Notes
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Professeur à l’Université de Buenos Aires, Faculté d’Économie.
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[1]
- « Une vision rétrospective donnera crédit à notre époque pour la fin du marché autorégulé » (POLANYI, 1944).
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[2]
- L’analyse de la rigidité des prix fixés par contrat (par exemple les salaires) et celle de la nécessité de l’ajustement évoquent les analyses des keynésiens (POLANYI, 1944).
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[3]
- Comme ce fut le cas de l’étalon-or et de la crise des années 1930, le processus d’ajustement du marché présente des asymétries qui perturbent ou contaminent le système, particulièrement sensible à la déflation.
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[4]
- Sur ce thème, nous partageons en grande partie la vision d’Ernesto LACLAU (2000).
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[5]
- Voir plus loin la proposition de Julio H. G. OLIVERA, qui voit l’Économie comme une « herméneutique sociale ».
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[6]
- Sur ce sujet, mentionnons la controverse autour de la politique monétaire qui, au milieu du XIXe siècle, s’éleva entre deux écoles, la Currency School et la Banking School (HICKS, 1970).
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[7]
- « En ce sens, toute marchandise serait aussi un signe puisque, en tant que valeur, elle n’est que l’enveloppe réifiée du travail humain dépensé pour elle », écrit MARX, en critique à ceux qui voient l’argent simplement comme un signe. « Comme toute marchandise, l’argent ne peut exprimer son propre rapport de valeur que de manière relative, par rapport à d’autres marchandises. [Cette] valeur est déterminée par le temps de travail qu’exige sa production et s’exprime dans le quantum de toute autre marchandise dans laquelle se trouve matérialisé le même temps de travail », ajoute-t-il (MARX, 1966).
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[8]
- Il en est de même de l’idéologie : « […] cet objet particulier qui, à un moment donné, assume la fonction d’incarner la fermeture d’un horizon idéologique, sera déformé comme résultat de cette fonction d’incarnation » (LACLAU, 2002, p.20). Dans le cas qui nous intéresse, la déformation conduit à une mutation : de l’argent-marchandise à l’argent-signe.
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[9]
- Futur antérieur, selon la terminologie de LACAN. De même, cette définition rejoint la signification que Polanyi donne à la marchandise : c’est ce qui est produit pour le marché.
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[10]
- Ces questions concernent la théorie des valeurs. Disons toutefois que l’argent en tant qu’institution met en question la prétendue prénotion des microstructures : l’argent est une dimension ouvertement macro-économique.
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[11]
- Pour une utilisation similaire du jugement indéfini, voir ZIZEK (2004) et COPCEC (2006).
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[12]
- Le transfert de choses qui, à un certain degré, sont des personnes, et de personnes qui, à un certain degré, sont traitées comme des choses, est de fait le consentement (consensus) qui est à la base d’une société organisée (SAHLINS, 1972).
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[13]
- KEYNES cite Ernest JONES qui, en 1917, parle d’attitude superstitieuse des gouvernants et prédit les sacrifices que va exiger l’effort de l’Angleterre pour réintroduire l’or comme monnaie (KEYNES, 1930, pp.290 et 299).
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[14]
- Pour une analyse du fondement théorique de la convertibilité et l’euro (BARRO et GORDON), voir KEIFMAN (2004).
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[15]
- Voir, en particulier, le commentaire de BOWLES et GINTIS, qui soulignent que le travail est un facteur de production incarné par des individus capables d’une pratique sociale (LACLAU et MOUFFE, 2004, p.114-115).
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[16]
- Si la marchandise est ce qui est produit pour le marché, le vivant, en tant que support de la force de travail, ne peut être limité à cette seule dimension. D’autre part, pour la relation entre inégalité et exploitation, voir ROEMER (1986).
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[17]
- C’est un point important car il met en relief la hiérarchisation de la relation disposition/ propriété, qui est également à l’oeuvre dans le concept de liquidité « à la Minsky ».
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[18]
- Antiquités et œuvres d’art, corps et organes, voyages spatiaux et options sur de futurs gains ou sur des parcelles de planètes à « conquérir », etc.
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[19]
- Cet effet est un classique des propriétés immobilières. D’autre part, dans le capitalisme, toute activité possède un aspect de « commerce virtuel ».
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[20]
- Selon GRAMSCI, « (...) le libéralisme est une “réglementation” de caractère étatique, introduite et maintenue par voie législative et coercitive » (1971, p.95).
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[21]
- Ici, nous faisons référence aux économistes « vulgaires », voir plus loin, note 29.
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[22]
- KEYNES n’a pas manqué d’observer que ce qui satisfait les spéculateurs n´est pas lié à la valeur instrumentale de l´argent, mais à l´activité même, à la répétition du jeu (KEYNES, 1983, chap.12).
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[23]
- Jusqu´au coup d´État militaire en 1976, la distribution argentine des revenus était bien plus égalitaire que la moyenne latino-américaine.
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[24]
- L´intention des militaires argentins était d´envahir le Chili ; non seulement la victoire était loin d’être acquise mais ce conflit aurait provoqué des blessures irréparables, en dehors des épreuves dans lesquelles il engageait les populations des deux pays. Nous pensons que cette tentative a amené le Chili à appuyer plus tard la Grande-Bretagne. À l’inverse, la vision bolivarienne de Juan Perón l’avait conduit à envisager le projet d’une union économique « ABC » (Argentine, Brésil et Chili), qui laissait présager l’actuel Mercosur.
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[25]
- Le Péronisme de Perón était également en décalage avec l´ordre symbolique en place, mais il ne s´agissait pas réellement de « décrochage de la scène » car il s´inscrivait ou du moins il était connecté avec des espaces « autorisés ».
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[26]
- Ces régimes de change fixe ont été progressivement abandonnés après la crise asiatique de 1997.
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[27]
- C´est ce qui explique que le discours du psychanalyste soit à l´opposé du discours du Maître.
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[28]
- L´une de ses études les plus élaborées, la théorie de l´équilibre général, est éloquente : il n´y a pas de solution unique (équilibres multiples) (OLIVERA, 1997).
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[29]
- Nous avons jusqu´à présent utilisé le « discours de l´économiste » et sa relation avec le Maître lorsque nous nous référions à ceux qui pratiquent l´économie « vulgaire ». Développer ce sujet dépasse les propos de cet article, mais nous pouvons établir ici une frontière provisoire en fonction de l´absence de lois et de pouvoir prédictif dont souffre l´Économie. Bien qu’il soit impossible de l´assimiler clairement à une école, un auteur ou une théorie particulière, l´économie « vulgaire » se caractérise par le fait qu’elle ignore ces déficiences ou les attribue à un extérieur : la politique.
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[30]
- Le choix de cette notion permet de faire le rapprochement avec l´analyse de LACLAU de l´objectivité sociale.
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[31]
- Parler d´effets « non recherchés », dans le sens que leur donne ELSTER, signifie qu´ils n´auraient pas été atteints s´ils avaient été directement recherchés (l´accumulation primitive, etc.). Cela signifierait de même que MARX ne se trompait pas en pensant que rien ne pouvait être distribué dans une société pauvre. Il n´est pas facile de se défaire de l´idée d´un sens de l´histoire.
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[32]
- S´agissant d´un conflit entre volontés adverses, l´art simple fait référence à la règle suivante : celui qui gagne a raison, celui qui perd a tort (PERÓN, 1952).
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[33]
- Déjà, en 1925, KEYNES soutenait que la solution au problème de la faim se trouvait à portée de main (KEYNES, 1963).
1 Lorsque Karl POLANYI publia La grande transformation, en 1944, il pensait que l’idée d’un marché autorégulé avait été définitivement écartée [1]. Cet ouvrage fut en grande partie consacré à démanteler ce que l’auteur surnommait « utopie libérale », dont il soulignait les écueils et spécialement le clivage qu’elle opérait entre les sphères politique et économique. Il dénonçait également les nuisances qu’elle faisait peser sur la nature et la société. Pour lui, la réaction à l’utopie (le « double mouvement ») impliquait une re-submersion ou un réenracinement de l’économique dans le social et le politique. Tout un chapitre de son œuvre fut consacré à l’analyse de la monnaie et aux aberrations pratiques et conceptuelles de l’étalon-or [2].
2 Lorsque l’Argentine, appuyée par un vaste consensus international, adopta le principe d’une « caisse de conversion », elle permit à l’utopie libérale de se rétablir dans sa dimension classique. Mais l’échec retentissant de la convertibilité, lourd de conséquences pour la société argentine, témoigne de l’actualité de la thèse de POLANYI, de la pérennité de sa pensée et de ses questionnements.
3 L’expérience argentine débute en ce mois de décembre 2001 lorsque le président Fernando De La Rúa, désavoué par une société au bord de l’implosion, abandonne le pouvoir. Elle se prolonge jusqu’à ce jour, avec une économie en vive expansion et un gouvernement qui, après avoir surmonté sa faiblesse initiale, se trouve légitimé par les urnes. Aujourd’hui, cette expérience apparaît comme une réfutation ferme de la tentative du modèle de convertibilité et invite à penser le monde dans lequel nous vivons.
4 Ce monde, quel est-il ? Nous vivons à une époque « post-Mur ». Une perspective herméneutique nous aidera à penser la relation entre économie et politique dans l’actualité. Ainsi qu’Alain BADIOU l’a affirmé fort justement, bien que le Mur ait été âprement critiqué, y compris par la gauche, sa présence semblait soutenir l’existence d’un autre possible politique, encore qu’étatique. En revanche, à partir de la chute du Mur, le politique possible doit (devrait… ?) faire la preuve de la viabilité de cette possibilité (BADIOU, 2005). On assiste alors à l’effacement de l’inscription de la politique dans « l’horizon de sens » de l’histoire ou, plus précisément, à la décomposition du sens de l’histoire, donc de sa finalité. D’autre part, Giogio AGAMBEN a fait sienne la théorie de Walter BENJAMIN selon laquelle l’état d’exception est la règle, théorie introduite au XXe siècle et réactualisée au lendemain du 11 septembre 2001 (AGAMBEN, 2004).
5 Dans ce contexte, le cas de l’Argentine nous indique où diriger notre regard : la démonstration de la convertibilité a fait émerger la présence inquiétante d’un projet politique qui paraît « inactuel », dans le sens où il perpétue une longue série d’états d’exception. Ce n’est pas seulement à l’histoire de notre pays, féconde en coups d’État et en insurrections militaires, que nous nous référons. La loi qui a imposé la règle monétaire exemptait le pays d’un quelconque débat démocratique, en alléguant les normes de la loi du marché. Ce faisant, on oubliait que tout projet reposant exclusivement sur la nécessité objective mène droit au totalitarisme. En outre, loin de représenter un recours transitoire destiné à contrer l’hyperinflation, la caisse de conversion s’est vue conférer le statut de « modèle ». Socle d’un nouvel ordre socio-économique exemplaire, elle a pris le pas sur le politique et subordonné toute mesure économique et toute stratégie politique à ses impératifs. Il est également troublant de constater que cette actualité n’en est pas une, qu’elle a déjà été élaborée et débattue dans le passé : la théorie et l’histoire économiques ont consciencieusement analysé ce type de système, établissant, du reste, l’issue prévisible d’un processus qui, dans le contexte argentin, a précipité le pays dans la débâcle. Nous pouvons parler de « cas d’école » [3]. Nous faisons face à une situation similaire à celle qu’Adam SMITH décrit comme la fascination des humains pour les artefacts et les systèmes, avec lesquels ils aiment jouer. Cette tentation peut se révéler lourde de conséquences lorsqu’elle interfère avec l’art de gouverner, qui confond parfois la fin et les moyens : la fin est toujours de promouvoir le bonheur des gouvernés ; tout système ou invention artificielle est un moyen à son service. Cet « esprit de systèmes » (si l’on peut dire) conduit les gouvernants à essayer de construire la société comme on monte une machine, conception dont ils finissent par être eux-mêmes victimes (SMITH, rééd. 1969).
6 Nous dirons donc que le marché autorégulé, qui relève de la volonté politique, est imposé à la société. Néanmoins, le discours économique s’applique à inverser le sens, faisant apparaître ce mécanisme comme un phénomène naturel et la politique comme un élément d’un autre ordre, en quelque sorte illégitime, qui doit être éliminé de la sphère économique. Cet essai tente de situer la problématique implicite dans le processus argentin dans une perspective interdisciplinaire, et de mettre en lumière le lien que « l’utopie libérale » maintient avec le fétichisme de la marchandise et le discours des économistes – références obligées de l’expérience argentine –, afin de tenter d’interpréter notre actualité.
7 Avant d’amorcer ce parcours, il semble fondamental d’exposer les présupposés théoriques que cette brève introduction laisse entrevoir. La forme interdisciplinaire que revêt la pensée sur « le social » révèle que ce concept ne peut être intégré comme « totalité » pleine et transparente [4]. Ne pouvant l’embrasser entièrement, chaque discipline particulière dépend d’un extérieur à elle-même (contingence), qui autorise le recours à divers points de vue théoriques avec une finalité herméneutique [5]. La synthèse ne peut, cependant, se réaliser par simple juxtaposition ; elle ne peut dériver que du développement théorique immanent à la finalité de chaque discipline (de même que l’argent dans l’économie). On peut, dans cette perspective, mettre en lumière la trame de la crise, et non seulement révéler les insuffisances des analyses qui se polarisent sur l’aspect économique de la crise, mais aussi proposer des « relectures » mettant en actes de nouvelles articulations entre concepts. Voici donc quels seront les principaux axes de l’argumentaire.
8 Le fétichisme de la marchandise désigne un processus symbolique qui fait de l’argent le lieu où se constitue le marché comme « fait social total », et qui l’enracine dans les dimensions non économiques de la vie sociale. Dans la mesure où se joue autour de l’argent un invariant de la politique dans le capitalisme, la lutte par rapport à l’autonomie du marché [6], le fétichisme de la marchandise fait également appel à une opération d’hégémonie discursive dont les économistes « vulgaires » sont les éminents protagonistes.
9 L’instauration de l’utopie libérale en Argentine ne saurait être dissociée de la crise de représentation politique qui caractérise l’histoire du pays, contexte favorable à l’émergence du péronisme qui disait porter la « voix des sans voix ». Le péronisme s’était affirmé comme le canal au travers duquel une nouvelle réalité sociale privée d’expression avait pu accéder à la politique. Il en vint à incarner la prévalence du politique sur l’économique et à s’imposer en tant que ligne de démarcation régulant le jeu des identifications politico-sociales. La mort de Juan Perón fut le prélude d’un processus long et tortueux qui parut trouver une issue dans la convertibilité, s’imposant comme l’espace d’inscription et le mode d’expression d’un agrégat hétérogène de significations et de contenus particuliers (Laclau, 1996). C’est là que s’est incontestablement forgée la recomposition de la relation des Argentins avec l’ordre symbolique qui régit la globalisation.
10 Le cas de l’Argentine incite à penser que, dans le monde post-Mur, un projet politique qui chercherait à promouvoir des valeurs impliquant une modification de la finalité de l’organisation économique n’aurait d’autre issue que de persévérer sur le terrain imprécis des conjonctures critiques.
I – FÉTICHISME ET AUTORÉGULATION DU MARCHÉ
11 Dans la célèbre quatrième section du premier tome du Capital, « Le fétichisme de la marchandise et son secret », Karl MARX traite du mécanisme par lequel les objets appartenant aux mondes marchand et religieux semblent doués d’une vie propre, libérés de leur rapport originel à l’humain. Cet aspect apparaît avec netteté quand on confronte la société capitaliste avec les sociétés précapitalistes : dans le cas des marchandises, le fétichisme provient du fait que le travail social global est médiatisé par l’échange. Dans la mesure où les rapports d’échange atteignent une certaine stabilité, marque d’une pratique coutumière, ils apparaissent comme des propriétés des objets-marchandises. C’est ainsi que l’inversion fétichiste acquiert sa forme achevée – sa totale opacité –, avec les prix monétaires. Ce mouvement n’agit pas seulement sur les acteurs du processus marchand, il influe aussi sur l’Économie politique, scientifique ou non, en particulier lorsqu’elle aborde le capital.
12 Cependant, en tombant dans le piège de la valeur comme substance, en privilégiant l’argent-marchandise par rapport à l’argent-signe [7], MARX n’a pas développé toutes les implications du concept de fétichisme. Toutefois, si l’on suit la logique de son analyse – la représentation de la valeur –, la valeur d’usage d’une marchandise agit comme signe de la valeur, celle-ci ne pouvant exister qu’à travers sa représentation. Une marchandise érigée en équivalant général ne peut représenter la valeur à travers sa valeur : sa fonction de représentation finit par absorber l’objet et ses propriétés [8]. Plus précisément, la valeur (d’échange) est une possibilité qui ne prend corps que si l’institution sociale – le marché – est déjà en place, condition sine qua non de son développement. La valeur est une chose qui aura été mais qui n’est pas encore – un futur anticipé [9] –, si bien qu’elle ne peut s’imposer en tant qu’imitation ou interprétation d’une substance présente bien qu’invisible (i.e. le temps de travail effectivement incorporé dans un objet particulier). Nous sommes confrontés à une déficience constitutive, à un objet qui, si nous nous référons à Emmanuel KANT, se montre à travers l’impossibilité de sa représentation appropriée (LACLAU, 1996). Ainsi, l’argent ne représente pas une chose en soi, mais l’absence ou l’impossibilité de la représentation mimétique.
13 Puisque la marchandise suppose le marché, l’argent devient le miroir dans lequel se réfléchit la virtualité de la valeur. Il ne peut exister qu’en tant que légataire de l’institution marchande – la société – et s’impose comme condition de possibilité du calcul, question qui détermine celle de la fourniture de moyens d’échange/pouvoir d’achat en quantités suffisantes pour le fonctionnement du marché [10]. Du fait de son intégration dans la logique marchande, l’argent inverse le mouvement et en vient à représenter cet incorporel institutionnel et social apte à transformer tout objet en marchandise, processus similaire à celui de l’État et la personne fictive, décrit par Thomas HOBBES. Par conséquent, empruntant la formule kantienne du jugement indéfini (ou infini), nous dirons que l’argent est une non-marchandise ; à la fois extérieur et inhérent au marché [11].
14 Nous inspirant de MARX, nous dirons que, si la valeur n’affiche pas clairement ce qu’elle est, l’argent – produit social au même titre que le langage – devient un signifiant vide et participe de la « légalité de la parole ». En dépit de l’affinité existant entre l’obligation que suppose la loi non écrite du don et l’obligation qui provient d’une loi écrite (l’argent comme loi positive), la première n’est pas la forme primitive de l’autre, toutes deux requièrent comme référence la « bonne foi » que suppose la parole. Nul ne peut s’affranchir de la règle sans se retrancher de la communauté. L’argent est ce qui permet au marché de se reconnaître lui-même comme totalité, en vertu de quoi il unit et sépare ce que la relation marchande exprime de dimension sociale : la représentation politique, le souverain, l’État (HART, 1986). Marshall SAHLINS dira que le don occupe la place de l’État hobbésien, c’est le pendant primitif du contrat social : l’échange biens/dons en tant que forme de contrat politique. L’esprit qui l’anime – le hau comme fertilité de la société et de la nature – dénote qu’il s’agit d’une société où, dans chaque activité, se mêlent et s’organisent les diverses sphères, politique, économique, religieuse et sociale [12]. Au contraire, l’argent est une institution politique spécialisée qui est, malgré tout, un phénomène social total, comme le don (MAUSS, 1997). L’argent est, de ce fait, un terrain fertile au développement du fétichisme, comme le souligne John Maynard KEYNES (1930). Dans ce même ouvrage, KEYNES se réfère à Sigmund FREUD pour appuyer sa propre perception de l’or en tant que symbole des questions extra-économiques. Il souligne l’influence de l’étalon-or dans la doctrine conservatrice, laquelle s’appuie sur l’argument fondamental que l’étalon-or limite l’arbitraire, contrariant ainsi l’action autonome du gouvernement [13]. En d’autres termes, il existe un lien entre le fétichisme et la distanciation délibérée entre économie et politique, preuve qu’il s’agit d’une opération idéologique, d’un conflit politique. La convertibilité, de même que l’euro, est une réplique moderne de la doctrine de l’étalon-or. Il n’est donc pas indispensable que l’objet auquel s’applique le fétichisme soit matériel comme l’or ; car il suffit qu’il masque toute connexion avec la société et les sujets : c’est l’éclat qui investissait l’or de sa toute-puissance monétaire – « l’éclat sur le nez » freudien (FREUD, 1986, p. 147) – qui dévoile aujourd’hui sa vraie nature [14].
15 Nous pouvons progresser dans ce débat en gardant en mémoire les critiques adressées à MARX pour avoir assimilé la force de travail à une marchandise. L’acquisition d’une marchandise, quelle qu’elle soit, implique que l’acquéreur dispose de sa valeur d’usage. Dans le cas de la force de travail, cela suppose une relation de domination dans le processus productif, ce qui ne peut qu’imprimer sa marque sur les forces productives, les privant ainsi de leur soi-disant caractère technologique, extérieur, neutre [15]. En outre, comme nous l’avons déjà signalé, le fétichisme est un phénomène déterminé par l’échange, qui naît de la médiation que le marché introduit entre la production et la consommation. Dans la pensée de POLANYI, la force de travail est une marchandise fictive. Le marché du travail est constitué par le politique, ce qui nous permet de reconsidérer le fétichisme en tant que résultat d’une opération idéologique : ce qui est une relation inégale apparaît comme une relation marchande entre équivalents [16]. Le capitaliste est le détenteur des moyens de production et de la force de travail, parce qu’il dispose du pouvoir d’achat nécessaire, condition préalable au déclenchement du processus d’accumulation hors duquel il ne peut y avoir production, ni obtention de revenus [17]. Le caractère fictif de la marchandise-force de travail, imposé politiquement, est une condition de possibilité de ce qui se passe au cœur de l’organisation productive. Pour POLANYI, cette constitution forcée du marché par le politique s’exerce aussi dans le cas des ressources naturelles et de l’argent (deux des éléments de la triade des marchandises non produites pour le marché), afin que le capital en ait la disposition immédiate. Nous avons déjà fait valoir que tout objet, produit ou non pour le marché, peut se transformer en marchandise [18]. Dans le cas du marché du travail, la disproportion des ressources entre les demandeurs (les capitalistes) et les offreurs (les travailleurs) se dissimule sous la forme de l’équivalence marchande (à chacun son juste prix). Peuvent alors s’articuler les deux formes de circulation coexistant dans le capitalisme : les travailleurs sont des consommateurs (M-A-M), tout en intégrant le circuit hégémonique qui caractérise le capital (A-M-A’).
16 En tant que naturalisation de la sphère économique, le fétichisme est un effet de sens de la forme prise par le phénomène social total. Dans la société féodale, le Maître est fétichisé, il est objet de vénération, comme si une propriété naturelle ou positive l’avait investi de cette dignité. Dans le capitalisme, ce sont les marchandises, et l’argent en particulier, qui fonctionnent comme le fétiche, ce qui engendre un phénomène de refoulement des relations de domination, qui apparaissent métaphoriquement comme des relations marchandes entre équivalents, et brouille la distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange (ZIZEK, 1992). Rappelons que pour MARX, se référant aux besoins que satisfait la valeur d’usage, « […] qu’ils aient pour origine l’estomac ou la fantaisie, leur nature ne change rien à l’affaire, guère plus que de savoir comment ces besoins sont satisfaits… ». Et il ajoute : « c’est de l’appétit de l’esprit que la plupart des choses tirent leur valeur ». Ce n’est donc pas à la satisfaction biologique que renvoie la valeur d’usage, mais à une dimension culturelle où la malléabilité du modèle besoin-satisfaction, peut se décliner sur une large gamme. À l’opposé, la circulation capitaliste fonctionne comme une « pulsion », qui n’aurait d’autre but que de s’autosatisfaire dans un cycle de répétition sans fin. Ce phénomène est indépendant d’une quelconque relation de causalité entre l’économique et le non économique. Il n’implique pas la primauté de l’un sur l’autre. Il n’est pas l’aboutissement d’une loi scientifique qui imposerait sa règle : il n’y a rien là qui indique que ceci se fait par soi-même. Ce phénomène ne pourrait s’imposer sans que la société ne soit organisée à cet effet. Nous devrions donc parler de société capitaliste dans les termes dont use POLANYI en caractérisant la société de marché (1957, p. 71). Ce circuit décrit un fonctionnement qui implique une transformation du caractère des rapports sociaux. Quand ce mouvement s’impose, il ne renvoie pas exclusivement à une accumulation sans limites, mais se reflète aussi dans la consommation à travers les valeurs qu’elle réfléchit en tant que signe. Elle peut alors devenir une passion, un jeu fascinant (BAUDRILLARD, 1974 ; WEST, 1948). C’est ainsi que la valeur d’usage est pervertie et subordonnée à la valeur d’échange ; lorsque la société fait de l’argent la valeur fondamentale, l’autonomisation de l’économique est achevée. Ce que l’on consomme alors, ce n’est plus seulement le logement, le transport, l’éducation, etc. ; la consommation implique aussi une position que ces biens confèrent en fonction de leur prise, ce qui peut impliquer une négociation qui fait elle-même partie de cette position [19]. L’argent homogénéise par l’inclusion dans le marché, mais différencie en termes quantitatifs. On peut alors s’aventurer à penser que la question de la détermination en dernière instance ne s’applique qu’au capitalisme dans la mesure où y voit un effet de la politique ou, plus précisément, de la lutte politique.
17 Les concepts de phénomène social total de MAUSS ou d’économie encastrée (embedded) de POLANYI doivent alors être considérés comme des opérateurs théoriques pour mieux appréhender les sociétés « archaïques » et tenter de trouver des réponses aux questions qui se posent au sein de notre société « avancée ». La compréhension des premières paraît ainsi indispensable pour préciser les coordonnées politico-économico-sociales contemporaines. Cette transposition trouble la perception d’une direction causale déterministe entre une infrastructure et une superstructure. Les visions anthropologiques de MAUSS et de POLANYI sont déjà des remises en question de l’homo œconomicus et de « l’utopie libérale » en tant que constructions politico-idéologiques historiquement déterminées.
II – LA CONVERTIBILITÉ ET LE DISCOURS DES ÉCONOMISTES
18 L´autonomisation des sphères économique et politique cache le fait que leur séparation est un effet de la dimension proprement politique d´une société qui se présente comme étant hautement différenciée (SAHLINS, 1998 ; GRAMSCI, 1971) [20]. Selon les termes de LACLAU : « (…) la domination capitaliste n´est pas autodéterminée, « dérivable » de sa propre forme ; elle est le résultat d´une construction hégémonique, si bien que sa « centralité » découle, comme tout le reste de la société, d´une surdétermination d´éléments hétérogènes. C´est la raison pour laquelle une sorte de rapport de forces peut exister au sein de la société : une « guerre de position » dans le sens gramscien. Si la domination capitaliste pouvait être saisie à partir de l´analyse de sa seule forme, si nous nous trouvions confrontés à une logique homogène, définie en et par soi, toute résistance serait absolument inutile, à moins que cette logique ne développe ses propres contradictions internes (…) » (LACLAU, 2005, p. 293). C´est ce qu´illustre, de manière particulièrement crue, la crise argentine : la convertibilité, présentée comme un mécanisme économique indépendant et neutre vis-à-vis de la politique, était en réalité la conséquence d’une loi imposée par l’État, à partir des recommandations d’un aréopage d’économistes éclairés.
19 Depuis sa naissance, la pensée économique s’est inscrite dans la lutte dont l’objet est de donner un sens au capitalisme, et a joué de ce fait un rôle décisif pour en faire un mode de domination. On se heurte cependant au paradoxe suivant : pourquoi ce plaidoyer des économistes pour imposer un mécanisme automatique conforme à la légalité du marché (STIGLER, 1987) [21] ? LACAN met à jour un trait propre à la modernité : le savoir, champ symbolique structuré et défini (comme une discipline universitaire, par exemple), se constitue en nouvelle forme du discours du Maître par le fait qu´il légitime un système de domination (LACAN, 1996). LACAN faisait référence à la bureaucratie étatique en URSS, en tant que « savoir-faire » du socialisme. Dans le cas de l’Argentine, ce mécanisme apparaît clairement dans le discours des économistes en tant que « savoir-faire de la société ». Le « discours fait Maître » apparaît univoque, telle une totalité fermée sur elle-même : « L’idée imaginaire du tout (…) fut toujours employée en politique par le parti des prêcheurs politiques » (LACAN, 1996, p. 31). Tout en occultant cette réalité (servir le Maître), ce savoir économique ne définit les autres qu’en qualité d’objets, qu´il s´agisse de marchandises ou d´agents économiques (algorithmes). Cependant, cette transposition n’est possible que dans la mesure où les sujets découvrent là un sens qui les satisfait. Lorsque son comportement répond à une intention, l’individu pense qu’il a une signification, même s´il ne la saisit pas ; il a conscience qu´il y a là quelque chose qui doit être saisi. Comment expliquer qu’un sujet reproduise le même comportement, telle une cérémonie qui se répéterait sans fin ? Ces activités ont toutefois un sens pour les acteurs, inscrit dans une dimension discursive définie qui ne peut être pensée comme simple traduction de la finalité structurelle, mais en tant qu’opération d´articulation hégémonique [22].
20 Le sens est lié au signe. Selon Pierce, il est « ce qui signifie quelque chose pour quelqu´un ». Ce « quelqu´un », en sa qualité de référence et de garant du sens de ce qui se dit ou s´écrit, indique la direction que doit prendre le discours en quête de signification. L´économiste apparaît ainsi comme ce « quelqu´un », l’incarnation même des lois objectives du marché : « Moi, le Marché, je dis… ». L´articulation discursive a donc pour mission de produire des signifiants-maîtres (mondialisation, réformes structurelles, flexibilité, pays développés, etc.) destinés à enfermer les personnes dans une globalité, un tout, dont la clôture exige le sacrifice de toute remise en cause de sa légalité. Ce discours, prononcé de préférence sur le mode religieux, se posant comme interprétation du monde, insiste sur le fait qu’il n’y a pas, dans le champ discursif, d´extériorité de l´économiste vis-à-vis du marché. Il s’inscrit dans le phénomène du fétichisme dans la mesure où il implique une inversion du sens, comme nous l’avons vu plus haut. Le « fonctionnement de « l´illusion objective » du marché, comme une totalisation de ce qui relève du socio-historique, est parallèle (et s´articule) à l´effet de « suture » de la subjectivité grâce auquel le fétichiste peut imaginer un Autre non soumis à la castration, un monde chargé de sens, même si ce sens demeure pour lui strictement énigmatique et indéchiffrable » (GRÜNER, 1997, p. 125).
21 Une fois de plus, le fétichisme ne se définit pas par l’inversion d’un sens prédéfini comme vérité en un autre, qui deviendrait alors nécessairement faux. Il opère en se saisissant d´un objet ou signifiant, qu’il investit d´une signification qu´il ne possède pas par lui-même, il transforme la contingence en nécessité. La sécularisation et le fétichisme de la marchandise nous montrent que l´expérience et la pratique des agents économiques ne se placent pas à l’opposé de l´expérience religieuse, mais qu´elles s´inscrivent dans des directions différentes : plutôt que de se porter vers le ciel, le regard se pose sur terre. Dans le cas présent, on ne se repose plus sur Dieu, mais sur le savoir de l´économiste. Il n’y a qu’un pas à faire pour que cet économiste politique devienne à son tour le moyen ou l´instrument de lois historiques, du marché ou de la biologie, justifiant n’importe quel sacrifice aux nouveaux « dieux obscurs » de l´autoritarisme moderne.
22 Ses présupposés étant de même nature que ceux de l’étalon-or, la convertibilité était également pénétrée des contradictions bien connues de la pensée économico-sociale inhérente à « l’utopie libérale ». Cela est dû non seulement au fait qu’aucun enseignement n’a été tiré du passé, mais surtout à ce que l´inversion de sens ne doit pas être prise pour une subtile ou profonde manœuvre : elle agit « à vue », à la surface des évènements, de telle sorte que l´hégémonie du discours économique entraîne l´interdiction d’une quelconque alternative. Que l’idée d’une modification ou d’un abandon de la convertibilité ait provoqué une telle résistance, alors même que les difficultés et les obstacles liés à la règle monétaire adoptée devenaient insurmontables, prouve tout le sens dont elle est chargée. Son impact idéologique était tel qu’il la dotait d’une consistance et d’un caractère universel entièrement illusoires, ce qui permet de la penser comme le reflet d´un symptôme social. La convertibilité était chargée d’offrir une identité au pays, une existence dans le (premier) monde. On pouvait alors sans fin user de métaphores pour masquer la réalité des questions volontairement ignorées.
23 Depuis la mort de Juan Perón, les Argentins ont connu des guerres et des traumatismes qui demeurent non résolus. Certains de ces évènements ont été acceptés, car relevant de faits circonscrits ou lointains pour une grande partie de la population, tandis que s´amorçait l’écroulement du régime économique et que le caractère relativement équilibré et égalitaire de la société commençait à se déliter [23]. Au nom de la lutte contre la subversion, la dictature militaire au pouvoir depuis 1976 a mené une « guerre sale » contre des groupes de guerilleros dépourvus de tout ancrage dans les milieux populaires. Les principaux objectifs du gouvernement militaire étaient d´affaiblir et d´étouffer le péronisme en tant que force politique hégémonique, et de permettre la mise en place d´un plan économique monétariste libéral. L’application de ce plan a eu des effets désastreux sur les revenus des travailleurs et, en raison de la politique de change mise en oeuvre, elle a provoqué la ruine de l´industrie nationale et l’accroissement de la dette extérieure à un niveau inconnu jusque-là. De plus, les abus et les violations des droits de l´homme ont relégué la plus grande partie de la population au rang de spectateurs d´un conflit opérant comme le reflet d´un nouvel ordre.
24 La même logique a présidé au conflit frontalier avec le Chili. Seule une intervention du Pape a pu le désamorcer, épargnant ainsi la société dans son ensemble. Le risque de conflit n’en révèle pas moins jusqu’où la dictature pouvait aller pour se maintenir au pouvoir, niveau impensable avant que disparaisse le « mur » que Perón représentait. Cette logique se concrétisa pour finir dans la guerre des Malouines [24]. Ce conflit s´est déroulé sur une scène éloignée et les médias eux-mêmes en étaient exclus, si bien que son retentissement auprès de la population n’a pas été immédiat. Les conséquences ne se sont fait sentir qu’après la fin du conflit : le retour à la démocratie est le résultat de l´effondrement du régime militaire face à une société civile plutôt passive (BLAUM, 1999). Ce conflit s´est traduit par un décrochage de la scène internationale, une sorte de « passage à l´acte » au travers duquel nous affrontions le Maître, l’ordre symbolique en place, dont le régime militaire disait pourtant défendre les valeurs [25].
25 Les conjonctures hyperinflationnistes du gouvernement de Raúl Alfonsín et du début de l’ère Menem s’inscrivent dans cet enchaînement de traumatismes. Dans le premier cas, la combinaison d´importantes restrictions économiques et de tensions politiques a créé une situation fortement explosive. Au plan économique, l’Argentine était confrontée à une dépense publique fortement « dollarisée », à cause de la dette extérieure héritée du gouvernement militaire et des taux d´intérêt internationaux élevés, conséquences de la politique monétariste appliquée par la Réserve Fédérale. Au plan politique et social, la démocratie cherchait sa place au sein d’un système de représentation politico-institutionnel profondément fragilisé par l´échec répété de projets capables d´articuler les forces en présence. La menace que représentait un corps militaire cherchant à esquiver à tout prix sa responsabilité dans les actes de torture, les disparitions et les morts de civils argentins, était réelle pour la démocratie naissante.
26 L´hyperinflation fut l’expression d’une situation extrême et intenable. À partir du moment où la principale institution économique ne fonctionne plus, elle se trouve dotée d’une capacité de dissolution sociale qui touche, toutes proportions gardées, l´ensemble de la communauté. Elle exprime l´impuissance de la politique et prépare le terrain pour que toute situation, quelle qu’elle soit, soit acceptable et acceptée. Après quelques poussées hyperinflationnistes et des tentatives avortées de les contrôler, la caisse de conversion a finalement été mise en place sous le gouvernement de Carlos Menem. En mettant un terme rapide aux débordements, elle connut un succès fulgurant, qui explique en partie le caractère fédérateur qu´elle a acquis en lien avec le caractère intégral de la crise. Favorisée par le contexte international caractérisé par l´abondance de capitaux et par l´adoption par de nombreux pays de régimes de change fixe modérant leur instabilité [26], l´application des mesures recommandées par le Consensus de Washington (accompagnant la mise en place de règles monétaires et de change) s´est imposée comme une forme d´articulation avec l’ordre symbolique en vigueur, la nouvelle figure du Maître après le conflit des Malouines.
27 La convertibilité a ainsi pu réécrire son histoire en s’appuyant sur son succès économique initial, tandis que ses corollaires - blessures, pertes et désillusions - étaient escamotés. Cette opération de censure a subsumé un demi-siècle d´histoire en une explication simple : l´absence d´une économie de marché. Elle a matérialisé un repère, entre un « avant » et un « après », et ce statut de symbole qui permettait de dépasser un passé désastreux a bientôt fait oublier le caractère exceptionnel et traumatisant de son avènement. Au cours des années 1990, le regard que les Argentins portaient sur eux-mêmes a changé de façon surprenante, de sorte que la convertibilité se présentait sous son aspect le plus séduisant dans ce monde post-Mur : elle nous « convertissait » miraculeusement, nous faisions partie du « premier monde ». Il est cependant dangereux de croire aux miracles.
28 De « tout n´est pas possible » imposé par la règle monétaire, nous sommes passés à « rien n´est possible ». En d’autres termes, nous avons suivi la voie opposée à celle empruntée par les pays de l´Idéal. Au lieu d´un processus historique de développement long et laborieux mené sous la direction de l´État, nous connaissions une profonde transformation économique et sociale dont l’État était exclu, mais qui nous obligeait à rendre constamment des comptes « aux marchés », contraignants, voraces et « auto-référentiels ». Le discours des marchés ne demande pas à être compris, il exige une obéissance aveugle. Nous étions donc tenus à un comportement sacrificiel du fait de notre soumission à l’Idéal et à l’ordre symbolique qui commande la globalisation. Alors même que le chômage, la violence, la pauvreté et l´exclusion atteignaient des niveaux inacceptables non seulement pour une société démocratique, mais pour le capitalisme lui-même, tout a été sacrifié au maintien de ce mécanisme. Sa spectaculaire défaite doit être pensée comme un paradigme : l´utopie libérale, avec sa prétention de tracer des frontières bien nettes entre le marché et le « reste » des relations sociales grâce à des règles automatiques, est l’expérience de la limite du social, où se révèle « en creux », négativement, l’impossibilité pour la société de se constituer pleinement.
III – LE RETOUR DE LA (QUESTION) POLITIQUE
29 La politique retrouve sa place. Il se crée une asymétrie fondamentale que le champ politique décide à propos du statut du marché. La politique de l´utopie libérale chevauche d´hypothétiques lois du marché qui, pour se réaliser, créent une frontière entre la politique et le marché et subordonnent de manière radicale la première au second. Le mouvement se trouve inverti lorsque s’imposent certains facteurs, comme la nécessité de résister à une situation intenable et la demande de protection. L’intervention de l’État sur le marché capitaliste devient l’unique recours des victimes du système. La question politique s’exprime à travers l’articulation des multiples revendications et transforme le « mal-être » particulier de chaque groupe, en demande générale de « bien-être ». La signification des concepts de politique et de démocratie (et leur portée) doit être pensée en fonction de ces impératifs et de la relation économie/politique. Prenons, par exemple, la relation de domination que nous avons évoquée à propos de la « force de travail » : la politique et la démocratie font partie de plein droit du domaine économique. Les projets « coopérativistes » qui, depuis les débuts de la grande industrie, se sont posés en alternative à l´organisation capitaliste, sont une source de réflexion pour notre analyse (POLANYI, 1957, chap.14). En d’autres termes, si l´on veut éviter de poser l´existence d´un ordre hiérarchique a priori entre l´infrastructure économique et « le reste », on aura recours aux concepts plus adaptés d´embedded ou de phénomène social total qui permettent de délimiter l’analyse plutôt que de la disperser : ils témoignent de l´impossibilité de fixer un cadre précis à une instance du social. En consacrant une grande part de leur vie aux activités économiques, les êtres humains font du marché un véritable système éducatif qui agit de façon permanente, porteur de valeurs et de manières de vivre (OLIVERA, 1977). Il s´agit d´une dimension fondamentale du pouvoir, qui ne s´approprie pas un objet, mais le modèle, le façonne et lui donne le statut d’objet. Toutefois, cette capacité se modifie en fonction des caractères que le pouvoir imprime à l’objet de sa domination : assumer le rôle de vecteur de lois objectives n´est pas un pouvoir constituant comparable à celui qui s´appuie sur la finitude de l´expérience humaine.
30 L’asymétrie que nous évoquions plus haut opère aussi sur le domaine de signifiants tels que la politique, le pouvoir, la société, la démocratie, l’économie, etc., dont le sens varie en fonction de l’opération hégémonique qui leur est appliquée. Qu´il s´agisse d’une conception des faits sociaux les apparentant à des phénomènes « fermés », porteurs d´une signification précise, ou d’utopies qui, selon SMITH, voient la société comme un mécanisme d´horlogerie, ces termes se chargent en plénitude et en harmonie qui excluent toute possibilité de jeux politique et démocratique. N’oublions pas que l´époque « dorée » de l´étalon-or (1870-1914) – l’équivalent de notre ère d´innovation technologique et de mondialisation financière – n´a pu émerger qu’en raison de l’absence de démocratie (KEIFMAN, 2004).
31 Au contraire, lorsqu´il y a absence de plénitude et de fermeture de sens, face à la contingence de l´ordre économique et social, ces signifiants visent un autre horizon dans lequel les discours se trouvent « à l´opposé de toute volonté, du moins manifeste, de dominer » (LACAN, 1996, p. 73) [27]. Lorsqu´elle est partagée, cette perspective rend possibles les articulations et les équivalences entre des pensées et des auteurs issus de traditions intellectuelles différentes. La pensée de Julio OLIVERA (1997), qui considère l’Économie (politique) comme une « herméneutique sociale », en est une illustration pertinente. L’auteur s´appuie sur un résultat significatif mais bien souvent négligé de la théorie économique : il s’agit d’une science sans pouvoir prédictif [28]. Il faut prendre en compte l´absence de lois combinant régularité empirique et interprétation économiquement significative, mais aussi aller au-delà du marché pour pouvoir rendre compte des forces en présence, y compris le « conflit entre équilibre social et équilibre économique » (OLIVERA, 1999) [29]. En ce sens, en tant qu’objet théorique, le marché ne possède pas de représentation unique et fermée, si bien que les différentes écoles et théories fonctionnent comme des schémas d´interprétation des phénomènes socio-économiques parmi d’autres, laissant de ce fait une place légitime à l´interdisciplinarité et à la réflexion philosophique. Interprétant le même auteur, nous dirons que le marché fonctionne et produit des résultats en fonction de valeurs déterminées, de sorte qu´il existe une interprétation hégémonique qui agit sur la réalité, engendrant alors une « objectivité économique » [30].
32 Il peut paraître exagéré de qualifier de démocratique une proposition dont le but est de spécifier et de marquer les limites d´une discipline scientifique. Elle a toutefois sa place dans le problème politique que nous traitons et, par son action sur les prétendus fondements scientifiques de l´utopie libérale, elle contribue à construire une vision de la société démocratique. En effet, selon LACLAU, « (…) l´opération hégémonique n´est possible que dans la mesure où elle ne réussit pas pleinement ce qu´elle tente (…) ». Y parvenir serait le gage que « l´universel aurait trouvé son propre corps incontesté », de telle sorte qu´ « aucune variation hégémonique ne serait possible ». Le caractère incomplet du jeu hégémonique « est ce que l´on appelle politique ». La possibilité même de l’existence d’une société politique dépend de son indécidabilité en ce qui concerne la relation entre l´universel et le particulier. C´est la raison pour laquelle, dans toutes les variantes d’une société utopique où l´essence humaine serait pleinement réconciliée avec elle-même, nous nous trouvons confrontés à une nouvelle version de la fin de la politique. Nous constatons aussi que la démocratie est l´unique société réellement politique puisqu’elle est la seule qui exige, en vertu de la logique même de l’institution démocratique, une rupture entre le lieu (universel) du pouvoir et les forces qui l’occupent fortuitement. Ainsi, « les conditions de la démocratie, les conditions de l´hégémonie et les conditions de la politique sont fondamentalement les mêmes » (LACLAU, 2001, pp. 191-192).
33 Revenons-en à Alain BADIOU. Si la chute du Mur a effacé l´idée du « sens inéluctable de l´histoire », l´absence d´un « possible politique, encore qu’étatique, qui donne la preuve de sa possibilité » ne saurait représenter une alternative qui permette de penser l’actualité, puisqu’elle réintroduit la même question : comment le savoir, s’interroge BADIOU ? La chute du Mur a certes confirmé l´hégémonie de la domination capitaliste, mais aussi l´ambiguïté des expériences communistes et des pensées autour desquelles elles se sont structurées. Nous pourrions faire l´hypothèse suivante : en laissant la tâche de réaliser les objectifs de la bourgeoisie (inexistante) aux mains du prolétariat (sa représentation, la dictature), l’administration communiste aurait assumé, d´une certaine façon, le rôle qui incombait à la bourgeoisie. Ainsi, les « effets non recherchés » par les léninistes et les maoïstes seraient d´avoir accompli « le sale travail » – l´accumulation primitive, la constitution d´une bourgeoisie, etc. – pour en arriver à ce que des nations possédant d´importantes ressources en population et en territoires, mais très en retard par rapport aux pays industrialisés, prennent malgré tout le train du capitalisme [31].
34 Cela nous permet de faire des comparaisons avec d’autres manières de réaliser la même « tâche » historique (le Japon, la Corée, entre autres pays) et même faire le constat des disparités énormes existant entre l’URSS et la Chine. L’illusion d’une « altérité communiste » comme frein à l´utopie libérale est tombée avec le Mur, mais la contingence constitutive de ces deux expériences historiques demeure dans l´ombre ; toutes deux se sont construites en l’absence d’une configuration de classes préalable qui aurait pu appuyer ou alimenter la transformation. Leur commune méconnaissance de l´ « économie mixte », où le marché se voit subordonné à la politique et à la démocratie, est également révélatrice. Non seulement l´État-providence est parvenu à limiter les effets les plus pervers du marché, mais depuis les débuts du capitalisme se sont multipliées les expériences d’organisations socio-économiques alternatives réussies. Ces formes de coopérativisme ont tenté d’établir un mode de vie diamétralement opposé à celui des économies capitalistes et des expériences de socialisme réel en proposant d’autres systèmes de valeurs et de significations. L´économie mixte a su faire la preuve de sa « possibilité » (BOWLES, 2003).
35 Le cas de l´Argentine nous révèle que le fétichisme et l´utopie libérale (ou toute autre proposition en termes de plénitude sociale) ne sont pas définitivement enterrés, mais que leur crise inévitable est une ouverture en direction du terrain politique et de ses corollaires, démocratie et économie mixte. Il faudrait alors l’intégrer aux propos de LACLAU : les conditions de la démocratie, l´hégémonie, l´économie mixte, et les conditions de la politique sont fondamentalement les mêmes. Le « double mouvement » de POLANYI est un invariant du capitalisme qui se manifeste, dans tous les cas, par une tension entre autonomie et intervention, avec sa portée démocratique. Ce mouvement n’a pas obligatoirement d’incidence sur les autres conflits politiques. Cette asymétrie implique que toute version d’une société utopique construite sur le fétichisme des lois est porteuse de ses propres limites.
36 Le monde « post-Mur » ne se caractérise pas par l´absence de possibles politiques ou étatiques, mais par le refus de reconnaître et la négation de ce qui avait fonctionné, précisément parce que le discours de la science et celui de l’éthique étaient en phase. Aujourd’hui le Maître a égaré sa boussole…
37 Après avoir présenté la notion d´asymétrie, il est nécessaire d’aborder la question de la discontinuité : l´écart qui existe entre ce qui peut être pensé – la théorie ou la philosophie politique – et la pratique politique, même lorsqu’elles sont toutes deux pensées comme des pratiques. Juan Perón, faisant un parallèle entre le commandement politique et le commandement militaire, citait cette phrase de Napoléon : « Le commandement est un art tout d´exécution ». Dans la mesure où il fallait préparer les futurs gouvernants et gouvernés (une méthode de commandement), cet art n´avait rien d´une improvisation. Pourtant, même si à travers cette activité on rationalise les faits de l´expérience, Juan PERÓN prétendait que les situations affrontées par le meneur sont sans commune mesure avec celles qui ont été rationalisées, d´où l´importance de l´intuition (PERÓN, 1952) [32]. Si l’on envisage la question politique comme une représentation, on distingue les raisons de ce décalage ; elles sont liées à l´impossibilité de définir les objectifs et les stratégies à développer, au-delà d´un certain point. Puisque, contrairement au modèle dit mimétique ou « réflexe » des acteurs pleinement intégrés autour de leurs intérêts de classe, les acteurs sont dépourvus de définition a priori, la constitution de l´espace de représentation requiert cette in-définition (souvenons-nous des concepts de signifiants flottants et vides de LACLAU). Penchons-nous sur deux dimensions importantes :
- bien que l´on ne puisse réduire la politique à l´État, dans un système capitaliste, ce dernier constitue le lieu stratégique de représentation (d´autorisation dans le sens hobbésien), c´est là que s´articule et s´organise le régime d´accumulation, qui permet à la bourgeoisie de se constituer ;
- par ailleurs, si la politique est en grande mesure une lutte pour du sens, les résultats sont imprévisibles, car elle n´est nulle part, on ne peut la prendre d’assaut ni la changer à travers la conscientisation. L´hégémonie s´installe donc autour d´une plénitude absente, toujours représentée et obturée par un sens qui la re-signifie. La question demeure sans réponse, par delà même la volonté des acteurs. Une fois à la tête de l’État, le sens peut devenir « autre » naturellement, au grand dam du reste de la troupe. Nul ne reste le même. Par exemple, les actes d’un dirigeant politique, leur sens, peuvent être les effets d´une situation qui s’est imposée à eux, comme ce fut le cas de Juan Perón en exil, mais aussi de Carlos Menem et de Néstor Kirchner au pouvoir.
39 Le gouvernement de Néstor Kirchner incarne ce mouvement du retour de la politique, mouvement d´ouverture, face à la multiplicité des revendications qui ont suivi le désastre social légué par l´utopie libérale. Certes, la politique de l’État est ambiguë, mais si certaines de ces ambiguïtés lui sont imputables, d’autres lui sont imposées par la mondialisation et ses lois.
40 Pour mesurer le poids du nouvel ordre mondial sur ce gouvernement, souvenons-nous qu´il y a quarante ans, en pleine guerre froide, le ministre de l’économie d’un gouvernement de droite dit « libéral » (la dictature militaire du Général Onganía) pouvait mettre en place un programme économique usant d´instruments hétérodoxes utilisés aujourd’hui : les taux de change multiples et le contrôle des prix. Plus près de nous, le gouvernement de Eduardo Duhalde a procédé à la pesification de contrats antérieurs et Néstor Kirchner s’est battu pour la renégociation de la dette extérieure, opération réussie qui s’est traduite par un plan de restructuration et une appréciable réduction de la dette. Pourtant, au même moment, la plupart des économistes proches de la majorité et certains secteurs de la gauche prônaient la dollarisation et le respect des « droits de propriété » comme sortie « naturelle » de la convertibilité. Le consensus dont bénéficie Néstor Kirchner ne s´appuie pas uniquement sur son programme économique, il provient en grande partie du retournement, dramatique mais réussi, du cycle économique. Sous son administration, il s’est produit un accroissement important des revenus et des dépenses de certains secteurs, de sorte que certains des composants de la convertibilité opèrent encore. Il a tiré un trait sur le passé, en dénonçant les décennies d’impunité du haut-commandement militaire, ce qui est un pas décisif pour la défense des droits de l’homme. Ces éléments ont aidé à établir un consensus autour de la politique de Néstor Kirchner mais, en réalité, aucune de ces questions ne suffit pour définir ou étiqueter de manière définitive le gouvernement, et la conjoncture politique, économique et sociale dans laquelle il se situe.
41 Arrivé au point de conclure, il semble utile de souligner deux aspects de cette ambiguïté qui caractérise la réalité (ou l’irréalité) de notre monde « post-Mur ». Le premier concerne des questions telles que l´ « euthanasie du rentier », la recherche de solutions aux problèmes écologiques (l´ « euthanasie » de l´automobiliste individuel et autres productions et consommations dangereuses), l’élimination du problème de la faim, une redistribution directe ou indirecte plus juste des revenus (accès à la santé et à l´éducation, etc.). Ces exigences figurent parmi toutes les demandes historiques nécessaires à la construction de sociétés démocratiques, au sens large. Elles peuvent être satisfaites sans qu’il soit nécessaire de recourir à un instrument technique ou à une connaissance théorique hors de portée ou qui n’aient été mis à l’épreuve ; nul besoin de supprimer toute forme marchande ou capitaliste, comme la propriété privée, par exemple [33]. Le second aspect incite à moins d’optimisme : nous avons présenté le fétichisme comme résultat d´une opération de sens ne pouvant être circonscrite à la sphère économique sans l´intervention discursive, en particulier la nouvelle forme du discours du Maître (le scientifique/économique), qui inverse le regard des acteurs : nous sommes les « choses » dans ce nouveau rapport. Les recherches sur le cas de l´Argentine ont permis de poser l´hypothèse selon laquelle le déplacement ou excès de sens qu’induit ce phénomène est un symptôme, qu’il n’est pas uniquement la métaphore de ce qui n’avait pu être symbolisé, mais aussi un mode d´existence qui confère une identité, un « être ». C´est ce qui explique les résistances aux changements et à l´abandon du plan de convertibilité, une opposition qui n’est pas uniquement le fait des bénéficiaires de cette politique. Ce n’est qu’au bord du gouffre, lorsque les plus grands sacrifices sociaux se sont révélés vains, que cèdent ces résistances. Il est alors nécessaire de promouvoir d´autres valeurs conduisant à un changement de la finalité du système économique et de la manière de vivre des êtres humains. La posture politique est périlleuse car elle doit persévérer sur un terrain qu´elle ne choisit pas, à l’extrême limite des conjonctures critiques.
42 Montrer que la raison ne peut que se dépasser elle-même, telle est la fonction de la pensée critique, selon l’approche kantienne. À partir du moment où le discours scientifique fut placé « au premier plan, [on] a commencé à croire que la réalité, y compris l’homme, pouvait être complètement manipulée » (COPCEC, 2006, p. 109).
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- OLIVERA J. H. G., 1997, « Realidad e idealidad en economía », Revista Ciclos, FCE – UBA, volume VII, nº13.
- OLIVERA J. H. G., 1999, « Racionalidad técnica y racionalidad ética », Revista Enoikos, FCE – UBA., nº 15.
- PERÓN J.-D., réed. 1973 (1952), Conducción Política, Mundo Peronista.
- POLANYIK., 1957, The Great Tranformation, Rinehart & Company, Inc, New York.
- ROEMER J. E. (ed.), 1986, El marxismo : Una perspectiva analítica, México, FCE.
- SAHLINS M., 1972, Stone Age Economics, Aldine De Gruyter, New York.
- SAHLINSM., 1988, Cultura y razón práctica, Gedisa, Barcelona.
- SMITH A., rééd. 1969 (1790), The Theory of Moral Sentiments. Introduction par E. G. West, New Rochelle, New York, Arlington House.
- STIGLER G. J., 1987, El Economista Como Predicador y Otros Ensayos, Ed. Folio, Barcelona.
- ZIZEK S., 1992, El sublimo objeto de la ideología, S XXI, México.
- ZIZEK S., 1994, Violencia en acto, Paidós, Buenos Aires.
Notes
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[*]
Professeur à l’Université de Buenos Aires, Faculté d’Économie.
-
[1]
- « Une vision rétrospective donnera crédit à notre époque pour la fin du marché autorégulé » (POLANYI, 1944).
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[2]
- L’analyse de la rigidité des prix fixés par contrat (par exemple les salaires) et celle de la nécessité de l’ajustement évoquent les analyses des keynésiens (POLANYI, 1944).
-
[3]
- Comme ce fut le cas de l’étalon-or et de la crise des années 1930, le processus d’ajustement du marché présente des asymétries qui perturbent ou contaminent le système, particulièrement sensible à la déflation.
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[4]
- Sur ce thème, nous partageons en grande partie la vision d’Ernesto LACLAU (2000).
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[5]
- Voir plus loin la proposition de Julio H. G. OLIVERA, qui voit l’Économie comme une « herméneutique sociale ».
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[6]
- Sur ce sujet, mentionnons la controverse autour de la politique monétaire qui, au milieu du XIXe siècle, s’éleva entre deux écoles, la Currency School et la Banking School (HICKS, 1970).
-
[7]
- « En ce sens, toute marchandise serait aussi un signe puisque, en tant que valeur, elle n’est que l’enveloppe réifiée du travail humain dépensé pour elle », écrit MARX, en critique à ceux qui voient l’argent simplement comme un signe. « Comme toute marchandise, l’argent ne peut exprimer son propre rapport de valeur que de manière relative, par rapport à d’autres marchandises. [Cette] valeur est déterminée par le temps de travail qu’exige sa production et s’exprime dans le quantum de toute autre marchandise dans laquelle se trouve matérialisé le même temps de travail », ajoute-t-il (MARX, 1966).
-
[8]
- Il en est de même de l’idéologie : « […] cet objet particulier qui, à un moment donné, assume la fonction d’incarner la fermeture d’un horizon idéologique, sera déformé comme résultat de cette fonction d’incarnation » (LACLAU, 2002, p.20). Dans le cas qui nous intéresse, la déformation conduit à une mutation : de l’argent-marchandise à l’argent-signe.
-
[9]
- Futur antérieur, selon la terminologie de LACAN. De même, cette définition rejoint la signification que Polanyi donne à la marchandise : c’est ce qui est produit pour le marché.
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[10]
- Ces questions concernent la théorie des valeurs. Disons toutefois que l’argent en tant qu’institution met en question la prétendue prénotion des microstructures : l’argent est une dimension ouvertement macro-économique.
-
[11]
- Pour une utilisation similaire du jugement indéfini, voir ZIZEK (2004) et COPCEC (2006).
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[12]
- Le transfert de choses qui, à un certain degré, sont des personnes, et de personnes qui, à un certain degré, sont traitées comme des choses, est de fait le consentement (consensus) qui est à la base d’une société organisée (SAHLINS, 1972).
-
[13]
- KEYNES cite Ernest JONES qui, en 1917, parle d’attitude superstitieuse des gouvernants et prédit les sacrifices que va exiger l’effort de l’Angleterre pour réintroduire l’or comme monnaie (KEYNES, 1930, pp.290 et 299).
-
[14]
- Pour une analyse du fondement théorique de la convertibilité et l’euro (BARRO et GORDON), voir KEIFMAN (2004).
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[15]
- Voir, en particulier, le commentaire de BOWLES et GINTIS, qui soulignent que le travail est un facteur de production incarné par des individus capables d’une pratique sociale (LACLAU et MOUFFE, 2004, p.114-115).
-
[16]
- Si la marchandise est ce qui est produit pour le marché, le vivant, en tant que support de la force de travail, ne peut être limité à cette seule dimension. D’autre part, pour la relation entre inégalité et exploitation, voir ROEMER (1986).
-
[17]
- C’est un point important car il met en relief la hiérarchisation de la relation disposition/ propriété, qui est également à l’oeuvre dans le concept de liquidité « à la Minsky ».
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[18]
- Antiquités et œuvres d’art, corps et organes, voyages spatiaux et options sur de futurs gains ou sur des parcelles de planètes à « conquérir », etc.
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[19]
- Cet effet est un classique des propriétés immobilières. D’autre part, dans le capitalisme, toute activité possède un aspect de « commerce virtuel ».
-
[20]
- Selon GRAMSCI, « (...) le libéralisme est une “réglementation” de caractère étatique, introduite et maintenue par voie législative et coercitive » (1971, p.95).
-
[21]
- Ici, nous faisons référence aux économistes « vulgaires », voir plus loin, note 29.
-
[22]
- KEYNES n’a pas manqué d’observer que ce qui satisfait les spéculateurs n´est pas lié à la valeur instrumentale de l´argent, mais à l´activité même, à la répétition du jeu (KEYNES, 1983, chap.12).
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[23]
- Jusqu´au coup d´État militaire en 1976, la distribution argentine des revenus était bien plus égalitaire que la moyenne latino-américaine.
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[24]
- L´intention des militaires argentins était d´envahir le Chili ; non seulement la victoire était loin d’être acquise mais ce conflit aurait provoqué des blessures irréparables, en dehors des épreuves dans lesquelles il engageait les populations des deux pays. Nous pensons que cette tentative a amené le Chili à appuyer plus tard la Grande-Bretagne. À l’inverse, la vision bolivarienne de Juan Perón l’avait conduit à envisager le projet d’une union économique « ABC » (Argentine, Brésil et Chili), qui laissait présager l’actuel Mercosur.
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[25]
- Le Péronisme de Perón était également en décalage avec l´ordre symbolique en place, mais il ne s´agissait pas réellement de « décrochage de la scène » car il s´inscrivait ou du moins il était connecté avec des espaces « autorisés ».
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[26]
- Ces régimes de change fixe ont été progressivement abandonnés après la crise asiatique de 1997.
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[27]
- C´est ce qui explique que le discours du psychanalyste soit à l´opposé du discours du Maître.
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[28]
- L´une de ses études les plus élaborées, la théorie de l´équilibre général, est éloquente : il n´y a pas de solution unique (équilibres multiples) (OLIVERA, 1997).
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[29]
- Nous avons jusqu´à présent utilisé le « discours de l´économiste » et sa relation avec le Maître lorsque nous nous référions à ceux qui pratiquent l´économie « vulgaire ». Développer ce sujet dépasse les propos de cet article, mais nous pouvons établir ici une frontière provisoire en fonction de l´absence de lois et de pouvoir prédictif dont souffre l´Économie. Bien qu’il soit impossible de l´assimiler clairement à une école, un auteur ou une théorie particulière, l´économie « vulgaire » se caractérise par le fait qu’elle ignore ces déficiences ou les attribue à un extérieur : la politique.
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[30]
- Le choix de cette notion permet de faire le rapprochement avec l´analyse de LACLAU de l´objectivité sociale.
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[31]
- Parler d´effets « non recherchés », dans le sens que leur donne ELSTER, signifie qu´ils n´auraient pas été atteints s´ils avaient été directement recherchés (l´accumulation primitive, etc.). Cela signifierait de même que MARX ne se trompait pas en pensant que rien ne pouvait être distribué dans une société pauvre. Il n´est pas facile de se défaire de l´idée d´un sens de l´histoire.
-
[32]
- S´agissant d´un conflit entre volontés adverses, l´art simple fait référence à la règle suivante : celui qui gagne a raison, celui qui perd a tort (PERÓN, 1952).
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[33]
- Déjà, en 1925, KEYNES soutenait que la solution au problème de la faim se trouvait à portée de main (KEYNES, 1963).