Savoirs 2010/2 n° 23

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Article de revue

Identifier les conceptions de l'enseignement et de l'apprentissage pour accompagner le développement professionnel des enseignants débutants à l'université

Pages 51 à 72

1En France, il n’y a pas de formation initiale à l’aspect « enseignement » du métier d’enseignant-chercheur à l’inverse du volet « chercheur » ; ceci s’explique peut-être par la croyance selon laquelle un bon chercheur est un bon enseignant. La formation à l’enseignement se constitue donc en général « sur le tas ». Parent pauvre du métier, la reconnaissance du « métier d’enseignant » des enseignants-chercheurs fait actuellement l’objet de discussions, voire de propositions. Ainsi, un récent rapport vient de recommander la mise en place de « services de formations à la pédagogie chargés de former et d’informer les enseignants s’agissant de l’enseignement et des techniques de formation » (Schwartz, 2008). Mais avant cela, quelques universités françaises s’étaient déjà préoccupées de soutenir les enseignants universitaires dans leur métier d’enseignant en créant des centres de pédagogie. À l’université de Bourgogne, une telle structure existe depuis 2004 (le Cipe, Centre d’innovation pédagogique et d’évaluation) et propose, parmi d’autres actions, une formation à la pédagogie universitaire pour les jeunes enseignants débutants non titulaires (chargés de Td/Tp). C’est dans ce contexte que s’inscrit cet article qui se veut une réflexion sur l’accompagnement lors de l’entrée dans la carrière des jeunes enseignants universitaires et plus particulièrement via des formations à la pédagogie.

2Ce travail s’inscrit dans la lignée des travaux sur les conceptions individuelles et leurs effets sur l’apprentissage (Marton, Säljö, 1984 ; Giordan, 1998 ; Frenay, Noël, Parmentier et Romainville, 1998 ; Loiola et Tardif, 2001, Langevin, 2007). Pour certains, elles en sont le levier (Frenay, 2006), d’autres considèrent qu’elles seraient en mesure de minimiser l’impact formatif (Vermetten, Vermunt et Lodewijks, 2002, cités par Grandtner, 2007), voire être un obstacle dans le développement professionnel (Loiola, 2001). Les enseignants universitaires ne font pas exception à la règle et leurs représentations à propos de l’enseignement et de l’apprentissage influencent leurs pratiques professionnelles comme ceci est rappelé dans la première partie de l’article. Plus encore, la perspective adoptée est d’étudier les conceptions de l’enseignement et de l’apprentis-sage de chargés de Td/Tpau regard de leur parcours de formation et d’enseignement. Deux questions guident notre recherche : le parcours universitaire et la discipline influencent-ils les conceptions ? Les conceptions à propos de l’enseignement ou de l’apprentissage sont-elles différentes entre ceux qui ont déjà enseigné (même très peu) et ceux qui n’ont pas encore connu cette expérience ?

3Cet article s’appuie sur une analyse empirique réalisée à partir d’informations collectées auprès de chargés de Td/Tp ayant suivi une formation pédagogique proposée par le Cipe. La deuxième partie est ainsi consacrée à la présentation des données et de la méthodologie utilisées. Enfin la troisième partie présente les « conceptions types » des chargés de Td/Tp et leurs liens avec leur parcours de formation et d’enseignement. Les résultats présentés permettent ainsi d’avancer différentes hypothèses pour accompagner les jeunes enseignants ; celles-ci étant exposées dans une partie finale.

1 – Cadre conceptuel

4La recherche sur le développement professionnel des enseignants universitaires et la pédagogie universitaire restent encore peu documentées. Les travaux présentés proposent encore majoritairement des descriptions de pratiques (Grandtner, 2007). Par conséquent, des cadres conceptuels sont encore peu disponibles dans l’espace francophone. Le modèle théorique d’un savoir professionnel lié à l’enseignement universitaire n’est pas stabilisé. Les stratégies efficaces pour un centre de pédagogie afin d’accompagner les enseignants dans leur développement professionnel sont donc encore peu explicitées. Il existe cependant des actions mises en œuvre qui relèvent de deux axes distincts : des formations à la pédagogie universitaire, d’une part, et l’accompagnement individuel des enseignants dans les innovations pédagogiques par un conseiller pédagogique, d’autre part. Ces deux types d’aides sont considérés d’une efficacité certaine pour le développement professionnel des enseignants (Wright, 2007). Mais, au-delà des formes que prennent ces actions, nombre de travaux jugent nécessaire de s’intéresser au préalable aux conceptions des enseignants universitaires relatives à l’enseignement et l’apprentissage pour documenter le développement d’un centre de soutien à l’enseignement (Marton, Saljo, 1984 ; Giordan, 1998 ; Kember, Kwan, 2000 ; Frenay, 2006). Précisons que nous adoptons le sens de conception comme une attitude mentale qui permet à l’individu d’appréhender et d’interpréter la réalité (Langevin, 2007). Bien souvent inconscientes, celles-ci influent sur nos attitudes et nos actions quotidiennes. Elles se construisent en fonction du vécu, du milieu social, ou encore du milieu professionnel.

5En termes de pédagogie, deux conceptions très éloignées cohabitent, presque à l’opposé l’une de l’autre (Kember, 1997). L’une, traditionnelle, plutôt centrée sur l’enseignant dite « magistro-centrée », amène l’enseignant à privilégier les contenus en suivant un modèle d’enseignement essentiellement transmissif où il délivre son savoir. À l’opposé, se situe une conception plus « pédo-centrée », où l’enseignant se préoccupe d’accompagner les étudiants dans leurs apprentissages et de faciliter ceux-ci à l’aide de méthodes pédagogiques plus actives et d’interactions plus nombreuses (Frenay, 2006). Cette dernière approche est communément admise comme plus favorable aux étudiants pour développer des apprentissages plus nombreux et de meilleure qualité. Selon les conceptions qu’il a à propos de l’enseignement, de l’apprentissage, de ce qui aide les étudiants à apprendre ou encore des qualités associées à un bon enseignant, un enseignant va mettre en œuvre des pratiques d’enseignement différentes, lesquelles influent sur les types d’apprentissages que ses étudiants développent (Romainville, 1998 ; Frenay, 2006). Ces conceptions sont adaptables puisqu’elles varient en fonction du contexte d’enseignement (Romainville, 1998) et évolutives (Kugel,1993 ; Woods, 1997). Par exemple, Kugel (1993) identifie différentes phases au fil des années d’expérience : dans une première période qu’il qualifie de « survie » (et qu’il estime pouvoir durer trois à cinq ans), l’enseignant est très centré sur lui-même et préoccupé du message tant verbal que non verbal qu’il donne. Après cette première période très stressante, lorsqu’il atteint une impression de confort et de contrôle dans son enseignement, intervient une période centrée sur le savoir à enseigner, puis un passage s’opère peu à peu vers une plus grande prise en compte de l’apprenant et une participation plus active de l’étudiant dans son apprentissage. Ainsi, tout au long de la carrière, les conceptions évoluent. De fait, les besoins de formation et d’accompagnement diffèrent.

6La compréhension et la mise en lumière des conceptions individuelles apparaissent donc nécessaires aux centres de pédagogie qui se préoccupent de soutien à l’enseignement pour déterminer leurs actions d’accompagnement. Soit parce qu’elles seraient en mesure de minimiser l’impact formatif (Vermunt et Lodewijks, cités par Grandtner, 2007), ou encore pourraient être un obstacle dans le développement professionnel (Loiola, 2001). D’autre part, des travaux sur le développement professionnel envisagent les formations à la pédagogie universitaire avant tout comme un espace de questionnement, d’explication et de confrontation des conceptions individuelles (Romainville, 1998). Afin de dégager des pistes d’actions pour accompagner le développement professionnel des jeunes universitaires, il nous paraît opportun d’examiner les conceptions de notre public avant même qu’ils suivent une formation à la pédagogie universitaire.

2 – Données et choix méthodologiques

7Pour étudier les conceptions de ces jeunes enseignants, cette étude s’appuie sur des données collectées auprès des chargés de Td/Tp de l’université de Bourgogne (toutes disciplines confondues) ayant suivi une formation au métier d’enseignant proposée par le Cipe durant les mois d’octobre et de novembre des années 2005 à 2007. À l’entrée en formation, c’est-à-dire lors de la première heure de formation, ils sont amenés à répondre à trois questions ouvertes : 1) « Quelle définition donnez-vous d’apprendre ? », 2) « Quelle définition donnez-vous d’enseigner ? », 3) « Selon-vous qu’est ce qui aide les étudiants à apprendre ? » et une question à choix multiples où parmi cinq possibilités, ils doivent choisir « cinq qualités associées à un bon enseignant ». Cette collecte d’information est associée à un formulaire administratif d’inscription rempli avant même de suivre la formation. Ce dernier comporte des indications sur le parcours de formation des participants et sur la nature de leurs enseignements à l’université (volumes horaires, matières, niveaux d’étude). Le parcours d’enseignement est détaillé : expérience, mode de recrutement, relation avec l’équipe pédagogique, etc.

2.1 – Méthodes de traitement des conceptions

8Afin de connaître les conceptions initiales, les réponses aux quatre questions font l’objet d’un codage précis qui permet un traitement statistique appréhendant la diversité des réponses. Chaque question a ainsi donné lieu à la création de variables. Pour chaque individu, chaque variable créée prend la valeur 0 si la réponse donnée ne permet pas de repérer le thème correspondant, la valeur 1 si la réponse donnée permet de repérer une fois le thème correspondant et N si ce thème est donné N fois dans la réponse.

9Le questionnement sur la définition de l’apprentissage est une question ouverte (« Quelle définition donnez-vous d’apprendre ? ») dont les réponses ont été analysées et codées à partir des catégories de Marton, Dall’alba et Beaty (1993) selon une « hiérarchie » allant de la simple accumulation de connaissances à la transformation personnelle. Ce qui nous donne les six variables suivantes : augmenter ses connaissances ; mémoriser ; reproduire / appliquer ; comprendre; interpréter les connaissances de façon nouvelle ; changer en tant que personne. Deux autres variables ont été produites par nous à la suite de la lecture des réponses : 1) une variable relative aux expressions d’émotions (apprendre c’est : difficile, un plaisir, une obligation, etc.) et 2) une variable relative à tout ce qui ne pouvait être attribué dans les catégories précédentes.

10La deuxième question relative à la définition d’enseigner (« Quelle définition donnez-vous d’enseigner ? ») est analysée en fonction des travaux (Fox, 1983 ; Ramsden, 1993; Samuelowicz, Bain, 1992 ; Gow, Kember, 1993 ; Prosser, Trigwell, Taylor, 1994) permettant d’établir un continuum de multiples conceptions entre teacher-centered/content-oriented et student-centered/learning-oriented (Kember, 1997). Le choix a été fait de se référer seulement à ces deux extrêmes : 1) modèle centré sur l’enseignant (transmettre des connaissances) et 2) modèle centré sur l’apprenant (guider, accompagner / créer des conditions favorables pour l’apprenant). Chaque modèle a donné lieu à la création d’une variable.

11À la question « Selon vous qu’est-ce qui aide les étudiants à apprendre ? », les réponses des participants ont été répercutées dans quatre variables : « responsabilité centrée sur l’enseignant », « responsabilité centrée sur l’étudiant » « conditions de travail », « autres thèmes ».

12Enfin la dernière question interroge sur les qualités associées à un bon enseignant. Des Lierres et al. (1988) ont proposé de classifier les réponses des étudiants selon deux catégories : l’une liée aux valeurs et à la personnalité de l’enseignant identifiée dans notre étude sous le type « qualités personnelles », l’autre liée aux compétences pédagogiques et identifiée ici sous le type « stratégies et moyens pédagogiques utilisés ». Nous avons repris cette classification à laquelle nous avons ajouté une troisième catégorie nommée « rapport avec les étudiants ». Ainsi pour « Cochez cinq qualités associées à un bon enseignant », les participants ont quinze possibilités parmi :

  • cinq items entrant dans le type « Qualités personnelles » : Est clair, synthétique / Est passionné, enthousiaste / Fait preuve de patience / Intéresse, stimule les étudiants / Se montre dynamique et créatif ;
  • cinq items entrant dans le type « Rapport avec les étudiants » : Accepte de ne pas tout connaître / Est intéressé par les étudiants / Instaure le dialogue / Partage ses connaissances avec les étudiants / Respecte les étudiants ;
  • et cinq items entrant dans le type « Stratégies et moyens pédagogiques utilisés » : Adapte son enseignement aux connaissances préalables des étudiants / Informe des objectifs du cours (les connaissances à acquérir) / Informe des conditions d’évaluation / Met en place des activités diverses / Relie le cours à la pratique professionnelle (exemples concrets).
Quatre variables ont ainsi été construites à partir de cette question « Quelles sont les cinq qualités associées à un bon enseignant » : 1) qualités personnelles, 2) rapport avec les étudiants, 3) stratégies et moyens pédagogiques utilisés, 4) autres. Cette dernière a été créée pour intégrer les remarques des participants : elle peut prendre la valeur 0 si aucune remarque n’a été faite ou 1 si, par exemple, les participants ont noté « un ensemble de tout cela ».

13Notre ambition est d’appréhender les conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage des enseignants débutants pour alimenter la réflexion sur l’accompagnement qui pourrait leur être offert lors de l’entrée dans la carrière. Dans cette perspective, l’analyse cherche à appréhender comment s’articulent les différentes conceptions. Après avoir établi de premiers constats, l’étude empirique est menée en plusieurs étapes en recourant à l’analyse factorielle. L’analyse factorielle des correspondances multiples (Acm) a ainsi pour but de synthétiser les différents aspects et permet de dégager des « profils types » en précisant comment s’articulent les conceptions concernant l’enseignement, les enseignants et l’apprentissage. Puis, ces « profils types » sont étudiés au regard des parcours de formation et d’enseignant en introduisant les informations sur les profils des chargés de Td/Tp en variables supplémentaires dans l’Acm, (elles sont représentées sur les axes sans y avoir contribué).

2.2 – Quelques caractéristiques de notre population

14Notre étude prend en compte 55 chargés de Td/Tpinscrits à une formation pédagogique à l’université de Bourgogne entre 2005 et 2007, soit 25 hommes et 30 femmes ayant obtenu leur baccalauréat entre 1989 et 2001. En raison du caractère pluridisciplinaire de cette université, on compte 10 personnes issues des sciences et techniques, 21 des secteurs des sciences de la vie et de la terre, et de la santé (médecine et pharmacie), et 24 des secteurs de sciences humaines, langues et droit.

15Rares sont les chargés de Td/Tpqui n’effectuent pas leurs études au sein de la composante qui les a recrutés. Aucun a affirmé ne pas vouloir devenir enseignant-chercheur. Parmi eux, 42 ont le projet de devenir enseignant-chercheur dans l’enseignement supérieur, 10 ne savent pas encore si tel est leur projet, trois n’ont pas répondu à cette question. Parmi les premiers, l’intérêt pour l’enseignement est notable. En effet, 15 personnes déclarent être plus intéressés par l’enseignement et 13 par l’enseignement et la recherche contre seulement 11 qui sont seulement intéressés par la recherche (trois personnes n’ont pas explicité leurs motivations).

16En ce qui concerne leurs expériences d’enseignement, tous donnent cours durant l’année de la formation ou ont donné cours l’année précédente. Alors que leur statut de chargés de Td/Tp ne le prévoit pas, 20 assument pourtant des cours magistraux. 14 ont déjà exercé des fonctions d’enseignement les années précédant leur inscription à la formation. Au final, seuls 10 n’ont jamais eu une expérience d’enseignement quelle qu’elle soit (tutorat à l’université, soutien scolaire, cours particuliers, enseignement dans le primaire ou secondaire, etc.). En effet, la formation durant laquelle l’enquête a été réalisée a lieu avant que ne commencent leurs premiers cours (au deuxième semestre de leur première universitaire comme chargés de Td/Tp). La moitié assure au moins un cours suivi comme étudiant (28 personnes). Pour 20 participants, les cours dont ils sont chargés sont en partie ou complètement organisés et préparés par d’autres enseignants. La plupart (42 sur 55 personnes) déclarent avoir déjà rencontré l’équipe pédagogique ou les enseignants responsables des cours pour discuter de leurs enseignements.

3 – Résultats

3.1 – Premières informations sur les conceptions relatives à l’enseignement et à l’apprentissage des chargés de Td/Tp

17La première étape de notre analyse permet de souligner le caractère multidimensionnel des conceptions initiales de ces jeunes chargés de Td/Tp. Ainsi, ils utilisent en moyenne deux dimensions pour qualifier l’apprentissage. Certains se réfèrent à une seule dimension et d’autres vont jusqu’à utiliser cinq dimensions. Le plus fréquemment, le fait d’apprendre est associé à une augmentation des connaissances (35 chargés de Td/Tp). Vient ensuite le fait de comprendre (22 personnes) et le fait de changer en tant que personne (19 individus). Ils sont plus rares à concevoir l’apprentissage comme un exercice de reproduction et d’application ou encore d’interprétation des connaissances sous une forme nouvelle. Une plus faible proportion encore considère qu’apprendre c’est mémoriser (cf. graphique 1). Enfin, ne négligeons pas que 22 jeunes proposent des éléments variés non pris en compte par notre catégorisation.

Graphique 1

« Quelle définition donnez-vous d’apprendre ? »

Graphique 1

« Quelle définition donnez-vous d’apprendre ? »

18Pour définir l’enseignement, 21 chargés de Td/Tp se réfèrent exclusivement au modèle centré sur l’enseignant (faire passer des connaissances) et cinq exclusivement au modèle centré sur l’apprenant (guider, accompagner / créer des conditions favorables). Mais plus de la moitié des assistants (26) donne une définition qui associe les deux types de modèles se situant donc quelque part sur le continuum décrit par Kember (1997) (cf. graphique 2).

Graphique 2

« Quelle définition donnez-vous d’enseigner ? »

Graphique 2

« Quelle définition donnez-vous d’enseigner ? »

19Pour « ce qui aide les étudiants à apprendre », 49 enseignants sur 55 considèrent que, d’une manière plus ou moins importante, les apprentissages des étudiants sont de la responsabilité de l’enseignant. Et 26 sur 55 estiment que l’étudiant a une part de responsabilité plus ou moins forte dans ses apprentissages. En fait, plus de la moitié jugent que les apprentissages des étudiants sont liés uniquement à l’enseignant. Quatre pensent que les apprentissages des étudiants sont seulement du fait des étudiants. Enfin, 21 optent pour une responsabilité de l’apprentissage partagée entre enseignant et étudiants. Cette responsabilité partagée est ainsi la deuxième définition donnée. (cf. graphique 3).

Graphique 3

« Selon-vous qu’est ce qui aide les étudiants à apprendre ? »

Graphique 3

« Selon-vous qu’est ce qui aide les étudiants à apprendre ? »

20Enfin, les chargés de Td/Tp doivent se prononcer sur les qualités associées à un bon enseignant. Seules cinq personnes ne font pas référence à des qualités personnelles, quand huit ne se réfèrent pas aux stratégies et moyens pédagogiques qu’il utilise et dix aux rapports qu’il entretient avec les étudiants. Aucune personne ne considère les qualités d’un bon enseignant sous un seul angle. En fait, dans huit cas sur dix, les enseignants mixent les trois dimensions (42 personnes) et, dans deux cas sur dix, ils associent deux dimensions. Ainsi, il existe 14 types de réponses à cette question (cf. graphique 4).

Graphique 4

« Cinq qualités d’un bon enseignant »

Graphique 4

« Cinq qualités d’un bon enseignant »

3.2 – Typologie des conceptions des chargés de Td/Tpconcernant l’enseignement et l’apprentissage

21Pour obtenir une représentation synthétique des conceptions, une analyse des données est réalisée grâce à l’Acm. Les résultats sont représentés dans le graphique 5.

22Le premier axe de l’Acm spécifie différents types de conceptions relatives à l’enseignement (acte d’enseigner, qualités d’un bon enseignant) en les associant à ce qui aide les étudiants à apprendre. Il permet de déterminer deux « profils » à l’entrée en formation :

231) Des chargés de Td/Tp ayant une vision de l’enseignement plutôt centrée sur l’apprenant et qui considèrent que ce ne sont pas ses stratégies pédagogiques ou ses qualités personnelles qui font un « bon enseignant » mais plutôt les rapports que celui-ci entretient avec les étudiants. Pourtant, ils estiment que ce qui aide les étudiants à apprendre n’est pas de la responsabilité de l’étudiant. Ils pensent également qu’apprendre ce n’est pas augmenter ses connaissances.

242) Pour les autres, qui ont une perception de l’enseignement plutôt centrée sur l’enseignant où l’apprenant est totalement absent, les stratégies pédagogiques utilisées apparaissent comme des qualités importantes d’un « bon enseignant ». Avant tout l’apprentissage est une augmentation des connaissances. Pour eux, les facteurs qui aident les étudiants dans leurs apprentissages ne relèvent pas de la responsabilité de l’enseignant mais de celle de l’étudiant.

25Le second axe de l’Acm renvoie aux différentes conceptions initiales de l’acte d’apprendre en les associant aux qualités d’un « bon enseignant » :

261) Pour les uns, l’apprentissage est perçu comme le fait de savoir reproduire ou appliquer et même interpréter, mais pas comme une augmentation de connaissances. À ce type de définition est associé le fait qu’être un « bon enseignant » dépend de différentes qualités personnelles, des stratégies et méthodes pédagogiques employées. L’enseignement est conçu en se référant à un modèle à la fois centré sur l’apprenant et sur l’enseignant, et ce qui aide les étudiants à apprendre relève d’une coresponsabilité partagée entre les étudiants et l’enseignant.

272) À l’opposé, d’aucuns considèrent que l’apprentissage est une augmentation des connaissances. Ici, l’enseignement est très magistro-centré. La responsabilité des apprentissages étudiants est le fait de l’enseignant. Les qualités d’un « bon enseignant » ne sont pas liées aux stratégies et méthodes pédagogiques utilisées mais aux rapports entretenus avec les étudiants.

3.3 – Des conceptions structurées par les parcours

28Pour appréhender les différents types de conceptions au regard des caractéristiques des enseignants en termes de formation et d’expérience d’enseignement, notre analyse introduit comme éléments supplémentaires dans l’Acm la filière d’études, la nature des expériences d’enseigne-ment, le projet professionnel des jeunes enseignants, le fait qu’ils assurent ou non des cours magistraux ou des cours organisés par d’autres enseignants ou encore des cours qu’ils ont suivis comme étudiants (cf. graphique 5).

Graphique 5

Les conceptions des chargés de TD/TP de l’université de Bourgogne

Graphique 5

Les conceptions des chargés de TD/TP de l’université de Bourgogne

29L’un des premiers résultats est l’absence de relations entre les conditions d’enseignement des jeunes chargés de Td/Tp et les « conceptions types » mises à jour. En revanche, ceux qui ont eu une expérience d’enseignement comme Ater (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) développent des conceptions relatives à l’enseignement donnant une place plus importante à l’apprenant ; ils estiment également que la responsabilité des apprentissages des étudiants est partagée entre ceux-ci et l’enseignant ; ils conçoivent que les qualités d’un « bon enseignant » sont liées aux stratégies et méthodes pédagogiques qu’il emploie. Le plus souvent, ils perçoivent l’apprentissage comme le fait de savoir reproduire ou appliquer et même interpréter.Les effets sectoriels existent sur le deuxième axe de l’Acm. Ainsi, les jeunes chargés de Td/Tp de sciences et techniques se distinguent par leur conception magistro-centrée de l’enseignement et une conception de l’apprentissage perçu comme une simple augmentation des connaissances. Au-delà, il existe également un lien entre le projet professionnel et les conceptions : ceux qui envisagent une carrière professionnelle combinant enseignement et recherche ont des conceptions plus centrées sur l’étudiant que ceux qui envisagent exclusivement la recherche.

4 – Constats et perspectives pour accompagner le développement professionnel

30Notre objectif était de cerner les conceptions de l’enseignement, de l’apprentissage, de ce qui aide les étudiants à apprendre ou encore des qualités associées à un bon enseignant chez des chargés de Td/Tp. L’inventaire visait également à observer si, d’une part, le parcours universitaire et la discipline influencent les conceptions, et si, d’autre part, les conceptions sont différentes entre ceux qui ont déjà enseigné (même très peu) et ceux qui n’ont pas encore connu cette expérience.

31Les premiers résultats de cette recherche mettent en évidence la pluralité des conceptions des enseignants débutants que nous pouvons regrouper en quatre types de profils. Si certains, sur lesquels nous ne nous étendrons pas ici, renvoient globalement aux résultats connus de la littérature, un est particulièrement surprenant. Celui-là regroupe des individus qui, bien que plutôt centrés sur l’apprenant et ses apprentissages (Student-centered/learning-oriented, Kember, 1997), considèrent cependant les facteurs d’apprentissage comme extérieurs à celui-ci et ne perçoivent pas son engagement comme nécessaire. En d’autres termes, bien que conscients de « l’existence » des trois éléments de la situation pédagogique (le savoir, l’enseignant et l’apprenant, Houssaye, 2009), ils ne donnent pas à l’apprenant un rôle réel. Ou, pour citer Jean Houssaye, lui attribuent la place du « mort (…) on le fait jouer plus qu’il ne joue ». Les perspectives pour un centre de soutien à l’enseignement induites par ce premier résultat nous inciteraient à organiser un accompagnement qui aide ces jeunes enseignants à prendre en compte leurs conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement, à y réfléchir et à confronter leur vision avec celles de leurs pairs.

32Par ailleurs, les chargés de Td/Tp de sciences et techniques se distinguent par leur conception de l’enseignement magistro-centrée et une conception de l’apprentissage perçu comme une simple augmentation des connaissances. Dans ce cas, compte tenu de ces spécificités disciplinaires, faut-il qu’un centre de soutien à l’enseignement se tourne vers une spécialisation des formations, ce qui conduirait à reconnaître et/ou impulser une sorte de didactisation de l’enseignement universitaire ? En effet, le poids des disciplines est réel dans l’enseignement à l’université. En outre, les attentes de quelques jeunes enseignants peuvent être en adéquation avec cette perspective. Cependant, il serait réducteur de penser que les choix pédagogiques que doit faire un enseignant à l’université ne sont liés qu’à la discipline, en omettant le contexte, les étudiants et l’enseignant lui-même. En effet, la notion de « savoir pédagogique disciplinaire » (Spd) (Berthiaume, 2007) repose sur un modèle multidimensionnel où l’ensemble des savoirs reliés à l’enseignement universitaire, tant disciplinaires que généralistes, tient également compte du contexte et de l’épistémologie personnelle des enseignants.

33Par ailleurs, dans cette recherche, les conceptions se révèlent parfois associées à des projets professionnels différents. Ainsi, ceux qui envisagent une carrière professionnelle combinant enseignement et recherche ont des conceptions plus centrées sur l’étudiant que ceux qui envisagent exclusivement la recherche. Faut-il alors organiser une formation différenciée afin de ramener / recentrer ces derniers vers un style d’enseignement orienté vers l’apprentissage des étudiants ? D’autant qu’il apparaît que ces jeunes enseignants sont également ceux pour lesquels les effets d’une formation pédagogique non « disciplinaire » sont les plus faibles (Demougeot-Lebel, Perret, 2008). C’est peut-être l’une des clés pour soutenir le changement pédagogique à l’université et dépasser le modèle magistro-centré afin de s’orienter vers un modèle centré sur l’apprenant. Toutefois, il n’est pas exclu que les jeunes enseignants plus intéressés par la recherche ne poursuivront probablement pas l’expérience d’enseignement confiée durant la fin de la thèse et s’orienteront plus probablement vers les métiers de la recherche. Faut-il alors investir dans l’accompagnement de ces jeunes qui enseignent au cours de leur thèse ?

34Enfin, l’un des résultats est l’absence de relations entre les conditions d’enseignements des jeunes chargés de Td/Tp et les différentes conceptions mises à jour. En revanche, l’expérience d’enseignement est associée à des conceptions typées : plus que les autres chargés de Td et Tp, ils donnent une place importante à l’apprenant dans l’enseignement, mettent plus en avant la responsabilité partagée des apprentissages, soulignent aussi plus volontiers le rôle des stratégies et méthodes pédagogiques déployées, et leur vision de l’apprentissage est plus associée au fait de savoir reproduire ou appliquer et même interpréter. Ce résultat va dans le sens des travaux connus qui ont identifié les différentes étapes qui rythment la carrière des enseignants-chercheurs, et confirme le passage graduel d’une première étape de centration de soi jusqu’à la prise en compte de l’apprenant. Pour un centre de soutien à l’enseignement, cela conforte les actions à l’intention des grands débutants. Voire à l’intention de ceux qui n’ont pas encore donné leurs premiers cours. On pourrait alors envisager une réelle formation initiale qui interviendrait, par exemple, dès que le contrat doctoral serait signé, et avant même que les premières heures face aux étudiants débutent.

35In fine, nous pourrions évoquer les limites de ce travail que nous savons être liées à la méthode et au public. En ce qui concerne la méthode, nous sommes conscients que notre échantillon est relativement faible et que nous n’avons récolté que des déclarations. Par ailleurs, il est évident qu’un biais existe avec ce public qu’on suppose être déjà préoccupé de questions liées à la pédagogie, puisqu’il fait l’effort de s’inscrire à une formation sur le sujet. Pour autant, le fait que nos résultats convergent avec des travaux actuels en pédagogie universitaire nous incite à croire en la validité de notre travail. Et donc nous conduit à les utiliser dans nos actions de soutien aux enseignants universitaires débutants.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : conceptions de l'enseignement et de l'apprentissage, enseignants du supérieur, développement professionnel

Date de mise en ligne : 24/01/2011

https://doi.org/10.3917/savo.023.0051

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