Savoirs 2020/1 N° 52

Couverture de SAVO_052

Article de revue

Iona Boanca et Sylvain Starck (dir.) (2019). Les compétences transversales : un référent pertinent pour la formation. Recherches en éducation, n° 37.

Pages 111 à 114

English version

1 Ce dossier coordonné par Iona Boanca et Sylvain Starck s’ouvre par un éditorial très complet autour de cette notion complexe dont les contours restent encore flous. En effet, les compétences transversales sont souvent présentées comme des points d’appui pour dépasser les frontières disciplinaires et favoriser les mobilités professionnelles. Mais leurs usages interrogent à plusieurs niveaux. La compétence transversale serait non technique (non reliée à une tâche ou à un domaine professionnels précis) et non disciplinaire. Son acquisition, supposée informelle, interroge les dimensions personnelles susceptibles de favoriser ou non son acquisition. La notion vient plus particulièrement questionner une conception située de la compétence (compétence par nature reliée à un contexte, à une situation ou à une classe de situation) ; la transversalité envisagée laissant supposer que les compétences visées seraient opérantes dans différents contextes ou situations. Les six articles qui composent ensuite le dossier s’organisent de façon assez équilibrée pour éclairer les deux facettes complémentaires de la compétence transversale, sur le plan de sa conceptualisation (trois premières contributions) et de sa reconnaissance sociale (trois contributions suivantes).

2 La contribution de Sylvain Starck repose plus particulièrement sur la philosophie pragmatique de Dewey en proposant d’examiner la notion de compétence transversale à l’aune d’une double perspective quotidienne et scientifique. En effet, si la rationalité gestionnaire fait de la compétence transversale « un concept quotidien par généralisation », la perspective scientifique, en partant d’une analyse de l’activité, en montre aussi les faiblesses. Dans le cadre de la relation formation-emploi, il ressort notamment que, sans référence à des situations professionnelles précises, la comparaison des référentiels pour en inférer des compétences transversales (compétences supposées similaires, mobilisables d’un exercice professionnel à l’autre) prend le risque de voir se développer des formes de nominalisme dont les dimensions idéologiques associées rendent difficile le dialogue entre les deux perspectives, quotidienne et scientifique.

3 L’article de Louis Durrive examine les compétences transversales d’un point de vue ergologique. La notion de subjectivité ne renvoie pas ici aux particularités individuelles mais à l’idée d’une présence située (du point de vue des prises de position, des débats de normes) qui permet d’envisager la compétence comme un langage à propos de l’activité humaine. Le discours se met alors au service d’une analyse d’actes situés pour envisager le réel comme une situation concrètement vécue par quelqu’un. La notion de compétence transversale peut alors venir renouveler la prise en compte de la subjectivité à la condition « que l’on cherche à dire quelque chose de l’acteur qui passe d’une situation à l’autre, d’un milieu à un autre, en faisant toujours référence à des actes, en s’appuyant sur eux » (p. 29). En partant de la modélisation de Schwartz (2000), Louis Durrive propose d’envisager les compétences transversales de manière dialectique à partir de six ingrédients qui entreraient en relation de façon dynamique (trois ingrédients relatifs à l’acte et trois ingrédients relatifs à l’acteur). Les compétences transversales deviennent alors un référent pertinent pour la formation « quand elles soulignent l’importance du sujet dans l’action, à l’heure où on s’interroge sur les métiers auxquels il faut se préparer à l’avenir » (p. 31).

4 La contribution de Jean-Claude Coulet s’appuie sur le point de vue des théories de l’activité. Alors que les compétences spécifiques renvoient essentiellement à l’organisation de l’activité pour traiter des tâches précises, les compétences transversales permettraient plus largement d’organiser l’activité pour faire face à un travail réel qui s’éloignerait de façon significative du travail prescrit. Les compétences transversales peuvent ainsi être mobilisées en référence à des classes de situation très larges, permettant de gagner en autonomie, en polyvalence, en responsabilité. Les compétences transversales restent néanmoins difficiles à préciser, définies sans référence aux processus susceptibles d’expliquer leur mobilisation et indépendantes du contenu des tâches à traiter. J.-C. Coulet propose ici le modèle MADDEC (Coulet, 2011, p. 17). Dans ce modèle, les compétences sont hiérarchisées, les règles d’action font appel à d’autres compétences qui leur servent de règles d’action. Toute compétence renvoie ainsi à une classe de situations ; elle est propre à l’individu et n’a de pertinence qu’au regard des compétences plus générales dans lesquelles elle s’inscrit.

5 Le texte relatif à la réflexivité des enseignants (Marie-Noëlle Hindryckx et Maggy Schneider) repose sur la question de savoir si la réflexivité peut être considérée comme une compétence transversale. Les auteures confrontent la notion à un certain nombre d’écueils, tels que le sens donné par l’individu à la situation dans laquelle il est susceptible de la mobiliser et la question des buts à atteindre dans des conditions précises. Elles font ainsi l’hypothèse que la réflexivité est intrinsèquement liée à son inscription disciplinaire, ce qui la rend difficilement compatible avec l’idée même d’une compétence transversale. Prenant appui sur deux approches didactiques en mathématiques et en sciences biologiques, les auteures montrent que les connaissances épistémologiques liées à la discipline enseignée sont indispensables au développement d’une posture réflexive inhérente à la mise en œuvre d’une pratique pédagogique, au risque de voir se développer des pratiques ostensives qui ne permettent pas aux élèves de se distancier des objets investigués. Cette contribution fait spécifiquement écho aux apports présentés par J.-C. Coulet.

6 La contribution suivante s’intéresse au regard des formés (Sabrina Labbé, Naïma Marengo, Loïc Gojard et Sylvie Bourlot-Ranty). D’anciens stagiaires ont ainsi été questionnés pour connaître leur vision des compétences acquises dans le cadre d’un DHEPS dont l’objectif est de se former à et par la recherche à partir de ses expériences professionnelles ou militantes. Il s’agit d’une recherche exploratoire qui repose sur un focus group et des analyses lexicales. Les auteures proposent en fin d’article une typologie des représentations que les stagiaires se font des compétences transversales acquises en formation. Cette typologie repose sur une double tension entre d’une part les contextes d’apprentissage et les contextes d’application, et d’autre part, des compétences envisagées comme des connaissances ou davantage comme des stratégies de reconnaissance. Les auteurs proposent de conclure sur deux grands axes organisateurs qui viennent spécifier les compétences acquises en DHEPS : d’une part, des compétences qui pourraient se transférer d’un exercice professionnel à l’autre mais dont la transversalité formation/métier n’est pas évidente, d’autre part des compétences qui jouent une fonction de reconnaissance identitaire pour des adultes en reprise de formation.

7 Le dernier article se situe dans le champ de l’insertion professionnelle (Frédérique Bros, Marie-Christine Vermelle et Iona Boanca) ; il croise le regard des professionnels de l’accompagnement et celui des jeunes adultes bénéficiaires d’un programme de réinsertion socioprofessionnelle sur les compétences transversales proposées dans le référentiel Skillpass (références clés en termes d’employabilité). Cette contribution fait particulièrement écho à celle de S. Starck s’agissant des référentiels de situations susceptibles d’outiller l’acquisition des compétences transversales. Le référentiel Skillpass semble ainsi répondre, pour partie, à l’enjeu de la « situation » qui peut servir l’identification de la compétence mais les professionnels déplorent que les compétences transversales soient associées à des situations clés et non à des situations de travail réelles et contextualisées. Par ailleurs, le dispositif mis en place ne sollicite que très peu l’articulation avec des compétences métiers dont la reconnaissance est plus formalisée. Cette contribution qui vient clore le dossier est particulièrement éclairante du point de vue des enjeux soulevés par les premières contributions théoriques.

8 D’une façon plus générale, ce dossier présente l’avantage de proposer, de façon articulée, des apports théoriques (dont nous retiendrons le lien avec la notion de situation comme principal écueil) et des contributions qui permettent de revenir de façon concrète sur les questions soulevées : le rapport formation/travail et la place qu’y occupe le développement de situations dites apprenantes dans l’acquisition de ces compétences transversales, les liens qu’entretiennent les compétences transversales avec d’une part les compétences spécifiques et d’autre part les dispositions personnelles ainsi que, pour finir, les processus de reconnaissance (et d’évaluation) susceptibles de s’engager dans la continuité.

9 Ce dossier marque un essai plutôt réussi de conceptualisation d’une notion à la fois très en vogue et très polysémique. Il serait certainement souhaitable de voir se développer, dans la continuité, des travaux permettant de poursuivre les réflexions engagées autour de ces enjeux théoriques, puisqu’ils viennent alimenter le débat sur les acceptions mêmes de la notion de compétence, celle-ci se trouvant directement interrogée dans ses fondements sociaux.

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