Couverture de RTM_194

Article de revue

Dynamiques et perspectives migratoires en Turquie

Pages 333 à 358

Notes

  • [*]
    Maître de Conférences, Faculté des Sciences économiques et sociales, Université de Lille 1, laboratoire EQUIPPE (Économie quantitative, interaction, politiques publiques et économétrie).
  • [1]
    - Selon les résultats des recensements, le nombre de personnes ayant changé de lieu de résidence à l’intérieur de la Turquie, qui correspondait à 9,3 % de la population de référence sur la période 1975-1980, représentait 11 % de celle-ci sur la période 1995-2000. Cette proportion devrait s’élever à 10,4 % sur la période 2005-2010, selon l’enquête menée par l’Institut d’études sur la population de l’université de Hacettepe (Hacettepe Üniversitesi, 2006). Il convient de préciser ici que les informations relatives au lieu de résidence n’étant pas disponibles pour une partie de la population, la population de référence couvre environ 90 % de la population totale recensée (DEMIRCI et SUNAR, 1998).
  • [2]
    - Selon l’Office des statistiques de Turquie, le secteur informel est constitué d’entreprises individuelles de moins de 10 salariés – secteur agricole exclu – et dont l’imposition est simple ou inexistante, tandis que les emplois non déclarés sont ceux qui ne sont pas inscrits auprès des caisses de retraites. Pour une analyse plus détaillée, voir GÜRSEL et al. (2004) et TEKINARSLAN (2004).
  • [3]
    - La ?-convergence absolue s’observe lorsque les régions en retard connaissent un rythme de croissance supérieur à celui des régions avancées. La ?-convergence s’observe lorsqu’un groupe d’économies convergent au sens où la dispersion de leurs PIB réels par habitant se réduit. Le raisonnement s’appuie sur l’hypothèse que l’écart-type des PIB par habitant exprimé en log va diminuer dans le temps.
  • [4]
    - Le GAP (Güneydo?gu Anadolu Projesi - Projet du sud-est d’Anatolie) est le projet qui a bénéficié d’un financement satisfaisant. Au départ, ce projet lancé en 1960 ne concernait que l’exploitation du potentiel hydraulique et agricole, pour former une région agricole tournée vers l’exportation. Il fut élargi à d’autres secteurs en 1986, pour aboutir en un plan intégré en 1989, dont le coût total s’élève à 32 milliards de dollars. À côté de la construction de barrages et de centrales hydroélectriques sur le Tigre et l’Euphrate et de réseaux d’irrigation, le projet intègre également les plans de développement des infrastructures dans les villes, des routes, de l’éducation, de la santé, du logement et du tourisme. Actuellement, un peu plus de la moitié se trouve réalisé.
  • [5]
    - Parmi ces projets on peut citer le ZBK, le DAP et le DOKAP. Le ZBK (Zonguldak-Bart?n-Karabük) pour le Nord était destiné à gérer les disparitions d’emplois liées à la modernisation des Charbonnages de Turquie (Türkiye Ta¸skömürü Kurumu) et à la privatisation des usines sidérurgiques (Karabük, Ere?gli Demir Çelik). Le DAP (Do?gu Anadolu Projesi - Projet de l’Anatolie de l’Est) fut conçu pour réhabiliter les dynamiques internes de la région. Le DOKAP (Do?gu Karadeniz Kalk?nma Plan? - Plan de développement de l’est de la Mer noire) envisageait de constituer une structure économique régionale intégrée, en donnant la priorité à l’élevage et au tourisme.
  • [6]
    - Selon l’enquête menée par l’Institut d’études de la population de l’Université de Hacettepe, les personnes qui ont émigré pour des motifs sécuritaires mentionnent la terreur du PKK, les pressions des autorités turques sur ceux qui aident le PKK, la fuite devant le PKK, la pression exercée par les protecteurs villages (milices paramilitaires recrutées au sein de la population locale), le refus d’être enrôlé comme protecteur de village. Sur la période 1986-2005, entre 954 000 et 1,2 million de personnes auraient été concernées par ce type de migrations forcées (Hacettepe Üniversitesi, 2006).
  • [7]
    - Parmi les mesures prises au niveau national figurent le Projet de retour au village et de réhabilitation (Köye dönü¸s ve Rehabilitasyon Projesi) et la loi 5233 sur l’indemnisation des pertes liées au terrorisme et à la lutte contre le terrorisme (Terör ve Terörle Mücadeleden Do?gan Zararlar?n Kar¸s?lanmas? Hakk?ndaki Kanun) votée en juillet 2004 et dont le décret d’application est entré en vigueur en octobre de la même année. En cas d’épuisement des recours au niveau national, les personnes concernées ont la possibilité de s’adresser à la Cour européenne des Droits de l’Homme. En 2005, le nombre des retours était estimé entre 112 000 et 124 000.
  • [8]
    - C’est en 1957 qu’un petit groupe de techniciens turcs se rendaient à l’Institut für Weltwirtschafts de l’Université de Kiel, dans le cadre d’un stage de formation, pour les besoins des investisseurs allemands en Turquie. Mais, embauchés dans les docks de Hambourg, ils s’installèrent en Allemagne. Cette initiative fut suivie par l’invitation d’un autre groupe de deux cents techniciens. En 1960, les entrepreneurs allemands commençaient à embaucher des travailleurs turcs, par l’intermédiaire des bureaux privés baptisés « de traduction et d’embauche » installés dans les grandes villes de Turquie. En août 1965, le président du patronat allemand, se plaignant de l’insuffisance du flux migratoire turc, déclarait : « Nous avons demandé 200 000 travailleurs à la Turquie. Or l’afflux est lent. Si cette situation persiste, nous embaucherons auprès de pays comme le Portugal ou l’Espagne. » (Milliyet - quotidien turc - du 4 août 1965, traduction de l’auteur)
  • [9]
    - Les données relatives aux retours, bien qu’elles présentent des écarts importants selon les sources, témoignent de l’ampleur du phénomène. Sur la période 1960-1990, les retours se situent dans une fourchette allant de 1 million (?IÇDUYGU, 2006a) à 2,7 millions (BULUTAY, 1995), tandis qu’entre 1980 et 1999, ils sont estimés à 1,5 million (?IÇDUYGU, 2006a).
  • [10]
    - Les effectifs nés en Allemagne s’élèvent à 1 million (MANÇO, 2005).
  • [11]
    - Depuis 1990, le nombre de naturalisations de migrants turcs en Europe s’établit à 84 000 en moyenne par an (MANÇO, 2005).
  • [12]
    - L’estimation la plus élevée, 4,4 millions de migrants turcs supplémentaires en Allemagne à l’horizon 2030, avancée par l’Osteuropa-Institut de Munich, suppose une convergence très faible (QUAISSER et WOOD, 2004). Les auteurs concèdent néanmoins qu’il s’agit d’une estimation maximale et admettent que si l’on appliquait à la Turquie la méthodologie du DIW utilisée pour évaluer l’impact migratoire de l’élargissement de 2004, cette estimation serait ramenée à 500 000. Les hypothèses optimistes conduisent à envisager 1,25 million de migrants turcs supplémentaires en Allemagne sur la même période (FLAM, 2003 ; TOGAN, 2004). Enfin, selon les hypothèses retenues dans la simulation des flux migratoires en provenance des nouveaux États membres de l’Europe centrale et orientale vers l’UE-15, les flux migratoires de Turcs vers l’UE-15 s’élèveraient à 2,7 millions à l’horizon 2025 (LEJOUR, DE MOOIJ et CAPEL, 2004). Compte tenu de l’impact des réseaux de solidarité qui influencent l’orientation géographique des flux, c’est l’Allemagne qui en recevrait le plus grand nombre avec 2 millions de nouveaux migrants turcs.
  • [13]
    - Alors que la mise en œuvre de la libre circulation des personnes se traduit par un pic des flux de migrants qui passent de 10 000 en 2014 à 215 000 dans les années 2016-2017 pour baisser rapidement ensuite, dans le scénario de non-adhésion la tendance ascendante des flux migratoires se poursuit de façon continue pour atteindre 125 000 en 2018 et se maintenir jusqu’en 2030.
  • [14]
    - Il s’agit d’extrapolations effectuées par IÇDUYGU (2006b) à partir de données communiquées par le Bureau des étrangers, des frontières et de l’asile et par la Direction générale de la sûreté du ministère de l’Intérieur. On entend par immigration irrégulière, les migrants entrés légalement en Turquie avec un visa touristique, mais ayant dépassé la durée de séjour autorisée, dont les effectifs sont estimés à 150 000 par an, ainsi que les migrants entrés sur le territoire par des voies illégales, évalués à 50 000 par an.
  • [15]
    - En 2001, 6 000 ressortissants allemands ainsi que 6 000 hollandais avaient acquis des biens immobiliers à Alanya situé dans le département d’Antalya (KAISER et IÇDUYGU, 2005).
  • [16]
    - Le projet conçu par le Technopark de Middle East Technical University d’Ankara, à la demande de ressortissants norvégiens, envisage la création de vingt cités pour accueillir en Turquie et en Roumanie 100 000 retraités à l’horizon 2015. Ce projet dont le coût total s’élève à 20 milliards de dollars démarre avec la construction d’une cité à Constanza en Roumanie (Milliyet - quotidien turc -,18/01/2007).
  • [17]
    - Selon les estimations du ministère du Travail et de la Sécurité sociale, environ 50 % des emplois n’étaient pas déclarés auprès des organismes de sécurité sociale en 2002. Cette proportion est de 19 % pour les travailleurs salariés, 79 % pour les journaliers, 60 % dans le cas des entrepreneurs individuels et 98 % pour les travailleurs familiaux (TEKINARSLAN, 2004).
  • [18]
    - Au printemps-été 1989, la Turquie a accueilli plus de 320 000 Bulgares d’origine turque ou de confession musulmane, victimes de persécutions politiques et culturelles du régime communiste finissant qui leur interdisait l’usage de la langue maternelle et les contraignait à changer de nom de famille pour un aux consonances bulgares (SOPEMI, 1990).
  • [19]
    - Comme les Albanais, les Bosniaques, les Serbes ou Bulgares musulmans, les Gagaouzes (turcophones chrétiens orthodoxes), les Tcherkesses, les Tchétchènes, les Balkars, les Karatchaïs, les Nogays, les Azéris, les Géorgiens musulmans (Adjars ou Abkhazes), les Turkmènes, les Kazakhs, les Ouzbeks, les Kirghizes (DE TAPIA, 2001).
  • [20]
    - Par exemple, dans les années 1990, les Bosniaques et les Albanais kosovars ont bénéficié d’un accueil discret par les membres de leurs familles installées depuis quelques générations en Turquie, sans pour autant demander le statut de réfugié (MUTLUER, 2003).
  • [21]
    - En Moldavie l’obtention d’un visa Schengen s’élève environ à 4 000 euros (y compris les pots-de-vin), tandis que le visa turc obtenu rapidement à la frontière ne coûte que 10 dollars. Les migrants intègrent également dans leur calcul l’amende dont ils doivent s’acquitter lorsqu’ils quittent le territoire turc à une échéance dépassant les trois mois autorisés par un visa touristique.

1 Par bien des aspects, les perspectives migratoires qui concerneront la Turquie d’ici 2050 suscitent de nombreuses interrogations et conduisent à mobiliser différentes grilles d’analyse. Tout d’abord, dans ce pays émergent en transition démographique rapide se pose la question des migrations internes liées aux changements structurels et aux disparités régionales. À quel stade de l’exode rural se trouve le pays ? Dans quels sens vont évoluer les migrations régionales internes ? La Turquie constitue également un pays d’émigration, avec une diaspora de 3,3 millions de personnes constituée au fil des ans depuis la fin des années 1950, avec le départ des premiers Gastarbeiter (travailleurs hôtes) vers l’Allemagne. L’interrogation suivante porte alors sur les conséquences croisées du déclin démographique observé en Europe et de la perspective d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE). Existerait-il une dynamique migratoire alimentée par la complémentarité démographique entre la Turquie et l’UE ? Dans quelle mesure la convergence économique, dont le rythme est étroitement lié àl’ancrage européen de la Turquie, influencera l’émigration turque vers l’UE ? Enfin, la Turquie est aussi un pays d’immigration. Et ce phénomène, relativement nouveau pour elle, invite à réfléchir aux dynamiques qui le portent et aux facettes multiples qui le constituent, parallèlement à la diversité des provenances des immigrants. Quels sont les facteurs de répulsion et d’attractivité de la Turquie ?

2 Les questions multiples suscitées par le contexte turc, à l’image de la diversité des dynamiques migratoires (sociologiques, économiques, démographiques, politiques), intéressent les différentes disciplines des sciences sociales qui proposent diverses grilles d’analyse. L’approche générale en termes de facteurs d’ « attractivité » et de « répulsion » constitue souvent le point de départ des réflexions. Les analyses sociologiques, en introduisant les notions de « réseaux de solidarité » et d’ « espace social transnational », éclairent la chaîne migratoire à travers les retours de migrants, la reproduction des flux ainsi que leur épuisement. De leur côté, les approches macro-économiques d’inspiration néo-classique mettent l’accent sur les écarts de revenus et articulent la problématique des mouvements migratoires avec les changements structurels du processus de développement. Enfin, les tentatives de synthèse du phénomène migratoire conçues à partir des liens historiques, économiques, culturels et politiques entre les pays s’efforcent de fournir une vision d’ensemble. Ces quelques repères théoriques tirés d’une littérature beaucoup plus vaste illustrent la diversité des dynamiques en œuvre.

3 Toutefois, si les différentes approches fournissent des analyses rétrospectives pertinentes qui rendent compte de cette diversité, certaines s’avèrent limitées sur le plan prospectif, dans la mesure où elles se prêtent mal à la formalisation ou par manque de données disponibles ou quantifiables (BIJAK, 2006). Il n’en demeure pas moins que choisir une grille d’analyse dont l’avantage réside dans la formalisation présente également des limites. La démarche retenue ici articule les dynamiques démographiques (population active, taux de dépendance, etc.) et économiques (écarts de revenus, taux de chômage, etc.) et se prête à la formalisation pour construire des scénarios prospectifs. En revanche, elle ignore le phénomène de la chaîne migratoire analysée par les approches sociologiques. Les scénarios prospectifs décrivent par conséquent les flux migratoires nets. L’analyse nécessite souvent la prise en compte des déterminants politiques, historiques ou géopolitiques, sans lesquels la compréhension des phénomènes resterait incomplète.

I – BREF APERÇU DES DYNAMIQUES DÉMOGRAPHIQUES ET ÉCONOMIQUES À L’ŒUVRE

4 Sur le plan démographique, la Turquie réunit plusieurs caractéristiques favorisant une forte mobilité des personnes, comme en témoignent les données recueillies lors des recensements ainsi que les enquêtes menées sur les perspectives migratoires  [1]. Avec une population de 72 millions d’habitants en2007 qui devrait continuer à s’accroître avant de se stabiliser aux alentours de 96 millions vers 2050, le pays, bien qu’en transition démographique, restera relativement jeune (BEHAR et al., 1999). Dans la mesure où la propension à émigrer commence à décroître fortement à partir de la classe d’âge des 55 ans et plus, l’évolution de l’âge médian, qui atteindra 39 ans en 2050 selon les projections, conduit à envisager le maintien d’une mobilité élevée des personnes (graphique 1). Les dynamiques économiques seront également à l’œuvre pour alimenter les mouvements migratoires tant sur le plan international que sur le plan national. Tout d’abord, parce que la capacité de l’économie turque à créer des emplois pour résorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail risque d’être limitée encore durant quelque temps. Ensuite, parce que les transformations structurelles de l’emploi liées au processus de développement, ainsi que les disparités régionales du pays vont continuer à nourrir les flux migratoires internes (FAINI, 2002).

Graphique 1

Population (millions), taux de natalité et de mortalité (‰) et âge médian

figure im1
100 60
90 T aux de natalité
80 (échelle de droite) Population 50
70 40
60 T aux de mortalité
50 (échelle de droite) A ge médian 30
40 (échelle de droite)
30 20
20 10
10
0 0
1935 1945 1955 1965 1975 1985 1995 2005 2015 2025 2035 2045

Population (millions), taux de natalité et de mortalité (‰) et âge médian



Türkiye ?Istatistik Kurumu (TÜ?IK, Office des statistiques de Turquie).

5 Les données actuelles issues des enquêtes sur l’emploi effectuées par l’Office des statistiques de Turquie auprès des ménages indiquent l’existence d’un surplus de main-d’œuvre susceptible d’alimenter l’incitation à émigrer à l’étranger. En 2005, le nombre de chômeurs s’élevait à 2,5 millions et le sous-emploi agricole concernait 817 000 personnes ; soit un total représentant déjà 13,6 % de la population active. Lorsqu’on ajoute les 1,7 millions de personnes prêtes à travailler, mais ne cherchant pas activement un emploi en raison des difficultés sur le marché du travail, ainsi que 480 000 autres travaillant à temps partiel et faisant partie de la population inactive, le surplus de main-d’œuvre s’élève alors à quelques 5,5 millions de personnes ; soit 20,7 % de la population active corrigée de l’ajout de cette partie de la population inactive. Enfin, il convient de préciser qu’une part non négligeable des 22 millions d’emplois recensés est liée auxactivités informelles (entre 1,8 et 3,7 millions d’emplois selon les définitions retenues dans les estimations) et qu’environ la moitié de ces 22 millions correspond à des emplois non déclarés. Cela souligne bien l’existence d’un excédent de main-d’œuvre dans le contexte actuel  [2].

Graphique 2

Variations annuelles moyennes de la population en âge de travailler et de l’emploi (1935-2050) (milliers)

figure im2
1 100
Population 15-64 ans
900 E mploi
Scénario 2
700
500
E mploi
Scénario 1
300
100
- 100
1935- 1945- 1955- 1965- 1975- 1985- 1995- 2005- 2015- 2025- 2035- 2045-
1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050

Variations annuelles moyennes de la population en âge de travailler et de l’emploi (1935-2050) (milliers)




Note : Les scénarios relatifs à l’emploi sont bâtis selon les taux de croissance du PIB de 4,1 % par an (scénario 1) et de 5,1 % par an (scénario 2) et un gain de productivité annuel moyen du travail de 1,4 % qui correspond à la tendance observée sur la période 1980-2005 (voir le graphique 3). Une accélération du rythme des gains de productivité réduit les pentes des courbes et éloigne la date de croisement des courbes de variation de la population en âge de travailler et de l’emploi.
Projection (pour la population 15-64 ans) du TÜ?IK et calculs effectués à partir des résultats de l’enquête sur l’emploi auprès des ménages du TÜ?IK.

6 Ce surplus de main-d’œuvre ainsi que la croissance soutenue de la population en âge de travailler (15-64 ans) pendant encore quelques décennies continueront à exercer des pressions en faveur de l’émigration à l’étranger et l’ampleur de celle-ci dépendra du rythme de croissance de l’économie nationale. La population en âge de travailler augmentera de 16,1 millions, avant de décroître à partir de 2040. L’équilibre entre l’accroissement de la population en âge de travailler alimentant l’offre sur le marché du travail et les créations nettes d’emploi devrait intervenir, selon toute vraisemblance, entre 2020 et 2030, suivant les scénarios de croissance du produit intérieur brut retenus, allant du maintien du rythme de 4,1 % observé sur les vingt-cinq dernières années (scénario 1) à 5,1 % par an (scénario 2), et les gains de productivité liés essentiellement aux transformations structurelles de l’emploi (graphique 2). Une accélération des gains de productivité, supposés constants dans les projections ci-dessus, conduit à un équilibre aux alentours de 2030. L’équilibre peut être repoussé vers 2035 par la progression du taux d’activitéparticulièrement bas actuellement (48,3 % en 2005). Ce faible niveau étant imputable essentiellement à la faiblesse du taux d’activité féminine (environ 20 %) ; en 2005 les femmes au foyer constituaient 50 % des effectifs de la population inactive. Cette situation reflète les difficultés d’insertion des femmes d’origine rurale dans les activités urbaines, corollaire des transformations structurelles de l’emploi.

7 Ces transformations se traduisent par le transfert de la main-d’œuvre des secteurs à faible productivité vers les secteurs à forte productivité et plusieurs raisons donnent à penser qu’elles seront également à l’œuvre pour alimenter les flux migratoires liés aux facteurs économiques (graphique 3). Tout d’abord, ce transfert de main-d’œuvre vers les secteurs à forte productivité situés dans les zones urbaines à l’ouest du pays continuera à alimenter l’exode rural, ainsi que les migrations régionales. Ensuite, le déroulement du processus influencera à la fois le niveau de l’emploi et celui du revenu, qui constituent les deux déterminants importants de l’incitation à émigrer à l’étranger. Les secteurs non agricoles seront amenés à résorber non seulement l’accroissement de la population en âge de travailler, mais aussi le surplus de main-d’œuvre agricole. Dans ce registre, la structure sectorielle de l’emploi indique que la Turquie a encore du chemin à parcourir ; en 2005 l’emploi agricole représentait 29,5 % de l’emploi total, tandis que les parts relatives du secteur industriel et des services correspondaient respectivement à 24,8 % et 45,8 %. La baisse de la part relative de l’agriculture depuis les années 1930 ainsi que la réduction des effectifs employés par celle-ci depuis la fin des années 1990 confirment une évolution qui s’inscrit dans le cadre du schéma classique des transformations sectorielles de l’emploi. Selon les projections, la part relative de l’emploi agricole devrait s’établir à 21 % à l’horizon 2020 (DPT, 2004), puis à 5 % en 2040 sous l’hypothèse du maintien des tendances observées entre 1990 et 2005.

Graphique 3

Variations annuelles moyennes du produit, de l’emploi et de la productivité du travail (1980-2005) (en %)

figure im3
Production
T otal Productivité
E mploi
Services
I ndustries
A griculture
- 1,5 -1,0 -0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0 4,5 5,0 5,5

Variations annuelles moyennes du produit, de l’emploi et de la productivité du travail (1980-2005) (en %)



Calculs à partir des données de TÜ?IK.

8 Toutefois, bien que l’évolution de la composition sectorielle de l’emploi observée dans le passé soit en conformité avec le schéma classique du processus de développement, il n’est pas sûr qu’il en soit de même en ce qui concerne lesperspectives futures. La question est de savoir si la Turquie suivra le schéma classique ou une trajectoire réduisant la période d’accroissement de la part de l’emploi industriel. Cette dernière atteindra-t-elle les 40 % pour amorcer une décrue au bénéfice de l’emploi dans les services, avant de se stabiliser entre 25 et 30 %, comme dans le schéma classique ? Ou bien celle-ci va-t-elle converger directement vers les valeurs actuelles des pays anciennement développés (en moyenne 28 % pour les pays de l’OCDE en 2000), sans passer par la phase de recul ? Par leurs conséquences contradictoires sur les niveaux du revenu et de l’emploi, ces trajectoires ne sont pas neutres sur le plan des mouvements migratoires. Le premier cas de figure, caractérisé par une accélération des gains de productivité, conduit à repousser vers 2030 voire 2035 l’échéance à laquelle les créations d’emploi arriveront à résorber l’accroissement de la population active. Si l’accélération des gains de productivité, en contribuant à la hausse du niveau de revenu, participe à l’affaiblissement de l’incitation à émigrer à l’étranger pour la main-d’œuvre qualifiée, elle exerce un effet inverse en ralentissant la résorption du surplus de main-d’œuvre peu qualifiée. Ce scénario devient envisageable à condition que la Turquie intensifie ses efforts d’investissement en capital humain. À défaut, dans le second cas de figure, l’évolution sera marquée par une progression rapide des emplois tertiaires peu qualifiés pour lesquels les gains de productivité, et par conséquent la hausse de revenu, seront relativement faibles. Cette croissance économique riche en emplois, mais faible en amélioration du niveau de vie, risque d’alimenter l’incitation à émigrer en général. Dans un cas comme dans l’autre, l’accélération du rythme de croissance du PIB apparaît comme l’une des variables clés susceptibles de réduire l’incitation à émigrer à l’étranger.

II – MIGRATIONS INTERNES : DE L’APAISEMENT DE L’EXODE RURAL À L’INTENSIFICATION DES MIGRATIONS RÉGIONALES VERS L’OUEST DU PAYS

9 Les transformations structurelles de l’emploi qui se traduisent par le transfert de la main-d’œuvre des secteurs à faible productivité vers les secteurs à forte productivité situés dans les zones urbaines à l’Ouest du pays continueront à alimenter l’exode rural, ainsi que les migrations régionales. Dans le passé, cette mobilité sectorielle de la main-d’œuvre, accompagnée par une croissance démographique soutenue dans les campagnes, s’est traduite par un exode rural déclenché dans les années 1950 avec la fin de la pénurie alimentaire due à la Seconde guerre mondiale et l’accélération de la mécanisation de l’agriculture (graphiques 4 et 5). L’évolution en ciseaux des courbes de la population urbaine et rurale, toutes deux ascendantes jusqu’aux années 1980, est caractérisée depuis par une baisse, certes légère mais effective, de la population rurale. À cet égard, le milieu des années 1980 constitue un tournant qui annonce le ralentissement de l’exode rural en termes relatifs (graphique 4). Toutefois, comme cela a été déjà signalé, les projections relatives à la composition sectorielle de l’emploi indiquent qu’il reste encore du chemin à parcourir avant que la Turquie n’achève le processus des transformations structurelles. Aussi, l’exode rural qui marque le contexte du pays depuis les années 1950 garde-t-il encore son actualité. Néanmoins, même si le sous-emploi agricole continuera d’alimenter les migrations vers les zones urbaines, l’évolution en termes relatifs sera marquée par l’apaisement de l’exoderural, comme en témoignent les faibles niveaux du taux de migration net vers les zones urbaines (graphique 5).

Graphique 4

Évolution des populations urbaines et rurales (en millions) et de la part de l’agriculture dans l’emploi total (%)

figure im4
100
90 Part de l'agriculture Population
80 dans l'emploi total urbaine
70
60
50
40 Population
rurale
30
20
10
0
1935 1945 1955 1965 1975 1985 1995 2005 2015 2025 2035 2045

Évolution des populations urbaines et rurales (en millions) et de la part de l’agriculture dans l’emploi total (%)




Note : Pour la méthode de calcul, voir l’annexe 1.
TÜ?IK (1935-2010) et calculs à partir des projections de TÜ?IK (2010-2050).
Graphique 5

Exode rural (en millions, échelle de gauche) et taux de migration urbaine net (‰, échelle de droite)

figure im5
3,0 250
T aux de migration urbaine net
2,5 200
2,0
150
1,5
100
1,0
0,5 50
0,0 0
1927- 1940- 1950- 1960- 1970- 1980- 1990- 2000- 2010- 2020- 2030- 2040-
1935 1945 1955 1965 1975 1985 1995 2005 2015 2025 2035 2045

Exode rural (en millions, échelle de gauche) et taux de migration urbaine net (‰, échelle de droite)




Note : Pour la méthode de calcul voir les annexes 1 et 2.
Calculs à partir des données de TÜ?IK.

10 Les tendances actuelles font ressortir plutôt la dimension régionale des migrations internes. Les informations issues des recensements montrent en effet que, depuis les années 1980, environ 60 % des migrations internes s’effectuent entre les zones urbaines et 75 % entre les régions. L’orientation de ces flux migratoires est à l’image des disparités économiques qui peuvent se résumer par l’opposition entre l’Ouest développé et l’Est en retard. Tous les indicateurs mettent l’accent sur cette dualité du territoire turc dont les extrêmes sont l’agglomération stambouliote à l’Ouest et le département de Hakkari à l’extrême Sud-Est (BAZIN, 2005).Istanbul, qui demeure le centre industriel et commercial du pays, a pleinement profité de l’ouverture extérieure de l’économie turque engagée à partir de 1980, et constitue le centre d’une aire métropolitaine qui englobe les départements limitrophes à l’Ouest et à l’Est (Marmara Ouest et Marmara Est). En 2005, avec son agglomération, Istanbul concentrait 25 % de la population totale, 31 % de l’emploi total, 47 % de l’emploi industriel et du PIB. En tête de liste du classement du PIB par habitant, cette région est aussi au premier rang des régions d’accueil (graphique 6). Une enquête récente révèle que seulement 28,5 % des stambouliotes sont nés à Istanbul, alors que cette proportion s’élève à 96,5 % dans le Nord-Est et à 95,4 % dans le Sud-Est (KONDA, 2007). En dépit de l’émergence de certains pôles de développement baptisés « tigres d’Anatolie » dans les régions en retard, les observations témoignent de l’absence de convergence économique susceptible d’apaiser les pressions migratoires d’axe est-ouest (GÜVENÇ, 2004 ; DOG?RUEL et al., 1996). En effet, sur la période 1987-1999, si l’on observe la ?-convergence absolue, la ?-convergence indique le maintien des disparités [3](DOG?RUEL et DOG?RUEL, 2003). En d’autres termes, bien que le rythme de croissance du revenu par habitant soit plus élevé dans les départements en retard, cela ne suffit pas à réduire les disparités.

Graphique 6

Disparités régionales et migrations

figure im6
60
I stanbul
T aux de mi grati on net (‰)
40
M armara Ouest
20 É gée
(1995-2000)
Méditerranée A natolie Ouest Marmara E st
0
- 20 A natol i e centrale
A natolie E st Mer Noire E st
- 40 A natoli e S ud-E st Mer Noi re Ouest
A natoli e Nord-E st
- 60
40 60 80 100 120 140 160
PNB /habi tant 2000 (T urqui e = 100)

Disparités régionales et migrations


TÜ?IK.

11 Parmi les dynamiques qui apparaissent souvent dans la littérature consacrée aux disparités régionales figurent : a) l’inefficacité des interventions publiques ; b) la faiblesse des échanges avec les régions limitrophes des pays voisins ; c) et le climat d’insécurité qui règne dans le sud-est du pays depuis le milieu des années 1980 avec la montée du séparatisme kurde. Sur le registre de l’inefficacité de l’action publique, les autorités, tout en soulignant leur volonté de réduire les disparités régionales dans les plans de développement quinquennaux mis enœuvre depuis les années 1960, admettent les mauvaises performances ; à l’exception du GAP  [4], les projets  [5] sont loin d’avoir produit les effets escomptés. S’il est possible d’évoquer un succès relatif sur le plan de la production agricole dans le cas du GAP, qui a permis de fixer sur place une partie de la population, celui-ci n’a pas suffi pour créer un effet d’entraînement sur les autres secteurs. La dimension migratoire est prise en compte plus explicitement par le 8e plan (2001-2005) qui affiche clairement l’objectif du relèvement du niveau de vie dans les régions en retard pour « réduire les pressions migratoires qui pèsent sur les métropoles ».Quant à la faiblesse des échanges avec les régions limitrophes des pays voisins, les analyses historiques mettent en avant l’impact négatif de la rupture des schémas d’intégration économique régionale avec l’établissement des frontières nationales consécutif à la dislocation de l’Empire ottoman. Les flux d’échanges économiques que les régions de l’Est entretenaient avec les régions limitrophes des pays voisins ont été brutalement interrompus ; au nord-est avec le Caucase et la Russie, et au sud-est avec la Syrie, Alep et Damas en particulier. Le contexte de guerre froide qui a marqué la seconde moitié du XXe siècle n’a fait que renforcer cette rupture (DOG?RUEL et DOG?RUEL, 2003). Si la disparition du bloc soviétique avait permis un certain temps d’espérer la mise en place d’une intégration régionale susceptible de dynamiser les économies du Nord-Est et de l’Est, les perspectives de développement demeurent aujourd’hui limitées en raison de l’instabilité politique qui règne dans les pays voisins (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). De même, le développement des échanges du Sud-Est avec les régions limitrophes des pays voisins (Iran, Irak, Syrie) se trouve handicapé par les conflits armés et l’instabilité politique interne. Enfin, parmi les facteurs répulsifs qui concernent plus spécifiquement le Sud-Est du territoire turc, figure le climat d’insécurité. Depuis le milieu des années 1980, la population de la région, prise en tenaille entre la répression du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et des organisations paramilitaires (Kontrgerilla, Özel tim), est fortement incitée, sinon contrainte, à émigrer  [6]. Les différentes mesures juridiques destinées à encouragerles retours ne semblent pas avoir produit l’effet escompté  [7]. En dehors de son impact direct, la montée de l’insécurité a eu pour conséquence de renforcer les facteurs répulsifs de nature économique, en accélérant le retard économique de l’Est ; les investisseurs privés potentiels, y compris ceux originaires de la région, ont préféré réaliser leurs investissements à l’Ouest (PÉROUSE, 2005).

12 En l’absence de changements susceptibles d’affaiblir ces dynamiques qui nourrissent les facteurs répulsifs, le maintien des flux migratoires vers l’Ouest paraît inévitable, du moins à moyen terme. Cette tendance est confirmée par les résultats de l’enquête sur le potentiel migratoire réalisée par l’Institut d’études de la population de l’Université de Hacettepe à Ankara ; 10,9 % des personnes interrogées dans l’ensemble des régions déclarent leur intention d’émigrer dans un délai de cinq ans, et la moitié de celles-ci choisit majoritairement des départements d’émigration dont la plupart sont situés dans l’ouest et le sud du pays (tableau 1).

Tableau 1

Les intentions à émigrer selon les départements d’origine et de destination (2005)

Destinations
Origines DE DI A Étranger Total
Départements d’émigration (DE) 1 27,6 52,4 17,1 2,9 100
Départements d’immigration (DI) 2 5,7 33,1 49,0 12,2 100
Autres (A) 3 - 62,4 37,1 0,5 100
Total 5,8 50,9 38,5 4,9 100
figure im7

Les intentions à émigrer selon les départements d’origine et de destination (2005)




Note : 1. Départements d’émigration : 14 départements situés dans la région Est (Ad?yaman, A?gr?, Batman, Bingöl, Bitlis, Diyarbak?r, Elazig?, Hakkari, Mu¸s, Siirt, S¸?rnak, Tunceli et Van).
2. Départements d’immigration : 10 départements dont 6 situés dans la région Ouest (Istanbul, Izmir, Bursa, Kocaeli, Manisa et Ankara), 3 dans la région Sud (Adana, Mersin, Antalya) et 1 dans la région Sud-Est (Malatya).
3. Autres départements : 8 départements choisis de façon aléatoire parmi 57, dont 3 situés à l’Ouest (Tekirdag?, Bolu, Mug?la), 2 au Nord (Çank?r? et Giresun) et 1 respectivement dans le Sud (Burdur), le Centre (Aksaray) et l’Est (Kars).
Institut d’études de la population de l’Université de Hacettepe (2006).

13 Sur le long terme, l’apaisement des pressions migratoires de l’Est vers l’Ouest suppose la réalisation d’une série de conditions dont certaines renvoient à l’obtention d’un consensus en Turquie. La mise en œuvre des politiques de développement régional de grande ampleur qui engendre un accroissementconsidérable des transferts budgétaires au profit des régions en retard ainsi que l’issue du problème posé par le séparatisme kurde exigent en effet un large consensus au sein de la population. En revanche, l’expansion des échanges transfrontaliers qui dépend de la stabilisation politique chez les pays voisins orientaux apparaît comme une variable exogène. En attendant, les flux migratoires vont continuer à s’orienter vers l’ouest, en particulier vers l’agglomération stambouliote qui se présente comme une plaque tournante articulant les migrations nationales et internationales. Selon les résultats de la même enquête, la propension à émigrer à l’étranger est 2,5 fois plus élevée dans les départements d’immigration que la moyenne nationale (tableau 1). L’ouest de la Turquie, qui reçoit les flux migratoires internes, constitue également une région de départ à destination de l’étranger, tant pour les Turcs que pour une catégorie de migrants en transit en Turquie. Le constat rappelle en même temps la dimension internationale du phénomène migratoire.

III – LA TURQUIE ET LES MIGRATIONS INTERNATIONALES : PAYS DE DÉPART, MAIS AUSSI PAYS D’ACCUEIL ET DE TRANSIT

1 – Pays de départ

14 L’émigration que connaît la Turquie témoigne du fait que ses performances économiques se sont avérées insuffisantes pour résorber l’excédent de main-d’œuvre lié à la croissance démographique et aux transformations structurelles de l’emploi, de telle sorte que la mobilité interne de la population fut accompagnée par une mobilité internationale, plus précisément par l’émigration turque vers l’UE, depuis la fin des années 1950. Toutefois, si l’apparition d’un excédent de main-d’œuvre à partir des années 1950 a préparé un terrain favorable à l’émigration, c’est la pénurie de main-d’œuvre dans les principaux pays de l’Europe occidentale, plus particulièrement en Allemagne, qui fut l’élément déterminant dans le déclenchement du processus  [8] (AKAGÜL, 1995). D’un autre côté, la croissance de la manne pétrolière dans les pays du Moyen-Orient a fait apparaître au début des années 1980 une nouvelle destination, avec la multiplication des contrats de travaux publics obtenus par les firmes turques. Cependant, malgré l’arrêt des politiques d’immigration en 1974 dans la plupart des pays d’accueil de l’UE, l’émigration turque vers les principaux pays d’immigration de l’Europe occidentale s’est poursuivie, comme en témoigne l’évolution du nombre de migrants turcs dans les pays de l’UE qui atteignait 2,7 millions en 2005.Cette même année 82 % des migrants turcs se trouvaient dans les pays de l’UE et 58 % en Allemagne. Il convient de rappeler au passage que ces données ne tiennent que partiellement compte des mouvements migratoires, dans la mesure où elles ignorent certains phénomènes comme les retours  [9], les naissances dans les pays d’accueil  [10] ainsi que les naturalisations  [11], qui sont loin d’être négligeables (graphique 7).

Graphique 7

Migrants turcs en Allemagne (en milliers)

figure im8
3 000
2 500
2 000
1 500
1 000
500
0
1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000
Effectifs à l'exclusion des naturalisations Effectifs y compris les naturalisations

Migrants turcs en Allemagne (en milliers)


Türkiye Ara¸st?rmalar Merkezi (Centre de recherches sur la Turquie).

15 Si les perspectives actuelles rappellent le contexte de la fin des années 1950 marqué par la complémentarité des besoins des principaux pays d’immigration de l’UE et l’excédent de main-d’œuvre en Turquie, elles comportent également des éléments distinctifs : les choix politiques qui seront effectués par les pays d’accueil, ainsi que les performances de l’économie turque susceptibles de modifier les déterminants de l’incitation à émigrer. Aussi les analyses prospectives sur l’émigration turque vers l’UE mettent-elles en avant deux types de dynamiques, insistant d’une part sur les besoins d’immigration des pays de l’UE en liaison avec leur déclin démographique, et d’autre part sur le rattrapage de l’économie turque en corollaire au processus d’adhésion. La thèse de la complémentarité démographique entre la Turquie et l’UE, avancée par les analyses qui établissent un parallèle avec le contexte de la fin des années 1950, consiste à affirmer que la vitalité démographique de la Turquie pourrait contribuer à alléger le problème posé par le déclin démographique et le vieillissement de la population des pays de l’UE-15. Ainsi, le rapport de la Commission indépendante sur la Turquie (2004) indique que « l’immigration en provenance de Turquie pourrait constituer l’un des impacts positifs de l’accession turque ». De même, la Banque mondiale, constatant que l’UE-15 aura besoin de 79 millions de migrants actifs d’ici 2050 pour maintenir lapopulation active à son niveau de 1995 et que les réserves de main-d’œuvre des pays d’Europe centrale et orientale et de l’ex-URSS sont en voie d’épuisement, suggère qu’ « avec une augmentation de 16 millions de sa population en âge de travailler, la Turquie pourrait couvrir à hauteur de 12 millions le déficit démographique de l’UE » (MANSOUR et QUILLIN, 2006). Les projections de l’ONU vont également dans le même sens (ONU, 2001). Tous les pays membres ne sont pas logés à la même enseigne ; si les besoins de la France seront modérés, l’Allemagne et l’Italie feront face à des déficits démographiques importants. Dans la mesure où l’Allemagne représente la première destination des migrants turcs, la thèse de la complémentarité démographique se trouve renforcée (tableau 2). L’évolution démographique de la Turquie tend également à corroborer cette thèse. Alors que la population en âge de travailler continuera de s’accroître à un rythme soutenu jusqu’aux années 2030, le ratio 15-64 ans/65 ans et plus, bien qu’en baisse, ne rejoindra le niveau de celui de l’UE-15 en 1995 que dans les années 2040 (graphique 8). Toutefois, si les tendances démographiques confirment les besoins de main-d’œuvre immigrée des pays de l’UE-15, l’ampleur de ces besoins dépendra d’une série de choix politiques, notamment relatifs aux domaines suivants : le taux d’activité, l’âge de départ à la retraite (par exemple, pour éviter l’immigration tout en maintenant le nombre d’actifs, il faut augmenter l’âge de départ à la retraite à 75 ans), le niveau de couverture des dépenses de santé des personnes âgées, le niveau des contributions des salariés au financement de ces dépenses, ou encore les politiques migratoires dans une perspective de remplacement des populations et d’intégration des nouveaux migrants (ONU, 2001).

Tableau 2

Les flux migratoires nets vers l’UE-15 selon les projections et les scénarios des Nations unies (1995-2050) (en milliers)

Scénarios
Périodes I II III IV V VI
Migrations nettes annuelles 1995-2050
UE-15 297 - 863 1 447 2 794 12 736
Allemagne 204 - 344 487 810 3 630
Migrations totales 1995-2050
UE-15 16 361 - 47 456 79 605 153 646 700 506
Allemagne 11 400 - 17 838 25 209 40 481 188 497
Population totale
1995 371 937 371 937 371 937 371 937 371 937 371 937
2050 331 307 310 839 372 440 418 509 519 965 1 228 341
Groupe d’âge 15-64 ans
1995 249 382 249 382 249 382 249 382 249 382 249 382
2050 187 851 174 470 216 929 249 382 325 382 803 974
Ratios 15-64 ans/65 ans et plus (en %)
1995 4,31 4,31 4,31 4,31 4,31 4,31
2050 1,96 1,89 2,21 2,41 3,03 4,31
figure im9

Les flux migratoires nets vers l’UE-15 selon les projections et les scénarios des Nations unies (1995-2050) (en milliers)




Note : Scénario I : Scénario médian. Scénario II : Scénario sans migrations. Scénario III : Population totale constante. Scénario IV : Population 15-64 ans constante. Scénario V : Ratio 15-64 ans/65 ans et plus ? 3 %. Scénario VI : Ratio 15-64 ans/65 ans et plus constant.
ONU (2001).
Graphique 8

? Évolution de la population de la Turquie selon les tranches d’âge (en millions) et du ratio 15-64 ans/65 ans et +

figure im10
70 20
18
R atio 15-64 ans/65 ans et +
60 (échelle de droite) 15-64 ans 16
50 14
40 12
10
30
0-14 ans 8
20 6
4
10
2
0 0
1935 1945 1955 1965 1975 1985 1995 2005 2015 2025 2035 2045

? Évolution de la population de la Turquie selon les tranches d’âge (en millions) et du ratio 15-64 ans/65 ans et +



TÜIK.

16 Bien que la thèse de la complémentarité démographique offre une porte d’entrée en la matière, elle présente de sérieuses limites : le contexte actuel comporte certes un point commun avec celui de la fin des années 1950, mais il s’en distingue également. Tout d’abord, une première distinction porte sur le niveau de qualification associé aux besoins de main-d’œuvre dans les principaux pays d’accueil de l’UE ; alors que dans le passé, jusqu’au milieu des années 1970, les flux migratoires étaient destinés à résorber une pénurie en main-d’œuvre peu qualifiée et disponible en Turquie, aujourd’hui, avec les politiques d’ « immigration choisie », il s’agit d’une demande de main-d’œuvre qualifiée, comme en témoignent les sélections opérées par les pays d’accueil en termes de diplômes, de niveaux de qualification ou de branches d’activité. Ensuite, à côté des choix politiques qui détermineront les besoins de main-d’œuvre immigrée énumérés dans le rapport de l’ONU, il est possible d’envisager d’autres possibilités, en matière de financement de retraites. Les régimes de retraite n’étant pas neutre sur le plan des besoins d’actifs, différents scénarios deviennent envisageables. Pour financer les retraites, le régime par répartition est contraint de prélever sur la valeur ajoutée sous forme de cotisations versées par les actifs résidents, alors que le régime par capitalisation est affranchi de cette contrainte, puisqu’il permet de prélever également sur la valeur ajoutée des actifs non-résidents sous formes de dividendes et intérêts, comme en témoignent les fonds de pension américains. Ainsi, le développement du régime par capitalisation dans un contexte mondial de forte mobilité des capitaux pourrait réduire les besoins de main-d’œuvre immigrée liés au maintien du régime par répartition. Sur ce point, le contexte actuel n’est donc pas tout à fait identique à celui de la fin des années 1950 marqué par la faible mobilité des capitaux. Finalement, on s’aperçoit qu’à part les besoins en main-d’œuvre immigrée, le contexte actuel présente des traits distinctifs importants qui limitent la portée de la thèse de la complémentarité.

17 La thèse de la complémentarité s’avère d’autant plus contestable qu’elle s’appuie essentiellement sur les dynamiques démographiques et qu’elle suppose inchangées les dynamiques économiques influençant l’évolution des facteursrépulsifs en Turquie. Or, le rythme de croissance de l’économie turque représente un déterminant important, par ses influences sur les principaux déterminants économiques de l’incitation à émigrer (i.e. le taux de chômage en Turquie et l’écart de revenu entre la Turquie et l’UE-15). Comme cela a été déjà souligné, l’accroissement soutenu jusqu’en 2025 de la population en âge de travailler nécessite une accélération du rythme de croissance pour absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Quant à l’évolution de l’écart de revenu entre la Turquie et l’UE-15, qui alimente les pressions migratoires, elle souligne également l’importance du rythme de croissance de l’économie turque. Depuis les années 1970, le PIB par habitant en PPA a fluctué autour de 30 % de celui de l’UE-15. Sur ce registre, les perspectives relatives à la convergence économique indiquent que l’écart de revenus entre la Turquie et l’UE-15 continuera à inciter l’émigration turque jusqu’à la seconde moitié des années 2020. Selon le scénario bâti sur une croissance annuelle moyenne de l’économie turque de 5,25% (+1,15 point par rapport à la moyenne 1980-2005) et de 1,5 % de celle de l’UE-15, le rapport des PIB par habitant en PPA passera de 30 % en 2005 à 62 % à l’horizon 2025 (DERVIS¸ et al., 2004). Étant donné que l’écart de revenu en deçà duquel l’incitation à émigrer tend à disparaître se situe dans une fourchette allant de 30 à 40 % (MANSOUR et QUILLIN, 2006), les pressions migratoires se maintiendront vraisemblablement jusqu’à l’horizon 2025-2030.

18 L’importance du rythme de croissance de l’économie turque apparaît dans les controverses sur les migrants turcs potentiels vers les principaux pays d’accueil de l’UE, l’un des thèmes récurrents dans les débats sur l’adhésion de la Turquie à l’UE. Lorsqu’on exclut les chiffres fantaisistes avancés dans certains médias (de 15 à 20 millions, c’est-à-dire 15 à 28 % de la population actuelle de la Turquie ! ), les estimations aboutissent à des flux migratoires sensiblement différents à l’horizon 2025-2030, allant de 1,25 à 4,4 millions selon les hypothèses optimistes ou pessimistes retenues en matière de convergence  [12]. La convergence est mise en avant pour souligner le fait que les perspectives européennes de la Turquie, par leurs impacts sur le rythme de croissance de l’économie turque, joueront un rôle de premier plan dans la détermination de l’ampleur des flux migratoires (Commission des Communautés européennes, 2004). L’influence positive de l’ancrage européen s’exerce par plusieurs canaux de transmission, en contribuant non seulement à la stabilité macroéconomique, mais aussi à la consolidation du régime démocratique. Les variables politiques introduites dans les modèles indiquent en effet que le coup d’État de 1980 ainsi que le climat d’insécurité dans le sud-est du pays ont contribué de façon significative à la hausse des flux demigrants turcs vers l’UE (ERZAN, KUZUBAS¸ et YILDIZ, 2006). Dans le cas d’une économie turque dépourvue de l’impact positif de l’ancrage européen sur la croissance, les flux migratoires seront sensiblement supérieurs. À l’inverse, l’impact de la mise en œuvre de la libre circulation des personnes se trouvera sensiblement réduit par l’affaiblissement des facteurs répulsifs en Turquie en liaison avec l’adhésion (tableau 3). Les deux scénarios se distinguent par leur évolution dans le temps. Le maintien des restrictions à la libre circulation des personnes, s’il permet d’empêcher le bond en avant de 2015-2018, s’avère insuffisant pour réduire les flux migratoires sur la période qui s’étale jusqu’en 2030  [13].

Tableau 3

Les flux migratoires turcs vers l’UE selon les scénarios d’adhésion (I) ou de non-adhésion (II) à l’Union européenne (2004-2030)

Hypothèses Scénario I Scénario II
Croissance/an (%)
- hors agriculture 6,5 4,0
- agriculture 2,0 -
- productivité 3,0 1,5
Taux de chômage (%)
2005 14 15
2015 13 23
2030 5 27
Flux de migrants net vers l’UE (2004-2030) 2 134 000 2 734 000
Migrants turcs dans les pays de l’UE
2004 2 499 000 2 506 000
2030 4 633 000 5 241 000
figure im11

Les flux migratoires turcs vers l’UE selon les scénarios d’adhésion (I) ou de non-adhésion (II) à l’Union européenne (2004-2030)




Note : Scénario I : Adhésion et libre circulation en 2014. Scénario II : Non-adhésion et maintien des restrictions à la libre circulation. Pour la conception du modèle voir l’annexe 3.
ERZAN, KUZUBAS¸ et YILDIZ (2006).

19 Les réflexions relatives à l’impact de la convergence économique sur les perspectives de l’émigration turque vers l’UE-15 ne sont pas sans rappeler d’autres expériences, notamment celles des pays d’émigration comme l’Italie, l’Espagne ou le Portugal devenus ensuite des pays d’immigration. D’autant plusque depuis le début des années 1980 la Turquie reçoit des migrants venus d’horizon divers. Toutefois, les dynamiques en œuvre, tout en comportant certaines similitudes avec ces expériences, présentent des traits distinctifs qui conduisent à envisager des perspectives multiples selon la diversité des provenances. Bien que le manque de données empêche de procéder à une analyse prospective quantitative, un aperçu des dynamiques en œuvre donne une idée des perspectives futures.

2 – Pays d’accueil et de transit

20 Considérée depuis longtemps comme pays d’émigration, la Turquie fait l’objet depuis une dizaine d’années de recherches académiques en tant que pays d’immigration. Pourtant, pour ce pays qui a notamment connu des vagues migratoires liées à la dislocation de l’Empire ottoman et qui a accueilli une partie des réfugiés fuyant l’Allemagne nazie, le phénomène n’est pas nouveau. Les données officielles font cependant état d’un nombre de migrants somme toute modeste comparé à la population totale : en 2005, 234 111 personnes de nationalité étrangère (soit 0,33 % de la population totale), la plupart originaires des pays de l’UE-15, résidaient en Turquie. Ce qui est nouveau, c’est l’immigration clandestine dont l’ampleur va en s’accroissant depuis les années 1980 et que les statistiques ignorent. Depuis le début des années 2000, des extrapolations du nombre de personnes appréhendées en situation irrégulière permettent d’évaluer le nombre d’immigrés annuels à environ 200 000. En 2006, d’après le ministre de l’Intérieur, les effectifs concernés s’élèveraient à 1 million  [14]. Le caractère hétérogène de la population immigrée en question témoigne de la diversité des dynamiques, que l’on peut cependant schématiser ainsi : pour une moitié environ il s’agit de migrants venus travailler en Turquie, pour l’autre moitié il s’agit de migrants en transit à destination de l’Europe.

21 Les caractéristiques des migrants réguliers font également état de dynamiques multiples. Les motivations des migrants en provenance de l’UE-15, soit 47,5 % des effectifs, sont à appréhender au regard des relations étroites tissées entre la Turquie et les pays de l’UE à travers l’émigration turque vers l’Europe et les investissements directs européens en Turquie. Premier pays de destination des migrants turcs, l’Allemagne occupe également la première place (31,5 % du total) dans le classement des provenances des migrants vers la Turquie. Ces flux sont générés par les mariages mixtes, par le retour de migrants turcs dans leur pays d’origine mais ayant acquis la nationalité du pays d’accueil, par l’embauche de salariés par des investisseurs européens, ainsi que par l’émigration de retraités (KAISER et ?IÇDUYGU, 2005). Ce dernier phénomène, davantage connu dans le cas de retraités aisés migrant vers les pays du Sud de l’Europe comme l’Espagne ou le Portugal, commence à concerner également le littoral méditerranéen turc quiaccueille 6 % des migrants  [15]. Initié par des décisions individuelles jusque-là, ce type de migrations pourrait revêtir à l’avenir une forme organisée  [16]. La répartition des migrants par département d’accueil laisse apparaître, comme dans le cas des migrations internes, l’Ouest de la Turquie comme première destination. Istanbul accueille 23,3 % des migrants, suivi par Izmir (7,7 %), Bursa (7,7 %), Ankara (7,5 %) à l’ouest et Antalya (4,3 %), département d’accueil des retraités, au sud.

22 Quant aux migrations en provenance d’autres zones, à quelques exceptions près, elles constituent la partie visible des migrations clandestines qui évoluent sous l’effet de la situation géopolitique et économique régionale. Ces migrations s’inscrivent dans le cadre du schéma qui distingue les facteurs répulsifs hard(crises humanitaires, conflits armés, catastrophes naturelles, etc.) des facteurs répulsifs soft (pauvreté, exclusion sociale, chômage, etc.). L’instabilité géopolitique chronique qui caractérise l’environnement immédiat de la Turquie (facteurs hard), ainsi que la dégradation des conditions économiques qui a suivi la dislocation du bloc de l’Est (facteurs soft) constituent les dynamiques principales des mouvements migratoires vers la Turquie. La révolution islamique en Iran, le conflit entre l’Irak et l’Iran, la guerre en Afghanistan qui dure depuis l’occupation soviétique, les deux guerres en Irak qui ont conduit au durcissement du régime en place jusqu’à son effondrement, ou encore les conflits ethniques au Caucase qui ont suivi la fin de l’URSS figurent parmi les facteurs géopolitiques qui participent aux dynamiques des flux migratoires vers la Turquie (MUTLUER, 2003). Sur la période 2001-2005, selon les données extrapolées du nombre de migrants appréhendés en situation irrégulière, ces événements concerneraient un peu moins de la moitié des migrants (44 % du total des appréhendés) ; parmi lesquels figurent en premier lieu les Irakiens (19 %), puis les Pakistanais (8 %), les Afghans (6 %), les Iraniens (4 %) et les Bengalais (3 %). Tandis que sur la même période, la dégradation des conditions économiques qui a suivi la dislocation du bloc de l’Est aurait généré des flux migratoires correspondant à un peu plus de la moitié du total (56 % des appréhendés), en provenance principalement de la Moldavie (9 %), de la Roumanie (4 %), de la Russie (3 %), de l’Ukraine (3 %) et de la Géorgie (3 %) (?IÇDUYGU, 2006b). Pour cette dernière catégorie de migrants, la Turquie constitue une destination alternative aux pays de l’UE.

23 La distinction entre les facteurs répulsifs hard et soft, qui correspond à la démarcation géographique des provenances, s’accorde également avec le classement des migrants selon le but recherché. Si les migrants engendrés par les facteurs répulsifs hard, à l’exception des populations musulmanes des Balkans et du Caucase, sont des migrants en transit vers l’Europe occidentale, ceux concernés par les facteurs répulsifs soft, en provenance des ex-pays de l’Est, sont motivés parles possibilités de trouver un emploi dans le secteur informel en Turquie  [17]. Le choix de la Turquie par les migrants en transit est lié en particulier à la position géographique du pays qui fait de lui un pont vers les destinations choisies. Son attractivité se trouve renforcée par la liberté de circulation et les facilités de transport à l’intérieur du pays (MUTLUER, 2003). Quant aux migrations en provenance des Balkans stimulées elles aussi par des facteurs répulsifs hard, elles s’expliquent par l’existence de populations musulmanes, parfois turcophones mais pas toujours, qu’on pourrait qualifier de « reliquats de l’Empire ottoman », devenues citoyens des nouveaux États-nations (YERASIMOS, 1993 ; 2005). L’évolution future reste tributaire de l’environnement politique interne de ces pays où résident les minorités musulmanes et de la maîtrise des conflits régionaux, comme en témoignent les flux engendrés par la répression des minorités en Bulgarie en 1989 et par les conflits dans l’ex-Yougoslavie des années 1990  [18]. Ces populations comptent des représentants parmi la population turque, laquelle est constituée en partie par des groupes de réfugiés issus de la fin de l’Empire et du début de la période républicaine  [19] (BEHAR, 1996 ; BULUTAY, 1995). De ce fait, elles disposent de réseaux de solidarité et d’insertion parmi la population turque  [20] (DE TAPIA, 2001).

24 Parmi les ressorts des dynamiques migratoires en provenance des ex-pays de l’Est, figure en premier l’écart de revenu entre ces pays et l’ouest de la Turquie qui s’est creusé avec les chocs de la transition économique après l’effondrement des régimes communistes. À l’image des migrations internes, c’est la région Ouest, développée, en particulier l’agglomération stambouliote, qui attire les migrants motivés par des raisons économiques. Cela permet de relever au passage les limites du seul écart des revenus nationaux comme indicateur pour rendre compte des migrations internationales. Dans la mesure où la Turquie se présente comme destination alternative aux pays de l’UE, le choix de la Turquie par les migrants s’explique par le coût comparé des visas d’entrée et les possibilités de trouver un emploi dans le secteur informel  [21]. Ce dernier encourage l’emploi des migrants clandestins mieux qualifiés mais moins revendicatifs, qui travaillent notamment dans les services à domicile, le textile, la construction et dans l’industrie du sexe (TEKINARSLAN, 2004 ; IÇDUYGU, 2006b). Étant donné qu’il s’agit d’une migrationcirculaire caractérisée par des allers-retours entre le pays de départ et la Turquie, les perspectives futures seront très sensibles aux performances économiques des pays de départ et aux possibilités de trouver un emploi dans les pays de l’UE qui représentent des destinations plus attrayantes que la Turquie.

25 L’étude du cas turc témoigne de la diversité des dynamiques pouvant être rencontrées dans l’analyse des mouvements migratoires. Sur le plan interne, si l’on assiste à l’affaiblissement progressif des dynamiques de l’exode rural, les dynamiques à l’origine des disparités régionales continueront à nourrir les flux migratoires de l’est vers l’ouest de la Turquie. À cet égard, un certain chemin reste à parcourir avant d’achever le processus de développement. À long terme, l’apaisement des pressions migratoires vers l’Ouest suppose, d’une part, un large consensus au sein de la population, nécessaire pour la mise en œuvre des politiques volontaristes destinées à réduire les disparités régionales et, d’autre part, la stabilisation politique des pays limitrophes aux régions orientales qui pourrait contribuer au décollage de celles-ci en favorisant les flux commerciaux.

26 Sur le plan international, la Turquie continuera à demeurer, selon toute vraisemblance, un pays d’émigration jusqu’à l’horizon 2030, sous la double influence des besoins de main-d’œuvre des pays de l’UE confrontés au vieillissement de leur population et des performances de l’économie turque en matière de croissance. Bien que la complémentarité démographique apparaisse au premier abord comme l’un des moteurs des perspectives futures de l’émigration turque vers l’UE, le contexte actuel est loin d’assurer la compatibilité entre la demande de l’UE et l’offre de la Turquie, en matière de qualification, comme ce fut le cas dans le passé. L’émigration turque sera également déterminée par le rythme de convergence des économies turque et de l’UE, lequel est étroitement lié aux perspectives d’adhésion. Sur ce registre, on aboutit finalement à deux scénarios qui peuvent se résumer ainsi : l’adhésion et la libre circulation des personnes, avec moins de migrations, ou pas d’adhésion et de libre circulation, et davantage de migrations. Enfin, les dynamiques qui ont fait de la Turquie un pays d’immigration depuis une vingtaine d’années, par leur diversité, conduisent à envisager des perspectives multiples. Les flux migratoires en provenance des pays de l’UE vont continuer à évoluer sous l’influence des liens tissés à travers l’émigration turque et l’intégration économique. Quant aux migrations clandestines qui constituent l’essentiel des flux à destination de la Turquie, elles puisent leurs dynamiques dans le contexte géopolitique et économique régional. Sur ce plan, le pays fait figure non seulement de territoire d’accueil pour les migrants économiques venus de l’ancien bloc soviétique (Moldavie, Roumanie, Russie, Ukraine et Géorgie), mais aussi de territoire de transit pour des migrants en provenance des régions géopolitiquement instables (Irak, Afghanistan, Iran et Bengale) à destination des principaux pays d’accueil de l’UE. Si les observations confirment bien le fait que l’ouest de la Turquie constitue un pôle d’attraction des migrations internationales, l’évolution de celles-ci dépendra en particulier des dynamiques externes à la Turquie, qui renvoient aux facteurs répulsifs dans les pays de départ.


ANNEXES

ANNEXE 1 – ÉVALUATION DE L’EXODE RURAL

27 Les flux migratoires des zones rurales vers les zones urbaines sont calculés à partir de la formule suivante :

equation im13
?P M ?P ?? ?P
Pr r = Pr r + Pn n r r = ?r r + Pn n

28 avec :

29 equation im14  : Taux de variation de la population rurale

30 equation im15  : Taux de migrations

31 equation im16  : Taux de croissance naturelle de la population rurale

32 equation im17  : Taux de variation de la part de la population rurale dans la population totale

33 equation im18  : Taux de croissance naturelle de la population totale

34 De cette formule, on peut tirer le flux de migrations net :

equation im19
Mr = Pr ( ?r r + Pn n ? Pn n r r )
?? ?P ?P

35 Le calcul suppose que le taux d’accroissement naturel de la population rurale est de 20 % supérieur à la moyenne nationale. Ce qui implique : equation im20 . Cette hypothèse s’appuie sur les écarts du nombre d’enfants par femme observé dans le passé selon les zones.

ANNEXE 2 – CALCUL DU TAUX DE MIGRATIONS NET

equation im21
M ?M
mi = Pi , t+n ?0,.5 i (Mi . . i ?Mi .) ×1000

36 avec :

37 mi  : Taux de migrations net de la région i

38 M .i  : Migrants arrivant dans la région i

39 Mi . : Migrants quittant la région i

40 Pi , t+n  : Population de la région i en fin de période

ANNEXE 3 – RÉGRESSION DES FLUX DE MIGRANTS TURCS VERS L’UE

equation im22
mfht = ?h + ? 1 mfh , t?1 + ? 2 mfh , t?2 + ? 3ln (wft ?wht ) + ? 4ln (wht ) + ? 5ln (eft ) + ? 6ln (eht ) + ufht

41 avec :

42 mfht  : Part des migrants du pays de départ f en % de la population du pays hôte h

43 : Revenu (PIB par tête en PPA)

44 : Taux d’emploi (1 - taux de chômage)

45 h : Pays d’accueil

46 : Pays de départ

47 : Année

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

  • AKAGÜL D., 1995, « Émigration de la main-d’œuvre turque : approche économique », Turcs d’Europe et d’ailleurs, Institut national des langues et civilisations orientales, Paris, 1995, pp. 45-58.
  • BAZIN M., 2005, « Diversité ethnique et disparités régionales », in VANER S. (dir.), La Turquie, Paris, Fayard, pp. 389-428.
  • BEHAR C., 1996, The Population of the Ottoman Empire and Turkey, Historical Statistics Series Volume 2, Ankara, State Institute of Statistics, 105 p.
  • BEHAR C., I¸SIK O., GÜVENÇ M., ERDER S., ERCAN H., 1999, Türkiye’nin f?rsat penceresi, demografik dönü¸süm ve izdü¸sümleri (Fenêtre d’opportunité de la Turquie, transformation et perspectives démographiques), Istanbul, TÜSIAD-T/99-1-251, 173 p.
  • BIJAK J., 2006, Forecasting international migration : selected theories, models and methods, Working Paper 4, Warsovie, Central European Forum For Migration Research, 56 p.
  • BULUTAY T., 1995, Employment, unemployment and wages in Turkey,Ankara, International Labour Office, 358 p.
  • Commission des Communautés européennes, 2004, Questions soulevées par la perspective d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne,Bruxelles, Document de travail des services de la Commission, SEC 1202, 60 p.
  • Commission indépendante sur la Turquie, 2004, La Turquie dans l’Europe. Plus qu’une promesse ?, Bruxelles, British Council Brussels et Open Society, 54 p.
  • DEMIRCI M., SUNAR B., 1998, « Nüfus say?mlar? ile derlenen içgöç bilgisinin deg?erlendirilmesi » (Évaluation des informations sur les migrations internes établie à partir des recensements de la population), Türkiye’de içgöç sorunsal alanlar? ve ara¸st?rma yöntemleri konferans?, 6-8 Haziran 1997 Bolu-Gerede (Conférence sur les problématiques et les méthodologies de recherche des migrations internes en Turquie, 6-8 juin 1997 Bolu-Gerede), ?Istanbul, Tarih Vakf?, pp. 125-163.
  • DERVIS¸ K., GROS D., ÖZTRAK F., BAYAR F., IS¸IK Y., 2004, « Relative Income Growth and Convergence », Bruxelles, Center for European Policy Studies, EU-Turkey Working Papers, n° 8, 18 p.
  • DOG?RUEL F., DOG?RUEL S., 2003, « Türkiye’ de bölgesel gelir farkl?l?klar? ve büyüme » (Les disparités régionales des revenus et la croissance en Turquie), inKÖSE A. H., ENSES F., YELDAN E. (dir.),Küresel düzen : birikim, devlet ve s?n?flar (L’ordre mondial : accumulation, État et les classes), ?Istanbul, ?Ileti¸sim yay?nlar?, pp. 287-318.
  • DOG?RUEL F. et al., 1996, Göç veren yöreler bölgesel geli¸sim ara¸st?rmas? (Recherche sur le développement régional des zones d’émigration),Istanbul, ?ITO (Chambre de Commerce d’Istanbul), yay?n n° 1996-26, 130 p.
  • DPT (Organisation nationale de planification), 2004, Türkiye’nin üyeli?ginin AB’ye muhtemel etkileri (Les impacts de l’adhésion de la Turquie sur l’UE),Ankara, http://ekutup.dpt.gov.tr/ab/ uyelik/etki/olasi.pdf, 48 p.
  • ERZAN R., KUZUBAS¸ U., YILDIZ N., 2006, « Growth and Migration Scenarios Turkey-UE », Turkish Studies, vol. 7, n° 1, pp. 33-44.
  • Eurobarometer, 2002, Candidate Countries Eurobarometer 2002, April.
  • FAINI R., 2002, « Développement, commerce international et migrations »,Revue d’économie du développement,Paris, pp. 85-116.
  • FLAM H., 2003, Turkey and the EU : Politics and Economics of Accession,Stockholm, Institute for International Economic Studies, Seminar Paper n° 718, 51 p.
  • Hacettepe Üniversitesi Nüfus Etüdleri Enstitüsü (L’institut d’études de la population de l’Université de Hacettepe), 2006, Türkiye, göç ve yerinden olmu¸s nüfus ara¸st?rmas? (Recherche sur la migration et la population déplacée de Turquie), Ankara, yay?n n° NEE-HÜ.06.01, 142 p.
  • HUGHES K., 2004, Turkey and The European Union : Just Another Enlargement ? Exploring The Implications of Turkish Accession, Brussels, A Friends of Europe working Paper on the occasion of the « Turkey’s EU endgame ? », European Policy Summit of 17 June 2004, 35 p.
  • ?IÇDUYGU A., 2006-a, Türkiye-Avrupa Birli?gi ili¸skileri ba?glam?nda uluslararas? göç tart?¸smalar? (Débats sur les migrations internationales du point de vue des relations Turquie-Union européenne), Istanbul, TÜSIAD (Association des industriels et des hommes d’affaires de Turquie), TÜSIAD-T/2006- 12/427, 150 p.
  • ?IÇDUYGU A., 2006-b, The Labour Dimensions of Irregular Migration in Turkey, San Domenico di Fiesole : European University Institute, CARIM Research Report 2006/05, Robert Schuman Center for Advanced Studies, 22 p.
  • GÜVENÇ M., 2004, « Turkey’s Demography and Economic Geography : An Overwiew », Munich, SÜDOSTEUROPA Mittelungen, n° 06/2004, pp. 30-43.
  • GÜRSEL Seyfettin et al., 2004, Türkiye’de i¸sgücü piyasas?n?n kurumsal yap?s? ve i¸ssizlik (La structure institutionnelle du marché de l’emploi et le chômage en Turquie), ?Istanbul, TÜSIAD, yay?n n° TÜSIAD-T/2004-11/ 381, 240 p.
  • KAISER B., ?IÇDUYGU A., 2005, « Türkiye’deki Avrupa Birlig?i Yurtta¸slar? » (Les citoyens de l’Union européenne en Turquie), in KAYA A., TARHANLI T. (dir.), Türkiye’de C¸o?gunluk ve Az?nl?k Politikalar? (Les politiques envers les majorités et les minorités en Turquie), ?Istanbul, TESEV Yay?nlar?, pp. 224-239.
  • KONDA, 2007, Biz kimiz ? Toplumsal yap? ara¸st?rmas? 2006 (Qui sommes-nous ? Recherche sur la structure sociale, 2006), ?Istanbul, Konda Dan?¸smanl?k, 55 p.
  • KRIEGER H., 2004, Migration trends in an enlarged Europe, Dublin, European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, 93 p.
  • LEJOUR A. M., DE MOOIJ R. A., CAPEL C. H., 2004, Assessing the economic implications of Turkish accession to the EU,The Hague, CBP (Central Planification Bureau - Netherlands) Document n° 56, 58 p.
  • MANÇO U., 2005, « La question de l’émigration turque : une diaspora de cinquante ans en Europe occidentale et dans le reste du monde », in VANER S. (dir.), La Turquie, Paris, Fayard, pp. 553-571.
  • MANSOUR A., QUILLIN B., 2006, Migration and Remittances, Eastern Europe and the Former Soviet Union,Washington DC, World Bank, 213 p.
  • MUTLUER M., 2003, « Les migrations irrégulières en Turquie », Revue européenne des migrations internationales, vol. 19, no 3, pp. 151-172.
  • ONU, 2001, Replacement Migration : Is It a Solution to Declining and Ageing Populations ?, Population Division, Department of Economic and Social Affairs, United Nations Secretariat, 151 p.
  • PÉROUSE J.-F., 2005, « Reposer la ‘question kurde’... », in VANER S. (dir.), La Turquie, Paris, Fayard, pp. 357-387.
  • QUAISSER W., WOOD S., 2004, EU Member Turkey ? Preconditions, Consequences and Integration Alternatives,Munich, Forschungsverbund Ost und Südosteuropa, Arbeitspapier n° 25.
  • SOPEMI, 1990, « L’augmentation croissante des flux migratoires vers les pays de l’OCDE », Paris, Problèmes économiques, n° 2-197.
  • DE TAPIA S., « Le rôle des flux migratoires et des réfugiés dans la construction d’un État : la Turquie », in CAMBREZY L. et LASSAILLY-JACOB V.,Population réfugiées. De l’exil au retour, Paris, IRD Editions, pp. 119-148.
  • TEKINARSLAN M., 2004, Kay?td?¸s? istihdam ve yabanc? kaçak i¸sçi istihdam? (Emploi non déclaré et emploi de travailleurs étrangers clandestins),Ankara, Çal?¸sma ve sosyal güvenlik Bakanl?g?? (Ministère du Travail et de la protection sociale), Genel Yay?n n° 116, 138 p.
  • TOGAN S., 2004, « Turkey : Toward EU Accession », Oxford, The World Economy, n° 27 (7).
  • YERASIMOS S., 1993, Questions d’Orient, Frontières et minorités des Balkans au Caucase, Paris, La Découverte/Livres Hérodote, 249 p.
  • YERASIMOS S., 2005, « L’obsession territoriale ou la douleur des membres fantômes », in VANER S., La Turquie, Paris, Fayard, pp. 39-60.

Notes

  • [*]
    Maître de Conférences, Faculté des Sciences économiques et sociales, Université de Lille 1, laboratoire EQUIPPE (Économie quantitative, interaction, politiques publiques et économétrie).
  • [1]
    - Selon les résultats des recensements, le nombre de personnes ayant changé de lieu de résidence à l’intérieur de la Turquie, qui correspondait à 9,3 % de la population de référence sur la période 1975-1980, représentait 11 % de celle-ci sur la période 1995-2000. Cette proportion devrait s’élever à 10,4 % sur la période 2005-2010, selon l’enquête menée par l’Institut d’études sur la population de l’université de Hacettepe (Hacettepe Üniversitesi, 2006). Il convient de préciser ici que les informations relatives au lieu de résidence n’étant pas disponibles pour une partie de la population, la population de référence couvre environ 90 % de la population totale recensée (DEMIRCI et SUNAR, 1998).
  • [2]
    - Selon l’Office des statistiques de Turquie, le secteur informel est constitué d’entreprises individuelles de moins de 10 salariés – secteur agricole exclu – et dont l’imposition est simple ou inexistante, tandis que les emplois non déclarés sont ceux qui ne sont pas inscrits auprès des caisses de retraites. Pour une analyse plus détaillée, voir GÜRSEL et al. (2004) et TEKINARSLAN (2004).
  • [3]
    - La ?-convergence absolue s’observe lorsque les régions en retard connaissent un rythme de croissance supérieur à celui des régions avancées. La ?-convergence s’observe lorsqu’un groupe d’économies convergent au sens où la dispersion de leurs PIB réels par habitant se réduit. Le raisonnement s’appuie sur l’hypothèse que l’écart-type des PIB par habitant exprimé en log va diminuer dans le temps.
  • [4]
    - Le GAP (Güneydo?gu Anadolu Projesi - Projet du sud-est d’Anatolie) est le projet qui a bénéficié d’un financement satisfaisant. Au départ, ce projet lancé en 1960 ne concernait que l’exploitation du potentiel hydraulique et agricole, pour former une région agricole tournée vers l’exportation. Il fut élargi à d’autres secteurs en 1986, pour aboutir en un plan intégré en 1989, dont le coût total s’élève à 32 milliards de dollars. À côté de la construction de barrages et de centrales hydroélectriques sur le Tigre et l’Euphrate et de réseaux d’irrigation, le projet intègre également les plans de développement des infrastructures dans les villes, des routes, de l’éducation, de la santé, du logement et du tourisme. Actuellement, un peu plus de la moitié se trouve réalisé.
  • [5]
    - Parmi ces projets on peut citer le ZBK, le DAP et le DOKAP. Le ZBK (Zonguldak-Bart?n-Karabük) pour le Nord était destiné à gérer les disparitions d’emplois liées à la modernisation des Charbonnages de Turquie (Türkiye Ta¸skömürü Kurumu) et à la privatisation des usines sidérurgiques (Karabük, Ere?gli Demir Çelik). Le DAP (Do?gu Anadolu Projesi - Projet de l’Anatolie de l’Est) fut conçu pour réhabiliter les dynamiques internes de la région. Le DOKAP (Do?gu Karadeniz Kalk?nma Plan? - Plan de développement de l’est de la Mer noire) envisageait de constituer une structure économique régionale intégrée, en donnant la priorité à l’élevage et au tourisme.
  • [6]
    - Selon l’enquête menée par l’Institut d’études de la population de l’Université de Hacettepe, les personnes qui ont émigré pour des motifs sécuritaires mentionnent la terreur du PKK, les pressions des autorités turques sur ceux qui aident le PKK, la fuite devant le PKK, la pression exercée par les protecteurs villages (milices paramilitaires recrutées au sein de la population locale), le refus d’être enrôlé comme protecteur de village. Sur la période 1986-2005, entre 954 000 et 1,2 million de personnes auraient été concernées par ce type de migrations forcées (Hacettepe Üniversitesi, 2006).
  • [7]
    - Parmi les mesures prises au niveau national figurent le Projet de retour au village et de réhabilitation (Köye dönü¸s ve Rehabilitasyon Projesi) et la loi 5233 sur l’indemnisation des pertes liées au terrorisme et à la lutte contre le terrorisme (Terör ve Terörle Mücadeleden Do?gan Zararlar?n Kar¸s?lanmas? Hakk?ndaki Kanun) votée en juillet 2004 et dont le décret d’application est entré en vigueur en octobre de la même année. En cas d’épuisement des recours au niveau national, les personnes concernées ont la possibilité de s’adresser à la Cour européenne des Droits de l’Homme. En 2005, le nombre des retours était estimé entre 112 000 et 124 000.
  • [8]
    - C’est en 1957 qu’un petit groupe de techniciens turcs se rendaient à l’Institut für Weltwirtschafts de l’Université de Kiel, dans le cadre d’un stage de formation, pour les besoins des investisseurs allemands en Turquie. Mais, embauchés dans les docks de Hambourg, ils s’installèrent en Allemagne. Cette initiative fut suivie par l’invitation d’un autre groupe de deux cents techniciens. En 1960, les entrepreneurs allemands commençaient à embaucher des travailleurs turcs, par l’intermédiaire des bureaux privés baptisés « de traduction et d’embauche » installés dans les grandes villes de Turquie. En août 1965, le président du patronat allemand, se plaignant de l’insuffisance du flux migratoire turc, déclarait : « Nous avons demandé 200 000 travailleurs à la Turquie. Or l’afflux est lent. Si cette situation persiste, nous embaucherons auprès de pays comme le Portugal ou l’Espagne. » (Milliyet - quotidien turc - du 4 août 1965, traduction de l’auteur)
  • [9]
    - Les données relatives aux retours, bien qu’elles présentent des écarts importants selon les sources, témoignent de l’ampleur du phénomène. Sur la période 1960-1990, les retours se situent dans une fourchette allant de 1 million (?IÇDUYGU, 2006a) à 2,7 millions (BULUTAY, 1995), tandis qu’entre 1980 et 1999, ils sont estimés à 1,5 million (?IÇDUYGU, 2006a).
  • [10]
    - Les effectifs nés en Allemagne s’élèvent à 1 million (MANÇO, 2005).
  • [11]
    - Depuis 1990, le nombre de naturalisations de migrants turcs en Europe s’établit à 84 000 en moyenne par an (MANÇO, 2005).
  • [12]
    - L’estimation la plus élevée, 4,4 millions de migrants turcs supplémentaires en Allemagne à l’horizon 2030, avancée par l’Osteuropa-Institut de Munich, suppose une convergence très faible (QUAISSER et WOOD, 2004). Les auteurs concèdent néanmoins qu’il s’agit d’une estimation maximale et admettent que si l’on appliquait à la Turquie la méthodologie du DIW utilisée pour évaluer l’impact migratoire de l’élargissement de 2004, cette estimation serait ramenée à 500 000. Les hypothèses optimistes conduisent à envisager 1,25 million de migrants turcs supplémentaires en Allemagne sur la même période (FLAM, 2003 ; TOGAN, 2004). Enfin, selon les hypothèses retenues dans la simulation des flux migratoires en provenance des nouveaux États membres de l’Europe centrale et orientale vers l’UE-15, les flux migratoires de Turcs vers l’UE-15 s’élèveraient à 2,7 millions à l’horizon 2025 (LEJOUR, DE MOOIJ et CAPEL, 2004). Compte tenu de l’impact des réseaux de solidarité qui influencent l’orientation géographique des flux, c’est l’Allemagne qui en recevrait le plus grand nombre avec 2 millions de nouveaux migrants turcs.
  • [13]
    - Alors que la mise en œuvre de la libre circulation des personnes se traduit par un pic des flux de migrants qui passent de 10 000 en 2014 à 215 000 dans les années 2016-2017 pour baisser rapidement ensuite, dans le scénario de non-adhésion la tendance ascendante des flux migratoires se poursuit de façon continue pour atteindre 125 000 en 2018 et se maintenir jusqu’en 2030.
  • [14]
    - Il s’agit d’extrapolations effectuées par IÇDUYGU (2006b) à partir de données communiquées par le Bureau des étrangers, des frontières et de l’asile et par la Direction générale de la sûreté du ministère de l’Intérieur. On entend par immigration irrégulière, les migrants entrés légalement en Turquie avec un visa touristique, mais ayant dépassé la durée de séjour autorisée, dont les effectifs sont estimés à 150 000 par an, ainsi que les migrants entrés sur le territoire par des voies illégales, évalués à 50 000 par an.
  • [15]
    - En 2001, 6 000 ressortissants allemands ainsi que 6 000 hollandais avaient acquis des biens immobiliers à Alanya situé dans le département d’Antalya (KAISER et IÇDUYGU, 2005).
  • [16]
    - Le projet conçu par le Technopark de Middle East Technical University d’Ankara, à la demande de ressortissants norvégiens, envisage la création de vingt cités pour accueillir en Turquie et en Roumanie 100 000 retraités à l’horizon 2015. Ce projet dont le coût total s’élève à 20 milliards de dollars démarre avec la construction d’une cité à Constanza en Roumanie (Milliyet - quotidien turc -,18/01/2007).
  • [17]
    - Selon les estimations du ministère du Travail et de la Sécurité sociale, environ 50 % des emplois n’étaient pas déclarés auprès des organismes de sécurité sociale en 2002. Cette proportion est de 19 % pour les travailleurs salariés, 79 % pour les journaliers, 60 % dans le cas des entrepreneurs individuels et 98 % pour les travailleurs familiaux (TEKINARSLAN, 2004).
  • [18]
    - Au printemps-été 1989, la Turquie a accueilli plus de 320 000 Bulgares d’origine turque ou de confession musulmane, victimes de persécutions politiques et culturelles du régime communiste finissant qui leur interdisait l’usage de la langue maternelle et les contraignait à changer de nom de famille pour un aux consonances bulgares (SOPEMI, 1990).
  • [19]
    - Comme les Albanais, les Bosniaques, les Serbes ou Bulgares musulmans, les Gagaouzes (turcophones chrétiens orthodoxes), les Tcherkesses, les Tchétchènes, les Balkars, les Karatchaïs, les Nogays, les Azéris, les Géorgiens musulmans (Adjars ou Abkhazes), les Turkmènes, les Kazakhs, les Ouzbeks, les Kirghizes (DE TAPIA, 2001).
  • [20]
    - Par exemple, dans les années 1990, les Bosniaques et les Albanais kosovars ont bénéficié d’un accueil discret par les membres de leurs familles installées depuis quelques générations en Turquie, sans pour autant demander le statut de réfugié (MUTLUER, 2003).
  • [21]
    - En Moldavie l’obtention d’un visa Schengen s’élève environ à 4 000 euros (y compris les pots-de-vin), tandis que le visa turc obtenu rapidement à la frontière ne coûte que 10 dollars. Les migrants intègrent également dans leur calcul l’amende dont ils doivent s’acquitter lorsqu’ils quittent le territoire turc à une échéance dépassant les trois mois autorisés par un visa touristique.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.90

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions