1974]. Voir sa bibliographie complète établie par Thomas Walsh, dans [Van den Berg & Walsh 2011], également disponible sur le site internet « The Walter J. Ong, S.J., Center for Digital Humanities» https ://www.slu.edu/arts-and-sciences/ong-center/pdfs/ong-bibliography.pdf.
  • [29]
    Certains spécialistes de La Ramée ont contesté la lecture que propose Ong de l’œuvre de La Ramée. Un aperçu de ces critiques est donné par Nelly Bruyère [Bruyère 1984, 397–398 et passim], par exemple. Tout ceux qui s’attachent à la cohérence interne de l’œuvre du professeur royal jugeront que ces critiques sont fondées. Ainsi, il est juste de souligner que Ong s’appuie principalement sur les publications de l’année 1543 et qu’il fait peu de cas par conséquent des remaniements constants de l’œuvre dialectique du professeur royal, remaniements dont Nelly Bruyère montre justement qu’ils indiquent l’évolution de sa pensée. Plus généralement, on peut s’étonner de ce que Ong ne cite que rarement La Ramée et n’étaye pas plus souvent ses interprétations sur un commentaire direct. Enfin et surtout, les critiques féroces que Ong adresse à La Ramée semblent presqu’incongrues si l’on considère que Ong ne se donne pas seulement pour objet d’étudier l’œuvre de La Ramée, mais surtout de décrire la mutation de la pensée que représente le « tournant visualiste» à l’âge de l’imprimé. Et précisément, ceux qui (comme c’est mon cas), abordent la lecture de l’ouvrage en y voyant non seulement une étude sur l’œuvre de La Ramée, mais aussi l’illustration d’une thèse, pourront tomber d’accord sur le fait que, en dépit de certaines faiblesses ou imprécisions, il mérite examen.
  • [30]
    [Ong 1958b, 107–112]. La question de la relation entre sujet et prédicat est centrale pour qui étudie la logique d’Aristote. Ong mentionne parmi ses références les travaux de R. J. Blackwell et L. Robin et surtout la thèse de J.-M. Le Blond [Le Blond 1936].
  • [31]
    Traditionnellement, les lieux rhétoriques sont les notions-clés auxquelles on se réfère pour traiter un sujet donné. Chez Agricola, ils se substituent aux catégories, empruntées à Aristote, sur lesquelles se fondait la logique médiévale.
  • [32]
    La première édition parisienne a été donnée par Chrétien Wéchel en 1529. Une quinzaine d’autres, par divers éditeurs, ont été produites jusqu’en 1543. Le succès de cet ouvrage tient, selon Ong, à ce qu’il offrait un résumé simple et pratique de la logique médiévale et qu’il était adapté aux besoins des étudiants de la faculté des arts.
  • [33]
    [Ong 1958b, 74–83]. Ong prend pour exemple des éditions imprimées d’ouvrages de Pierre Tartaret, Juan de Celaya, Jean Mair et Jacques Lefèvre d’Étaples et porte son attention sur les schémas logiques qui y figurent. Il parle à leur sujet de « logique dans l’espace» (p. 74), de « géométrisation de la logique» (p. 82) ou même d’« arithmétisation de la logique», lorsqu’il évoque la Grammatologia de Lefèvre d’Étaples. Pour Ong, tous ces auteurs exploitent ce qui, dans la logique d’Aristote, relève d’une logique des classes et se prête à la quantification. Cette forme de logique se serait ensuite dégradée pour laisser place aux simples tables dichotomiques, présentes notamment chez La Ramée. Ce n’est que plus tard, au xixe siècle, qu’elle serait réapparue avec les travaux de Boole et Frege et le développement de la logique mathématique.
  • [34]
    [Ong 1958b, 307–308]. Relevons à ce sujet une certaine ambiguïté  : Ong souligne que la « révolution de l’imprimé» n’advient qu’après que soit accomplie une « révolution mentale» qui conduit à l’émergence de la mentalité visualiste. Mais lorsqu’il explique les connections entre l’œuvre de La Ramée et la nouvelle technologie, il semble inverser la relation, puisqu’il la décrit comme une application habile des possibilités qu’offre la technologie de l’imprimé.
  • [35]
    [Ong 1958b, 311, je traduis] : « Dans ce contexte, la méthode trouve en réalité sa définition et sa forme finale à mesure que les livres de Ramus deviennent de mieux en mieux organisés, à une époque où les imprimeurs se libéraient de la tradition manuscrite et apprenaient que la forme imprimée exige une relation à l’espace tout à fait différente de celle de la forme manuscrite.»
  • [36]
    L’état le plus élaboré des manuels ramistes est produit après la mort de La Ramée par ses épigones. L’Algebra ne fait ici pas exception, puisque si c’est l’un des rares traités qu’il n’a jamais republié lui-même sous une forme plus aboutie, on a vu qu’il a fait l’objet de rééditions plus complètes par Lazare Schöner et Bernard Salignac. Au début de l’Algebra de ce dernier, on trouve d’ailleurs une table dichotomique résumant le contenu de l’ouvrage.
  • [37]
    Sur l’assimilation mémoire/jugement, voir [Ong 1958b, chap. 12].
  • [38]
    [Nesselmann 1842, 301–302]. Albrecht Heeffer offre une critique de cette ancienne catégorisation et tente de lui substituer une nouvelle tripartition (« Non-Symbolic Algebra»/« Proto-Symbolic Algebra»/« Symbolic Algebra») [Heeffer 2012].
  • [39]
    Le constat que dresse Michel Serfati est de cet ordre  : « On n’observe [après Diophante et l’apparition de la « première symbolique»] aucune véritable modification dans la structure de la représentation, avant le milieu du xvie siècle (Recorde) et surtout sa fin (Viète). [...] À la fin du xve siècle, avec l’introduction de l’imprimé, les représentations de l’inconnue, de son carré de l’addition, etc., dans le droit fil des techniques diophantiennes, devinrent usuelles chez les calculateurs, tout en demeurant le plus souvent singulières, valides dans l’œuvre d’un seul auteur. D’où, à cette époque, une incroyable floraison de représentations insolites et de tentatives avortées» [Serfati 2005, 28].
  • [40]
    Certaines spécificités de l’écriture mathématique dont use Jacques Peletier du Mans dans ses traités d’algèbre ont été mises en évidence il y a déjà longtemps cf. par exemple [Cifoletti 1992]. Hors du cadre français, l’Arithmetica integra (1544) de Stifel ou l’Algebra (1572) de Bombelli présentent un intérêt certain. Et bien sûr, aussi bien Viète que Descartes constituent des sujets privilégiés pour de telles enquêtes.
  • [41]
    On pourrait chercher, dans les traités d’algèbre de la Renaissance, les vestiges de l’oralité. La formule, présente dans de nombreuses préfaces de traités d’algèbre (l’Arithmetica integra de Stifel encore, ou le Libro de Algebra de Nuñez, pour ne donner que deux exemples), indiquant qu’ils offrent aux studieux la possibilité d’apprendre l’algèbre « sans maître» montre peut-être aussi que l’on est en train de rompre avec un usage où la transmission des connaissances se faisait de maître à élève, pour donner au livre le rôle premier dans la médiation.

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