Notes
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[1]
Héritière des mouvements contestataires des années 1970 dans la sociologie, l’urbanisme ou l’éducation populaire, une recherche-action est une recherche « engagée » visant à dégager des propositions d’action concrète à partir d’une enquête de terrain et à l’aide des outils des sciences sociales.
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[2]
Grisélidis Réal (1929-2005) était une écrivaine, peintre et prostituée suisse. En 1975, elle participa à l’occupation par 500 prostituées de la chapelle Saint-Bernard à Paris, contre le harcèlement policier. Elle a revendiqué le rôle social de la « péripatéticienne » et milité pour sa reconnaissance.
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[3]
Françoise Guillemaut, Luzenir Caixeta. Femmes et migrations en Europe, stratégies et empowerment, Cabiria-Le Dragon lune, Lyon, 2007 ; Cabiria, Migrantes et travail du sexe, Le Dragon lune, Lyon, 2005.
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[4]
À l’heure où Z est mis sous presse, la « proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel » a été votée par l’Assemblée nationale, avec son volet de pénalisation des clients ainsi que la suppression du délit de racolage passif. La loi devrait être définitivement adoptée courant 2015, malgré lesblocages du Sénat.
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[5]
Le 27 mars 2015 à Toulouse, à l’appel de Grisélidis et du STRASS, une centaine de personnes ont défilé contre les violences à l’encontre des travailleur-se-s du sexe et contre les lois pénalisant le travail du sexe (lois sur le racolage, pénalisation des clients, arrêtés municipaux).
À Toulouse, autour de la gare Matabiau, il y a des sex-shops, des bars à filles et des enseignes avec des cœurs roses qui clignotent. C’est là que se trouvent les locaux de Grisélidis, une association de santé communautaire travaillant avec les travailleur-se-s du sexe. Rencontre avec Corinne et Rizzo, salariées de Grisélidis.
1Vous vous présentez comme une association de santé communautaire, ce qui est plutôt récent et encore minoritaire en France. Pouvez-vous commencer par nous expliquer comment fonctionnent les dispositifs classiques à destination des prostituées ?
2Après la fermeture des bordels, les premiers lieux à destination des prostituées sont les « services de prévention et de réadaptation sociale » (SPRS) prévus par l’État dès 1960. La prostitution est alors définie comme un fléau, les prostituées comme des victimes et des inadaptées sociales. Les termes sont importants, ce sont des représentations qui pèsent vraiment sur les personnes. Les SPRS ne se sont jamais vraiment mis en place, mais la vision qu’ils incarnaient est restée prégnante chez les travailleurs sociaux. Dans les années 1990, ceux-ci ne voulaient pas entendre parler d’action sanitaire parce que c’était vu comme une manifestation de complaisance envers la prostitution, et un retour à l’époque où l’État contrôlait et réglementait l’aspect sanitaire des maisons closes.
3Depuis longtemps existaient – et il en existe toujours – des associations abolitionnistes d’obédience catholique, telles que le mouvement du Nid. Elles ne voulaient surtout pas distribuer de préservatifs parce qu’elles considéraient que c’était cautionner la prostitution. Avant qu’on arrive, aucun regard de santé n’était porté sur l’accompagnement des personnes, c’était purement social, basé uniquement sur la réinsertion, la réadaptation, la rééducation. Il fallait sortir de la prostitution pour pouvoir accéder aux services proposés. C’était vraiment sur le mode de l’injonction. Mais ça ne marchait pas !
4Pourquoi ?
5Personne ne venait. Dans les années 1990, de nouvelles populations sont arrivées dans la prostitution : de jeunes garçons travestis, des personnes transgenre, qui commençaient à travailler plus visiblement, des migrantes aussi. Ne venaient dans ces services que les personnes dites « traditionnelles », et encore, très peu. Vu comme elles étaient reçues, elles ont développé une grande méfiance. Tout notre travail est justement d’aller vers. Le plus important à mon avis, c’est que la santé communautaire s’est organisée avec des travailleuses du sexe, dès le début, dans les équipes salariées et les conseils d’administration. Ça a été une rupture énorme : celles qui étaient considérées comme des inadaptées sociales devenaient des salariées de la santé communautaire, avec un savoir-faire et une expérience valorisés.
6Comment sont nées ces initiatives ?
7À Lyon, l’association Cabiria a été fondée en 1993 suite à une recherche-action [1] qui a montré la faible fréquentation des services de réadaptation, l’énorme désaffiliation sociale des prostituées et le réel besoin de travail de prévention. On était alors au début de l’épidémie de sida. C’est d’abord dans ce contexte de lutte contre le VIH que Grisélidis [2] s’est montée, en 2000, avec des féministes toulousaines qui avaient travaillé à Cabiria. Le trio était constitué d’une infirmière, d’une travailleuse du sexe et d’une psychologue-plombière.
8Certains voient les luttes contre le sida menées par les milieux gays aux États-Unis comme les débuts de la santé communautaire. Vous vous sentez une filiation politique avec ces mouvements-là ?
9On se réfère plutôt à l’éducation populaire et au mouvement de l’antipsychiatrie. Après, bien sûr, on s’est inspiré de tout ce qui avait été fait dans les milieux gays sur l’importance de travailler avec les personnes concernées. La santé communautaire, c’est redonner la parole et les moyens d’agir à des personnes qui ont des années de stigmatisation très lourde sur leur tête. Leur rendre un peu de fierté, leur permettre de renverser les représentations sur la prostitution, qui n’était alors définie qu’en termes psychopathologiques. Travailler avec et non pas pour les personnes, sans jugement, horizontalement. On ne fait pas d’entretiens individuels dans des bureaux, mais d’abord un accueil collectif, et ça, ce n’est pas rien, c’est vraiment la base. On sillonne les rues la nuit dans notre bus, qui est aménagé pour la convivialité. On y boit le café et le thé dans des canapés, et toutes les communautés linguistiques présentes sur le terrain s’y retrouvent. C’est vraiment un pari important pour encourager la solidarité entre les personnes, car, comme souvent parmi les exclues, il y a énormément d’enjeux de rivalité, de racisme, de division, sans compter que la police en rajoute, tout le monde en rajoute… alors c’est super important d’être dans le collectif !
10Et ça marche ?
11Ce n’est pas le pays des bisounours, mais bien sûr que ça marche ! Dans le bus ou au local, les travailleuses du sexe se rencontrent, elles discutent, malgré les langues différentes. Ça crée un peu de solidarité et c’est très important, parce qu’à chaque fois que de nouvelles venues arrivent, elles sont perçues négativement : « Elles cassent les prix », « elles travaillent mal », « c’est à cause d’elles qu’il y a des arrêtés municipaux anti-prostitution »… C’est un travail militant et quotidien d’enrayer ces mécanismes-là, tous les jours on discute de ça.
12Certaines associations de santé communautaire comme Aides sont très institutionnalisées. Et vous ?
13Nous, non, car on n’a pas de budget attitré. On est financé par plusieurs organismes selon nos actions. Même si on est reconnus comme efficaces et pas chers, c’est toujours compliqué d’aller chercher l’argent. On est une dizaine de salariées plus un salarié à temps partiel, une équipe sur Internet et une équipe de rue, pour 600 personnes rencontrées physiquement chaque année et plus de 1 000 sur Internet. C’est une sacrée organisation ! Le mardi après-midi, jour de la permanence, 50 personnes passent dans notre petit local. On ouvre des droits à la Sécurité sociale à plus d’une centaine de personnes par an. Mais nos subventions baissent et petit à petit, on est de moins en moins de salarié-e-s.
14Dans l’entrée du local où vous nous recevez, on trouve des brochures traduites en russe, en roumain, en anglais… C’est international !
15Comme nous agissons sur le terrain, c’est important d’être très proches de ce qui s’y passe, de s’adapter vite. À Cabiria, en 1999, on a embauché des médiatrices culturelles lorsqu’il y a eu de grandes arrivées d’Albanaises et d’Africaines anglophones, parce qu’on n’avait pas envie de faire une prévention au rabais. Avec les migrantes, on est confrontées aux représentations de l’opinion publique selon lesquelles ces femmes seraient toutes « trafiquées » [victimes de trafics d’êtres humains, ndlr], violées, battues et vendues par les méchants-trafiquants-en-bande-organisée-criminelle. La réalité est beaucoup plus complexe. Ce sont des femmes qui migrent pour des raisons économiques et elles sont souvent pourvoyeuses de ressources pour leur famille au pays. Mais si elles partent, c’est aussi pour fuir des mariages forcés, des abus, des viols, des situations bouchées, car les études sont réservées aux garçons et elles ne peuvent rien faire sans l’aide de leur père, leur frère ou leur mari… C’est une réelle volonté d’indépendance. En France, les femmes migrantes représentent plus de la moitié des migrants. Nous avons publié une étude concernant les prostituées migrantes [3].
16Pour faire court, sachant que là encore la réalité est plus complexe : les femmes qui veulent migrer ne peuvent souvent pas rentrer légalement en France, alors elles payent un passeur et ont une dette de voyage. Une fois qu’elles arrivent ici, les discriminations liées au genre sont très peu reconnues dans les critères du droit d’asile. Elles n’ont pas droit au travail légal, et elles se tapent soit le travail domestique, soit le travail du sexe. L’opinion publique a focalisé sur le travail du sexe parce que c’est plus visible et plus dérangeant… même si parfois elles sont dix fois plus exploitées dans le travail domestique parce qu’elles doivent faire tout ce qui est ménage, garde des enfants… et souvent aussi du travail sexuel quand même ! Elles se retrouvent parfois dans des situations beaucoup plus compliquées, avec beaucoup moins de liberté qu’en se prostituant.
17À combien s’élève une dette de voyage ?
18Le passage depuis le Nigeria, c’est au moins 40 000 euros. C’est extrêmement cher, car traverser est devenu vraiment très difficile. Plus c’est répressif aux frontières, plus les voyages coûtent cher ! En quinze ans, on a vraiment senti l’évolution. Alors, pour rembourser, il vaut mieux être travailleuse du sexe que de bosser dans une usine. Pour les femmes de l’Est, c’est plus facile de venir et ça coûte moins cher. En ce moment, beaucoup de femmes arrivent d’Espagne : elles ont une carte de séjour espagnole, elles bossaient là-bas dans d’autres activités, mais avec la crise elles ne trouvent plus de boulot. On en voit pas mal, parce qu’à Toulouse on n’est pas loin. Et j’ajoute qu’avec la crise, contrairement aux autres secteurs, les prix ont tendance à baisser dans le travail du sexe.
19Outre des lois plus répressives en matière d’immigration, le sarkozysme a aussi réprimé le travail du sexe. Quel effet en la matière a eu la loi Sarkozy ?
20Au niveau légal, la prostitution n’est pas interdite. C’était considéré comme une affaire privée jusqu’en 2003, quand la loi de sécurité intérieure de Sarkozy a pénalisé le racolage, même passif. Avant cette loi, on travaillait un peu avec la police pour faire reconnaître les viols. Maintenant, les personnes prostituées sont considérées comme des délinquantes, et ça a complètement détruit ce qu’on avait pu faire pour améliorer un peu leur condition. Cette loi a donné beaucoup de pouvoir aux clients et à la police, ce qui a énormément fait baisser les tarifs. Il y avait des mecs, même pas des clients, qui venaient les faire chier parce qu’ils savaient qu’elles ne pouvaient plus se plaindre. La police passait leur temps à les verbaliser, il y a eu des procès, des expulsions, ça n’a pas été juste une loi comme ça pour faire plaisir à l’opinion publique, elle a eu énormément d’effets concrets.
Qu’est-ce que l’abolitionnisme ?
Certains groupes politiques dénoncent la perspective de l’abolition de la prostitution comme un mirage ayant pour principal effet de priver les prostituées de leurs droits élémentaires. Selon cette perspective anti-abolitionniste, la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains serait plus efficace si les prostituées étaient reconnues comme des sujets politiques à part entière. On parle aussi de mouvement pour la dépénalisation du travail du sexe, qui ne revendique généralement pas un retour au réglementarisme de 1946. Le Syndicat du travail sexuel (STRASS) se bat par exemple pour l’inscription du travail du sexe dans le droit commun, sans pénalisation ni réglementation spécifique.
21Cette loi prévoyait aussi que si les femmes faisaient de la délation et disaient qu’elles étaient trafiquées, elles obtenaient un titre de séjour de six mois renouvelable. Mais les femmes ne vont pas dénoncer les gens qui les ont aidées à passer les frontières, ce n’est pas possible. Les passeurs sont diabolisés par tout le monde, sauf par les personnes qu’ils font passer, justement. Donc ça a été très très peu fait par les femmes, alors qu’elles sont prêtes à beaucoup de choses pour avoir des papiers– d’ailleurs ça a été le parcours de la combattante pour celles qui ont essayé.
22Le Parti socialiste souhaite justement supprimer cette pénalisation du racolage passif, mais punir les clients [4]. Est-ce un progrès pour les droits des prostituées ?
23C’est une nouvelle loi répressive, qui s’inscrit dans la droite ligne de la pénalisation du racolage et de la mise en place des arrêtés municipaux. Ses défenseurs et les décideurs politiques ont beau dire que c’est une loi différente parce qu’elle « inverse la charge pénale » en s’attaquant à l’acheteur, les conséquences toucheront avant tout les travailleuses du sexe. Là encore, elles vont devoir échapper à la police, travailler dans des endroits plus isolés et dangereux. Les clients, effrayés, vont se faire moins nombreux, donc elles gagneront moins d’argent et seront davantage susceptibles d’accepter des rapports sans préservatifs. En matière de lutte contre le Sida, c’est une décision catastrophique ! Et encore une fois, on utilise l’argument de la dignité des femmes alors que cette loi les exposera encore plus. Les « mesures sociales » prévues dans la loi en compensation du volet répressif sont dérisoires, et vu le contexte économique, il est très peu probable que des moyens financiers soient investis pour accompagner les femmes qui choisiraient de changer d’activité. C’est une mesure hypocrite, qui servira seulement à « nettoyer » un peu plus les rues.
24À propos des arrêtés municipaux anti-prostitution à Toulouse, peux-tu nous en dire plus ?
25Avant les arrêtés, il y a eu des plaintes de riverains à la mairie. Jusqu’en 2009, à Toulouse, les travailleuses du sexe étaient vraiment au bord du canal du Midi, et à cause de ces plaintes, elles se sont décalées. Les flics leur ont dit : « Allez bosser boulevard de Suisse, là-bas c’est un grand chantier, il n’y a pas de riverains. » Mais quand le quartier est sorti de terre, ça a posé problème aux nouveaux habitants, qui se sont mobilisés, et c’est comme ça qu’il y a eu le premier arrêté, en juillet 2014. C’était une des promesses de campagne de la nouvelle mairie UMP. Les anciens, le PS, étaient plutôt dans une stratégie de médiation. Résultat, les travailleuses du sexe risquent une amende de 38 euros, possiblement plusieurs fois dans la même journée.
26C’est étonnant, car à Lyon, Gérard Collomb – également du PS – a pondu des arrêtés municipaux il y a déjà belle lurette…
27À Lyon les arrêtés municipaux ont été promulgués avant la loi de sécurité intérieure et ont eu des effets immédiats. Ils poussent les femmes à travailler dans de nouvelles rues, et les riverains de ces rues-là se plaignent, et du coup les femmes sont repoussées au-delà du périphérique. Là, il peut se passer plein de choses. Elles sont très isolées, les tournées pour les associations deviennent plus compliquées, elles se font plus emmerder. À Toulouse, contrairement à Lyon, il n’y a jamais eu de camionnettes. Ici elles travaillent plutôt dans les voitures et dans les appartements. Notre local est dans la partie du quartier historique où il n’y a pas de rues concernées directement par l’arrêté, mais à deux minutes à pied des rues qui leur sont interdites. Ici, à Matabiau, les prostituées sont des femmes plus âgées, plutôt françaises, propriétaires de leur appartement. Le comité de quartier ne s’est jamais plaint, il nous invite à faire des débats, à tenir un stand pendant les fêtes de quartier. Les travailleuses du sexe font vraiment partie de la vie locale. Mais le TGV va bientôt arriver à Toulouse, la gare est juste à côté, le quartier est en voie de gentrification. Pour l’instant les loyers augmentent mais restent malgré tout modérés, car le quartier garde une mauvaise réputation. Mais ça change vite.
28Vous appelez à une manifestation contre ces arrêtés municipaux avec le Syndicat du travail sexuel [5]. En quoi ça vous concerne vous, en tant qu’association de santé communautaire ?
29On a une approche globale de la santé, on est plus sur le préventif que sur le curatif. Et comme on ne va pas découper les personnes, on travaille aussi sur les papiers, le logement, le droit à la Sécu… car les conditions de vie font partie de la santé. Les lois qui visent cette communauté ont un impact direct sur sa santé. La répression augmente le stress et les violences. Quand tu taffes avec la peur de te faire agresser, ou que tu dois retourner travailler juste après une agression, ça a un impact très fort sur ta santé. Le fait qu’aujourd’hui elles bossent huit heures alors qu’avant elles pouvaient ne bosser que quatre heures, ça joue aussi énormément. La prévention VIH, n’en parlons pas ! C’est une demande extrêmement forte des clients de faire des passes sans préservatif, et, dans ce cas-là, les travailleuses du sexe jouent vraiment le rôle d’animatrices de prévention. Mais plus elles ont peur de se faire arrêter par la police, emmener en garde à vue et expulser, plus leur santé passe au second plan. À cause de ces arrêtés, on rame pour amener les sujets sur la santé, parce que ce n’est pas leur urgence du moment.
30Au-delà des arrêtés municipaux, il y a tout un arsenal de répression pernicieuse autour de la prostitution. La loi interdit le « proxénétisme hôtelier », qui peut en fait consister, pour un propriétaire d’appartement, à louer à une personne qui exerce la prostitution. En conséquence, beaucoup d’entre elles logent à l’hôtel. Qui dit hôtel dit malbouffe, parce qu’à l’hôtel, pas de cuisine, et avec peu d’argent, quand tu manges à l’extérieur, tu manges n’importe quoi.
38 euros d’amende, plusieurs fois par jour
31La loi contre le proxénétisme est beaucoup plus large que ce que l’on croit. On imagine toujours le mac qui est en face, qui compte les passes, qui prend les thunes et qui tape la meuf : ça, c’est le « proxénétisme d’extorsion et de contrainte ». Mais en fait la plupart des poursuites ont lieu au motif de « proxénétisme d’aide et de soutien ». Ça peut être tout et n’importe quoi : louer un logement, prêter un véhicule, être conjoint. Ça va très loin : au vu de la loi, si une personne prostituée te paye un café, alors tu profites de l’argent de la prostitution, donc tu es proxénète. C’est une manière d’isoler les personnes, et c’est grave. Il y en a qui ont fait de la prison pour des histoires comme ça : une prostituée est allée en taule pour proxénétisme parce qu’elle louait un logement en colocation avec une autre prostituée.
32Avec la crise, les secteurs d’activité portés par les femmes morflent plus que les autres. On tire sur vos conditions de travail comme sur celles de toutes les femmes qui s’occupent de la santé, de l’éducation. On abuse de ce côté féminin du care, qui fait que, par souci du bien-être des autres, vous continuez malgré tout…
33… et aussi de notre côté « féministe qui ne lâche rien » ! Pour les travailleuses du sexe, c’est pareil, leur condition se dégrade. Avant, l’absence de droits était compensée par l’argent. Elle n’avaient pas droit à la Sécu, mais elles pouvaient se payer les médocs. L’argent permettait plus de solidarité aussi : si l’une se faisait agresser, les autres lui payaient l’hôtel le temps qu’elle se remette. Maintenant ça n’existe plus, elles sont tellement ric-rac. Tout augmente, sauf le prix des passes.
Notes
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[1]
Héritière des mouvements contestataires des années 1970 dans la sociologie, l’urbanisme ou l’éducation populaire, une recherche-action est une recherche « engagée » visant à dégager des propositions d’action concrète à partir d’une enquête de terrain et à l’aide des outils des sciences sociales.
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[2]
Grisélidis Réal (1929-2005) était une écrivaine, peintre et prostituée suisse. En 1975, elle participa à l’occupation par 500 prostituées de la chapelle Saint-Bernard à Paris, contre le harcèlement policier. Elle a revendiqué le rôle social de la « péripatéticienne » et milité pour sa reconnaissance.
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Françoise Guillemaut, Luzenir Caixeta. Femmes et migrations en Europe, stratégies et empowerment, Cabiria-Le Dragon lune, Lyon, 2007 ; Cabiria, Migrantes et travail du sexe, Le Dragon lune, Lyon, 2005.
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À l’heure où Z est mis sous presse, la « proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel » a été votée par l’Assemblée nationale, avec son volet de pénalisation des clients ainsi que la suppression du délit de racolage passif. La loi devrait être définitivement adoptée courant 2015, malgré lesblocages du Sénat.
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Le 27 mars 2015 à Toulouse, à l’appel de Grisélidis et du STRASS, une centaine de personnes ont défilé contre les violences à l’encontre des travailleur-se-s du sexe et contre les lois pénalisant le travail du sexe (lois sur le racolage, pénalisation des clients, arrêtés municipaux).