Savoirs 2009/3 n° 21

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Article de revue

La formation individualisée : un compromis permanent

Pages 47 à 51

English version

1Le travail de Cédric Frétigné et Anne-Françoise Trollat, qui vise à faire une synthèse provisoire des travaux de recherche et des pratiques liés à la formation individualisée, montre de façon évidente la polysémie du concept et la diversité des mises en œuvre, réelles ou supposées. On y trouve en effet un large spectre de perceptions : de l’individualisation omniprésente, même si c’est de façon « sauvage » (cf. le syndrome de Monsieur Jourdain), à l’impossibilité de l’individualisation qui ne serait qu’une vue de l’esprit, un concept que sa complexité et ses exigences relégueraient au rayon des utopies pédagogiques. Ma position d’incitateur, d’animateur et d’observateur au sein d’un réseau de Gréta me conduit à trouver à la fois de nombreux échos dans les recherches évoquées et à considérer les pratiques observées comme des compromis nécessairement imparfaits entre le souhaitable et le réalisable.

2Compte tenu de ce constat, la formation individualisée ne doit pas être abordée de façon dogmatique mais au contraire dans une dynamique d’action qui conduit de fait à un large polymorphisme des pratiques, en lien avec les ressources et les contraintes des systèmes et des personnes. Cependant, dans cette démarche continue de recherche-action au sein d’une organisation apprenante, il existe sans doute des points de passage obligés, « un noyau dur » permettant d’orienter, de référer les pratiques et d’identifier des axes de progrès. C’est ce qu’ont tenté de définir certains auteurs, ou encore la norme Afnor et, plus récemment le collectif de la conférence de consensus de Gilly-les-Cîteaux.

3Pour autant, il me semble utile de clarifier préalablement à mes réactions certains concepts flous dont l’usage se répand dans le discours tant des organismes de formation que des grands clients publics ou privés et dont le contenu peut se révéler vide ou singulier. Deux points me paraissent particulièrement devoir être précisés : l’objet de l’individualisation et les composantes d’une formation.

4L’individualisation peut en effet concerner le « produit de formation » conçu sur mesure pour le client financeur et qui ne préjuge en rien d’une adaptation au bénéficiaire. De même, la notion de parcours individualisé, tenant compte des acquis et des objectifs de chaque usager, n’implique pas une prise en compte de ses caractéristiques cognitives. Elle peut même se réduire à une gestion économique des cursus dans une logique programmatique ignorant la singularité du sujet. C’est l’individualisation des apprentissages qui caractérise la formation individualisée, à travers les différenciations pédagogiques mises en œuvre.

5Je souhaiterais également distinguer dans le terme générique de formation ce qui relève de la formation « proprement dite », de l’information, l’entraînement, la mémorisation de connaissances, l’auto-évaluation, etc. Toutes ces phases sont des composantes indispensables de la formation à des degrés divers en fonction de l’objet d’apprentissage. Pour autant, elles n’en constituent pas le cœur qui vise à une transformation des représentations de l’apprenant par la confrontation à d’autres et la construction d’un nouvel état cohérent d’équilibre dans son système de représentation de lui-même et du monde. Cette acception, qui peut paraître ambitieuse, me semble pourtant à l’œuvre, y compris dans des apprentissages élémentaires ou professionnels. C’est donc dans cet esprit que j’aborde la notion de formation individualisée.

6Ces préalables étant établis, je me suis efforcé de caractériser les différents niveaux de compromis auxquels sont confrontés les acteurs de la formation individualisée, en résonance avec les assertions de l’article de référence.

71. Un compromis entre les caractéristiques de l’apprenant et celles du système de formation

8En effet, une formation se déroule toujours dans un réseau de contraintes (financières, logistiques, pédagogiques, personnelles, etc.). Ainsi, à la conception idyllique d’une formation co-construite entre l’apprenant et l’équipe de formation se substitue un compromis négocié qui tient compte des caractéristiques de l’apprenant mais aussi des demandes de son financeur. Le « système client » est souvent pluripartite (financeur, prescripteur, bénéficiaire) et l’apprenant est rarement le négociateur de sa formation. Cette situation, qui n’est pas spécifique aux politiques publiques, est une cause majeure de la faible implication des bénéficiaires dans leur formation. Elle rencontre les contraintes du formateur, lui-même inclus dans un système global de production du service qui, en fonction de son organisation et de ses marges financières, autorise plus ou moins de souplesse. Ainsi, le contrat de formation est fréquemment plus prescriptif que véritablement négocié. C’est le plus souvent en cours de formation que s’effectueront les régulations nécessaires, formelles ou informelles.

92. Un compromis entre phases de travail collectif et individuel

10Le fait que la formation individualisée ait été souvent assimilée à l’auto-formation a conduit à confondre travail solitaire et individualisation. Ainsi, des apprenants travaillant seuls sur des ressources génériques correspondant à un contenu sont fréquemment considérés comme bénéficiant d’une pédagogie personnalisée alors qu’ils sont dans la situation la plus impersonnelle qui soit : l’enseignement programmé. Si certaines phases de la formation peuvent ou doivent s’effectuer seul (prise d’information, entraînement, etc.), la formation « proprement dite » nécessite du débat sociocognitif et donc du collectif temporaire, en petits groupes, pour construire des compétences dans l’approche plurielle d’un problème. Ce travail en groupe de besoin, s’il éloigne un peu de la singularité de chacun permet en revanche la nécessaire confrontation et il appartient au formateur de gérer en temps réel le difficile équilibre entre phases collectives et individuelles. Pour autant, la dimension sociale des apprentissages ne saurait être niée dans le cadre de la formation individualisée. Il n’y a pas de lien de causalité directe entre nombre d’apprenants et différenciation pédagogique.

113. Un compromis entre les idéaux pédagogiques et les contraintes économiques.

12On retrouve ici le nécessaire compromis entre l’« individualisation de type institutionnel » et l’« individualisation à visée autonomisante ». En effet, les organismes de formation sont souvent entrés dans l’autoformation à temps partiel pour des raisons d’équilibre financier en considérant que c’était un « acte pédagogique » hors présence du formateur et donc sans coût. De même, la différenciation des parcours a répondu à la demande des financeurs souhaitant réduire leurs charges et donc à une contrainte du marché, sans attente pédagogique particulière. Dans le même temps, des formateurs se sont interrogés sur la capacité des apprenants à devenir davantage acteurs de leur formation en la négociant dans ses différents aspects (contenus, organisation, stratégies, etc.), en disposant d’un système de ressources, en conduisant des points de régulation… la question récurrente étant souvent celle de l’autonomie de l’apprenant. La visée autonomisante d’une formation individualisée ne peut pas préjuger de l’autonomie du bénéficiaire. Ainsi, c’est sans doute par des degrés de guidance différenciés et des stratégies pédagogiques diversifiées que la formation pourrait être autonomisante. La recherche, la conception, la production des ressources nécessaires, les concertations et les organisations qu’implique cette démarche, conduisent à un surcoût des formations, contraire à l’objectif de maîtrise financière visé. De plus, l’absence de visibilité à moyen terme sur la pérennité des actions de formation rend périlleux l’investissement dans des dispositifs coûteux.

134. Un compromis entre les exigences de la démarche et la professionnalité des acteurs.

14La démarche de formation individualisée se révèle très exigeante quant aux pratiques des formateurs et des coordonnateurs de dispositifs. Contrairement à la crainte souvent évoquée d’appauvrissement de la fonction du formateur, réduite à la mise à disposition de documents à un public en autoformation, le métier se diversifie et s’enrichit. D’un apprenant objet de sa formation dans un mode plus ou moins transmissif, on évolue vers un apprenant acteur de sa formation dans un mode constructiviste. Ce changement interroge en profondeur l’identité professionnelle de l’enseignant : négociation en amont, travail en équipe, démarche compétences, différenciation, médiation, évaluation formative, régulation, etc. Ces pratiques, distinctes de la maîtrise des savoirs académiques et de la didactique disciplinaire, sont plus ou moins répandues parmi les formateurs qui ne bénéficient pas par ailleurs d’une formation continue conséquente. Il en est de même pour les coordonnateurs ou les gestionnaires de dispositifs. Ainsi, un des facteurs limitant de la formation individualisée est le professionnalisme des acteurs à qui on demande beaucoup sans toujours leur donner les moyens du développement de leurs compétences.
5. Un compromis entre des objectifs de formation et des objectifs d’insertion
En formation des adultes, la situation du marché de l’emploi a largement influencé les volumes, les publics et les objectifs réels de la formation. D’une logique de formation permanente (loi de 1971), on est passé à une logique de traitement du chômage et d’adaptation au poste de travail. Les dimensions « promotion sociale » et « développement personnel » sont à présent margi-nales. Dans la mesure où la formation est devenue un substitut à l’emploi, il n’est pas étonnant que l’indicateur d’évaluation dominant soit le taux d’insertion. Ce contexte a développé l’accompagnement individuel vers l’emploi qui est parfois assimilé à une formation individualisée alors qu’il se situe le plus souvent dans une logique d’assistance en vue d’une efficacité immédiate et pas même de développement de l’autonomie dans le cadre d’une recherche d’emploi. La formation est alors un objectif secondaire et, malgré un affichage humaniste, les démarches pédagogiques et les résultats en termes d’acquisition de compétences ne mobilisent pas l’attention des financeurs qui achètent souvent un prix plutôt qu’un service, un placement plutôt qu’une formation. Les formateurs s’efforcent de concilier des objectifs qui, pour une part, ne dépendent pas d’eux tout en intégrant avec réalisme que c’est la satisfaction du financeur qui garantit leur emploi.
À l’issue de cette analyse des tensions qui parcourent pour partie la formation des adultes en général et la formation individualisée en particulier, on comprend mieux à la fois la déception des chercheurs qui se sont intéressés aux dispositifs qui se réfèrent à la formation individualisée et le terme de « boîte noire » utilisé en conclusion pour les caractériser. De fait, chaque système est le résultat provisoire d’une construction contextualisée qui conjugue les compromis. Ce qui semble important pour une évolution positive est que ces compromis résultent d’un choix collectif explicite, que des axes de progrès soient identifiés en direction de l’interne et de l’externe, et que des évaluations du dispositif en permettent la régulation afin de progresser dans une démarche toujours inachevée.

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