Savoirs 2010/1 n° 22

Couverture de SAVO_022

Article de revue

Comptes-rendus de lecture

Pages 153 à 162

Notes

  • [1]
    A. Giddens (1987), La constitution de la société, Paris : Puf coll. Quadrige, p. 75.
  • [2]
    Ibid., p. 76.
  • [3]
    Université Paris Est Créteil
  • [4]
    Responsable formation continue Advancia Négocia
English version

Kaddouri Mokhtar, Lespessailles Corinne, Maillebouis Madeleine, Vasconcellos Maria (dir.) (2008), La question identitaire dans le travail et la formation. Contributions de la recherche, état des pratiques et études documentaires. Paris : L’Harmattan coll. Logiques sociales série Cahiers du GRIOT

1Cet ouvrage est le cinquième d’une série initiée en 1992 dont il importe d’emblée de rappeler l’ambition et de préciser le statut. Autour d’une thématique suffisamment globale, ces livres sont composés d’un ensemble d’articles rédigés par des chercheurs spécialistes du domaine et organisés autour de synthèses bibliographiques produites par l’équipe de documentalistes du Centre de documentation sur la formation et le travail du Cnam. Concrètement, chaque texte est suivi d’une large bibliographie, toutes les références étant accompagnées d’une notice en proposant un bref résumé. C’est dire l’utilité de ce type d’ouvrages qui entreprend de lier ce qui est généralement disjoint : des bibliographies raisonnées produites par les professionnels de la documentation ; des travaux de chercheurs qui, au regard de leurs entrées thématiques et de leur corpus théorique, s’appuient nécessairement sur des bibliographies sélectives. L’enjeu principal de ce type de production est d’opérer une greffe entre ces deux préoccupations et de lier, avec bonheur, les travaux des uns (documentalistes) avec ceux des autres (chercheurs).

2Dans le cas présent, c’est le vaste continent de l’identité au travail et en formation qui organise les développements. Sans entrer dans le détail des dix-huit chapitres qui composent cet opus et de leurs compléments bibliographiques, on peut noter qu’il est à l’image de son objet : éclaté, multiforme et particulièrement labile. Différentes approches disciplinaires sont convoquées : psychologie, sociologie et sciences de l’éducation se taillent toutefois la part du lion. Les démarches sont également relativement hétérogènes : orientations conceptuelles (l’espace de l’identité) contre développements résolument empiriques (à propos des étudiants) ; structuration d’un état de l’art autour d’une problématique forte (rôle du travail dans la construction de l’identité) contre présentation linéaire d’un corpus de textes sans souci de mise en intrigue clairement définie (identité de formateurs d’adultes) ; étude critique et en toute extériorité d’un corpus de textes (rapports sociaux de sexe en formation et au travail) contre appui sur des expériences de recherche et réalisations personnelles en surimpression des éléments de bibliographie (ateliers d’écriture, groupes d’analyses des pratiques) ; centration sur des objets empiriques précis (cadres, professionnels de la banque) contre mobilisation d’exemples multiformes (sur les mobilités organisationnelles), etc.

3Ces éclairages multiples donnent sa force à l’ouvrage mais en constituent également sa faiblesse. Son unité est proprement introuvable, ce qui peut légitimement irriter, considérant que la juxtaposition des textes confine parfois au catalogue irraisonné. Mais une autre grille de lecture est possible. On peut aussi saluer une entreprise qui ne réifie pas l’« identité » et qui s’attache à lui conserver le statut de « concept horizon » que Lévi-Strauss lui avait naguère accordé. Dans leur pluralité, voire même dans leur diversité, les textes portent alors témoignage de l’ambiguïté du concept mais également de ses vertus heuristiques. Plastique, l’analyseur « identité » peut contribuer à éclairer l’aggiornamento aujourd’hui constaté dans les domaines du travail et de la formation.

4Cédric Frétigné

Belisle Rachel et Boutinet Jean-Pierre (dir.) (2009), Demandes de reconnaissance et validation d’acquis de l’expérience. Pour qui ? Pour quoi ? Québec : Presses Universitaires de Laval, 249 p.

5L’ouvrage collectif que dirigent Rachel Bélisle et Jean-Pierre Boutinet relève plus de l’analyse du poids du collectif dans sa fonction structurante pour l’adulte en quête de validation expérientielle que d’une approche comparée des dispositifs de reconnaissance et de validation des acquis de l’expérience, malgré des apports d’auteur(es) français, suisses et québécois, donnant à l’ouvrage une résonance épistémologique quant à l’appréhension des processus d’apprentissage.

6Dès l’introduction, les auteur(e)s proposent au lecteur de s’interroger sur les phénomènes de reconnaissance qui traversent, à différents niveaux, le travail actuel de systématisation des procédures et de consolidation des processus de reconnaissance et de validation des acquis de l’expérience, refusant de se limiter à l’inventaire de démarches techniques qui pourraient être associées au seul service du développement individuel et de la compétitivité des entreprises.

7En raison du projet central de cet ouvrage collectif, les contributions des auteurs français et québécois sont organisées autour de huit chapitres, chacun écrit par un auteur différent. Ils rendent compte d’une pluralité d’approches de l’objet d’étude.

8Tout d’abord, Bernard Prot s’efforce de démontrer en quoi, d’une part, toute la complexité du travail de formalisation et abstraction est au cœur de l’activité des accompagnateurs et du candidat à la Vae en formation professionnelle, et, d’autre part, l’interaction entre l’individuel et le collectif est non seulement présente dans le travail écrit par le candidat, mais occupe une position centrale dans le processus de validation.

9Claudie Solar et Rachel Bélisle traitent ensuite plus particulièrement de la question du genre et de ses enjeux en matière de reconnaissance et de validation des acquis de l’expérience au Québec ; pour elles, les processus de reconnaissance et de validation des acquis (Rvae) sont inscrits dans des luttes pour la justice sociale. Aussi proposent-elles une grille d’analyse de la mise en œuvre des mesures de Rvae, avant de mettre en exergue l’importance de l’action collective des organismes de la société civile dans le développement de la reconnaissance des acquis et des compétences. Elles soulignent toutefois combien la question de la reconnaissance des acquis des femmes est aujourd’hui passée sous silence.

10Isabelle Cherqui-Houot interroge, quant à elle, les raisons de l’adhésion généralisée à la Vae dans les milieux universitaires français, dans un contexte où les systèmes éducatifs sont au cœur de nombreux changements. Elle tente de mettre au jour une modélisation de la mise en œuvre et de l’appropriation du dispositif de Vae dans le but d’en dégager une préfiguration des positions futures tant des individus que des institutions. L’auteure centre son argumentation sur l’université, et son interrogation principale porte sur la modification du paysage de la certification en France et des effets encore forts modestes de la Vae, à l’aune de quatre paradigmes de la Vae situés entre l’être et le savoir, la personne et le collectif.

11Dans une perspective quelque peu différente, Suzanne Garon et Rachel Bélisle, tout en présentant un état des lieux de la reconnaissance d’acquis et des compétences (Rac) en Amérique du Nord et au Québec, s’intéressent plus particulièrement aux défis que doivent relever les adultes sans diplôme de niveau secondaire, en formation générale ou en formation professionnelle, lorsqu’ils s’engagent dans des dispositifs de Rac. Les auteures prennent appui sur deux dispositifs québécois, qui empruntent à deux démarches qui leur sont propres, d’une part, celle de « compétences fortes » (d’ordre non formel) et, d’autre part, celle d’« univers de compétences génériques » (d’ordre formel), les premières apparaissant comme un sous-ensemble des secondes. Elles reposent sur l’identification de compétences, et, s’apparentent, en quelque sorte, à la constitution d’un référentiel.

12Pour sa part, Marie-Christine Presse entend démontrer que si, dans le contexte français, la Vae est ordonnée autour de principes propres aux thèses du capital humain et à celles de la promotion sociale et professionnelle, elle contribue, comme dans les autres pays européens, à produire les mêmes effets de stratification sociale et de déni de reconnaissance pour la frange de la population la moins qualifiée. Aussi envisage-t-elle ici la question de la tension entre le collectif et l’individuel comme un enjeu essentiel de la mise en œuvre de la Vae. Elle s’efforce alors de mettre en exergue les logiques idéologiques qui lui sont sous-jacentes.

13Plus loin, Marie-Noëlle Schurmans appréhende la problématique de la Vae dans le sens d’une ouverture possible à la question de l’évaluation de l’action et saisit cette opportunité pour proposer des pistes de réflexion quant à l’interaction en évaluation. Puis, elle envisage le jugement de l’excellence comme construction sociale mettant en lumière l’importance du collectif ; cela lui permet de discerner une proximité entre la problématique de l’excellence et celle de la reconnaissance-validation, dans la mesure où, dans les deux cas, la valeur est celle attribuée au diplôme, à la définition des compétences, à l’élaboration des référentiels.

14Pour sa part, Sandra Enlart s’interroge sur l’intérêt que les entreprises portent à la reconnaissance des acquis de l’expérience comme pratique de Grh, mettant en évidence le fait que la reconnaissance des compétences s’est imposée dans les discours et pratiques managériales, au point qu’elle se présente autant comme un instrument de Grh que comme un outil de développement personnel. En ce sens, la Rvae peut être envisagée, selon l’auteure, comme un indicateur de changement autour de la relation au travail et à la formation.

15Enfin, dans un chapitre rédigé en forme de conclusion. Jean-Pierre Boutinet, recourant à une posture réflexive, prend appui sur la thèse d’Axel Honneth sur la reconnaissance, faisant écho notamment aux arguments développés par Suzanne Garon et Rachel Bélisle. Pour lui, l’instauration des systèmes de reconnaissance, comme la Vae, arrive à point nommé pour combler un « vide inquiétant » propre aux « espaces postmodernes » et à « l’imposture communicationnelle » : un vide lié au sentiment de non-reconnaissance éprou-vé par maints adultes dans leur situation existentielle. Il suggère alors d’appréhender le mécanisme de reconnaissance dans le processus de validation des acquis de l’expérience, à l’aune de la responsabilité ; une responsabilité omniprésente, double responsabilité du candidat dans sa capacité à répondre de son expérience, du professionnel validateur dans sa capacité à répondre de sa décision de validation. Dès lors, quel accompagnement penser pour harmoniser ces deux réponses ? Pour conclure, l’auteur s’interroge sur le défi lancé par ce mouvement social qui incite à un passage incessant entre formations expérientielles et formations diplômantes : « ne sommes-nous pas là face à une tension qu’il est très difficile d’aménager dans une dimension existentielle revendiquée par maints acteurs adultes, la dimension de la reconnaissance, et une dimension instrumentale porteuse d’efficacité, celle voulue par les dispositifs et attendue par les entreprises, la dimension de la validation ? »

16Au final, on peut penser que l’appréhension privilégiée par les différents auteurs de l’ouvrage aurait pu être complétée en prenant appui sur les enseignements de la théorie de la structuration, ce qui aurait incontestablement permis de prendre quelques distances avec les approches de l’hermé-neutique ou de la phénoménologie, aux termes desquelles « la société est envisagée comme la création plastique des sujets humains » [1]. Il est en effet évident que les demandes de reconnaissance et de validation des acquis de l’expérience mobilisent différents acteurs tant individuels que collectifs, à travers la mise en œuvre de divers dispositifs. Or, si la compétence humaine est toujours limitée, il est avéré que « du cours de l’action surgissent des consé-quences non intentionnelles susceptibles de devenir des conditions non reconnues d’actions ultérieures » [2]. Ainsi, la mise en perspective des interactions entre les différents acteurs de la demande de reconnaissance et de validation des acquis de l’expérience aurait-elle été de nature à enrichir le questionnement.

17Au regard de la pluralité de ses approches issues de contributions d’auteur(e)s de l’espace francophone et en raison de son souci de clarification des termes et des enjeux sous-jacents, on l’aura compris, l’ouvrage offre une lecture originale et novatrice de la place et du rôle du collectif dans sa fonction structurante pour l’individu en quête de validation expérientielle. L’effet de juxtaposition des textes en relativise toutefois certains résultats. De ce point de vue, une mise en perspective des argumentations fondées sur des indicateurs de comparaison aurait pu permettre de déboucher sur une approche comparative plus approfondie.

18Pascal Lafont [3]

Palmade Guy (2009), Les groupes d’évolution : théorie et problématique 1972-1974. Paris : L’Harmattan coll. Histoire et mémoire de la formation

19Faut-il rappeler que Guy Palmade a été l’un des pionniers de la psycho-sociologie en France ? Que par ailleurs il a exercé des fonctions dans des organismes d’enquête et de consultation, qu’il a mené une mission psychosociologique à Edf-Gdf, qu’il a occupé une chaire de pédagogie à l’université de Lausanne ? Enfin, Guy Palmade est le co-fondateur de l’Arip (Association pour la recherche et l’intervention psychosociologique), éditeur de la revue Connexions, puis du Cirfip (Centre international de recherche, formation et intervention psychosociologiques) qui publie la Nouvelle revue de psychosociologie. Dans Connexions (n° 86, 2006), Jean Maisonneuve et Claude Tapia avaient déjà consacré un hommage au chercheur et au formateur. L’ouvrage Les groupes d’évolution : théorie et problématique, ici présenté, a été composé par Jean Maisonneuve à partir de deux textes de Guy Palmade. Le premier est un article publié en 1972 dans le premier numéro de Connexions, le second est un texte ronéotypé inédit de 234 pages daté de juillet 1974 qui figurait dans sa thèse d’État. Le titre fait référence à la pratique des « groupes de base » ou « T. Group », en vogue des années 1950 à 1980 aux États-Unis et en Europe, qui désignaient une expérience collective visant à produire des changements. Pour Maisonneuve, le cœur de l’approche réside dans « une démarche fluctuante, attentive à ce qui se passe ici et maintenant dès la première séance ».

20La première partie traite d’une conception des groupes d’évolution. Par groupe d’évolution il s’agit de comprendre des évolutions estimées positives des participants, celles-ci devant se produire à partir d’évolutions qui ont lieu dans la vie de ces groupes. La notion de groupe d’évolution permet de rassembler des appellations telles que les groupes de rencontre, les séminaires de relations humaines, les psychothérapies de groupe ou encore le psychodrame. Mais, Palmade accorde de l’importance à la non-directivité comme différenciateur des pratiques de ou en groupe. Pour ce qui concerne le T. Group, pratique plus particulièrement examinée, il reprend et compare les modélisations de Faucheux avec sa distinction des quatre stades articulés autour des thèmes de l’incertitude initiale, de la dépendance au moniteur, de la résolution du problème de l’autorité, du pouvoir interne du groupe, et de la conduite réfléchie ; celles de Meignez s’attachant aux phases de la vie d’un groupe allant de la dislocation initiale jusqu’à l’accession au soi ; celles d’Anzieu proposant un « modèle génétique » de la naissance à la mort du groupe. Palmade réalise alors une critique de ces modèles en commençant par le rôle du moniteur, de la théorie des phases, avec la remarque de l’incomplétude des thèmes pris en considération, notamment celui de l’autorité, puis de l’insuffisance des significations relationnelles concrètes eu égard aux comportements spécifiés. Palmade s’attache ensuite à montrer l’importance des phénomènes de régulation, impliquant entre autres les phénomènes inconscients dans une visée commune d’expérience de changement. Les processus de régulation systémique sont alors décrits à l’aide notamment de la notion de « régulation focale » qui spécifie les zones d’attention du groupe, et « d’alliance de changement » qui induit un rôle d’interprétation de l’animateur. Les différents phénomènes intervenant dans la régulation sont ensuite développés comme le problème du conscient dans le groupe en tant que manifestation du système focal, ou bien l’interprétation et la perlaboration. Ces phénomènes font appel à des concepts psychanalytiques qui posent spécifiquement la question de la place de l’animateur plus ou moins neutre en fonction de la nature des groupes et de leurs finalités. Ces phénomènes sont aussi insérés dans un « système groupe » révélé par le jeu des interactions entre T. Group et séance plénière. En conclusion de cette première partie, Palmade affirme que la mobilisation des conceptions psychanalytiques permet d’aborder la régulation tant du point de vue de la régulation focale, que de la systémique du groupe.

21La seconde partie traite d’un point de vue théorique des systèmes inconscients et des transferts dans les groupes d’évolution. Elle se donne pour objectif d’élaborer une systémique du groupe d’évolution qui tienne compte de la personnologie psychanalytique, tout en respectant les phénomènes mis en évidence par la psychanalyse et ceux mis en évidence par la dynamique des groupes. Sept développements étayent le propos. Le premier est celui des propriétés systémiques de la psychanalyse. Palmade examine ainsi des notions telles que l’hétéronomie intrasystémique, le sens, la portée et la relativité accordée aux distinctions internes et externes, la nature des « objets » étudiés par la psychanalyse en particulier la distinction entre l’objectal et l’objectif, les significations accordées aux notions d’identité et d’identification. Il critique et complète ainsi les perspectives de Freud quant aux phénomènes de groupe. Le deuxième développement est celui de la focale et de son identification. Il traite alors d’une prise de conscience par un groupe de ce qui se passe dans un groupe. Il montre comment par son activité même la focale peut être créatrice d’inconscient. Le troisième développement explicite deux phénomènes contraires : celui de l’établissement d’une focale qui correspond à la convergence des champs perceptifs et celui d’une tendance à l’affaiblissement de la focale provenant principalement de la non-compatibilité relative entre la conduite focalisante et l’orientation du groupe, de la « neutralité » de l’animateur et de son activité interprétante. La faiblesse de la focale entraîne une plus grande sensibilité aux influences des instances inconscientes des participants, la focale s’exprimant alors de façon défensive. Le quatrième développement est celui explicitant les mécanismes de défense individuels et leur interaction en tant qu’ils constituent des sous-systèmes inconscients du moi de chaque participant. Le cinquième développement est celui des objets actants communs. Palmade définit l’objet actant comme lieu d’articulation des conduites. Il constate que l’affaiblissement du système du moi de chaque participant entraîne un accroissement de sa dépendance vis-à-vis des autres instances. Pour lui, c’est en suivant le destin des systèmes et des objets internes de chaque participant et de leurs rapports qu’il est possible de montrer comment se constituent les systèmes inconscients du groupe. Le sixième développement à suivre est logiquement celui de la fantasmatique du groupe, ce que l’auteur appelle les « ça ». C’est en effet les demandes indépendantes des « ça » qui sont à l’origine des mouvements analysés. Le septième développement est celui du transfert et des systèmes inconscients. Pour Palmade, la notion de transfert dans un groupe implique d’abord un déplacement d’un système de relation avec un (ancien) objet externe sur un nouvel objet (externe), le déplacement pouvant être le résultat de déplacements entre les systèmes internes du sujet qui transfère. Il montre ensuite les différences entre transfert dans la cure analytique et transfert dans le groupe.

22La conclusion tire les conséquences et perspectives notamment sur le rôle du travail instituant, le passage d’une systémique à une topique, et le rôle ambigu de l’animateur dans un groupe d’évolution. La conclusion montre encore que le groupe d’évolution se constitue par des systèmes – eux-mêmes produits de combinaisons complexes – qui le conduisent. Finalement, pour Palmade, la perspective élaborée et les phénomènes analysés ne sont ni une projection de l’appareil psychique, ni même la simple reproduction de la famille, et ne sauraient expliquer le fonctionnement des groupes naturels.

23Denis Cristol [4]

Delory-Momberger Christine (2009), La condition biographique. Essais sur le récit de soi dans la modernité avancée. Paris : Éditions Téraèdre coll. Autobiographie et éducation

24Delory-Momberger a introduit la notion de recherche biographique dans le domaine des histoires de vie pour donner une place à des travaux qui puissent élargir les enjeux théoriques des pratiques de récit de vie principalement en usage dans le champ de la formation d’adulte. Son dernier livre porte sur « la condition biographique » et explore la portée du « récit de soi » dans ce qu’elle nomme « la modernité avancée ». Les différents chapitres sont riches d’analyses, appuyées sur différents apports théoriques récents, principalement sociologiques et présentés dans une écriture d’une très grande clarté. Ils se complètent en une fresque stimulante qui propose aux lecteurs une problématique biographique délibérément inscrite dans une pluralité d’enjeux sociaux propres à notre époque. Le défi de construction biographique, entendu dans son ampleur anthropologique, prend forme dans un univers de référence sociohistorique. Le récit de soi devient ainsi une manière de raconter comment le sujet, acculé à une prise en charge personnelle de son existence, fait face aux contraintes économiques et sociales imposées à sa vie adulte.

25Face à la perte d’emprise structurante des institutions socialisatrices, l’individu est en effet ballotté comme « objet du marché » et confronté aux impératifs souvent impossibles à satisfaire d’une « autoréalisation individuelle ». La « condition biographique » en est la résultante. Elle ne situe plus la fonction narrative des démarches d’histoire de vie dans l’émergence d’une expression authentique de soi, mais dans un processus biographique de « sociétisation ». Le récit de soi accède aux dimensions anthropologiques de l’expérience humaine. Le travail biographique d’interprétation participe de l’élaboration de la réalité sociale à travers des récits de vie rapportant les combats quotidiens menés par chacun pour déjouer la puissance de standardisation des directives pesant sur son parcours. L’activité biographique s’inscrit dans un processus de réappropriation de son existence qui offre des leviers de résistance à la conformité aux codifications professionnelles et sociales. Il importe toutefois de reconnaître à quel point les pratiques de récit dévoilent les inégalités d’aptitude à l’expression de soi, comme l’indiquent notamment les efforts « contractualisés » destinés à l’insertion des demandeurs d’emploi.

26« Renvoyé à ses propres ressources subjectives », le sujet entre par la voie réflexive du récit dans ce que Christine Delory-Momberger nomme une « performativité biogra-phique ». Il assemble les facettes des phases de transition parcourues dans le temps et l’espace de la vie. Il donne sens à ce que Ricœur a appelé, en reprenant la formule de Dilthey, « la synthèse de l’hétérogène ». Il entre dans « la dimensions socio-individuelle de l’activité biographique », plus nettement apparente dans la dynamique identitaire de genre. À nouveau, l’auteure met en évidence les problèmes propres à la situation des populations précaires. Au sein de l’action sociale des politiques publiques, l’in-tention d’employabilité tend à valider des procédures de contrôle de « scénarios biographiques préétablis », nommés « patrons biographiques » qui, cohabitant avec la visée de « management de soi », font porter à l’individu la charge de sa réinsertion. Les démarches que les travailleurs sociaux sont tenus de proposer entrent donc en contradiction avec un mouvement de personnalisation réclamant une réflexivité qui respecte le dire et le faire des populations nécessitant un accompagnement. Le processus de construction de soi implique ici que les individus et les groupes accèdent à une position d’acteur.

27Nourrie par une littérature d’origine germanique qu’elle maîtrise parfaitement, Christine Delory-Momberger défend au terme de son ouvrage l’idée que nous ne sommes pas tellement à la fin des « grands récits », comme les lecteurs de Lyotard ont l’habitude de le penser, mais à une époque de métamorphose de ces « grands récits ». Le sujet est en effet confronté à divers métarécits qui interviennent comme matrices biographiques. Les représentations entretenues de la mondialisation font croire à « un nouvel ordre sociétal » que les localismes engendrés par le désarroi identitaire viennent par ailleurs contredire. Le « grand récit de l’existence individuelle », tel qu’il est revendiqué, réclame que chaque construction biographique individuelle développe une part socio-historique lui permettant de « faire monde ». Telle est devenue la condition biographique « dans la modernité avancée ».

28Pierre Dominicé

Notes

  • [1]
    A. Giddens (1987), La constitution de la société, Paris : Puf coll. Quadrige, p. 75.
  • [2]
    Ibid., p. 76.
  • [3]
    Université Paris Est Créteil
  • [4]
    Responsable formation continue Advancia Négocia
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