Notes
-
[1]
P. Bessac, « Pour un front des gauches », Marianne, septembre 2007. Voir : http://bessac. typepad.fr/mon_weblog/2008/04/pour-un-front-d. html
-
[2]
En mars 2011, Belaïd Bedreddine, candidat du Parti communiste arrivé en deuxième position au premier tour derrière la candidate d’Europe Écologie Les Verts mais devant le candidat socialiste sortant a refusé de se désister et a été élu au deuxième tour.
1 Savoir/agir : Comment voyez-vous avec le recul les événements et évolutions qui ont conduit à la constitution du Front de gauche
2 Patrice Bessac : Pour moi, c’est d’abord l’histoire d’un échec, celui des collectifs antilibéraux qui se sont réunis après la victoire du Non au référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005. Le résultat a été calamiteux, aussi bien en termes politiques qu’en termes électoraux au moment de la présidentielle de 2007. Pourtant, une grande espérance s’était levée au moment de la bataille du référendum en 2005. Ce fut donc un échec d’autant plus douloureusement ressenti qu’il venait après une grande victoire. Les forces de transformation sociale et notamment les communistes se sont réveillés dans un état de consternation après la déroute électorale, ce qui a provoqué une crise interne, au Parti communiste en tout cas. Il a fallu une fois de plus remonter la pente.
3 À vrai dire, il s’agissait d’une crise identitaire profonde pour le parti car il y avait un fossé entre la dynamique au cours de la campagne et le score à la présidentielle. Mais au-delà de l’aspect électoral, c’était aussi un échec de la tentative de rassembler dans le pays les forces qui s’étaient pourtant montrées disponibles pour une gauche différente, une gauche plus radicale, une gauche antilibérale, peu importe le nom après tout.
4 Dans ce contexte, le Front de gauche a traduit pour nous le moment de la maturité, le moment où nous avons fait un choix clair aussi bien pour le parti lui-même que pour concrétiser notre volonté d’inscrire notre action dans une politique de fronts. Et ceci avec l’idée que l’enjeu de la période était de rassembler, de coaliser d’abord les forces politiques qui se montreraient disponibles. Mais aussi de commencer à agréger les forces populaires dont nous avions pu constater qu’elles étaient prêtes à se mobiliser au cours de la courte période qui venait de s’écouler.
5 Le processus a démarré avec trois organisations – le Parti communiste, le Parti de gauche, la Gauche unitaire dont les militants venaient de quitter la Ligue communiste révolutionnaire.
6 Savoir/agir : Pourquoi dites-vous qu’il s’agit d’un moment de maturité pour les communistes ?
7 Patrice Bessac : Parce que nous avions pris conscience du fait qu’il n’était plus possible de faire entrer la réalité dans une case idéologique que nous aurions prédéterminée. Avec le Front de gauche, et en accord avec nos partenaires, nous cherchons au contraire à avancer à travers des expériences, des retours sur ces expériences, en passant du temps avec nos partenaires et notamment le Parti de gauche pour résoudre les problèmes, y compris lorsque des difficultés sérieuses apparaissent, ce qui arrive parfois, bien entendu. Et nous essayons de faire tout cela en poussant le mouvement à la base. Mais, contrairement à la période précédente, marquée de mon point de vue par la façon dont nous avons conduit les collectifs antilibéraux, nous ne cherchons pas à imposer à tout prix un mode de fonctionnement.
8 Savoir/agir : Concrètement, le Parti communiste s’est-il incliné devant un principe de réalité en renonçant à décider d’abord, convaincu que les autres suivront ?
9 Patrice Bessac : Il est vrai que la question de la candidature en 2007 ou, dit autrement, la place du Parti communiste dans la campagne, ont été l’objet d’un combat politique interne, y compris avec des militants qui venaient de quitter le parti quelques mois auparavant. Pour moi, la construction du Front de gauche a été marquée par un pragmatisme de « bon aloi ». C’est vrai pour nous mais aussi pour nos partenaires. L’idée d’un grand soir institutionnel, sous l’effet de l’action d’un parti ou d’un mouvement uniques, a peu à peu quitté l’imaginaire des uns et des autres. Ce qui a permis d’approfondir la construction politique réelle. Nous n’avons pas théorisé les choses sous la forme : tout pour le parti en haut versus tout pour le mouvement en bas, ou tout pour les assemblées citoyennes, etc. Il n’y a eu à aucun moment de théorisation excessive qui aurait eu pour effet de figer la bataille politique.
10 Savoir/agir : Il s’agit là d’un choix explicite, a priori, ou d’une analyse a posteriori ?
11 Patrice Bessac : Le choix explicite a été celui de la construction « raisonnable » de l’outil politique. Si les acteurs principaux, le Parti de gauche et le Parti communiste, n’avaient pas adopté la démarche de raison qui consiste à traiter les problèmes lorsqu’ils se présentent, nous aurions probablement connu beaucoup plus de moments de crispation qu’il y en a eu en réalité. C’est en quelque sorte le résultat d’une méthode prudente choisie par les acteurs au regard de ce qu’a été l’expérience précédente et singulièrement celle de 2007.
12 Savoir/agir : Est-ce que cela a donné lieu à ce qu’on pourrait appeler un débat entre « anciens » et « modernes » au sein du Parti communiste ?
13 Patrice Bessac : Je ne crois pas que ce soit une bonne façon de poser la question. Personnellement, tout en étant plutôt de la jeune génération, j’ai pris très fermement position quand la question de la disparition du Parti communiste a été posée. Avec évidemment un complément : le maintien mais à condition d’adopter une politique de « fronts ». Pour moi, la réponse était claire : il fallait impérativement les deux, maintenir le parti et adopter une politique ouverte de fronts. Ce débat a été vif en 2007, après l’élection présidentielle, au moment où, au plan interne, le débat sur l’avenir a été ouvert. Personnellement, je me suis exprimé à l’époque, notamment dans un texte publié par Marianne et que j’ai repris sur mon blog [1].
14 Le congrès du Parti communiste qui vient de se terminer montre bien que dans le parti, à partir du moment où a été portée à la connaissance de tous que nous voulions pousser la politique de front le plus loin possible mais que cette politique de fronts ne s’oppose pas au développement du parti, bien au contraire, tout le monde a été en quelque sorte libéré. Au congrès, l’unité a été large pour poursuivre et développer le Front de gauche, en même temps que le parti lui-même. Celui-ci tient donc à son autonomie tout en étant une partie prenante active dans le Front de gauche. Le résultat politique du congrès, comme on peut le constater par exemple à travers le vote du texte final, montre qu’à partir du moment où l’hypothèque d’une éventuelle disparition du parti a été considérée comme exclue, les forces disponibles pour l’action au sein du Front de gauche étaient libérées.
15 S/A : Le Front de gauche résulte certes d’un accord entre organisations mais un effort est fait aussi pour associer des personnes non organisées dans l’une ou l’autre de ses composantes. Le Conseil national devrait par exemple être constitué selon une double parité : hommes/femmes, membres de l’une ou l’autre des composantes/sans appartenance. Comment voyez-vous cela ?
16 Patrice Bessac : Personnellement je vois les évolutions à l’avenir de la façon suivante. Aujourd’hui beaucoup de personnes sont d’accord avec ce que nous disons mais pensent en même temps que cela ne peut pas constituer la politique de la France ou celle de l’Union européenne. Le problème essentiel n’est donc pas d’apparaître sautillants, rouges et plus à gauche que la Reine d’Angleterre. Mais de répondre à la question : sommes-nous capables de gouverner le pays ou de participer à la gestion de l’Union européenne ? Pour moi, clairement, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous devons faire un effort pour faire en sorte que les personnes qui nous ont soutenus au moment de l’élection présidentielle, qu’elles soient simples citoyens ou engagées dans des sphères proches de la nôtre comme le syndicalisme, des universitaires ou des cadres de l’administration ou du privé voient en nous à la fois une force d’avenir et une force avec laquelle ils peuvent travailler.
17 On peut se raconter des histoires, rassembler la « petite gauche » qui se réunit depuis les années 1960, soutenir des mots d’ordre radicaux avant de rentrer chez soi sans avoir réellement fait évoluer quoi que ce soit. Mais cela ne débouche sur rien.
18 Au cours des mois et des années qui sont devant nous, nous devons donc renouveler notre capacité de dialoguer et de travailler avec la société française. Et dans la société française, de façon privilégiée, avec les forces susceptibles de nous aider à passer du statut d’élève sympathique mais destiné à rester au milieu de la classe à celui de personnes qu’on peut soutenir pour qu’elles puissent gouverner.
19 Ce travail n’a pas été fait avec le sérieux nécessaire pour l’instant. J’ai toujours en tête des coups de téléphones passés à des secrétaires fédéraux du Parti communiste à l’occasion des meetings de la campagne présidentielle. Ma question était : quelle est votre dispositif pour prendre les coordonnées des centaines, peut-être des milieux de personnes que vous allez rencontrer à votre meeting ? Trois fois sur quatre, on me répondait : rien n’est prévu. Le Parti de gauche a fait la même expérience : des milliers de personnes sont venues et nous avons été incapables de leur proposer un moyen d’action. Cela a été fait en quelques endroits, par exemple dans le Nord. Trois à quatre mille adresses électroniques et numéros de téléphone ont ainsi pu être rassemblés. Mais le lendemain et les jours suivants, le problème demeure : que leur proposer ?
20 Savoir/agir : Il y a donc bien des formes d’invention de nouvelles types de rassemblement qui vont au-delà du « Votez pour » et constituent des tentatives de faire participer davantage aux élaborations ?
21 Patrice Bessac : Il y a effectivement une forme d’invention, même si elle est encore très incomplète. Elle est dans les intentions et il reste à la réaliser concrètement. Je suis pour ma part persuadé, c’est mon côté deuxième gauche, que l’état de la révolution technologique et l’élévation du niveau d’éducation rendent possibles la participation d’un grand nombre et le partage des élaborations politiques majeures. Malheureusement, pour l’instant, seul le marché occupe la place à travers des réseaux comme Facebook. Certes, il y a des exceptions, comme Wikipedia ou certains réseaux scientifiques. Mais pour le plus grand nombre, le marché est le seul animateur du débat politique. La grande question posée aux formations politiques et au rassemblement que nous voulons construire est donc : saurons-nous faire le saut pour créer un espace qui résonnera en politique avec les possibilités que donnent les nouvelles technologie ? Nous avons beaucoup dit et répété à propos de la campagne d’Obama qu’elle avait été une campagne technologique. C’est vrai mais on oublie parfois de dire qu’elle l’a été dans un but précis : redonner une très grande place au militantisme local. En un sens, ils ont réinventé le militantisme communiste dans son aspect le plus traditionnel : cellules locales, cellules d’université, d’entreprise, porte à porte, etc. Avec des outils de notre époque comme des plateformes de rappel téléphonique sur une base de voisinage, etc.
22 Ceci pour le volet du « faire », de l’action politique. Mais la problématique est la même pour la question de l’élaboration.
23 Savoir/agir : Est-ce que le Parti communiste intègre ces nouveaux supports de l’action politique dans sa politique de formation des militants ?
24 Patrice Bessac : Notre problème, c’est que personne n’est réellement à ce stade. Des expériences existent, le Front des luttes et les fronts thématiques sont en quelque sorte des préfigurations. Mais il n’y a pas, à ma connaissance, d’exemple de réseau de travail réunissant plusieurs milliers de personnes. Pour le moment, à l’échelle du Front de gauche mais aussi de ses différentes composantes, nos visions du développement des activités restent singulièrement centralisées dans leur conception et dans leur impulsion. Pour les communistes, cela fait partie des enjeux pour l’immédiat après-congrès : comment faire pour que les 136 000 militants du parti disposent d’outils simples pour communiquer entre eux, partager, de manière, comme diraient les patrons, de « faire des gains de productivité » ? Comment les faire travailler à la mise en écriture nationale de notre politique, en allant bien sûr au-delà des pétitions de principe de manière simple ? Je prends l’exemple du débat sur la semaine de quatre jours dans les écoles et le mouvement dans l’Éducation nationale. Nous sommes aujourd’hui incapables de réagir à telle ou telle déclaration du ministre et de nous adresser du jour au lendemain à tous les enseignants communistes ou du Front de gauche pour que notre position soit connue dans les salles de classe.
25 Savoir/agir : Incapables faute d’un support de diffusion adéquat ou faute de réponse sur le fond ?
26 Patrice Bessac : Je pense que nous avons des éléments de réponse sur le fond. Mais comme nous l’écrivons de façon encore trop peu travaillée dans le texte du congrès, il faudrait créer des « coopératives », sachant que le problème est de développer ce type d’activité. Il faudra pour cela se dégager un peu des formules rituelles du type assemblées citoyennes ou collectifs de quartier pour innover un peu notre structuration locale ou nationale.
27 Savoir/agir : N’est-ce pas une forme de révolution culturelle dans les méthodes de travail du Parti communiste ou du Front de gauche ? Les universités d’été ne sont-elles pas des formes un peu traditionnelles par rapport à ce que vous proposez ? Comment diffuser ces conceptions nouvelles dans l’organisation ?
28 Patrice Bessac : Il est exact que les universités d’été gardent une forme assez traditionnelle. Mais il est vrai aussi que l’invention de l’imprimerie n’a pas fait disparaître l’écriture manuscrite. Pour nous, l’université d’été a été l’occasion de retrouver un lieu intellectuellement vivant. Ce qui a constitué une vraie révolution, il y a quatre ans, sous l’impulsion de Marie-Pierre Vieu. Une expérience antérieure avait eu lieu quand Robert Hue dirigeait le parti. Mais il s’agissait surtout de « paillettes » pour accompagner le discours du secrétaire national. Nous voulons en faire un véritable lieu d’éducation populaire, même si par la force des choses la forme ne change pas beaucoup. Il s’agit surtout d’exposés d’une demi-heure, trois-quarts d’heure, suivis d’un débat avec les participants répartis en ateliers. Cela a permis aux militants de se réapproprier un espace de pensée et de débat.
29 S’agissant du lien entre le « haut » et le « bas », il peut y avoir un problème si on veut mettre en réseau, à l’échelle du pays, des centaines de milliers de personnes pour leur permettre de partager, d’échanger, de participer, de construire des actions communes. Cela ne dépend pas seulement de la bonne volonté des militants du Front de gauche dans telle ou telle ville de France. Il faut mettre à disposition des outils militants qui permettent le partage et la mise en commun. Quelques exemples. Faut-il reconstruire ou pas des organisations de base ? C’est-à-dire des lieux ancrés sur un territoire, où on fait du porte à porte et de l’action locale. Personnellement je crois que oui. Il faut en effet disputer le terrain de la solidarité. Dans un certain nombre de quartiers, la politique ne peut être réhabilitée que par des personnes perçues comme des pares inter pares apparaissant comme parties prenantes de la vie du quartier et pas comme des politiciens professionnels. Dans bien des endroits, je le vois à travers les actions de formation auxquelles je participe, des choses simples comme faire du porte à porte, prendre les coordonnées des sympathisants, prendre des initiatives dans un café, qui sont évidentes pour des militants aguerris, ne le sont plus du tout pour les jeunes. Il y a besoin que se développe une énergie nationale pour diffuser les savoir-faire. Le rôle de transmission s’est un peu perdu avec le déclin du parti. Il est donc nécessaire de le reprendre mais sur des bases un peu différentes. Par exemple, quand on fait quelque chose quelque part, il est utile de savoir qu’ailleurs aussi il se passe des choses, qu’on n’est donc pas isolé mais qu’on participe à un effort commun.
30 Deuxième exemple : dans tout le pays, et depuis au moins quinze ans, il y a des réunions un peu partout avec la participation d’intervenants qui connaissent la question, qui l’ont étudiée, qui ont fait des recherches sur le sujet, etc. Quand c’est bien organisé, on peut vérifier – avec un thème comme l’accord sur la flexibilité par exemple – qu’on peut réunir des centaines de personnes qui ont soif d’informations politiques sur un mode qui les respecte, c’est-à-dire qui fait appel à leur intelligence. Le Front de gauche pourrait, sur cette question, se mettre en situation d’être le grand révélateur, celui qui met sur la place publique la réalité de cet accord. On pourrait démultiplier cela en filmant ce qui marche pour le faire partager plus largement. Il faudrait être en mesure de faire connaître dans le Nord telle initiative prise dans les Pyrénées orientales. Il y a besoin d’un cadre national pour organiser ce bouillonnement.
31 Savoir/agir : Dans les cas que vous citez, il y a d’une part une action syndicale qui obéit à sa propre dynamique, à ses propres règles et d’autre part un possible message politique. Dans le cas de l’école, un parti politique a sans doute autre chose à dire que la réaction immédiate et par nature défensive du syndicat. N’y a-t-il pas le risque, pour le Fronde gauche, de se comporter en super syndicat, ce qui a parfois été reproché dans le passé aux partis de gauche et notamment au Parti communiste, accusés en l’espèce d’être incapables de produire un discours politique sur une question sociale ?
32 P.B. Certes, mais on peut dire aussi que les centaines de milliers de personnes qui dans ce pays militent dans un syndicat et dont les options politiques sont plutôt de gauche, reconnaissent le Front de gauche comme leur interlocuteur naturel et comme l’espace qui leur permet de travailler à une continuité entre leur engagement syndical et leur engagement politique. Cela me semble être un point nodal pour l’avenir du rassemblement auquel nous travaillons. Certes, il faut dire autre chose que ce que disent les syndicats mais sans perdre de vue que dans un grand pays comme la France, il n’y pas possibilité de progresser politiquement si on n’exerce pas une influence sur les corps intermédiaires comme les syndicats. Ils incarnent les forces vives pays.
33 Je donne un troisième exemple : sommes-nous capables de lancer des moments d’élaboration collective avec les dizaines de milliers de militants du Front de gauche sur une dizaine de sujets clés ? Sommes-nous capables, à propos de l’Europe, de l’écologie, de faire en sorte que les fronts thématiques ne soient pas simplement le lieu où se réunissent trente ou quarante personnes clairement identifiées mais aussi le lieu où travaille à l’échelle du pays toute une profession, tout un secteur d’activité ? Par exemple, la politique industrielle, domaine où nous aurons assez rapidement à surmonter quelques contradictions pour en faire quelque chose de transformable en politique pour la nation. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous devrions gagner de la crédibilité auprès d’un certain nombre d’acteurs syndicaux qui ne savent pas trop ce que nous disons sur le sujet. La meilleure manière d’y parvenir est encore de travailler avec eux à l’élaboration de nos propositions.
34 Savoir/agir : Il peut y avoir une différence entre ce que disent celles et ceux qui sont engagés directement dans une lutte pour la survie de leur entreprise par exemple et ce qui relève d’une analyse plus distanciée. L’intervention d’une forme « d’expertise » comme elle peut par exemple exister dans les universités ou la recherche scientifique peut apporter quelque chose de ce point de vue. Comment établir les contacts utiles à cette fin ?
35 P.B. Sur la longue période la perte d’influence de la gauche de transformation et notamment des communistes dans les milieux intellectuels, les milieux dirigeants, les cadres de la nation, n’est pas contestable. On ne passe pas de 20 % à 2 % dans les élections sans que cela ait quelques conséquences dans ce domaine aussi. Ceci dit, je crois qu’un des phénomènes nouveaux de ces cinq ou six dernières années est un retour vers nous d’une partie de la jeunesse. Nous avons à nouveau des adhérents ou des sympathisants du Front de gauche qui viennent de l’École normale supérieure ou d’autres grandes écoles de ce type, y compris des écoles de commerce. Deux questions vont se poser. Le Front de gauche veut-il devenir une force gouvernementale reconnue comme telle et disposant des structures de réflexion nécessaires pour cela, comme toutes les forces qui aspirent à gérer le pays ? Pour moi, la réponse est oui. C’est notre travail présent, ce qui suppose de mettre au travail des groupes pour nous permettre de répondre à une série de questions du moment (le budget, la sécurité sociale, etc.). Le Parti communiste pour sa part veut engager ce travail, sortir des approximations pour entrer dans le vif des sujets. Une fois cette option prise, l’intendance suivra car il y a des forces disponibles. Elles nous ont parfois envoyé des messages en critiquant le peu de réalisme ou d’imagination dans nos propositions. Il faut savoir les entendre et réagir de façon constructive.
36 Savoir/agir : Un mot sur les obstacles, au-delà des tensions qui peuvent exister entre les composante du Front de gauche ?
37 P.B. Le premier obstacle est d’ordre psychologique. Est-ce que, à partir des quelques résultats positifs que nous avons obtenus, nous allons rester dans la molle satisfaction d’avoir réussi ? Il faut toujours se rappeler que « Dieu aveugle et frappe d’orgueil ceux qu’il veut perdre », à en croire la bible. Il faut mesurer précisément ce qui reste à gagner et qui est immense. C’est ce que j’ai résumé dès le départ : nous devons aspirer à être une grande force gouvernementale reconnue comme telle. Cela passe par beaucoup de travail dans toutes les sphères de la société. C’est-à-dire faire travailler beaucoup de personnes, donc réformer quelque peu notre manière habituelle de faire. Nous avons besoin d’une forme de transmutation de notre identité originelle pour passer à une nouvelle étape de la construction du Front de gauche.
38 Dans le même état d’esprit, nous devons répondre à une question : voulons-nous ou non la participation du plus grand nombre à la construction du Front de gauche ? Si nous le voulons, il nous faut trouver des solutions à l’échelle du plus grand nombre et pas à celle des petits groupes déjà mobilisés ici ou là. Dans bien des endroits, ce n’est pas le principe de la réunion hebdomadaire qui permettra d’attirer et de retenir les centaines de personnes qui pourraient l’être.
39 De ce point de vue, les assemblées citoyennes doivent aussi garder l’objectif de s’adresser à toutes celles et ceux qui ont soutenu le Front de gauche au cours de la campagne électorale. C’est eux qu’il faut mettre en mouvement. À Montreuil, aux dernières élections cantonales [2], nous avons su que nous avions gagné quand au porte à porte nous rencontrions des personnes que nous ne connaissions pas et qui avaient pris des initiatives pour soutenir la campagne du candidat du Front de gauche.
40 C’est une obsession pour moi : comment faire lorsque nous menons des campagnes, lorsque nous engageons des actions politiques, pour en faire des actions où nous ne disons pas : il y a nous et il y a les autres ? Mais que nous construisons dès le départ comme des campagnes qui agrègent, qui associent, qui mettent en mouvement beaucoup plus largement que les 11 % qui ont voté pour le Front de gauche à la présidentielle. Le grand nombre ne fonctionne pas de la même façon que les militants, nous ne devons pas l’oublier. ?
Notes
-
[1]
P. Bessac, « Pour un front des gauches », Marianne, septembre 2007. Voir : http://bessac. typepad.fr/mon_weblog/2008/04/pour-un-front-d. html
-
[2]
En mars 2011, Belaïd Bedreddine, candidat du Parti communiste arrivé en deuxième position au premier tour derrière la candidate d’Europe Écologie Les Verts mais devant le candidat socialiste sortant a refusé de se désister et a été élu au deuxième tour.