Couverture de RTM_189

Article de revue

Argentine : les leçons de la sortie de crise

Pages 13 à 34

Notes

  • [*]
    Directeur académique et chercheur principal du Centre interdisciplinaire pour l’étude des politiques publiques (CIEPP), Buenos Aires, Argentine.
  • [1]
    - L’expérience de l’Allemagne de la République de Weimar est similaire, entre l’hyper-inflation de 1921-1922 et la dépression de 1929-1933 (ROBBIO, 2002).
  • [2]
    - Le Programme de convertibilité a été mis en place par un gouvernement péroniste élu en 1989, en pleine crise d’hyper-inflation. Son président, Carlos Menem est réélu une première fois en 1994 mais il perd les élections de 1998 du fait de la régression sociale impliquée par ce Programme de convertibilité. Le retour au pouvoir du Parti radical, concurrent historique du péronisme depuis un demi-siècle, n’a pas remis en cause le maintien du régime monétaire. Son effondrement conduit le gouvernement radical du Président De La Rúa à démissionner le 21 décembre 2001, sous la pression de la rue. Deux Présidents sont alors successivement nommés par le Parlement mais, ni l’un ni l’autre ne parvenant à établir un accord sur la conversion en pesos des dettes et créances, ils démissionnent rapidement. Le Gouverneur de la province de Buenos Aires (la province la plus riche du pays) qui est nommé au milieu de l’année 2002, y parviendra finalement. C’est l’actuel Président Néstor Kirchner, élu en 2003, qui lui succède.
  • [3]
    - Le chômage ouvert concerne les personnes qui se déclarent être à la recherche d’un emploi dans les enquêtes, et qui n’ont pas travaillé durant la semaine précédant celles-ci.
  • [4]
    - De cette façon, on s’attend à ce que, fin 2006, le PIB se situe à +40 % par rapport au niveau atteint lors de la récession, en 2002. Le PIB de 2006 se trouverait alors à 14 % au dessus du pic précédant la récession de 1998, et le PIB par habitant aurait crû de 5,5 %.
  • [5]
    - Voir l’article de Noémi GIOSA ZUAZÚA dans ce numéro.
  • [6]
    - La part de la population pauvre dans la population totale est passée de 57,5 % en 2002 à 27,5 % en 2005, et de 24,7 % à 12,2 % pour la population indigente.
  • [7]
    - Cela consolide une tendance structurelle : dans la décennie 1980, ce ratio tournait autour de 15 ; en 1999, il était de 23,5. L’indice de Gini enregistre une valeur de 0,4625 en 2005, à peine au-dessous de celle de 2001, à 0,479. Toutes les données sont tirées des registres de l’enquête officielle sur les revenus des ménages, sans prendre en compte les problèmes de sous-déclaration des revenus qui rendent la distribution encore plus inégale.
  • [8]
    - L’idée de régime d’organisation sociale désigne ici les critères formels et informels, explicites et implicites, qui déterminent les canaux d’accès des citoyens aux bénéfices des institutions politiques, économiques et sociales, ainsi que les stratégies et moyens qu’ils peuvent utiliser pour parvenir à obtenir cet accès. La notion de régime d’organisation sociale ici utilisée désigne, en ce sens, la cohérence systémique des formes spécifiques d’intégration sociale qu’adoptent les sociétés reposant sur un capitalisme organisé par les institutions démocratiques (LO VUOLO, 1998a).
  • [9]
    - La pesificación est une conversion dite asymétrique en pesos nationaux des créances et dettes du système financier qui étaient libellées en dollars américains car les dettes ont été converties au taux de 1 pour 1 alors que les dépôts l’ont été à un taux supérieur. La plupart des épargnants ont progressivement récupéré, au taux décidé en 2002 par le président Duhalde (1,40 pesos par dollar), plus un coefficient dérivé de l’inflation, l’argent qui avait été bloqué (corralito, en français « enclos à bétail »). La Cour Suprême vient de statuer sur les contestations judiciaires. L’épargne qui n’avait pas été convertie le serait au taux de 1,40, assorti d’un coefficient de l’inflation des prix à la consommation et d’un intérêt de 4 % annuel.
  • [10]
    - Spécialement dans les secteurs de biens dits commercialisables, soumis à la concurrence extérieure.
  • [11]
    - C’est le résultat de l’échange des titres publics en dollars (GOLDBERG et LO VUOLO, 2005).
  • [12]
    - En 2002, les prix au détail ont augmenté de 41 % (FRENKEL, 2003).
  • [13]
    - Le résultat global de l’Administration nationale est passé d’un déficit de 4 % du PIB en 2001, à un petit excédent de 0,3 % en 2003 ; depuis, l’excédent se situe à des valeurs supérieures à 3 % du PIB.
  • [14]
    - Entre 2003 et 2005, la base monétaire a augmenté de 48 % par rapport à 2002.
  • [15]
    - Les réserves internationales sont montées à 17,6 milliards de dollars en décembre 2005, bien que, parallèlement, le paiement de la dette auprès des organismes financiers internationaux se soit élevé à 10,77 milliards de dollars. Le paiement au FMI dans les premiers jours de 2006 a approché les 10 milliards de dollars : en quatre ans l’Argentine a ainsi payé presque 19 milliards de dollars au FMI.
  • [16]
    - En 2002, l’excédent en compte courant a été de 8,6 milliards de dollars (8,4 % du PIB) alors que l’année 2000 présentait un déficit de 8,9 milliards de dollars.
  • [17]
    - Plus récemment, la Banque centrale neutralise de la monnaie en récupérant les escomptes officiels consentis aux banques pendant la crise financière de 2001-2002.
  • [18]
    - En 2005, les profits et dividendes en dollars des filiales d’entreprises étrangères ont dépassé le record antérieur de 1998, malgré le taux de change désormais sous-évalué. Pendant le premier trimestre 2006, les transferts de fonds vers l’étranger qui leur correspondent ont atteint les 1,12 milliards, triplant ceux de la même période pour 2005.
  • [19]
    - De février 2002 à février 2004, les prix de gros ont crû de 108,2 % alors que ceux de détail ont augmenté de seulement 43,4 % : le rapport entre les deux est passé de 1 à 1,47.
  • [20]
    - De 2002 à 2004, les prix des services privés ont augmenté de 23,1 % ; ceux des services publics de 7,7 % seulement.
  • [21]
    - Le nombre de travailleurs touchés par les négociations collectives en 2004 et 2005 ne dépasse pas 15,6 % de l’ensemble des salariés et 10,5 % de la force de travail totale (LOZANO, RAMERI et RAFFO, 2006).
  • [22]
    - Vers 2004, les seules fonctions de la dépense sociale qui avaient retrouvé un niveau de dépense équivalent à celui antérieur à la crise de 2001-2002 concernent la rubrique « aide sociale et travail ». Les dépense en politiques universelles (santé, éducation publique) et en protection sociale (prévoyance sociale, œuvres sociales, allocations familiales) sont toujours très en deçà (RODRÍGUEZ ENRÍQUEZ, 2005).
  • [23]
    - Sur les 40 milliards d’exportations en 2005, 65 % correspondent à des produits primaires ou manufacturés d’origine naturelle, secteurs où la balance commerciale est clairement favorable ; sur les 35 % restants, plus de la moitié sont des produits manufacturés de valeur ajoutée faible ou intermédiaire.
  • [24]
    - Entre 2002 et 2005, les exportations argentines ont connu une croissance au taux annuel de 12,8 %, croissance inférieure à celle du Chili (26,1 %), de la Bolivie (23,7 %), du Brésil (21,8 %), de l’Équateur (21,5 %), de l’Uruguay (19 %), de la Colombie (17,9 %) et du Paraguay (17,8 %).
  • [25]
    - Tout cela dans un contexte difficile : les entreprises menaçaient d’abandonner le pays, de se déclarer en cessation de paiement, de solliciter de nouvelles créances (ce qui a été fait dans de nombreux cas), de faire appel à l’arbitrage de tribunaux internationaux dans le cadre des Traités bilatéraux signés par l’Argentine, ou encore de diminuer les indices de qualité exigés contractuellement et de licencier du personnel.
  • [26]
    - Entre autres normes, ce projet prohibe les ajustements tarifaires à des indices extérieurs à l’économie argentine, stipule que les controverses juridiques doivent avoir un cadre de résolution qui relève de la juridiction nationale, impulse une « tarification sociale » et des critères de subventions croisés entre les usagers, stipule la responsabilité des maisons mères vis-à-vis des filiales qui dirigent les compagnies privatisées et établit que la planification des investissements des entreprises doit être une tâche étatique.
  • [27]
    - Les péages des voies fluviales, aéroports, terminaux portuaires, courrier postal, transport ferroviaire de passagers, etc.
  • [28]
    - L’eau et l’assainissement, les routes nationales, le réseau d’accès à la ville de Buenos Aires, le transport ferroviaire de marchandises, le service téléphonique de base, le transport et la distribution de gaz naturel et d’énergie électrique.
  • [29]
    - La poste, les services d’eau dans la région métropolitaine, certaines partie du réseau de chemin de fer, les gisements carbonifères de Rio Turbio ou encore l’espace radioélectrique.
  • [30]
    - Sans oublier qu’une dette subsiste encore puisque certains créanciers n’ont pas accepté l’échange proposé par le gouvernement et poursuivent à ce jour leurs requêtes par voies judiciaire et politique.
  • [31]
    - Ici aussi, le gouvernement a préféré le critère de non discrimination des créanciers : les grands groupes économiques du secteur financier ou productif et les épargnants qui ont reçu des titres ont subi le même traitement. La dette émise a trouvé sa justification dans la dévalorisation (en dollars) des patrimoines suite à la maxi-dévaluation et à la pesificación asymétrique. Mais, ce qui est sûr, c’est que le recouvrement de ces pertes a bénéficié à certains et porté préjudice à d’autres, sans que le gouvernement ne fasse de différence.
  • [32]
    - En décembre 2001, la dette nominale s’élevait à presque 145 milliards de dollars ; elle a atteint un pic de 191 000 millions de dollars américains deux ans plus tard. Cela s’explique non seulement par l’évolution des titres existants, mais aussi et surtout par l’émission de 35 milliards de dollars de dette nouvelle. La restructuration de la dette augmente moins sa valeur nominale que son poids dans le PIB. Celui-ci représentait en décembre 2001 près de 57 % du PIB et il s’élève deux ans plus tard à 72 % (sans tenir compte des titres dont les porteurs ont refusé l’échange) et à près de 80 % (si on intègre ces titres à la dette en les comptabilisant à la valeur stipulée par l’offre de substitution des nouveaux bons aux anciens).
  • [33]
    - Pour une analyse critique du PJJHD, voir BARBEITO, GIOSA ZUAZÚA et RODRÍGUEZ ENRÍQUEZ (2003) ; pour une analyse dans l’optique de la Banque mondiale, voir GALASSO et RAVAILLON (2003) ; et pour une analyse quantitative détaillée, voir MONZA et GIACOMETTI (2003).
  • [34]
    - Le plus répandu est le programme intitulé Mains à l’oeuvre.
  • [35]
    - Sur l’idée de citoyenneté patrimoniale, voir LO VUOLO (2001) et MARQUES PEREIRA (1995).
  • [36]
    - L’inflation fait office d’impôt en réduisant la valeur réelle des dépenses publiques.
  • [37]
    - Ces mesures ont diminué les prévisions d’inflation pour l’année 2006 : au début de l’année, l’inflation était estimée à près de 15 %, les prévisions tournent aujourd’hui autour de 10 %.
  • [38]
    - Supplément de prix requis en fonction de la marge de profit visée.
  • [39]
    - Ces taxes aux exportations ont représenté 2,3 % du PIB en 2005, soit l’équivalent de plus de 60 % de l’excédent primaire de l’année.
  • [40]
    - Cette hypothèse, avancée par de nombreuses analyses des conditions politiques de la sortie de crise argentine, est argumentée en détail par Maristella SVAMPA, dans ce dossier.
  • [41]
    - Pour une discussion plus large sur les concepts divers et opposés de pauvreté, voir LO VUOLO et al. (1999).

1 En une décennie, l’économie argentine est passée de l’hyper-inflation (1989- 1990) à la plus forte dépression économique de son histoire (1998-2002). Entre ces deux épisodes difficiles, la période de prospérité  [1] que connaît le pays repose sur l´épargne étrangère rassurée par un régime monétaire extrêmement strict qui fixe la parité de change de la monnaie nationale avec le dollar américain et limite la Banque centrale au rôle de « caisse de conversion » du solde des devises. Ce régime monétaire, dit de convertibilité, est établi par une loi spécifique. Il est le socle de la libéralisation économique radicale qui, outre le démantèlement des dispositifs de régulation publique des marchés, s’est également traduite par un profond recul de la protection sociale et par la privatisation des services publics.

2 Pendant cette période intermédiaire, la garantie de convertibilité de la monnaie nationale et de sa valeur extérieure permet une forte croissance économique en dépit du déséquilibre extérieur induit par la libéralisation. En effet, l’émission d’une dette publique attire les capitaux extérieurs nécessaires au maintien des réserves de change dont dépend la croissance dans ce régime monétaire. Mais l’augmentation du stock de cette dette la rend insoutenable quand disparaît la perspective d’une amélioration des comptes extérieurs grâce aux gains de compétitivité. À partir de 1998, le besoin de financements extérieurs s’accroît à un rythme exponentiel, suite à la crise de l’ancrage du change dans les économies émergentes, notamment au Brésil, pays qui absorbe alors le tiers des exportations argentines. Le coût croissant de l’émission de la dette publique qui permet de boucler la balance des paiements témoigne d’une défiance à l’égard de la monnaie qui impliquera une fuite de capital débouchant finalement sur une panique bancaire au second semestre 2001. Celle-ci force le gouvernement à démissionner car, après trois ans de dépression, la limitation du retrait des dépôts suscite un mouvement de révolte. Le nouveau gouvernement déclare alors la cessation de paiement (default) d’une partie de la dette publique et suspend la loi de convertibilité à la fin 2001  [2]. Au cours du premier trimestre de l’année suivante, la dévaluation qui en résulte donne lieu à une chute du PIB de 16 %. Sur l’ensemble de l’année 2002, le taux de chômage ouvert  [3] bondit de 16 à 21 % et le salaire moyen réel diminue de 24 %.

3 Au cours du deuxième semestre 2002, l’économie argentine commence à se relever, et la croissance s’accélère ensuite de façon notable : entre 2003 et 2005, le PIB connaît une croissance moyenne annuelle de 9 % et la croissance pour 2006 est estimée à plus de 7 %  [4]. Bien que la demande intérieure ait continué à décliner, la relance s’amorce car la dévaluation donne lieu à un processus de substitution des importations et à une reprise des exportations. Par la suite, grâce à une politique monétaire visant à empêcher l’appréciation du taux de change et à préserver ainsi des excédents « jumeaux » dans les comptes publics et les comptes extérieurs, la consommation et l’investissement deviennent les composantes de la croissance les plus dynamiques.

4 L’effet positif de cette politique monétaire sur la croissance apparaît clairement dans la comparaison avec le Brésil : laisser s’apprécier la monnaie exige un contrôle beaucoup plus strict de l’inflation pour maintenir les excédents des comptes publics et extérieurs, et requiert des taux d’intérêt élevés. Le Brésil affiche ainsi une inflation moindre (entre 4 % et 5 % annuels) que l’Argentine (entre 11 % et 12 %), mais également des taux de croissance bien plus bas (entre 3 % et 4 %). En Argentine, les achats de devises par la Banque centrale pour empêcher l’appréciation du change impliquent une expansion de l’offre monétaire. Cette institution neutralise alors partiellement cette expansion par l’émission de bons. Depuis le début de l’année 2006, le gouvernement cherche à freiner l’inflation par des négociations sur les prix dans les secteurs oligopolistiques, ce par des sanctions et des limitations commerciales pour certains produits et par le maintien des niveaux actuels des tarifs de services publics. Il table également sur le retard de l’ajustement des salaires par rapport à l’inflation.

5 Le taux de croissance élevé permet une amélioration significative du marché du travail  [5] : entre 2003 et 2005, le taux de chômage ouvert est passé de 19,7 % à 12,7 % (sans compter les emplois liés aux programmes à caractère assistantiel), mais l’importance de l’emploi non déclaré se maintient (autour de 45 %). Les indicateurs de pauvreté et d’indigence montrent aussi une amélioration significative, tout en restant à des niveaux très élevés  [6], même en comparaison avec les années 1990. Néanmoins, la concentration des revenus n’est pas altérée : début 2006, le niveau de revenu des 20 % les plus riches de la population est 29 fois supérieur à celui des 20 % les plus pauvres ; ce ratio est comparable à celui de mai 2002, au plus fort de la crise  [7].

6 Selon le discours officiel, les moyens utilisés pour sortir de la crise doivent configurer un cercle vertueux durable (MINISTERIO DE ECONOMÍA Y PRODUCCIÓN, 2005). L’association d’un taux de change compétitif et d’excédents fiscaux et commerciaux garantirait une croissance élevée faisant table rase des cycles de stop and go, caractéristiques de l’histoire économique du pays. En parallèle, les problèmes sociaux seraient résolus progressivement grâce, d’une part, à une croissance soutenue plus favorable à la création d’emplois (particulièrement dans les activités qui en sont le moteur) et, d’autre part, à des politiques de soutien de l’économie solidaire et d’employabilité, conformément au modèle du workfare (work for welfare).

7 Cet article analyse ce nouveau scénario - en place depuis le deuxième semestre 2002 - et discute des caractéristiques de l’actuel cycle de croissance. Il s’attache plus particulièrement à évaluer à quel point celui-ci rompt avec le régime d’organisation sociale  [8] hérité des années 1990.

I – LA SORTIE DU RÉGIME DE LA CONVERTIBILITÉ : L’ÉTAT GARANT DE L’ACTUEL CYCLE DE CROISSANCE

8 Les principales mesures qui ont permis de sortir de la crise posent la question des conséquences et des limites d’une politique qui maximise la croissance depuis quatre ans. L’explication gouvernementale du régime de croissance fait débat car elle est centrée sur un niveau de change qui la maximise et sur l’excédent budgétaire que requiert le niveau de réserves de devises qui, en retour, garantit la stabilité du taux de change. Le cercle est vertueux à court terme mais le maintien de la compétitivité dépend de l’investissement, et les perspectives de rentabilité qui le conditionnent lui-même demeurent incertaines. Le contrôle des prix et sa compatibilité avec le comportement des salaires est déterminant. En ce sens, la politique macro-économique n’est pas qu’un contrôle des marchés financiers et du marché du change mais bien une politique de gestion de l’endettement public qui concilie la substitution des importations et l’essor des exportations. Jusqu’à présent, cette conciliation opérée par l’ajustement des prix relatifs a reposé sur le maintien du niveau très faible du coût du travail résultant de la crise de la convertibilité. Une inflexion se manifeste au cours de l’année 2006 mais ne concerne essentiellement que la main-d’œuvre syndiquée dans certains secteurs. Cette politique de prix et de revenus réactualise une régulation sociale qui, une fois de plus dans l’histoire contemporaine du continent, consolide l’héritage du passé. D’après le credo libéral, vont apparaître des équilibres de marché dans un environnement « sain », garanti et négocié par l’État. L’emploi et l’augmentation des salaires, couplés à celle de la productivité, devraient suivre naturellement. L’intervention de l’État qui soutient le cercle vertueux macro-économique est en fin de compte moins innovante qu’on le fait croire : la question est toujours celle des conditions politiques d’un dépassement des cycles de stop and go. Même si celui-ci ne s’accompagne plus des effets inflationnistes non maîtrisables d’autrefois, la gestion politique du conflit distributif semble bien déterminer l’avenir de la croissance.

1 – Les prix relatifs, la politique macro-économique et la redistribution

9 Le scénario économique de l’après-crise dépend fortement de la façon dont a été gérée et administrée la sortie du régime de convertibilité. La forte dévaluation, la pesificación [9] asymétrique du système de paiements et la restructuration de la dette publique en default ont généré une répartition du revenu et de la richesse caractérisée par les traits suivants : des profits productifs très élévés au détriment des revenus du travail  [10] ; des profits patrimoniaux tout aussi significatifs pour les débiteurs au détriment de certains créanciers – essentiellement les fonds de pension administrés par des compagnies privées et, plus généralement, des bénéficiaires de la dépense sociale de l’État  [11].

10 Le brusque changement des prix relatifs entre biens d’exportation et biens d’importation génère une hausse des profits d’autant plus importante qu’elle se combine avec le maintien des salaires (jusqu’en 2005) et des tarifs des services publics privatisés. Les répercussions de la dévaluation sur le niveau général des prix  [12] ont ainsi été atténuées et cela a permis de stabiliser un taux de change sous-évalué au regard de sa moyenne historique.

11 Ce système de prix relatifs a permis de dégager rapidement un excédent budgétaire du fait de la chute (en termes réels) de la dépense publique  [13]. En effet, outre la mise en cessation de paiement de la dette publique et son rééchelonnement postérieur, les salaires et les retraites du secteur public, de même que la dépense consacrée aux programmes sociaux, ont été dévalorisés par l’inflation. Cette chute de la dépense publique est allée de pair avec le rebond de l’économie, la recomposition des recettes publiques nominales sous l’effet direct de l’inflation et la création de nouvelles taxes sur les exportations et les transactions bancaires.

12 Par ailleurs, le déficit de la balance commerciale s’est rapidement transformé en un excédent record, en 2002. Celui-ci s’explique par la baisse des importations, dans un premier temps, et par la hausse des exportations induite par le maintien d’un taux de change élevé et la progression de la demande extérieure. Depuis, le retour de la croissance économique stimule les importations, mais les exportations continuent d’augmenter à des taux annuels supérieurs à 15 % (2003-2005).

13 La politique monétaire de la Banque centrale a accompagné la relance avec deux objectifs : accumuler des réserves internationales ; maintenir le niveau du taux de change à l’intérieur d’une fourchette de flottaison  [14]. La hausse des réserves a alors conduit le gouvernement à solder, en 2005, l’ensemble de sa dette envers le FMI, avant l’arrivée à échéance  [15]. Mais la continuité de la politique économique a permis de reconstituer dès l’année suivante les réserves ainsi entamées.

14 L’entrée nette de devises (garantie par l’excédent commercial et par le default et le rééchelonnement de la dette publique) et le régime de change ont stimulé la demande de pesos face à celle du dollar  [16]. La Banque centrale achète les devises étrangères excédentaires et neutralise en parallèle les effets de telles interventions sur l’offre monétaire en plaçant la dette sur le marché  [17]. En outre, le Trésor acquiert aussi des devises pour régler les engagements de la dette publique grâce à l’excédent budgétaire et contribue ainsi à neutraliser l’effet monétaire expansif du secteur externe.

15 Cette politique macro-économique diffère substantiellement de celle des années 1990, mais la dette publique continue d’en être l’axe central. Dans les années 1990, la politique macro-économique soutenait un endettement croissant pour garantir la surévaluation du taux de change. Actuellement, elle assure les engagements de la dette publique rééchelonnée en visant de forts excédents budgétaires et commerciaux.

16 Dans les deux cas de figure, le prix de référence essentiel demeure le taux de change, surévalué dans les années 1990, aujourd’hui sous-évalué. Dans les années 1990, le taux de change alimentait les entrées de capitaux et les profits financiers. Aujourd’hui, il alimente les profits productifs extraordinaires de certains groupes économiques et aussi, de ce fait, le rapatriement de profits des sociétés étrangères  [18].

17 Ces deux stratégies macro-économiques ont aussi en commun le fait de s’appuyer sur une distribution très régressive des revenus. Le rebond de la croissance a en effet été tiré par les profits liés à l’augmentation soutenue de la productivité par unité de travail, sans augmentation parallèle des revenus du travail. Cette divergence entre l’évolution des salaires et celle de la productivité avait aussi cours dans les années 1990. Cependant, elle résultait alors de gains de compétitivité visant à compenser un taux de change surévalué par une substitution capital/travail qui a réduit d’autant plus les coûts du travail qu’elle s’accompagnait d’une précarisation croissante de l’emploi. Actuellement, le niveau d’emploi augmente non seulement du fait de la croissance économique mais aussi de la dévalorisation des salaires réels générée par la maxi-dévaluation et du maintien de l’emploi précaire à grande échelle. Parallèlement, les principales politiques de transfert des gains par voie fiscale restent globalement les mêmes et la dépense sociale effective n’atteint pas les niveaux programmés, même si l’assistance a pris davantage d’ampleur.

18 La persistance de l’inégalité est en partie occultée par le contexte de forte croissance intervenant après une dépression économique ayant duré quatre ans. Le phénomène est en quelque sorte semblable à celui de la première moitié des années 1990 : après l’expérience traumatisante de l’hyper-inflation de 1989-1990, les profits, « gonflés » par l’entrée de capitaux et l’inflation nulle, ont impliqué une forte concentration des revenus. L’expérience de l’Argentine suggère que les crises accroissent le degré de tolérance sociale à l’inégalité (SALAMA, 2006).

2 – La dynamique de la croissance et la structure économique

19 L’inflation actuelle a deux traits caractéristiques majeurs : une augmentation des prix de gros bien supérieure à l’inflation  [19] et un changement de prix relatifs qui n’a pas été symétrique pour tous les secteurs productifs. Dans l’industrie, le prix du pétrole brut et de ses dérivés et, plus généralement, celui des biens industriels importés ont crû bien au-delà de l’indice de prix des biens manufacturés de production nationale. Il en va de même dans les branches où le poids des importations d’intrants et/ou de biens finaux est important. Les biens agro-industriels, les biens des secteurs oligopolistiques et des secteurs exposés à la concurrence internationale ont également vu augmenter leurs prix relatifs.

20 En revanche, l’augmentation est moindre pour les prix des activités plus dépendantes de la demande intérieure. Par ailleurs, les prix relatifs des services publics, bridés par la politique officielle, continuent à se dégrader par rapport à ceux du secteur privé  [20], la différence s’amplifiant à mesure que la croissance économique relance la demande.

21 La rentabilité des activités de production de biens a donc été favorisée au détriment des services en général. Celles qui furent le plus favorisées sont les activités d’extraction ou de production des intrants les plus courants tels que les produits pétroliers, miniers, sidérurgiques ou encore chimiques. Ces activités à forte concentration économique avaient déjà vu leur potentiel s’accroître pendant la décennie précédente. La nouvelle impulsion dont elles bénéficient s’explique par le changement des prix relatifs, par une conjoncture internationale favorable et, dans de nombreux cas, par la liquidation de leurs passifs qu’a permis la pesificación asymétrique.

22 Ainsi, malgré la forte croissance économique, on n’entrevoit quasiment aucun changement dans le modèle technologique et productif de l’Argentine. Aujourd’hui encore, son régime de compétitivité continue à dépendre du bas coût de la main-d’œuvre et de la possibilité de maintenir la compétitivité-prix des exportations et des activités de substitution des importations. La conjoncture n’est pas mise à profit pour déclencher des changements de compétitivité systémique : les incitations fiscales ne profitent qu’aux secteurs et aux entreprises dont la croissance est déjà forte. L’objectif semble être de soutenir le plus fort taux de croissance possible, afin de garantir la permanence du triptyque macroéconomique : taux de change sous-évalué et excédents jumeaux.

3 – Le coût du travail et la productivité

23 Nous l’avons vu, les énormes gains immédiats dégagés par certains groupes vont de pair avec le gel des salaires ou leur faible augmentation dans certains secteurs (surtout ceux liés aux exportations). À partir de 2005, un redressement des salaires a lieu dans les secteurs formels, mais les niveaux récupérés ne correspondent, au mieux, qu’à ceux précédant la crise de 2001. Les niveaux de revenus dans les secteurs informels suivent loin derrière. La situation de 2001, juste avant la crise, est ainsi « naturalisée », en quelque sorte : elle devient la situation de référence du modèle distributif du pays.

24 L’emploi privé est en forte croissance, mais une part importante concerne des activités non déclarées et des travailleurs dont les journées de travail sont intenses et les rémunérations réelles très basses. Et, dans le secteur public, les rémunérations sont plus faibles que dans le secteur privé déclaré du fait de la priorité donnée à l’excédent budgétaire.

25 La lente récupération salariale n’a pas diminué de façon conséquente les marges de profit des groupes leaders de l’économie. Ces marges dépendent de facteurs qui leur sont spécifiques : le pouvoir de marché en termes de fixation des prix ; la fonction de production de l’activité (avec le poids plus ou moins important de l’emploi) ; les niveaux d’endettement (et la part en monnaie locale ou en devises) ; la possibilité de substitution d’importations et d’exportations ; les mesures de contrôle des prix imposées par le gouvernement (particulièrement dans les entreprises de services publics privatisées). Au-delà de ces facteurs spécifiques, la capacité des entreprises à dégager des profits s’explique par les conditions du marché du travail héritées des années 1990 et du parti qu’elles ont pu tirer des politiques de sortie de crise.

26 En résumé, la sortie de cette crise de 2001-2002 ne repose pas sur un pacte distributif qui permettrait d’anticiper la progression (prévisible) de la productivité par unité de travail, découlant de la hausse des profits. Le gouvernement favorise la négociation collective sur l’augmentation des salaires dans le secteur formel et le rétablissement de certaines normes de protection du travail. Cependant, ces avantages ne concernent qu’un pourcentage très réduit de la population active  [21] et les conditions de précarité du marché du travail ne sont nullement remises en cause.

27 De plus, les gains de productivité ne sont pas redistribués de façon plus égalitaire par la voie fiscale. Depuis le redressement économique, la retenue fiscale d’une partie de ces profits a été principalement destinée au paiement de la dette et à des subventions au capital. Certes, en 2005, les transferts sociaux ont été accrus, particulièrement les retraites et les pensions. Mais ce sont toujours une structure fiscale régressive et une dépense sociale orientée sur les mêmes critères que dans la décennie antérieure qui priment : élargissement des programmes assistantiels soumis à conditions et détérioration des politiques universelles et de sécurité sociale  [22].

4 – L’insertion internationale

28 L’économie argentine jouit d’un contexte de prix internationaux très favorable. En 2003 et 2004, l’effet-prix explique les deux tiers de l’augmentation nominale des exportations du pays ; le volume physique des exportations a réalisé un saut important en 2005 et montre un comportement plus erratique début 2006, avec une nouvelle baisse.

29 Les exportations de biens primaires constituent toujours la composante la plus importante mais on observe une augmentation des exportations de produits industriels  [23]. Toutefois, malgré la croissance élevée des exportations, l’Argentine n’a toujours pas récupéré la part du commerce international qu’elle détenait avant la crise : 0,41 % en 1997 ; 0,34 % en 2002 ; 0,39 % en 2005. Cette remontée reflète essentiellement l’expansion récente du commerce international dont d’autres pays latino-américains profitent davantage  [24].

30 Le déficit de la balance des services est réduit grâce au faible coût international des services exportables, notement les recettes du tourisme étranger, et à la forte diminution des dépenses des Argentins à l’étranger. Néanmoins, d’autres charges (les services financiers, le fret, les droits de patente) restent déficitaires et c’est là un déficit qui peut être qualifié de structurel. Le default et le rééchelonnement de la dette publique ont induit une réduction notable du compte d’intérêts. Mais la sortie nette de devises au titre du rapatriement de profits est supérieure à celle des années 1990, du fait de l’importante et persistante présence étrangère dans l’économie locale et de la rentabilité des entreprises, en forte progression.

31 En d’autres termes, il est difficile de voir dans quelle mesure le pays est en train de se délester de son héritage historique de restriction extérieure. De même, il est difficile d’identifier d’éventuelles modifications importantes dans le modèle d’insertion internationale du pays. Globalement, on observe dans les pays latino-américains une difficulté certaine pour profiter de l’environnement économique qui leur est favorable et une quasi-absence de changements structurels. Parallèlement, les quelques politiques internationales de long terme sur lesquelles l’Argentine compte, comme le MERCOSUR ou les accords énergétiques avec les pays voisins, sont sources de conflits récurrents.

5 – Les services publics privatisés

32 La Loi d’urgence économique, promulguée en pleine crise, en 2002, donne à l’exécutif le pouvoir de réguler les prix des intrants, des biens et des services considérés comme stratégiques. Les tarifs des services publics privatisés sont établis en pesos, au taux de conversion de 1 peso pour 1 dollar. De plus, cette loi interdit désormais l’indexation de ces tarifs et encadre la renégociation des contrats ; l’impact des tarifs doit être pris en compte, tant sur la compétitivité de l’économie que sur la qualité des services, sur les plans d’investissement, sur l’intérêt des usagers, sur la rentabilité des entreprises, etc.

33 Avec le temps, le contenu de cette loi a été dénaturé. Les administrations successives ont reporté la renégociation des contrats, sans pour autant examiner intégralement la question. Elles ont privilégié les négociations au cas par cas et à court terme  [25]. Cette stratégie, initiée par le gouvernement de Duhalde, s’est renforcée avec celui de Kirchner (AZPIAZU et SCHORR, 2003a ; 2003b). Ainsi, en 2004, a été déposé au Parlement un projet présentant un nouveau cadre de régulation pour les entreprises de services publics privatisées  [26]. Mais le gouvernement semble avoir renoncé à en négocier l’approbation. Entre-temps, les engagements d’investissement des entreprises ont été revus à la baisse sans que soient sanctionnés les manquements contractuels, et les concessions ont été prolongées simultanément à l’octroi de subventions étatiques justifiant le maintien des tarifs.

34 La politique de renégociations a été duale, facilitant d’une part le retour à la rentabilité dans les secteurs où sont fortement présents des groupes économiques locaux (en plus des entreprises internationales) et où le coût des services n’a pas d’impact direct sur la population  [27] ; et prolongeant, d’autre part, la renégociation intégrale des contrats, privilégiant alors le contrôle des tarifs des services lorsque l’impact sur la population est important  [28].

35 Certes, dans certains cas, la concession a été retirée, l’État récupérant la gestion des services. Cela s’est produit uniquement pour des manquements aux engagements contractualisés très significatifs et lorsqu’il n’a pas été possible de parvenir à un accord  [29]. Dans la majorité des cas, des accords de court terme ont libéré les concessionnaires de leurs obligations (niveau d’investissement, part d’intrants nationaux) ou capitalisé leurs dettes (sous la forme d’une augmentation de capital dans les entreprises où l’État en avait conservé une part). Parallèlement, des subventions difficilement justifiables ont été maintenues ou augmentées (particulièrement dans le domaine des transports). Dans les hydrocarbures, la création d’Energia Argentina S. A. (ENARSA), société anonyme à capital mixte, n’a pas réussi à modifier le contexte général du secteur, du fait de sa nature et de ses activités : l’État argentin continue de céder une rente pétrolière élevée aux multinationales. Or, bien que le pays exporte des hydrocarbures, de sérieux problèmes d’approvisionnement énergétique l’obligent aujourd’hui à importer du gaz et du combustible et les réserves diminuent. Cette situation soulève de sérieuses interrogations sur d’éventuelles ruptures d’offre énergétique que peut impliquer le maintien d’un taux de croissance économique aussi élevé qu’à l’heure actuelle.

36 La privatisation des services publics continue d’être conflictuelle et cette question est loin d’être résolue. Un grand effort est fait pour maintenir le niveau des tarifs, mais cela ne s’inscrit pas dans le cadre d’une politique globale prenant en compte les investissements, l’incorporation technologique, etc. La gestion sans transparence et à court terme est très préoccupante, tout d’abord parce qu’il s’agit de services essentiels pour le bien-être des familles, mais aussi parce que ces services conditionnent en partie la croissance et qu’ils apparaissent comme des espaces publics fortement corrompus.

6 – La dette publique

37 La question de la dette publique revêt aujourd’hui quatre dimensions essentielles : la déclaration de cessation de paiement (default) à la fin de l’année 2001 ; l’émission d’une nouvelle dette par la dévaluation et la pesificación asymétrique ; la conversion de la dette des créanciers privés ; le paiement anticipé de la totalité de la dette auprès du FMI. Le nouveau calendrier des paiements déterminé par cette combinaison continue à peser très lourd pour le pays  [30].

38 La sortie de la cessation de paiement est généralement évaluée comme un succès, d’autant plus qu’elle a été accomplie sans l’appui du FMI : l’effondrement du système financier a été évité ; une forte décote a été appliquée aux bons déclarés en défaut de paiement pour leur échange contre de nouveaux titres ; l’échéance des dettes a été allongée. Cependant, s’en tenir aux effets positifs de cette politique de sortie du default revient à faire l’impasse sur les coûts qu’elle a impliqué pour d’autres composantes du système de paiement (CIBILS et LO VUOLO, 2004 ; SCHVARZER et FINKELSTEIN, 2004).

39 En premier lieu, bien que les organismes internationaux (et particulièrement le FMI) soient co-responsables de la crise argentine, leurs créances n’ont souffert d’aucune décote ni d’aucun rééchelonnement des paiements et, de plus, la dette envers le FMI a été soldée de façon anticipée. En second lieu, après la déclaration de default, la dette nouvellement émise offre des opportunités de gain financier aux groupes détenant le pouvoir économique du pays, alors que les créanciers plus faibles (petits épargnants et organismes de fonds de pension) se trouvent lésés  [31]. Les modalités d’émission de cette nouvelle dette expliquent en grande partie pourquoi, malgré la décote sur la dette en default, la réduction nominale totale n’est pas tellement significative  [32]. En troisième lieu, le fort ajustement budgétaire appliqué pour payer la dette rééchelonnée a un caractère très régressif sur la distribution des revenus, tant du côté des dépenses que du côté des recettes.

40 Dans les faits, les principaux responsables des politiques qui ont mené à la crise de la dette ont été sauvés par l’État, tandis que tout le poids de l’ajustement a porté sur les éléments les plus faibles du système de paiement, c’est-à-dire les travailleurs et les débiteurs privés démunis de pouvoir politique national. On peut alors avancer l’idée que le changement de politique macro-économique et les mécanismes de sortie de la cessation de paiement ont été effectivement utilisés pour rendre viable le paiement de la dette, ce qui s’avérait impossible sous le régime de la convertibilité, mais aussi pour faire, en quelque sorte, l’impasse sur la responsabilité de la crise. Malgré cela, le nouveau calendrier de remboursement de la dette reste très onéreux : sur la base d’hypothèses optimistes et hors service de la dette, il requiert des excédents budgétaires d’au moins 3 % du PIB pour les 25 ans à venir (SCHVARZER, ORAZI et TAVOSNANSKA, 2006).

7 – Les politiques sociales

41 La politique sociale faisant suite à la dévaluation a tourné autour du Programme Chefs de ménage masculins et féminins inoccupés (Programa de Jefes y Jefas de Hogar Desocupados-PJJHD), lancé avec l’appui de la Banque mondiale au début de l’année 2002  [33]. Son fonctionnement est similaire à celui des programmes de workfare pour lesquels l’Argentine était déjà pionnière dans la région. En termes de réduction de la pauvreté et de création d’emplois, l’impact de ce programme est faible. Le PJJHD a surtout eu des effets en tant que mécanisme de contrôle social, son poids étant décisif durant les périodes électorales.

42 Constatant l’efficacité politique de tels programmes pendant l’administration Duhalde, le gouvernement Kirchner les désactive peu à peu pour les remplacer par d’autres, aux contenus similaires mais dont les exécutants sont plus en ligne avec la nouvelle administration. Parfois, les bénéficiaires du programme parviennent à réintégrer le marché du travail grâce à la relance économique, mais la plupart sont replacés dans des programmes d’appui à la micro-entreprise ou à l’économie solidaire  [34] ou encore dans d’autres types de programmes assistantiels ; autant d’initiatives qui perpétuent une stratégie assistantialiste reposant sur la responsabilisation des individus et fondée sur un réseau d’organisations non gouvernementales. Nombre d’entre elles sont créées et survivent exclusivement grâce à de tels programmes. Le Plan Familles est aussi une politique de réinsertion des femmes bénéficiaires du PJJHD. Il alloue une somme d’argent aux mères ayant des enfants à charge ou aux femmes enceintes, à la condition qu’elles prouvent leur stabilité résidentielle et la scolarisation de leurs enfants.

43 Les politiques « universelles » ne subissent pas de changements notables, si ce n’est quant à la définition des conditions d’accès. Par exemple, dans la prévoyance sociale (cotisations de retraite), de nouvelles mesures facilitent l’admission de bénéficiaires qui ne remplissaient pas jusque-là les conditions requises. Le plancher des retraites et pensions augmente peu à peu. La Cour Suprême de Justice a toutefois contesté le fait que la hausse ne concerne pas l’ensemble des contrats. Quoi qu’il en soit, rien de tout cela ne remédie aux limites du système de capitalisation individuelle gérée par des compagnies privées (système créé dans les années 1990). Son principe n’est pas remis en cause même si, aujourd’hui, presque la moitié de la population active du pays ne cotise pas à un organisme de retraite et de pension.

44 Le système argentin actuel de protection sociale reste essentiellement dans les traces de celui des années 1990. Un groupe restreint de travailleurs du secteur formel est protégé par des mécanismes de sécurité sociale de type méritocratique et dont l’administration est en grande partie privatisée. Alors que se perfectionne la surveillance du respect des conditions d’accès aux programmes assistantiels focalisés, rien n’est fait pour enrayer la dégradation des politiques à vocation universelle.

45 Les politiques sociales reproduisent ainsi la matrice inégalitaire de redistribution et consolident une citoyenneté de type patrimonial  [35] qui varie selon la position relative de chacun. Aujourd’hui, la politique électorale argentine est étroitement imbriquée à un système de pouvoir reposant sur la capacité à distribuer l’assistance de façon discriminante à certains groupes de population.

II – LES LEÇONS DE LA SORTIE DE CRISE ARGENTINE

46 Dans une perspective systémique qui s’attache à rendre compte du problème de la cohérence des divers dispositifs institutionnels qui caractérisent un régime d’organisation sociale, expliciter les leçons que l’on peut tirer de la sortie de crise en Argentine revient à éclairer comment une crise économique majeure affecte le fonctionnement de l’État et comment sa résolution repose dès lors sur des mécanismes politiques. Les formes de résolution de la crise dépendent donc en grande partie de la matrice institutionnelle régulant les relations de pouvoir que met en œuvre la dynamique d’accumulation du capital. Loin de refléter de purs mécanismes de marché, cette dynamique constitue le résultat de l’action conjointe de forces économiques et de forces politiques et sociales dans l’espace public (LO VUOLO, 1998a). Le principal trait caractérisant la sortie de crise que vient de connaître l’Argentine tient, de ce point de vue, à la capacité du système institutionnel de s’adapter au changement de l’environnement macroéconomique et de perpétuer ainsi les structures fondamentales qui définissent les modes d’insertion sociale des individus.

47 Les nouvelles règles macro-économiques consolident en effet un modèle très régressif de distribution des ressources économiques et politiques. Pour comprendre sa permanence, il faut resituer dans la longue période la séquence de phases de croissance débouchant sur des crises qui permettent la redéfinition des prix relatifs dont dépend la relance. Les modes de transfert patrimonial entre créanciers et débiteurs du système de paiement apparaissent particulièrement fondamentaux dans cette séquence.

1 – Le changement de règles techniques et la conservation du système institutionnel

48 Dans cette perspective, le relatif succès de la gestion de la crise argentine est en grande partie expliqué par la configuration économique et sociale inégalitaire héritée des années 1990. La priorité a été donnée à la reconstitution de la rentabilité des groupes concentrant le pouvoir économique local, à la relance de la croissance économique aux taux les plus élevés, à la garantie d’un fort ajustement budgétaire et d’un ajustement des prix relatifs des biens d’exportation et des produits importés vis-à-vis des biens destinés au marché intérieur. Il devenait ainsi possible de rembourser la dette rééchelonnée sans remettre en cause la distribution des revenus.

49 Autrement dit, la critique du régime de la convertibilité a été focalisée sur les difficultés posées par le système de prix relatifs alors en vigueur pour encourager la croissance. Au-delà de la rhétorique, on n’observe pas de remise en question du système institutionnel sur lequel reposait ce régime monétaire. Bien au contraire, la redéfinition de ce dernier a permis de perpétuer les institutions qui le rendaient soutenable en promouvant une distribution inégalitaire des gains de productivité.

50 Le débat sur la sortie de crise a mis en avant qu’aucune autre option n’était envisageable. Dans d’autres travaux, je me suis attaché à réfuter cet argument en expliquant comment les crises sociales augmentent les choix possibles en matière de politiques publiques dès lors que tout est remis en cause (LO VUOLO, 1998a). L’histoire de l’Argentine démontre que les crises ouvrent de plus grandes possibilités de changement des politiques publiques : elles rendent possible un questionnement portant sur l’intégration et l’hétérogénéité au sein de la société, si tant est qu’elles s’accompagnent effectivement d’une remise en question de l’idéologie en vigueur. Un tel questionnement est observé lors de la crise hyper-inflationniste de 1989-1990 et se répète lors de la crise hyper-récessive de 2001. Mais remettre en question l’idéologie n’implique pas forcément un changement de normes et de règles de fonctionnement du régime économique et social en crise.

51 Face à la crise, deux possibilités se présentent : endiguer la crise en modifiant les principes d’organisation sociale, ce qui implique de redéfinir le système institutionnel et les relations de pouvoir qui y ont conduit ; ou tirer parti de la crise pour ne modifier que certaines règles techniques (le régime monétaire) et infléchir ainsi la trajectoire économique, en conservant les principes d’organisation sociale.

52 La sortie de la crise d’hyper-inflation de 1989-1990 reflète le premier choix, tandis que la sortie de la crise de la convertibilité de 2001-2002 correspond au second. L’ajustement s’est fait alors à partir des mêmes sources de financement que celles utilisées auparavant : endettement public, limitation des revenus du travail, transferts régressifs de richesse. Mais les instruments techniques pour y parvenir sont, eux, modifiés : brusque maxi-dévaluation, pesificación asymétrique du système de paiement, nouvelle émission de la dette publique, réduction de la dépense sociale, « impôt inflationniste »  [36], etc.

53 La résolution de la crise a approfondi le modèle inégalitaire de l’organisation sociale instaurée dans les années 1990. Il conviendrait de déterminer dans quelle mesure la croissance économique actuelle dépend du maintien de ce modèle. Cette question est d’autant plus pertinente que la crise n’a pas provoqué de changements structurels et que la forte croissance économique n’est pas mise à profit pour en susciter.

54 Cela ne signifie pas l’absence de changements, mais ceux-ci relèvent seulement de corrections techniques des principes d’organisation sociale et institutionnelle antérieurs : ce sont les nouvelles taxes aux exportations, les programmes assistantiels de masse, les subventions pour éviter l’augmentation des tarifs publics, etc. Mise à part la création d’emplois (qui découle logiquement de la forte croissance économique), aucun de ces changements de moyens opérationnels n’améliore la distribution des bénéfices de la croissance. Les secteurs les plus vulnérables continuent à ne recevoir que des miettes par le biais de programmes assistantiels dont les bénéfices distribués de façon discrétionnaire répondent plus à des objectifs politiques de court terme qu’à celui d’une construction de la citoyenneté de plein droit.

2 – La fin des cycles de stop and go ?

55 Le discours officiel soutient que le triptyque taux de change - excédent budgétaire - excédent extérieur garantit une croissance économique soutenue générant des taux de création d’emplois importants. L’explication gouvernementale de la relance liée à ce triptyque met en avant sa différence avec celui qui avait cours au temps du régime de la convertibilité, quand l’expansion économique reposait alors sur un taux de change surévalué et sur les déficits budgétaire et extérieur.

56 Les conditions seraient donc aujourd’hui meilleures pour affronter des chocs extérieurs, et ce pour deux raisons : d’abord, le rééchelonnement de la dette et l’épargne intérieure qui rendent possible l’excédent budgétaire réduisent la dépendance financière vis-à-vis de l’extérieur ; ensuite, la thèse classique de PREBISCH-SINGER concernant la détérioration des termes de l’échange des pays périphériques est actuellement fragilisée par l’irruption de la Chine et de l’Inde dans le commerce international. Cette irruption favorise les termes de l’échange au bénéfice des pays exportateurs de produits primaires et les pays producteurs de pétrole vivent une période de prospérité.

57 Des éléments conjoncturels avalisent ces arguments, mais il faut considérer prudemment les comparaisons statistiques ainsi que les projections continues et linéaires. L’Argentine évolue par « sauts discontinus », très brusques et dépendant autant de facteurs endogènes qu’exogènes. Ce n’est pas la première fois que le pays sort d’une phase de récession par la dévaluation, la limitation des salaires et l’ajustement des prix relatifs, permettant des excédents budgétaire et commercial. La spécificité de la situation actuelle tient davantage à l’ampleur des phénomènes : ampleur de la récession, qui explique en partie les taux de croissance actuels, ampleur des ajustements des prix relatifs, et ampleur de la tolérance sociale à l’inégalité.

58 Le régime de la convertibilité a été beaucoup plus qu’un système de prix relatifs, ce fut un changement profond des principes d’organisation sociale du pays. Si, comme nous l’affirmons, le changement de politique macro-économique a déplacé les barrières qui entravaient la croissance économique sans impliquer de profonds changements organisationnels, cela signifie que perdurent les fondements du régime d’accumulation et d’intégration sociale qui en constituent les limites tant exogènes qu’endogènes.

59 Les limites exogènes concernent l’insertion internationale. En conjoncture favorable, celle-ci repose sur un taux de change sous-évalué, un coût du travail bas et des tarifs publics gelés. Mais la question est de savoir si la compétitivité systémique progresse. Les limites endogènes sont liées à la structure de distribution inégalitaire des revenus qui permet à certains secteurs de dégager des profits extraordinaires grâce à la précarité du travail, aux taux de chômage et de pauvreté élevés, et à la survivance d’un système de protection sociale fragmenté et visant avant toute chose le contrôle social.

60 En effet, dans le régime de croissance prôné par les discours officiels actuels, avec pour fondement l’épargne interne, la redistribution régressive des revenus constitue une limite (MARQUES-PEREIRA, 2006). Selon le courant de pensée structuraliste originel, la restriction extérieure reflète cette limite ; l’histoire démontre que les brusques changements de prix relatifs produisent bien un ajustement macro-économique immédiat, mais la contrepartie est une tension croissante entre le taux de change et la distribution des revenus.

61 Cette tension est aujourd’hui atténuée par les excédents jumeaux, par les conditions du marché du travail établies dans les années 1990, et par le contrôle gouvernemental sur les organisations syndicales et sociales qui, de ce fait, ont modéré leurs revendications de façon sensible. Cependant, la nécessité d’un taux de change sous-évalué maintient le décrochage des salaires vis-à-vis de la productivité. La gestion de la restriction extérieure dépend de la tolérance sociale à ce décalage, du maintien de la conjonture internationale favorable et de l’excédent budgétaire élevé.

3 – L’inflation

62 La tension entre le taux de change et la distribution des revenus se reflète dans l’accélération de la pression inflationniste qui a prévalu jusqu’à la fin de l’année 2005, malgré la faible remontée des revenus salariaux et des pensions. La réponse gouvernementale s’est traduite par une forte pression sur les agents économiques des secteurs qui pèsent fortement sur l’indice d’inflation. Le contrôle des prix se réalise par des accords négociés au cas par cas avec les patrons concernés mais il peut aussi prendre une forme institutionnelle, comme l’augmentation des taxes à l’exportation que permettent les gains induits par la sous-appréciation du change. Ces taxes se justifient par le coût que paye la collectivité dans l’émission des bons de la Banque centrale. Dans certains cas, le contrôle des prix peut être d’ordre réglementaire. Des quotas peuvent être fixés afin d’augmenter l’offre locale.

63 Au-delà de cette macro-économie vertueuse à court terme  [37], les coûts d’une telle stratégie peuvent toutefois s’avérer dommageables si l’évolution corrélative de la structure économique n’est pas orientée vers un modèle moins concentré de redistribution, qui soit susceptible de répondre de façon plus équilibrée à la croissance de l’offre en générant une perspective de demande qui soutienne une reprise plus franche de l’investissement.

64 L’augmentation des prix s’explique par de multiples facteurs : mouvement de prix accusant un retard dans le contexte d’une économie à forte croissance et à forte concentration des revenus ; exigences salariales dans le secteur formel de l’emploi privé ; retard relatif des salaires publics sous la pression du fort ajustement fiscal ; pression à la hausse du prix des « biens-salaires » qui sont aussi des biens d’exportation ; résistance à diminuer le mark-up [38] pour les entreprises dont la croissance dépend de l’autofinancement et donc des profits ; retard relatif des tarifs des services publics privatisés et étatiques.

65 Jusqu’à présent, le contrôle de l’expansion de l’offre monétaire dépend de l’émission de dette de la Banque centrale. Ce contrôle peut suffire dès lors que le taux d’intérêt reste bas et le taux de croissance élevé. Cependant, cette expansion, qui s’est faite sans récupération du niveau de crédit à la production, semble atteindre aujourd’hui ses limites au regard des hauts niveaux d’occupation de la capacité de production installée. Ce fait pourrait révéler les limites de la politique monétaire axée sur l’accumulation des réserves et le maintien du taux de change sous-évalué.

66 Le contrôle de l’inflation est crucial pour soutenir une amélioration progressive des revenus qui entretienne la demande de biens de consommation et d’investissement. Or, jusqu’à présent, la croissance va de pair avec une reconstitution des marges bénéficiaires limitant l’augmentation des revenus du travail, du fait de l’importance de l’emploi non déclaré. La hausse des salaires n’a en effet touché que l’emploi déclaré, soit une partie seulement de l’emploi global. De plus, le panier de consommation est composé de biens qui sont aussi des biens exportables, ce qui impose les prix internationaux sur le marché domestique.

67 Ces contradictions pourraient être atténuées par la redistribution des bénéfices de la croissance au travers de politiques de transfert fiscal, et en faisant reposer l’augmentation de la productivité sur une plus grande efficience du capital et non sur une exploitation accrue de la force de travail. Cependant, toute redistribution est rendue difficile par des politiques sociales issues des années 1990 et par la contrainte de maintien d’un excédent budgétaire élevé. Quant à l’efficience du capital, la question se pose en termes de niveau et de qualité des investissements.

4 – Les excédents jumeaux

68 L’excédent budgétaire a été atteint par l’ajustement de la dépense publique réelle en agissant plus particulièrement sur les rémunérations du personnel, les retraites et les pensions, l’investissement public étant quasi inexistant du fait de la politique de privatisation des années 1990. Le rééchelonnement de la dette publique a imposé des engagements de paiement qui continuent à peser lourdement sur le budget de l’État et qui expliquent en grande partie les retards constatés dans les dépenses sociales programmées, malgré l’augmentation significative des recettes induites par la croissance économique et, plus encore, par l’augmentation des exportations.

69 La croissance soutenue des recettes nominales s’explique par le poids des impôts indirects, l’inflation et la réinstauration de « droits à l’exportation »  [39]. Les taxes aux exportations sont un impôt fédéral qui ne fait pas l’objet de redistribution au bénéfice des provinces. Aussi, en cas de baisse, il ne peut pas être remplacé par des impôts en partie redistribués (comme la TVA, les impôts sur les bénéfices ou sur les biens personnels, etc.). L’impact de cette situation commence à se faire sentir dans la mesure où les provinces sont confrontées à une chute de leur excédent budgétaire.

70 Les provinces ont dû réaliser des ajustements budgétaires significatifs pour appliquer la nouvelle Loi de responsabilité fiscale, édictée sous les auspices du FMI. Les conséquences de ces ajustements se font surtout sentir sur les services sociaux universels (éducation et santé), dont la responsabilité a été transférée aux provinces dans les années 1990. Aussi, ces domaines d’intervention souffrent d’un retard des dépenses (principalement en ce qui concerne les salaires) et aucun transfert de recettes fiscales de l’État fédéral aux provinces n’est opéré.

71 Quant à l’excédent commercial, il est sensible à la tension entre la croissance économique, le processus de substitution des importations et les besoins en investissement du système productif. L’interrogation porte sur la capacité du pays à progresser en ce qui concerne la substitution des importations et l’exportation de nouveaux produits. Jusqu’à présent, aucune avancée substantielle n’est perceptible en ce sens, au-delà des possibilités ouvertes par le nouveau système de prix relatifs. De plus, sur certains produits, tels que le pétrole et la viande, on observe dès à présent une tension entre les exportations et l’approvisionnement domestique.

5 – Le système politique

72 La crise économique a dérivé vers une crise de représentation politique. Néanmoins, la mobilisation sociale dirigée par les organisations populaires est peu à peu retombée, ce qui a débouché sur une plus grande concentration du pouvoir, la cooptation des leaders et l’exclusion de ces organisations de la vie politique. Dans le domaine politique également, on observe que la sortie de la crise est fortement dépendante des traits de « démocratie délégative » provenant des années 1990 (O’DONNELL, 1992). La possibilité octroyée par le Parlement de gouverner par décrets dans de nombreux domaines consolide la symbiose entre l’État et le gouvernement, permise par un mode d’exercice autoritaire du pouvoir qui privilégie le principe de délégation au détriment du principe de représentation  [40].

73 La personnalisation du pouvoir public est un élément majeur pour comprendre les modalités de la politique publique actuelle du pays, tant dans le domaine social et dans la renégociation des contrats des services publics privatisés que dans la politique anti-inflationniste. La clef de la politique argentine est aujourd’hui la distribution discrétionnaire de récompenses et de sanctions, dans les différents domaines de la politique publique.

74 D’autres formes institutionnelles proviennent aussi des années 1990, comme la persistance de l’usage de « décrets de nécessité et d’urgence » de la part du pouvoir exécutif, l’absence de participation du Parlement pour des questions qui sont pourtant de son ressort (comme la négociation de la dette publique), ou les règles ouvrant des possibilités pour disposer de façon discrétionnaire du budget public. Dans ce contexte, les citoyens, comme les actionnaires des entreprises, sont considérés comme des acteurs intermittents de la vie politique, en fonction des périodes électorales. Ils deviennent des « clients » de l’appareil politique de l’État. Les partis politiques se trouvent ainsi condamnés à des pratiques réitérées de cooptation de leurs membres dont la fidélité dépend ainsi de la capacité d’utilisation de ressources publiques par ses représentants.

75 L’Argentine reste ainsi marquée par sa faiblesse institutionnelle, car ses mécanismes pour contrôler et rendre des comptes sont très fragiles. Une démocratie subordonnée à ce type de dynamique n’évolue pas au travers de la formation de consensus mais de conflits permanents prenant la forme de pseudo-négociations conjoncturelles qui ne sont que le reflet de pouvoirs inégalitaires. La crise de 2001-2002 a démontré la possibilité de voir une crise économique se transformer en crise politique du fait de l’érosion de la représentation politique, lorsque celle-ci ne bénéficie plus qu’aux élites et aux groupes détenant le pouvoir économique.

76 Le cas de l’Argentine continue d’être peu commun. Le nouveau régime économique est plus consistant que le précédent, sans qu’il y ait de modifications du régime d’organisation sociale construit dans les années 1990. Jusqu’à aujourd’hui, l’objectif est de sauvegarder ce dernier en impulsant une nouvelle phase de croissance grâce à un changement des règles techniques. Cela a permis de préserver un régime d’accumulation et d’organisation sociale pourtant rattrapé par sa propre logique récessive et sa forte dépendance financière vis-à-vis de l’étranger.

77 Néanmoins, cela ne garantit pas la stabilité de ce régime d’organisation sociale. Pour cela, il faut encore résoudre les contradictions de l’État qu’implique le fait de rendre compatibles l’accumulation et la légitimité de l’ordre social. Ces contradictions sont très fortes parce que le processus d’accumulation est dépendant de taux de croissance très élevés tandis que perdurent une forte inégalité et un système institutionnel très fragmenté favorisant la concentration du pouvoir.

78 Les causes de la chute du régime de la convertibilité sont multiples et il en est de même des changements structurels nécessaires à la construction d’une organisation sociale alternative. Ce sont aujourd’hui les traits d’un système d’organisation sociale fondé sur une « citoyenneté patrimoniale » qui persistent. Dans ce système, les droits des personnes sont fonction de leur patrimoine et des ressources politiques dont elles disposent. Dès lors, les problèmes d’exclusion sociale sont liés aux caractéristiques et aux conduites personnelles des individus  [41]. Le destin de chacun dépend de ses efforts pour devenir plus productif et la politique publique ne s’occupe que de la croissance économique et de la reproduction du système politique.

79 La question de la redistribution est ainsi évacuée du cœur du débat. Les personnes exclues verront leurs problèmes résolus quand une plus grande croissance portera ses fruits, redistribués conformément aux mérites qu’est censé révéler le marché du travail. Les problèmes sociaux pourront donc être résorbés par une meilleure incorporation au marché du travail, découlant de la croissance économique.

80 Ce qui a changé en Argentine, ce sont les règles macro-économiques et leur consistance. Mais aucune stratégie visant à des changements institutionnels profonds pour renverser la matrice d’inégalité sociale n’est apparue, alors que la conjoncture de croissance le permettrait. Le résultat que l’on observe jusqu’à aujourd’hui peut alors être résumé ainsi : tout s’améliore, si ce n’est la redistribution des revenus, de la richesse et du pouvoir politique.

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Notes

  • [*]
    Directeur académique et chercheur principal du Centre interdisciplinaire pour l’étude des politiques publiques (CIEPP), Buenos Aires, Argentine.
  • [1]
    - L’expérience de l’Allemagne de la République de Weimar est similaire, entre l’hyper-inflation de 1921-1922 et la dépression de 1929-1933 (ROBBIO, 2002).
  • [2]
    - Le Programme de convertibilité a été mis en place par un gouvernement péroniste élu en 1989, en pleine crise d’hyper-inflation. Son président, Carlos Menem est réélu une première fois en 1994 mais il perd les élections de 1998 du fait de la régression sociale impliquée par ce Programme de convertibilité. Le retour au pouvoir du Parti radical, concurrent historique du péronisme depuis un demi-siècle, n’a pas remis en cause le maintien du régime monétaire. Son effondrement conduit le gouvernement radical du Président De La Rúa à démissionner le 21 décembre 2001, sous la pression de la rue. Deux Présidents sont alors successivement nommés par le Parlement mais, ni l’un ni l’autre ne parvenant à établir un accord sur la conversion en pesos des dettes et créances, ils démissionnent rapidement. Le Gouverneur de la province de Buenos Aires (la province la plus riche du pays) qui est nommé au milieu de l’année 2002, y parviendra finalement. C’est l’actuel Président Néstor Kirchner, élu en 2003, qui lui succède.
  • [3]
    - Le chômage ouvert concerne les personnes qui se déclarent être à la recherche d’un emploi dans les enquêtes, et qui n’ont pas travaillé durant la semaine précédant celles-ci.
  • [4]
    - De cette façon, on s’attend à ce que, fin 2006, le PIB se situe à +40 % par rapport au niveau atteint lors de la récession, en 2002. Le PIB de 2006 se trouverait alors à 14 % au dessus du pic précédant la récession de 1998, et le PIB par habitant aurait crû de 5,5 %.
  • [5]
    - Voir l’article de Noémi GIOSA ZUAZÚA dans ce numéro.
  • [6]
    - La part de la population pauvre dans la population totale est passée de 57,5 % en 2002 à 27,5 % en 2005, et de 24,7 % à 12,2 % pour la population indigente.
  • [7]
    - Cela consolide une tendance structurelle : dans la décennie 1980, ce ratio tournait autour de 15 ; en 1999, il était de 23,5. L’indice de Gini enregistre une valeur de 0,4625 en 2005, à peine au-dessous de celle de 2001, à 0,479. Toutes les données sont tirées des registres de l’enquête officielle sur les revenus des ménages, sans prendre en compte les problèmes de sous-déclaration des revenus qui rendent la distribution encore plus inégale.
  • [8]
    - L’idée de régime d’organisation sociale désigne ici les critères formels et informels, explicites et implicites, qui déterminent les canaux d’accès des citoyens aux bénéfices des institutions politiques, économiques et sociales, ainsi que les stratégies et moyens qu’ils peuvent utiliser pour parvenir à obtenir cet accès. La notion de régime d’organisation sociale ici utilisée désigne, en ce sens, la cohérence systémique des formes spécifiques d’intégration sociale qu’adoptent les sociétés reposant sur un capitalisme organisé par les institutions démocratiques (LO VUOLO, 1998a).
  • [9]
    - La pesificación est une conversion dite asymétrique en pesos nationaux des créances et dettes du système financier qui étaient libellées en dollars américains car les dettes ont été converties au taux de 1 pour 1 alors que les dépôts l’ont été à un taux supérieur. La plupart des épargnants ont progressivement récupéré, au taux décidé en 2002 par le président Duhalde (1,40 pesos par dollar), plus un coefficient dérivé de l’inflation, l’argent qui avait été bloqué (corralito, en français « enclos à bétail »). La Cour Suprême vient de statuer sur les contestations judiciaires. L’épargne qui n’avait pas été convertie le serait au taux de 1,40, assorti d’un coefficient de l’inflation des prix à la consommation et d’un intérêt de 4 % annuel.
  • [10]
    - Spécialement dans les secteurs de biens dits commercialisables, soumis à la concurrence extérieure.
  • [11]
    - C’est le résultat de l’échange des titres publics en dollars (GOLDBERG et LO VUOLO, 2005).
  • [12]
    - En 2002, les prix au détail ont augmenté de 41 % (FRENKEL, 2003).
  • [13]
    - Le résultat global de l’Administration nationale est passé d’un déficit de 4 % du PIB en 2001, à un petit excédent de 0,3 % en 2003 ; depuis, l’excédent se situe à des valeurs supérieures à 3 % du PIB.
  • [14]
    - Entre 2003 et 2005, la base monétaire a augmenté de 48 % par rapport à 2002.
  • [15]
    - Les réserves internationales sont montées à 17,6 milliards de dollars en décembre 2005, bien que, parallèlement, le paiement de la dette auprès des organismes financiers internationaux se soit élevé à 10,77 milliards de dollars. Le paiement au FMI dans les premiers jours de 2006 a approché les 10 milliards de dollars : en quatre ans l’Argentine a ainsi payé presque 19 milliards de dollars au FMI.
  • [16]
    - En 2002, l’excédent en compte courant a été de 8,6 milliards de dollars (8,4 % du PIB) alors que l’année 2000 présentait un déficit de 8,9 milliards de dollars.
  • [17]
    - Plus récemment, la Banque centrale neutralise de la monnaie en récupérant les escomptes officiels consentis aux banques pendant la crise financière de 2001-2002.
  • [18]
    - En 2005, les profits et dividendes en dollars des filiales d’entreprises étrangères ont dépassé le record antérieur de 1998, malgré le taux de change désormais sous-évalué. Pendant le premier trimestre 2006, les transferts de fonds vers l’étranger qui leur correspondent ont atteint les 1,12 milliards, triplant ceux de la même période pour 2005.
  • [19]
    - De février 2002 à février 2004, les prix de gros ont crû de 108,2 % alors que ceux de détail ont augmenté de seulement 43,4 % : le rapport entre les deux est passé de 1 à 1,47.
  • [20]
    - De 2002 à 2004, les prix des services privés ont augmenté de 23,1 % ; ceux des services publics de 7,7 % seulement.
  • [21]
    - Le nombre de travailleurs touchés par les négociations collectives en 2004 et 2005 ne dépasse pas 15,6 % de l’ensemble des salariés et 10,5 % de la force de travail totale (LOZANO, RAMERI et RAFFO, 2006).
  • [22]
    - Vers 2004, les seules fonctions de la dépense sociale qui avaient retrouvé un niveau de dépense équivalent à celui antérieur à la crise de 2001-2002 concernent la rubrique « aide sociale et travail ». Les dépense en politiques universelles (santé, éducation publique) et en protection sociale (prévoyance sociale, œuvres sociales, allocations familiales) sont toujours très en deçà (RODRÍGUEZ ENRÍQUEZ, 2005).
  • [23]
    - Sur les 40 milliards d’exportations en 2005, 65 % correspondent à des produits primaires ou manufacturés d’origine naturelle, secteurs où la balance commerciale est clairement favorable ; sur les 35 % restants, plus de la moitié sont des produits manufacturés de valeur ajoutée faible ou intermédiaire.
  • [24]
    - Entre 2002 et 2005, les exportations argentines ont connu une croissance au taux annuel de 12,8 %, croissance inférieure à celle du Chili (26,1 %), de la Bolivie (23,7 %), du Brésil (21,8 %), de l’Équateur (21,5 %), de l’Uruguay (19 %), de la Colombie (17,9 %) et du Paraguay (17,8 %).
  • [25]
    - Tout cela dans un contexte difficile : les entreprises menaçaient d’abandonner le pays, de se déclarer en cessation de paiement, de solliciter de nouvelles créances (ce qui a été fait dans de nombreux cas), de faire appel à l’arbitrage de tribunaux internationaux dans le cadre des Traités bilatéraux signés par l’Argentine, ou encore de diminuer les indices de qualité exigés contractuellement et de licencier du personnel.
  • [26]
    - Entre autres normes, ce projet prohibe les ajustements tarifaires à des indices extérieurs à l’économie argentine, stipule que les controverses juridiques doivent avoir un cadre de résolution qui relève de la juridiction nationale, impulse une « tarification sociale » et des critères de subventions croisés entre les usagers, stipule la responsabilité des maisons mères vis-à-vis des filiales qui dirigent les compagnies privatisées et établit que la planification des investissements des entreprises doit être une tâche étatique.
  • [27]
    - Les péages des voies fluviales, aéroports, terminaux portuaires, courrier postal, transport ferroviaire de passagers, etc.
  • [28]
    - L’eau et l’assainissement, les routes nationales, le réseau d’accès à la ville de Buenos Aires, le transport ferroviaire de marchandises, le service téléphonique de base, le transport et la distribution de gaz naturel et d’énergie électrique.
  • [29]
    - La poste, les services d’eau dans la région métropolitaine, certaines partie du réseau de chemin de fer, les gisements carbonifères de Rio Turbio ou encore l’espace radioélectrique.
  • [30]
    - Sans oublier qu’une dette subsiste encore puisque certains créanciers n’ont pas accepté l’échange proposé par le gouvernement et poursuivent à ce jour leurs requêtes par voies judiciaire et politique.
  • [31]
    - Ici aussi, le gouvernement a préféré le critère de non discrimination des créanciers : les grands groupes économiques du secteur financier ou productif et les épargnants qui ont reçu des titres ont subi le même traitement. La dette émise a trouvé sa justification dans la dévalorisation (en dollars) des patrimoines suite à la maxi-dévaluation et à la pesificación asymétrique. Mais, ce qui est sûr, c’est que le recouvrement de ces pertes a bénéficié à certains et porté préjudice à d’autres, sans que le gouvernement ne fasse de différence.
  • [32]
    - En décembre 2001, la dette nominale s’élevait à presque 145 milliards de dollars ; elle a atteint un pic de 191 000 millions de dollars américains deux ans plus tard. Cela s’explique non seulement par l’évolution des titres existants, mais aussi et surtout par l’émission de 35 milliards de dollars de dette nouvelle. La restructuration de la dette augmente moins sa valeur nominale que son poids dans le PIB. Celui-ci représentait en décembre 2001 près de 57 % du PIB et il s’élève deux ans plus tard à 72 % (sans tenir compte des titres dont les porteurs ont refusé l’échange) et à près de 80 % (si on intègre ces titres à la dette en les comptabilisant à la valeur stipulée par l’offre de substitution des nouveaux bons aux anciens).
  • [33]
    - Pour une analyse critique du PJJHD, voir BARBEITO, GIOSA ZUAZÚA et RODRÍGUEZ ENRÍQUEZ (2003) ; pour une analyse dans l’optique de la Banque mondiale, voir GALASSO et RAVAILLON (2003) ; et pour une analyse quantitative détaillée, voir MONZA et GIACOMETTI (2003).
  • [34]
    - Le plus répandu est le programme intitulé Mains à l’oeuvre.
  • [35]
    - Sur l’idée de citoyenneté patrimoniale, voir LO VUOLO (2001) et MARQUES PEREIRA (1995).
  • [36]
    - L’inflation fait office d’impôt en réduisant la valeur réelle des dépenses publiques.
  • [37]
    - Ces mesures ont diminué les prévisions d’inflation pour l’année 2006 : au début de l’année, l’inflation était estimée à près de 15 %, les prévisions tournent aujourd’hui autour de 10 %.
  • [38]
    - Supplément de prix requis en fonction de la marge de profit visée.
  • [39]
    - Ces taxes aux exportations ont représenté 2,3 % du PIB en 2005, soit l’équivalent de plus de 60 % de l’excédent primaire de l’année.
  • [40]
    - Cette hypothèse, avancée par de nombreuses analyses des conditions politiques de la sortie de crise argentine, est argumentée en détail par Maristella SVAMPA, dans ce dossier.
  • [41]
    - Pour une discussion plus large sur les concepts divers et opposés de pauvreté, voir LO VUOLO et al. (1999).
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