1Élaborer une note de synthèse sur l’éducation populaire dans le contexte actuel de la formation d’adultes marqué par la prédominance des préoccupations socio-économiques peut relever du défi. De plus, les difficultés à définir clairement cette forme d’éducation, le poids des références passéistes et mystifiées (« la légende » de l’éducation populaire de l’après-guerre !), le caractère protéiforme des travaux sur ce champ de pratiques constituent autant d’obstacles potentiels à une synthèse. Les trois auteurs de la note de synthèse du présent numéro ont relevé le défi et ont réussi à contourner ces obstacles en proposant un texte stimulant, entremêlant une analyse historique des différentes approches de l’éducation populaire et une présentation argumentée de travaux portant sur ce secteur éducatif.
2Les auteurs n’éludent pas l’épineuse question de la définition de l’éducation permanente posée dès l’introduction du texte. Cette forme éducative renvoie à un ensemble hétérogène d’activités et, pour mettre quelque peu d’intelligibilité dans ce foisonnement de références possibles, Laurent Besse, Frédéric Chateigner et Florence Ihaddadene classent ces pratiques en deux grandes familles. À côté des formes anciennes renvoyant aux mouvements de jeunesse et au monde associatif de l’animation socioculturelle, il existe une facette de l’éducation populaire plus récente associant critique sociale et éducation politique des adultes. Cette relance est marquée par deux entreprises que les auteurs qualifient de « pionnières » : l’Offre publique de réflexion sur l’éducation populaire lancée par M.-G. Buffet de 1998 à 2001 et l’action de l’association ATTAC revendiquant dès 1998 l’appellation « mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action ». Dans le premier cas, les actions se sont institutionnalisées peu à peu et correspondent au secteur « Jeunesse et éducation populaire (JEP) » qui s’est développé entre le Front populaire et les années 1970. Dans le second cas, l’éducation populaire se définit par une nouvelle forme de contestation, qui échappe aux organisations politiques traditionnelles. Pour les auteurs, cette distinction entre deux familles ne rend pas totalement compte de l’hétérogénéité des activités réalisées au nom de l’éducation populaire ; ils considèrent que celle-ci se définit par ce que les groupes font en son nom.
3À la multiplicité des formes d’actions éducatives se réclamant de l’éducation populaire correspond un foisonnement de publications que les auteurs choisissent de structurer autour de trois disciplines scientifiques croisant sociologie et histoire. Une première partie rend compte de travaux convoquant l’histoire sociale et culturelle à partir de la fin des années 1970. Les objets sont variés : les universités populaires de la fin du XIXe siècle, les politiques de jeunesse, l’origine des centres sociaux, les techniques de formation spécifiques, les bibliothèques populaires, etc. Une seconde approche sociologique contribue à éclairer les spécificités du monde associatif très majoritaire dans l’éducation populaire et analyse l’engagement des militants et des bénévoles, les transformations du secteur vers les dimensions productives au milieu des années 1990, les formes du salariat atypique, situé entre le privé lucratif et la fonction publique, les relations du travail dans le monde associatif. Dans un troisième point, des travaux de science politique sont répertoriés. Le texte analyse les différents « cycles » historiques traversés par l’éducation populaire (émergence, consécration, déclin) depuis la fin du XIXe siècle et s’attarde sur les multiples modalités de relance actuelle de ce type d’éducation. La note de synthèse fait état de recherches sur ce renouveau marqué par une centration sur l’éducation politique des adultes, recherches parfois effectuées par des militants-chercheurs. Une dernière partie propose une ouverture vers des dimensions internationales. Mais les auteurs soulignent les difficultés à les prendre en compte. La faible internationalisation des pratiques et les obstacles à l’analyse comparative (usages divergents du vocabulaire, histoire politique et éducative spécifique à chaque pays, etc.) conduisent les auteurs à choisir plus modestement d’évoquer l’usage que font les publications françaises de modèles étrangers (Québec, Amérique latine, Belgique).
4Au total, cette note de synthèse propose aux lecteurs une documentation fournie correspondant à des objets de recherche multiples : le cinéma éducatif, les prêtres de patronage, les colonies de vacances ou les Maisons de jeunes et de la culture !… Elle met au jour la multiplicité des types d’écrits répertoriés : travaux historiques de type militant ; essais relevant de la profession de foi ; rapports institutionnels ; publications de résultats de recherches empiriques ; thèses, etc. Les lecteurs retrouveront les références de publications pionnières sur l’éducation populaire, celles de Benigno Cacérès, Geneviève Poujol ou Françoise Tétard, mais aussi les références des travaux effectués par un certain nombre d’institutions : l’Institut national de l’éducation populaire, l’Institut national de la jeunesse, le Pôle des archives de jeunesse et d’éducation populaire. La note de synthèse fournit également une mine d’informations sur des thèses ou des rapports de recherche moins connus. Enfin, cette rétrospective illustre la modernité des thèmes de recherche liés à l’éducation populaire : travail et engagement militant et bénévole, formes émancipatrices de l’éducation, éducation politique et civique des adultes, évolutions institutionnelles du travail social et de l’animation. Elle montre aussi l’intérêt des recherches actuelles, souvent menées par de jeunes chercheurs, qui s’intéressent davantage aux pratiques réelles des acteurs qu’aux discours sur l’éducation populaire.
5À la suite de la note de synthèse figurent deux articles de recherche. L’article intitulé « Des animateurs socioculturels dans une démarche de VAE : typologie des projets à l’œuvre » tisse des liens évidents avec la note de synthèse, puisqu’il concerne les exigences de professionnalisation dans le secteur du social et du culturel, proche de l’éducation populaire. Les organisations de travail veulent fabriquer des professionnels et la VAE est un des moyens utilisés. La recherche se focalise sur les points de vue de 42 animateurs et analyse les formes d’engagement dans le processus de VAE à partir de la notion de projet. Pour Goucem Redjimi, l’engagement en formation, via la VAE, constitue un cadre privilégié d’observation de l’articulation entre logiques institutionnelles et dynamiques identitaires des acteurs. Le texte met en évidence trois types de projet et de rapports aux injonctions des organisations en lien avec les schémas représentationnels des sujets enquêtés. Au total, le texte montre, comme d’autres travaux sur la VAE, que ce mode de professionnalisation cristallise des tensions et s’avère inégalement productif.
6La seconde contribution est en anglais et illustre une des façons qu’a la revue de s’ouvrir aux recherches non hexagonales. L’article intitulé « Learning and identity narratives in women’s life trajectories » est écrit par Karen Evans de l’Université de Londres et par Chiara Biasin de l’Université de Padoue. Sur la base d’une analyse longitudinale conduite par le National Child Development Study auprès de personnes nées au Royaume-Uni en 1958, l’étude Social Participation and Identity analyse les trajectoires et histoires de vie d’un échantillon de personnes âgées de 50 ans, et notamment celles d’une cohorte de 110 femmes qui ont été amenées à parler de leur vie, à donner une définition de soi et à raconter des moments clés de leur existence. L’article se focalise sur une partie de cette cohorte et met en évidence seize autoreprésentations de l’identité dans lesquelles l’agentivité, la capacité d’autodirection dans l’apprentissage et la capacité de contrôle de son existence sont différemment affirmées.
7Nous souhaitons à tous bonne lecture de ce numéro 42.