Notes
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[1]
Doctorante, LEFI – Université Lumière Lyon 2.
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- Je remercie vivement les rapporteurs pour leurs conseils de réécriture concernant tant le fond que la forme de l’article.
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- Le nombre actuel de bénéficiaires des services de microfinance est bien en deçà de la demande existante, ou bénéficiaires potentiels (voir à ce sujet l’étude réalisée par le CGAP sur le contexte latino-américain en 2001). En revanche, l’objectif de 100 millions de bénéficiaires ne semble pas atteint puisque le chiffre s’élèverait à 60 millions de personnes ayant accès aux services d’épargne, de crédit, etc., procurés par les dispositifs de microfinance.
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[4]
- Dans certains contextes, les banques commerciales ont été attirées par la microfinance dans la mesure où celle-ci constituait une nouvelle niche de marché ; cette situation est illustrée par le cas du Chili (CGAP, 2001, p. 6).
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[5]
- Les questions centrales auxquelles est confronté tout prêteur, et qui renvoient au problème d’asymétrie de l’information, consistent à se demander comment inciter l’emprunteur à révéler toute l’information dont il dispose et à ne pas adopter un comportement opportuniste. Dans la relation de crédit, en effet, l’emprunteur détient de l’information pertinente sur la nature plus ou moins risquée de son projet et de l’effort qu’il compte y consacrer, ce qui met le prêteur dans une position de faiblesse.
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[6]
- Les chiffres de cette étude datent pour la plupart de 1999.
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[7]
- Voir en particulier les contributions de : MATIN, 1997 ; YARON, 1994 ; MCINTOSH et al., 2005 ; NAVAJAS et al., 2003.
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[8]
- Lorsque l’asymétrie d’information se situe ex post, le prêteur n’a pas la capacité d’observer les actions entreprises par l’emprunteur et ne peut donc pas contrôler ou faire appliquer les termes d’un contrat qui spécifierait les actions à entreprendre. Cette forme d’asymétrie est source d’aléa moral.
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[9]
- À moindre risque donc si l’emprunteur ne rembourse pas la somme prêtée.
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[10]
- En termes d’asymétries d’information, le mécanisme de progressive lending permettra donc de réduire conjointement les risques de sélection adverse (adverse selection) et de hasard moral (moral hazard).
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[11]
- Santa Catarina Loxicha ainsi que San Baltazar Loxicha situés dans l’État d’Oaxaca au Sud-Ouest du Mexique.
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[12]
- Le transport occasionne un coût de l’ordre de 7 $ US aller-retour par personne. Pour simplifier les calculs, nous parlons en dollars américains. Le taux de change entre le peso mexicain et le dollar américain retenu ici se situait à l’époque aux alentours de 1 $US = 10 pesos.
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[13]
- Par opposition aux prêts concédés entre membres appartenant à la même famille, réseau social proche dont les modalités sont plus souples, moins systématiques. Ainsi, le prêteur professionnel fait signer un « pagaré », engagement moral à rembourser l’argent prêté, emblème d’une relation contractuelle par opposition aux relations personnelles.
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[14]
- Les travaux réunis dans l’ouvrage dirigé par J.-M. SERVET illustrent l’inconsistance de l’hypothèse de dualisme financier dans de nombreux contextes africains (SERVET et al., 1995).
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[15]
- Les données disponibles ne sont pertinentes que sur les cinq premiers cycles de crédit puisque, ensuite, le nombre d’observations individuelles est trop faible pour présenter une quelconque représentativité.
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[16]
- Soulignons que la méthodologie adoptée n’oblige pas l’emprunteur à utiliser le crédit pour une dépense spécifique déterminée lors de l’octroi du prêt ; celui-ci est dit de « libre disponibilité ».
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[17]
- Ces résultats corroborent ceux de SINHA et MATIN (1998) qui établissent, dans le contexte de la Grameen bank au Bangladesh, que le crédit n’est pas souvent utilisé pour des dépenses directement productives.
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[18]
- Précisons que, contrairement à d’autres régions localisées dans l’État d’Oaxaca, la zone étudiée n’est pas à proprement parler une zone d’intense activité migratoire vers les États-Unis. Certains ménages reçoivent des transferts privés liés à la migration mais pour la majorité des ménages ces transferts ne constituent pas la plus grande part des revenus monétaires. Une analyse fine des pratiques d’endettement révèle que pour les emprunteurs, le microcrédit constitue avant tout un instrument de lutte contre l’incertitude sur les revenus (fluctuations de la production et des prix agricoles) et l’inadéquation temporelle des flux de revenus et des dépenses. En effet, le microcrédit et les pratiques informelles de liquidité sont mobilisés tour à tour par le ménage et mis l’un au service de l’autre afin de procurer une plus grande marge de manœuvre dans la gestion temporelle des différents flux de liquidité.
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[19]
- Exception faite des ajustements dans l’attribution des nouveaux crédits fondés sur les performances individuelles au remboursement.
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[20]
- Dans la mesure où le dispositif appréhendé se trouve dans une situation de monopole/quasi-monopole, nous n’envisageons pas l’attitude dite du « loyalisme » qui présuppose la présence d’organisations rivales.
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[21]
- Les investigations concernant les motivations des clients sortants sont courantes dans le domaine de la microfinance et leur intérêt a été reconnu, notamment au travers des méthodes standardisées d’évaluation d’impact incluant des questionnaires d’enquêtes destinés à identifier les motifs de la défection (AIMS, 2001). De même, les méthodologies dites d’évaluation de la satisfaction de la clientèle ont précisément pour but d’apprécier les sources de mécontentement de la clientèle par rapport à ses besoins et, dans cette optique, d’améliorer la qualité de l’intervention (voir BOUQUET etal., 2002).
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[22]
- La moyenne totale de l’attrition correspond au cumul des pertes enregistrées à chaque cycle de crédit pour les groupes solidaires ayant achevé au moins trois cycles de crédit.
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[23]
- Nous avons en effet souligné que le remboursement du prêt était fréquemment assuré grâce à l’appui de l’entourage de l’emprunteur par recours au réseau social ou au secteur financier informel (SINHA et MATIN, 1998 ; MORVANT, 2003). Or, dans la mesure où l’IMF évalue le montant prêté à partir des performances de remboursement du prêt antérieur par l’emprunteur ainsi qu’en s’appuyant sur les règles de progressive lending, ces éléments concourent à créer une offre relativement homogène.
1 L’expansion de la microfinance a constitué au cours des dix dernières années un fait observé partout dans le monde. Cependant, loin de se ralentir, cette croissance était vouée à se perpétuer afin d’atteindre en cette année 2005 près de 100 millions de bénéficiaires des institutions de microfinance (IMF) (MICROCREDIT SUMMIT, 1997 ; MORDUCH, 1999) [3].
2 L’essor de la microfinance est favorisé par des initiatives que l’on peut qualifier de « privées » [4] ainsi que par les pouvoirs publics au travers des États ou des bailleurs de fonds. Activité « rentable » ou tout au moins « pérenne » pour certains et instrument « efficace » de lutte contre la pauvreté pour d’autres, la microfinance est consensuelle dans le sens où elle réconcilie deux ambitions que l’on considérait jusque-là inconciliables : lutter contre la pauvreté tout en favorisant l’essor de l’initiative privée, du marché. Si rendre les marchés financiers accessibles aux plus pauvres constitue dorénavant une préoccupation partagée, il s’agit également de promouvoir des dispositifs viables et durables. Or, afin de surmonter les asymétries d’informations [5], de nombreux travaux insistent sur la nécessité d’associer à l’innovation de la caution solidaire un certain nombre d’incitations individuelles telles que l’augmentation régulière du montant prêté fondée sur la performance du remboursement des prêts antérieurs, les remboursements rapprochés et réguliers, ou encore la nature répétée des interactions prêteur/emprunteur au travers du renouvellement du crédit.
3 Le volontarisme des dispositifs de microfinance appuyé par des subventions publiques a ainsi permis dans bien des contextes de rompre avec l’exclusion des personnes pauvres du circuit financier formel, allant dans certaines régions jusqu’à engendrer un marché concurrentiel entre institutions de microfinance. Dans les principales zones urbaines de certains pays latino-américains, le marché y est même considéré comme saturé. Le cas illustratif est celui de la Bolivie où, selon les données du CGAP (Groupe Consultatif d’Assistance aux Pauvres), le taux de pénétration y est de 163 % (CGAP, 2001) [6].
4 Pourtant, si certains se réjouissent de cette croissance, d’autres, loin de la remettre en cause, s’interrogent sur les effets négatifs dont elle est potentiellement porteuse. L’efficacité des innovations technologiques mises en œuvre par les institutions de microfinance serait, selon MORDUCH (1999), réduite voire mise en péril en situation de concurrence, ce qui se traduirait par un risque plus élevé de défaillance pour le remboursement des prêts au niveau de l’IMF.
5 L’émergence ou le renforcement de la concurrence entre dispositifs de microfinance occasionnerait donc un accroissement considérable des asymétries d’informations auxquelles ces dispositifs font face afin d’assurer des taux de remboursements élevés et, par là même, mettrait en péril la pérennité de leur activité. Dans ce contexte, les mécanismes incitatifs censés assurer des taux de remboursement élevés se révéleraient moins efficaces et la pérennité de la structure risquerait ainsi d’être fragilisée. Cependant, si les effets attendus et avérés de la concurrence sur l’efficacité des mécanismes incitatifs ont été largementétudiés [7], nous nous interrogeons ici sur l’efficacité réelle de ces mêmes mécanismes au travers de l’analyse d’un dispositif de microfinance en situation quasi monopolistique intervenant dans des villages localisés dans des zones rurales de l’État d’Oaxaca au Mexique.
6 En effet, le succès des institutions de microfinance en partie érigé sur ces mécanismes semble avoir éludé presque totalement du débat académique les asymétries d’information et l’un de leurs corollaires, l’aléa moral [8]. Asymétries d’informations et aléa moral sont-ils pleinement surmontés par les innovations technologiques qui distinguent les institutions ou dispositifs de microfinance ? Répondre à cette question implique au préalable d’interroger la portée explicative des hypothèses de comportement de l’emprunteur qui sous-tendent la mise en œuvre de ces mécanismes en les confrontant aux réalités empiriques. Le mécanisme du progressive lending – augmentation régulière des montants prêtés – qui repose sur le scénario selon lequel l’emprunteur sollicitera toujours le montant le plus élevé auquel il peut prétendre fera l’objet de cet article.
7 Une première partie introduira les présupposés véhiculés par la microfinance et à l’origine des règles de fonctionnement appliquées par de nombreuses institutions de microfinance dans les pays du sud. Une seconde partie s’attardera sur le contexte de notre étude et notre cadre analytique. Enfin, nous présenterons nos résultats à partir de données empiriques.
I – LE MÉCANISME INCITATIF DU PROGRESSIVE LENDING : JUSTIFICATION THÉORIQUE ET ÉVIDENCE EMPIRIQUE
8 MORDUCH (1999) et ARMENDARIZ DE AGHION et MORDUCH (2000) mettent en avant le fait que les dispositifs de microfinance les plus populaires appuient leur intervention sur le mécanisme du progressive lending. Ainsi, la majorité des dispositifs de microfinance démarre la relation de prêt en octroyant de faibles montants augmentant graduellement au fil des cycles de crédit en fonction de la capacité de l’emprunteur à rembourser le crédit antérieur. Ce mécanisme fournit donc la possibilité pour le prêteur de tester, sur de faibles montants [9], la capacité ou la prédisposition de l’emprunteur à rembourser son prêt. L’hypothèse sous-jacente largement véhiculée par les discours sur la microfinance est que, face à un niveau élevé de rationnement du crédit, il existe une diversité importante de projets productifs à entreprendre ; par ailleurs, le taux de rendement de ces projets est considéré comme positivement corrélé avec le montant prêté. Ainsi, en théorie, l’emprunteur préférera systématiquement emprunter le montant maximal qui lui est proposé par le dispositif de microfinance (GODQUIN, 2004). Cette recherche perpétuelle de montants plus élevés est censée fournir aux institutions de microfinance un moyen de pression efficace pour inciter l’emprunteur àrembourser le crédit [10] en vue d’accéder à des sommes plus importantes. Une vaste littérature empirique s’intéresse à l’efficacité de l’augmentation régulière des montants prêtés sur les taux de remboursement. HULME et MOSLEY (1996) établissent la relation entre la méthodologie d’intervention et les performances en termes de taux de remboursement. À partir d’un échantillon de 13 dispositifs de microfinance, les auteurs démontrent que les meilleures performances sont associées aux dispositifs ayant entre autres adopté les mécanismes incitatifs, dont leprogressive lending.
9 Cependant, si d’autres études empiriques modèrent l’enthousiasme suscité par ces mécanismes pour améliorer les performances des IMF en matière de remboursement (PAXTON, 1996 ; EGLI, 2004 ; SINHA et MATIN, 1998), peu de contributions s’intéressent à l’évidence des comportements d’emprunts des clients des dispositifs de microfinance. La contribution de Marc ROESCH (2004) illustre pourtant, à partir d’une étude menée en Équateur, que loin de se conformer à l’hypothèse d’une forme d’ « abonnement au crédit », 60 % des clients de l’IMF ne sollicitent qu’un seul crédit et restent inactifs par la suite. Concernant l’augmentation progressive des montants prêtés par l’IMF, l’analyse menée dans MORVANT (2005b) illustre, au cours des renouvellements du crédit, l’accroissement du décalage observé entre les montants empruntés par les clients d’une IMF mexicaine et les montants maximum auxquels ces mêmes clients auraient pu prétendre. Ces résultats sont en partie repris dans cet article qui aspire à les dépasser pour démontrer leur portée analytique.
10 À partir de données de terrain, nous nous attacherons à montrer au travers de l’analyse des comportements d’emprunt, tant au niveau individuel que collectif (groupe solidaire), que le mécanisme du progressive lending au cours des renouvellements de crédits peut être source d’aléa moral pour l’IMF. L’idéal de l’emprunteur en demande constante de fonds à investir n’est pas conforme à la réalité observée (MORVANT, 2005b). Aussi, l’apparition au cours du temps de stratégies différenciées au sein des groupes solidaires en termes de montants sollicités auprès de l’IMF, associée à une application indifférenciée du mécanisme du progressive lending, ouvre la voie à l’émergence de nouvelles formes d’aléa moral. Le cadre analytique du couple « défection et prise de parole » (HIRSCHMAN, 1995) appliqué au cas d’un dispositif de microfinance en situation quasi monopolistique nous fournira une grille de lecture pertinente pour la compréhension des mécanismes sous-jacents à l’adoption par les emprunteurs de stratégies risquées pour le prêteur (IMF).
II – LA RÉALITÉ DU CONTEXTE RURAL MEXICAIN : UN DÉCALAGE CROISSANT ENTRE LA PROJECTION DE L’IMF ET LES COMPORTEMENTS OBSERVÉS DES EMPRUNTEURS
1 – Spécification de l’offre de services financiers dans le contexte d’étude
11 Le dispositif de microfinance que nous étudions se trouve dans une situation de quasi-monopole. Cela ne signifie pas que l’IMF soit la seule à procurer de la liquidité sous forme de prêts, bien au contraire. Selon GUERRIEN (2000), la situation de monopole est identifiée à partir du degré de substituabilité existant entre les biens ou produits offerts dans le contexte étudié. Les critères de substituabilité peuvent êtres définis à partir des caractéristiques intrinsèques de chacun des produits offerts mais également en fonction du « lieu où est disponible » le bien ou service offert. Ainsi, la distance entre « offreurs » ou les coûts de déplacements supportés par les acheteurs pour accéder au bien/service, constituent des indices tout aussi pertinents du degré substituabilité, au moins pour la frange des clients potentiels n’ayant pas la possibilité de se déplacer ou de faire face à la dépense occasionnée par le transport pour acquérir le bien. Ajoutons donc que le degré de substituabilité est non seulement relatif puisque déterminé selon des critères plus ou moins objectifs en fonction de la demande existante dans un contexte donné, mais que la hiérarchie de ces critères comporte également une part variable selon les contextes socio-culturels étudiés. Enfin, le degré de substituabilité comporte une part subjective propre à la personne (caractéristiques de ses préférences) et à sa situation socio-économique.
12 En ce qui concerne notre contexte d’étude, le secteur dit formel est constitué dans deux des villages étudiés [11] par le dispositif de microfinance analysé, les banques et autres IMF se situant à quatre heures d’autocar du village [12]. Le troisième village est quant à lui caractérisé par la présence d’un autre dispositif de microfinance (la Caisse Populaire Mexicaine). Les méthodologies d’interventions respectives de ces deux dispositifs étant distinctes, le degré de substituabilité entre les deux n’est pas total. Ces deux IMF proposent le même bien puisqu’une partie de leur activité est vouée, selon la formule de Weber, à « céder des droits de disposer de quelques biens matériels que ce soit contre la promesse future d’une cession équivalente de droits » (WEBER, 1995, p. 125). En l’occurrence le crédit est procuré par les IMF sous forme monétaire. La différenciation entre ces deux dispositifs se fera alors sur ce que l’on nomme communément « produit de crédit », expression renvoyant aux caractéristiques du contrat de prêt : échéance, montant, type de garantie, ainsi qu’au taux d’intérêt auquel l’argent est prêté.
13 Soulignons que l’exigence de la Caisse Populaire Mexicaine (CPM) en termes de garantie est rédhibitoire pour beaucoup de ménages vivant dans ce village, ellerend improbable la discrimination entre les deux IMF par une large partie de la population. Pour la frange supérieure des ménages, le degré de substituabilité entre les deux dispositifs de microfinance sera plus élevé que pour les ménages moins aisés dont la capacité à mobiliser de l’épargne est réduite, ceux-ci seront donc plus ou moins exclus de l’accès aux services de la Caisse Populaire Mexicaine. En réalité la proportion de ménages clients ou clients potentiels des deux IMF est faible car les conditions d’accès de la CPM impliquent l’exclusion d’une proportion élevée des clients de la microbanque. Un certain degré de segmentation prévaut donc entre ces deux dispositifs : d’après nos enquêtes, le taux de recoupement est de 10 % (sur 91 clients enquêtés dans ce village).
14 Il existe par ailleurs un certain nombre d’alternatives dites informelles ou endogènes pour emprunter de l’argent. Ce qui est nommé dans la littérature économique « marché financier informel » recouvre une grande diversité de modalités dans notre contexte de recherche (MORVANT, 2004). L’emprunt d’argent auprès du réseau social est une pratique courante voire quotidienne pour ce qui concerne les très petites sommes permettant d’acheter les aliments pour la famille lorsque l’argent vient à manquer au sein du ménage. Pourtant, on ne saurait comparer ces formes aux services de crédits proposés par la microfinance. En effet, les possibilités offertes au sein du réseau social, aussi large soit-il, ne sont pas intarissables, les prêts restent donc faibles et surtout, bien souvent, la personne ne peut disposer de la somme que pour un court délai ne dépassant pas un ou deux mois (CHAMOUX, 1993).
15 De ce point de vue, l’alternative la plus similaire aux services financiers procurés par le dispositif de microfinance est sans doute le prêt de la part d’une personne dont une partie de l’activité lucrative est consacrée au prêt d’argent, à des personnes de la localité sur la base d’une relation plus commerciale [13]. Les taux d’intérêts sont cependant plus élevés que ceux pratiqués par l’IMF puisqu’ils se situent entre 10 et 20 % mensuels. Malgré cela, une certaine souplesse des conditions, telles que la possibilité de négocier les échéances et les reports, peut constituer un avantage non négligeable pour l’emprunteur. Soulignons que dans notre contexte d’étude, la figure de ce prêteur professionnel est moins prégnante que dans d’autres contextes (Madagascar, Inde, etc.) et la majorité des prêts informels sont réalisés dans le cadre du réseau social sur une base non contractuelle. S’il n’y a pas segmentation totale ou partielle sur le marché financier (SERVET, 1995) [14], le degré de substituabilité est cependant relativement faible et ne compromet pas réellement la situation quasi monopolistique de l’IMF.
2 – Confrontation des présupposés de la microfinance avec les comportements d’emprunt des clients de l’IMF
16 La poursuite par l’IMF de la réduction des asymétries d’information implique, comme cela a été évoqué, la mise en œuvre de mécanismes incitatifs, et notamment celui de l’augmentation des montants prêtés au cours des cycles de crédit ouprogressive lending. En ce qui concerne le dispositif étudié, celui-ci comprend des règles d’augmentation régulière des montants prêtés dont l’application n’est pas systématique puisqu’elle est déterminée à partir de la capacité de remboursement du prêt antérieur obtenu par l’emprunteur. Les règles d’augmentation progressive du montant prêté sont décrites dans le tableau 1 ci-dessous.
Règles d’augmentation progressive des montants octroyés
Nombre de crédits obtenus | Montant du prêt (US $) |
Premier crédit | 100 |
Second crédit | 200 |
Troisième crédit | 300 |
Quatrième crédit | 400 |
Cinquième crédit | 500 |
Sixième crédit | 600 |
Règles d’augmentation progressive des montants octroyés
17 Nous proposons de confronter le présupposé sous-jacent aux règles d’augmentation progressive des montants prêtés avec les montants réellement sollicités et obtenus par les emprunteurs. Nous montrons que les comportements individuels observés contredisent l’hypothèse selon laquelle l’emprunteur sollicitera systématiquement le montant le plus élevé auquel il peut prétendre (GODQUIN, 2004) au cours des différents cycles de crédit et dévient des règles préétablies par l’IMF (MORVANT, 2005b). Au niveau du groupe solidaire, nos résultats indiquent l’apparition de différences en termes de stratégies ou de besoins financiers. L’uniformité des besoins présumée par l’IMF produit une offre homogène non conforme à la réalité de ceux-ci. Associés à la situation de monopole, laquelle implique un coût élevé du choix de l’exit ou défection au sens d’HIRSCHMAN (1995), au travers de la rareté des services proposés, les ménages clients de l’IMF vont créer des arrangements entre eux pour gérer l’hétérogénéité des besoins qui les caractérise en adoptant des comportements, des stratégies qui augmentent l’aléa moral pour le prêteur.
18 Les informations mobilisées pour mener cette analyse sont constituées d’une base de données de 1462 observations individuelles des comportements d’emprunt de 488 clients (des 4158 clients que compte l’IMF) au cours desdifférents cycles de crédit [15]. Ces données proviennent du système d’information de l’IMF. Un travail de traitement et de transformation de la base contenant les observations individuelles nous a, par ailleurs, permis de constituer une base de données révélant les comportements d’emprunt au niveau des groupes solidaire au cours des différents renouvellements du crédit.
19 Pour l’analyse qualitative nous nous appuyons sur 44 entretiens qualitatifs réalisés dans l’un des trois villages étudiés ainsi que sur 91 enquêtes réalisées par notre équipe dans le deuxième ; pour le troisième village, les informations proviennent d’entretiens qualitatifs et d’observation réalisés auprès des clients de l’IMF.
a – Augmentation progressive des montants prêtés par l’IMF et stratégies individuelles différenciées
20 La base de données nous fournit les observations individuelles des montants empruntés par chaque client de l’IMF et ce pour chaque cycle de crédit. À partir des informations concernant les règles d’augmentation des montants prêtés par l’IMF (tableau 1) et les performances de remboursement des emprunteurs, ainsi que des éléments fournis par les salariés de l’IMF, nous construisons la variable indiquant le montant théorique proposé par l’IMF à chaque emprunteur. Ceci nous permet de mener une comparaison entre le montant théorique que peut solliciter l’emprunteur et le montant effectivement emprunté.
21 Les résultats présentés dans MORVANT (2005b) démontrent qu’il y a bien un décalage entre le montant projeté par l’IMF au travers des règles d’augmentation progressive des montants prêtés et le comportement adopté par les emprunteurs. Ce décalage augmente avec les renouvellements de crédit, ce qui est illustré par la décroissance du ratio montant théorique/montant observé (tableau 2).
Évolution du ratio montant théorique/montant réellement emprunté par l’emprunteur au cours des cycles de crédit
N | Minimum | Maximum | Moyenne | |
Premier cycle de crédit | 488 | 0,50 | 1,00 | 0,99 |
Second cycle de crédit | 352 | 0,25 | 1,00 | 0,93 |
Troisième cycle de crédit | 297 | 0,33 | 1,00 | 0,93 |
Quatrième cycle de crédit | 213 | 0,13 | 1,00 | 0,86 |
Cinquième cycle de crédit | 112 | 0,20 | 1,00 | 0,79 |
Évolution du ratio montant théorique/montant réellement emprunté par l’emprunteur au cours des cycles de crédit
22 L’analyse qualitative des comportements individuels est procurée par les informations collectées au cours des entretiens approfondis menés dans les trois villages mais également par celles obtenues lors des enquêtes réalisées dans l’un des trois villages. Il ressort que 54 % des emprunteurs n’ayant pas sollicité le montant maximum auquel ils pouvaient prétendre affirment que leurs besoins financiers étaient inférieurs à ce montant. La seconde raison qui prime résulte d’une auto-évaluation de la capacité de remboursement à l’échéance prévue, laquelle capacité ayant été évaluée comme étant inférieure au montant qui aurait pu être sollicité (MORVANT, 2005a). Ces résultats indiquent donc que le nombre de projets productifs à entreprendre n’est pas infini et que l’usage qui est fait du microcrédit n’est pas principalement productif. Cette conclusion est renforcée par l’analyse de l’utilisation des crédits obtenus auprès du dispositif de microfinance étudié [16] (MORVANT, 2005a). Nous disposons des données pour deux des trois villages étudiés. Dans le premier village (91 ménages clients), 46 % des prêts sont investis dans des activités productives et 42 % sont destinés à des dépenses diverses d’alimentation ou pour la scolarité des enfants. Dans le deuxième village, 33,6 % des emprunts auprès du dispositif de microfinance sont dédiés aux dépenses pour les activités agricoles et 9,8 % dans le commerce ; plus de 36 % des crédits sont destinés aux dépenses quotidiennes et d’éducation (MORVANT, 2005b) [17]. Le prêt n’est pas automatiquement affecté à des activités génératrices de revenus, il est davantage consacré à la gestion inter-temporelle des différents flux de liquidité de l’unité domestique [18] ; la rentabilité de l’utilisation qui en est faite n’est donc pas systématiquement corrélée positivement avec les montants empruntés, contrairement aux présupposés de la littérature économique.
23 L’apparition de comportements d’emprunts au niveau individuel divergents des règles d’augmentation préétablies par l’IMF produit un décalage de taille entre l’offre et la demande. Or, ce décalage est rendu possible par le fait que le signal envoyé par les emprunteurs quant à leur capacité de remboursement répond aux exigences de l’IMF et autorise celle-ci à formuler une offre plus élevée pour le crédit ultérieur. En effet, comme cela a été souligné, le remboursement du crédit est susceptible d’être accompli grâce au recours au secteur informel dans une acception élargie de celui-ci (SIHNA et MATIN, 1998 ; MORVANT, 2004).
24 De surcroît, les stratégies ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe solidaire. Au cours des renouvellements du crédit, les comportements sont de plus en plus disparates.
b – Augmentation progressive des montants prêtés par l’IMF et émergence de divergences au sein des groupes solidaires
25 L’analyse de la variable nommée DIFAMOUNTG, représentant la différence entre le montant emprunté par chaque membre du groupe et le montant le plus élevé au sein du groupe solidaire, révèle l’émergence de divergences quant aux stratégies d’emprunt entre les membres, au cours des différents cycles de crédit (MORVANT, 2005b). En d’autres termes, au cours des renouvellements du crédit et donc de l’augmentation des montants disponibles, les différences apparaissent et se renforcent au sein des groupes solidaires, les montants empruntés par chacun des membres divergent de plus en plus. On peut donc conclure à une hétérogénéité en termes de montants empruntés.
Évolution des stratégies d’emprunt entre les membres des groupes solidaires au cours des cycles de crédit successifs
N | Minimum | Maximum | Moyenne |
Écart-
type | |
Premier cycle de crédit | 488 | 0 | 2000 | 36,55 | 220,78 |
Deuxième cycle de crédit | 352 | 0 | 1500 | 143,47 | 345,93 |
Troisième cycle de crédit | 297 | 0 | 4000 | 254,88 | 616,20 |
Quatrième cycle de crédit | 213 | 0 | 3000 | 344,13 | 667,52 |
Cinquième cycle de crédit | 112 | 0 | 3500 | 566,96 | 906,67 |
Évolution des stratégies d’emprunt entre les membres des groupes solidaires au cours des cycles de crédit successifs
26 Les besoins et stratégies d’emprunt sont manifestement disparates entre les membres des groupes solidaires. Nous avons par ailleurs observé que les comportements d’emprunt des individus ne s’avèrent pas être en adéquation avec ce qui est attendu selon les règles de progressive lending formulées a priori par l’IMF. Cette conclusion manifeste un certain degré d’inadéquation de l’offre des services financiers de l’IMF – en l’occurrence les services de crédit – avec la demande existante dans le contexte d’étude. Pour certains individus ayant remboursé leur prêt dans les conditions exigées par l’IMF et pouvant donc accéder à des montants plus élevés, l’offre de prêt pourra s’avérer supérieure à leurs besoins réels ou au contraire inférieure à leurs nécessités du moment.
27 Or, nous verrons dans la dernière partie de cet article qu’en situation monopolistique, associée à l’hétérogénéité des stratégies et des besoins au sein des groupes solidaires, cette inadéquation constitue une brèche, source d’asymétrie d’information sous forme d’aléa moral pour l’IMF.
III – LES VOIES EMPRUNTÉES PAR LES CLIENTS DE L’IMF POUR ADAPTER L’OFFRE DE L’IMF À LEURS BESOINS RÉELS : UNE ANALYSE À L’AUNE DU COUPLE DÉFECTION ET PRISE DE PAROLE
28 Rappelons que la situation analysée ici est celle d’un dispositif de microfinance en situation quasi monopolistique proposant une offre relativement standardisée [19]. Face à cette offre, il existe une demande hétérogène en termes de besoins financiers et de capacités financières à honorer les dettes contractées auprès de l’IMF. Or, la situation quasi monopolistique rend cette ressource en services de crédit aux caractéristiques spécifiques relativement rare. En effet, pour une large partie de la population, un faible degré de substitution prévaut entre les services proposés par l’IMF et les différentes alternatives présentes dans le village. Aussi, les ménages bénéficiaires de l’IMF ont-ils intérêt, malgré un certain degré d’inadéquation des services offerts, à conserver l’accès à cette source potentielle de liquidité.
29 En d’autres termes, dans le contexte de monopole, la défection (ou désertion) au sens d’HIRSCHMAN (1995) sera coûteuse car il s’avérera difficile pour l’individu de se procurer la liquidité sous des conditions identiques à celles proposées par l’IMF.
30 Considérons la définition du concept de défection proposé par HIRSCHMAN (1986, p. 58) :
« Faire défection, c’est se dégager d’une relation établie avec une personne ou une organisation. Si cette relation remplit une fonction vitale, le retrait n’est possible que s’il y a moyen de renouer un lien analogue avec une autre personne ou une autre organisation. La défection a donc généralement pour prémisses la disponibilité de choix, l’existence de concurrence et de marchés bien organisés ».
32 L’insatisfaction du consommateur vis-à-vis du produit ou de service offert sera ressentie plus vivement par le client si la firme se trouve en situation de monopole plutôt qu’en situation de concurrence, qui autorise le client à recourir à d’autres firmes ou organisations afin de se procurer un produit ou service équivalent.
33 Dans ces conditions, quelle voie le client de l’IMF peut-il emprunter pour exprimer son mécontentement et faire converger l’offre de crédit de l’IMF vers la demande réelle exprimée par les ménages emprunteurs sans risquer de perdre l’accès à cette source de liquidité ? Le tableau 4 illustre les alternatives envisagées par HIRSCHMAN (1995) pour faire évoluer une offre qui ne serait pas satisfaisante pour le consommateur. Nous l’étendons au cas du monopole [20].
Le cadre théorique du couple défection-prise de parole en fonction de la situation de l’organisation concernée sur le marché
Situation de
l’organisation | Défection/désertion | Prise de parole |
Concurrence = Degré élevé de substituabilité entre les biens offerts par les firmes |
« Aisée » ou non « coûteuse » mais « insignifiante » si le fait d’un individu isolé (BOURDIEU, 1984) doit être « massive » (RAUSCHER, 2002) |
« Protestation individuelle impuissante » (BOURDIEU, 1984) Le fait d’organisations syndicales/ Associations de consom mateurs |
« Quasi-Monopole » = Faible degré de substitua bilité entre les biens offerts par différentes firmes ou présence d’une firme unique sur le mar ché du bien consommé |
Coûteuse et « insignifiante » du fait de la situation monopolisti que si elle est le fait d’un individu isolé |
« Protestation individuelle impuissante » (BOURDIEU, 1984) Le fait d’organisations syndicales/ Associations de consom mateurs |
34 HIRSCHMAN précise donc que la situation de monopole n’est pas propice à la défection puisque les clients « n’ont aucun moyen de s’échapper » (HIRSCHMAN, 1995, p. 77).
35 Le rôle de la prise de parole revêt donc un sens particulier dans ces situations de monopole où « (...) la défection est impossible, coûteuse ou traumatisante » (HIRSCHMAN, 1986, p. 59).
36 Selon HIRSCHMAN, la réaction de l’organisation à la voie empruntée par ses membres ou clients pour exprimer leur mécontentement dépend de la situation de celle-ci sur le marché ou secteur d’activité concerné. Les deux modes d’action ne sont cependant pas exclusifs l’un de l’autre, même si peu d’organisations autorisent les deux types de réactions à jouer un rôle important. À l’inverse, il est peu probable que les deux types de réactions soient totalement inexistants.
37 Dans notre contexte, les actions individuelles ou collectives par le biais de ladéfection ou de la prise de parole pourraient êtres envisageables et auraient probablement une influence sur les modalités d’intervention de l’IMF. En effet, celle-ci est encline à prendre en compte la satisfaction des besoins de ses clients pour faire évoluer ses modalités d’intervention. Parmi les opportunités institutionnelles de revendication, le modèle coopératif dont s’inspire le dispositif étudié obéit à un certain nombre de règles où domine la participation des membres affiliés au travers de l’assemblée générale ainsi que d’autres consultations lors de réunions annuelles ou autres réunions des représentants des associés.
38 Parmi les opportunités ponctuelles, l’IMF a réalisé des études participatives d’évaluation de la satisfaction de sa clientèle en s’appuyant notamment sur lesoutils participatifs développés par Microsave [21]. La prise de parole constitue, dans ce contexte, une voie envisageable pour faire évoluer l’offre conformément aux besoins des emprunteurs.
39 Or, compte tenu de la rareté de l’offre de liquidité dans les villages mexicains que nous étudions et de l’hétérogénéité des besoins des clients du dispositif de microfinance, est-il réaliste d’envisager que ces derniers tentent de rendre l’offre adaptée à leurs besoins ? Les membres du dispositif vont-ils revendiquer une meilleure adéquation de l’offre à leurs besoins réels, qui impliquerait de ne pas bénéficier de cette opportunité qui leur est donnée de se procurer de la liquidité à des conditions plus avantageuses au vu des critères de taux d’intérêt, de durée du crédit et de montants mis à disposition ?
40 Nous observons sur le terrain que le décalage existant entre l’offre et la demande de crédit est, du fait de la rareté de la liquidité, approprié au travers de comportements individuels et d’arrangements collectifs, lesquels permettent de rendre l’offre fidèle aux nécessités et capacités financières des emprunteurs. En d’autres termes, entre la défection et la prise de parole, les clients/membres du dispositif de microfinance empruntent ce que BOURDIEU (1984) nomme la « troisième voie », qui correspond dans notre contexte à des stratégies individuelles et des arrangements collectifs visant à rendre l’offre adéquate aux besoins réels. Avant de décrire les stratégies des clients de l’IMF pour adapter l’offre à leurs besoins sans faire défection, nous nous attachons à démontrer le faible niveau de cette dernière.
1 – Un niveau faible de défection
41 Il est de plus en plus fréquent que les études de marché dans le domaine de la microfinance analysent l’adéquation de l’offre à la demande au travers de l’indicateur de sortie des clients, c’est-à-dire par calcul du taux d’ « attrition ». L’attrition représente la perte – en pourcentage – d’individus par rapport à l’échantillon originel. Dans le cas de la microfinance, il s’agit donc d’évaluer le pourcentage de clients qui ont cessé de solliciter des crédits ou qui ont retiré leur épargne. Ce pourcentage est calculé sur une année, sur une portion de la période d’activité de l’IMF ou encore sur la totalité de la période de l’intervention.
42 Les motivations pour abandonner le dispositif de microfinance sont variées, elles peuvent être volontaires ou subies. Les raisons volontaires identifiées par les différentes études citées dans le travail de PAGURA (2003) sont le plus souvent relatives aux caractéristiques de l’offre. Le caractère subi provient de chocs externes individuels ou collectifs (tableau 5).
Abandon volontaire
Insatisfaction avec caractéristiques de l’offre |
Abandon subi
Événement extérieur survenu de manière individuelle ou collective | |
Individuel |
- Fréquence et longueur des réunions de groupes solidaires ; - Taux d’intérêt ; - Faiblesse des montants prêtés |
- Maladie, décès ou autres chocs idiosyncrasiques - Défaut de remboursement |
Collectif | - Concurrence d’autres IMF |
- Chocs externes collectifs - Défaut de remboursement du groupe solidaire - Faillite de l’IMF, choc systémique |
43 Les facteurs qui prédominent dans l’abandon du dispositif de microfinance par les clients varient selon les régions. En Afrique, les abandons sont davantage subis et résultent de facteurs liés à des faillites ou des chocs systémiques. En Asie et en Amérique latine, l’un des facteurs prédominants est lié à la concurrence entre IMF qui incite les clients à délaisser les dispositifs considérés comme moins avantageux.
44 Les évaluations de l’attrition (ou défection) qu’elle soit volontaire ou subie donnent des résultats intéressants, à mettre en perspective avec nos propres évaluations. Ainsi, PAGURA (2003) rapporte qu’au Bangladesh, le taux annuel de perte de clients est compris entre 11 et 20 %. En Amérique latine, une étude réalisée auprès de sept programmes de banques villageoises montre que seulement 35 % des clients originels sont toujours actifs après trois années d’appartenance au dispositif (PAINTER et MKNELLY, 1999). Ces résultats vont, selon les auteurs, à l’encontre des hypothèses classiques selon lesquelles les clients solliciteront des crédits de plus en plus élevés et ce, sur des périodes très courtes, de quelques mois à peine. En Afrique enfin, les taux d’abandon sont particulièrement élevés puisqu’ils sont compris entre 14 et 60 % annuels.
45 Nous avons procédé à l’évaluation de l’attrition ou défection au sein de groupes constituant notre base de données, ce qui signifie que nous n’évaluons l’attrition que pour les clients-emprunteurs.
46 Après reconstitution de l’historique de chacun des groupes solidaires de notre base de données, nous aboutissons aux résultats suivants :
N | Minimum | Maximum | Moyenne | |
Deux cycles de crédit achevés | 50 | 0,00 | 0,60 | 0,07 |
Trois cycles de crédit achevés | 50 | 0,00 | 0,80 | 0,15 |
Quatre cycles de crédit achevés | 43 | 0,00 | 0,80 | 0,18 |
Cinq cycles de crédit achevés | 23 | 0,00 | 0,60 | 0,19 |
47 Sur cinq cycles de crédits (4 ans environ), la moyenne de l’attrition se situe à 23 % [22]. Ce niveau est particulièrement faible en comparaison avec les taux calculés disponibles dans la littérature évoquée ci-dessus. Il confirme que la voie de la défection n’est pas la voie privilégiée par les emprunteurs.
48 Tournons-nous à présent vers les stratégies individuelles et collectives adoptées par ces derniers pour ajuster l’offre à leurs besoins.
2 – Les arrangements « collectifs » et « individuels » pour adapter l’offre de l’IMF aux nécessités financières des clients/membres
a – Gérer l’hétérogénéité des besoins financiers au sein du groupe solidaire : les pratiques de prêt interne entre membres d’un même groupe
49 Nous avons évoqué plus haut que l’analyse statistique de la base de données des montants empruntés par les individus, couplée à nos observations de terrain, mettait en évidence au cours de cycles de crédits successifs l’émergence d’une différenciation des montants empruntés entre les membres d’un même groupe solidaire. La situation de quasi-monopole associée à une mauvaise compréhension des règles de l’IMF incite ses clients à adopter des stratégies collectives pour rendre l’offre de crédit de l’IMF conforme à l’évolution de leurs besoins. L’une des stratégies adoptées consiste à gérer cette inadéquation collectivement au travers de prêts internes entre membres d’un même groupe solidaire. Au cours des renouvellements du crédit et de l’augmentation des montants prêtés par l’IMF, les stratégies et besoins financiers divergent et laissent apparaître entre les membres du groupe solidaire ce qui est dénommé matching dans la littérature académique (PAXTON, 1996). Face à l’offre homogène ou quasi indifférenciée de l’IMF [23], les membres du groupe gèrent cette hétérogénéité notamment par des prêts internes au groupe solidaire. Cette pratique consiste à ce que le membre dont les besoins sont inférieurs à l’offre de l’IMF sollicite malgré cela le montant maximal offert par l’IMF et le mette à disposition d’un autre membre exprimant des besoins supérieurs aux montants proposés par l’IMF.
50 De nos données de terrain, il ressort que, parmi les 91 groupes solidaires analysés vivant dans trois villages différents, cette pratique a concerné au moins 11 groupes, c’est-à-dire plus de 12 % des groupes. Cette stratégie est source d’aléa moral pour l’IMF dans la mesure où l’information possédée par l’IMF concerne le montant qu’elle a prêté à son client au vu de l’évaluation de sa capacité de remboursement ; ce montant s’avère inférieur au montant que le client aura réellement à rembourser à la suite du prêt interne réalisé en sa faveur. Il peut donc résulter un accroissement substantiel du risque de défaut de remboursement de la part des clients devant rembourser des montants de deux à trois fois plus élevés que le montant sur lequel a été évaluée leur capacité de remboursement. L’évaluation du risque de remboursement par l’IMF n’est donc pas conforme au risque réel découlant de ces pratiques « invisibles ».
51 Nos observations de terrain illustrent ce risque, puisque certains clients ayant emprunté une partie des prêts destinés aux autres membres du groupe se trouvent en situation de défaut de remboursement. Ainsi en était-il d’un homme qui avait utilisé l’intégralité de l’argent prêté par l’IMF à deux autres personnes, il devait donc rembourser un capital de US $ 900 plus intérêts, alors que l’information détenue par l’IMF était que cette personne avait emprunté US $ 300 et devait donc rembourser ce même montant, auquel s’ajoutaient les intérêts sur la période. Par ailleurs, ce cas illustre clairement comment le prêt interne peut dissimuler unedéfection temporaire non perceptible pour l’IMF. Les informations issues d’un entretien avec la personne ayant mis à disposition son prêt à un autre membre du groupe vont dans ce sens. Cette femme âgée de 27 ans nous a en effet dit qu’elle et son mari n’avaient pas « occupé » l’argent emprunté au dernier cycle de crédit : « nous l’avons laissé durant une année, une autre personne a occupé l’argent, deux fois 3000 pesos [US $300], pour que l’argent ne se perde pas » (Femme cliente depuis 2001, San Baltazar Loxicha). Les époux se sont absentés du village durant quelques mois, ils ont émigré à Mexico car ils étaient endettés auprès d’un prêteur particulier. Aussi, pour pouvoir solliciter à nouveau le crédit de l’IMF à leur retour, ils ont décidé de continuer à emprunter mais de ne pas utiliser l’argent ce qui a profité à un autre membre de leur groupe solidaire.
52 Par ailleurs, il peut parfois s’agir d’un prêt interne temporaire qui vise, pour l’un des membres du groupe solidaire, à mettre à disposition tout ou partie de son prêt à un autre membre pour une durée limitée, inférieure au terme imposé par l’IMF. L’objectif sous-jacent étant, pour l’un, de disposer pour un temps d’une liquidité supérieure à celle procurée par l’IMF et, pour l’autre, de payer moins d’intérêts en utilisant la somme sur une durée plus limitée que celle accordée par l’IMF.
b – Adapter l’offre à la demande : utilisation des prêts reçus par d’autres membres de la famille
53 Lorsque le montant maximal octroyé par l’IMF est insuffisant pour faire face aux besoins financiers du ménage, une stratégie consiste à multiplier le nombre deprêts au sein de la même unité familiale. Ainsi, plusieurs membres de la famille sollicitent un prêt qui sera effectivement utilisé par l’un des membres pour réaliser une dépense importante. Bien entendu, si la dépense a bénéficié à toute la famille, chacun est supposé contribuer au remboursement des prêts. Cette pratique n’augmente pas forcément le risque de défaut de remboursement puisque l’IMF n’ignore pas le lien de parenté qui prévaut entre les membres concernés. Néanmoins, elle nous semble constituer l’une des formes privilégiée par les clients de l’IMF pour adapter son offre à leurs besoins réels.
c – Les arrangements « individuels » pour adapter l’offre de l’IMF aux nécessités financières réelles des clients/membres
54 Au niveau « individuel », il peut survenir des stratégies d’emprunt du montant procuré par l’IMF en dépit de l’existence de besoins financiers, équivalents immédiats ou à venir. Il n’est pas rare que les personnes continuent à solliciter le crédit sans besoin réel, juste parce qu’on leur propose et par crainte de se voir « exclu » de l’accès par manque de sollicitation, de besoin exprimé. Ce comportement peut donc poser des problèmes au moment de rembourser le crédit.
55 Nous avons également observé des situations où le ménage, ayant emprunté un montant supérieur à ses besoins réels, ne dépense pas la somme totale et adopte une stratégie d’épargne d’une partie du capital afin d’assurer sa capacité de remboursement. C’est le cas d’une femme rencontrée à San Agustin Loxicha. Elle avait sollicité le montant maximum du prêt, c’est-à-dire US $ 300 et avait directement déposé US $ 100 sur son compte d’épargne afin d’être sûre de pouvoir faire face aux premières tranches de remboursement du crédit. Cette stratégie montre que la différence entre le montant octroyé par l’IMF et les besoins du client est exploitée par le client pour s’assurer le remboursement et ce en dépit des intérêts dont il devra s’acquitter sur une somme qui n’aura pas été « utilisée ».
56 La mise en évidence de la réalité des comportements d’emprunt des clients d’une IMF en situation monopolistique dans le contexte rural du Mexique a abouti à des résultats en contradiction avec les prédictions de la théorie économique ou des discours qui prévalent dans le domaine de la microfinance. Ces comportements ne confirment pas l’idéal de l’emprunteur en recherche perpétuelle de fonds à investir dans des projets productifs. Cette distance entre le comportement projeté par l’IMF au travers de l’augmentation progressive des montants prêtés, mécanisme censé réduire l’aléa moral et donc le risque de défaut de remboursement, engendre au cours des différents cycles de crédit une certaine forme d’inadéquation de l’offre de l’IMF aux besoins réels de ses clients. L’inadéquation constitue selon nous une sorte de brèche qui, dans le cadre de la situation monopolistique associée à une demande hétérogène, est à l’origine de nouvelles sources d’aléa moral. Le cadre analytique proposé par HIRSCHMAN (1995) nous permet de montrer qu’en situation monopolistique la défection est trop coûteuse, la rareté de la liquidité conduit par ailleurs les emprunteurs à adapter collectivement ou individuellement l’offre de l’IMF à leurs besoins financiers réels. Cela se traduit par des comportements risqués pour le prêteur dont l’évaluation du risque de défaut de remboursement s’avère, a posteriori, inférieure à la réalité.
57 Ces résultats présentent des implications à plusieurs niveaux d’analyse. Le premier niveau concerne la portée académique dite « empirique ». Ils mettent l’accent sur le décalage existant entre les présupposés de l’analyse économique et les comportements réellement observés. En termes « hirschmaniens », grâce à l’approche « micro-échelle », ils autorisent à dépasser le modèle explicatif et prédictif général pour s’intéresser à la réalité des comportements individuels (FROBERT et FERRATON, 2003 ; GUÉRIN, 2000). Ainsi, la nature répétée de la relation entre le prêteur et l’emprunteur qu’organise le renouvellement du crédit en fonction de la performance de remboursement du prêt antérieur semble jouer un rôle central dans l’incitation à rembourser. À l’inverse, l’augmentation progressive des montants prêtés n’a pas l’effet incitatif escompté.
58 Le deuxième niveau d’implications renvoie, selon nous, à l’élargissement du cadre analytique proposé par HIRSCHMAN (1995). Les comportements observés des emprunteurs de l’IMF mettent en évidence qu’en situation de rareté du bien offert, l’intérêt des clients n’est pas forcément de rendre l’offre adéquate à leurs besoins, l’ajustement va préférablement découler de leurs stratégies visant à satisfaire au mieux l’hétérogénéité avérée des besoins financiers. La revendication du retour à l’équilibre par la voie de la défection ou de la prise de parole ne semble pas être la voie privilégiée par les clients de l’IMF. Enfin, le dernier niveau d’implication concerne le plan opérationnel, c’est-à-dire la méthodologie d’intervention de l’IMF. Les stratégies des clients pour ajuster l’offre à leurs besoins, décrites dans cet article, constituent une source nouvelle d’aléa moral pour l’IMF et ceci devrait l’inciter à s’interroger sur sa méthodologie d’intervention. Pour réduire le risque associé aux stratégies adoptées par les emprunteurs, il nous semble indispensable de chercher à rendre l’offre (montants prêtés) moins standardisée, moins homogène et de fournir un effort supplémentaire en matière de formation des clients. La formation doit selon nous permettre à l’IMF de s’assurer que ses clients sont bien conscients des réelles répercussions, c’est-à-dire de l’absence de sanction (sous forme d’exclusion) lorsqu’ils ne sollicitent pas de prêt durant un ou plusieurs cycles de crédit. Il est évident que pour cela, l’IMF doit par ailleurs résoudre les questions relatives à la garantie solidaire dans le cas où certains membres du groupe ne souhaiteraient pas solliciter de prêt.
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- YARON J., 1994, « What makes rural finance institutions successful ? », World Bank Research Observer, vol.9 (1), pp. 49-70.
Notes
-
[1]
Doctorante, LEFI – Université Lumière Lyon 2.
-
[2]
- Je remercie vivement les rapporteurs pour leurs conseils de réécriture concernant tant le fond que la forme de l’article.
-
[3]
- Le nombre actuel de bénéficiaires des services de microfinance est bien en deçà de la demande existante, ou bénéficiaires potentiels (voir à ce sujet l’étude réalisée par le CGAP sur le contexte latino-américain en 2001). En revanche, l’objectif de 100 millions de bénéficiaires ne semble pas atteint puisque le chiffre s’élèverait à 60 millions de personnes ayant accès aux services d’épargne, de crédit, etc., procurés par les dispositifs de microfinance.
-
[4]
- Dans certains contextes, les banques commerciales ont été attirées par la microfinance dans la mesure où celle-ci constituait une nouvelle niche de marché ; cette situation est illustrée par le cas du Chili (CGAP, 2001, p. 6).
-
[5]
- Les questions centrales auxquelles est confronté tout prêteur, et qui renvoient au problème d’asymétrie de l’information, consistent à se demander comment inciter l’emprunteur à révéler toute l’information dont il dispose et à ne pas adopter un comportement opportuniste. Dans la relation de crédit, en effet, l’emprunteur détient de l’information pertinente sur la nature plus ou moins risquée de son projet et de l’effort qu’il compte y consacrer, ce qui met le prêteur dans une position de faiblesse.
-
[6]
- Les chiffres de cette étude datent pour la plupart de 1999.
-
[7]
- Voir en particulier les contributions de : MATIN, 1997 ; YARON, 1994 ; MCINTOSH et al., 2005 ; NAVAJAS et al., 2003.
-
[8]
- Lorsque l’asymétrie d’information se situe ex post, le prêteur n’a pas la capacité d’observer les actions entreprises par l’emprunteur et ne peut donc pas contrôler ou faire appliquer les termes d’un contrat qui spécifierait les actions à entreprendre. Cette forme d’asymétrie est source d’aléa moral.
-
[9]
- À moindre risque donc si l’emprunteur ne rembourse pas la somme prêtée.
-
[10]
- En termes d’asymétries d’information, le mécanisme de progressive lending permettra donc de réduire conjointement les risques de sélection adverse (adverse selection) et de hasard moral (moral hazard).
-
[11]
- Santa Catarina Loxicha ainsi que San Baltazar Loxicha situés dans l’État d’Oaxaca au Sud-Ouest du Mexique.
-
[12]
- Le transport occasionne un coût de l’ordre de 7 $ US aller-retour par personne. Pour simplifier les calculs, nous parlons en dollars américains. Le taux de change entre le peso mexicain et le dollar américain retenu ici se situait à l’époque aux alentours de 1 $US = 10 pesos.
-
[13]
- Par opposition aux prêts concédés entre membres appartenant à la même famille, réseau social proche dont les modalités sont plus souples, moins systématiques. Ainsi, le prêteur professionnel fait signer un « pagaré », engagement moral à rembourser l’argent prêté, emblème d’une relation contractuelle par opposition aux relations personnelles.
-
[14]
- Les travaux réunis dans l’ouvrage dirigé par J.-M. SERVET illustrent l’inconsistance de l’hypothèse de dualisme financier dans de nombreux contextes africains (SERVET et al., 1995).
-
[15]
- Les données disponibles ne sont pertinentes que sur les cinq premiers cycles de crédit puisque, ensuite, le nombre d’observations individuelles est trop faible pour présenter une quelconque représentativité.
-
[16]
- Soulignons que la méthodologie adoptée n’oblige pas l’emprunteur à utiliser le crédit pour une dépense spécifique déterminée lors de l’octroi du prêt ; celui-ci est dit de « libre disponibilité ».
-
[17]
- Ces résultats corroborent ceux de SINHA et MATIN (1998) qui établissent, dans le contexte de la Grameen bank au Bangladesh, que le crédit n’est pas souvent utilisé pour des dépenses directement productives.
-
[18]
- Précisons que, contrairement à d’autres régions localisées dans l’État d’Oaxaca, la zone étudiée n’est pas à proprement parler une zone d’intense activité migratoire vers les États-Unis. Certains ménages reçoivent des transferts privés liés à la migration mais pour la majorité des ménages ces transferts ne constituent pas la plus grande part des revenus monétaires. Une analyse fine des pratiques d’endettement révèle que pour les emprunteurs, le microcrédit constitue avant tout un instrument de lutte contre l’incertitude sur les revenus (fluctuations de la production et des prix agricoles) et l’inadéquation temporelle des flux de revenus et des dépenses. En effet, le microcrédit et les pratiques informelles de liquidité sont mobilisés tour à tour par le ménage et mis l’un au service de l’autre afin de procurer une plus grande marge de manœuvre dans la gestion temporelle des différents flux de liquidité.
-
[19]
- Exception faite des ajustements dans l’attribution des nouveaux crédits fondés sur les performances individuelles au remboursement.
-
[20]
- Dans la mesure où le dispositif appréhendé se trouve dans une situation de monopole/quasi-monopole, nous n’envisageons pas l’attitude dite du « loyalisme » qui présuppose la présence d’organisations rivales.
-
[21]
- Les investigations concernant les motivations des clients sortants sont courantes dans le domaine de la microfinance et leur intérêt a été reconnu, notamment au travers des méthodes standardisées d’évaluation d’impact incluant des questionnaires d’enquêtes destinés à identifier les motifs de la défection (AIMS, 2001). De même, les méthodologies dites d’évaluation de la satisfaction de la clientèle ont précisément pour but d’apprécier les sources de mécontentement de la clientèle par rapport à ses besoins et, dans cette optique, d’améliorer la qualité de l’intervention (voir BOUQUET etal., 2002).
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[22]
- La moyenne totale de l’attrition correspond au cumul des pertes enregistrées à chaque cycle de crédit pour les groupes solidaires ayant achevé au moins trois cycles de crédit.
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[23]
- Nous avons en effet souligné que le remboursement du prêt était fréquemment assuré grâce à l’appui de l’entourage de l’emprunteur par recours au réseau social ou au secteur financier informel (SINHA et MATIN, 1998 ; MORVANT, 2003). Or, dans la mesure où l’IMF évalue le montant prêté à partir des performances de remboursement du prêt antérieur par l’emprunteur ainsi qu’en s’appuyant sur les règles de progressive lending, ces éléments concourent à créer une offre relativement homogène.