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Article de revue

Représentations de soi et modalités

Pages 173 à 194

Notes

  • [*]
    Je tiens à remercier, pour leurs commentaires, critiques et suggestions très utiles, Maxime Amblard, Gregory Bochner, Franck Lihoreau, Christian Nimtz, Shahid Rahman, Sonia Roca Royes, Luc Schneider et Tero Tulenheimo. Je suis très fortement redevable à plusieurs rapporteurs anonymes, particulièrement à l’un d’ entre eux dont la critique acérée m’a permis de clarifier sensiblement le propos de l’article, ainsi qu’aux éditeurs de ce cahier thématique. Je reste évidemment seul responsable des erreurs et insuffisances du résultat.
  • [1]
    Par exemple sur le site du Daily Telegraph, dans un article daté du 1erseptembre 2010 : "Rihanna Twitters picture of her kissing her wax sculpture at Madame Tussauds". Cet exemple actualise celui présenté par [Jackendoff 1992], cf. section 2.
  • [2]
    D'après la théorie du liage, l'explication est entièrement syntaxique. Dans une phrase comme (1), le nom propre « Rihanna » c-commande l'anaphorique « herself », donc le premier lie le second; le liage impliquant la co-référence, les deux expressions sont alors censées référer au même objet. Voir [Chomsky 1991].
  • [3]
    Le terme de « proxy » se traduit habituellement en « mandataire » ou « fondé de pouvoir », mais il sert ici à faire référence aux diverses représentations physiques d’un individu donné ; je vais conserver le terme original en anglais dans la suite de l’article.
  • [4]
    Je dois à un rapporteur anonyme cet exposé systématique.
  • [5]
    La suite de l'article se cantonne aux relations PR. L'exposé des fonctions de Skolem qui clot cette sous-section vise uniquement à compléter la présentation succincte de la théorie de Reuland et Winter.
  • [6]
    Quand plusieurs proxies d'un individu donné sont présents dans le contexte, plusieurs fonctions de Skolem fPR sont corrélativement définissables.
  • [7]
    "Not long ago, after a trying railway journey by night, when I was very tired, I got into an omnibus, just as another man appeared at the other end. 'What a shabby pedagogue that is, that has just entered, thought I. It was myself : opposite me hung a large mirror. The physiognomy of my class, accordingly, was better known to me than my own." (Ernst Mach 1885, cité par [Perry 1990]).
  • [8]
    Mon propos n’étant pas centré sur l’analyse des noms propres je me contente de formaliser le nom par une constante, ici interprétée comme un désignateur non rigide. Cette présentation serait donc rejetée par un partisan de la théorie de la référence directe.
  • [9]
    Une croyance de re à propos de Boltzmann n’exige pas du sujet qu’il emploie le nom propre « Boltzmann ». Une expression de cette croyance qui évite l’usage du nom pourrait être : « C est un pédagogue défraîchi », où l’objet de l’attitude est symbolisé par une variable (voir plus bas la formalisation (6)).
  • [10]
    Chez Maier l'occurrence du symbole R en dehors de la portée de l'opérateur Bm n’apparaît pas dans une expression conjointe, mais dans une présupposition, voir [Maier 2009, 447 sq].
  • [11]
    Dans sa formalisation, [Maier 2009] utilise une variable ordinaire et introduit un prédicat Center dans la portée de Bm ; la sémantique est analogue à celle proposée ici.
  • [12]
    On trouve chez [Ninan 2010] l'idée d'une suite de centres pour évaluer des phrases comme « Je t'appellerai demain quand je saurai si Ernst veut venir », où le locuteur n'est que l’un des centres du contexte.
  • [13]
    Sur la photo médiatisée de la rencontre entre la chanteuse et sa statue, la première a les cheveux rouges et la seconde les cheveux blonds.
  • [14]
    Par exemple, si je m observe dans le miroir écrivant de la main gauche, je corrige immédiatement et je me vois bien écrivant de la main droite ; mais si je ne me reconnais pas et pense observer quelqu un d’autre à travers une vitre, je peux alors croire voir un gaucher.
  • [15]
    On peut éviter ici de considérer tous les mondes logiquement possibles et se restreindre aux mondes les plus proches du monde actuel (au sens de Lewis), de manière à écarter les mondes où Mach a six jambes, où il a des pattes de canard, etc.
  • [16]
    Pour donner une idée de ce qui motive la terminologie et la notation (i et s)de [Wehmeier 2011], l'indicatif i est employé quand on dit ce qu'un individu est (actuellement), et le subjonctif s quand on exprime ce qu'il serait ou aurait pu être (dans une situation contrefactuelle).
  • [17]
    Le fait qu’on ait ici affaire à des cas d’attitudes de se n’est pas essentiel et le même point aurait pu être illustré avec des attitudes de re de sujets projetant des individus autres qu'eux-mêmes dans les trois exemples.
  • [18]
    Pour un traitement de la réalité virtuelle en termes de modalités, au même titre que les fictions mais sans les réduire aux fictions, voir [Tavinor 2010].
  • [19]
    Cet exemple de projection sur la pièce d’un jeu m a été suggéré par un rapporteur. Il peut être traité à l'aide de fenêtres modales comme les autres, l'identification du sujet à sa pièce ou plus généralement à son rôle ne pouvant être réalisée qu’à travers la fenêtre.
  • [20]
    L'approche de la sémantique des fictions en termes de modalités comme dans l’exemple est relativement standard. Mon propos n’est pas ici de réduire l’interprétation des statues ou des fictions à celle desfenêtresmodales, maisd'indiquer que ces œuvres peuvent aussi être interprétées comme telles, lorsqu'un sujet s'identifie en se projetant en elles.
  • [21]
    Ce qu'elle peut exécuter de se ou de re, selon qu'elle se reconnaît ou pas. L'important est qu’en (b) Rihanna embrasse une personne à travers la statue, tandis qu’en (a) elle ne fait qu’embrasser un morceau de cire.
  • [22]
    Les attitudes focalisées sur des objets inexistants peuvent être formalisées moyennant une nouvelle extension de la logique modale du premier ordre, l’extension IF (independence-friendly). Pour une présentation et une discussion de cas de ce type, se reporter à [Rebuschi & Tulenheimo 2011].

1 Introduction

1Les représentations physiques comme les portraits ou les statues ont soulevé un problème intéressant en sémantique des langues naturelles. Une photo visible sur Internet montre la chanteuse Rihanna embrassant sa propre statue de cire au musée Tussauds [1]. Dans un tel contexte, la phrase

(1)Rihanna kisses herself.
Rihannas’embrasse (elle-même).

2peut être utilisée pour dire que Rihanna embrasse sa propre statue. Cela signifie que la phrase en tant que telle est ambiguë entre plusieurs significations, qui dépendent du contexte : s’il n’y a pas de statue dans l’environnement immédiat alors la phrase possède son sens littéral, tandis que s’il y a une statue la phrase peut être employée comme on vient de le mentionner.

3Cette ambiguïté est localisée dans le pronom personnel « s(e) » ou « herself ». Elle pourrait apparaître de façon similaire avec le nom propre « Rihanna », utilisé pour faire référence à la statue, comme par exemple dans :

(2)Rihanna a les cheveux blonds.

4Dans cet article je me concentre cependant sur les pronoms personnels, particulièrement sur les cas où ils sont employés comme des anaphoriques. D’après les traitements classiques d’anaphore comme la théorie du gouvernement et du liage (government and binding theory) de Chomsky, un anaphorique comme « herself » et son antécédent « Rihanna » sont supposés partager la même référence [2]. Bien entendu, comme il y a une lecture possible en termes de représentants (proxy reading) pour le pronom personnel, l’approche standard doit être révisée [3].

5Pour la phrase (1) interprétée en contexte comme signifiant que Rihanna embrasse la statue qui la représente, trois possibilités semblent se présenter [4]. On peut considérer (i) que le sujet, « Rihanna », ne fait pas référence à Rihanna (mais à une entité plus large incluant sa statue), ou (ii) que le pronom « se » n’est pas coréférentiel avec son antécédent « Rihanna », ou encore (iii) que le prédicat « embrasser » n’a pas sa signification habituelle.

6Dans un article récent, Reuland et Winter choisissent l’option (ii) en proposant d’assouplir l’exigence d’identité. Selon leur critère alternatif, on exigerait du référent de « herself » dans (1) qu’il soit l’un des proxies de Rihanna [Reuland & Winter 2009]. Dans cet article, je critique la proposition de Reuland et Winter. Je montre qu’elle ne peut pas rendre compte de la spécificité des attitudes dites de se, c’est-à-dire des attitudes en première personne. Pourtant, la distinction entre attitudes de re et attitudes de se est tout à fait pertinente même dans les situations impliquant les proxies.

7Je défends une autre conception, suivant laquelle les supports physiques des représentations d’une personne sont considérés comme des fenêtres modales, i.e. comme les moyens concrets permettant de voir comment cette personne serait dans telle ou telle situation possible (et souvent contrefactuelle). Ma conception s’inscrit dans l’option (iii) puisqu’elle conduit à une réinterprétation des prédicats habituels.

8L’article s’organise comme suit. Dans la prochaine section, j’expose très succinctement l’explication de Reuland et Winter et je présente le problème posé par les attitudes de se. Dans la section 3 je donne une sémantique alternative basée sur la notion de fenêtre modale. Dans la section 4, je discute les implications ontologiques et métaphysiques de cette nouvelle sémantique. Les résultats sont brièvement récapitulés dans la conclusion.

2 Proxies et attitudes de se

9L’approche en termes de proxies L’approche que j’expose ici très succinctement avant de la critiquer plus loin vise à rendre compte de cas de pseudo-coréférence comme celui de l’exemple (1), en faisant porter la charge de la variation sémantique au pronom anaphorique « se » (« herself »). C’est en tant qu’illustration de cette stratégie — l’option (ii) de la section précédente — que je m’intéresse à la théorie des proxies de [Reuland & Winter 2009] ; l’argument que je lui oppose porte sur la stratégie elle-même, i.e. sur le renoncement à l’identité (ou à la coréférence) comme fondement de l’anaphore.

10Reuland et Winter considèrent plusieurs exemples notamment celui de [Jackendoff 1992] (analogue à (1), ci-après (3a)), et d’autres qui impliquent une quantification universelle comme dans (3b) :

(3)a.[Dans un musée de cire]
Soudainement, Ringo commença à se déshabiller.
b.Soudainement, chaque pop star commença à retirer la chemise qu’elle portait.

11Dans ces deux exemples, on est confronté à une sous-spécification des pronoms anaphoriques qui peuvent faire référence aux statues respectives plutôt qu’aux personnes elles-mêmes : Ringo déshabille sa statue, de même que chaque star retire la chemise de sa propre statue. Tandis que l’approche de la théorie du liage implique la coréférence (i.e. l’identité des références) d’un pronom anophorique et de son antécédent, Reuland et Winter proposent qu’un pronom anaphorique puisse faire référence à l’un des proxies du référent de son antécédent.

12Les deux auteurs introduisent une relation appelée proxy relation, notée PR, qui lie chaque entité à ses proxies. Cette relation est apportée par le contexte : elle peut impliquer n’importe quelle représentation physique d’une personne, comme des images, des statues, des acteurs jouant le rôle de cette personne, etc. PR est une relation réflexive, autrement dit chaque entité est l’un de ses propres proxies.

13Pour analyser les énoncés quantifiés, la théorie utilise la notion de fonction de Skolem [5] : c’est une fonction qui envoie des (n-uplets d’)entités sur des entités : f : Dn ? D, i.e. ?(x1,... ,xn)—? Dn,f(x1,... ,xn)? D, éventuellement selon un paramètre relationnel. Une fonction de Skolem unaire fR avec un paramètre relationnel R est telle que pour toute entité x, on ait : R(x, fR(x)).La dénotation d’un pronom réfléchi comme « herself » est alors définie comme une fonction de Skolem de paramètre PR, fPR : à chaque entité x elle attribue l’un de ses proxies, fPR(x), qui est tel que PR(x, fPR(x)) [6]. Les phrases (1), (3a) et (3b) seront ainsi respectivement représentées par :

(4)a. embrasse (rihanna, fPR(rihanna))
b.déshabille (ringo, fPR(ringo))
c.?x(pop_star(x) — retire(x, la_chemise_que_fPR(x)_porte))

14qui autorise l’interprétation en termes de proxies, à condition que la relation PR ne soit pas contextuellement réduite à l’identité — i.e., si on considère l’exemple (4a), à condition qu’il y ait dans le contexte des proxies de Rihanna autres que Rihanna elle-même.

15La spécificité des attitudes de se Lewis, Castaneda, Perry et d’autres auteurs ont montré que les comptes-rendus d’attitudes de se (en première personne) sont irréductibles à des comptes-rendus d’attitudes de re. L’irréductibilité se manifeste par le fait que partant d’une phrase employant le pronom personnel « je » (ou l’adjectif possessif « mon », ou toute autre expression à la première personne), on ne peut pas trouver de formulation équivalente qui éliminerait ce pronom (ou cette expression) et qui en préserverait le sens. Cette spécificité des attitudes de se est particulièrement bien illustrée dans l’extrait suivant d’Ernst Mach :

16

Il y a quelque temps, après un éprouvant voyage en train de nuit, alors que j’étais très fatigué je suis monté dans un omnibus quand un autre homme est apparu à l’autre bout. « Quel pédagogue défraîchi ! », ai-je pensé. C’était moi-même : il y avait en face de moi un grand miroir. Je connaissais assurément mieux la physionomie de ma classe que ma propre physionomie. [7]

17La situation évoquée dans l’extrait peut être résumée ainsi. Avant de réaliser qu’il s’observait lui-même comme après sa découverte, Mach croit ou pense de re de lui-même (i.e. de Mach) qu’il est un pédagogue défraîchi (a shabby pedagogue). Autrement dit, avant comme après sa découverte, la croyance de Mach a un contenu identique, qui est une proposition singulière au sujet d’un individu donné (le même prédicat est prédiqué du même individu qui se trouve être Mach lui-même). Quand il réalise son erreur, Mach ne croit pas quelque chose de neuf à propos du monde, mais à propos de lui-même : il acquiert une nouvelle croyance au sujet de sa propre localisation dans le monde. Quand il découvre qu’il est celui qu’il observe dans le miroir, le sujet s’identifie à l’objet de son attitude : d’une attitude de re, sa pensée devient une attitude de se.

18Le contraste entre les deux attitudes peut être éclairé par la formalisation. Considérons tout d’abord, même si ce n’est pas usuel, l’expression des croyances en première personne. Si Mach croit que Boltzmann est un pédagogue défraîchi, il pourra l’exprimer en énonçant la phrase suivante qui donne lieu à deux interprétations et formalisations :

(5)a.Boltzmann est un pédagogue défraîchi
b.de dicto : PédagogueDéfraîchi(b)
c.de re : R(xs,b) ? PédagogueDéfraîchi(b)).

19La constante b représente Boltzmann [8]. L’interprétation de dicto correspond au cas où Mach ne sait pas nécessairement qui est Boltzmann, tandis que l’interprétation de re exige une relation d’accointance (ou directe) entre le sujet (Mach) et l’objet (Boltzmann) de l’attitude [9]. J’emprunte à [Maier 2009] la mention explicite de la relation d’accointance R dans la formalisation : ici elle permet de distinguer entre les deux interprétations de la phrase (5a), i.e. entre les deux types de croyances pouvant être exprimées par cette phrase. La formalisation de la croyance de re introduit en outre la variable xs qui représente le pronom à la première personne, « je ». L’évaluation sémantique de ce type de formules, suggérée par [Lewis 1979] (voir aussi [Ninan 2010]), se fait non pas simplement relativement à un monde, mais relativement à un monde centré (?,?), c’est-à-dire à une paire composée d’un monde et d’un agent (cf. Annexe). Le fait de considérer des mondes centrés permet d’attribuer une valeur aux indexicaux comme « je », « ici », « ce », etc. Ici la valeur de xs sera donc ?, le« centre »du monde (le locuteur), quel que soit le monde ? considéré.

20Revenons à la situation de Mach dans l’omnibus. S’il exprimait sa croyance en voyant l’image du pédagogue dans le miroir, on aurait avant et après sa découverte l’énoncé de deux phrases distinctes :

(6)a. C’est un pédagogue défraîchi
b. de re :R(xs,y) ? PédagogueDéfraîchi(y).
(7)a. Je suis un pédagogue défraîchi
b. de se :(xs = y) ? PédagogueDéfraîchi(y)
? PédagogueDéfraîchi(xs).

21Avant sa découverte, la croyance de Mach repose sur une relation d’accointance (la perception visuelle) entre Mach et un individu (lui-même) ici représenté par la variable y (qui prend une valeur dans le domaine d’objets de manière standard, i.e. selon l’assignation considérée). Après sa découverte, la croyance de Mach repose sur l’identité entre le sujet et l’objet de l’attitude. On est ainsi passé d’une attitude de re à une attitude de se.

22Le contraste est également visible à partir des rapports d’attitudes à la troisième personne. Considérons tout d’abord le cas général du compte-rendu d’une croyance de re :

(8)a. Mach croit que Boltzmann est un pédagogue défraîchi
b. de dicto :Bm PédagogueDéfraîchi(b).
(9)a. Mach croit de Boltzmann qu’il est un pédagogue défraîchi
b. de re :R(m,b) ? Bm (R(ys,b) ? PédagogueDéfraîchi(b)).

23Les constantes m et b représentent respectivement Ernst Mach et Ludwig Boltzmann, l’opérateur doxastique Bm se lit « Mach croit que... », et R est la relation d’accointance entre le sujet et l’objet de la croyance. Suivant Maier, il est requis que le symbole R ait deux occurrences puisque la relation doit être saillante (vivid) pour le sujet (seconde occurrence), mais elle doit aussi effectivement lier le sujet et l’objet (première occurrence, hors de la portée de l’opérateur doxastique) [10].

24La formalisation introduit une nouvelle variable distinguée, ys, qui correspond au « soi » (au oneself, ou au he* de Castañeda) spécifique des attitudes de se [11]. Dans la formule (9b) la variable ys étant dans la portée de l’opérateur Bm, elle prendra pour valeur celle de m. La sémantique suppose ici d’introduire un second centre, donc d’évaluer la formule relativement à un monde doublement centré (?, ?, ?) et de faire varier ce centre selon les opérateurs d’attitudes introduits [12] (se reporter à l’Annexe pour plus de détails).

25Si nous nous tournons maintenant vers les attitudes de re et de se,nous pouvons contraster les deux interprétations à partir d’une seule phrase :

(10)a. Mach croit de lui-même qu’il est un pédagogue défraîchi
b. de re :R(m,m) ? Bm(R(ys,m) ? PédagogueDéfraîchi(m))
c. de se : (m = rn) ? Bm(ys = m ? PédagogueDéfraîchi (m))
? Bm PédagogueDéfraîchi (ys).

26Pour l’attitude de re, on a donc l’assertion de la croyance par Mach (m)quelui-même (en tant que lui-même, ys) entretient une relation d’accointance R avec l’individu m, et que cet individu est un pédagogue défraîchi ; cet individu se trouve être identique à lui-même, mais Mach ne le sait pas ni même ne le croit. Dans le cas de l’attitude de se, la relation R dans la portée de l’opérateur Bm a été remplacée par l’identité, si bien que Mach croit de lui-même en tant que lui-même, et non plus d’un individu qu’il ne parvient pas à identifier, qu’il est un pédagogue défraîchi.

27Un problème pour les proxies Considérons la situation où Ernst Mach, plutôt que de se contempler dans un miroir, regarde une photo de lui-même. On distingue alors trois composants : le sujet (Mach), le support (la photo) et le contenu (qui est un contenu objectuel : Mach sur la photo). L’exemple de la photo est préférable à celui du miroir (où la différence entre le sujet et le contenu n’est pas évidente, j’y reviens plus bas) ou à celui de la statue (où le support n’est pas dissocié du contenu). Le contraste entre attitudes de re et attitudes de se se manifeste également ici puisque Mach peut manquer de se reconnaître sur la photo. Comment la théorie des proxies de Reuland et Winter rendrait-elle compte d’un tel cas ? Outre une relation d’accointance comme dans le cas du miroir, la formalisation ferait intervenir ici la proxy relation PR en lieu et place de l’identité. Pour un compte-rendu en troisième personne, nous aurions donc :

(11)a. Mach croit de lui-même qu’il est un pédagogue joyeux
b. de re :PR(m,n) ? R(m,n) ? Bm (R(ys,n)a PédagogueJoyeux (n))
c. de se :
(i)PR(m,n) ? Bm(PR(ys,n) ? PédagogueJoyeux (n))
(ii)PR(m,n) ? Bm(ys = n ? PédagogueJoyeux (n))
? PR(m, n) ? Bm (PédagogueJoyeux (ys)).

28Je vais argumenter qu’aucune des deux propositions (i) ou (ii) ne convient pour formaliser l’attitude de se.

29Le défaut fondamental de l’approche de Reuland et Winter réside dans le fait que la distinction entre support et contenu disparaît puisque les deux sont en quelque sorte « fondus » dans le proxy. Cela peut conduire à attribuer faussement des attitudes contradictoires à un sujet. Ainsi Mach peut-il détester sa photo (par exemple parce qu’elle est compromettante), sans se détester sur la photo : il détesterait le support sans détester le contenu. Selon la théorie des proxies, Mach détesterait et ne détesterait pas son proxy. L’anomalie n’est donc pas spécialement liée aux attitudes de se, mais comme la théorie vise à rendre compte de certains usages des pronoms réfléchis, elle prend une acuité particulière sur ce type d’attitudes.

30Venons-en à l’interprétation des formules (i) et (ii). Le proxy est généralement un objet du contexte auquel le sujet est lié par diverses relations autres que l’identité, dont PR (et éventuellement d’autres relations, le sujet pouvant être conduit par exemple à voir, embrasser ou déshabiller son proxy). Le proxy paraît ainsi envisagé en tant que support plutôt qu’en tant que contenu. Mais concevoir l’attitude de Mach comme orientée vers le support (la photo) est inadéquat. Quand en observant la photo Mach pense qu’il est un pédagogue joyeux, ce n’est pas à la photo qu’il attribue cette qualité mais bien à la personne (qu’il reconnaît être lui-même) sur la photo.

31L’autre interprétation consiste donc à considérer le symbole n comme dénotant non pas le support mais le contenu objectuel. La formule (i) exprimerait ainsi le cas où Mach croirait de son propre proxy (au sens de : Mach selon la photo) qu’il est un pédagogue joyeux. Mais la relation PR a été spécialement introduite pour rendre compte d’usages de pronoms réfléchis dans des situations où le proxy n’est pas identique au sujet. Mach peut-il reconnaître son propre proxy (i.e. Mach selon la photo) comme tel, croire de ce proxy qu’il est un pédagogue joyeux, sans croire de se de lui-même qu’il est un pédagogue joyeux (selon la photo) ? Autrement dit, peut-on avoir PR(ys,n) sans avoir ys = n dans la portée de l’opérateur de croyance ? Ce serait contre-intuitif car on ne voit pas ce qu’il faudrait ajouter à la croyance de Mach pour qu’elle soit plus directement à propos de lui-même. Si Mach pense de se à lui-même tel qu’il est représenté sur la photo (i.e. à son proxy), alors il pense de se à lui-même. Il semble bien que la formule (i) implique la formule (ii).

32Mais si croire quelque chose de se de son propre proxy revient à s’identifier à son propre proxy, cela ne signifie pas que l’identité se prolonge dans le monde actuel. Mach n’est pas actuellement identique au Mach selon la photo (l’un peut être joyeux et l’autre pas), même si Mach s’identifie intentionnellement au Mach selon la photo. La formule (ii) qui convient pour la croyance cesserait alors de fonctionner pour toute attitude factive (i.e. impliquant la vérité de son contenu) comme savoir ou voir. En effet, Mach ne pourrait pas savoir ou voir qu’il est identique à son proxy (n) si actuellement il ne l’est pas. La formule (ii) manque ainsi de généralité, et elle conduit à attribuer à Mach des croyances de se systématiquement fausses car impliquant une identité erronée.

33L’échec de la théorie des proxies à rendre compte des attitudes de se résulte de son incapacité à distinguer le proxy en tant que support (auquel le sujet est actuellement lié par diverses relations autres que l’identité) du proxy en tant que contenu objectuel (auquel le sujet s’identifie intentionnellement). L’approche que je vais développer dans la section suivante repose sur l’introduction d’opérateurs correspondant aux photos, portraits et autres représentations physiques des agents, et elle permet de maintenir la distinction entre support et contenu.

3 Les fenêtres modales

34Idée générale Je vais développer dans cette section une proposition alternative à celle de Reuland et Winter, qui préserve l’identité et évite la proxy relation dans la résolution des anaphores.

35L’idée est que les statues, les photos, les miroirs, etc. sont des fenêtres modales : ce sont des dispositifs physiques qui nous permettent de voir comment serait un individu dans d’autres circonstances — i.e. dans un autre monde possible, ou dans une autre paire monde-instant. Pour des attitudes focalisées sur des personnes, le contraste entre attitude de re et de se est alors naturellement rendu puisque ce sont les personnes elles-mêmes, et pas leurs proxies, qui sont visées.

36Ainsi quand Rihanna observe sa propre statue de cire, elle peut avoir des attitudes à propos d’elle-même si elle avait été blonde [13], c’est-à-dire à propos d’elle-même dans les mondes possibles (contrefactuels) où elle est blonde. Ces attitudes (admirations, dégoûts, désirs, etc.) peuvent être de se ou simplement de re, selon que Rihanna s’identifie ou non à la statue. D’autres personnes que Rihanna peuvent aussi avoir des attitudes (de re) à l’égard de la statue, comme à l’égard de Rihanna au travers de sa statue.

37De la même manière, quand il regarde sa propre photo, Mach peut avoir des attitudes à propos de lui-même tel qu’il était quand la photo a été prise, c’est-à-dire dans les mondes et indices temporels où lui-même était tel qu’il est représenté par la photographie. Mais le cas du miroir doit également être envisagé avec cette approche : en s’observant dans le miroir, Mach peut avoir des attitudes à propos de lui-même si la droite et la gauche étaient inversées, autrement dit dans des mondes possibles qui sont comme le monde actuel à ceci près que la gauche et la droite sont inversées. Le fait que les miroirs (non déformants) représentent un monde très proche du monde actuel, au point que l’on peut faire intellectuellement la correction assez facilement pour reconstituer le monde actuel [14] peut contribuer à expliquer pourquoi la dimension modale du miroir est restée inaperçue.

38L’hypothèse que je veux défendre est donc que les pronoms réfléchis comme « lui-même », « elle-même », de même que d’autres pronoms et indexicaux, doivent être interprétés relativement aux fenêtres modales disponibles dans le contexte de leur assertion. La présence d’une fenêtre modale dans un contexte peut alors déclencher l’introduction d’un opérateur modal dans la forme logique des phrases assertées dans ce contexte.

39La conséquence de cette hypothèse est que les prédicats qui nous lient aux individus au travers des fenêtres modales ont une interprétation non standard. En effet, ils dénotent des relations inter-mondaines, dont la sémantique peut être précisément définie mais dont le statut métaphysique est discutable. Je propose de considérer que ces relations sont fondamentalement des relations intentionnelles, même dans les cas où on a affaire à autre chose qu’à des verbes d’attitudes (comme « désirer » ou « haïr »). Des prédicats comme « embrasser » ou « déshabiller » auront ainsi deux extensions, l’une standard et intra-mondaine, l’autre non standard, intentionnelle et inter-mondaine.

40Retour aux représentations de Mach Considérons à nouveau les exemples d’Ernst Mach, sa photographie et son image dans le miroir. La présence de la photographie dans le contexte provoque l’introduction d’un opérateur modal, que l’on notera [photo], défini sémantiquement à l’aide d’une relation d’accessibilité Rphoto qui relie les mondes compatibles avec le contenu de la photo. Par exemple si une photo représente le buste de Mach, on comptera parmi les mondes possibles compatibles avec la photo ceux où le buste de Mach est tel qu’il est représenté, mais où les choses peuvent varier « hors cadre » : dans un monde il aura un chat sur les genoux, dans un autre il n’aura pas de chat sur les genoux ; dans un monde il aura les pieds dans une bassine, dans un autre non ; et bien entendu les mondes possibles accessibles vont combiner ces différentes possibilités [15]. On aura finalement une définition tout à fait standard de la vérité d’une formule précédée de ce nouvel opérateur :

(12)??,??? [photo]? ? pour tout w’ tel que wRphotow’ : (? ’, ?) ? ?

41Les cas envisagés plus haut en (10) et (11) peuvent ainsi être formalisés à nouveau :

(13)a.C’est un pédagogue joyeux
b.de re : ??,???g [photo](Ris (xs,y) ? PédagogueJoyeux (y))
(14)a.Je suis un pédagogue joyeux
b.de se :??,???g [photo] ((xs = y) ? PédagogueJoyeux (y))
??,???g [photo] PédagogueJoyeux (xs).

42Il faut noter ici que la transition du cas de re au cas de se est à nouveau tout à fait standard : elle réside dans le passage d’une relation d’accointance R entre le sujet xs et l’objet y de l’attitude, à l’identité. La sémantique est définie de telle sorte que la variable xs, qui représente « je », fonctionne comme un désignateur rigide et renvoie au centre a quel que soit le monde considéré ; autrement dit, xs désigne a, que son occurrence figure dans la portée d’un opérateur modal comme [photo] ou en dehors.

43L’interprétation de R, qui représente la relation d’accointance,est en revanche non standard. L’exposant is qui suit le symbole R est emprunté à [Wehmeier 2011]. Il indique que le symbole est interprété sur un mode que l’on pourrait qualifier d’indicatif-subjonctif, où le premier terme prend sa valeur dans le monde actuel et le second dans le monde courant, éventuellement distinct du monde actuel [16]. Selon la formalisation proposée, la relation d’accointance lie donc le sujet du monde actuel à un individu dans un autre monde possible. Je reviendrai dans la section (4) sur cette interprétation spéciale des symboles de relations. Le lecteur intéressé peut en outre se reporter à l’Annexe où la sémantique est explicitement définie.

44On peut également considérer des cas proches de l’exemple ci-dessus, où le sujet ne parle pas d’individus perçus à travers la fenêtre modale, mais de la fenêtre elle-même. Ainsi dans les deux exemples suivants :

(15)a.C’est une photo joyeuse
b.de re : ??,???g R(xs,y) ? PhotoJoyeuse (y)
(16)a.*Je suis une photo joyeuse
b. de se : ??,???g PhotoJoyeuse (xs)

45l’opérateur modal a disparu, ce qui signifie que les formules sont évaluées relativement au monde actuel. Évidemment dans ce cas, en observant une photographie, on peut avoir des attitudes de re (le sujet peut croire, voir, désirer certaines choses à propos de la photo), mais en apparence, sauf cas tirés par les cheveux, on ne peut pas véritablement avoir d’attitude de se.

46Les exemples (13) et (15) ci-dessus montrent qu’à la différence de la théorie des proxies la sémantique des fenêtres modales permet de distinguer le sujet représenté de sa représentation. On peut attribuer des prédicats à la représentation (dans le monde actuel) et d’autres prédicats à ce qu’elle représente (dans des mondes contrefactuels). Un sujet peut ainsi reconnaître qu’ un objet actuel est sa propre représentation et entretenir des attitudes de re à l’égard de cet objet ; ces dernières ne seront pas identiques aux attitudes de se qu’ il pourra entretenir vis-à-vis de lui-même, au travers de cet objet.

47Uneambiguïté généraliséedes indexicaux Si nous considérons maintenant le cas du miroir, il est traité de manière analogue tout en laissant voir un aspect intéressant. Un opérateur modal [miroir] est défini exactement sur le modèle de l’opérateur [photo], et on peut également contraster les deux types d’attitudes ((7) et (8) plus haut) :

(17)a.C’est un pédagogue défraîchi
b.de re : ??,???g [miroir](Ris (xs,y) ? PédagogueDéfraîchi (y))
(18)a.Je suis un pédagogue défraîchi
b. de se :
(i) ??,???g [miroir] PédagogueDéfraîchi (xs)
(ii) ??,???g PédagogueDéfraîchi (xs).

48La phrase (18a) est ambiguë entre les deux sens exprimés par les formules (i) et (ii). Mais il faut noter que dans le cas d’un miroir non déformant l’ambiguïté en jeu est innocente : que le sujet se considère lui-même de se à travers un miroir ou directement dans le monde actuel fait très peu de différence, si ce n’est l’inversion gauche-droite mentionnée plus haut. Il semble donc que le cas du miroir ait conduit à ne considérer que l’interprétation non modale (ii), qui a du coup laissé dans l’ombre l’ interprétation modale (i). Et de façon analogue pour (17a), qui la plupart du temps est interprétée comme (17b) sans la modalité [miroir].

49D’autres cas d’ambiguïté entre les deux interprétations sont plus riches en contenu. Ainsi, Rihanna observant sa statue et constatant la différence de teintures pourrait parfaitement s’écrier :

(19)a.Regarde, ici j’ai les cheveux blonds mais en fait j’ai les cheveux rouges !
b.de se :
??,???g [statue] CheveuxBlonds (xs) ? CheveuxRouges( xs).

50Ce qui se manifeste, c’est l’ambiguïté de l’indexical « je » (xs), qui conduit à le mettre dans la portée de l’opérateur modal ou en dehors : c’est le contexte qui permet de trancher entre l’une et l’autre interprétations.

51Ce mécanisme peut être décrit en général de la manière suivante. Ce qui est pertinent pour l’interprétation de « je » comme d’autres indexicaux, c’est la classe, déterminée par le contexte, des fenêtres modales, ?. Chaque membre ? de la classe des fenêtres détermine un opérateur modal (world-shifting), [?], et introduit une lecture possible de « je ». Ainsi, « Je suis un F » se formalise en :

(20)OF(xs),avec O ?{[ ?] : ? ? ? }?{-}

52i.e., O étant soit l’un des opérateurs contextuellement disponibles, soit la modalité nulle (• ???). Cette ambiguïté n’est évidemment pas le propre des attitudes en première personne et elle vaut pour tous les indexicaux, notamment pour « ceci », « ce », etc. Si l’on considère à nouveau la phrase (6a), prononcée par Mach ou par l’un de ses élèves, on disposera de plusieurs lectures dépendant du contexte :

(21)a.??,???g •(Ris(xs ,y) ? PédagogueDéfraîchi (y))
b.??,???g [miroir](Ris(xs,y) ? PédagogueDéfraîchi (y))
c.??,???g [statue](Ris(xs,y) ? PédagogueDéfraîchi (y))
d.

53De façon générale, on formalisera « Ceci est un F »par :

(22)O(Ris(xs,y) ? F(y)),avec O ?{[?] : ? ? ?}?{-}.

4 Portée ontologique et métaphysique

54Retour sur les anaphoriques Les pronoms anaphoriques qui étaient le point de départ de la théorie des proxies peuvent être appréhendés suivant la même stratégie. Si nous considérons à nouveau les comptes-rendus d’attitudes à la troisième personne de Mach face au miroir, soit l’exemple (10) plus haut, on pourra contraster les deux types d’attitudes de la manière suivante :

(23)a.Mach croit de lui-même qu’il est un pédagogue défraîchi
b.de re : Bm [miroir ](Ris(ys,m) ? PédagogueDéfraîchi (m))
c.de se : Bm[miroir](ys = m ? PédagogueDéfraîchi(m))
? Bm[miroir]( PédagogueDéfraîchi (ys)).

55Autrement dit, l’usage de se du pronom anaphorique « il », ou de « lui-même » entraîne l’identité d’avec l’antécédent, et non une relation spéciale avec un proxy. Du point de vue ontologique, les fenêtres modales offrent une sérieuse économie : quand Mach s’observe dans le miroir, il y a Mach lui-même, le miroir (l’objet physique), et rien d’autre. Chez Reuland et Winter, si Mach et Boltzmann s’observent côte à côte dans un miroir, il y a non seulement Mach, Boltzmann, le miroir, mais en outre les deux proxies (et des proxies pour tous les individus qui se reflètent dans le miroir). Le point, qui peut sembler anodin dans le cas de la statue (car le proxy et son support se confondent), devient explosif dès que l’ on aborde d’ autres supports comme les miroirs, les photos, etc. : le moindre miroir se voit doté d’un pouvoir ontologique exorbitant puisqu’il engendre un proxy pour chacun des individus qui vient se refléter en lui. Une telle inflation ontologique doit être si possible évitée.

56Quel statut pour les relations inter-mondaines ? D’autres cas tels celui mentionné en introduction soulèvent un problème que je n’ai fait qu’effleurer jusqu’ici, à savoir celui du statut des relations inter-mondaines. On a vu que ces dernières sont mobilisées dans la formalisation à l’aide de l’exposant is, suivant une sémantique parfaitement définie (cf. Annexe). Si les relations de ce type paraissent envisageables quand elles sont abstraites, comme la comparaison de grandeurs (plus grand que dans « Paul aurait pu être plus grand que Marie (n est grande) »), cela semble plus délicat pour des relations concrètes, notamment les relations causales [Wehmeier 2011]. Or la relation située dans la portée des opérateurs générés par les fenêtres modales dans les exemples cités jusqu’ici est supposée être une relation d’accointance, comme la perception visuelle. Comment comprendre qu’un sujet dans un monde puisse percevoir un individu dans un autre monde possible ?

57Le cas de Rihanna embrassant sa statue pose le même type de difficulté. Pour clarifier la situation et dissocier la supposée représentation de Rihanna de son support, je vais considérer l’exemple du miroir plutôt que celui de la statue, et contraster différents cas. On peut considérer l’ensemble des quatre exemples suivants :

(24)a.Rihanna (r) embrasse (K) Britney Spears (b).
b.??,???g Krb
(25)a.Rihanna s’embrasse (elle-même).
b.??,???g Krr
(26)a.Rihanna s’embrasse (elle-même) [dans le miroir (m)].
b.??,???g [m] Kis rr
c.??,???g [m] K rr
(27)a.Rihanna embrasse le miroir.
b.??,???g Krm.

58Le cas (25) se distingue de (24) uniquement du fait qu’on envisage l’identité de l’agent et du patient : (25) correspond au cas où Rihanna s’embrasserait la main. Avec (26), la présence du miroir introduit une fenêtre modale. Dans chacune des deux interprétations (26b) et (26c), il faut relever que le pronom personnel est supposé désigner Rihanna elle-même et pas un autre individu : l’identité est ici encore impliquée par l’anaphore. Le cas (26c) est analogue au précédent (25), mais la scène (où Rihanna s’embrasse la main) est vue dans un miroir : la relation K est encore intra-mondaine. Un cas plus intéressant et délicat est (26b) où Rihanna s’embrasse à travers la fenêtre modale, et où la relation K devient inter-mondaine. L’ambiguïté de la phrase « Rihanna s embrasse elle-même » se manifeste donc par l’ambiguïté du prédicat K entre ses deux interprétations, intra-mondaine ((25b) et (26c)) ou inter-mondaine (26b). Dans la situation du miroir on peut enfin distinguer (27) de (26b), par exemple si Rihanna embrasse le miroir dans le noir donc sans voir que c’est un miroir, alors que comme je l’ai signalé la situation est difficile à démêler dans le cas de la statue.

59Est-il métaphysiquement possible que Rihanna interagisse causalement avec elle-même (ou avec d’autres individus) dans d’ autres mondes possibles ? Si c’était le cas, cela serait une conséquence tellement forte de l’approche en termes de fenêtres modales qu’on ne serait pas loin d’une réfutation par l’absurde. On peut fort heureusement y échapper. Il suffit en effet d’interpréter l’extension inter-mondaine des symboles de relations comme constituant des relations intentionnelles (ou mentales). Pour reprendre l’exemple du symbole K,tandis que son extension intra-mondaine est la relation physique d’embrasser,l extension inter-mondaine dénotée par Kis n’est pas cette relation physique mais une autre relation, intentionnelle, qui prend appui sur et étend cette relation au-delà de son extension physique.

60La lecture intentionnelle des relations inter-mondaines vaut naturellement pour l’extension des relations d’accointance mobilisées dans les comptes-rendus d’attitudes propositionnelles de se ou de re. Lorsque Mach se voit dans le miroir et qu’il croit de lui-même, sur la base de ce qu’il voit, qu’il est un pédagogue défraîchi, ce qui permet de parler d’une attitude minimalement de re et maximalement de se est son apparente accointance avec lui-même à travers le miroir. Mais il n’y a pas plus de relation d’accointance entre Mach et son alter ego dans le miroir qu’entre Rihanna et le sien : il y a tout au plus une accointance (donc une relation physique) avec la fenêtre, et une extension intentionnelle de l’accointance vers les individus appréhendés à travers la fenêtre.

61Peut-on indéfiniment multiplier les fenêtres modales ? Les fenêtres modales permettent d’expliquer comment on peut avoir des attitudes à l’égard d’individus actuellement existants, y compris à l’égard de soi-même, dans des situations contrefactuelles. Au-delà du cas des miroirs ou de celui des photographies, il semble que dans bon nombre de situations, à commencer par celles impliquant des statues, la possibilité d’entretenir une attitude focalisée sur un individu existant via une représentation repose essentiellement sur un travail d’interprétation du sujet de l’attitude.

62Les trois exemples imaginaires d’attitudes de se ci-après [17] permettent de voir que les fenêtres modales vont se multiplier à l’égal des situations dans lesquelles un sujet se pense représenté :

(28)a.[Dans la réalité virtuelle :]
Je suis un beau pédagogue.
b??,???g [VR] BeauPédagogue(xs)
(29)a.[En admirant une statue de Picasso :]
Je suis un pédagogue étrange.
b.??,???g [Picasso] EtrangePédagogue(xs)
(30)a.[En découvrant le Professeur Tournesol :]
Je suis un pédagogue fou.
b.??,???g [Tintin] FouPédagogue(xs).

63Le cas de la réalité virtuelle peut être considéré comme n’étant pas trop éloigné de celui du miroir ou de la photographie au sens où il suppose une interaction causale entre le sujet et le support physique de la représentation [18].Une situation similaire est offerte par les jeux dont les joueurs sont projetés sur une pièce de manière purement conventionnelle, et où un énoncé comme : « Attention, je vais te manger » ne trouve son sens qu’au travers de la convention en question [19]. En revanche, qu’un sujet se projette dans une statue de Picasso (qui n’a pas été réalisée dans l’idée de le représenter) ou dans une fiction [20], cela paraît reposer sur sa seule capacité interprétative.

64Je ne fais ici que souligner une caractéristique bien connue des représentations en général, et la théorie des proxies y serait également confrontée (avec la nécessaire extension de la classe contextuelle des proxies, et par voie de conséquence de la proxy relation). La dimension interprétative des représentations prend cependant une coloration particulière dans la conception défendue ici, puisqu’elle paraît se refléter directement dans le caractère purement intentionnel des relations inter-mondaines.

65Un paradigme pour les relations intentionnelles ? Avant de clore cette section, je voudrais tenter d’appréhender la réciproque de la lecture intentionnelle des relations inter-mondaines. Peut-on considérer que les relations intentionnelles en général sont, et ne sont rien de plus que des relations inter-mondaines ?

66Reprenons le cas de Rihanna et la statue. Comme la fenêtre modale (la statue de cire) est en un certain sens entièrement remplie par la représentation de Rihanna, à la différence des cas de photographies ou d’images dans le miroir, on doit pouvoir distinguer deux manières pour Rihanna d’embrasser sa statue (s) :

(31)a.??,???g Krs
b??,???g [s]Kisrr.

67La première formule indique que Rihanna embrasse la statue comme objet matériel (le support de la représentation d’elle-même), et la seconde qu’elle s’embrasse elle-même à travers la statue [21]. D’un point de vue physicaliste ou béhavioriste, rien ne permet de distinguer un événement de l’autre. On peut lire les deux formules comme exprimant deux aspects de l’action de Rihanna : (31a) en décrit la dimension physicaliste, dans le monde actuel, et (31b) la dimension intentionnelle, dans les mondes possibles ouverts par la statue.

68On pourrait appréhender sur ce modèle l’ensemble des relations intentionnelles, certaines ayant une contrepartie physicaliste (comme K), d’autres non. Faire cela suppose d’introduire des fenêtres modales à volonté, et en fait à chaque projection intentionnelle, c’est-à-dire en chaque occasion où la capacité interprétative d’un sujet est éprouvée. Ainsi, admirer, désirer, adorer, haïr, etc. seraient autant de prédicats dont l’extension pertinente est inter-mondaine, à la différence des prédicats physicalistes qui sont intra-mondains. Ce qui n’implique absolument pas que les objets de nos admirations, désirs, adorations, haines, etc. n’existent pas dans le monde actuel, ni que nous ne puissions nous-mêmes pas être parmi les objets de nos propres attitudes.

5 Conclusion

69Dans cet article, j’ai proposé une analyse des représentations physiques des individus comme les statues, les photographies ou les images dans les miroirs, en termes de fenêtres modales. L’idée est relativement intuitive puisque les attitudes à l’égard de ces représentations s’expriment naturellement en termes d’attitudes à l’égard d’individus actuels représentés dans des situations possibles non actuelles (contrefactuelles, passées ou autres).

70Cette approche permet de rendre compte de la spécificité des attitudes de se même dans les cas où celles-ci passent par l’intermédiaire de représentations, à la différence de la conception en termes de proxies. Autre avantage de ma proposition : elle préserve le rôle central de l’identité pour la résolution des anaphores, et par voie de conséquence, elle évite l’inflation ontologique inhérente à la théorie des proxies.

71La sémantique avancée dans cet article conduit à considérer les modalités comme étant d’un usage bien plus répandu que ce que l’on admet habituellement. En outre, elle implique que nous entretenions des relations avec des individus possibles non-actuels. Cela pourrait être perçu comme une difficulté pour le réalisme modal (du moins dans la version de [Lewis 1986] qui exclut les relations inter-mondaines). On l’interprète ici directement dans la perspective d’un anti-réalisme modal. Les fenêtres qui nous donnent à voir d’autres situations possibles sont essentiellement dans nos têtes, et ces situations sont autant de projections intentionnelles sur les individus actuellement existants (et parfois sur d’autres, inexistants [22]).

72La conception fictionnaliste des modalités introduites avec les fenêtres modales paraît défendable dans les cas d’interprétation radicale, mais elle soulève des difficultés pour les cas de l’image dans un miroir, de la photographie ou de la réalité virtuelle, dont on peut considérer à bon droit qu’elles représentent objectivement, et pas seulement dans nos têtes, celles et ceux qu’elles donnent à voir. Ces difficultés n’ont pas été abordées dans l’article et elles mériteraient une étude approfondie. On peut entrevoir l’idée qu’une relation intentionnelle peut être plus ou moins objective si elle est ancrée dans, donc contrainte par une relation intra-mondaine ou non — autrement dit si elle est l’extension inter-mondaine d’une relation par ailleurs présente dans le monde actuel, ou si à l’inverse elle est « librement flottante ». Mais cela ne serait que le début d’une explication, sauf à considérer que l’objectivité se réduit à la physicalité.

73L’approche sémantique en termes de fenêtres modales suggère d’analyser en retour les relations intentionnelles comme des relations inter-mondaines. Le champ des modalités en serait encore étendu, puisque chaque relation intentionnelle entre un sujet et un objet supposerait alors qu’un ensemble de mondes soit constitué et rendu accessible pour le sujet, mondes dans lesquels le sujet trouverait l’objet (parfois actuellement existant, et parfois lui-même) auquel se relier. Ce qui mérite d’être noté ici, c’est, outre le fait que les objets d’une relation intentionnelle peuvent être des objets actuels, la possibilité que la relation intentionnelle soit doublée d’une ou plusieurs autres relations physiques, causales ou non mais actuelles, entre le sujet de l’attitude et son objet. Mais à l’opposé de certaines conceptions, jamais la relation intentionnelle (inter-mondaine) ne pourra être simplement réduite à la relation physique (intra-mondaine) à laquelle elle est éventuellement corrélée.

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 04/12/2020

https://doi.org/10.4000/philosophiascientiae.747

Notes

  • [*]
    Je tiens à remercier, pour leurs commentaires, critiques et suggestions très utiles, Maxime Amblard, Gregory Bochner, Franck Lihoreau, Christian Nimtz, Shahid Rahman, Sonia Roca Royes, Luc Schneider et Tero Tulenheimo. Je suis très fortement redevable à plusieurs rapporteurs anonymes, particulièrement à l’un d’ entre eux dont la critique acérée m’a permis de clarifier sensiblement le propos de l’article, ainsi qu’aux éditeurs de ce cahier thématique. Je reste évidemment seul responsable des erreurs et insuffisances du résultat.
  • [1]
    Par exemple sur le site du Daily Telegraph, dans un article daté du 1erseptembre 2010 : "Rihanna Twitters picture of her kissing her wax sculpture at Madame Tussauds". Cet exemple actualise celui présenté par [Jackendoff 1992], cf. section 2.
  • [2]
    D'après la théorie du liage, l'explication est entièrement syntaxique. Dans une phrase comme (1), le nom propre « Rihanna » c-commande l'anaphorique « herself », donc le premier lie le second; le liage impliquant la co-référence, les deux expressions sont alors censées référer au même objet. Voir [Chomsky 1991].
  • [3]
    Le terme de « proxy » se traduit habituellement en « mandataire » ou « fondé de pouvoir », mais il sert ici à faire référence aux diverses représentations physiques d’un individu donné ; je vais conserver le terme original en anglais dans la suite de l’article.
  • [4]
    Je dois à un rapporteur anonyme cet exposé systématique.
  • [5]
    La suite de l'article se cantonne aux relations PR. L'exposé des fonctions de Skolem qui clot cette sous-section vise uniquement à compléter la présentation succincte de la théorie de Reuland et Winter.
  • [6]
    Quand plusieurs proxies d'un individu donné sont présents dans le contexte, plusieurs fonctions de Skolem fPR sont corrélativement définissables.
  • [7]
    "Not long ago, after a trying railway journey by night, when I was very tired, I got into an omnibus, just as another man appeared at the other end. 'What a shabby pedagogue that is, that has just entered, thought I. It was myself : opposite me hung a large mirror. The physiognomy of my class, accordingly, was better known to me than my own." (Ernst Mach 1885, cité par [Perry 1990]).
  • [8]
    Mon propos n’étant pas centré sur l’analyse des noms propres je me contente de formaliser le nom par une constante, ici interprétée comme un désignateur non rigide. Cette présentation serait donc rejetée par un partisan de la théorie de la référence directe.
  • [9]
    Une croyance de re à propos de Boltzmann n’exige pas du sujet qu’il emploie le nom propre « Boltzmann ». Une expression de cette croyance qui évite l’usage du nom pourrait être : « C est un pédagogue défraîchi », où l’objet de l’attitude est symbolisé par une variable (voir plus bas la formalisation (6)).
  • [10]
    Chez Maier l'occurrence du symbole R en dehors de la portée de l'opérateur Bm n’apparaît pas dans une expression conjointe, mais dans une présupposition, voir [Maier 2009, 447 sq].
  • [11]
    Dans sa formalisation, [Maier 2009] utilise une variable ordinaire et introduit un prédicat Center dans la portée de Bm ; la sémantique est analogue à celle proposée ici.
  • [12]
    On trouve chez [Ninan 2010] l'idée d'une suite de centres pour évaluer des phrases comme « Je t'appellerai demain quand je saurai si Ernst veut venir », où le locuteur n'est que l’un des centres du contexte.
  • [13]
    Sur la photo médiatisée de la rencontre entre la chanteuse et sa statue, la première a les cheveux rouges et la seconde les cheveux blonds.
  • [14]
    Par exemple, si je m observe dans le miroir écrivant de la main gauche, je corrige immédiatement et je me vois bien écrivant de la main droite ; mais si je ne me reconnais pas et pense observer quelqu un d’autre à travers une vitre, je peux alors croire voir un gaucher.
  • [15]
    On peut éviter ici de considérer tous les mondes logiquement possibles et se restreindre aux mondes les plus proches du monde actuel (au sens de Lewis), de manière à écarter les mondes où Mach a six jambes, où il a des pattes de canard, etc.
  • [16]
    Pour donner une idée de ce qui motive la terminologie et la notation (i et s)de [Wehmeier 2011], l'indicatif i est employé quand on dit ce qu'un individu est (actuellement), et le subjonctif s quand on exprime ce qu'il serait ou aurait pu être (dans une situation contrefactuelle).
  • [17]
    Le fait qu’on ait ici affaire à des cas d’attitudes de se n’est pas essentiel et le même point aurait pu être illustré avec des attitudes de re de sujets projetant des individus autres qu'eux-mêmes dans les trois exemples.
  • [18]
    Pour un traitement de la réalité virtuelle en termes de modalités, au même titre que les fictions mais sans les réduire aux fictions, voir [Tavinor 2010].
  • [19]
    Cet exemple de projection sur la pièce d’un jeu m a été suggéré par un rapporteur. Il peut être traité à l'aide de fenêtres modales comme les autres, l'identification du sujet à sa pièce ou plus généralement à son rôle ne pouvant être réalisée qu’à travers la fenêtre.
  • [20]
    L'approche de la sémantique des fictions en termes de modalités comme dans l’exemple est relativement standard. Mon propos n’est pas ici de réduire l’interprétation des statues ou des fictions à celle desfenêtresmodales, maisd'indiquer que ces œuvres peuvent aussi être interprétées comme telles, lorsqu'un sujet s'identifie en se projetant en elles.
  • [21]
    Ce qu'elle peut exécuter de se ou de re, selon qu'elle se reconnaît ou pas. L'important est qu’en (b) Rihanna embrasse une personne à travers la statue, tandis qu’en (a) elle ne fait qu’embrasser un morceau de cire.
  • [22]
    Les attitudes focalisées sur des objets inexistants peuvent être formalisées moyennant une nouvelle extension de la logique modale du premier ordre, l’extension IF (independence-friendly). Pour une présentation et une discussion de cas de ce type, se reporter à [Rebuschi & Tulenheimo 2011].

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