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Article de revue

Le sport, enjeu identitaire dans l'espace politique local

Pages 39 à 47

Notes

  • [1]
    « Henri Sérandour, « Le sport doit rester apolitique », La Lettre de l’économie du sport, 831, 23 février 2007, p. 5. On remarquera au passage que le journaliste (non cité) réalisant l’entretien partage l’idéologie de son interlocuteur, puisque la question posée était : « À votre connaissance, le mouvement sportif a-t-il toujours été apolitique comme aujourd’hui ? ».
  • [2]
    J. Defrance, « La politique de l’apolitisme », Politix, 50, 2000, p. 13-27.
  • [3]
    Pour un développement complet sur cette question, cf. M. Koebel, « Les profits politiques de l’engagement associatif sportif », Regards sociologiques, 20, 2000, pp. 165-176. (Téléchargeable sur le site http://koebel.pagespersoorange.fr/ListePubli.htm).
  • [4]
    En France, on compte environ 50 clubs pour 100 communes, mais une forte disparité apparaît selon les régions (21 en Franche-Comté contre 70 en Alsace par exemple). Cela ne signifie pas pour autant qu’une commune sur deux possède un club et un terrain : si les clubs se concentrent plutôt en milieu urbain, les bourgs ruraux (500 à 2000 habitants) sont tout de même fortement représentés (F. Grosjean, « Un football des champs et un football des villes : analyse géographique du service football dans un cadre régional », STAPS 4/2006 (no 74), p. 85-98).
  • [5]
    P. Calatayud, « Le poids économique du sport en 2007 », Stat-Info, n° 09-02, septembre 2009 (p. 4).
  • [6]
    Pour de plus amples développements sur cette question, deux textes : B. Michon et M. Koebel, 2009, « Pour une définition sociale de l’espace », in P. Grandjean (dir.). Construction identitaire et espace, Paris, L’Harmattan (coll. Géographie et culture), pp. 39-59 ; M. Koebel, « De l’existence d’un champ politique local », Cahiers philosophiques, 119, 2009, pp. 9-29.
  • [7]
    Cf. A. Mandret-Degeilh, « Un événement dans l’évnement : la remise de récompenses sportives par les autorités politiques locales », communication au colloque Le sport transformé en événement. Usages politiques et profits symboliques, Strasbourg, 14 et 15 janvier 2010.
  • [8]
    Certes le nom d’une équipe ou d’un club peut révéler d’autres identités, comme dans le cas de ce que l’on a pu appeler les clubs « communautaires ». Mais ces cas sont relativement rares : en 2009 par exemple, seuls 296 clubs de football en France sur un total de plus de 18 000 font référence dans leur intitulé à un autre pays que la France (cf. V. Pereira, 2010, « Une passion portugaise », in C. Boli, Y. Gastaut, F. Grognet (dir.), Allez la France ! Football et immigration, Paris, Gallimard/CNHI/ MNS, pp. 50-53). Le cas le plus fréquent reste la référence à la commune d’implantation du club.
  • [9]
    La Polynésie française arbore la pirogue polynésienne comme symbole identitaire sur son drapeau depuis 1984 suite aux victoires inattendues en 1975 et 1976 de sportifs tahitiens à des épreuves de courses de pirogues en haute mer mettant en concurrence les équipes les plus performantes du Pacifique Sud (cf. Y. Leloup, « Symbolique de la haute mer et exacerbation identitaire. De l’invention d’une tradition à ses usages politiques », communication au colloque Le sport transformé en événement. Usages politiques et profits symboliques, Strasbourg, 14 et 15 janvier 2010.).
  • [10]
    Quelques exemples : en football, les exploits de Gueugnon ou de Guingamp (moins de 8 000 habitants) ou le parcours en Ligue 1 de l’AJ Auxerre, compte tenu de son faible budget ; en handball, la domination de Sélestat en Ligue 2 (la ville s’enorgueillit des exploits du gardien de but de l’équipe de France championne du monde, originaire du club et de son nombre record de 400 licenciés – pour une ville de 19 000 habitants).
« Le sport doit rester apolitique au sens d’indépendant à l’égard des pouvoirs politiques et économiques [1] »
Henri Sérandour, 2007, président du Comité national olympique et sportif français

1Lorsque l’on évoque les liens qui existent entre sport et politique, on se trouve confronté au discours dominant véhiculé par le monde sportif traditionnel, et qu’incarne bien cette phrase de Henri Sérandour, interrogé à propos de l’initiative du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) d’inviter en février 2007 cinq candidats à l’élection présidentielle à s’exprimer sur la politique sportive qu’ils comptaient mener s’ils étaient élus. Cette « politique de l’apolitisme » – comme l’a appelée Jacques Defrance [2] –, historiquement constituée, est encore aujourd’hui destinée à masquer les enjeux politiques du sport pour lui garantir, contre vents et marées médiatiques, ce vernis de pureté que ses promoteurs veulent lui associer. Quand on prend un peu de recul et que l’on analyse un tant soit peu les intérêts en jeu lors de rencontres internationales comme la Coupe du monde de football, les Jeux olympiques et bien d’autres événements sportifs hypermédiatisés, on comprend vite que les hommes politiques ont tout intérêt à s’investir et à investir dans le sport pour profiter des retombées symboliques et parfois économiques liées au caractère le plus souvent positif associé à la pratique sportive et à l’engouement des foules pour son spectacle. En dehors des acteurs politiques (qui ont très vite compris l’intérêt de participer à la diffusion de cette illusion), de nombreuses voix concourent à diffuser cette image positive du sport – les acteurs du monde sportif eux-mêmes, ceux des médias et de la santé – dans un message qui confond allègrement les modalités et les buts de la pratique d’activités physiques et sportives (entre compétition et loisir, rééducation, hygiène corporelle, réadaptation sociale, entraînement et affrontement) pour ne plus parler que du « sport », conçu comme une grande famille.

2Mais on oublie souvent que les liens entre ces deux mondes (sportif et politique) n’existent pas seulement au niveau national ou international : l’espace politique local est lui aussi concerné, et plus directement qu’on le pense. Certes, les enjeux politiques locaux peuvent paraître moins importants pour un observateur extérieur, mais, toutes proportions gardées, ils le sont tout autant aux yeux des acteurs qui y sont impliqués. Cet article vise ainsi à mettre en évidence ces enjeux politiques locaux du sport, et plus particulièrement les profits symboliques que les instances de pouvoir locales peuvent tirer de la mise en scène du sport et des sportifs, quand ils sont porteurs d’identités locales.

Des profits croisés entre associations sportives et pouvoir local

3Les deux espaces – politique et associatif – tirent profit l’un de l’autre pour plusieurs raisons [3]. L’accès aux positions de pouvoir de chacun des deux espaces se fait selon des modalités (une organisation fondée sur l’élection démocratique qui n’exclut pas une cooptation des candidats) et avec des effets (effet de filtrage social dans l’accession aux positions de pouvoir) semblables ; l’élaboration des projets et les prises de décision se font en dehors des circuits démocratiques (les assemblées générales – et les conseils d’administration des grandes associations – n’étant le plus souvent que des chambres d’enregistrement de la politique menée par le bureau, comme le conseil municipal ou les réunions de quartier le sont au regard du maire et de ses proches collaborateurs). Ces similitudes font qu’un parcours associatif, où l’on s’est essayé à exercer un certain pouvoir, à négocier avec des partenaires, à gérer une équipe et à faire quelques discours, à conquérir la confiance des adhérents, bref, à faire fonctionner le « système », à « manœuvrer », peut utilement préparer à exercer des fonctions politiques locales, c’est-à-dire peut constituer un tremplin politique efficace et contribuer à renforcer un capital politique de notable et les compétences nécessaires à exercer des fonctions politiques. Inversement, un élu local sait – ou apprend très vite – que les associations (notamment sportives) de sa commune sont une richesse qu’il peut/doit utiliser à son profit. Obtenir l’organigramme à jour du personnel municipal – administratif et politique – n’est pas toujours aisé, et même parfois impossible ; mais demandez la liste à jour des associations avec toutes leurs coordonnées, et vous l’obtiendrez sans délai : car elle est l’une des cartes de visite du maire, l’un des symboles de son dynamisme et de son rayonnement local. Aucune loi n’a jamais obligé les élus locaux à subventionner les associations (les lois de décentralisation sont silencieuses sur ce sujet, y compris dans le domaine du sport, pour toutes les collectivités territoriales), mais tous le font. Si l’on prend le seul exemple du football, le tarif d’une licence annuelle est approximativement de 50 € pour un club modeste, mais peut monter à 150 € ou plus selon le club. Ce tarif est considéré comme prohibitif par certaines familles quand on sait qu’il faut y ajouter un équipement individuel minimum. Mais si les clubs devaient supporter le coût de construction et d’entre tien de l’équipement (terrain, vestiaires, douches, etc.) et le prix du mètre carré de terrain (variable selon l’endroit et le caractère – constructible ou non, etc. – de la zone), sans aucune aide publique, ce n’est pas 50 € mais vingt à trente fois plus que chaque adhérent devrait débourser chaque année pour pratiquer ce sport si populaire … Quelles sont alors les raisons qui poussent de si nombreuses collectivités [4] à investir dans le sport, et en particulier dans le football (les communes françaises ont, à elles seules, en 2007, dépensé neuf milliards d’euros dans le sport, ce qui représente deux tiers de l’investissement public dans ce secteur en France [5]) ? On peut certes avancer l’idée que la collectivité joue son rôle de service public auprès des habitants et répond à la demande sociale. C’est évidemment l’argument avancé par les élus. Mais d’autres explications peuvent être avancées et nécessitent un petit détour pour replacer le sport dans le processus de construction des identités locales.

La construction d’une identité locale comme enjeu politique

4Les « querelles de clochers » ont toujours existé. Ce qui est nouveau, c’est la compétition presque généralisée entre collectivités, attisée par les crises économiques successives, par un environnement institutionnel et politique national, européen et même mondial qui, en prétendant donner plus de pouvoir et de responsabilités aux acteurs politiques locaux, les contraint à trouver les ressources nécessaires pour exister. Il s’agit ainsi d’attirer sur son territoire les entreprises et les emplois, les touristes et leur pouvoir d’achat, les citoyens solvables et leurs impôts, et ce, qu’on le veuille ou non, au détriment des communes moins bien loties – on dira « moins dynamiques » –, des départements et des régions moins attractives, des pays voisins moins bien évalués par les agences de notation financière … De nombreuses collectivités sont entrées dans cette course éperdue où la solidarité n’est plus depuis longtemps une valeur centrale. Or comment devient-on attractif ? Le réponse est très simple : il faut savoir se vendre. On ne trouvera alors pas étonnant de voir fleurir des stratégies très diverses qui tentent de mettre en valeur des caractéristiques locales, qu’elles soient culturelles – exhumées d’un passé plus ou moins lointain, ou parfois inventées pour l’occasion –, économiques – comme le fait de disposer déjà d’un potentiel d’attractivité économique du fait de caractéristiques démographiques et géographiques particulières –, ou encore symboliques – comme le prestige conféré par le fait de se trouver dans une région touristique ou une banlieue « chic ». Parmi ces stratégies, l’une d’entre elles nous paraît mériter une attention particulière, tant elle symbolise leur caractère souvent factice et leur effet « vitrine » : de plus en plus de collectivités territoriales françaises – du moins celles qui ont suffisamment de moyens financiers pour faire appel à ce type de service – ont recours à des agences de « marketing territorial » et à des agences de communication ou même de publicité qui auront pour mission de leur concocter le label, le logo, le trait qui caractériseront leur « identité [6] » et qui les distingueront des autres pour marquer des points dans cette compétition permanente.

5En ce sens, la capacité pour un maire de montrer à ses habitants et aux acteurs économiques qu’il sait donner une image attractive de la commune et d’eux – et ce faisant de lui-même – à l’extérieur devient un enjeu central de maintien de son électorat et de la conquête éventuelle de nouveaux électeurs s’il compte se présenter à des élections correspondant à des territoires plus vastes.

6Le sport joue dans cette quête un rôle non négligeable qui peut même parfois devenir central.

Le recours au sport dans le renforcement de l’identité locale

7De nombreuses municipalités misent d’abord sur les résultats sportifs de leurs habitants et de leurs équipes. La notoriété des champions qui habitent la commune ou en sont originaires rejaillit en partie sur celle-ci, à condition de savoir la mettre en scène. Il n’est pas rare de voir ainsi un maire organiser tous les ans une cérémonie de remise de récompenses aux sportifs méritants [7] : cela permet, en même temps, d’honorer les sportifs, de les fidéliser, de développer leur attachement à la commune, et d’honorer la commune elle-même en retour, tout en justifiant sa politique sportive. Il arrive de plus en plus fréquemment aussi que, lors d’événements sportifs internationaux, soient médiatisés sur le plan national les réactions de l’entourage du champion – sa famille, ses premiers entraîneurs, etc. – par un duplex au cœur même de sa ville ou de son village d’origine, histoire de rendre la victoire encore plus « authentique », enracinée dans la « France profonde », par une sorte de « pernautisation » de l’information. La commune et ses élus bénéficieront – au moins provisoirement – d’une notoriété qu’ils n’auraient jamais pu espérer par ailleurs, et qu’ils continueront à utiliser localement dans leur manière de présenter la commune en rappelant les succès de « l’enfant du pays ».

8La manière dont le sport est géré par une collectivité peut elle aussi devenir un enjeu politique, comme l’ont montré par exemple les « Etats généraux du sport » organisés par la ville de Strasbourg qui invitaient les habitants à s’exprimer et à co-construire sa politique sportive pour la durée du mandat. L’annonce de cet événement avait été faite au cours de la campagne pour les élections municipales de 2008, au moment où la section locale du Parti socialiste souhaitait reconquérir le pouvoir. Cette « démocratie participative dans le sport » – présentée comme particulièrement novatrice – était l’un des atouts de son programme, destinée, avec d’autres projets, à marquer sa différence. Mais la vie municipale ordinaire est souvent marquée par des projets concernant le sport : la construction d’une piscine ou d’une patinoire, d’un gymnase, d’un stade de football ou d’autres équipements spécialisés peuvent déchaîner les passions et les critiques, et décider au final du devenir d’un élu local … Dans l’attribution de créneaux d’utilisation des équipements, dans l’entretien ou l’amélioration de ceux-ci, dans l’octroi de subventions aux clubs sportifs, dans l’embauche d’éducateurs (de la filière sportive de la fonction publique territoriale) et leur mise à disposition éventuelle des clubs, ce sont les relations avec une partie non négligeable de la population qui sont en jeu. Aucun élu expérimenté ne se hasarde sans grande précaution sur ce terrain, d’autant qu’à la tête des clubs locaux les plus importants on trouve souvent des notables qui, en plus du fait qu’ils représentent un nombre important d’habitants et d’électeurs – parfois par le biais des nombreux enfants qui participent aux activités du club –, ont localement un certain poids politique (les chefs d’entreprise notamment). C’est ce qui explique que les alternances politiques dans une ville ne remettent guère fondamentalement en cause la politique sportive menée précédemment, et que l’on observe une certaine inertie dans ce domaine.

9Cet investissement en direction des associations sportives peut parfois apporter à la commune des distinctions honorifiques qu’elle ne manque pas de mettre en avant, à travers sa participation, par exemple, au challenge de « la ville la plus sportive de France » organisée par le quotidien L’Équipe, distinction que l’on peut conquérir par l’investissement financier de la commune dans le sport. Les organisateurs ont apparemment habilement compris qu’il était préférable de décerner ce titre chaque année à des communes différentes (depuis 1937, seules neuf communes ont obtenu deux fois le titre, et à plus de 25 ans d’intervalle en moyenne), afin de donner sa chance à tous les participants ; dans le même but, d’autres stratégies ont été développées, comme celle de créer des catégories selon la taille des communes, d’opérer des classements par région ou encore d’inventer d’autres trophées thématiques. D’autres concours ont été inventés, notamment par le mouvement sportif lui-même, pour distinguer les communes ayant le plus grand nombre de licenciés dans leurs clubs sportifs rapporté au nombre d’habitants, ce qui donne lieu à des titres encore plus nombreux, et autant d’occasions pour certaines communes d’améliorer leur image de marque. Enfin, les « fêtes du sport », qui se sont développées au cours des années 1990 et qui furent promues par le ministère de la Jeunesse et des Sports, représentent des occasions supplémentaires, pour les communes qui les organisent, de montrer le dynamisme sportif local des associations et, par la même occasion, celui des municipalités qui savent les fédérer.

L’affrontement médiatisé des identités locales par la compétition dans les sports collectifs

10Mais là où l’image de la commune est particulièrement présente et depuis longtemps, bien qu’elle n’y soit pas directement représentée en tant qu’institution, c’est à l’occasion des compétitions où se trouvent régulièrement engagées des équipes qui portent le nom de la commune. Qu’il s’agisse de football, de basket, de rugby ou d’autres sports collectifs, nombreux sont les clubs locaux qui s’engagent dans ce modèle sportif compétitif qui exige non seulement d’affronter des concurrents, mais également de les affronter sur leur terrain et de les recevoir à domicile. C’est alors l’identité de la commune et parfois son honneur qui sont mis en jeu [8] : quand une équipe en affronte une autre, c’est symboliquement toute la commune qui en affronte une autre, de la même manière que, dans la plupart des compétitions internationales, ce sont les nations qui s’engagent et qui s’affrontent. Pas étonnant dès lors que les élus s’obligent à être présents (dans les tribunes) lors d’événements sportifs importants se déroulant « sur leurs terres », et qu’ils apportent également leur soutien financier quand l’équipe phare du club se distingue et grimpe dans la hiérarchie des championnats. Certes, le cas le plus fréquent est le football, et l’argent que les collectivités y consacrent dépasse toutes les autres activités sportives, mais certaines communes ont fait d’autres choix, d’autres stratégies d’investissement fort, lorsque l’histoire d’un club (ou même d’un sportif devenu champion) a marqué durablement la localité, en incitant la population locale à s’adonner plus qu’ailleurs au sport correspondant [9], lorsque les élus sentent qu’une notoriété suffisante peut être atteinte et peut justifier un surcroît d’investissement. Il est alors possible que, grâce aux résultats sportifs d’un club, une ville puisse sortir durablement de l’anonymat dans lequel elle serait restée plongée sans cela [10].

11Mais le profit symbolique qu’une municipalité peut tirer de ses investissements passe obligatoirement par la médiatisation des résultats des clubs et des équipes de sa commune. Certes les maires utilisent de plus en plus leurs propres supports d’information pour valoriser leur image auprès de la population de leur propre territoire (bulletins et magazines municipaux, panneaux électroniques divers), mais ils doivent – et peuvent – compter sur les médias locaux pour étendre cette notoriété sportive. La presse quotidienne régionale a très vite compris qu’il était également dans son propre intérêt de diffuser l’information sportive locale – celle que ne peut couvrir L’Équipe pour des raisons évidentes de place –, parce qu’elle sait que cette dernière est attentivement lue et qu’elle fait vendre.

12Pourtant, on sait bien que ce ne sont pas toujours les mêmes qui gagnent (l’incertitude du résultat est d’ailleurs l’un des ressorts et des intérêts de la compétition sportive). Cela signifie-t-il qu’une défaite rejaillit aussi négativement sur l’image de la commune qu’une victoire ? Auquel cas, l’investissement en vaut-il vraiment la peine ?

Dans la balance des profits symboliques, la victoire pèse plus que la défaite

13Il se trouve que les victoires, non seulement enchantent les supporters, mais conquièrent aussi des franges de la population qui ne sont pas passionnées de sport : l’image ainsi valorisée de la commune où l’on habite peut être réinvestie dans diverses conversations et rejaillit par un phénomène d’appartenance identitaire. Dans ces moments-là, on est un peu plus fier d’habiter sa ville ou son village. Les défaites peuvent certes alimenter divers types de détracteurs, spécialement investis dans une opposition soit à la municipalité en place, soit au sport compétitif, mais elles ne feront pas vaciller les supporters (qui en ont vu d’autres) et n’inquiéteront pas plus que cela les autres habitants : la fierté des bons résultats ou des victoires semble toujours plus forte dans ses effets que la honte des défaites, et l’identité représentée par l’équipe est moins affectée que les individus qui la composent ou qui l’entourent, et qui sont remplaçables (on limoge un président, on remplace un entraîneur ou des joueurs, un système de jeu).

14Il arrive néanmoins que des résultats catastrophiques et qui le sont durablement réussissent à convaincre les élus d’envisager l’impensable : ne plus financer le club. C’est ce qui est arrivé au Racing Club de Strasbourg, au point où son plus récent dirigeant a proposé au président de la région Alsace – pour accompagner sa tentative d’obtenir de sa part un engagement de financement conséquent – de rebaptiser le club en y accolant le nom de la région. Reste à savoir si c’est l’espoir d’une remontée (peut-on tomber plus bas encore ?) ou si c’est la rivalité politique entre la région Alsace et la ville de Strasbourg qui réussira à convaincre la région d’investir dans ce club. Cet exemple est d’autant plus intéressant qu’il est rare et permet de rappeler que le système compétitif français dans les sports collectifs les plus médiatisés a historiquement attaché les équipes à des villes et non à des régions ou des départements, selon une règle presque toujours respectée où il n’existe qu’une seule équipe par commune, ce qui facilite grandement l’identification dont il est question ici.

Un service public local étouffé par une politique d’image

15Après avoir longtemps été géré presque exclusivement par l’État, le sport fait aujourd’hui partie intégrante de l’espace politique local. Il ne saurait être question pour un maire de négliger ce secteur de la vie sociale, parce qu’il participe de diverses manières à la construction de l’identité de sa commune, et ainsi à des enjeux électoraux. L’investissement financier qui y est consacré dépend évidemment des moyens dont disposent les communes : les plus petites d’entre elles semblent devoir s’en remettre aux structures intercommunales ; les plus grandes ont une politique sportive propre, avec un adjoint et des services qui s’y consacrent, parfois exclusivement, alors que rien ne les y a jamais obligés. Dans un environnement concurrentiel entre les territoires, constamment renforcé par les politiques publiques et par la crise économique ambiante, le dynamisme sportif local contribue à l’attractivité des communes. L’engagement médiatisé de sportifs d’exception mais aussi d’équipes locales « porte-drapeau » renforce les identités locales. L’investissement financier dans ces vitrines locales est souvent sans commune mesure avec celui, moins rentable politiquement, dirigé vers les pratiquants sportifs ordinaires (sport pour tous) ou destiné à donner la chance à des populations vulnérables et minoritaires ou certains quartiers de pratiquer des activités physiques et sportives.

Notes

  • [1]
    « Henri Sérandour, « Le sport doit rester apolitique », La Lettre de l’économie du sport, 831, 23 février 2007, p. 5. On remarquera au passage que le journaliste (non cité) réalisant l’entretien partage l’idéologie de son interlocuteur, puisque la question posée était : « À votre connaissance, le mouvement sportif a-t-il toujours été apolitique comme aujourd’hui ? ».
  • [2]
    J. Defrance, « La politique de l’apolitisme », Politix, 50, 2000, p. 13-27.
  • [3]
    Pour un développement complet sur cette question, cf. M. Koebel, « Les profits politiques de l’engagement associatif sportif », Regards sociologiques, 20, 2000, pp. 165-176. (Téléchargeable sur le site http://koebel.pagespersoorange.fr/ListePubli.htm).
  • [4]
    En France, on compte environ 50 clubs pour 100 communes, mais une forte disparité apparaît selon les régions (21 en Franche-Comté contre 70 en Alsace par exemple). Cela ne signifie pas pour autant qu’une commune sur deux possède un club et un terrain : si les clubs se concentrent plutôt en milieu urbain, les bourgs ruraux (500 à 2000 habitants) sont tout de même fortement représentés (F. Grosjean, « Un football des champs et un football des villes : analyse géographique du service football dans un cadre régional », STAPS 4/2006 (no 74), p. 85-98).
  • [5]
    P. Calatayud, « Le poids économique du sport en 2007 », Stat-Info, n° 09-02, septembre 2009 (p. 4).
  • [6]
    Pour de plus amples développements sur cette question, deux textes : B. Michon et M. Koebel, 2009, « Pour une définition sociale de l’espace », in P. Grandjean (dir.). Construction identitaire et espace, Paris, L’Harmattan (coll. Géographie et culture), pp. 39-59 ; M. Koebel, « De l’existence d’un champ politique local », Cahiers philosophiques, 119, 2009, pp. 9-29.
  • [7]
    Cf. A. Mandret-Degeilh, « Un événement dans l’évnement : la remise de récompenses sportives par les autorités politiques locales », communication au colloque Le sport transformé en événement. Usages politiques et profits symboliques, Strasbourg, 14 et 15 janvier 2010.
  • [8]
    Certes le nom d’une équipe ou d’un club peut révéler d’autres identités, comme dans le cas de ce que l’on a pu appeler les clubs « communautaires ». Mais ces cas sont relativement rares : en 2009 par exemple, seuls 296 clubs de football en France sur un total de plus de 18 000 font référence dans leur intitulé à un autre pays que la France (cf. V. Pereira, 2010, « Une passion portugaise », in C. Boli, Y. Gastaut, F. Grognet (dir.), Allez la France ! Football et immigration, Paris, Gallimard/CNHI/ MNS, pp. 50-53). Le cas le plus fréquent reste la référence à la commune d’implantation du club.
  • [9]
    La Polynésie française arbore la pirogue polynésienne comme symbole identitaire sur son drapeau depuis 1984 suite aux victoires inattendues en 1975 et 1976 de sportifs tahitiens à des épreuves de courses de pirogues en haute mer mettant en concurrence les équipes les plus performantes du Pacifique Sud (cf. Y. Leloup, « Symbolique de la haute mer et exacerbation identitaire. De l’invention d’une tradition à ses usages politiques », communication au colloque Le sport transformé en événement. Usages politiques et profits symboliques, Strasbourg, 14 et 15 janvier 2010.).
  • [10]
    Quelques exemples : en football, les exploits de Gueugnon ou de Guingamp (moins de 8 000 habitants) ou le parcours en Ligue 1 de l’AJ Auxerre, compte tenu de son faible budget ; en handball, la domination de Sélestat en Ligue 2 (la ville s’enorgueillit des exploits du gardien de but de l’équipe de France championne du monde, originaire du club et de son nombre record de 400 licenciés – pour une ville de 19 000 habitants).
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