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Article de revue

Yakaar, Dakar-Dubaï-Guangzhou : trajectoire des commerçantes de Dakar

Pages 97 à 112

Notes

  • [*]
    Yakaar veut dire espoir en Wolof. Ce terme est souvent revenu dans les réponses des femmes à la question : pourquoi vous êtes-vous lancée dans le commerce ?
  • [**]
    Doctorante (EHESS) membre du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (EHESS/CNRS UMR 8173), ad.diallo.sk@gmail.com
  • [1]
    Les Nana benz sont les commerçantes du marché de Lomé qui ont fait fortune dans le commerce de pagnes tissés. Leur appellation provient du fait qu’elles ont été les premières femmes en Afrique à conduire des voitures de la marque Mercedes-Benz.
  • [2]
    Au Sénégal, ce terme de drianké a souvent été utilisé pour désigner une grande commerçante, mais aussi un statut social : un prestige financier (richesse), matériel (nombre de maisons, de voitures), social (nombre de chansons qui lui sont dédiées, nombre de mariages dont elle est la marraine « ndieuké » ou « ndeyalé », nombre de soirées traditionnelles auxquelles elle est invitée comme marraine notamment durant les soirées organisées à Daniel Sorano, etc...), religieux (appartenance à des dahiras, contribution financière lors des cérémonies religieuses au sein du dahira et de la confrérie) mais aussi son atour physique (robes coûteuses, bijoux).
  • [3]
    Fatou-fatou en comparaison aux modou-modou est un terme utilisé pour parler des migrants sénégalais issus pour la plupart du Baol (dans le bassin arachidier), dans la région de Diourbel.
  • [4]
    Entretien avec une commerçante du marché HLM.
  • [5]
    1 € équivaut à 655,96 FCFA.
  • [6]
    Bollywood en comparaison à Hollywood est le terme utilisé pour désigner les films ou les séries indiennes.

1Le commerce a toujours occupé une place importante dans les échanges transsahariens de l’Afrique précoloniale et les femmes ont participé à la circulation des produits agricoles des champs vers les marchés hebdomadaires (loumo) (Ki-Zerbo, 1978). Durant la période coloniale, avec la construction du chemin de fer en Afrique occidentale française, elles ont su profiter du statut d’employés de leurs époux, pères, frères dans le chemin de fer pour faire du commerce entre Bamako et Dakar (Lambert, 1987). Mais c’est vers la fin des années 1970 que le rôle de la femme dans le commerce en Afrique de l’ouest est devenu un objet d’intérêt à travers le mythe des nanas Benz[1] de Lomé et des driankés[2] de Dakar. À Lomé, les nanas Benz ont fait fortune dans la vente des pagnes traditionnels imprimés, les wax ; tandis que les Driankés ont fait leur renommée en s’approvisionnant en marchandises dans les comptoirs africains de Dubaï, Jakarta, Thaïlande ou Hong Kong. Avec les réformes économiques chinoises qui ont été suivies par la crise en Asie du Sud-Est, les villes de Guangzhou et, tout récemment, de Yiwu sont devenues les nouveaux comptoirs où se croisent migrants, intermédiaires et commerçants africains dans une optique d’alimenter les marchés africains en produits made in China.

2 En étudiant la trajectoire Dakar-Dubaï-Guangzhou, cet article traite la question de la migration sous l’angle de l’entrepreunariat féminin en se posant les questions suivantes : comment les femmes ont-elles réussi à s’insérer dans le commerce international ? Comment la migration et l’émergence des comptoirs de Dubaï et de Guangzhou ont-ils contribué à l’entrepreneuriat féminin ? Face à la concurrence chinoise sur leur propre terrain, quelles stratégies ont-elles mises en œuvre ? Et, étant toutes membres de groupements de commerçants, comment utilisent-elles leurs réseaux, associations et groupements pour défendre leurs intérêts dans leurs activités commerçantes, notamment avec la Chine ?

3 Mais tout d’abord, il s’agit de faire un état des lieux de la littérature. Nous verrons ensuite comment le commerce est devenu la pierre angulaire de l’économie sénégalaise et comment les femmes sont parvenues à s’y insérer.

ÉTAT DE LA LITTÉRATURE

4 Les premières études sur les commerçantes au Sénégal ont été menées par Agnès Lambert (1987) ; elles montraient les processus et stratégies d’insertion des femmes dans le commerce mondial et sous-régional, et l’importance des réseaux construits en fonction des besoins et des circonstances des voyages. Daouda Dianka (2006-2007) a élargi le groupe aux fatou-fatou [3] et a montré comment le commerce est devenu une activité qui a permis aux migrantes de se positionner au Sénégal et en France et de s’intégrer au sein de la communauté sénégalaise d’accueil. Il a montré la centralité du religieux et de la confrérie et les liens étroits qui se sont construits entre la migration, le commerce et l’appartenance confrérique. L’article d’Eva Rosanders (2005) a confirmé l’interaction entre le caractère religieux et le commerce, et mis en exergue le caractère cosmopolite de ces femmes qui voyagent de pays en pays en fonction des saisons, de l’offre et de la demande. Tandis que Ferdaous Hardy et Jeanne Semin (2009), dans leur article, sont sortis du groupe des migrantes fatou-fatou pour s’intéresser aux grandes commerçantes et aux mécanismes mis en place pour démocratiser le Pèlerinage à La Mecque avec la création des loteries de billets. Le parcours de la première vague des grandes commerçantes a été longuement exposé dans l’ouvrage de Fatou Sarr (1998) qui a su démontrer le pragmatisme et la capacité d’adaptation de ces femmes dans leurs entreprises commerçantes et dans la société patriarcale sénégalaise. Mais une des premières à s’intéresser au commerce et à la migration africaine dans les comptoirs d’Asie du Sud-Est, de Dubaï et de Guangzhou est Sylvie Bredeloup. Sous l’angle de l’aventure et de la quête de l’autonomie des femmes commerçantes (Bredeloup, 2012), elle a étudié les processus d’établissement d’une communauté de migrants africains dans les comptoirs de Dubaï et de Guangzhou (Bredeloup, 2012 ; Bertoncello, Bredeloup, 2009), les liens et interactions entre les commerçants africains et leurs homologues migrants africains établis dans ces comptoirs, et la trajectoire des commerçantes dans ces villes.

L’APPARITION DU COMMERCE COMME PIERRE ANGULAIRE DE L’ÉCONOMIE SÉNÉGALAISE

5 Le commerce, depuis la période coloniale, a été le pilier de l’économie sénégalaise et le bassin arachidier en était le cœur. Destination de toutes les migrations de l’époque coloniale, les échecs des politiques postindépendances et les sécheresses successives ont fait de cette zone la principale aire de départ de l’exode rural. Cette population rurale s’est ajoutée à une population citadine affectée par les politiques d’ajustements et a poussé ces dernières à choisir comme alternatives de survie l’émigration ou le commerce, voire les deux.

6 L’économie du Sénégal colonisé, capitale de l’Afrique occidentale française (AOF), reposait sur l’exploitation de l’arachide. Toute une infrastructure était construite autour du bassin arachidier qui la reliait à l’intérieur de l’AOF et aux ports. Par exemple, le chemin de fer Dakar-Bamako construit en 1923, qui reliait le Soudan (Mali) aux ports du Sénégal (Dakar, Rufisque, Saint-Louis), permettait l’acheminement des matières premières du Niger au Mali, puis au Sénégal.

7 Il permettait aussi aux populations de l’intérieur en quête de travail saisonnier de migrer vers le bassin arachidier. Celles-ci, soumises à l’impôt de capitation, y séjournaient pendant les navetanes. Les revenus gagnés leur permettaient de s’acquitter de leurs impôts et de subvenir à leurs besoins. En dehors des migrants périodiques, le bassin était aussi une zone de sédentarisation pour les disciples des marabouts sufis mourides et tidianes (Diop, 2004). Ceux-ci voyaient en ces lieux saints, des espaces de libertés où ils pouvaient pratiquer librement leur foi, mais aussi de refuge face aux exactions commises par les colons dans les royaumes traditionnels. C’est ainsi qu’entre 1910 et 1950, période de l’âge d’or de l’arachide (Fall, 2011, p. 51), le bassin arachidier connut une forte poussée démographique qui conduisit à une réduction de la surface cultivable en culture vivrière et arachidière.

8 Au lendemain des indépendances, la politique économique du Sénégal, fondée sur l’exploitation arachidière, s’inscrivit dans la continuité de la période coloniale. Cependant, celle-ci fut un échec, induit aussi bien par des facteurs endogènes, qu’exogènes. D’une part, la surexploitation de la terre réduisit considérablement les rendements. De l’autre, la France, principale destination de l’arachide, choisit de baisser sa demande et de mettre fin aux subventions des matières premières en provenance de ses anciennes colonies. Dans les années 1970, l’État décidait de l’arrêt de ses subventions, décision à laquelle s’ajoutaient les sécheresses des années 1970 et les chocs pétroliers de 1973 et 1979. L’État du Sénégal, qui comptait sur ses exportations pour financer son industrialisation, se retrouva dans l’impasse, déficitaire et incapable de financer sa politique. Tous ces éléments combinés firent du bassin arachidier une nouvelle zone d’émigration vers les centres urbains. Ce fut l’exode rural qui fit de Dakar le principal pôle d’accueil de ces migrants.

9 Principale zone de concentration des industries (textile, pêche, parfumeries, fabrication de chaussures, d’allumettes, huileries, etc.), Dakar était perçue par ces migrants comme la seule alternative pour trouver un emploi durable. Mais, à partir de 1979, afin de pallier les déficits récurrents, le Sénégal fut soumis aux politiques d’ajustement structurel. À partir du IVe Plan, les difficultés financières poussèrent le pays à recourir aux institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI), ce qui aboutit, en 1979, à la première phase d’ajustement. De 1979 à 1992, trois plans se succédèrent (1979-1980, 1980-1985, 1985-1992) aboutissant à la dévaluation du franc CFA de 100 % en 1994. Durant la période 1985-1992, les nouvelles politiques industrielles et agricoles eurent pour conséquences, d’une part, la fermeture des entreprises publiques et semi-publiques et, de l’autre, des vagues de licenciement ou de départs volontaires. Les réformes du Code du travail, avec la suppression des CDI et des remplacements en cas de retraite (Ly, 2002), réduisirent les chances de trouver un emploi durable. Ces populations candidates à l’exode furent elles aussi frappées par le chômage qui les poussa à choisir entre le commerce et la migration.

10 Mais l’exercice d’une activité commerçante était soumis à une autorisation préalable du gouvernement. Dès lors, l’alternative pour ces nouveaux venus fut de se lancer dans des activités informelles telles que la revente des produits recyclés comme la ferraille, le commerce intra-régional de marchandises en provenance de la Gambie et de la Mauritanie, la redistribution de produits achetés auprès des commerçants libano-syriens. Face aux contrôles récurrents, ces derniers demandèrent une libéralisation du commerce sénégalais avec une ouverture de l’activité pour toutes les personnes voulant faire du commerce.

11 Ces revendications émergèrent lors d’une période de tensions sociopolitiques : contestation des élections de 1988, conflit sénégalo-mauritanien, fermeture des entreprises étatiques et des vagues de licenciements avec les nouvelles politiques agricoles et industrielles (1985-1992). Afin de calmer la pression sociale, ajoutée à celle de la Banque mondiale pour la libéralisation, l’État mit fin aux politiques commerciales protectionnistes en 1994. Cette ouverture eut pour effet de favoriser l’expansion du commerce. Dorénavant, les commerçants pouvaient eux aussi voyager pour s’approvisionner en marchandises, revendues dans les marchés dakarois. Et les femmes, elles aussi, se lancèrent dans ces activités.

L’INSERTION DES FEMMES DANS LE COMMERCE

12 L’exode rural et la migration ont favorisé l’extension de la cellule familiale avec des créations d’associations de membres de mêmes villages, de tours de familles et des dahiras. Certes ces formes de regroupements familiaux, sociaux et religieux existaient durant la période coloniale, mais, face aux difficultés des années 1970-1980, elles connurent une plus grande visibilité et, surtout, elles acquirent une dimension économique. C’est dans ce contexte que les premières femmes se lancèrent dans le commerce.

13 Mais, contrairement aux croyances populaires, les premières commerçantes internationales étaient des femmes éduquées (fonctionnaires, banquières, secrétaires) qui avaient une carrière professionnelle. Elles profitaient de leurs congés et de leurs relations (famille, amis) pour voyager, principalement en Europe et aux États-Unis. Certaines utilisaient leurs avantages matrimoniaux ou socioprofessionnels pour financer des voyages et faire entrer des marchandises à Dakar (Lambert, 1987). Que ce soit en Europe ou aux États-Unis, l’élargissement des communautés africaines entraînait une forte demande en produits africains et leur permettait de développer un commerce où, à l’aller, elles approvisionnaient le cercle de connaissances en produits locaux. Au Sénégal, malgré les politiques d’ajustement structurel, la migration et l’ouverture du pays nourrissaient le mythe d’un monde extérieur meilleur qu’il fallait reproduire, voire imiter. Saisissant cette opportunité, elles s’approvisionnaient en biens de consommation (balladeur, paires de baskets, vêtements, etc.) qu’elles écoulaient auprès de leurs connaissances (famille, collègues de bureau, membres d’associations) à Dakar au retour de leur séjour.

14 D’un nombre infime à leurs débuts, le groupe s’élargit, grâce à la libéralisation du commerce dans les années 1990, qui permit l’extension de l’activité commerçante aux femmes de toutes les couches sociales. Cette ouverture coïncida avec des politiques migratoires restrictives en Europe et aux États-Unis et à l’émergence de l’Asie du Sud-Est comme nouvel eldorado du commerce international. De Bangkok et Jakarta, elles continuèrent leurs périples vers Dubaï et, tout récemment, vers la ville de Guangzhou qui a réussi à s’imposer comme principale destination d’approvisionnement des commerçants africains.

À L’ÉCOLE DE DUBAÏ

15 Les premières trajectoires étaient étroitement liées au religieux. Les premières commerçantes-migrantes s’exerçaient à cette activité à travers les pèlerinages. Les femmes tidianes (confrérie tidiane de Tivavouane) profitaient de leurs pèlerinages à Fès pour écouler des marchandises. Elles s’approvisionnaient sur place de biens qu’elles ramenaient au Sénégal, toujours dans des valises. Cette pratique s’étendit vers d’autres destinations religieuses, parmi lesquelles La Mecque.

16 À partir de La Mecque, de nouvelles destinations firent leur apparition dans les années 1990, comme Bangkok, Jakarta ou Hong Kong. Ce commerce s’épanouit grâce aux compatriotes sénégalais qui s’y installèrent et qui servaient d’intermédiaires et de transitaires pour les commerçants qui s’approvisionnaient en marchandises. Ces destinations, qui à leurs débuts étaient exclusivement masculines, furent découvertes par les femmes et devinrent une nouvelle source d’approvisionnement en or et broderies (Thaïlande), et en vêtements prêt-à-porter (Indonésie, Malaisie). Avec la crise des années 1990 des pays d’Asie du Sud-Est, les centres commerciaux se déplacèrent vers la Turquie et Dubaï, devenus le pôle le plus dynamique de ce commerce.

17 Dubaï servait d’école à plusieurs commerçantes débutantes. Pour les femmes interviewées, les principales raisons pour lesquelles elles se lancèrent dans le commerce avec Dubaï étaient dues aux facteurs suivants.

18 Tout d’abord, cette destination avait déjà été explorée par d’autres commerçantes avant elles. Elles étaient sûres de trouver dans leur entourage une femme qui faisait cette trajectoire commerçante. Et, pour celles qui avaient décidé de se lancer dans l’aventure seules, elles espéraient rencontrer en cours de route, dans l’avion, pendant l’escale ou à l’hôtel, une compatriote expérimentée qui les initierait volontiers au commerce. Comme si les plus aguerries avaient ce devoir d’assistance et d’initiation envers les nouvelles venues, comme cela avait été le cas pour elles.

19 Ensuite, s’approvisionner à Dubaï était plus accessible à celles qui n’avaient pas fait d’études. Commercer avec des fournisseurs occidentaux requerrait une maîtrise de la langue, mais aussi des procédures commerciales (lettres de créance, comptes en banques, garanties et assurances etc.). Et puisqu’une majorité d’entre elles se lançaient dans le commerce pour la première fois, exerçant leurs activités dans le secteur dit informel, l’inexistence de procédures contraignantes, ajoutée à la présence d’une aide basée sur place et d’un groupe de pionnières expérimentées représentaient un avantage.

20 Un autre avantage portait sur l’organisation de la ville et la possibilité d’accéder à toute une gamme de produits dans un seul espace. Cette destination avait pour avantage de réduire les coûts d’approvisionnement et de distribution. En un voyage, elles accédaient à une large gamme de produits qui leur permettait de ne pas engranger d’autres frais de voyage vers d’autres destinations. Elles pouvaient remplir les conteneurs de plusieurs types de produits et réduire les risques de se retrouver avec des stocks d’invendus.

21 Le voyage était financé grâce à des sources diverses. Certaines complétaient les gains d’une tontine avec ceux d’un petit commerce. D’autres voyageaient grâce à une épargne complétée avec l’aide d’un ou de plusieurs membres de la famille. Une fois arrivées, elles échangeaient leurs devises auprès des compatriotes installés sur place qui leurs servaient d’agents de change, d’intermédiaires, d’interprètes, voire d’hôtes. Prudents, les premiers achats portaient sur de petites quantités transportées dans leurs valises. Une fois à Dakar, elles faisaient jouer leurs relations (parents, amis, collègues, associations) pour faire dédouaner leurs marchandises à moindre coût.

22 Ces premiers voyages étaient un essai. Elles apprenaient à connaître les circuits d’approvisionnement et de distribution. Et les premières cibles de ces femmes étaient confinées dans leurs sphères sociales. L’entourage familial et les réseaux sociaux auxquels elles appartenaient représentaient une opportunité pour écouler leurs marchandises présentées lors des cérémonies religieuses et des rencontres au sein des dahiras. Elles utilisaient les membres de la famille (sœur, belle-sœur) et les amies qui, à leur tour, faisaient la publicité au sein de leurs propres réseaux (professionnels, amicaux, sociaux). En même temps, n’ayant pas encore la capacité d’ouvrir de boutiques, celles qui avaient une voiture mettaient leurs marchandises dans le coffre pour les présenter aux acheteurs sur les marchés de Sandaga et de HLM. Mais, au fur et à mesure qu’elles acquirent de l’expérience, elles gagnèrent en assurance. Leur maîtrise des rouages du métier leur permit de viser plus haut.

23 Tout d’abord, elles développèrent des compétences liées à l’étude et à la maîtrise de l’offre et de la demande sur le marché. Avec l’émergence d’une classe moyenne, précisément composée d’entrepreneurs (grâce à la libéralisation), et la percée économique des migrants et de leurs familles, elles saisirent les opportunités qu’offrait ce nouveau contexte. En dehors des vêtements et des accessoires féminins, d’autres marchés furent ciblés, tels que les matériaux de construction et les pièces de voitures.

24 Avant leurs voyages, elles faisaient le tour des clients potentiels, prenaient les commandes et convenaient des prix. Leur liste en main, à Dubaï, elles s’approvisionnaient en fonction de ces commandes et, en même temps, se fournissaient pour alimenter leurs propres réseaux, en fonction de la période (fêtes religieuses, ouverture des classes) et des goûts des consommatrices. Une fois la marchandise dédouanée à son arrivée au port de Dakar, les clients récupéraient sur place leurs commandes. La moitié était payée sur place tandis que le reste se remboursait sur une ou plusieurs échéances. Le surplus était mis dans la voiture et elles démarchaient les clients. Les cérémonies permettaient de montrer les marchandises à d’autres femmes et de les écouler. Les boutiques et les intermédiaires étaient aussi utilisés comme moyen d’exposition et de distribution. Cette fluidité des échanges leur permettait, dès la réception du conteneur, d’avoir les liquidités nécessaires pour le voyage suivant.

25 Les gains du commerce étaient réinvestis dans le commerce. Ils permettaient de financer les prochains voyages qui duraient plus longtemps, avec des quantités de marchandises plus conséquentes et des destinations supplémentaires (Istanbul, Bangkok, Jakarta, Hong Kong). Ils étaient aussi réinvestis dans la cellule familiale et l’entourage proche. Les enfants étaient inscrits dans de bonnes écoles, les boutiques qu’elles ouvraient dans Dakar étaient laissées à la gestion d’un frère, d’un neveu ou d’un autre membre de la famille. Certaines finançaient les projets de migration des jeunes membres de leurs familles et fournissaient des marchandises aux sœurs, cousines, afin qu’elles se lancent dans le commerce.

26 Mais cela ne les empêchait pas d’investir dans l’économie du prestige qui consistait à distribuer des sommes pharamineuses lors des cérémonies familiales (baptêmes, mariages), d’assister en tenue d’apparat aux soirées traditionnelles à Daniel Sorano, soirées lors desquelles ces dernières distribuaient des billets aux griots qui scandaient leur généalogie. Ces démonstrations suscitèrent des rumeurs en tous genres et contribuèrent à la création du mythe de la drianké, grande commerçante riche, parée de boubous et bijoux en or et qui distribuait sans compter son argent lors des cérémonies, argent gagné dans une activité qui n’était pas toujours licite, voire peu « vertueuse ». Mais ces démonstrations n’étaient pas anodines et répondaient à une stratégie d’entreprise cohérente. Cette extravagance était un moyen de se mettre en avant afin de mieux positionner son entreprise. Se faire filmer lors d’une cérémonie à Daniel Sorano ou être le seul objet d’un clip permettait de se faire connaître et reconnaître, d’être identifiée, visible dans la masse. Cela montrait une stabilité professionnelle, une solvabilité et une crédibilité. Les bijoux étaient utilisés comme accessoires d’apparat, mais représentaient aussi une épargne puisqu’ils permettaient à ces dernières de les revendre ou de les mettre en gage pour reconstituer un fonds de roulement ou solder des dettes. Par conséquent, faire un emprunt auprès d’une banque devenait plus facile. C’était aussi le cas pour les transitaires et les douanes. Être connue permettait d’étendre le réseau de clients, de fournisseurs et de toutes personnes ou corps de métiers qui contribuaient à faciliter l’activité commerçante.

27 Par ailleurs, elles utilisaient cette notoriété pour élargir leurs groupes en créant des associations et groupements de femmes. Comme une toile d’araignée, elles se sont interconnectées et élargies. De nos jours, il est courant de voir une femme membre d’un groupement de femmes commerçantes être en même temps liée à d’autres associations de femmes qu’elles soient religieuses ou sociales. Ces groupements ont été élargis à d’autres femmes issues du milieu rural, ou à d’autres secteurs d’activité comme la transformation de produits alimentaires ou travaillant dans les ressources halieutiques. Elles ont su s’organiser pour répondre à leurs besoins immédiats. Au sein de ces groupements, des mutuelles ou des fonds de crédits ont été mis en place pour soutenir leurs activités commerçantes ou aider une des membres en cas de difficulté. Des tontines ont été créées pour permettre à tous les membres de partir en pèlerinage à La Mecque grâce à des systèmes de loteries (Hardy, Semin, 2009). Des conférences religieuses et une assistance aux personnes démunies étaient et continuent à être organisées tout au long du mois du ramadan.

28 En résumé, à l’école de Dubaï, ces femmes ont appris à maîtriser les rouages de l’entreprise. Le fait d’être en relation avec d’autres femmes venues d’autres pays d’Afrique leur a permis de connaître les tendances vestimentaires à la mode dans les autres régions et les ramener à Dakar. Elles s’approvisionnaient en accessoires ou en vêtements qui répondaient à la demande du marché et qu’elles savaient écouler dès leur retour, mais s’inspirant d’autres goûts venus d’ailleurs, elles ramenaient, dans leurs valises et conteneurs, de nouvelles modes. Cette stratégie est toujours utilisée. À titre d’exemple, depuis quelques années, la lutte traditionnelle est devenue le principal sport au Sénégal. Un des lutteurs a créé un slogan Takk ci ripp repris par des chanteurs. Un groupe de commerçantes s’est approprié ce slogan en donnant à un tissu importé la même appellation pour la fête de korité (l’Aïd al-Fitr). Ces tissus ont connu le même succès que le lutteur et son slogan. De plus, ces voyages leur ont permis de s’inspirer du modèle commercial des comptoirs de Dubaï mais aussi de Turquie. Tout en vendant en détail, elles vendent aussi en gros, et il n’est pas rare de se faire offrir un thé ou un café dans certaines boutiques, pendant que l’on vous montre les nouveaux arrivages et les nouvelles tendances. Tout comme cela se fait dans le Grand Bazar d’Istanbul et à Dubaï. En fonction des circonstances elles ont su faire preuve de pragmatisme, toujours en quête de nouveautés susceptibles de marcher.

29 Si Dubaï continue à être une plaque tournante du commerce, la Chine, spécialement la ville de Guangzhou dans la province du Guangdong (Canton), en est devenue le centre.

GUANGZHOU : NOUVELLE SOURCE D’APPROVISIONNEMENT ET STRATÉGIES D’ADAPTATION DES COMMERÇANTES

30 Cette destination est apparue comme une continuation logique de la trajectoire Dakar-Dubaï. Dès 1957, la province du Guangdong organisait à Canton (ou Guangzhou selon la transcription actuelle) la première foire internationale, qui se déroule depuis régulièrement. En 1978, elle a été la première province à bénéficier de la politique d’ouverture de la Chine. Les villes de Shenzhen, Zhuhai, Huizhou et Shantou ont été les premières zones économiques spéciales créées en Chine pour attirer l’investissement étranger, dont celui de la diaspora chinoise de Hong Kong, de Macao et d’Asie du Sud-Est. Les préférences et politiques d’incitation à l’investissement étranger ont fait de Canton le centre du commerce international, voire mondial.

31 Et c’est en toute logique que les Africains se sont installés dans la ville de Guangzhou. Dans les années 1960, des étudiants africains originaires de pays prochinois ont bénéficié de bourses de la Chine pour y poursuivre leurs études (Gaye, 2006). Une fois leurs études terminées, certains ont préféré s’établir à Hong Kong (Chungking Mansions) ou en Asie du Sud-Est pour créer les premiers comptoirs africains de Bangkok, Jakarta, etc. La crise en Asie du Sud-Est, qui a coïncidé avec l’émergence de la Chine comme atelier du monde, a poussé ces derniers à migrer vers Guangzhou. Soit ils ont migré en laissant un membre de leur famille continuer la gestion de l’entreprise, soit ils ont envoyé des parents en Chine pour s’y installer. À ceux-là, se sont rajoutés des aventuriers, ceux qui ont été envoyés par leur famille (Bertoncello, Bredeloup, Pliez, 2009) venus profiter du succès chinois et servir de pont entre la Chine et l’Afrique (Bodomo, 2010, 2012 ; Haugen, 2012 ; Matthews, 2011). Et cette même démarche a été réalisée par les commerçants africains, parmi lesquels les femmes.

32 En termes de circuits et de gammes de produits, la nouvelle destination chinoise est la continuation de la trajectoire commerçante de ces femmes en Asie du Sud-Est, en Turquie et à Dubaï. Certes, il existe des intermédiaires africains installés à Guangzhou, mais les femmes que j’ai pu interviewer suivent la même stratégie qu’à Dubaï. À plusieurs, elles parcourent la ville en quête du produit qui fera fureur. C’est seulement lorsque leurs commandes sont terminées qu’elles impliquent dans leur parcours commercial un transitaire sénégalais qui se charge de chercher la marchandise et de la livrer au port pour vérification et embarquement. Avec les années, elles commencent à comprendre les bases linguistiques chinoises qui leurs permettent de choisir elles-mêmes leurs produits, de négocier les prix et de fixer elles-mêmes les délais de livraison.

33 Par contre, le contexte a changé. Tout d’abord, le marché est saturé. Comme le dit une des femmes interviewées, « avant le commerce était un secret. Très peu de femmes exerçaient le commerce et connaissaient les filières. Lorsque l’on amenait un conteneur, nous étions sûres à l’avance que la marchandise serait écoulée, ce qui nous permettait de financer d’autres voyages. Aujourd’hui, tout le monde fait la même chose » [4].

34 De nos jours, l’exercice du commerce est accessible à toutes les couches sociales. Il n’y a pas de diversification du marché, les commerçants vendent les mêmes produits et s’approvisionnent aux mêmes sources. Cette multiplicité d’acteurs sur un marché restreint a réduit les marges de profit. D’autant plus qu’une concurrence sévère existe entre elles. Une commerçante n’hésitera pas à pratiquer des prix extrêmement bas pour écouler sa marchandise. Une des femmes interviewées a partagé l’expérience d’un tissu que ses copines et elle-même avaient importé pour la fête de korité (l’Aïd al-Fitr), vendu à 8 000 francs CFA [5] la pièce. Vu le succès remporté par le lot, il s’est retrouvé sur le marché à 4 000, voire 3 500 francs CFA, parce que d’autres commerçantes s’étaient approvisionnées en quantité massive et avaient inondé le marché du même tissu.

35 Pour expliquer ce phénomène, certaines accusent les mutuelles de crédit qui ont permis à toutes les femmes d’avoir accès au crédit pour financer leurs voyages. Mais ce discours paraît assez confus et ambigu. En mettant en place des groupements de femmes, elles ont ouvert cette activité aux autres femmes en leur montrant les filières d’approvisionnement. De plus, elles ont créé des mutuelles ou des systèmes de financement alternatifs pour permettre à leurs membres d’accéder aux fonds de départ. Et puisque toute entreprise est mue par une logique de concurrence et de conquête de parts de marché, il est logique qu’elles se soient toutes retrouvées à se concurrencer sur un marché de plus en plus restreint.

36 En dehors de la concurrence entre commerçantes, elles partagent le marché avec d’autres concurrents : les commerçants chinois, les intermédiaires africains basés en Chine et les tabliers.

37 Le Sénégal a reconnu la République populaire de Chine au détriment de Taïwan en 2005 (Dansoko, Niang, 2012). Bien avant cette reconnaissance, dès 1983, l’entreprise chinoise Henan China avait remporté des chantiers au Sénégal, parmi lesquels la construction du stade de l’Amitié (Dittgen, 2010). Certains de ces travailleurs se sont installés à Dakar pour faire du commerce. La migration chinoise fut visible avec l’ouverture des échoppes commerçantes sur le boulevard du Général De Gaulle – communément appelé Boulevard du Centenaire (Bredeloup, Bertoncello, 2006). Cette présence chinoise a suscité de vives réactions des commerçants nationaux (Kernen, Vulliet, 2008). L’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois), dont le siège se situe à la place de l’Obélisque à quelques mètres du boulevard du Centenaire, regroupe les commerçants importateurs qui s’approvisionnent pour la grande majorité en Europe, aux États-Unis et dans les comptoirs d’Asie. En 2002, l’Union accusait les commerçants chinois de « concurrence déloyale et de fraude sur les exportations » (Marsaud, 2002). En 2004, elle organisait une marche contre les activités des commerçants chinois au Sénégal accusés « d’exercer illégalement leur activité sur le territoire ouest-africain ». La réponse de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen) fut d’organiser une contremarche estimant « pour sa part que cette accusation cache un discours en réalité xénophobe et raciste » (Bangré, 2004).

38 Cet espace s’est élargi au garage Petersen. Le boulevard du Centenaire et le garage Petersen sont dorénavant les deux aires qui regroupent les commerçants chinois. Les commerçants chinois sont installés dans les boutiques et vendent aussi bien en gros qu’en détail. Juste en face de leurs boutiques, des marchés se sont constitués qui regroupent des jeunes et des femmes qui s’approvisionnent auprès de ces commerçants pour revendre sur leur table. Tout un microcosme est venu se greffer à cet espace où taxi-bagages et pousse-pousse (qui acheminent la marchandise), bus de transport et vendeurs de gargote s’entremêlent. Ces espaces sont exclusivement dédiés aux commerçants chinois.

39 De l’autre côté, les commerçants affiliés à l’Unacois se trouvent pour la plupart aux marchés Sandaga (situé au cœur de la capitale) et d’HLM où se concentre le plus grand nombre de commerçantes qui font le voyage Dakar-Dubaï-Guangzhou. Au marché HLM, les boutiques sont souvent gérées par des membres de la famille. Le commerçant-voyageur approvisionne sa propre boutique tout en fournissant ceux qui ne peuvent pas voyager. De prime abord, il n’y a pas d’interaction entre eux et les commerçants chinois, chacun étant en quelque sorte confiné dans sa propre sphère d’influence avec ses réseaux de clients-fournisseurs.

40 Cependant, cette image est biaisée par les marchands ambulants et tabliers, composés en majorité de jeunes (issus de l’exode rural ou de jeunes diplômés au chômage) qui s’approvisionnent chez les commerçants chinois et viennent installer leur table devant les boutiques des commerçants nationaux, au marché HLM. En quelque sorte, ils les défient sur leurs propres terrains. De plus, les intermédiaires installés en Chine possèdent aussi leurs boutiques ou fournissent un ou plusieurs membres de leur famille en marchandises qu’ils exportent à partir de Guangzhou. Autant ceux-ci sont des alliés en Chine, autant ils sont des concurrents qui veulent aussi leurs parts du marché au pays. Leurs connaissances du terrain, de la langue et du marché leur permettent d’être à l’avant-garde des opportunités qui se présentent et cela fait d’eux de nouveaux concurrents.

41 Quelles stratégies adopter ? Leur capacité d’adaptation aux fluctuations du marché leur a permis de cibler de nouvelles destinations. Aujourd’hui, Bombay est une destination prisée. Le Brésil est même devenu une source d’approvisionnement. Cela est dû aux téléfilms de Bollywood [6] et aux télénovelas brésiliennes projetés par les télévisions publiques et privées avant le journal télévisé. En allant chercher à la source le mode d’habillement des actrices (vêtements, saris, bijoux, cheveux naturels), elles ont su susciter, auprès des jeunes femmes sénégalaises, une demande. Sur ce terrain, elles seront toujours en avance par rapport aux commerçants chinois puisqu’elles connaissent l’environnement socioculturel et bénéficient d’une grande mobilité.

42 Face aux coûts élevés, elles ont noué des relations de confiance avec les compatriotes basés à Dubaï ou en Asie du Sud-Est. Elles utilisent aussi les moyens modernes pour communiquer avec leurs partenaires. À titre d’exemple, consciente de son incapacité à financer des séjours dans plusieurs pays, une des femmes interviewées ne se déplace plus à Bangkok pour ses achats. Elle a un intermédiaire à qui elle envoie sa commande (références, couleurs, taille etc.). Ce dernier visite les usines de production textile, et lui envoie les échantillons par une entreprise postale privée comme DHL. Lorsque les choix sont conformes à sa demande, elle lui envoie une confirmation par courriel ou télécopie et lui fait un premier virement. La relation de confiance qui s’est instaurée entre la commerçante et son intermédiaire lui permet de réduire ses coûts.

43 La Chine, contrairement à Dubaï, a permis à certaines femmes de diversifier leurs activités. L’une d’entre elles, commerçante à ses débuts, s’est lancée dans la vente d’équipements de coiffure. Consciente de la floraison des écoles de coiffure, elle a elle-même décidé de se lancer dans la coiffure. Elle a ouvert son salon qui fait aussi office d’école. Malgré son manque d’expérience, elle a embauché des jeunes femmes expérimentées et confié la gestion à sa sœur. À travers ce salon, elle a su diversifier ses activités tout en continuant le commerce, puisqu’en dehors de sa boutique, cet espace lui sert de vitrine d’exposition de ses marchandises. Cela lui permet de gagner une nouvelle clientèle (clientes et employées du salon).

44 L’émergence des nouvelles destinations chinoise et indienne représente des opportunités supplémentaires. L’industrialisation de la Chine et les prix abordables permettent à ces femmes d’adopter de nouvelles stratégies pour réduire leurs coûts. Elles vont acheter des marchandises (les châles) en Inde qu’elles font fabriquer en grande quantité en Chine. Ce même procédé a été utilisé par certaines des commerçantes togolaises (nana Benz), qui font produire les pagnes dans les usines chinoises pour les revendre sur les marchés de Lomé.

CONCLUSION

45 Dans le contexte actuel, trois points sont à souligner.

46 Tout d’abord, la question de la pérennité de l’activité commerçante. Les politiques migratoires limitent de plus en plus la circulation des biens et des personnes. Le marché se rétrécit puisque que leurs enfants empruntent le même parcours, en exerçant les mêmes activités. À la question de savoir comment elles se projettent dans le futur, certaines femmes ont émis l’idée d’un retournement de situation où ce ne serait plus à elles de s’approvisionner ailleurs en marchandises, mais d’être les fournisseurs de migrants venus se fournir à Dakar. Selon l’une d’entre elles : « Aujourd’hui, nous avons voyagé partout dans le monde. Nous savons appris à faire la différence entre bonne et mauvaise qualité. Depuis que j’ai commencé à faire du commerce, nous sommes confinées dans ces activités. Nous allons de destinations en destinations. Et pourtant nous pourrions faire mieux. Nous pouvons avoir nos usines, produire et revendre. Que les personnes viennent à Dakar pour s’approvisionner comme nous le faisons à Dubaï, en Chine ». Mais, pour ce faire, des initiatives doivent être prises pour favoriser le saut vers l’industrialisation. Le ministère de la Femme et de l’entrepreneuriat féminin a initié le Fonds de promotion de l’entrepreneuriat féminin, mais aucun des groupements auxquels sont affiliées ces femmes n’y a été impliqué. L’Agence de développement des petites et moyennes entreprises (ADPME) et l’Agence pour la promotion de l’investissement (APIX), le ministère du Commerce et celui de l’Industrie n’ont pas de relations poussées avec ces femmes. Sachant qu’elles sont les premières à être appelées lorsqu’il s’agit de la quinzaine de la femme ou d’autres activités de folklore. Quant au ministère des Sénégalais de l’extérieur, il ne se considère pas comme concernées par elles.

47 Dans leur commerce avec la Chine, certaines ont fait état de conteneurs arrivés à Dakar avec des erreurs de commandes, ou tout simplement des marchandises défectueuses. Elles sont membres de groupements commerçants puissants comme l’Unacois. Celles qui ont leurs propres associations sont connues du fait des activités qu’elles mènent au sein de la société civile sénégalaise. Et pourtant, les nouvelles relations sino-africaines ont donné naissance à des mécanismes qui pourraient leur être utiles, mais dont elles ne sont pas informées. La Chine et les pays africains organisent depuis 2000 le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), qui se déroule tous les trois ans. Depuis 2006, ils organisent, en marge du FOCAC, le Forum sur l’entrepreneuriat (FOCAC Business Forum). Et en 2009, ils ont créé le Forum juridique du FOCAC (FOCAC Legal Forum). Même si les questions de genre commencent à être timidement évoquées dans les plans d’actions, les commerçantes et leurs groupements ne sont pas invités lors de ces rencontres.

48 L’autre point est la définition même du migrant. Même si leurs séjours les plus longs ne dépassent pas le mois, elles sont soumises aux lois et aux politiques migratoires. Leurs situations se rapprochent davantage des travailleuses migrantes et devraient êtres incluses dans les politiques migratoires.

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

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Mots-clés éditeurs : Dubaï, relations Chine-Afrique, commerce, Femmes

Mise en ligne 28/04/2014

https://doi.org/10.3917/rtm.217.0097

Notes

  • [*]
    Yakaar veut dire espoir en Wolof. Ce terme est souvent revenu dans les réponses des femmes à la question : pourquoi vous êtes-vous lancée dans le commerce ?
  • [**]
    Doctorante (EHESS) membre du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (EHESS/CNRS UMR 8173), ad.diallo.sk@gmail.com
  • [1]
    Les Nana benz sont les commerçantes du marché de Lomé qui ont fait fortune dans le commerce de pagnes tissés. Leur appellation provient du fait qu’elles ont été les premières femmes en Afrique à conduire des voitures de la marque Mercedes-Benz.
  • [2]
    Au Sénégal, ce terme de drianké a souvent été utilisé pour désigner une grande commerçante, mais aussi un statut social : un prestige financier (richesse), matériel (nombre de maisons, de voitures), social (nombre de chansons qui lui sont dédiées, nombre de mariages dont elle est la marraine « ndieuké » ou « ndeyalé », nombre de soirées traditionnelles auxquelles elle est invitée comme marraine notamment durant les soirées organisées à Daniel Sorano, etc...), religieux (appartenance à des dahiras, contribution financière lors des cérémonies religieuses au sein du dahira et de la confrérie) mais aussi son atour physique (robes coûteuses, bijoux).
  • [3]
    Fatou-fatou en comparaison aux modou-modou est un terme utilisé pour parler des migrants sénégalais issus pour la plupart du Baol (dans le bassin arachidier), dans la région de Diourbel.
  • [4]
    Entretien avec une commerçante du marché HLM.
  • [5]
    1 € équivaut à 655,96 FCFA.
  • [6]
    Bollywood en comparaison à Hollywood est le terme utilisé pour désigner les films ou les séries indiennes.
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