Couverture de SAVA_021

Article de revue

Coopératives et travail autonome

Pages 55 à 63

Notes

  • [1]
    Parmi les premiers titres publiés, on trouve La télévision (Pierre Bourdieu, 1996) et Les nouveaux chiens de garde (Serge Halimi, 1997).
  • [2]
    Keith Dixon, La Mule de Troie. Blair, l’Europe et le nouvel ordre américain, novembre 2003.
  • [3]
    Frédéric Lebaron, Le savant, le politique et la mondialisation, décembre 2003.
  • [4]
    Béatrice Poncin, Trajectoires indicibles. Oxalis, la pluriactivité solidaire, mai 2002.
  • [5]
    P. Bourdieu, « La délégation et le fétichisme politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 1984, n° 52-53, pp. 49-55.

1Savoir/agir : Pouvez-vous rappeler les circonstances qui vous ont conduit à créer une maison d’édition ?

2Alain Oriot : Je travaillais dans l’édition depuis une vingtaine d’années en tant qu’“éditeur délégué”, notamment pour Gallimard. J’ai pu me rendre compte de la marchandisation de l’édition : ce ne sont plus les éditeurs qui décident de la sortie d’un livre, mais les financiers. Ceux-ci exigent un retour bénéficiaire sur chaque livre. Je voulais garantir l’autonomie de l’édition et pour cela la solution était de créer une maison d’édition pour combler le trou grandissant que je percevais entre la recherche en sciences humaines et les militants.

3J’en avais parlé à Pierre Bourdieu dans les années 1990. C’était au moment où il lançait la collection Liber-Raisons d’Agir [1]. J’allais donc abandonner mais il m’a dit que non, qu’il y avait beaucoup de sujets à traiter.

4Je faisais partie de l’association du même nom, Raisons d’Agir, qui publiait des livres dans cette collection. Après le décès de Pierre Bourdieu en 2002, il y a eu séparation entre les éditions et l’association Raisons d’Agir. J’ai proposé aux membres de cette dernière de créer une maison d’édition. Nous avons travaillé à cela pendant un an, avec Frédéric Lebaron notamment. Cela a pris du temps avant la sortie des premiers livres, ceux de Keith Dixon [2] et de Frédéric Lebaron [3] fin 2003. Ces deux livres donnaient le ton de ce que nous souhaitions. Ils avaient été précédés par un livre hors-collection [4] qui traitait de la coopérative à laquelle j’appartenais. Là, l’objectif était de rendre compte d’initiatives, d’en promouvoir de nouvelles dans le mouvement. Je pense en effet qu’il faut allier les connaissances des chercheurs et celles des acteurs.

5Savoir/agir : Pourquoi ce souci de lier travaux scientifiques et expériences militantes ?

6Alain Oriot : Quand je militais dans les années 1970, j’ai pu constater avec effarement que les chercheurs en sciences sociales produisaient des analyses qui étaient totalement méconnues du milieu militant. Nous lisions des travaux avec assez peu de matériaux empiriques, avec le risque que cela se réduise à des élucubrations intellectuelles sans vérifications concrètes. C’était l’époque des grands débats idéologiques, souvent sans assise concrète. À côté de cela, il y avait aussi, bien sûr, des ouvrages qui produisaient de la connaissance. Mais j’avais tout de même l’impression de deux milieux éloignés l’un de l’autre, sans connexion entre eux. Depuis cette époque-là, j’ai eu envie de faire le lien entre ces deux milieux. Le militant, c’est quelqu’un qui travaille sur le social. S’il ne sait pas comment il fonctionne, il pourra peut-être avoir des velléités de transformations, mais il ne transformera pas grand chose. Avec Marx, nous avions l’exemple d’un auteur qui avait ancré ses réflexions dans le concret, le terrain. Il avait fait des études empiriques sur le coton, sur le capitalisme anglais, etc. pour étayer son propos. Dans les années 1970 en revanche, nous nous retrouvions avec des auteurs dont certains ne s’appuyaient sur aucune recherche pour appuyer leurs dires. Personnellement, j’étais intéressé par les sciences sociales. J’ai voulu jeter un pont entre les deux univers. En autodidacte parce que je ne suis pas un professionnel de la production de connaissances. J’ai juste commencé une licence de sociologie. Mais c’était en 1995 et je me suis engagé dans le mouvement social de cette année-là.

7Savoir/agir : Concrètement, comment ce projet de liaison entre deux mondes que vous décrivez comme s’ignorant mutuellement, s’est-il opéré ?

8Alain Oriot : Du fait de mon expérience dans les coopératives, je fonctionnais de manière un peu originale par rapport au monde de l’édition. J’ai proposé en effet de travailler avec des comités éditoriaux. Dans l’édition, les directeurs de collection proposent d’habitude des ouvrages à l’éditeur et celui-ci tranche tout seul. J’ai suggéré une forme de travail différente. N’étant pas universitaire moi-même, je me voyais mal juger du contenu des livres et travailler en tête à tête avec un universitaire qui m’amènerait ses manuscrits. Je voyais d’emblée l’inconvénient de cette méthode. Le directeur de collection favorise souvent ses propres étudiants, ou ses proches. Ce qui crée une sorte de monopole de la pensée. J’ai donc proposé à l’association Raisons d’Agir de travailler en collectif. L’idée, c’est de travailler et décider collectivement ce qui est publié. En tant qu’éditeur, je ne suis qu’une voix parmi les autres, non prépondérante. Nous avons expérimenté cela avec la collection Savoir/Agir.

9Je me vis plus comme une sorte de premier lecteur, entre les universitaires qui sont les auteurs et le lectorat. Nous avons mis en place ce système de comités de rédaction. Je ne connais pas aujourd’hui d’autres éditeurs qui fonctionnent comme cela. La procédure a ensuite été dupliquée lorsque nous avons créé d’autres collections : Champ social, Terra… Chaque comité a son propre fonctionnement. Mais le schéma général reste celui proposé initialement. Le but est de mieux charpenter les ouvrages. Un auteur a souvent du mal à définir le périmètre de son travail, non pas tant celui de la recherche mais celui de la publication. Il s’agit de réfléchir collectivement à ce qui doit être publié et d’aider l’auteur à mieux centrer son propos.

10Savoir/agir : Vous avez évoqué votre expérience dans le mouvement coopératif. Pouvez-vous expliquer le lien avec les éditions du Croquant ?

11Alain Oriot : Les éditions du Croquant sont une coopérative. Lorsque nous avons démarré, toutes les maisons d’éditions étaient en cours de rachat par des grands groupes. Le résultat est que, chez un libraire, 90 % des ouvrages sont édités par ces grands groupes, cachés derrière des éditeurs de façades. Face à cela, je me suis dit que si je créais une maison d’édition, il fallait qu’elle soit autonome. Or il n’y a que deux façons d’être autonomes. Soit créer une forme associative, c’est le cas d’Agone par exemple. Mais c’est assez peu pratique sur le plan comptable. J’ai donc choisi la deuxième formule que je connaissais bien, la coopérative. Une coopérative ne peu être ni vendue, ni rachetée, elle appartient aux associés, avec un grand principe : « une personne égale une voix ». L’autonomie de la structure éditoriale est donc garantie par la structure juridique.

12En fait, je participais réellement au mouvement coopératif, qui m’a toujours intéressé, depuis 1985. Avant cela, après avoir adhéré très jeune au parti communiste, j’avais lu Marx et étais devenu très vite un marxiste convaincu. J’étais persuadé, avant même d’entrer sur le marché du travail, de la nécessité pour le salarié d’être autonome, émancipé comme on disait à l’époque, du capital. J’avais trouvé cela dans l’association libre des travailleurs proposée par Marx. Pour lui, l’exemple des coopératives anglaises pouvait représenter le socialisme. J’étais donc attaché aux coopératives, mais sans connaître concrètement le mouvement qui les regroupait.

13Dans les années 1970, je suis devenu permanent à la Ligue communiste révolutionnaire. J’étais un des rares ouvriers, sinon le seul. Tous les autres étaient ou avaient été des étudiants. La LCR a critiqué Lip quand les ouvriers de Lip ont décidé de se regrouper en coopérative. Une discussion assez vive a eu lieu avec le secrétariat du bureau politique. Je disais : « Comment pouvez-vous juger ce qui est bien pour les ouvriers quand pas un seul d’entre vous n’a été sur une chaîne de montage ? » Cela a été une des causes de ma démission. Je ne supportais plus que l’on prétende dire aux ouvriers ce qui était bien pour eux, surtout après une lutte exemplaire comme celle des Lip.

14J’ai fait partie ensuite de plusieurs SCOP. J’ai même été administrateur de l’une d’entre elles, comprenant 28 personnes, à Grenoble. Puis membre d’Oxalis, une grosse coopérative d’entrepreneurs. Le Croquant est la cinquième coopérative dans laquelle je m’implique.

15Le mouvement coopératif est un vieux mouvement, qui existe depuis le xixe siècle. La préoccupation était de rendre les salariés autonomes et propriétaires de leur outil de travail. Mais cela ne disait rien sur la façon d’organiser le pouvoir à l’intérieur.

16Je fais partie d’une génération qui s’est posé cette question. En 1968, on se posait la question de l’autorité. L’idée était de ne pas en rester au plan théorique mais voir comment on pouvait y réfléchir concrètement. Plus tard, par exemple à Oxalis, qui est une coopérative d’activités, nous étions nombreux. Nous voulions faire en sorte que les décisions soient prises par l’ensemble des coopérateurs et pas seulement par une direction. Il y a eu invention de processus, de procédures, d’outils d’animation, pour permettre aux coopérateurs de décider des choses pragmatiques : Quelles ressources allouer au bien commun ? Quelles sont les fonctions mises en commun ? Quelles politiques de développement, etc. ? Nous avons essayé de travailler sur une autre forme d’organisation. Dans ce domaine, j’ai vu un lien étroit avec le texte de Bourdieu sur la délégation du pouvoir [5]. Personnellement, je suis passé de cette aspiration issue de 1968 et de mes lectures de Bourdieu à la question pratique : Comment organiser la démocratie directe dans une entreprise ? C’était l’originalité de notre travail à Oxalis.

17La démocratie directe existe ailleurs aussi, certes, mais souvent dans de très petites entreprises quand une bande d’amis décident ensemble. À sept ou huit, la démocratie est facile. Elle n’existe pas toujours, mais elle est possible. C’est tout autre chose quand on dépasse une centaine de personnes. C’était tout l’enjeu à Oxalis. Pour moi, il était idéologique : si nous n’arrivions pas à organiser la démocratie directe avec cent personnes, de quel droit critiquerions-nous la délégation de pouvoir dans les grands groupes ?

18Savoir/agir : Pourquoi parler d’enjeu idéologique ?

19Alain Oriot : Dans la coopérative il y a selon moi une dimension politique. Ce qui domine dans l’opinion, c’est une image vieillotte. Les coopératives seraient une affaire de vieux prolos. C’est un cliché car les coopératives, surtout au cours de la période de crise actuelle, peuvent être une alternative au capitalisme. Pourtant, elles sont peu étudiées, ce qui est révélateur. On croit que ce sont de petites entreprises. C’est faux : Mondragon, en Espagne, ce sont 85 000 salariés. En France, la plus grosse coopérative, Chèque Déjeuner, a 2 000 salariés. Le total est cependant modeste : il existe en France 2 000 scop, avec 42 000 salariés. Mais, en Italie ou en Espagne, le secteur est beaucoup plus développé. Je l’explique par le fait qu’en France, la gauche et l’extrême-gauche ont toujours été contre les coopératives. La CGT est contre aussi. Seul Jean-Luc Mélenchon en a parlé pendant la dernière campagne présidentielle, mais seulement à propos des entreprises en difficulté. Les Verts en parlent à l’occasion. L’extrême-gauche pense que c’est une illusion de croire que les salariés peuvent avoir leur propre entreprise dans le système capitaliste. Pourtant, les coopératives permettent aux salariés de gérer une entreprise alors qu’ailleurs, ils sont dépossédés de tout ce qui relève de la gestion. Il me semble intéressant que les salariés puissent expérimenter dans ce domaine car cela renvoie à l’autonomie dans le travail et à la capacité d’organiser sa propre vie dans le système de production. Outre le principe « une personne égale une voix » déjà signalé, il y a aussi le fait que les réserves ne peuvent pas être partagées. Une part des bénéfices sert à les alimenter. En ce sens, l’entreprise n’appartient pas aux coopérateurs présents mais à toutes les générations de coopérateurs. On crée un bien commun qui n’est pas la propriété du coopérateur, il est la propriété de tous les salariés qui vont passer dans la coopérative.

20Savoir/agir : Cela se passe toujours de façon aussi idyllique ?

21Alain Oriot : Non, car le statut juridique ne garantit rien. On sait un certain nombre de choses. Les salaires sont en moyenne 20 à 30 % plus élevés qu’ailleurs. Les scop sont beaucoup plus solides en moyenne que les autres entreprises, leur espérance de vie moyenne est supérieure à celle d’une entreprise ordinaire. Mais cela ne signifie évidemment pas qu’il n’y aurait rien à dire sur la façon de maintenir les équilibres économiques ou le fonctionnement interne. Certaines connaissent des luttes internes violentes.

22Plus fondamentalement, on discute assez peu dans les scop de la façon dont elles sont dirigées, de l’organisation démocratique interne. Très souvent, les décisions sont prises en assemblée générale sur proposition de l’équipe dirigeante. Le travail démocratique interne n’est pas toujours pensé, on se contente d’une délégation de pouvoir. Cette question n’est pas posée non plus dans le mouvement dans son ensemble.

23Par ailleurs, comme le mouvement a été isolé par le cordon sanitaire formé par la gauche et les syndicats, il n’y a guère de liens avec le mouvement social. Le principe est un peu « vivons cachés, vivons heureux ». En Italie ou en Amérique du Sud, c’est le contraire qui se passe. En France, le mouvement est de ce fait un peu fragile, y compris sur le plan idéologique. Du coup, le mouvement coopératif n’a pas vraiment de direction politique. Il n’y a pas de politique du mouvement, ce qui semble pourtant essentiel.

24Cela a aussi des conséquences sur les propositions faites par la gauche : tout ce qui renvoie à l’émancipation, à l’autonomie des salariés dans leur travail et dans leur vie est un peu mis entre parenthèses.

25Savoir/agir : Au-delà des principes, quelles sont les conditions concrètes d’existence des éditions du Croquant, sur le plan de la division des tâches par exemple ?

26Alain Oriot : Il est difficile de répondre car on ne peut pas cloisonner des tâches qui se répercutent les unes sur les autres. Il y a le travail classique d’un éditeur autour de la fabrication des livres, y compris leur fabrication matérielle. Pour le contenu, ce sont les comités éditoriaux qui travaillent, sauf pour les livres hors-collection que je mets au point avec les auteurs. Comme je suis maquettiste de profession, je crée et réalise les maquettes. Concrètement, étant indépendant, je facture mes prestations aux éditions du Croquant. C’est mon seul revenu aujourd’hui, je ne suis pas salarié de la coopérative. Ce qui veut dire aussi que je fais bénévolement le travail éditorial proprement dit. Je travaille avec une correctrice qui fait la relecture et incorpore les corrections. Et je reprends et finalise le montage que j’envoie chez l’imprimeur. La présentation des ouvrages au diffuseur CDE, une filiale de Gallimard, constitue une autre dimension de mon travail. Le livre est ensuite envoyé à la SODIS, une autre filiale de Gallimard qui fait le travail d’envoi aux libraires. Une deuxième phase est constituée par la commercialisation des livres : la promotion auprès des journalistes, le travail auprès du lectorat (envoi de documents à nos listes de diffusion, etc.). Un salarié travaille avec les réseaux sociaux et auprès des libraires. Quand le sujet présente un intérêt plus local, nous faisons un travail plus spécifique auprès les libraires locaux.

27Savoir/agir : Et si on devait chiffrer ? Quel horaire hebdomadaire cela représente-t-il ?

28Alain Oriot : Je dois faire un bon temps plein. Mais je monte aussi les livres de La Dispute. Ce qui fait un horaire effectivement assez conséquent. Je ne suis pas dans la situation classique du salarié avec un horaire fixe. Comme l’édition en sciences sociales va mal, c’est parfois compliqué pour le paiement des prestataires comme moi.

29Savoir/agir : Comment vivez-vous cela ?

30Alain Oriot : C’est tendu, hyper-tendu. Heureusement que ma compagne travaille elle aussi. En fait je suis assez typiquement dans la situation du travailleur précaire. L’objectif, c’est évidemment que mon travail soit rémunéré. Mais cela n’est pas pour tout de suite. Actuellement, il n’y a qu’un seul salarié qui fait son BTS en alternance. Il est donc à mi-temps au Croquant.

31Cela montre bien les difficultés matérielles pour un projet comme Le Croquant. De plus, c’est très long d’installer une maison d’édition. On m’avait qu’il faudrait dix ans, ce qui me paraissait beaucoup à l’époque. En réalité je me rends compte que cela l’est encore plus ! Le Croquant est aujourd’hui bien identifié. Le type d’ouvrages que nous publions l’est aussi et nous sommes reconnus. Nous avons gagné cette partie-là. Mais la bataille économique est très dure, surtout dans la conjoncture actuelle avec une érosion des ventes de livres. Cette érosion est claire, particulièrement dans les sciences humaines. Nous ne sommes certes pas les seuls à faire cela. D’autres sont dans un registre proche : La Dispute, Agone, La Fabrique et d’autres encore. Nous sommes tous sur le champ critique et c’est une présence indispensable.

32D’après le syndicat national de l’édition, « pour commencer une coopérative, il faut 140 000 euros de capital ». Nous avons commencé avec 19 000, ce qui était un peu de la folie. Les ressources et la capitalisation que nous n’avons pas, nous les remplaçons par du travail gratuit. Ce qui nous contraint à bricoler. Nous n’avons pas en effet de quoi faire de la publicité, d’embaucher. Nous sommes professionnellement à la hauteur, mais sans avoir assez de moyens.

33Savoir/agir : Comment s’en sortir alors ?

34Alain Oriot : En cherchant à faire entrer de nouveaux associés, et donc du capital. Nous voudrions développer une sorte d’AMAP [Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne] culturelle, où on pourrait acheter directement les livres, etc. Nous avons pu garantir l’autonomie de l’édition parce que nous sommes une coopérative. La garantie pour les contenus, ce sont les comités éditoriaux. En revanche, il nous manque le capital car l’autonomie d’une maison d’édition, c’est aussi l’autonomie financière. Les grandes maisons d’édition ouvrent le capital aux actionnaires. Elles sont dans le jeu classique du capitalisme : c’est celui qui a le plus d’actions qui décide. Au Croquant, ce sont les lecteurs, les auteurs et les éditeurs qui sont les propriétaires. Il faut donc ouvrir plus largement le capital aux lecteurs, aux auteurs et aux éditeurs.

35L’idée politique derrière le projet repose sur la conviction qu’il y a deux secteurs stratégiques dans un pays : l’édition et la presse. Parce que ce sont les deux secteurs qui nourrissent la pensée. Ces deux secteurs sont cependant les seuls où il n’y a pas de coopératives, à quelques exceptions près (la revue Regards et Alternatives Économiques qui sont en scop). Quand Libération a eu des problèmes, personne n’a proposé de transformer l’entreprise en coopérative, on a préféré faire appel à Rothschild. Quand Le Monde a eu des difficultés, ce sont des financiers extérieurs qui sont intervenus. Personne n’a proposé de développer le sociétariat, de créer une coopérative. Ces journaux n’ont donc plus qu’une autonomie très relative par rapport à la finance. Pour moi, il faudrait dans ces secteurs faire en sorte que l’autonomie économique s’appuie sur le fait que les lecteurs deviennent propriétaires des maisons d’édition et des organes de presse. Il ne faut pas oublier que le tournant néolibéral des années 80 a commencé d’abord par un travail de « persuasion » fait par la presse et par l’édition.

36Savoir/agir : Une autre caractéristique qui différencie les éditions du Croquant, c’est qu’elles sont installées en province…

37Alain Oriot : C’est vrai, on m’avait dit qu’il fallait être dans Paris pour créer une maison d’édition. Mais c’est moins vrai aujourd’hui où les fichiers transitent par Internet. En revanche, le fait d’être en province ne facilite pas les petits échanges dans le milieu. De fait, je n’y participe pas, mais à vrai dire cela ne me manque pas vraiment. Et puis, il y a d’autres maisons d’édition qui se sont imposées sans être à Paris, comme Agone. C’est plus compliqué pour les relations avec la presse. Le gros de la presse nationale ne parle presque jamais de nous. Nos ouvrages et notre revue ne sont pas chroniqués, sauf dans Le Monde diplomatique, L’Humanité et France Culture et très occasionnellement dans Le Monde. Les autres journaux parlent surtout des livres des grandes maisons d’édition. Le fait d’être en province ne facilite peut-être pas les relations avec les journalistes. Mais cela ne suffit pas pour expliquer le silence car nos publications sont maintenant bien identifiées et reconnues. Mais c’est peut-être ce qu’on publie qui dérange…

Notes

  • [1]
    Parmi les premiers titres publiés, on trouve La télévision (Pierre Bourdieu, 1996) et Les nouveaux chiens de garde (Serge Halimi, 1997).
  • [2]
    Keith Dixon, La Mule de Troie. Blair, l’Europe et le nouvel ordre américain, novembre 2003.
  • [3]
    Frédéric Lebaron, Le savant, le politique et la mondialisation, décembre 2003.
  • [4]
    Béatrice Poncin, Trajectoires indicibles. Oxalis, la pluriactivité solidaire, mai 2002.
  • [5]
    P. Bourdieu, « La délégation et le fétichisme politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 1984, n° 52-53, pp. 49-55.
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