Notes
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[*]
Nous remercions les familles enquêtées pour leur aimable collaboration, Babacar Gning pour son efficace travail d’interprétariat, Bernard Taverne et Agnès Adjamagbo pour leurs précieux conseils, Richard Lalou pour son aide lors de la relecture et enfin Alain Marie dont l’inestimable soutien a permis la finalisation de l’article.
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Anthropologue, UMR 216, IRD, Université Paris Descartes, carinebax@hotmail.com
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Médecin épidémiologiste, UMR 216, IRD, Université Paris Descartes, lehesran@ird.fr
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[1]
Sources : site de l’OMS : www.who.int
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[2]
Le paludisme est une maladie difficile à diagnostiquer sans un minimum de moyens de laboratoire (analyse de gouttes épaisses au microscope) et les symptômes qui apparaissent en premier lieu (fièvre, frissons, courbatures, céphalées) peuvent être imputables à d’autres types d’affections fréquentes chez les jeunes enfants. Ainsi au Sénégal, depuis 1995, le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), suivant les recommandations de l’OMS, préconise le traitement présomptif du paludisme en cas de fièvre. Depuis 2006 et la mise en place de TDR, il est demandé, dans la mesure du possible, de réaliser un test diagnostic avant toute prescription des nouveaux CTA.
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[3]
Il est important de préciser dès à présent que s’il est question, dans cet article, des enfants en bas âge, c’est en lien avec la question du paludisme qui demeure un problème de santé très préoccupant pour cette population. Le fait que les fièvres des enfants soient considérées comme bénignes tient aux représentations de ce symptôme et non au fait qu’il touche les enfants. Plusieurs entités nosologiques populaires peuvent, dans la région Sereer où nous avons enquêté, faire penser au paludisme si l’on prend la fièvre comme symptôme de référence. Celle qui, dans nos enquêtes, était le plus fréquemment rapprochée du terme « paludisme » est le sibidu, appellation Sereer issue d’une déformation du Wolof sibiru, lui-même dérivé de sibir qui signifie « revenir demain ». L’entité a cun, qui signifie « pollen de mil » et fait ainsi référence à la saisonnalité (la floraison du mil a lieu pendant la saison des pluies) et à l’élément responsable (le pollen de mil), et l’entité o poog, qui veut dire moustique et fait ainsi référence à l’agent causal de la maladie, sont également considérées comme n’étant pas graves (Faye, 2005). Ce n’est que dans environ 1 % des cas que les fièvres d’origine palustre peuvent évoluer vers un accès grave (Brewster, Kwiathowski, White, 1990).
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[4]
Voir, à ce sujet, la stratégie AMFm (Affordable Medicines Facility for Malaria) sur le site internet de « Roll back malaria », un regroupement de partenaires internationaux dans la lutte contre le paludisme : www.rbm.who.int/mechanisms/globalsubsidytaskforce.html Apparaissent aussi des initiatives nationales et internationales de prise en charge gratuite de la santé des enfants de moins de 5 ans, pour certaines pathologies comme le paludisme ou pour l’ensemble des soins. Mais ces initiatives se heurtent à de nombreuses difficultés de mise en place, économiques et politiques et la question de leur mode de financement et de leur pérennité est loin d’être réglée.
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[5]
La zone de Niakhar est située dans le district de Fatick à 130 km à l’Est de Dakar. Elle constitue un observatoire de population mis en place par l’IRD (Institut de recherche pour le développement) dans les années 1960. Cette étude, réalisée durant les années 2001 et 2002, a été financée par le programme PAL+ (paludisme +) du Ministère français de la Recherche.
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[6]
Il s’agit de médicaments vendus, hors des cadres fixés par l’État, dans les marchés, les boutiques, par des marchands ambulants... (Baxerres, Le Hesran, 2006).
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[7]
Il s’agit d’engraisser des animaux dans le but de les vendre.
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[8]
Il s’agit de la vente et de l’achat d’animaux spécifiquement lors des marchés de bestiaux. Attention, l’embouche et le commerce de bétail ne doivent pas être confondus avec l’élevage pratiqué traditionnellement par les populations Sereer.
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[9]
Il s’agit de la vente régulière de denrées (sucre, allumettes, biscuits, café, pain, savon, beignets cuisinés...) par des femmes lors des marchés hebdomadaires ou dans les villages devant l’habitation de la commerçante.
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[10]
Voir le site internet de l’IRD au Sénégal concernant la zone de Niakhar : www.ird.sn/activites/niakhar/
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[11]
Pour une description du mode de catégorisation économique des familles, se reporter à l’article de Baxerres et Le Hesran (2004).
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[12]
Il s’agit de relations amicales entretenues avec des habitants des villages dans lesquels les femmes ont grandi avant de rejoindre leur époux ainsi qu’avec des personnes rencontrées lors de séjours hors du village, en ville, à l’occasion de cérémonies et de voyages.
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[13]
Dans le cas de symptomatologies perçues comme plus graves, la gestion de la maladie devient une responsabilité collective qui engage les parents mais qui mobilise aussi les solidarités et les savoirs présents dans le ménage et la concession (Baxerres, Le Hesran, 2004).
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[14]
Dans cette région, lorsqu’une femme se marie, elle va vivre dans le foyer de son époux, les enfants sont ainsi élevés dans leur famille paternelle et notamment par leurs grands-parents.
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[15]
Ces petits animaux, au contraire du grand bétail, nous y reviendrons, constituent une épargne sur pied que les femmes peuvent facilement mobiliser.
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[16]
Par soucis d’anonymat, le prénom des personnes interrogées a été modifié.
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[17]
Il faut attendre plusieurs années avant de célébrer un mariage. Le mari doit d’abord constituer la dot. Ainsi, le couple peut avoir plusieurs enfants avant que le mariage soit célébré et que la femme rejoigne le foyer de son mari. Il en est de même des funérailles qui sont parfois célébrées plusieurs années après le décès.
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[18]
Le climat de la région est de type soudano-sahélien avec une courte saison des pluies de 4 mois (de juillet à octobre) et une longue saison sèche le reste de l’année.
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[19]
Les denrées alimentaires en question sont disponibles après les récoltes d’octobre – novembre et les villageois ne perçoivent les revenus de la traite de l’arachide qu’à partir de novembre – décembre.
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[20]
1 000 francs cfa (Communauté financière d’Afrique, monnaie en cours dans les pays francophones) = 1,5 euros.
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[21]
En 2001, 39 % des hommes et 31 % des femmes de la zone de Niakhar ont contracté une union maritale polygame. Sources : www.ird.sn/activites/niakhar/indicateurs/Indicateurs_demographiques/cadre_demo.htm
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[22]
La plupart des femmes mariées se regroupent dans des « comités » de hameau ou de village dont l’une des fonctions est la tontine, dans laquelle elles cotisent de l’argent pour acheter des ustensiles de cuisine et des vêtements.
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[23]
Les vingt familles que nous avons interrogées pratiquent toutes en premier lieu, en cas de fièvre d’un enfant, un recours « domestique », et ceci quel que soit leur statut économique. Elles ne recourent pas, dans un premier temps, à un spécialiste de la santé (dispensaire ou guérisseur) à moins que celui-ci ne soit gratuit, ce qui dans le cas des dispensaires est très rare (Baxerres, Le Hesran, 2004). Les médicaments pharmaceutiques industriels sont alors généralement achetés dans le marché informel du médicament.
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[24]
À ce sujet, voir le numéro de la Revue Tiers Monde (n?197, janvier – mars 2009) qui interroge la responsabilité sociale de la microfinance.
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[25]
Les études que nous menons actuellement en milieu urbain africain (Cotonou, Bénin) sur la question spécifique du marché informel du médicament relativisent également la prétendue spécificité des femmes à recourir aux vendeurs informels.
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[26]
À partir du début des années 1960, une politique de chimioprophylaxie de masse à base de chloroquine était en vigueur dans les pays d’Afrique. Suite aux recommandations de l’OMS, la plupart des pays africains ont décidé, à partir du début des années 1990, d’instaurer le traitement présomptif des fièvres toujours par la chloroquine. Le développement important des résistances à la chloroquine a ensuite changé la donne. Depuis 2001, l’OMS recommande de remplacer globalement les monothérapies en traitement curatif de première intention du paludisme par l’utilisation de Combinaison thérapeutiques à base de dérivés d’artémisinine (CTA) (Souares, 2007). Pour les femmes enceintes, la prévention du paludisme gestationnel est toujours de mise. Avant 1998, elles recevaient une chimioprophylaxie à base de chloroquine. Depuis cette date, l’OMS recommande un traitement préventif intermittent (TPI) à base de sulfadoxine-pyriméthamine (Briand, 2008).
1 Selon les données statistiques de l’OMS [1], la mortalité juvéno-infantile atteint, en Afrique subsaharienne, le taux le plus élevé de toute la planète. Au Sénégal, il est d’environ 130 décès pour mille naissances chez les enfants de moins de 5 ans, alors qu’il est d’environ 5 pour 1000 dans les pays développés. Parmi toutes les pathologies touchant les enfants, le paludisme représente l’une des premières causes de mortalité. Malgré les différentes stratégies déjà proposées pour lutter contre cette maladie (lutte anti-vectorielle, prévention par chimioprophylaxie, traitement présomptif des accès palustres, diffusion de moustiquaires imprégnées), les indicateurs de santé, morbidité et mortalité, ne s’améliorent guère. Même si, récemment, la large distribution de moustiquaires imprégnées, de nouveaux traitements subventionnés (les combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine – CTA) et la mise à disposition des praticiens de nouveaux moyens diagnostic (les test de diagnostic rapide – TDR) ont permis dans certains pays une baisse spectaculaire des indicateurs de santé, l’accès à ces nouvelles stratégies de lutte est encore embryonnaire et la question de leur pérennité dans les pays se pose (elles sont prises en charge par des bailleurs de fonds internationaux).
2 En 2004, nous avons évalué l’influence des ressources familiales sur le choix des soins en cas de fièvre d’un enfant [2] en milieu rural. En effet, depuis la mise en place de l’initiative de Bamako en 1987, qui a instauré le principe de recouvrement des coûts, les dépenses de santé sont en partie prises en charge par les patients qui doivent assurer une part des frais de consultation et de médicaments dans les dispensaires ou les hôpitaux (Fournier, Haddad, 1995 ; Haddad, Fournier, 1995 ; Eclou, Hounnankan, 2006). Devant les difficultés que rencontrent depuis lors les familles pour se soigner, les autorités sanitaires et politiques des pays concernés ainsi que la communauté internationale ont enfin pris conscience, au milieu des années 1990, du fait que la lutte contre le paludisme n’est pas seulement une question médicale. Notre étude (Baxerres, Le Hesran, 2004) a mis en évidence les articulations entre, d’une part, le coût des traitements et des consultations augmentés des coûts indirects dus à la perte de temps de travail et aux transports (cf. également sur ce thème : Asenso-Okyere, Dzator, 1997 ; Konradsen, Hoek, Amerasinghe, Amerasinghe, 1997) et, d’autre part, la perception, par les familles, de la gravité des maladies. C’est ainsi qu’une maladie considérée comme bénigne sera d’abord traitée à domicile par automédication à base de médicaments pharmaceutiques industriels présents dans la famille au moment de l’épisode morbide ou achetés au cas par cas dans une boutique, au marché ou auprès de marchands ambulants (Baxerres, Le Hesran, 2006), ou à partir de plantes, écorces, racines. Le recours à un spécialiste à l’extérieur du foyer est également pratiqué, seulement si celui-ci propose des facilités (échange de services, paiement en nature ou même gratuité des soins). C’est le cas des fièvres des enfants qui surviennent pendant la saison des pluies et qui, en raison de leur récurrence et de leur fréquence mais aussi de leur évolution spontanée vers la guérison dans la grande majorité des cas, sont l’objet d’une banalisation de la part des familles [3]. En revanche, pour une maladie perçue comme grave, la décision de consulter un guérisseur ou de s’adresser au dispensaire s’imposera, mais il sera alors nécessaire de disposer de numéraire. Ces résultats renvoient de façon évidente à tout un ensemble de facteurs économiques et sociaux qu’il est primordial d’analyser et de comprendre si l’on veut améliorer l’accès aux soins de santé des habitants du milieu rural en Afrique.
3 La phase de mobilisation de ressources dans le processus de prise en charge des soins, notamment, est mal connue et souvent négligée par les décideurs. Ceux-ci pensent que le coût, « modique » à leurs yeux, du traitement subventionné du paludisme est un effort supportable par tous. Ainsi, les diverses stratégies de mise en place de génériques, de baisse du coût des traitements, de vente des médicaments à prix coûtant, suffiraient à régler le problème de l’accessibilité économique. Récemment, de nouveaux acteurs internationaux s’impliquant dans la lutte contre le paludisme (Fonds Mondial, Fondation Bill et Melinda Gates) réfléchissent au moyen de subventionner les coûts des nouveaux traitements antipaludiques (CTA) dans le secteur privé de santé (officine de pharmacie) [4]. Mais, en réalité, c’est oublier, en milieu rural, que le manque de liquidité monétaire est un problème récurrent et structurel chez les paysans africains dont l’économie familiale reste dominée par les nécessités de la subsistance immédiate et demeure très faiblement rémunératrice. Cet article entend éclairer deux éléments clefs du processus de mobilisation de ressources familiales pour la prise en charge des fièvres des enfants : le type de ressources effectivement utilisables et les rapports de genre à l’œuvre actuellement pour cette mobilisation financière.
ÉTUDE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE EN PAYS SEREER
4 L’étude, menée en pays Sereer au Sénégal, a d’abord comporté une étape d’observation participante durant plusieurs semaines en partageant l’existence d’un ménage de la zone rurale de Niakhar [5]. Des entretiens exploratoires ont permis d’élaborer un guide pour la conduite d’entretiens individuels et semi-directifs. Sans viser à l’exhaustivité, nous avons misé sur le principe de saturation des informations et avons limité le nombre de nos informateurs à une vingtaine de familles élémentaires.
5 La zone de Niakhar comprend 30 villages répartis sur une superficie de 203 km2 pour une population d’environ 30 000 habitants, majoritairement de l’ethnie Sereer (96,4 %). Les villages, relativement étendus, sont composés de plusieurs regroupements de concessions appelés hameaux. La concession, délimitée par des palissades en tige de mil, est l’unité de résidence ; elle peut regrouper plusieurs ménages, chacun représentant l’unité de consommation et de production des individus réunis en son sein. Les ménages peuvent être composés de une ou de plusieurs familles élémentaires, c’est-à-dire un homme, sa (ses) femme(s) et leurs enfants (Pelissier, 1966 ; Lericollais, 1999).
6 En cas de maladie, les habitants ont recours à des pratiques domestiques (automédication à base de médicaments pharmaceutiques industriels achetés dans le marché informel du médicament [6] ou automédication à base de plantes) ou à des spécialistes de la santé (guérisseurs ou infirmiers). Dans la zone étudiée, il existe deux postes publics de santé, un dispensaire privé catholique et quelques cases de santé effectivement fonctionnelles. Des infirmiers privés assurent également des consultations. Par ailleurs, l’offre de soins traditionnels est importante ; on dénombre entre deux cents et trois cents guérisseurs en activité. Ils sont présents dans la plupart des hameaux où ils exercent des savoirs divers de sources religieuse ou traditionnelle, conférés par les ancêtres ou acquis au terme d’un apprentissage. Ils sont soit spécialistes de certaines pathologies, soit généralistes et prodiguent des soins variés (incantations, massages, libations).
7 L’économie locale s’organise traditionnellement autour d’une production de subsistance, basée sur la culture du mil et sur l’élevage, et d’une production marchande, principalement l’arachide. Cette économie locale, comme dans l’ensemble des sociétés soudano-sahéliennes (Raynaut, 1990), a été bouleversée, à partir des années 1970, par une série de crises dues à la conjonction de plusieurs facteurs : déficit pluviométrique, appauvrissements des sols, chute du cours de l’arachide. Pour faire face à cette situation, certains habitants ont développé de nouvelles activités, annexes à l’agriculture et à l’élevage, telles que l’embouche bovine et ovine [7], le commerce de bétail [8], le petit commerce [9] , les activités salariales (instituteur, enquêteur), le travail indépendant (menuiserie, maçonnerie) et l’émigration de saison sèche vers les villes (Gastellu, 1981 ; Lericollais, 1999). À la frontière de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso, le développement des cultures maraîchères a répondu aux mêmes nécessités (Fromageot, Parent, Coppieters, 2005). Toutes ces activités nouvelles ont engendré une hétérogénéité économique au sein de la population.
8 Pour répondre à nos questionnements sur la mobilisation de ressources pour la prise en charge des fièvres des enfants, avec l’aide des données quantitatives que l’IRD produit sur la zone de Niakhar [10], nous avons identifié trois catégories de familles élémentaires [11]. Les familles « démunies » ne possèdent que des champs de mil et d’arachide et quelques animaux ; la femme a fréquemment un petit commerce pour compléter ces maigres ressources. Les familles de niveau « intermédiaire » possèdent plus d’animaux d’élevage que les familles « démunies » et pratiquent pour certaines d’entre elles, occasionnellement, l’embouche ovine. Elles ont aussi quelques ressources annexes, telles que des revenus issus de l’émigration en ville, les travaux salariés ainsi que des soutiens épisodiques en nature (ingrédients, riz, vêtement) ou en numéraire, fournis par des membres de la parentèle élargie ou par des amis [12]. Enfin, les familles « nanties », quant à elles, outre l’agriculture et l’élevage, pratiquent de façon plus importante et régulière des activités telles que l’embouche ovine et bovine, le commerce de bétail, des activités salariales ou de travailleurs indépendants. De plus, elles reçoivent, pour la plupart d’entre elles, des soutiens réguliers de parents éloignés ou d’amis.
TYPE DE RESSOURCES MOBILISABLES POUR LA SANTÉ DES ENFANTS
9 Lors des premières investigations, il est apparu qu’à l’intérieur d’un ménage, dans le cas de symptomatologies simples telles qu’une fièvre, chaque famille élémentaire gère la santé de ses propres enfants et de ceux qui lui ont été confiés, sans recourir à une solidarité plus large [13]. Au sein des vingt familles élémentaires choisies pour notre enquête, les témoignages recueillis auprès du père de famille, des épouses, mais aussi de personnes qui semblaient jouer un rôle important dans le recours aux soins, le plus souvent la grand-mère paternelle [14], ont montré qu’aucune des familles ne réserve un budget spécifique pour la santé. Les dépenses en la matière, notamment pour soigner la fièvre d’un enfant, sont intégrées dans les dépenses courantes faites par les femmes sur les marchés hebdomadaires (achat d’ingrédients pour la cuisine, de savon, de pétrole) grâce à leurs ressources spécifiques (petit commerce et vente ponctuelle de denrées telles que bissap, haricots, arachides, pastèques, poules, cochons [15]...). Les hommes peuvent également participer à ces dépenses courantes lorsqu’ils ont un travail salarié, une activité lucrative telle que le commerce de bétail et l’embouche, une activité artisanale (maçonnerie, menuiserie...) ou enfin lorsqu’ils émigrent en ville. L’envoi éventuel d’argent par des parents éloignés ou des amis sert aussi à ce type de dépenses, de même qu’une partie des revenus tirés de la traite annuelle de l’arachide.
10 Les animaux d’élevage (vaches, moutons, chèvres), qui constituent pourtant un capital non négligeable (Roch, 1976), ne sont pas utilisés pour payer le traitement de la fièvre d’un enfant. En effet, pour les villageois de cette région, traditionnellement éleveurs pratiquant la transhumance durant la saison des cultures, le bétail a une fonction spécifique et sa propriété est régie par des règles précises. Dans un troupeau, des vaches ou des chèvres peuvent appartenir à des personnes issues de familles élémentaires, voire de ménages différents. La possession de têtes de bétail est associée au prestige social et l’on ne se sépare pas facilement d’un animal ! En même temps, ces droits entrecroisés sur le même troupeau concrétisent et expriment des liens et des relations familiales, tout en constituant une sorte de « capital risque » en cas de problèmes majeurs.
« Tu sais qu’un Sereer, si le Bon Dieu lui donne, il va penser aux moutons, aux chèvres et aux vaches... vendre ça, c’est pas facile... il faut qu’il y ait un grand événement, comme un mariage, un baptême, des funérailles... » (Salan [16], mère d’une famille de niveau « intermédiaire », 56 ans).
12 Vaches, moutons et chèvres sont donc une épargne de long terme. Il est difficile en peu de temps de mobiliser le capital qu’ils représentent. Pour cela, il faut qu’ils se trouvent à proximité des habitations et non en transhumance, qu’ils aient atteint la taille voulue pour la vente et qu’un marché d’animaux ait lieu à proximité. Autrement dit, ils sont rarement « prêts à la vente », ce qui ne permet pas de réagir rapidement à un besoin urgent de numéraire.
« Les grands animaux, ils sont loin, je les ai tous amenés chez mon oncle à cause de l’hivernage (saison des pluies). Tu sais que là-bas, c’est trop loin pour trouver quelque chose pour aller régler un problème, mais s’il s’agit d’un grand besoin prévu à l’avance, je peux aller là-bas chercher une vache et la vendre pour attendre de réaliser le besoin » (Mamadou, père d’une famille « nantie », 42 ans).
14 Ces animaux sont donc tués ou vendus pour des occasions exceptionnelles prévues de longue date, comme les cérémonies de mariage, de funérailles [17], de baptême ou les fêtes religieuses.
15 En somme, parce que dans un premier temps la fièvre d’un enfant est le plus souvent vécue comme bénigne et survenant de façon inattendue, elle ne peut bénéficier de cette ressource potentielle, pourtant importante. En revanche, il convient de souligner que l’on peut recourir à la vente de grands animaux dans le cas d’épisodes morbides considérés comme graves et dont les soins, s’ils sont un peu différés, laissent le temps de mobiliser la somme nécessaire (opérations à l’hôpital, maladies chroniques) (Baxerres, Le Hesran, 2004).
16 Le manque de disponibilité monétaire est encore plus aigu pendant la période de soudure, en saison des pluies [18], en raison de l’épuisement des réserves de mil (aliment de base) de la récolte précédente, avant le renouvellement des greniers au moment de la nouvelle récolte. Or, cette période est aussi celle de la saison de transmission du paludisme (septembre – décembre) durant laquelle l’incidence des fièvres juvéno-infantiles, dont près de la moitié est attribuée au paludisme, est forte. La majorité des denrées alimentaires (arachides, bissap, haricots, pastèques, autres produits maraîchers), habituellement vendues au coup par coup sur les marchés hebdomadaires, n’est pas disponible, de même que les revenus de la traite de l’arachide [19]. Les activités annexes sont aussi largement freinées, tout le monde se consacrant aux travaux agricoles. Durant la période de transmission du paludisme, certaines familles élémentaires n’ont donc aucune ressource facilement mobilisable pour soigner les enfants. Ces difficultés saisonnières sont communes à l’ensemble des pays sahéliens (Adams, 1992 ; Reardon, Malton, Delgado, 1988).
17 Lorsqu’une fièvre se déclare, s’il n’y a pas d’argent disponible, pas de denrées à vendre, pas de soutiens envoyés par la famille élargie ou les amis, pas de voisins à qui emprunter ou encore si le mari est absent, le temps préalable à l’accès aux soins est nécessairement plus long tandis que, si la situation clinique s’aggrave, les coûts potentiels sont plus élevés. Or, l’allongement du délai de recours aux soins est un facteur majeur de risque de survenue d’un accès palustre grave (accès pernicieux, anémie grave) et de décès. Certaines familles, dans les catégories « démunies » et « intermédiaires », sont ainsi souvent confrontées à cette situation pouvant conduire à des tragédies. « Si tu n’as pas d’animal à vendre, si tu n’as pas d’argent, c’est dur... tu peux même rester avec la personne sans pouvoir faire quelque chose pour elle... elle se couche, elle te dit « je suis malade » et tu ne l’amènes nulle part, parce que tu ne peux rien faire... » (Mayecor, père d’une famille « démunie », 47 ans). Quant aux familles « nanties », elles sont évidemment moins touchées, leurs activités supplémentaires (commerce d’animaux, embouche, activités salariales ou indépendantes) leur procurant des revenus réguliers.
18 C’est donc moins le montant des ressources des familles élémentaires, que le type d’activités qu’elles exercent, qui rend plus ou moins facile la prise en charge des soins à donner à l’enfant en cas de fièvre. En raison des contraintes qui pèsent sur la vente des animaux d’élevage réservés pour les grandes occasions cérémonielles auxquelles on ne saurait se soustraire, c’est moins l’aisance ou la pauvreté qui sont déterminantes, que le caractère irrégulier ou régulier des rentrées d’argent tirées des différentes activités. Ainsi, nous avons rencontré une famille de catégorie « intermédiaire » qui, bien que possédant chèvres, moutons et vaches en nombre appréciable (un mouton se vend de 20 000 à 60 000 Francs cfa, une vache de 200 000 à 400 000 Francs cfa [20]), ne pouvait compter pour soigner ses enfants que sur la vente, aléatoire en période de soudure, de denrées agricoles au marché ou sur d’éventuels soutiens de la famille élargie ou d’amis. À l’opposé, une famille de catégorie « démunie » ne possédait qu’un nombre limité d’animaux mais pratiquait la vente régulière de beignets, activité qui lui rapportait entre 1 500 et 3 000 Francs cfa par semaine, ce qui lui permettait de traiter facilement un épisode de fièvre de l’un de ses enfants.
RAPPORTS DE GENRE ET GESTION FINANCIÈRE DE LA SANTÉ DES ENFANTS
19 Le plus souvent, la personne qui paie les soins de santé est également celle qui décide du type de soins auquel recourir. Cette corrélation a été mise en évidence dans différentes recherches (Adjamagbo, Delaunay, 1999 ; Waïtzenegger-Lalou, 2000 ; Fromageot, Parent, Coppieters, 2005) et nous l’avons également retrouvée dans notre étude. Aussi convient-il de souligner l’évolution, au sein des familles de cette région, des pratiques traditionnelles selon lesquelles c’était exclusivement l’homme qui se chargeait des dépenses (Gastellu, 1981). En effet, contrairement à ce qui est généralement admis et affirmé, ce n’est pas toujours le père qui assure la charge des soins donnés aux enfants. À la frontière de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso, ces changements ont également été repérés : « Si, dans les discours, l’essentiel des dépenses sanitaires d’une maisonnée relève en principe des responsables familiaux, dans les faits, ces derniers les assurent de moins en moins » (Fromageot, Parent, Coppieters, 2005, p. 61). Dans les villages de la zone de Niakhar, c’est la situation socio-économique des hommes et des femmes qui est déterminante à cet égard.
20 Quel que soit le statut économique des familles, l’organisation sociale et la répartition des tâches entraînent une plus grande proximité de la mère vis-à-vis des enfants en bas âge, comparativement au père. Elle prend conscience plus rapidement que lui de la maladie de l’un d’eux (Adjamagbo, Delaunay, 1999 ; Delaunay, Le Hesran, 2002). La mère est particulièrement proche de l’enfant qu’elle porte au dos, depuis sa naissance jusqu’à ses deux, trois ou quatre ans selon les cas. Plus âgés, ils sont présents lors de toutes les activités féminines (pilage des céréales, préparations culinaires, lessive, portage de l’eau, travaux des champs), alors que les hommes se font plutôt accompagner des adolescents lors des travaux aux champs et des activités d’élevage. Dans les familles polygames [21], la femme ne partage pas toujours la chambre de son époux et les enfants en bas âge dorment le plus souvent avec elle. Les pères s’absentent également plus fréquemment du domicile en raison d’activités salariales, de migrations urbaines, de la pratique du commerce de bétail ou de déplacements à effectuer auprès de la parentèle élargie. La mère ne tient pas forcément toujours informé le père de la survenue, chez l’un de ses enfants, de maladies jugées bénignes, telles que les fièvres qui surviennent durant la saison des pluies. En fonction de ses possibilités, elle prend en charge seule, dans un premier temps, les symptômes rencontrés.
21 À partir de ces caractéristiques et évolutions sociales, nos enquêtes ont mis en évidence que les femmes qui vivent dans une famille « démunie » où le mari n’a que très peu de ressources allouables aux dépenses courantes doivent « trouver » de l’argent par leurs propres moyens. Il en va de même dans certaines familles de niveau « intermédiaire », où le mari est, par exemple, âgé et sans revenus réguliers ou bien migre en ville une grande partie de l’année. Ces femmes doivent développer des activités parallèles, de manière à faire face aux dépenses courantes, parmi lesquelles celles qui ont trait à la santé. L’étude déjà mentionnée montre également que les femmes, qui sont de plus en plus nombreuses à assumer les dépenses sanitaires des enfants, pratiquent le maraîchage pour faire face au désengagement des chefs de famille d’une partie des dépenses communes (Fromageot, Parent, Coppieters, 2005). Dans la zone de Niakhar, les activités rémunératrices des femmes sont constituées principalement de petit commerce, mais aussi de l’élevage de petits animaux (poules, cochons). Un petit commerce rapporte entre 500 et 3 000 francs cfa par semaine et la gestion « domestique » (automédication) de la fièvre d’un enfant coûte environ 300 francs cfa lorsque sont utilisés des médicaments achetés sur le marché informel ou des plantes accessibles moyennant finances (Franckel, 2004).
22 Ainsi, une mère de famille « démunie » explique : « Moi, je fais le commerce du pain dans les marchés. Si je n’ai pas d’argent, je prends du pain à crédit et je le revends. Ensuite je verse la somme au propriétaire du pain et avec le bénéfice qui m’appartient, je règle les besoins de ma famille » (Ndéou, 48 ans).
23 Dans les familles « nanties », en revanche, les femmes ne s’occupent en rien des finances et des dépenses du foyer ; c’est leur mari qui gère tout. Il en est de même de familles de niveau « intermédiaire » au sein desquelles le mari a suffisamment de ressources pour subvenir seul aux dépenses courantes. Dans ces deux cas, les femmes n’ont quasiment pas de revenu propre et leurs dépenses se bornent aux « cotisations » de participation aux frais lors de cérémonies ou à de rares achats personnels (tissus, cosmétiques). D’ailleurs, quand ces femmes ont malgré tout de petites ressources, celles-ci sont souvent gérées par leur mari. Comme le fait observer l’une d’elles, « la part que je reçois du groupement [22], cet argent là, quand il me revient, je le donne à mon mari qui me l’avait donné pour que je participe » [le mari ayant prêté à son épouse de quoi payer sa cotisation à la tontine féminine] (Rocky, mère d’une famille « nantie », 32 ans).
24 Cette absence d’autonomie économique, cette dépendance vis-à-vis du mari, a des conséquences sur le recours aux soins. Dans ce cas, la mère ne peut prendre en charge la santé de ses enfants et quand le mari est absent, généralement en raison d’activités menées hors du village (activités salariales en ville ou autres activités entraînant un déplacement temporaire), elle est contrainte de recourir à des « soins de proximité », au sein de la concession, qui ne coûtent rien : il s’agit généralement d’automédication à base de plantes, de racines et d’écorces accessibles localement ou de l’intervention d’un guérisseur qui s’avère être gratuite dès lors qu’il est parent ou voisin.
25 L’exemple de Rose, âgée de 36 ans et mère de famille de niveau « intermédiaire », illustre bien cette situation. Rose vit seule avec ses enfants, car son mari est instituteur dans une autre localité. Pour tout revenu, elle n’a que ce qu’il lui laisse lorsqu’il repart exercer son métier. Elle ne peut réaliser un petit commerce, ses enfants étant encore trop petits. Alors, lorsque l’un d’entre eux est malade et qu’elle a épuisé l’argent de son mari, elle attend que la maladie passe d’elle-même ou bien elle fait transmettre à son époux, par l’intermédiaire d’un voyageur ou d’un chauffeur de taxi collectif, une demande urgente, mais les soins en sont forcément retardés.
26 Ainsi se confirme un constat apparemment paradoxal : les femmes des familles « démunies » sont souvent mieux à même que les femmes des familles « nanties » de prendre en charge rapidement avec des médicaments pharmaceutiques industriels les fièvres de leurs enfants [23]. Elles peuvent mobiliser les petites sommes d’argent que l’achat de ces médicaments requiert , alors que les mères des familles « nanties » doivent se contenter de « soins de proximité ».
MOBILISATION DES SOLIDARITÉS COMMUNAUTAIRES
27 La vie sociale est intense dans cette région Sereer du Sénégal, surtout au sein de réseaux familiaux et de voisinage. Pour désigner les gens de leur hameau ou de leur village, les populations utilisent souvent l’expression « nos cohabitants ». Cette solidarité communautaire se manifeste de façon privilégiée lors des cérémonies (rassemblement, autour d’une concession, des personnes du hameau, voire du village, ainsi que des parents éloignés et des amis à l’occasion d’un mariage, de funérailles ou d’un baptême) pour lesquelles des dépenses importantes sont effectuées notamment grâce à la vente de grands animaux. Lorsqu’une famille en organise une, les villageois se doivent d’y participer et de « cotiser » (participer aux frais).
28 L’importance cruciale de ces rassemblements cérémoniels tient à ce qu’ils « ont la vertu d’œuvrer au rapprochement, de tisser des liens étroits ; ainsi échanger les participations et les contributions mutuelles aux cérémonies permet de construire le collectif solidaire qui se mobilisera lorsqu’un de ses membres l’appellera au secours » (Vuarin, 2000). Autrement dit, ces rassemblements renforcent un véritable système de protection sociale populaire. Comme le souligne encore Emmanuel Seyni Ndione, à travers l’expression imagée de « tiroirs sociaux », « l’entretien du réseau social est la stratégie la plus sûre pour se prémunir contre les incertitudes de la vie » (Ndione, 1992).
29 Toutefois, les fièvres des enfants qui surviennent pendant la saison des pluies, parce qu’elles sont considérées comme bénignes, bénéficient rarement de ce type de solidarité. Nous avons même pu observer, au contraire, dans certains cas, que la prise en charge de la fièvre d’un enfant pouvait pâtir du fait que la priorité sociale, culturelle et économique est donnée à l’entretien de la solidarité communautaire et, par là même, au système de protection populaire qu’elle constitue. Comme l’explique cette mère de famille de niveau « intermédiaire » : « Mon mari me laisse de l’argent, mais tu sais que je n’arrive pas à garder l’argent, parce que tu connais les besoins d’un Sereer... s’il y a une cérémonie, je prends cet argent pour soigner la honte et, pour une autre cérémonie, je prends cet argent encore. À ces moments-là, si les enfants ne sont pas malades, je ne peux pas garder cet argent-là et attendre qu’ils soient malades alors que mes camarades sont en train de régler des choses là-bas » (Amy, 43 ans).
30 A contrario, dans le cas de maladies jugées graves, le ménage et la concession constituent des entités intermédiaires que la famille élémentaire peut aisément solliciter avant d’avoir éventuellement recours aux habitants du hameau, du village ou de la parentèle éloignée. Lorsque le ménage regroupe plusieurs familles élémentaires et que la concession regroupe plusieurs ménages, les individus développent des formes de solidarité beaucoup plus fortes que dans les cas extrêmes où une famille élémentaire constitue à elle seule l’unité de consommation (le ménage) et de résidence (la concession). Dans son étude, réalisée à Bamako (Mali), Robert Vuarin avait déjà souligné ce fait (Vuarin, 2000).
31 Il convient également de prendre en compte une dimension chronologique : pour que la solidarité se mette efficacement en œuvre, il est important que les soins soient prévisibles relativement longtemps à l’avance (opérations à l’hôpital, voyages dans une région éloignée pour consulter un guérisseur réputé). Les stratégies communautaires de mobilisation de ressources pour la santé sont donc surtout opérantes dans le cas de maladies jugées graves, mais dont les soins ne sont pas extrêmement urgents.
COMPLEXITÉS SOCIO-ÉCONOMIQUES ET DIFFICULTÉS DE LA PRISE EN CHARGE DES FIÈVRES DES ENFANTS
32 En fin de compte, notre étude a mis en évidence les complexités socioéconomiques familiales du traitement d’un problème a priori simple : la prise en charge financière des fièvres des enfants. Malgré leur valeur, toutes les ressources des familles ne peuvent être utilisées pour financer les soins nécessaires et contrairement aux idées reçues, en milieu rural, les familles les plus aisées ne sont pas forcément celles qui font le mieux face à ce problème de santé. En pays Sereer, les solutions au problème de disponibilités monétaires passent par les activités annexes : embouche, petit commerce, commerce de bétail, travaux salariés ou activités indépendantes. Les femmes des familles « démunies » y prennent, à travers le petit commerce, une large part. Diversifier les rentrées d’argent grâce au développement de nouvelles activités génératrices de revenus est donc une solution pour faire face aux dépenses de santé (cf. également, sur ce thème, une étude menée au Burkina Faso par Sauerborn, Adams et Hien (1996), ainsi que l’ouvrage de Brunet-Jailly, (1997)). Les organisations de solidarité internationale et les organisations non gouvernementales ne s’y trompent pas. La promotion d’activités génératrices de revenus est aujourd’hui l’objectif de nombre d’entre elles, notamment à travers des outils tels que le micro crédit [24] (Charmes, 2005). Néanmoins, beaucoup d’entre elles interviennent en ville et il convient d’insister sur la promotion de telles initiatives en milieu rural ainsi que sur la nécessaire adaptation de celles-ci aux réalités socio-économiques et culturelles des régions concernées.
33 Les femmes sont, dans cette optique, depuis les années 1980, la cible de nombreux projets de développement en Afrique subsaharienne. Les stratégies de création d’activités féminines rémunératrices ont effectivement montré l’investissement plus fort des mères en matière de dépenses familiales d’alimentation et de santé (Fromageot, Parent, Coppieters, 2005). Dans la zone de Niakhar, le degré d’indépendance économique des mères face à leur époux s’avère crucial dans la prise en charge rapide des fièvres des enfants au moyen de médicaments pharmaceutiques industriels. Encore faudrait-il s’assurer que ces nouvelles responsabilités sanitaires des mères soient réellement vectrices d’une amélioration de la santé de leurs enfants. L’étude menée auprès de maraîchères vivant à la frontière de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso tend à démontrer l’inverse. Ces femmes, en raison de contraintes sociales (difficultés d’accès au dispensaire), utilisent des recours aux soins différents de leur époux. Alors que ces derniers se rendent plutôt dans les centres de santé, elles ont plus fortement tendance à recourir aux services de soins coutumiers ou informels, comme les « pharmacies par terre », que les auteurs de l’article jugent néfastes à la santé des enfants car non contrôlés (ibid., 2005). Nos propres analyses, basées sur la situation dans les villages de la zone de Niakhar, divergent. Les femmes n’y pratiquent pas des recours aux soins différents des hommes. Elles n’ont pas plus tendance qu’eux à s’adresser aux vendeurs informels de médicaments et se rendent d’ailleurs autant que leur époux dans les marchés hebdomadaires. D’autres études, menées à la fois en milieu rural et urbain, avancent au contraire que les hommes fréquentent plus souvent les « vendeurs de rue » que les femmes (Commeyras, 2005) [25].
34 Toutefois, les problèmes de disponibilité monétaire n’expliquent pas tout puisque, nous l’avons souligné, les raisons de la mauvaise prise en charge des fièvres des enfants qui surviennent pendant la saison des pluies tiennent également à la perception par les populations de ce symptôme. Considérée comme bénigne et banale, la fièvre des enfants ne suscite pas la même mobilisation que les maladies perçues comme sévères ou potentiellement fatales. Une étude menée à Kampala en Ouganda (Wallman, Baker, 1996) montre qu’il y a des maladies « suffisamment sérieuses » pour que les familles entreprennent de rechercher des traitements hors de la maison, et des maladies ordinaires pour lesquelles le traitement « domestique » est considéré comme suffisant. En bref, les solidarités collectives ne se mettent pas en branle pour la fièvre d’un enfant ! Dans ce cas, le soutien communautaire à la famille est très relatif. « Contrairement à la perception courante de communautés africaines unies et solidaires, le soutien des groupes villageois est rare dans le cas de maladies ordinaires » (Sauerborn, Adams, Hien, 1996).
35 La représentation populaire des fièvres qui surviennent pendant l’hivernage ne correspondait pas, au moment de nos enquêtes, à sa représentation biomédicale (Agyepong, 1992 ; Jaffré, Olivier De Sardan, 1999 ; Baxerres, Le Hesran, 2004). Les médecins tendent à se focaliser sur le 1 % de fièvres chez l’enfant qui, en saison de transmission du paludisme, vont évoluer vers un accès palustre grave (Brewster, Kwiatkowski, White, 1990). Les populations, elles, se réfèrent à leur vécu et aux 99 % des cas de fièvres qui vont évoluer plus ou moins rapidement vers la guérison. Toutefois, progressivement, sous la poussée de la biomédecine et des campagnes de sensibilisation au danger que représente le paludisme, les perceptions populaires de ces fièvres évoluent. Leur gravité potentielle est aujourd’hui envisagée et les parents semblent s’en méfier plus qu’auparavant (Faye, 2009). Ces évolutions, constatées dans la zone de Niakhar, sont également à l’œuvre dans d’autres régions d’Afrique de l’Ouest (Kpatchavi, 1999). En milieu urbain béninois, où nous menons actuellement des recherches, les savoirs populaires sont aujourd’hui largement influencés par les pratiques et connaissances des professionnels de la biomédecine en exercice dans les villes. Toutefois, même si la gravité potentielle des fièvres est ainsi parfois mieux appréhendée, la rapidité de changement des protocoles thérapeutiques recommandés [26] et les compétences et connaissances variables des agents de santé consultés entraînent aussi des amalgames et des incompréhensions.
36 En Afrique subsaharienne, où les systèmes de sécurité sociale et de mutuelles de santé sont très peu développés, la lutte contre les fièvres de l’enfant passe par des stratégies familiales de mobilisation de fonds pour l’achat des traitements. Les réalités économiques locales, les modes d’organisation familiaux (rapports de genre), les perceptions populaires des fièvres mais aussi l’impact des agents de la biomédecine eux-mêmes sur ces dernières, sont autant d’éléments que les décideurs doivent prendre en compte pour un traitement adapté du problème majeur de santé publique que constitue le paludisme. En outre, la gestion familiale de ce problème de santé passant souvent, dans un premier temps, par le recours au marché informel du médicament, il importe de mener des investigations spécifiques sur ce phénomène et sur les enjeux bien sûr sanitaires mais aussi économiques, politiques et sociaux qu’il dévoile dans le contexte globalisé actuel.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : Mobilisation de ressources familiales, rapport de genre, paludisme, recours aux soins, disponibilité monétaire
Mise en ligne 11/06/2010
https://doi.org/10.3917/rtm.202.0149Notes
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[*]
Nous remercions les familles enquêtées pour leur aimable collaboration, Babacar Gning pour son efficace travail d’interprétariat, Bernard Taverne et Agnès Adjamagbo pour leurs précieux conseils, Richard Lalou pour son aide lors de la relecture et enfin Alain Marie dont l’inestimable soutien a permis la finalisation de l’article.
-
[**]
Anthropologue, UMR 216, IRD, Université Paris Descartes, carinebax@hotmail.com
-
[***]
Médecin épidémiologiste, UMR 216, IRD, Université Paris Descartes, lehesran@ird.fr
-
[1]
Sources : site de l’OMS : www.who.int
-
[2]
Le paludisme est une maladie difficile à diagnostiquer sans un minimum de moyens de laboratoire (analyse de gouttes épaisses au microscope) et les symptômes qui apparaissent en premier lieu (fièvre, frissons, courbatures, céphalées) peuvent être imputables à d’autres types d’affections fréquentes chez les jeunes enfants. Ainsi au Sénégal, depuis 1995, le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), suivant les recommandations de l’OMS, préconise le traitement présomptif du paludisme en cas de fièvre. Depuis 2006 et la mise en place de TDR, il est demandé, dans la mesure du possible, de réaliser un test diagnostic avant toute prescription des nouveaux CTA.
-
[3]
Il est important de préciser dès à présent que s’il est question, dans cet article, des enfants en bas âge, c’est en lien avec la question du paludisme qui demeure un problème de santé très préoccupant pour cette population. Le fait que les fièvres des enfants soient considérées comme bénignes tient aux représentations de ce symptôme et non au fait qu’il touche les enfants. Plusieurs entités nosologiques populaires peuvent, dans la région Sereer où nous avons enquêté, faire penser au paludisme si l’on prend la fièvre comme symptôme de référence. Celle qui, dans nos enquêtes, était le plus fréquemment rapprochée du terme « paludisme » est le sibidu, appellation Sereer issue d’une déformation du Wolof sibiru, lui-même dérivé de sibir qui signifie « revenir demain ». L’entité a cun, qui signifie « pollen de mil » et fait ainsi référence à la saisonnalité (la floraison du mil a lieu pendant la saison des pluies) et à l’élément responsable (le pollen de mil), et l’entité o poog, qui veut dire moustique et fait ainsi référence à l’agent causal de la maladie, sont également considérées comme n’étant pas graves (Faye, 2005). Ce n’est que dans environ 1 % des cas que les fièvres d’origine palustre peuvent évoluer vers un accès grave (Brewster, Kwiathowski, White, 1990).
-
[4]
Voir, à ce sujet, la stratégie AMFm (Affordable Medicines Facility for Malaria) sur le site internet de « Roll back malaria », un regroupement de partenaires internationaux dans la lutte contre le paludisme : www.rbm.who.int/mechanisms/globalsubsidytaskforce.html Apparaissent aussi des initiatives nationales et internationales de prise en charge gratuite de la santé des enfants de moins de 5 ans, pour certaines pathologies comme le paludisme ou pour l’ensemble des soins. Mais ces initiatives se heurtent à de nombreuses difficultés de mise en place, économiques et politiques et la question de leur mode de financement et de leur pérennité est loin d’être réglée.
-
[5]
La zone de Niakhar est située dans le district de Fatick à 130 km à l’Est de Dakar. Elle constitue un observatoire de population mis en place par l’IRD (Institut de recherche pour le développement) dans les années 1960. Cette étude, réalisée durant les années 2001 et 2002, a été financée par le programme PAL+ (paludisme +) du Ministère français de la Recherche.
-
[6]
Il s’agit de médicaments vendus, hors des cadres fixés par l’État, dans les marchés, les boutiques, par des marchands ambulants... (Baxerres, Le Hesran, 2006).
-
[7]
Il s’agit d’engraisser des animaux dans le but de les vendre.
-
[8]
Il s’agit de la vente et de l’achat d’animaux spécifiquement lors des marchés de bestiaux. Attention, l’embouche et le commerce de bétail ne doivent pas être confondus avec l’élevage pratiqué traditionnellement par les populations Sereer.
-
[9]
Il s’agit de la vente régulière de denrées (sucre, allumettes, biscuits, café, pain, savon, beignets cuisinés...) par des femmes lors des marchés hebdomadaires ou dans les villages devant l’habitation de la commerçante.
-
[10]
Voir le site internet de l’IRD au Sénégal concernant la zone de Niakhar : www.ird.sn/activites/niakhar/
-
[11]
Pour une description du mode de catégorisation économique des familles, se reporter à l’article de Baxerres et Le Hesran (2004).
-
[12]
Il s’agit de relations amicales entretenues avec des habitants des villages dans lesquels les femmes ont grandi avant de rejoindre leur époux ainsi qu’avec des personnes rencontrées lors de séjours hors du village, en ville, à l’occasion de cérémonies et de voyages.
-
[13]
Dans le cas de symptomatologies perçues comme plus graves, la gestion de la maladie devient une responsabilité collective qui engage les parents mais qui mobilise aussi les solidarités et les savoirs présents dans le ménage et la concession (Baxerres, Le Hesran, 2004).
-
[14]
Dans cette région, lorsqu’une femme se marie, elle va vivre dans le foyer de son époux, les enfants sont ainsi élevés dans leur famille paternelle et notamment par leurs grands-parents.
-
[15]
Ces petits animaux, au contraire du grand bétail, nous y reviendrons, constituent une épargne sur pied que les femmes peuvent facilement mobiliser.
-
[16]
Par soucis d’anonymat, le prénom des personnes interrogées a été modifié.
-
[17]
Il faut attendre plusieurs années avant de célébrer un mariage. Le mari doit d’abord constituer la dot. Ainsi, le couple peut avoir plusieurs enfants avant que le mariage soit célébré et que la femme rejoigne le foyer de son mari. Il en est de même des funérailles qui sont parfois célébrées plusieurs années après le décès.
-
[18]
Le climat de la région est de type soudano-sahélien avec une courte saison des pluies de 4 mois (de juillet à octobre) et une longue saison sèche le reste de l’année.
-
[19]
Les denrées alimentaires en question sont disponibles après les récoltes d’octobre – novembre et les villageois ne perçoivent les revenus de la traite de l’arachide qu’à partir de novembre – décembre.
-
[20]
1 000 francs cfa (Communauté financière d’Afrique, monnaie en cours dans les pays francophones) = 1,5 euros.
-
[21]
En 2001, 39 % des hommes et 31 % des femmes de la zone de Niakhar ont contracté une union maritale polygame. Sources : www.ird.sn/activites/niakhar/indicateurs/Indicateurs_demographiques/cadre_demo.htm
-
[22]
La plupart des femmes mariées se regroupent dans des « comités » de hameau ou de village dont l’une des fonctions est la tontine, dans laquelle elles cotisent de l’argent pour acheter des ustensiles de cuisine et des vêtements.
-
[23]
Les vingt familles que nous avons interrogées pratiquent toutes en premier lieu, en cas de fièvre d’un enfant, un recours « domestique », et ceci quel que soit leur statut économique. Elles ne recourent pas, dans un premier temps, à un spécialiste de la santé (dispensaire ou guérisseur) à moins que celui-ci ne soit gratuit, ce qui dans le cas des dispensaires est très rare (Baxerres, Le Hesran, 2004). Les médicaments pharmaceutiques industriels sont alors généralement achetés dans le marché informel du médicament.
-
[24]
À ce sujet, voir le numéro de la Revue Tiers Monde (n?197, janvier – mars 2009) qui interroge la responsabilité sociale de la microfinance.
-
[25]
Les études que nous menons actuellement en milieu urbain africain (Cotonou, Bénin) sur la question spécifique du marché informel du médicament relativisent également la prétendue spécificité des femmes à recourir aux vendeurs informels.
-
[26]
À partir du début des années 1960, une politique de chimioprophylaxie de masse à base de chloroquine était en vigueur dans les pays d’Afrique. Suite aux recommandations de l’OMS, la plupart des pays africains ont décidé, à partir du début des années 1990, d’instaurer le traitement présomptif des fièvres toujours par la chloroquine. Le développement important des résistances à la chloroquine a ensuite changé la donne. Depuis 2001, l’OMS recommande de remplacer globalement les monothérapies en traitement curatif de première intention du paludisme par l’utilisation de Combinaison thérapeutiques à base de dérivés d’artémisinine (CTA) (Souares, 2007). Pour les femmes enceintes, la prévention du paludisme gestationnel est toujours de mise. Avant 1998, elles recevaient une chimioprophylaxie à base de chloroquine. Depuis cette date, l’OMS recommande un traitement préventif intermittent (TPI) à base de sulfadoxine-pyriméthamine (Briand, 2008).