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Article de revue

‪Baudelocque et son maître. Écriture et genèse d’une pensée scientifique‪

Pages 23 à 41

Notes

  • [1]
    Ces travaux sont néanmoins plus spécifiquement dévolus à la médecine de la Renaissance.
  • [2]
    M. Alph. le Roy, alors bachelier de la faculté de médecine.

1 Outre sa thèse sur la symphyse pubienne [Baudelocque 1776], les publications de Jean-Louis Baudelocque (1745-1810) consistent principalement en un catéchisme d’accouchement, les Principes sur l’art d’accoucher : par demandes et réponses en faveur des sages-femmes de province [Baudelocque 1775], et en un traité d’obstétrique, L’Art des accouchemens [Baudelocque 1781], ainsi que dans leurs diverses rééditions. Aucun fonds d’archives spécifique n’est répertorié dans les institutions publiques et rares sont ses manuscrits autographes, expliquant sans doute une littérature biographique récente peu abondante [Morel 2010], [Gélis 2007], [Dunn 2004], [Houtzager 2002]. Pourtant, son enseignement et sa méthode ont profondément influencé l’obstétrique moderne. Homme de Picardie, « de ces pays où la volonté de sauver son corps de la douleur, de la maladie et de la mort s’est manifestée plus tôt qu’ailleurs » [Gélis 1988, 323], il annonce l’émergence de « l’accoucheur en tant que spécialiste consacrant tous ses efforts à l’étude et à la pratique des accouchements » [Gélis 1988, 305], qui devient figure courante au xixe siècle. Ses cours mais aussi ses publications, dont Scarlett Beauvalet-Boutouyrie et Nathalie Sage Pranchère ont souligné combien elles ont fait l’objet d’une politique prescriptrice, ont renforcé son rôle dans la construction d’un corps professionnel spécifique, celui des sages-femmes [Beauvalet-Boutouyrie 1999, 120, 123], [Sage Pranchère 2007, 159, 192–193, 425–429], [Sage Pranchère 2017, 315–316].

2 En 2003, Anouk Barberousse et Laurent Pinon proposaient dans la revue Genesis un dossier stimulant sur l’écriture scientifique. Pierre-Marc de Biasi y appelait à étendre aux textes scientifiques la critique génétique, ordinairement appliquée aux manuscrits littéraires, qui cherche à « reconstituer la formation du “texte à l’état naissant” avec l’objectif d’élucider son processus de conception et de rédaction » [Biasi 2011, 12], [Biasi 2003], [Bourgain 2002]. En dépit de la rareté des archives de la pensée scientifique, il désignait ailleurs l’histoire des sciences comme l’un des futurs enjeux majeurs de la critique génétique [Biasi 2011, 254–257]. Défendant le caractère transposable aux sciences des outils notionnels du modèle de l’analyse génétique, il soulignait que l’écriture scientifique était pensée presque exclusivement sous le rapport de la réception, rarement sous celui de sa production.

3 Nous nous proposons, à la lumière des écrits de Baudelocque – et en particulier à celle d’un manuscrit entré récemment dans les collections publiques [Baudelocque 1773] –, de tenter une analyse génétique susceptible d’éclairer la manière dont Baudelocque a produit un savoir obstétrical, selon un processus d’écriture qui s’inscrit dans la formation scientifique reçue auprès de son maître, Solayrés de Renhac. En effet, le projet initial de Baudelocque d’éditer les travaux de Solayrés de Renhac s’est transformé en une publication personnelle et autonome. Cette analyse permet également de réévaluer la réception et la postérité de l’œuvre de Baudelocque, dans un jeu de tension entre les figures et les apports respectifs de Solayrés et de Baudelocque. La reconstitution de la tradition du manuscrit fait ainsi apparaître l’intrication des œuvres de Baudelocque et de certains de ses contemporains, met au jour le jeu des continuités et ruptures avec la pensée du maître, éclaire enfin la manière dont le nom de Solayrés a joué un rôle dans les jugements – contemporains ou posthumes – sur Baudelocque.

1 La genèse d’un manuscrit

4 Les différents écrits de Baudelocque et le contexte de leur production peuvent être abordés à l’aune de ce qu’il en dit lui-même, en gardant à l’esprit ce que son discours peut contenir de reconstruit et le biais qu’il est susceptible d’introduire dans l’analyse [Barberousse & Pinon 2003, 14]. La longue introduction de 28 pages que propose Baudelocque dans l’Art des accouchemens – qu’il reprend en la modifiant quelque peu dans les éditions suivantes – revêt certains traits caractéristiques de l’instance préfacielle scientifique [Genette 1987] et se déploie comme « un espace de communication où se construit l’image de l’auteur » [Koźluk 2012, 15], [Koźluk 2016] [1] : il y recourt à la captatio benevolentiæ, à l’auto-promotion, à l’emploi du « je » auctoriel permettant une certaine intimité entre le lecteur et l’auteur. Baudelocque justifie sa démarche d’écriture par des exhortations tierces, soit « la sollicitation réitérée du grand nombre de ceux qui ont suivi nos Cours & qui les suivent aujourd’hui » [Baudelocque 1781, I, VII]. Enfin, l’introduction lui permet de prendre date, d’exprimer sa revendication d’antériorité [Barberousse & Pinon 2003, 14], tout en se livrant à un règlement de comptes :

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[P]lusieurs personnes, après [la] mort [de Solayrés de Rehnac], m’engagerent à rédiger & à publier ce que j’avois pu recueillir de sa doctrine, soit dans ses leçons, soit dans nos entretiens particuliers, & le peu de cahiers qu’il m’avoit laissés. Je m’y livrai d’autant plus volontiers, que c’étoit la premiere occasion de rendre hommage à la mémoire d’un homme dont le souvenir m’étoit cher, & que quelqu’un vouloit publier, sous son nom, des lambeaux d’écrits mal assortis qu’il avoit empruntés des mains de plusieurs élèves : mais l’imperfection de ce travail, quoiqu’approuvé avec éloges par M. Raulin, Censeur Royal, ne me permit pas de le rendre public.

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En rendant hommage ici à la mémoire de Solayrès, je ne puis m’empêcher de me plaindre d’un jeune Médecin [2] qui rechercha mon amitié, dans le temps que je m’occupois de la rédaction dont je viens de parler & à qui je l’accordai sans réserve. Des affaires multipliées ne me permettant pas de faire une copie assez nette de ce que je préparois, pour passer sous les yeux du Censeur, j’acceptai les offres qu’il me fit de sa plume ; & je lui livrai les cahiers à mesure qu’ils sortoient de la mienne. Je n’imaginois pas qu’il ne cherchoit qu’à se parer des dépouilles du mort, ou pour me servir de ses propres expressions, qu’il ne cherchoit qu’à tirer du miel des plantes même les plus vénéneuses ; enfin qu’il publieroit un jour que, par enthousiasme pour la mémoire de l’auteur, il avoit rédigé la doctrine de Solayrès, & l’avoit mise en état de soutenir le jour, sur quelques desseins au trait que je lui en avois donnés.

7

Ce n’est pas sur quelques desseins au trait que ce Médecin a travaillé : il n’a été que copiste, & encore si mauvais copiste, en cette occasion, qu’il n’a su m’épargner les frais d’une troisième copie, la sienne n’étant pas plus en état de paroître que la mienne : ce que je puis assurer avec d’autant plus de liberté, que j’offre d’en convaincre quiconque en auroit des doutes, par la confrontation des trois manuscrits que j’ai entre les mains. [Baudelocque 1781, I, XVII–XVIII]

8 Dans ce passage, Baudelocque cite trois sources, émanant de son maître : ses prises de notes des leçons de Solayrés, ses entretiens personnels avec lui, enfin des manuscrits laissés par Solayrés. En effet, dès ses années d’études à Montpellier, Solayrés s’est intéressé très tôt à l’obstétrique, suivant les leçons données au Collège royal de chirurgie de Montpellier par Jean Serres. Après l’obtention de son doctorat en 1767, il s’installe à Paris et y ouvre un cours d’accouchements bientôt réputé. Malade, il en confie la tenue à son disciple Jean-Louis Baudelocque. Solayrés meurt en avril 1772, alors qu’il allait être reçu au Collège royal de chirurgie [Naegele 1838, 104–128], [Bayle 1841], [Chéreau 1881, 201–202], [Pagel 1887, 458], [von Siebold 1891, II, 464–470]. Baudelocque omet de mentionner la thèse de Solayrés, jamais soutenue mais publiée fin 1771 [Solayrés de Renhac 1771, 1831, 1835, 1842] ; sans doute ne souhaite-t-il insister que sur les sources qu’il est le seul à détenir.

9 Baudelocque explique ensuite comment ces différentes sources ont conduit à l’élaboration de différents manuscrits : un manuscrit (par convention Ms A) d’un auteur inconnu (X), un manuscrit dont il est l’auteur (de manière générique Ms B), ayant fait l’objet de trois versions, respectivement de la main de Baudelocque (Ms B1), de celle d’Alphonse Leroy (Ms B2) et de celle d’un copiste non identifié (Ms B3). Le manuscrit A n’a pas, à ce jour, laissé de trace. Les manuscrits B1 et B2 n’en ont guère laissé plus, à ceci près que Leroy a réalisé le Ms B2 à partir du Ms B1 autographe et qu’ils se sont trouvés ultérieurement en la possession de Baudelocque. Le Ms B2 peut être daté de 1773, si l’on en croit la datation que propose Baudelocque dès la nouvelle édition de son traité en 1789 [Baudelocque 1789, I, XVIII].

10 Le manuscrit B3 est, quant à lui, conservé par la bibliothèque de l’Académie nationale de médecine. Il se présente sous la forme d’un cahier in-4° de 533 pages, intitulé Cours d’accouchemens. De Monsieur Solayrés de Renhac [...]. Mis au jour par Mr Baudelocque, son disciple. Première et seconde partie. De la main d’un copiste inconnu (par convention Y), il est postérieur à avril 1772 puisqu’il mentionne la mort de Solayrés. Probablement récupéré par Baudelocque, il est soumis le 11 septembre 1773 au visa de censure de Joseph Raulin, alors médecin ordinaire de Louis XV et censeur royal, lui-même auteur d’un manuel d’accouchements, qui l’approuve [Baudelocque 1773, 553], avant de revenir à Baudelocque, qui le corrige et l’annote. L’une de ces corrections peut être datée avec une forte probabilité de la fin de l’année 1778. Il indique en effet, dans une note additionnelle, avoir présenté un bassin « l’hiver dernier » à l’Académie de chirurgie [Baudelocque 1773, 15]. Or, d’après les plumitifs et les minutes de l’Académie royale de chirurgie, la seule présentation faite par Baudelocque relative à un bassin date du jeudi 2 avril 1778, une douzaine de jours seulement après la fin de l’hiver [Académie royale de chirurgie 1772-1778, 219a], [Académie royale de chirurgie 1776-1779, 111a]. En l’absence de toute autre observation de Baudelocque sur les bassins consignée dans les archives de l’Académie royale de chirurgie, il semble raisonnable de penser que la note additionnelle de Baudelocque fait bien référence à cette lecture. À la date de la publication de son traité, en février 1781, Baudelocque affirme avoir encore le manuscrit entre les mains. Il est fort probable qu’il l’ait gardé jusqu’à sa mort en 1810.

11 La date que donne Baudelocque pour la copie faite par Leroy permet de poser 1773 comme terminus post quem à la composition du manuscrit, et on peut affirmer que le manuscrit a fait l’objet de modifications au moins jusqu’en 1778.

12 Nous pouvons distinguer un certain nombre d’étapes dans l’élaboration du manuscrit tel qu’il nous est parvenu, exception faite des marques de propriété. Après sa mise au propre par le copiste Y puis son visa par le censeur Raulin, il fait l’objet d’un certain nombre d’ajouts et de corrections de la part de Baudelocque lui-même. Certains sont d’ordre scientifique, telles ces précisions sur la façon dont les femmes se placent pour accoucher selon « les différents climats qu’elles habitent » [Baudelocque 1773, 189], ou la note sur le bassin évoquée précédemment, ou encore une observation complète sur l’accouchement de jumeaux [Baudelocque 1773, 356]. D’autres concernent la mise en page du texte dans le but d’une impression, avec des changements de place de certains paragraphes, une renumérotation de certaines pages, etc. Ces corrections sans doute postérieures à 1773 avaient pour but de préparer la publication imprimée. C’est à cet effet qu’est apposé au bas de chaque page du manuscrit le paraphe de Baudelocque.

13 Restent un certain nombre d’annotations de natures diverses, dont nous ignorons dans quel ordre elles ont été ajoutées :

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  • De nombreux passages soulignés ou marqués au crayon bistre évoquent des signes de correction typographique. Ils cessent de manière inexplicable a priori au-delà de la page 306.
  • De rares annotations au crayon constituent probablement des corrections postérieures à Baudelocque. En atteste la substitution erronée du nom de Recolin par celui de Raulin à propos d’un mémoire portant sur les injections [Baudelocque 1773, 223], [Recolin 1757, 202–215].
  • Une note marginale, écrite à la plume sur un papier collé à la cire, signale une erreur (p. 20). Le bout de papier, manifestement du papier à base de pâte mécanique ou chimique, semble indiquer un ajout datant de la seconde moitié du xixe siècle. L’attitude consistant à coller un papier extérieur, respectueuse de l’intégrité du manuscrit, est probablement celle d’un bibliophile. Enfin, le contenu de la note est celui d’un médecin, probablement un obstétricien. Ces trois caractéristiques conduisent à supposer qu’elle émane d’un des possesseurs ultérieurs du manuscrit, le chirurgien Louis Sardallion.

15 La construction d’un stemma issu de cette analyse matérielle du Ms B3, combinant sources orales, manuscrites et imprimées (voir Annexe), permet d’expliciter la genèse des écrits de Baudelocque, et de comprendre les enjeux d’autorité et d’antériorité qui traversent ses écrits [Bourgain 2011a,b].

2 Du manuscrit à l’imprimé : continuité et ruptures

16 L’examen du contenu intellectuel du Ms B3 permet de déterminer à quel niveau il se situe dans l’élaboration de l’Art des accouchemens. Ce manuscrit, qui s’annonce comme la mise au propre des cours d’accouchements de Solayrés de Renhac, est-il le brouillon préparatoire du traité de Baudelocque ? Au-delà des similitudes qui pourraient le faire croire de prime abord, la comparaison des deux écrits met en relief la différence de statut et de public ciblé par les deux écrits, ainsi qu’un approfondissement du savoir sur les accouchements laborieux.

17 Une analyse comparée des classifications proposées par Solayrés dans sa thèse de 1771, par Baudelocque dans le Ms B3 et par Baudelocque dans son Art des accouchemens permet de faire émerger une grande continuité dans l’organisation intellectuelle à l’œuvre dans ces différents écrits. Ces trois ouvrages reposent sur une même classification nosologique, dont on peut trouver l’origine dans la formation universitaire montpelliéraine de Solayrés. Parmi les professeurs de la faculté de médecine figurait en particulier François Boissier de la Croix de Sauvages (1706-1767), botaniste et médecin. Appliquant les classifications opérées par les botanistes à la description des maladies, il se fait l’introducteur de la méthode nosographique [Boissier de Sauvages 1763], [Dagognet 1970], [Corsi 1996], [van Wijland 2015, 316–317]. La thèse de Solayrés, comme le Ms B, s’inspirent des méthodes systématiques. En tout état de cause, il est légitime de considérer que Solayrés est le premier à appliquer ce type de méthode classificatoire aux différentes positions du fœtus à sa sortie de l’utérus.

18 Il est néanmoins possible de relever quelques changements entre le manuscrit et l’Art des accouchemens. Une première, quoique légère, modification concerne la nomenclature : ce qui est appelé « classe » dans le Ms B3 devient « ordre » dans l’imprimé.

19 Concernant les accouchements naturels, l’Art des accouchemens et le Ms B3 présentent la même organisation. La thèse de Solayrés propose une subdivision en deux ordres liés à la durée de l’accouchement : en deçà et au-delà de 24 heures. Le Ms B3 conserve cette subdivision en deux ordres, cette fois-ci liés à la complexité de l’accouchement. L’Art des accouchemens enfin, supprime cette subdivision pour passer directement à la répartition par genre. Ce faisant, Baudelocque ne fait qu’entériner le caractère inopérant de cette subdivision.

20 La thèse de Solayrés de 1771 et le Ms B3 ne diffèrent pas sur l’organisation des accouchements contre-nature. L’Art des accouchemens range la présentation par le siège – que Baudelocque appelle « fesses » – dans l’ordre relatif à la partie antérieure du corps, ce qui crée neuf genres au lieu de huit, lesquels sont arrangés différemment. Le deuxième ordre, relatif à la partie postérieure du corps, est identique à la thèse et au Ms B3, hormis l’absence des fesses. Troisième et quatrième ordres, relatifs à une présentation respectivement par le côté droit et par le côté gauche, sont fondus en un seul chapitre dans le traité de Baudelocque. Cependant, celui-ci ne mène pas le raisonnement jusqu’au bout, puisqu’il maintient la distinction au sein de chaque article, créant pour chaque côté un genre spécifique.

21 Le contenu présente, de manière globale, une grande continuité. Certaines observations se retrouvent d’un texte à l’autre, montrant que Baudelocque reprend à son compte des observations présentées par Solayrés, telle cette observation datant de juillet 1770, sur la dilatation prématurée de l’orifice de la matrice d’une femme enceinte de sept mois [Solayrés de Renhac 1771, 5], [Baudelocque 1773, 130]. En revanche, la rédaction est différente : on peut affirmer que le manuscrit a fait l’objet d’une réécriture totale. En tout état de cause, la volonté de Baudelocque de se servir du Ms B3 comme épreuve finale avait fait long feu, ce qui expliquerait l’absence de signes typographiques dans le dernier tiers du manuscrit. Nous reviendrons sur cette rupture en tentant d’y apporter une explication.

22 Si la conception intellectuelle à l’œuvre a peu changé, les objectifs visés par le manuscrit et par l’imprimé sont sensiblement différents. Baudelocque est un accoucheur issu d’une famille de chirurgiens de campagne, dévoués à une famille noble – les Choiseul-Gouffier – qu’il glorifie tant dans son manuel pour les sages-femmes, Principes sur l’art d’accoucher, que dans sa thèse [Baudelocque 1775, 1776]. Il reste un clinicien et l’Art des accouchemens ne saurait être tenu pour le pendant théorique de ses Principes. Les deux ouvrages sont au contraire complémentaires : l’Art des accouchemens est aussi un manuel. Son public – celui des chirurgiens et des étudiants en chirurgie –, s’il est plus éduqué, a surtout d’autres obligations d’interventions dans le champ obstétrical, à savoir la prise en charge de la pathologie. En cela, les deux principales publications de Baudelocque appartiennent aux deux types respectifs de manuel d’art obstétrical dont Jacques Gélis estime qu’entre 1668, date de la publication du traité Des maladies des femmes grosses et accouchées de François Mauriceau [Mauriceau 1668] et 1815, 250 ont paru en Europe – et plus de 400 éditions [Gélis 1988, 157–161, 328–332]. Les Principes sur l’art d’accoucher relèvent ainsi du livre d’apprentissage pour les sages-femmes, souvent sous forme de « catéchisme » par questions et réponses, qui rappelle aux sages-femmes les règles élémentaires qu’elles ont apprises dans les cours d’accouchement, leur rappelle aussi leur place et les incite à faire appel à un accoucheur dans le cas d’accouchements laborieux nécessitant le recours aux instruments [Monaque 2002]. L’Art des accouchemens, quant à lui, relève du manuel pour praticiens confirmés ; il est plus fourni, plus détaillé, il présente des études de cas et des observations cliniques, en particulier sur les complications et les accouchements laborieux.

23 L’Art des accouchemens est sans conteste un manuel, c’est-à-dire un ouvrage didactique censé couvrir l’ensemble des connaissances essentielles, ici à la pratique des accouchements [Choppin 2005, 2008]. En témoigne notamment la stratégie économique choisie par Baudelocque et son imprimeur-libraire Méquignon l’aîné, qui proposent un ouvrage de format in-8o, contenant un nombre limité de planches, et déjà relié. Comme il le précise dans sa préface, Baudelocque souhaite que le coût, 12 livres, reste abordable pour un étudiant en chirurgie. Au xviiie siècle, le prix moyen de deux volumes in-8° vendus reliés peut être estimé à 10,25 livres tournois, les prix étant plus élevés dans le dernier quart du siècle [Marion 1996, 347–356]. Le prix proposé pour l’ouvrage de Baudelocque, qui comporte de surcroît des planches gravées, correspond donc au prix moyen. Par ailleurs, Baudelocque a pris soin d’éliminer les aspects trop expérimentaux ou théoriques du manuscrit. Ainsi supprime-t-il l’analyse physico-chimique d’une matrice – véritable démonstration de méthode expérimentale –, une allusion à une dissection ou bien encore la recommandation de s’exercer au toucher vaginal sur des cadavres. De manière générale, le vocabulaire employé perd en précision technique ce qu’il gagne en simplicité d’énonciation. De plus, Baudelocque a recours dans l’imprimé aux autorités publiées : Deventer, Puzos, Smellie, Levret, parmi d’autres, auxquelles le lecteur doit pouvoir se référer. Parallèlement, il élimine ses propres témoignages oculaires rapportés dans le manuscrit, dont la fiabilité peut être remise en cause. Enfin, l’Art des accouchemens se distingue du manuscrit par la mise en relief ou l’ajout de considérations sociales et morales, nécessaires à l’éducation du jeune accoucheur : conditions et mise en œuvre de l’ondoiement et du baptême, reconnaissance des signes du viol, d’infanticide ou de suppression de part – lorsque la mère tue son enfant et fait disparaître toute trace de sa naissance [Boucher d’Argis 1765] –, font tous l’objet de développements plus ou moins longs. Ces considérations, n’engageant ni l’art obstétrical, ni la survie de la mère ou de l’enfant, sont absentes du cours de Solayrés. Peut-être reflètent-elles l’évolution du statut de Baudelocque à Paris et son implication croissante en tant qu’enseignant, voire son rôle dans certaines expertises judiciaires. Les stratégies éditoriales, les conditions de publication comme l’évolution du statut social et académique de Baudelocque infléchissent donc nettement la présentation du savoir obstétrical telle qu’elle transparaît encore à la lecture du Ms B3. Bien plus, les changements opérés en l’espace de quelques années ne portent pas seulement sur la forme et le public visé, mais également sur le contenu scientifique, en insistant sur les accouchements laborieux.

24 L’apport scientifique majeur de Baudelocque réside en effet dans son appréhension des accouchements laborieux. Cet apport peut être examiné d’un point de vue quantitatif, tomaison et volumétrie étant elles-mêmes éclairantes. Dans son traité en 2 tomes, comportant respectivement 610 et 422 pages, le second, à lui seul, renferme la quatrième partie consacrée aux accouchements laborieux, tandis que seules les 159 dernières pages sur les 553 que compte le manuscrit couvrent la troisième classe d’accouchements. L’intervalle de huit ans qui sépare la rédaction du manuscrit de la publication du traité fait donc passer la part consacrée aux accouchements laborieux de 28,8 % à 40,1 % de l’ensemble. Cette place prépondérante accordée aux accouchements laborieux est confortée par le ratio de planches illustrées : 5 planches du bassin dans le premier tome contre 9 dans le second : six sur l’usage du forceps, une sur l’usage du levier, deux sur la section de la symphyse des os pubis. Par ailleurs, une analyse comparée avec la deuxième édition, de 1789, montrerait que la place accordée aux accouchements laborieux n’a cessé de croître.

25 C’est aussi en termes qualitatifs que cet apport se donne à lire : c’est là que réside l’originalité de l’Art des accouchemens au regard du manuscrit. La troisième partie du manuscrit est pleine de retouches et de repentirs, de ratures et d’ajouts marginaux qui démontrent que la pensée de Baudelocque n’était pas tout à fait figée en la matière. La thèse de Solayrés et le Ms B3 proposent une classification identique, divisée en quatre ordres : application des lacs (méthode consistant à attraper l’enfant au moyen de lacets et de nœuds coulants) ; secours du levier, du forceps ou des pinces à faux germes ; application d’instruments sur le corps du fœtus ; application d’instruments sur le corps de la parturiente. La structure de l’Art des accouchemens semble proche, pourtant le contenu a subi de profondes modifications. Baudelocque introduit un article de 50 pages sur la symphyséotomie, absente du manuscrit, de même qu’il discute de la césarienne sur environ 42 pages [Baudelocque 1781, t. II, 280–321], alors qu’elle n’occupe que 15 pages – de surcroît moins denses d’environ 15-20 % que celles de l’ouvrage imprimé – du manuscrit [Baudelocque 1773, 522–536]. En effet, c’est en 1777, au mitan de la période qui sépare la rédaction du manuscrit de la publication de l’Art des accouchemens, et un an seulement après la publication de sa thèse où il prend position contre la symphyse du pubis, que la polémique sur la symphyséotomie prend de l’ampleur, avec l’opération de la femme Souchot par Jean-René Sigault aidé de Leroy [Gélis 1988, 372–378]. De nouveaux débats ont donc éclos, vifs, dans lesquels Baudelocque est fortement impliqué : l’article sur la symphyséotomie est tout entier imprégné de ces querelles et d’attaques contre Leroy.

26 Quant à l’article sur la césarienne, il présente quelques caractéristiques qui ne figurent pas dans le manuscrit : on y retrouve d’une part les aspects qui font de l’Art un véritable guide de bonnes pratiques – telles les précautions à prendre avant de césariser une femme apparemment morte –, mais accuse d’autre part une certaine perte de rigueur : le manuscrit propose par exemple une définition technique de la césarienne (« section des enveloppes du bas ventre et de la matrice pour extraire de la cavité de celle-ci un ou plusieurs enfans » [Baudelocque 1773, 522]), omise dans l’imprimé au profit d’une définition plus floue (« [opération] que l’on pratique sur la femme pour donner issue à l’enfant, par une autre voie que celle qui lui étoit destinée par la nature » [Baudelocque 1781, II, 280]). Quoique discutant les différents modes d’incision (latérale ou sur la ligne blanche), le ton de Baudelocque se fait plus assuré dans son ouvrage lorsqu’il réfute l’incision latérale, n’hésitant pas à se réclamer des cours de Solayrés et des conseils opératoires de son maître [Baudelocque 1781, II, 294].

27 Respect de la méthode nosographique mise au point par Solayrés, transformation d’un cours d’obstétrique en guide pratique, attention accrue accordée aux cas nécessitant le recours aux instruments : si le traité imprimé reste fidèle à l’esprit méthodique de Solayrés, la transformation a été réelle. En huit ans se sont fait jour de nouveaux enjeux, enjeux de pouvoir comme combats scientifiques, qui ont profondément infléchi l’œuvre de Baudelocque.

3 Baudelocque : héritier ou plagiaire ?

28 Ces enjeux ont porté sur la légitimité des uns et des autres à se prévaloir de l’héritage de Solayrés et sur la capacité du disciple Baudelocque à s’affranchir du maître. La circulation des manuscrits, l’usage de la copie, les publications donnent en effet lieu à des accusations de plagiat qui forcent Baudelocque à construire sa légitimité en tant qu’auteur.

29 La lecture du Ms B3 permet de régler le conflit d’autorité et d’antériorité qui oppose Baudelocque à deux médecins, Anne-Amable Augier du Fot et Alphonse Leroy, et de trancher en faveur de Baudelocque. Du Fot propose en effet, dès 1775 et juste avant son décès, un Catéchisme sur l’art des accouchemens pour les sages-femmes de la campagne, imprimé à Soissons et bientôt imprimé d’après l’original à Castres, notamment [Augier du Fot 1775a,b]. Reprenons les pièces du dossier dans l’ordre de parution des ouvrages, à commencer par le Catéchisme de Du Fot :

30

Comme il est de première Justice de rendre à un chacun ce qui lui est dû, nous annonçons ici avec plaisir & reconnoissance que nous avons profité de ce qui nous a paru convenir & être à la portée de nos sages-femmes, de l’inestimable ouvrage de feu M. Solayrès, par M. Baudelocque, dont celui-ci est le précis [...]. [Augier du Fot 1775a,b, VII]

31 Lorsque Baudelocque, au même moment, publie ses Principes sur l’art d’accoucher, il est contraint de s’expliquer :

32

Cet Ouvrage n’est point celui de M. Solayrès, comme M. Dufot l’annonce dans la Préface de son Catéchisme : il est infiniment au-dessous de ce qu’il auroit pu donner en ce genre ; mais je dois à sa mémoire de dire que je n’ai presqu’entiérement travaillé, que d’après ses principes... Ses Disciples pourront distinguer ce qui lui appartient. [Baudelocque 1775, VI–VII]

33 Il continue en accusant feu Du Fot d’avoir détourné et plagié le manuscrit qu’il lui avait confié pour le communiquer à un libraire [Baudelocque 1775, XII–XIII]. Du Fot appartient à une communauté de médecins très influents de Soissons, qui revendiquent leur droit exclusif à enseigner l’obstétrique [Gélis 1988, 124, 134, 207]. Six ans plus tard, dans sa préface à l’Art des accouchemens, le conflit d’autorité avec Leroy et Du Fot n’est pas clos :

34

J’aurois gardé le plus profond silence sur toutes ces choses, si ce Médecin ne m’eût provoqué, en publiant qu’il avoit rédigé la doctrine de Solayrès, sur quelques desseins faits au trait ; que l’ouvrage qui lui avoit tant coûté de peine, & auquel il s’étoit livré avec tant d’enthousiasme pour la mémoire de l’auteur, après avoir passé depuis par plusieurs filieres, lui paroissoit être tombé dans les mains de M. Dufot, Médecin à Soissons, qui en avoit donné un extrait sous la protection du Gouvernement ; enfin s’il ne m’eût paru se réserver le droit, par ce moyen, de revendiquer celui que je publie aujourd’hui. [Baudelocque 1781, XVIII–XIX]

35 Quoique bref (90 pages) le Catéchisme de Du Fot, instruction destinée aux sages-femmes, s’appuie sans aucun doute sur un manuscrit de Baudelocque, peut-être le Ms B3. Il est tout autant indéniable que des extraits du Ms B3 sont repris tels quels dans les Principes sur l’art d’accoucher. La comparaison des trois textes suffit à établir le degré de similitude, même si les deux manuels proposent une version réduite, un précis des leçons de Solayrés. En témoignent par exemple les définitions respectives du mont-de-Vénus, des grandes lèvres, de la matrice [Baudelocque 1773, 46–47, 57], [Augier du Fot 1775a, 5, 7], [Baudelocque 1775, 24, 27–28].

36 Pierre Sue dit le jeune, dressant dans ses Essais historiques, littéraires et critiques sur l’art des accouchemens une véritable bio-bibliographie tocologique, appuie la thèse de Baudelocque contre la symphyse des os pubis et s’emporte en une critique furieuse contre Leroy. Il prend parti pour Baudelocque, rappelant l’« abus de confiance » et le « plagiat » de Du Fot et les plaintes que lui avait alors adressées Baudelocque [Sue 1779, II, 490].

37 On trouve en revanche, sous la plume venimeuse mais habile de Piet, caché sous le pseudonyme d’un soi-disant neveu de Smellie, une critique en règle de Baudelocque. Elle débute par la révélation du prétendu plagiat dont se serait rendu coupable Baudelocque. Piet – qui n’en était pas moins un ennemi acharné de Leroy [Piet 1776] – prétend rapporter les discussions de ses condisciples au sortir d’une leçon de Baudelocque, rivalisant les uns les autres sur son absence totale de mérite et sa dette envers Solayrés [Piet 1799/1800, 4]. Leroy ne dit pas autrement, dans sa recension de l’Art des accouchemens, déclarant que Baudelocque est le copiste de Solayrés [Leroy 1781, 81]. C’est désormais à sa bonne foi, à son honneur, que s’en prennent ses détracteurs, en tentant de n’en faire qu’un pâle copiste, attaque qui pose la question de l’autonomie de la pensée de Baudelocque par rapport à celle de Solayrés.

38 Le titre du manuscrit et les corrections qui lui ont été apportées sont éloquents : dans la mention de responsabilité « mis au jour par Mr Baudelocque, son disciple », le qualificatif de « disciple » est rayé. C’est la première marque par laquelle Baudelocque s’affranchit de la figure tutélaire de Solayrés. S’il paye sa dette à Solayrés dans sa préface, Baudelocque le mentionne moins dans le reste de l’ouvrage que dans le manuscrit – nous y avons dénombré moitié moins de mentions. À un endroit même, la manchette « Opinion de M. Lévret, & d’un autre Praticien, à ce sujet » [Baudelocque 1781, II, 309], le relègue nettement au second plan. Il convient certainement de voir dans ce changement de références et de citations, non pas l’occultation de la figure de Solayrés, mais la prise en considération de l’autorité écrite, dans le contexte de disputes théoriques et pratiques parfois violentes.

39 Dès les corrections apportées au Ms B3, sans doute postérieures à 1773, Baudelocque avait opéré cette mise à distance d’avec le maître, passant du rôle d’élève et témoin à celui de lecteur objectif : « je l’ai une fois trouvé, avec M. Solayrés » devient ainsi « je l’ai une fois trouvé, dit M. Solayrés » [Baudelocque 1773, 107].

40 La critique à charge de l’Art des accouchemens par Leroy a le mérite de souligner trois reproches récurrents faits à Baudelocque : Leroy s’élève contre les nosologies issues des botanistes, il s’indigne de l’outrecuidance de Baudelocque de s’occuper de sujets de médecine – qui irait de pair avec un manque d’érudition et d’intelligibilité –, enfin il critique la manie du recours aux instruments :

41

L’enfant a-t-il la tête au-dessus du détroit supérieur, au lieu d’aller chercher les pieds, ne fut-il même qu’au 8e mois, vîte le forceps, [...]. La tête a-t-elle franchi, vîte le manche du forceps. Tantôt c’est le tire-tête, tantôt c’est le perce-crâne, tantôt c’est le couteau tranchant. [Leroy 1781, 85]

42 Sont résumées ici les principales controverses qui freinent Baudelocque dans sa conquête de la gloire obstétricale. Les plus violentes sont celles concernant l’usage du forceps et, plus encore, la querelle opposant les symphyséotomistes aux césaristes. Derrière ces querelles strictement scientifiques se cache aussi une guerre séculaire opposant médecins et chirurgiens, qui se mesure en enjeux de pouvoir institutionnel et que le décret du 14 frimaire an III, nommant les professeurs titulaires des chaires de la nouvelle École de santé de Paris, arbitre en faveur de la chirurgie [Prévost 1900, 28–29], [Prévost 1901, 53–58], [Huguet 1991, VII]. Bien que le médecin Leroy soit nommé professeur titulaire et le chirurgien Baudelocque professeur adjoint, l’enseignement est finalement confié à Baudelocque. Ses enseignements à l’École de santé de Paris et à l’Hospice de la maternité de Paris confèrent à Baudelocque une position dominante dans l’enseignement obstétrical et une influence durable sur les pratiques des sages-femmes [Sage Pranchère 2017, 112–113].

43 Entre la rédaction du manuscrit et la publication de son traité, des évènements importants se sont produits dans la carrière de Baudelocque. En 1776, il défend sa thèse de chirurgie, ce qui lui permet de devenir maître en chirurgie [Baudelocque 1776]. Il intègre le bureau parisien de l’Académie royale de chirurgie où, en qualité de rapporteur, il est sans cesse confronté à la diversité des observations et se forge un sens nouveau de l’analyse. Cette nouvelle activité explique largement l’infléchissement que Baudelocque a fait subir à la partie de son ouvrage consacrée aux accouchements laborieux.

44 Au début du xixe siècle, la figure de Solayrés, lorsqu’elle est encore évoquée, ne sert plus que de faire-valoir à celle de Baudelocque. Maygrier, par exemple, se réclame de Baudelocque : il s’adresse aux sages-femmes, refuse le brillant des expressions et adopte un plan clairement hérité de Baudelocque. Cependant, il qualifie la classification solayrienne de « vrai galimatias scientifique » et admire en Baudelocque celui qui a fait « disparaître en partie les inconvénients attachés à la méthode de Solairés », mais dont le travail « se ressent trop du sacrifice qu’il a fait à l’amitié » [Maygrier 1804b, I–II]. Il ne semble pas même qu’il y ait une stratégie détournée de critique du maître Baudelocque à travers celle de Solayrés : la même année en effet, il lui dédie un autre ouvrage, de surcroît truffé d’éloges et d’allusions déférentes à un Baudelocque désormais en position de force [Maygrier 1804a].

45 Le point de vue historique sur Baudelocque s’est longtemps focalisé sur les disputes opposant les symphyséotomistes aux césaristes et sur le débat concernant l’usage du forceps, mettant l’accent sur la publicisation de ces controverses et leur rôle dans le renouvellement ou l’émergence de savoirs [Pestre 2007], [Prochasson & Rasmussen 2007]. Il s’est ensuite déplacé et la figure de Baudelocque a été considérée à travers le prisme de l’histoire des sages-femmes et le rôle qu’il a joué dans l’émergence et l’autonomisation d’une profession. Ces angles d’approche méritaient d’être complétés par l’étude des tensions, des enjeux économiques et de pouvoir indissociables de la production du savoir sous une forme susceptible d’être diffusée et partagée, en l’occurrence le livre imprimé.

46 Le manuscrit Ms B3 constitue donc un témoin majeur de l’élaboration de trois ouvrages, le Catéchisme de Du Fot, les Principes sur l’art d’accoucher et l’Art des accouchemens de Baudelocque. La confrontation de ces différents écrits, de leur contenu scientifique comme de leurs éléments péritextuels souvent polémiques, permet de mettre au jour le processus d’écriture d’un chirurgien de la fin du xviiie siècle et de mieux comprendre une démarche éditoriale qui s’échelonne sur huit ans. La mort précoce de Solayrés a fait l’objet d’une véritable captation d’héritage, conduisant à des pratiques et des accusations de détournement et de plagiat. Sans doute cette querelle d’héritage a-t-elle servi de catalyseur dans le développement chez Baudelocque d’une pensée scientifique autonome, associée aux évolutions propres de sa carrière professionnelle. Une étude de la réception posthume de l’œuvre de Baudelocque montrerait que le débat resurgit tout au long du xixe siècle, à travers la figure d’un Solayrés réinventé, dans un jeu de tensions et de comparaison avec celle de Baudelocque.


47

Stemma du Ms B3

Figure 0

Stemma du Ms B3

    • Académie royale de chirurgie [1772-1778], Procès-verbaux de l’Académie royale de chirurgie, BANM, Ms 24 (24).
    • Académie royale de chirurgie [1776-1779], Procès-verbaux de l’Académie royale de chirurgie, BANM, Ms 29 (29).
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Date de mise en ligne : 04/12/2020

https://doi.org/10.4000/philosophiascientiae.1320

Notes

  • [1]
    Ces travaux sont néanmoins plus spécifiquement dévolus à la médecine de la Renaissance.
  • [2]
    M. Alph. le Roy, alors bachelier de la faculté de médecine.

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