Notes
-
[1]
Institution publique spécialisée dans la connaissance des sous-sols, le BRGM a longtemps exploité des mines mais se contente aujourd’hui de faire des études. Lire Mauvaises Mines, Naïké Desquesnes et Mathieu Brier, éd. Agone, 2018.
-
[2]
Le 8 septembre 1986, en réponse au président du conseil général de l’époque, qui l’implore de mettre la main à la poche pour empêcher la fermeture de la mine, Alain Madelin, ministre de l’Industrie, répond : « Aucune mesure (…) n’est envisageable pour les chantiers en voie d’épuisement. Un soutien public a en particulier été apporté par la réalisation de travaux de recherche d’autres gisements de meilleure qualité. »
-
[3]
Rapports de la Société minière d’Anglade en 1983 et du Laboratoire de chimie de la Caisse régionale d’assurance maladie d’Aquitaine la même année ; études du BRGM en janvier puis juin 1984 et en juin 1985.W4. Examen des échantillons en diffraction des rayons X et microscopie électronique, Laboratoire de réactivité de surface et structure, université de Jussieu, août 1984. Et Rapport sur les risques liés à la présence d’amiante à la mine de Salau (Ariège), Laboratoire de réactivité de surface et structure, université de Jussieu, janvier 1986.
-
[4]
Rapport d’expertise sur la présence éventuelle d’amiante sur le site de l’ancienne mine de tungstène de Salau (Ariège), Éric Marcoux, Observatoire des sciences de l’Univers en région Centre, octobre 2015, et Rapport sur l’analyse minéralogique par diffraction des rayons X sur les haldes de l’ancienne mine de tungstène de Salau (Ariège), Philippe d’Arco, décembre 2015.
-
[5]
« Mine de Salau : le ministre veut dissiper les doutes », propos recueillis par Laurent Gauthey, La Dépêche, 11/02/2017 (ladepeche.fr).
-
[6]
« Amiante à la mine de Salau : les analyses ne révèlent rien », Denis Slagmulder, La Dépêche, 28/09/2017 (ladepeche.fr).
-
[7]
L’Ariégeois magazine a notamment publié (en « supplément gratuit » à son no 227) 80 pages consacrées à la mine de Salau, qui détaillent les nombreuses pollutions héritées de celle-ci pour mieux mettre en avant les promesses de « mine verte » en cas de réouverture.
La France hexagonale aussi a son projet pionnier de mine : l’entreprise Variscan veut rouvrir les vieilles galeries de Salau. Ici, pas de mercure, mais de l’amiante qui s’apprête à contaminer les futurs ouvriers.
Canari, Corse, avril 2016
Canari, Corse, avril 2016
Une équipe travaille à sécuriser les flancs de la mine dont des débris d’amiante tombent régulièrement sur la route D80.1L’État de droit, on le respecte, les lois de la République, on les respecte, sauf à Couflens-Salau, là-bas, les gens nous disent qu’ils ne se sentent plus en sécurité. Et il s’y passe des choses qui sont à la limite du terrorisme. » Voilà ce qu’on pouvait entendre le 9 mai 2018, dans les rues de Saint-Girons en Ariège, lors d’une manif qui a réuni 200 personnes. Élus du coin, anciens mineurs, chasseurs main dans la main avec des militants de la CGT, eux-mêmes bras dessus, bras dessous avec le référent départemental de La République en marche (LERM). Tous unis pour « défendre l’État de droit » à Couflens-Salau. Mais c’est quoi Couflens-Salau ? Un nouveau repaire de zadistes ? Non, un village composé de deux petits hameaux perdus dans les Pyrénées ariégeoises, dont la majorité des habitants, maire en tête, refusent qu’au nom du renouveau minier français on leur rouvre une ancienne mine qui contient autant d’amiante que de tungstène…
2Rien d’étonnant que l’ours, le gypaète barbu et surtout le desman, cet animal presque légendaire qui ressemble à un rat avec une tête de fourmilier, se planquent dans ces montagnes. Là, aux confins de la vallée du Salat, à 4 kilomètres de l’Espagne, en plein cœur du parc naturel classé Natura 2000, nos bestiaux ne croiseront pas grand monde, car ce ne sont pas les 84 habitants qui vivent en contrebas, à Couflens et Salau, qui viendront les déranger. « Si on s’est installés dans cet endroit, c’est pour la beauté sauvage des lieux et pour profiter d’une certaine qualité de vie », rappelle Jacques Renoud, adjoint au maire et coprésident de l’association Stop Mine Salau. Un apiculteur, un menuisier, un mécano, un couple de restaurateurs, un fromager, quelques éleveurs, voilà les actifs qui peuplent le secteur. C’est sûr, ils ne roulent pas sur l’or, contrairement aux habitants des décennies antérieures…
Canari, Corse, avril 2016
Canari, Corse, avril 2016
Marcel Spampani habite l’un des villages du cap situé à quelques kilomètres de Canari. Ancien agent de l’ONF, il s’est garé durant plusieurs années sur le parking de l’usine d’amiante. Aujourd’hui malade de celle-ci, il se bat au sein de l’Ardeva (Association régionale de défense des victimes de l’amiante) Sud-Est pour les victimes du cap.Des mineurs qui roulaient sur l’or
3Petit retour en arrière : au tournant des années 1950 et 1960, des ingénieurs du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) [1] trouvent, planqué dans un pan de montagne entre 1 230 et 1 850 mètres d’altitude et proche de Salau, un gros filon de tungstène qui s’avérera être le principal gisement français. Ce métal dur, qui n’a pas son pareil pour résister aux très fortes températures (ne fondant pas à moins de 3 400 °C), est idéal pour confectionner le blindage des chars, ou le cœur et les parois d’un réacteur nucléaire. Les alliages à base de tungstène sont également très prisés par les militaires pour la fabrication de cartouches, obus, grenades… À l’époque, la France, qui n’en extrait plus, est dépendante de la Chine qui monopolise déjà la quasi-totalité de la production mondiale. Voilà pourquoi ce vulgaire métal de couleur grise à blanche est si stratégique. Ainsi, il mérite bien qu’on défigure une montagne en y creusant 26 kilomètres de galeries pour y faire travailler 146 ouvriers venus de Lorraine, du Calvados, du Maroc, de Pologne…
4Pour pouvoir loger tous ces nouveaux venus, l’employeur, la Société minière d’Anglade (SMA), dont le BRGM, c’est-à-dire l’État, est le principal actionnaire, finance la construction de 76 logements dans le hameau de Salau – des petits HLM hideux, certes, mais dans lesquels les mineurs et leurs familles sont logés gratos. Même l’école primaire est réhabilitée en grande pompe et affiche complet avec 55 élèves. En 1971, la mine tout juste ouverte fait saliver jusqu’à Saint-Girons. « Nous avions des salaires que vous ne retrouviez nulle part ailleurs », raconte en 2011 l’ancien maire Henri Dénat qui a marné dans un atelier de la mine. À l’époque, avec 13 000 francs par mois (soit presque 2 000 euros), auxquels s’ajoutent quelques avantages (cinéma, transports, médecin gratuits), les travailleurs de Couflens-Salau ont de quoi rouler des mécaniques dans toute l’Ariège…
Une histoire française de l’amiante
5Jusqu’en 1986, la mine tourne à plein régime : 12 400 tonnes de tungstène sont extraites de la montagne. Puis, d’un coup, sans crier gare, l’industriel éteint la lumière et décide de plier boutique. C’est avec une élégance rare que, le 24 décembre de cette année-là, il va licencier sèchement les 128 derniers mineurs de Salau. « La Société des mines d’Anglade a donné six mois à ses employés et à leurs familles pour déménager. Entre le 14 juillet et le 17 juillet 1987, on est passé du village [Salau] le plus peuplé de la commune [Couflens], avec 250 habitants, à un hameau sinistré où il ne restait plus qu’une dizaine d’âmes », raconte, mâchoires serrées, Henri Richl, actuel maire de Couflens-Salau et ancien salarié de la mine. Officiellement, c’est à cause du marché mondial : trop d’offre, pas assez de demande, et les Chinois qui tirent les prix vers le bas et font plonger le cours du métal. Soit, mais, par ailleurs, le filon local tire la langue et le tungstène restant n’est plus d’aussi bonne qualité [2]. De plus, trois ans avant la fermeture, des mineurs ont commencé à déclarer des asbestoses, pathologies pulmonaires mortelles dues à l’amiante (matériau hautement toxique constitué de fibres minérales). Or pour un industriel, quand le business commence à sentir le sapin, il est grand temps d’aller voir ailleurs…
Dunkerque, Nord, octobre 2016
Dunkerque, Nord, octobre 2016
Pierre Pluta est un ancien salarié des Ateliers et Chantiers de France. Il consacre tout son temps à la défense des victimes de l’amiante. Ancien président de l’Andeva (Association nationale de défense des victimes de l’amiante), il est aujourd’hui président de l’Ardeva Nord-Pas-de-Calais.Canari, Corse, avril 2016
Canari, Corse, avril 2016
Patricia Burdy, inspectrice du travail, a mené de nombreux bras de fer avec l’entreprise Vinci pour faire appliquer les règles de sécurité et de protection sur divers chantiers, comme celui de l’usine d’amiante de Canari où elle a dressé plusieurs procès verbaux entre 2015 et 2016.L’amiante est ambiante
6De l’amiante à Salau ? Une rumeur, qu’un enchaînement de rapports va tenter de dissiper. Petit hic, ils vont tous dire la même chose : que ce soit dans l’air ou dans la roche, il y a de l’amiante partout [3]. Exemple avec les publications de Jean-Luc Boulmier, docteur ès sciences physiques, ingénieur au BRGM, qui rédige deux rapports, en décembre 1983 et en janvier 1984 : « Confirmation de la présence d’actinolite dans l’air sur tous les sites contrôlés » ; « De l’actinolite fibreuse classée comme amiante est présente dans les roches de la mine ». Même le directeur de la mine de l’époque reconnaît que cette actinolite, une des variétés les plus dangereuses d’amiante, est présente à plus de 50 % dans les poussières du site ! Ce qui ne va pas l’empêcher de freiner des quatre fers pour éviter que la Sécu reconnaisse les premiers cas d’asbestose parmi les mineurs, ce qui pourrait leur donner droit à des reconnaissances de maladies professionnelles. Faut pas déconner…
7Les mineurs, CGT en tête, font alors appel à Henri Pézerat, physico-chimiste et toxicologue, pionnier français du combat contre l’amiante dont il obtiendra finalement l’interdiction en 1997. Il vient en Ariège, récupère des échantillons de roches, les analyse et rédige deux rapports en 1984 et 1985. À son tour, il identifie cette actinolite et conclut formellement que « la dizaine de cas de fibroses naissantes ou bien caractérisées, observées sur les 100 ou 150 personnes exposées à Salau depuis moins de quinze ans, est due essentiellement à une surexposition aux poussières d’actinolite »4.
8Trente-trois ans après ce rapport, on s’en doute, un certain nombre d’anciens mineurs ont dû succomber à cette même poussière. Combien ? Difficile de tenir les comptes. À la fermeture, ceux qui avaient immigré semblent s’être évaporés dans la nature, emportant avec eux leur maladie. Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), spécialiste de la santé au travail, était aux côtés d’Henri Pézerat : « En mai 1986, nous avons recensé 14 cas d’atteintes respiratoires. Soit quatre asbestoses confirmées, dont deux seront au final reconnues en maladies professionnelles, cinq autres asbestoses diagnostiquées, mais non reconnues officiellement, trois cas de silicose, dont deux reconnues en maladies professionnelles, et deux décès par cancers broncho-pulmonaires. » Madeleine Audoir, 88 ans, ancienne infirmière de la caisse minière locale, en connaît « sept (…) qui sont morts, essentiellement à cause du cancer du poumon ». Martin Hernandez, ancien mineur, énumère quant à lui quinze noms d’ex-collègues morts d’asbestose ou d’un cancer des poumons. Catherine Mazuc Wiberg, médecin généraliste à Oust (à 16 kilomètres de Couflens-Salau) de 1984 à 1988, se revoit soigner des mineurs « atteints d’asbestose, dont un que j’ai accompagné jusqu’à son dernier souffle ». Le docteur François Richard, qui a exercé à Oust à la fin des années 1970, affirme avoir été amené « à diagnostiquer des cas d’asbestose ».
La ruée du chercheur en peau de castor
9Le temps est passé. Le village s’est reconstruit autour de l’agro-pastoralisme et de la randonnée, des « néo » ont déboulé, la mine est tombée dans l’oubli. Mis à part ces deux énormes tas de 700 000 m3 de déchets à la couleur orangée, remplis d’arsenic, de fer, de cuivre, de cadmium, de zinc, de bismuth, abandonnés, l’un en bord de route, l’autre sur le carreau de la mine, rien ne saurait rappeler l’intense activité minière du site. Mais voilà qu’en janvier 2015 un certain Michel Bonnemaison, directeur général d’une société minière dénommée Variscan Mines, déboule en mairie. « Il m’a dit : “Je vais rouvrir la mine.” Et il a ajouté : “Et je vais ouvrir une galerie derrière les chalets, sur 2 500 mètres de long”, se souvient le maire Henri Richl. Je lui ai alors demandé : “Et l’amiante ?” “Ne vous inquiétez pas, on sait faire.” Il a ouvert son blouson et a posé sur le bureau une bouteille de champagne. Puis il est parti. » Le maire interdit à quiconque d’ouvrir cette fichue bouteille. Qu’il va d’ailleurs rendre à Bonnemaison quelques jours plus tard, après s’être aperçu que ce dernier avait déposé, quelques mois plus tôt, une demande de permis exclusif de recherche (PER) sur presque tout le territoire de sa commune, soit 42 km², sans rien demander à personne…
Terssac, Tarn, février 2016
Terssac, Tarn, février 2016
Les membres de l’Association départementale de défense des victimes de l’amiante du Tarn (Addeva 81) se retrouvent régulièrement pour traiter les dossiers des anciens salariés du producteur d’amiante-ciment Eternit.Les clés du paradis fiscal
10Depuis 2013, les plus hauts représentants de l’État, de Montebourg à Macron, se sont ingéniés à nous vendre un renouveau minier à la française, écolo-compatible bien entendu, et pourvoyeur d’emplois locaux. Mais, à bien y regarder, le renouveau concerne surtout la carrière d’une poignée d’ingénieurs des Mines, soucieux de monétiser leur savoir-faire et leur expérience pour se préparer un beau parachute doré avant le grand saut vers la retraite.
11Prenons Bonnemaison, l’homme qui planque des bouteilles de champagne dans son veston. Cet enfant du pays, natif de Dun, bled ariégeois de 600 habitants, a officié près de trente ans au BRGM, notamment en tant que responsable adjoint de la branche Ressources minérales. En 2010, fraîchement retraité, il s’est acoquiné avec Jack Testard, un autre ancien du BRGM, qui était son supérieur au bureau des ressources minérales. Forts de leurs parfaites connaissances des sous-sols français, ils montent une « junior » à capitaux australiens, Variscan. Contrairement aux « majors » qui financent l’exploitation, les juniors sont des unités légères avec très peu de salariés qui font de la prospection et cherchent des financeurs. Dès 2013, la société dépose des demandes de permis exclusifs de recherche (PER) un peu partout en France, afin de « découvrir et développer des gisements », comme l’explique Michel Bonnemaison. Sauf que pour engager ne serait-ce que les travaux de recherche, il faut des sous. En décembre 2014, quand Variscan dépose sa demande de PER pour Salau, ses dirigeants doivent poser 25 millions d’euros sur la table afin de financer les recherches. Mais ils n’ont pas un rond en poche. Ils montent donc un partenariat avec Juniper Capital Partners, une boîte de capital-risque domiciliée aux îles Vierges britanniques, en plein paradis fiscal… Bonjour le renouveau minier français ! Le ministère de l’Industrie de l’époque tique face à cet allié un peu trop sulfureux. Il est donc demandé à Variscan de trouver un autre financeur, un peu plus présentable, un gendre idéal en somme.
12Pas de soucis. Bonnemaison va alors se lancer dans d’incroyables tours de passe-passe dont seuls les vieux routiers de la recherche minière ont le secret. Admirez : 1) Création express de deux nouvelles sociétés (Ariège tungstène puis Les Mines du Salat, la première finançant à 80 % la seconde, prévue pour reprendre le PER) qui permettront à terme de virer Variscan et son mécène politiquement incorrect. 2) Elles sont domiciliées à la maison natale ariégeoise de… Bonnemaison. 3) Juniper confie son argent à une société australienne spécialiste du tungstène, Apollo Minerals, pour faire plus sérieux. 4) C’est elle, beaucoup plus présentable, qui est désormais mise en avant (et absorbe Variscan en juin 2018). En cas d’exploitation réussie de la mine, c’est Juniper qui touchera le jackpot. En cas d’échec, c’est elle aussi qui aura tout perdu. Elle est donc le premier actionnaire (invisible) de Variscan. Mais voilà qu’en avril 2018 un autre investisseur vient la reléguer à la seconde place : BlackRock, le plus gros fonds d’investissement du monde, basé à New York, entre dans le capital d’Apollo à hauteur de 9,4 %. En 2017, il a engrangé 1,6 milliard d’euros de dividendes issus du CAC 40.
Il était une fois la légende du filon de Salau
13Mais pourquoi tous ces vautours de la finance s’intéressent-ils tant à l’Ariège ? Parce que Bonnemaison a su les allécher en leur faisant miroiter de prodigieux gisements de tungstène, et même d’or. Dès la fin de 2015, il commence à se répandre dans la presse locale et nationale pour assurer qu’à Couflens-Salau, « il doit rester au minimum 50 000 tonnes de tungstène dans la mine. C’est sûr, nous sommes face à un des trois premiers gisements mondiaux de tungstène, voire peut-être même le premier. » Chaque fois que la presse reprend ce genre d’annonces, le prix de l’action de Variscan grimpe. Sauf que ces affirmations sonnent creux. Selon la documentation de la SMA, en 1986, il restait à tout casser 3 400 tonnes de tungstène dans la montagne. D’où vient cette estimation de 50 000 tonnes ? « Nos études scientifiques récentes appuyées par une société locale de R&D (E-mines) et des travaux de recherche universitaire ont montré que ce matériau stratégique est en quantité et en qualité suffisantes pour justifier une reprise industrielle », détaille Jack Testard, le président de la start-up, en janvier 2017. Rires dans la salle. Les « études scientifiques récentes » ? Des prélèvements effectués par Bonnemaison et par un étudiant qui faisait un stage pratique chez Variscan. La « société locale de R&D » qui a appuyé ces résultats ? Une boîte ariégeoise qui fait du conseil et de l’expertise dans le domaine minier, et dont le patron s’appelle… Michel Bonnemaison ! « Les travaux de recherche universitaire » ? La thèse de l’étudiant, dont le directeur de thèse est un ancien consultant de Variscan… En résumé, Bonnemaison et Testard ont griffonné sur un coin de nappe une fiction de prospecteurs de métaux en peau de castor qui trouvent le plus gros filon du monde.
14Concernant la problématique de l’amiante dans les roches de la mine, ils ont adopté la même stratégie : réécrire eux-mêmes l’histoire. Pour évacuer ce souci de santé, ils ont dégainé fin 2015 deux rapports d’analyses très succinctement réalisées à partir d’échantillons prélevés dans les résidus miniers par deux sacrés personnages : Éric Marcoux et Philippe d’Arco [4]. Sont-ils géologues ? Toxicologues ? Ont-ils déjà à leur actif des publications scientifiques sur l’amiante ? Rien de rien. Ce sont deux profs de géologie, dont un, Marcoux, a été consultant-expert dans l’équipe technique de Variscan jusqu’en 2012. Et devinez quoi ? Dans leurs rapports, ils concluent à « l’absence d’amiante » et à « un risque sanitaire [qui] n’est pas avéré ». Mieux, Marcoux reconnaît être bien tombé sur de « l’actinolite en très faibles traces », mais, attention, il ne s’agit pas d’amiante !
Bonnemaison, go home !
15Les habitants de Couflens-Salau, rejoints par les militants du Comité écologique ariégeois (CÉA) et de France Nature Environnement (FNE) ont endossé le rôle des opposants. Ils ont surtout bien compris que Bonnemaison n’était pas à un mensonge près pour leur imposer une réouverture de la mine. Et qu’ils n’avaient pas grand-chose à attendre de l’État, surtout après qu’il a accordé à Variscan, le 11 février 2017, un PER lui permettant de gratter les sous-sols pendant cinq ans. Il y a bien une condition à l’octroi de ce sésame : selon une convention de mars 2017, Variscan est tenue de faire effectuer à ses frais, « dès avant les travaux de recherche, une évaluation préliminaire des risques sanitaires et environnementaux avec une expertise amiante dont les résultats conditionneront “la mise en œuvre effective des droits d’exploration ouverts par le PER” ». Cette étude sera croisée avec les analyses de roche d’un géologue et une métrologue désignés par l’État. « Si la présence d’un risque éventuel amiantifère est confirmée par cette expertise indépendante, j’annulerai le permis de recherches » [5], avait prévenu Christophe Sirugue, secrétaire d’État à l’Industrie. Ça, c’était avant. Parce que le nouveau gouvernement, avec Le Maire au ministère de l’Économie et des Finances, ne paraît pas très pressé de vérifier si amiante il y a. En un an et demi, aucun expert n’a encore montré le bout de son nez…
16En attendant, Bonnemaison fait comme chez lui. Il a commencé en septembre dernier à diligenter ses propres analyses d’amiante. La préfecture les a aussitôt disqualifiées, indiquant qu’elles n’avaient pas permis de « caractériser l’air ambiant de toute la mine (…), ni de caractériser l’amiante naturelle dans la roche » [6]. Peu importe, ça lui a surtout permis de poser ses valises sur le carreau et de marquer son territoire, notamment en récupérant deux gros bâtiments en ruine, juste en face de l’entrée de la mine. Ce qui a passablement énervé Jacques Renoud : « Construction d’un mur avec fondation sur un terrain communal, sans concertation, ni autorisation de la commune. Captage d’une source dans une mine sans autorisation préfectorale, élargissement de deux chemins de randonnée, aménagement d’un appartement dans un des bâtiments sans aucun dépôt de permis de construire. Monsieur Bonnemaison bafoue les règles de la République et personne ne dit rien. » Effectivement, la gendarmerie ne bouge pas et la préfecture s’en lave les mains : « Les aménagements signalés ne relèvent pas d’une autorisation délivrée par l’État. » La commune n’a qu’à se débrouiller…
17Ce qu’elle fait ! Le maire a dégainé un arrêté de 1992, qui « interdit la circulation des véhicules à moteurs sur la route de la mine », en raison de la menace due aux six couloirs d’avalanches qui surplombent cette bande de bitume. La préfecture de l’Ariège a aussitôt répliqué en assignant la commune en référé devant le tribunal administratif de Toulouse. « Requête rejetée », a tranché celui-ci en décembre 2017. Première victoire pour les opposants. Et désormais, même si on sent que ça lui brûle la langue quand on l’interroge à ce sujet, la préfecture admet que « toute personne empruntant cette voie en véhicule est susceptible d’être verbalisée par le maire ou la gendarmerie ». Sauf que cette route continue d’être empruntée quasiment tous les jours par les ouvriers payés par Bonnemaison. Lequel, quand il y a trop de neige, n’hésite pas à faire appel à une société privée pour déblayer la route interdite ! Il arrive aussi que les techniciens de Variscan prennent un hélicoptère pour monter. Sauf que le site de Salau est situé exactement dans le périmètre de protection du gypaète barbu, un rarissime vautour protégé par une directive européenne, qui est en voie d’extinction et a une frousse bleue des humains ! Le 22 février dernier, un hélico transportant des employés de Variscan ainsi qu’un fonctionnaire de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et de l’énergie (Dreal) s’est posé sur le carreau de la mine. Cet épisode a beaucoup plu à la Ligue de protection des oiseaux qui, avec FNE, le CÉA et Stop Mine Salau, a déposé, le 13 mars, auprès du parquet de Foix, une plainte pour « perturbation d’espèce protégée ».
Aulnay-sous-Bois, octobre 2016
Aulnay-sous-Bois, octobre 2016
Pendant près de quatre-vingts ans, l’usine de broyage de l’entreprise CMPP (Comptoir de minéraux et matières premières) a réduit de l’amiante à l’état de poudre pour les besoin de l’industrie. Sans aucune mesure de protection, les riverains et les écoliers ont été mis en contact avec le minerai pendant des décennies. Treize mille anciens élèves aujourd’hui adultes ont été exposés directement. Nicole et Gérard Voide se battent depuis trente ans afin que la lumière soit faite et la justice rendue.France, 2006
France, 2006
Un morceau de roche d’amiante, tel qu’ils arrivaient dans la vallée de la Vère avant d’être transformés dans les différents sites de l’entreprise Ferodo-Valeo.18Les opposants, dans leur diversité, ne sont pas toujours aussi légalistes : manifestations sauvages devant l’entrée de la mine, route d’accès entravée par une chaîne et un cadenas, et, fin avril 2018, incendie d’un des bâtiments réaménagés par Bonnemaison. C’est ce dernier événement qui a poussé les pro-mines à organiser la manif à Saint-Girons pour « le retour de l’État de droit ».
Pro-mines et contrevérités
19Variscan a bien compris que pour faire accepter par les plus hautes instance de l’État un projet de réouverture de mine, il fallait que la population soit favorable au projet. Et qu’elle le dise haut et fort. C’est ainsi que depuis fin 2015, l’association PPERMS, « Pour le projet d’étude et de recherche de la mine de Salau » (devenue « Pour promouvoir l’exploitation responsable de la mine de Salau » après l’obtention du permis), a fait son apparition. Elle regroupe d’anciens mineurs de Salau, des responsables du club de rugby local, des élus, des entrepreneurs. Évidemment, aucun n’habite à Couflens-Salau : ces messieurs-dames ne résident pas à moins de 15 kilomètres du site. C’est le minimum pour ne pas être trop embêté par les rotations des poids lourds dues à une future nouvelle exploitation… Tous boivent les belles paroles de Bonnemaison qui leur fredonne une rengaine bien connue sur les créations d’emplois : « 200 emplois directs et 600 ou 800 induits », assure-t-il. Et de promettre à la CGT une usine de traitement du minerai qui va faire vivre tout la vallée… Parmi les soutiens, on trouve aussi des chasseurs, propriétaires des bâtiments situés à l’entrée de la mine et des parcelles où se trouvent les 700 000 m3 de stériles. Il y a également Jérôme Azéma, ancien candidat, battu aux élections législatives dans la première circonscription de l’Ariège, aujourd’hui « référent départemental de LREM », qui reprend à son compte toutes les contre-vérités de Bonnemaison. Et enfin, il y a le magazine L’Ariégeois, véritable outil de propagande pour la réouverture dirigé par Jean-Louis Causse [7]. Tout comme « l’expert » prof de géologie, ce précieux allié de Bonnemaison s’avère être employé par Variscan ! Ou tout du moins rémunéré, puisqu’il apparaît en mai 2017, lors de la mise en place en préfecture d’un groupe technique, en tant que « représentant de Variscan Mines », et plus précisément, étant ancien toubib, en qualité d’« expert médical ». Finalement, quand tous ces disciples du renouveau industriel se retrouvent pour partir en manif, ils ne sont pas plus de 200.
20À Salau, tous les coups sont donc permis pour relancer l’extraction. Dans les deux hameaux de Couflens et de Salau, où même si une forte majorité d’habitants sont contre le PER, on trouve également des partisans d’une réouverture. Les villageois qui s’y opposent ont reçu le soutien de quelques babas cool installés dans le secteur, ainsi que de militants et militantes écologistes et de la France insoumise. Mais, pour l’heure, point d’avalanche populaire pour soutenir cette lutte des montagnes. En septembre 2017, lors du rassemblement sur le carreau de la mine, les opposants avaient réuni 145 personnes. Le blocage de la route qui monte à la mine, en novembre 2017, en avait mobilisé 32. Début avril 2018, 200 personnes ont manifesté contre la réouverture dans les rues de Saint-Girons. Cette lutte mériterait assurément un plus grand écho. Parce qu’un village planqué au bout du monde, cerné par les requins de la finance, de l’industrie minière et de la haute administration, et qui a décidé de résister, forcément, ça donne envie de se retrousser les manches pour lui filer un coup de main.
Notes
-
[1]
Institution publique spécialisée dans la connaissance des sous-sols, le BRGM a longtemps exploité des mines mais se contente aujourd’hui de faire des études. Lire Mauvaises Mines, Naïké Desquesnes et Mathieu Brier, éd. Agone, 2018.
-
[2]
Le 8 septembre 1986, en réponse au président du conseil général de l’époque, qui l’implore de mettre la main à la poche pour empêcher la fermeture de la mine, Alain Madelin, ministre de l’Industrie, répond : « Aucune mesure (…) n’est envisageable pour les chantiers en voie d’épuisement. Un soutien public a en particulier été apporté par la réalisation de travaux de recherche d’autres gisements de meilleure qualité. »
-
[3]
Rapports de la Société minière d’Anglade en 1983 et du Laboratoire de chimie de la Caisse régionale d’assurance maladie d’Aquitaine la même année ; études du BRGM en janvier puis juin 1984 et en juin 1985.W4. Examen des échantillons en diffraction des rayons X et microscopie électronique, Laboratoire de réactivité de surface et structure, université de Jussieu, août 1984. Et Rapport sur les risques liés à la présence d’amiante à la mine de Salau (Ariège), Laboratoire de réactivité de surface et structure, université de Jussieu, janvier 1986.
-
[4]
Rapport d’expertise sur la présence éventuelle d’amiante sur le site de l’ancienne mine de tungstène de Salau (Ariège), Éric Marcoux, Observatoire des sciences de l’Univers en région Centre, octobre 2015, et Rapport sur l’analyse minéralogique par diffraction des rayons X sur les haldes de l’ancienne mine de tungstène de Salau (Ariège), Philippe d’Arco, décembre 2015.
-
[5]
« Mine de Salau : le ministre veut dissiper les doutes », propos recueillis par Laurent Gauthey, La Dépêche, 11/02/2017 (ladepeche.fr).
-
[6]
« Amiante à la mine de Salau : les analyses ne révèlent rien », Denis Slagmulder, La Dépêche, 28/09/2017 (ladepeche.fr).
-
[7]
L’Ariégeois magazine a notamment publié (en « supplément gratuit » à son no 227) 80 pages consacrées à la mine de Salau, qui détaillent les nombreuses pollutions héritées de celle-ci pour mieux mettre en avant les promesses de « mine verte » en cas de réouverture.