Notes
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Economiste, Université de Tours et UMR du CNRS 5206 – Triangle (Lyon-2/ENS)
Je tiens à remercier les rapporteurs anonymes pour m’avoir fait part de leurs utiles critiques concernant une première version de cet article. Les éventuelles erreurs et omissions m’incombent bien sûr entièrement. -
[1]
- La recherche d’une balance excédentaire du commerce résume jusqu’à la fin du XVIIe siècle les objectifs poursuivis (FINKELSTEIN, 2000). Avec les mercantilistes de la fin du XVIIe siècle mais surtout avec les physiocrates et les classiques, c’est l’approfondissement et le développement du marché intérieur qui devient source de croissance économique et de développement. Le développement des échanges extérieurs et celui de l’économie nationale sont en fait plus complémentaires que contradictoires.
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[2]
- Compte tenu des limites techniques, le travail apparaît au XVIIe siècle comme le facteur clef de la production et c’est à partir de son accroissement que l’on peut augmenter la production (FINKELSTEIN, 2000).
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[3]
- Au XVIIIe siècle et dans les premières décennies du XIXe siècle, le travail (et plus particulièrement une bonne division du travail) joue un rôle essentiel, chez les classiques, (BÉRAUD in BÉRAUD et FACCARELLO, éd., 1992, I, p. 312), même s’il n’est pas considéré comme exclusif.
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[4]
- Bernard de Mandeville est l’auteur le plus connu pour avoir montré en quoi les passions humaines sont à l’origine d’un grand nombre de comportements économiques.
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[5]
- Colbert, Lettres, Instructions et Mémoires, op. cit. tome 2 Annexe CCLXVI.
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[6]
- Dans son célèbre ouvrage The theory of economic growth, publié en 1955, W. A. Lewis aborde la question du travail et plus précisément l’attitude à l’égard du travail comme facteur d’explication au développement économique. Il corrobore tout à fait ce point de vue mercantiliste à la seule différence que, dans les pays où il est excessivement difficile de gagner sa vie, on peut décourager tout effort, alors qu’une situation intermédiaire est la plus propice : c’est celle où un effort raisonnable permet d’assurer un niveau de vie convenable (1955 [1971], p. 41).
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[7]
- Petty note qu’en Hollande il y a environ 1 acre de bonnes terres par tête, contre 4 acres en France et en Angleterre et 10 acres en Irlande.
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[8]
- L’agriculture hollandaise avait atteint des rendements céréaliers deux à trois fois plus élevés que dans le reste de l’Europe. Il est difficile de savoir toutefois si ce fut la pression démographique qui poussa à l’emploi de techniques agricoles plus élaborées ou si la mise au point de ces techniques permit d’entretenir une population plus dense, cf. Bairoch (1997, I). Toujours est-il que cette agriculture servit de modèle aux autres pays européens. Il s’agit d’un système mixte de polyculture et d’élevage.
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[9]
- Les économistes mercantilistes analysent l’agriculture irlandaise assez finement, puisqu’ils décrivent un type d’agriculture relativement extensif où le travail nécessaire est peu important. Dans ce système cultural subsistent prairies naturelles, landes, bois et champs clos. La pomme de terre, qui constitue un produit alimentaire dès le début du XVIIe siècle accompagnée d’un peu de laitage, devient la nourriture quotidienne (Braudel, 1988, I, p. 141). Son avantage est incontestable puisqu’on nourrit deux fois plus de gens avec la même surface qu’avec du blé (Malassis, 1997, I, p. 244).
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[10]
- Dans ce cas de figure-ci, la faible densité démographique ne justifiait pas, selon les analyses de E. Boserup, un changement agricole impératif qui s’avère plus que nécessaire en Hollande. En effet, selon l’analyse de Boserup, le passage à l’agriculture intensive nécessite une quantité de travail nettement supérieure pour obtenir une production supplémentaire et ce choix ne s’impose pas sans une forte nécessité. N’est-ce pas là un effet du calcul économique coût-avantage ? Car on peut transformer les terres les moins fertiles en pâturages naturels permanents, réservant aux meilleures terres la culture annuelle, c’est ce que fit l’Irlande. Les animaux broutant eux-mêmes les pâturages herbeux permanents ôtaient une partie du travail, ce qui justifierait en partie cette apparente indolence.
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[11]
- Cf. supra la position ambiguë de Malthus.
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[12]
- Voir sur ce point l’analyse de Boserup (1991) et les avantages d’une forte densité de population rurale sur les réductions dans les coûts de transport.
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[13]
- Les analyses contemporaines de Boserup (1965), qui développe la thèse de l’effet positif de la pression démographique sur l’évolution agraire, corroborent clairement ces observations mercantilistes et le rôle joué par la concentration de la population dans l’apparition d’une agriculture très productive comme ce fut, semble t-il, le cas avec l’agriculture hollandaise...
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[14]
- Travail à domicile ou à façon fourni par un marchand-fabricant.
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[15]
- Cf Temple, 1673 (1972) ; Cary, 1695 ; Mun, 1664 (1965).
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[16]
- Les positions précédentes sont cependant loin d’être unanimes, cf. sur ce point, Clément (2002).
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[17]
- Lautier (1998) recense trois visions de la pauvreté (s’agissant en particulier du cas des pays d’Amérique latine) : une vision « moderniste-technocratique », où la pauvreté est le signe d’une maladie du corps social ; une vision « assistantielle répressive », caractéristique de la période XVI-XIXe siècle, et une vision caritative qui récuse le fait que le comportement des pauvres est à l’origine de la pauvreté.
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[18]
- C’est le cas notamment de Boisguilbert qui reste persuadé que la situation de marasme de l’économie française est liée à l’insuffisance de la demande, et à l’excès d’impôts payés par le peuple (1695 [1966], p. 590).
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[19]
- Cf. notamment Assidon (1992), Fontaine (1994) et Azoulay (2002) pour plus de détails.
1 C’est seulement à partir des années 1950 que l’économie du développement en tant que spécialité va éclore à l’intérieur de la science économique avec les œuvres majeures de, J.-B. Clark, A. Hirschman, A. Lewis, G. Myrdal, R. Nurkse, R. Prebisch, P. N. Rosenstein-Rodan, W. Rostow, H. Singer et Tinbergen (MEIER et SEERS, éd., 1984). Si les grands courants de la pensée économique antérieurs à cette époque ont fait l’impasse sur le sujet, ce ne fut pourtant ni le cas des mercantilistes (BARBER, 1975 ; APPLEBY, 1978), ni le cas des classiques (PLATTEAU, 1978). Certes chez les mercantilistes il n’y a pas de véritable théorie du développement y compris chez le plus reconnu d’entre eux, W. Petty (ASPROMOURGOS, 1996), mais il existe des éléments substantiels pour une analyse économique. En revanche, la problématique du développement, quoiqu’imparfaite, est mieux analysée chez les classiques mais totalement absente des préoccupations néoclassiques. La différence des objectifs revendiqués [1] n’exclut pas, dans ces deux courants de pensée économique, une certaine convergence d’analyse. En effet, d’une part, aussi bien chez les mercantilistes [2] que chez les classiques [3], la production joue un rôle essentiel dans la création de richesse, d’autre part, le facteur de production « travail » contribue largement à cette finalité.
2 L’objectif de cet article n’est pas de refaire une histoire complète de l’analyse factorielle de la richesse, mais plutôt d’analyser la prise en compte de quelques variables psychosociologiques, leurs effets potentiels sur le facteur travail, et indirectement sur le niveau du développement économique. En effet, la démarche qui cherche à expliquer les comportements et certains résultats économiques à partir d’un petit nombre de principes caractéristiques de la nature humaine [4] est typique de cette période (HIRSCHMAN, 1977). Nous privilégierons, en fait, deux variables d’étude dans cette analyse pluriséculaire (XVII-XIXe siècles) : l’oisiveté et l’envie (de biens de luxe) car ces deux variables sont regardées et analysées avec force et récurrence durant toute cette période. Ces deux traits caractéristiques de la nature humaine, qui servent de fils conducteurs à notre analyse, à travers des œuvres profondément variées et souvent marquées par de profondes divergences, fonctionnent comme de véritables obstacles ou comme des stimulants à l’activité humaine et au développement économique.
3 Le premier constat sur lequel s’appuient tous les économistes, tout courant confondu, est l’oisiveté des peuples, obstacle majeur au développement. Ce constat est établi sur la base d’observations courantes, de récits rapportés par les voyageurs et les savants. Le deuxième constat repose sur l’idée d’une nature humaine animée par l’envie, la cupidité, le désir de posséder et de consommer des produits autres que les seuls biens de subsistance. Cette caractéristique de la nature humaine que l’on trouve analysée chez North, chez Barbon, chez Mande-ville puis chez les classiques, Smith, Hume, Malthus, et J.-S. Mill notamment, fonctionne comme un contre poids au comportement de paresse et d’oisiveté des peuples. Le désir de posséder des biens de luxe incite à l’activité économique et devient un antidote à la paresse naturelle des citoyens.
4 Face à ces analyses du comportement humain, on décèle plusieurs stratégies de développement économique, selon que l’importance est accordée à la paresse des hommes ou à leur envie de biens de luxe. Les mercantilistes privilégièrent la dimension « oisiveté » en proposant la mise en place de politiques incitatives au travail, voire de politiques punitives. Ces propositions ne sont pas absentes de la pensée classique qui rejeta de manière quasi unanime les poor laws, devenues le symbole de l’encouragement à l’oisiveté. Mais les classiques, tout en ayant conscience de cette dimension, mirent en avant plutôt, les stimulants positifs : comment exciter l’envie, favoriser la demande de biens de luxe et pousser indirectement les gens au travail ? Des salaires élevés et un développement du commerce extérieur apparaissent comme des stratégies tout aussi efficaces que des mesures plus coercitives. L’ensemble de ces analyses anticipe les travaux des pionniers de l’économie du développement, en particulier ceux d’Ester Boserup (1965) de R. Nurkse (1952), de W. A. Lewis (1955). E. Boserup, qui interpréta positivement le rôle de la pression démographique sur l’évolution agricole (pression créatrice), prolonge les intuitions, d’un auteur comme Petty qui fit de la concentration de la population aux Pays-Bas un facteur de dynamisme économique. Nurkse, qui formula la théorie de l’effet international de démonstration, s’inscrit directement dans la continuité des analyses d’auteurs classiques tels Hume, J.-S. Mill, ou Malthus. Quant à Lewis, en formulant sa théorie de la croissance économique, il mentionna aux côtés des facteurs classiques du développement (travail, capital, savoir...), des variables psychosociologiques : le désir de richesse, l’attitude à l’égard du travail, l’énergie morale, l’esprit d’aventure, variables regroupées pour les trois dernières autour de la notion de « coût de l’effort », autant de facteurs pris en compte de façon privilégiée par la plupart des économistes de la période XVII-XIXe siècles.
5 Dans une première partie, nous analyserons la prise en compte des facteurs naturels et du facteur travail, tout en montrant que leur possession n’apporte ni chez les mercantilistes, ni chez les classiques une explication suffisante aux origines du développement. Nous montrerons dans une deuxième partie en quoi un environnement naturel hostile peut être paradoxalement un facteur de développement, dans la mesure où il peut représenter un « aiguillon » efficace de lutte contre l’oisiveté des peuples. Dans une troisième partie nous mettrons en évidence les diverses politiques mises en place pour inciter au travail : de la création d’un environnement physique et humain proche de celui de la Hollande à la mise en place de politiques sociales punitives (bas salaires, travail obligatoire). Dans une quatrième partie, nous montrerons que l’envie de biens de luxe, que le commerce extérieur accentue représente une solution positive au problème de l’oisiveté aussi bien dans les écrits de la fin du XVIIe siècle que dans les écrits classiques du XVIIIe et du XIXe siècle.
I – LES FACTEURS PHYSIQUES ET HUMAINS DANS L’EXPLICATION DU DÉVELOPPEMENT
6 L’environnement naturel n’est pas un facteur de développement en soi, même s’il peut être considéré comme un avantage. En revanche le travail de l’homme est au cœur de la problématique du développement.
1 – Les facteurs physiques : un poids réel mais limité
7 L’environnement naturel est un facteur premier mais non essentiel au développement, quoique le rôle des ressources naturelles dans la création des richesses soit souligné par tous les mercantilistes. C’est le cas de Bodin qui présente à la fin du XVIe siècle son pays comme un lieu privilégié, et riche naturellement (1568 [1986], p. 418). Montchrétien est aussi très élogieux sur les richesses de la France qui dispose « des cinq sources inépuisables de richesse naturelle (...) le blé le vin, le sel, les laines, les toiles » (1615 [1889], p. 239). Ce potentiel permet de nourrir : « le nombre infini de ses habitants ». Richelieu décrit la France avec des caractéristiques identiques (1632/1638 [1947], p. 448). Des analyses similaires émergent des écrits anglais. Selon Mun, l’Angleterre est pourvue de cette richesse naturelle qui comprend « le produit de la pêche, la laine, le bétail, le blé, le plomb, l’étain, le fer, tout ce qui sert à la nourriture, à l’habillement et aux munitions » (1621 [1971], p. 50).
8 Or cette dotation naturelle, quoique nécessaire, n’explique pas le niveau de développement économique atteint par les Hollandais « qui, à proprement parler, ne sont qu’une poignée de gens, réduits à un coin de la terre, où il n’y a que des eaux et des prairies » (RICHELIEU, 1632/1638 [1947], p. 416). La même analyse est également partagée par le Directeur de l’East Indian Companie :
Cela semble une merveille dans le monde qu’un si petit pays qui n’est pas tout à fait aussi grand que deux de nos meilleures provinces, qui a peu de richesses naturelles, de vivres de bois (...) en possède cependant une abondance tellement extraordinaire qu’en dehors de ses propres besoins, il peut encore fournir aux autres E´tats des vaisseaux, du blé et toutes sortes de choses que, par son industrieux trafic, il tire de toutes les parties du monde. (MUN, 1664 [1965], p. 74).
10 Les mercantilistes perçoivent en effet la supériorité réelle du développement hollandais sur celui de la France et de l’Angleterre. Leur succès représente même un « phénomène de pensée provocatrice » pour reprendre l’expression de Appleby (1978), ce qui les a conduits à s’interroger sur le poids d’autres facteurs du développement que la seule nature, si généreuse soit-elle.
11 Chez la plupart des classiques, en dépit de leur forte opposition au système mercantiliste, les arguments qui expliquent le sous-développement et par contraste le développement traduisent, sur ce plan-là, une certaine continuité. En particulier le facteur naturel joue un rôle très mineur (PLATTEAU, 1978, II, p. 416). La faible place occupée par les facteurs physiques dans les théories actuelles du développement confirme les intuitions des économistes mercantilistes et surtout classiques. En effet cette richesse naturelle est analysée aujourd’hui, le plus souvent comme relative et liée aux conditions économiques (GUILLAUMONT, 1985). Force est de constater que de nombreux pays ont disposé de ressources naturelles importantes et se sont pourtant avérés incapables d’amorcer un processus de développement (BAIROCH, 1997).
2 – Le travail plus que la nature chez les mercantilistes et chez les classiques
12 La possession de ressources naturelles est loin d’être suffisante pour constituer une base solide au développement car elles ne permettent pas à elles seules de favoriser ce qui est perçu comme un objectif premier, le développement économique national, qui ne se réduit pas à un commerce extérieur florissant (WILES, 1987 ; PERROTTA, 1991). Aussi, le facteur travail apparaît-il comme étant le facteur le plus précieux. Ainsi pour Bodin : « Il n’y a richesse, ni force que d’hommes » (1576 [1986], V, p. 64) ou pour Montchrétien : « De ces grandes richesses la plus grande, c’est l’inépuisable abondance de ses hommes » (1615 [1889], p. 24). Ce point de vue sera encore défendu ultérieurement par les mercantilistes de la fin du XVIIe-siècle comme Child qui formulait la même idée : « La plupart des nations qui composent le monde policé sont plus ou moins riches ou pauvres à proportion de la rareté ou de l’abondance du peuple et non à proportion de la stérilité ou fertilité de leurs terres » (1690 [1693], p. 192-193), Petty : « Ce qui fait la grande richesse et puissance du royaume, c’est la population » (1691 [1963], p. 135), ou Davenant qui écrit : « Les peuples étant la matière de la puissance et de la richesse, la nation gagnera par leur travail et leur industrie » (1698 [1967], I, p. 138).
13 Chez les classiques, le facteur travail joue aussi un rôle central. Pour un auteur comme Smith : « Le travail annuel d’une nation est le fonds primitif qui fournit à sa consommation annuelle toutes les choses nécessaires et commodes à la vie » (1776 [1976], I., p. 10). Chez Ricardo, l’élaboration d’une théorie complète de la valeur travail ne peut qu’amplifier le rôle du facteur travail dans l’explication du développement économique même si ce dernier déplace ses recherches vers un autre type de problématique, à savoir les meilleurs moyens de répartition des richesses. Si le facteur travail est également jugé important dans l’analyse de Malthus, c’est tout d’abord pour souligner le sous-emploi récurrent des ressources disponibles en travail. Car, s’il est important de disposer d’une population suffisamment nombreuse, il est tout aussi nécessaire que celle-ci travaille. Or sur ce plan-là, la plupart des économistes restent relativement sceptiques. La lutte contre l’oisiveté latente est donc un des enjeux du développement.
II – L’OISIVETÉ DES PEUPLES : UN OBSTACLE MAJEUR AU DÉVELOPPEMENT
14 Un premier survol des principaux textes mercantilistes et classiques incline à considérer l’oisiveté comme un phénomène très répandu au sein des populations européennes ou extra-européennes. Or, pour la plupart des mercantilistes, la population ne représente cependant qu’une richesse en puissance qui, pour être actualisée, demande à ce que cette dernière soit mise au travail (STEINER, in Béraud et FACCARELLO, 1992). Si bien que l’oisiveté des populations constitue dès lors le premier obstacle au développement. Chez les classiques le discours reste encore très similaire.
1 – De l’observation concrète du voyageur ou de l’expert...
15 Au cours du XVIIe siècle, dans le cadre de la recherche et de la défense des intérêts économiques nationaux, les mercantilistes ont analysé la réussite des Pays-Bas en matière de développement économique. Ils opposent le succès hollandais aux résultats plus modestes enregistrés par leur propre pays, et surtout par l’Irlande. Leur analyse contredit le discours économique, nationaliste et volontaire, traditionnellement affiché. Inversement un pays richement doté par la nature peut ne pas sortir du stade de l’économie de subsistance. Cette dernière situation est illustrée par l’Irlande. Voici ce qu’en dit Sir William Temple, diplomate anglais, dans ses Observations : « Avec un sol plus étendu et plus abondant, et un espace moins peuplé, les choses nécessaires à la vie sont bon marché si bien qu’un individu en deux jours de travail peut suffisamment gagner de quoi s’alimenter pour une semaine ; ce qui est le plus important fondement de la paresse » (1673 [1972], p. 109).
16 La même analyse est partagée à la même époque par William Petty. Sur la base d’une première observation, il note que l’Irlande est un pays pauvre où « les hommes habitent des chaumières qu’ils peuvent construire en trois ou quatre jours (...) où l’abondance naturelle les dispense même de toute activité soutenue ; quel besoin en effet ont-ils de travailler, eux qui peuvent se contenter de pommes de terre dans la production desquelles le travail d’un seul homme suffit pour en nourrir quarante » (1691 [1963], p. 213). On retrouve cette même perception chez une majorité d’écrivains anglais jusqu’en 1750. C’est ainsi le cas de Charles Davenant, héritier intellectuel de Petty pour lequel « un sol riche est apte à faire un peuple paresseux » (1698 [1967], I, p. 391). En revanche il affirme que « quand un grand nombre de gens sont rassemblés dans une bande de terre étroite, la nécessité les pousse à l’invention ; la frugalité et l’industrie dans une nation étant toujours récompensées par le pouvoir et la richesse » (1695 [1967], I, p. 73).
17 En France, Colbert perçoit également la richesse naturelle comme un obstacle au développement du pays, laquelle engendre l’oisiveté, l’absence de dynamisme : « L’abondance et la fertilité de la France retient et empesche l’industrie et mesme la parcimonie car les choses faciles ne produisent point ou peu de gloire et d’avantages ; les difficiles au contraire » [5].
18 L’explication du faible développement par l’environnement naturel favorable, amplifié par la tendance à l’indolence et à l’oisiveté des hommes, est un thème encore largement repris tout au long du XVIIIe siècle et du XIXe siècle. Ainsi Mandeville, au début du XVIIIe siècle, pense que les pauvres ne travaillent que par nécessité, car ils sont paresseux de nature : « Quand les hommes montrent une propension aussi extraordinaire à la paresse et au plaisir, quelle raison avons-nous de penser qu’ils se mettraient au travail s’ils n’y étaient pas forcés par une nécessité immédiate ? » (1714 [1997], p. 98). Chez les classiques, les conditions de la mise en œuvre du facteur travail butent sur les mêmes problèmes : l’oisiveté et la paresse des peuples, même si ce constat est plus souvent fait davantage à propos des nations sauvages comme le note J.-B. Say (PLATTEAU, 1978, I, p. 163-165).
19 Approfondissant l’argument environnemental, Malthus, dans la 2e édition de An Essay on the Principle of population, souligne que « l’état naturel de l’homme n’est pas un état d’activité, mais de paresse et de repos » (1803 [1986], II, p. 61). Cette caractéristique humaine réapparaît dans les Principles of Political Economy, où le niveau de pauvreté rencontré dans un pays comme l’Irlande est justifié par ces raisons-là. Malgré l’abondance des produits naturels, l’Irlande se rapproche par certains côtés de pays plus pauvres, ayant comme caractéristique commune le faible niveau de développement économique. Une terre trop riche et fertile peut engendrer la pauvreté justement en raison de l’indolence qui caractérise l’être humain (1820 [1986], VI, p. 276). Dans ce pays, comme dans les pays attardés, la richesse naturelle freine les efforts humains, engendre une stagnation économique alors que dans des pays où les difficultés de production sont importantes, l’effort s’impose dès le départ et devient le stimulant de l’activité économique. Malthus tire ainsi la conclusion que « la fertilité de la terre n’est pas en elle-même un stimulant suffisant pour l’accroissement permanent de la richesse » (ibidem, p. 281) et qu’elle s’avère être davantage un obstacle, voire un facteur de pauvreté.
2 – ...à l’analyse des conditions propices à l’activité économique, facteur de développement
20 Un premier constat général est ainsi fait : des conditions naturelles clémentes ont un impact plutôt négatif sur le développement car elles sont propices à l’inactivité économique, à la paresse, alors que des conditions difficiles d’existence et de production des richesses ont un effet stimulant sur l’activité économique et sur le développement. La vraie richesse s’obtient par le travail des hommes. Cependant, il semble que la pression démographique soit aussi un facteur majeur dans l’explication du développement (APPLEBY, 1978). Temple, Petty, Colbert, Davenant observent que la concentration forcée de la population sur de petits territoires, comme dans le cas de la Hollande, ou sur des territoires peu fertiles crée une tension créatrice, une incitation au travail pour tout le monde, une disparition obligée de la tendance naturelle des hommes à l’indolence et à la paresse. Les conditions naturelles qui rendent le travail difficile et pénible renforcent l’aptitude au travail car, à défaut d’un tel effort, les hommes périraient [6]. Les Pays-Bas illustrent parfaitement cette thèse : les conditions de production difficiles dues plus au surpeuplement [7] qu’à l’existence d’un sol peu fertile restent une hypothèse plausible à l’origine d’une agriculture très performante [8]. La situation contraire est illustrée par le faible développement de l’agriculture irlandaise [9] qui repose implicitement sur la faible densité démographique, laquelle ne constitue pas un aiguillon suffisant [10] pour moderniser et pour rendre ce secteur plus productif. Des conditions naturelles favorables (sol, climat), une production spontanément et relativement abondante, un espace géographique très étendu favorisent un type d’agriculture extensive (élevage surtout), peu susceptible d’évolution qui, à son tour, induit une occupation humaine du territoire faible et dispersée.
21 Malthus reprendra l’argument démographique à son compte pour le nuancer quant à ses effets. S’il montre que la pression démographique peut jouer favorablement sur les ressources alimentaires dans le sens où, pour répondre à une croissance démographique, on devra produire toujours plus (c’est le principe de la demande auto-entretenue), il note qu’au-delà des limites maximales imposées par les rendements décroissants, cette situation a peu de chance de se produire. Malthus observe qu’une certaine indolence des habitants empêche tout accroissement rapide de la richesse et les maintient dans un certain état de misère. La faiblesse des besoins à satisfaire dans un environnement facile et leur satisfaction immédiate, n’incitent pas les classes dominantes à produire plus de biens, et ne les incitent pas indirectement à faire travailler plus de gens, donc à entretenir plus de personnel : « Le pouvoir de nourrir des travailleurs peut souvent dépasser la volonté qu’on a de le faire » (1820 [1986], VI, p. 281). Malthus modère le rôle de la pression démographique sur le développement économique, et accorde une plus grande importance aux caractéristiques de la nature humaine.
22 Les théories économiques modernes soulignent à leur tour le rôle clef du facteur humain dans le processus du développement. Mais, par-delà le rôle positif que peut jouer le facteur travail dans le processus du développement, un débat contemporain beaucoup plus tranché que ne le fut le débat historique [11] s’est instauré entre partisans d’une croissance démographique maîtrisée et « populationnistes » pour affirmer, pour les uns, le poids que représente une population trop abondante (en termes de charges éducatives, de charges sanitaires, de concurrence entre consommation et investissement...), et, pour les autres le fait que plus la population et la force de travail sont importantes, plus la production peut être élevée. Les premiers, revendiquant l’héritage malthusien, s’inscrivent dans le champ d’analyses faites par le Club de Rome dans les années 1970. Les seconds, notamment Boserup (1965), Kuznets (1967), Simon (1981, 1986) ont défendu des positions contraires en postulant que la croissance démographique est un stimulus à l’innovation. Pour ces derniers, prolongeant les analyses de Petty et de Davenant, la croissance démographique favorise l’innovation car les pressions exercées sur le système productif par une population plus nombreuse doivent nécessairement conduire à des évolutions technologiques, institutionnelles et économiques. La pression démographique exerce un effet positif sur le développement économique tant sur le plan purement quantitatif que sur celui des structures de production. Dans ce débat récurrent et connexe au rôle du facteur travail dans le processus de développement, relatif au lien existant entre croissance démographique et croissance économique, il apparaît de plus en plus clairement aux théoriciens que le développement économique, l’éducation et l’amélioration du niveau de vie des peuples du Tiers-Monde, sont bien les moyens les plus efficaces pour stabiliser le niveau de la population (HUSSON, 2000). Cette analyse très contemporaine n’apparaît cependant pas, même en filigrane, dans les analyses mercantilistes et classiques, ce qui semble ici justifier la priorité accordée aux politiques de travail obligatoire appliquées entre le XVIIe et le XIXe siècle par rapport à toute autre politique sociale ou/et politique de soutien des salaires.
III – ÉLÉMENTS POUR UNE STRATÉGIE ACTIVE DU DÉVELOPPEMENT : DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE AUX POLITIQUES DE TRAVAIL OBLIGATOIRE
23 L’analyse des causes de la richesse nationale conduit naturellement les auteurs à proposer quelques éléments de stratégie de développement. Dans les pays où on n’observe pas de conditions favorables (faible densité démographique, environnement naturel hostile), quelles solutions proposer ? Peut-on reconstituer un environnement proche de celui observé en Hollande ? Ce sera le projet de Petty. Des dispositions institutionnelles sont aussi mises à l’étude, en particulier les politiques d’encadrement de la force de travail.
1 – Favoriser la concentration urbaine
24 Pour reconstituer un environnement économique proche du souhaitable que semble incarner la Hollande, Petty a suggéré pour l’Angleterre une sorte de concentration humaine artificielle. En effet le projet d’un Grand Londres (PETTY, 1662) va dans ce sens. Petty analyse les avantages économiques d’un tel projet à la fois sur la compression des coûts de production, de transport en particulier, comme sur la transformation probable de l’agriculture. Dans les deux cas on retrouve ce qui fit le succès de la Hollande, à savoir non seulement l’agriculture performante mais aussi le développement d’un système de voies de communication remarquable, efficace, dense qui réduisit fortement les coûts de transport [12]. L’idéal chez Petty, note Dockès (1990), serait un circuit économique court où toutes les activités seraient concentrées dans une seule ville. C’est une des raisons pour lesquelles Petty a imaginé la situation dans laquelle Londres (1683 [1963]) compterait 4 690 000 habitants alors que le reste de l’Angleterre en aurait seulement 2 710 000. Un deuxième avantage à cette concentration de la population dans des zones urbaines est qu’elle rendrait aussi la terre environnante plus productive, car une forte densité de population inciterait à une amélioration des techniques de production (RONCAGLIA, 1985) [13]. Une agriculture plus performante contribuerait à son tour à la diminution des coûts de production des produits manufacturés, et permettrait de nourrir la population des villes au moindre coût. Cela impliquerait la mise à l’écart d’une agriculture de subsistance au profit d’une agriculture plus intégrée dans le circuit des échanges.
2 – L’instauration des politiques de travail obligatoire et la fixation de bas salaires
Contre la paresse : discipliner les pauvres !
25 Que la paresse et le manque de discipline des hommes proviennent de leur nature profonde ou soient le fruit d’un environnement peu stimulant, il n’en reste pas moins que, pour les mercantilistes, ils sont une cause importante de la pauvreté et du faible développement économique. Comme le rappelle Petty :
C’est le manque de discipline qui laisse la pauvreté se montrer en Angleterre et permet que les habitants soient pendus ou affamés à cause de cette même pauvreté (PETTY, 1691 [1963], p. 118).
27 Aussi les mercantilistes vont-ils proposer de mettre sur pied une première ébauche de politique sociale en opérant une distinction entre bons et mauvais pauvres, et en suggérant de réserver les secours traditionnels aux pauvres invalides et aux pauvres volontaires (ecclésiastiques pour la plupart). Quant aux pauvres valides qui profitaient jusque-là de la charité publique, ils devront se prendre en charge individuellement. Si ces derniers ne peuvent travailler de leur propre initiative, ils sont alors astreints à le faire dans le cadre de maisons de travail, contribuant de la sorte à l’enrichissement de la nation. Ainsi se trouvent combinés, dans une certaine mesure, politique sociale et volontarisme économique. Les pauvres doivent être utiles et ne pas engendrer un coût économique quelconque à la nation. Car, si la lutte contre l’oisiveté se fait au nom de la sauvegarde des vertus morales – le travail « ôte à l’âme l’occasion de mal faire..., donne le repos, et faict trouver les choses bonnes et agréables » (LAFFEMAS, 1604, p. 4) -, elle se fait aussi au nom de raisons plus économiques. Montchrétien (1615 [1889], p. 27) propose l’enfermement et le travail manufacturé obligatoire pour les adultes. En Angleterre, le statut des travailleurs de 1563 constitue le texte le plus important visant à lutter contre l’oisiveté. À la fin du XVIIe siècle, les fameuses workhouses, maisons de travail municipales, furent mises en place. En rendant la main d’œuvre bon marché et disciplinée, en créant une concurrence au putting out system [14], ces maisons de travail devinrent très avantageuses pour les entrepreneurs. Petty suggère également, au-delà de l’enfermement classique, une intensification du travail pour augmenter la productivité ; il propose notamment des mesures comme la réduction de la pause de midi d’une demi-heure ou la suppression de certains repas (dont celui du vendredi soir) (PETTY, 1691 [1963], p. 110).
Le contrôle par la faim : pour une politique de bas salaires
28 Tous les mercantilistes depuis Montchrétien jusqu’à Petty défendent une politique de bas salaires [15]. Deux arguments sont avancés par Petty dans sa défense des bas salaires : le premier repose toujours sur l’idée que l’aiguillon de la faim pousse les individus au travail ; le deuxième argument repose sur l’économie de coût de production réalisée avec des salaires peu élevés, rendue plus que nécessaire par la compétition internationale. Petty (1690, [1963]) propose de maintenir les individus à un niveau de vie strictement minimum afin d’inciter les travailleurs à augmenter la durée et l’intensité du travail : « car si vous lui permettez de gagner le double, il ne fait que la moitié du travail qu’il aurait pu faire ou aurait fait autrement » (PETTY, 1691 [1963], p. 110). Mandeville résume bien la pensée de l’époque en affirmant :
La seule chose qui rende un ouvrier travailleur, c’est de l’argent en quantité modérée ; car trop peu d’argent, selon son tempérament, l’abattra ou le poussera aux extrémités et trop d’argent le rendra insolent et paresseux (1714, [trad. fr. 1974], p. 151).
30 La politique d’assistance aux pauvres est ainsi mise au service du système économique et de la création du plus grand surplus économique possible au mépris de tout principe de justice sociale. L’objectif du plus grand enrichissement possible de la nation suppose que les pauvres doivent rester pauvres.
Les politiques sociales confortent la tendance à l’indolence et freinent le développement économique selon le courant libéral dominant...
31 Sur la base des analyses développées par la plupart des mercantilistes et des classiques, on comprend mieux pourquoi s’est déployée une telle hostilité à l’égard des politiques sociales. Les arguments avancés préfigurent les positions néo-libérales contemporaines sur les effets négatifs des politiques sociales et sur les liens entre répartition, pauvreté et croissance économique (KUZNETS, 1955). Malthus et la plupart des économistes de sa génération considèrent les aides publiques comme une politique de désincitation au travail et d’encouragement à la paresse. Ils condamnent avec violence les poor laws qui étaient devenues une machine à fabriquer des pauvres et qui, faute de les faire disparaître, constituaient une première cause de croissance démographique. Ce système ne pouvait atteindre l’objectif de correction des inégalités car le transfert de fonds d’un individu à un autre ne pouvait accroître la quantité totale de nourriture dont pouvait disposer le pays. Ainsi ces lois favorisent non seulement la croissance du nombre de pauvres, mais encore, elles appauvrissent les catégories de personnes situées socialement juste au-dessus car toute augmentation de prix des subsistances, provoquée par les effets démographiques de la loi sur les pauvres, risquerait de réduire le pouvoir d’achat des gens moins pauvres. Selon Ricardo, ces lois rassurent les pauvres et les confortent dans leur état d’insouciance et d’imprévision : « Les lois sur les pauvres ont rendu toute retenue superflue, et favorisé l’imprudence en accordant aux pauvres une part des salaires acquise par la prudence et l’effort au travail » (1817 [1951], p. 107). Le pauvre est assuré de profiter d’un bien-être qui normalement aurait dû échoir à celui qui fait preuve de prudence et d’application au travail. Une telle récompense qui s’adresse aux plus méritants va également revenir à ceux qui ont fait preuve de comportements contraires (oisiveté et imprudence) (LONGFIELD, 1834 [1971], p. 64). De telles mesures, plutôt que de supprimer la pauvreté, la généralisent et favorisent l’adoption de comportements insouciants. Seuls les paysans, nous dit Malthus, ont encore quelques répugnances à recourir à ces aides [16].
32 Les politiques de lutte contre la pauvreté, dans leur version répressive et charitable, ne sont pas l’apanage des XVII-XIXe siècles puisqu’actuellement, autant dans les pays développés que dans les pays du Tiers-Monde, elles restent encore largement plébiscitées. L’origine de la pauvreté relèverait avant tout, encore de nos jours, selon les analyses libérales, du comportement du pauvre lui-même, due pour partie [17] à une tendance à l’oisiveté. C’est aussi ce qui ressort des textes mercantilistes et classiques, ainsi que des textes contemporains, mais sous des formes plus édulcorées, telles la « faible propension à épargner » des pauvres ou la thématique du chômage volontaire. La réactivation de la figure du mauvais pauvre revient ainsi sur le devant de la scène, dès la fin des années 1970, parallèlement à la montée du nombre de pauvres. Avec la remise en cause du comportement personnel du pauvre se développe une critique des politiques sociales et, parallèlement, un intérêt est porté pour les politiques de workfare, en raison de leur moindre coût et de leur incitation au travail (MURRAY, 1984 ; MEAD, 1986 ; KATZ, 1989), de même que pour les politiques purement ciblées vers les « extrêmement pauvres », tels les programmes spéciaux d’alimentation et d’assistance médicale (SALAMA et VALIER, 1994). Les prestations sociales de type assuranciel qui apportent un revenu sans contrepartie présentent, selon le courant libéral, l’inconvénient de créer encore plus de pauvres, comme le prétend Murray : « En essayant de faire plus pour les pauvres, nous avons réussi à faire plus de pauvres. En essayant de faire tomber les barrières qui interdisaient aux pauvres d’échapper à leur sort, nous leur avons par mégarde dressé un piège » (MURRAY, 1984, p. 9). Au pauvre non méritant on doit appliquer des techniques assistantielles, dissuasives, destinées à tester la réalité de ses besoins. De fait, la politique sociale pour les économistes libéraux ne peut être qu’une politique de bienfaisance à l’égard d’un certain nombre de pauvres exclus (SALAMA et VALIER, 1994), comme le furent les politiques de charité dans les siècles passés.
IV – D’AUTRES SOLUTIONS DU COTÉ DE LA DEMANDE
33 La prise en compte de la demande dans l’analyse économique dès la fin du XVIIe siècle a permis de proposer des solutions moins contraignantes aux problèmes rencontrés par le développement économique des nations. En s’appuyant sur d’autres caractéristiques de la nature humaine, l’envie de luxe, le goût du changement, on approche d’autres solutions possibles, tout autant efficaces et incitatives que les mesures punitives proposées par les premiers mercantilistes et par les malthusiens. Cet argument est contenu dans les analyses partisanes des salaires élevés. Mais cet argument va être également développé par certains partisans des bas salaires.
1 – L’envie de biens de luxe réduit l’oisiveté
34 Les conditions climatiques favorables tendent à créer une atmosphère générale de facilité qui encourage les individus au laisser-faire et à l’indolence et qui se trouve accentuée par les politiques de lutte contre la pauvreté. La pensée mercantiliste, tout en mettant l’accent sur la nécessité de produire, avait pris soin de vouloir réduire la consommation interne afin que la nation puisse s’enrichir le plus rapidement possible et le plus grandement possible. Ce qui faisait, selon eux, la richesse des Hollandais était leur capacité à produire et à vendre plus qu’à consommer. Temple saluait d’ailleurs les qualités d’un tel peuple : « une des raisons qui permet d’expliquer la puissance de ce pays incombe aux qualités de ces habitants, travailleurs, sobres, efficaces » (1673 [1972], p. 109), note t-il dans ses Observations. Pourtant, l’analyse va prendre d’autres voies dès la fin du XVIIe siècle.
35 Certains mercantilistes portent un intérêt particulier à la notion de demande qu’ils viennent de découvrir (APPLEBY, 1978), ainsi qu’à l’enjeu économique que représente la satisfaction des besoins autres que ceux de subsistance. L’Angleterre est perçue comme un grand marché qu’il faut approvisionner en satisfaisant une demande intérieure animée par l’envie, l’émulation, la prodigalité et l’amour du luxe : « Le principal stimulant du commerce, ou plutôt de l’activité et de l’ingéniosité, sont les appétits exorbitants des hommes qu’ils essaient de satisfaire par leur travail » (NORTH, 1691 [1856], p. 528). La consommation est la cause du commerce et de la prospérité, ne pas dépenser serait pour Barbon aussi dangereux pour l’État qu’une guerre avec l’étranger. Dans le cas contraire, la population et le pays s’enrichiront. Les auteurs raisonnent en termes de débouchés : c’est la demande qui stimule la production, comme le résume Roger Coke : « Aucun homme laboure, sème ou nourrit du bétail s’il n’a pas l’espoir de trouver un marché » (COKE, 1671, III, p. 26).
36 Le luxe n’est plus rejeté et condamné car il constitue un aiguillon pour toute l’industrie (LETWIN, 1963 ; APPLEBY, 1978). La consommation de produits alimentaires – si nécessaire soit-elle – ne fournit du travail qu’à peu de gens, en comparaison de la consommation pour satisfaire les besoins de logement et d’habillement qui semble illimitée. Cary (1695), North (1691) et Barbon (1693) ont ainsi montré que cette demande potentiellement extensible était cause d’enrichissement aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur : « C’est grâce à la mode vestimentaire et à la vie urbaine que le Royaume de France s’est enrichi » (BARBON, 1690 [1905], p. 34). Cette demande de biens de luxe qui peut être infinie justifie le travail des pauvres. Dans la Fable des abeilles, Mandeville note que, « le luxe donnait du travail à un million de pauvres gens, et l’odieux orgueil à un million d’autres » (MANDEVILLE, 1714 [1924], p. 33). Plus que la faim, c’est donc la cupidité et l’ambition qui amplifient les comportements humains et provoquent une multiplication des appétits. En revanche, la sobriété, le contentement ruinent l’industrie et « la vertu seule ne peut faire vivre les nations dans la magnificence » (MANDEVILLE, 1714 [1924], p. 40). L’auteur de la Fable des abeilles insiste sur le rôle de la consommation comme moteur du développement économique, même s’il s’agit de la consommation d’une minorité de la population. Indirectement cette consommation de produits de luxe induit du travail pour les plus pauvres.
37 La prise en compte de la demande de biens de luxe, à l’origine du développement économique, explique en grande partie la position de certains économistes en faveur des salaires élevés, depuis Child jusqu’à Smith. Ainsi pour J. Child, les salaires élevés constituent l’ingrédient principal de la réussite économique :
Partout où les salaires sont hauts c’est une preuve infaillible et évidente de la richesse du pays, et partout où le prix du travail est bas, c’est une preuve de pauvreté (1690, Préface, p. XI).
39 C’est le cas de la Hollande qui pratique des salaires élevés, tout en disposant d’une position prédominante en matière de commerce international. La satisfaction des besoins du peuple, et particulièrement des besoins de subsistance, non seulement ne constitue pas un obstacle au développement économique mais encore devient un moyen d’améliorer la productivité du travail, d’augmenter la demande, et en définitive de favoriser la production à des prix au moins aussi compétitifs. Un autre mercantiliste, le Docteur Barbon, partage ce point de vue. Barbon est partisan de hauts salaires pour la simple raison qu’ils sont un encouragement à la consommation, à la dépense et par conséquent à l’emploi : « Plus un homme gagne, plus il consomme et plus les revenus du Roi augmentent » (BARBON, 1690 [1905], p. 23).
40 Pour les pré-classiques et les classiques, partisans pour la plupart de la thèse des salaires élevés, il devient clair que l’absence déclarée de besoins autres que ceux de subsistance est aussi une cause de non-développement [18]. Ce point de vue est illustré notamment par Quesnay (1757 [2005]) et les premières analyses classiques. Pour Smith :
42 Smith relie la détermination des individus à travailler à la consommation de biens de luxe. En effet pour lui, seule une minorité d’ouvriers s’adonne à l’oisiveté quand les salaires s’élèvent. L’individu poussé par ses besoins illimités, autres que ceux de subsistance, cherche à travailler toujours plus, voire à l’excès surtout quand il est payé au rendement :
L’émulation réciproque et le désir de gagner davantage les poussaient souvent à forcer le travail et à s’exténuer par un labeur excessif (SMITH, 1776 [1976], p. 100).
44 Mais pour Smith également, c’est surtout le riche qui participe à ces achats de biens de luxe. Sa soif de biens de luxe le poussera à distribuer les biens de subsistance qu’il a amassés et qu’il est incapable de consommer. Dans la Richesse des Nations, le riche est ainsi défini comme celui qui dispose de produits nécessaires et le pauvre comme celui qui produit les biens de luxe (DIATKINE, 1992). Le riche détient les clefs du développement et son avidité en biens de luxe favorisera le développement de la production de ces biens de luxe mais aussi des biens de subsistance.
45 A contrario, en l’absence d’une expression de ces besoins illimités, les acteurs de l’économie n’ont pas intérêt à produire au-delà de ce qui est nécessaire pour satisfaire leurs besoins. Si ces derniers sont limités, souligne Malthus, le fermier n’embauchera pas des ouvriers uniquement pour les entretenir et pour les occuper :
Ils seront, en fait, privés aussi complètement de moyens de subsistance que s’ils vivaient sur le sol le plus stérile. Il faut qu’ils aillent chercher ailleurs du travail ou qu’ils meurent de misère (1803 [1986], vol. 2, p. 104).
47 Cette éventualité est fréquente là où l’industrie n’est pas développée c’est-à-dire là où la demande de produits autres qu’agricoles est inexistante. Dans le cas contraire, « Il faudrait introduire des manufactures et en inspirer le goût aux cultivateurs » (ibidem, p. 106). En créant de nouveaux besoins, autre que celui de se nourrir, on sort les cultivateurs de « leur vie irrégulière et paresseuse » (ibidem, p. 108), ce qui permet à plus de gens de vivre.
48 Si la demande en biens de luxe repose sur les comportements humains, le désir, la passion..., celle-ci se trouve le plus souvent excitée par les modèles de consommation importés de l’étranger. Aussi le commerce peut-il jouer un rôle révélateur de nouveaux goûts, de nouvelles consommations possibles et donc d’une nécessaire contrepartie à ces demandes : le commerce extérieur peut stimuler l’envie de biens de luxe et, indirectement, le développement économique.
2 – Le commerce extérieur stimule l’envie de biens de luxe
49 Une manière de stimuler les besoins provient des modèles de consommation importés des nations étrangères, par le biais des relations commerciales, d’où l’importance d’une participation à de tels échanges. Les positions mercantilistes et libérales sur le commerce extérieur sont radicalement différentes en bien des domaines. Mais il existe dans certaines œuvres mercantilistes et classiques un point commun entre les deux courants. C’est celui qui consiste à favoriser le commerce extérieur comme mode de diffusion de nouveaux besoins, indirectement comme véritable stimulant de l’activité économique nationale et du développement.
50 Tout au long du XVIe et du XVIIe siècle, la thèse de la balance excédentaire du commerce prédomine (VINER, 1937 [1975]). Elle implique une condamnation plus ou moins unanime des importations de produits de luxe (PERROTTA, 1991). Cette thèse est également défendue au cours du XVIIIe siècle notamment par Cantillon (1755 [1997]) par Steuart, (1767 [1966]). Pourtant, déjà à la fin du XVIIe siècle, certains auteurs perçoivent non seulement la nécessité d’échanges avec l’extérieur mais y voient une stimulation pour l’activité économique. Pour un certain nombre de mercantilistes, en effet :
Les importations de produits étrangers se justifient parce que ces produits éblouissent le peuple de nouveauté et promeuvent l’industrie par l’envie de les posséder (APPLEBY, 1978, p. 171).
52 C’est notamment la position de Barbon (1690 [1905], p. 35-36) qui voit dans la consommation de produits de luxe, y compris dans leur importation, un facteur favorable à la consommation et à la production de produits nouveaux, et donc un facteur de développement économique national. C’est aussi l’avis de J. Cary (1695) ou de D. Thomas. Pour ce dernier, les biens de luxe étrangers ne sont pas la source du péché mais :
De véritables aiguillons à la vertu, au courage et à l’élévation de l’esprit aussi bien qu’une juste récompense du travail (1690, p. 6).
54 L’idée d’une excitation des désirs et d’une création de besoins par le commerce extérieur est également très présente chez les classiques. Dans son Essai sur le commerce, Hume résume une position que l’on trouvera chez la plupart des autres économistes classiques :
« Le commerce étranger rendant les peuples laborieux, d’indolents qu’ils étaient auparavant, offre à ceux qui possèdent des richesses et qui cherchent à satisfaire leur vanité, des objets de luxe, dont ils n’avaient pas précédemment l’idée, et il fait naître en eux le premier mouvement de la nation [...]. Leur exemple excite dans tous les cœurs le désir des richesses, et la facilité d’en acquérir par le commerce engage un grand nombre de citoyens à embrasser la même profession... (HUME, 1752, p. 18).
56 Ces analyses sont encore plus vraies pour les pays attardés qui n’ont pas d’industrie et qui vivent dans un état primitif, où personne ne désire devenir riche, et où un individu n’a jamais à souffrir des tentatives d’enrichissement personnel d’un quelconque autre individu. Ainsi un auteur comme J.-S. Mill garantit que le commerce extérieur est à même de corriger cette évolution. Les peuples attardés ne pourront parvenir et se maintenir à un niveau de vie plus décent que s’ils désirent effectivement jouir d’un meilleur mode d’existence. Ces populations des pays pauvres doivent être mises en contact le plus direct possible avec les réalisations et les performances des pays riches. C’est l’exposition maximum de ces populations aux possibilités de consommation et de production révélées par les contacts internationaux qui doit être le principal agent de leur transformation. Tout doit être mis en œuvre pour ouvrir les pays retardataires au commerce international :
Un peuple peut se trouver dans un état de repos et d’indolence, sans culture, avec des goûts satisfaits ou peu développés, de telle sorte qu’il n’emploie toutes ses forces productives, faute de désirs suffisants. L’ouverture du commerce avec l’étranger, en le familiarisant avec de nouveaux objets ou en lui fournissant le moyen d’acquérir facilement des objets qu’il ne croyait pas pouvoir se procurer, produit une sorte de révolution industrielle dans les pays dont les sources ne se déployaient point, faute d’énergie et d’ambition dans la masse de la population (J.-S. MILL, 1848 [1965], p. 593-594).
58 D’une telle ouverture on peut attendre les plus grands résultats, car le commerce est un générateur extrêmement puissant de besoins nouveaux, un diffuseur d’idées et d’aspirations nouvelles.
59 Chez Malthus, le thème de l’oisiveté et des faibles besoins des populations de zones attardées ne peut qu’inviter à considérer le commerce extérieur comme une solution également possible. Il montre que des biens utiles et agréables qu’une société industrielle est à même de produire peuvent jouer le rôle de tels stimulants :
Il est hors de doute que la richesse produit des besoins ; mais c’est une vérité encore plus importante que les besoins produisent la richesse (1820, 1836 [1986], p. 321).
61 Pour ce faire, il faut que les besoins s’expriment et soient aiguisés, or, ici aussi, rien de plus simple que le commerce extérieur pour y parvenir :
Un des plus grands bienfaits du commerce étranger, et la raison qui l’a toujours fait regarder comme un élément presque indispensable pour le progrès de la richesse, c’est la tendance qu’il a d’inspirer de nouveaux besoins, de faire naître de nouveaux goûts et de fournir des stimulants nouveaux pour l’activité et l’industrie de tous (ibidem, p. 321).
63 C’est, avant la lettre, la théorie de l’effet international de démonstration de Nurkse (1952), elle-même issue d’un élargissement de la théorie de Duesenberry. L’ouverture des pays au commerce avec les pays développés, voire plus riches, tend à stimuler leur demande d’importation mais aussi incite à produire et à exporter les produits primaires pour lesquels ils jouissent d’un avantage comparatif décisif.
64 Chez les pionniers du développement, le rôle de la demande dans le processus du développement apparaît tout aussi essentiel. Comme le note Nurkse (1953) : « Du côté de la demande, l’incitation à investir peut être faible à cause du pouvoir d’achat réduit des gens, conséquence de la faiblesse de leurs revenus réels » (cité par AZOULAY, 2002). Nurkse (1953) et Rosenstein Rodan (1943) soulignent l’étroitesse des marchés et estiment que la création d’une demande est à la base du développement. Il faut donc développer l’emploi industriel qui fournira les revenus nécessaires au développement du marché domestique. On parle à ce moment-là de stratégie de croissance équilibrée. Une autre analyse, dite de croissance déséquilibrée, sera exposée un peu plus tard par HIRSCHMAN (1958). Dans l’optique d’une croissance volontaire, un débat s’est également porté sur la stratégie d’ouverture ou d’auto centrage en direction du marché mondial [19]. Déjà en 1952, Nurkse soulignait le rôle d’effet international de démonstration du commerce extérieur susceptible de favoriser une demande de biens importés :
Quand les individus sont en contact avec certains modèles de dépense (...), ils peuvent ressentir une certaine tension et de la nervosité : leur propension à consommer augmente. Ces forces, me semble t-il, influent, dans une certaine mesure, sur la conduite humaine, qui se traduit par un développement des relations internationales (...) Sur le plan international, la connaissance et le contact avec des modes de consommation supérieurs développent l’imagination et créent de nouveaux besoins (1952, p. 578).
66 Nurkse note toutefois, à la différence notamment de l’analyse très optimiste de Hume, que l’adoption de ces nouveaux modes de consommation risque de produire des effets gênants relatifs à l’usage potentiel des ressources locales en capital, et risque d’induire par ailleurs des problèmes de déficit extérieur. Un peu plus tard, dans les années 1970, la stratégie d’insertion dans le commerce international fit l’objet d’analyses et de controverses entre partisans d’une orientation domestique de substitution aux importations (FURTADO, 1970), et partisans d’une orientation extérieure (KRAVIS, 1970 ; MICHAELY, 1977 ; BALASSA, 1981) dont la filiation à la pensée ricardienne pour ces derniers est évidente. Le rôle de la demande interne et externe apparaît ainsi déterminant chez les pionniers du développement et le rattachement de ces thèses aux courants de pensée mercantiliste et classique ne peut être occulté, même si le fondement de ces nouvelles analyses laisse assez peu de place, tout du moins explicitement, à la psychologie du comportement économique.
67 Les premiers travaux économiques portant sur les sources de la richesse expriment une approche à la fois multiple et moderne. Si les analyses se sont focalisées chez les premiers mercantilistes sur les ressources naturelles, c’est pour montrer qu’elles constituent une condition nécessaire, mais pas suffisante de l’enrichissement. Encore plus important que l’étendue ou la fertilité, c’est l’emplacement des terres qui est déterminant dans la formation des richesses car les zones de peuplement situées au carrefour de voies de communication nombreuses et variées participent plus à la richesse d’un pays que les ressources naturelles. L’exemple de la Hollande a été maintes fois rappelé. On perçoit enfin que la terre fournit l’espace, le support à toute vie humaine et il suffit d’avoir suffisamment d’espace pour construire les manufactures, les habitations et les entrepôts pour échanger contre des minerais ou des produits agricoles. Le facteur humain constitue une deuxième cause importante de développement. Plus que le volume de main-d’œuvre, c’est l’aptitude au travail et la motivation qui apparaissent comme déterminantes. Comme tous les auteurs croient en l’existence d’une nature humaine indolente, et peu propice à l’activité économique, ils s’intéressent aux moyens naturels ou institutionnels favorables à l’activité économique. Pour certains, la pression démographique joue un rôle décisif, à l’origine des progrès économiques. Les moyens institutionnels ne sont pas pour autant écartés (travail obligatoire, politique de bas salaire) et l’ouverture des économies au marché mondial demeure une solution encore plus efficace et active que l’aiguillon de la faim. Sur l’ensemble de ces questions, les mercantilistes et les premiers libéraux ont anticipé les débats contemporains traités par les économistes du développement : le débat entamé par Boserup dans les années 1960 sur le rôle joué par la pression démographique, celui sur l’ouverture au marché mondial ainsi que le débat sur la compatibilité entre croissance et justice sociale ne sont que quelques exemples de ces préoccupations largement pressenties dès le XVIIe siècle. Cependant, même si chez les pionniers du développement on trouve une certaine filiation avec la pensée mercantiliste et classique, qui se vérifie dans les débats des années 1950-1960, la nouvelle pensée du développement, qui inspira dans les années 1980 le consensus de Washington, traduit une certaine rupture avec cet héritage intellectuel. À l’exception du thème de l’oisiveté et de son corollaire, la mise en place de politiques coercitives dans la lutte contre la pauvreté, la prise en compte d’une psychologie du comportement économique favorable au développement économique ainsi qu’un certain nombre d’autres paramètres est, semble t-il, partiellement écartée au profit d’une vision néo-classique dominante et universaliste des problèmes du Tiers-Monde. En effet, la mise en place de politiques d’ajustement structurel au tournant des années 1980, qui signifia le déclin de l’économie du développement (HIRSCHMAN, 1984), avait abouti à mettre l’accent avant tout sur les questions d’équilibres budgétaires et financiers et de libéralisation externe et interne. Cette nouvelle pensée pouvait ainsi recréer le lien avec une pensée néo-classique du XIXe siècle, caractérisée par une absence de théorie explicite du développement, et centrée sur les questions d’équilibre. Mais l’échec du consensus de Washington marqua le renouveau de l’économie du développement (MKANDAWIRE, 2002) et induisit la prise en compte d’une conception plus globale du développement au-delà de l’ajustement (HUGON, 2002). Ainsi par exemple, les néo-structuralistes remirent l’accent sur les facteurs structurels, structures de production, répartition des revenus, et sur la demande effective (BERTHOMIEU et EHRHART, 2000) ; la nouvelle économie géographique, de son côté, tenta de démontrer que les formes spatiales jouaient un rôle actif dans le développement des territoires (BOISCUVIER, 2000). Ces quelques exemples, qui traduisent bien une nouvelle orientation en économie du développement, marquent ainsi un retour aux thèmes fondamentaux chers aux mercantilistes et aux classiques.
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Notes
-
[*]
Economiste, Université de Tours et UMR du CNRS 5206 – Triangle (Lyon-2/ENS)
Je tiens à remercier les rapporteurs anonymes pour m’avoir fait part de leurs utiles critiques concernant une première version de cet article. Les éventuelles erreurs et omissions m’incombent bien sûr entièrement. -
[1]
- La recherche d’une balance excédentaire du commerce résume jusqu’à la fin du XVIIe siècle les objectifs poursuivis (FINKELSTEIN, 2000). Avec les mercantilistes de la fin du XVIIe siècle mais surtout avec les physiocrates et les classiques, c’est l’approfondissement et le développement du marché intérieur qui devient source de croissance économique et de développement. Le développement des échanges extérieurs et celui de l’économie nationale sont en fait plus complémentaires que contradictoires.
-
[2]
- Compte tenu des limites techniques, le travail apparaît au XVIIe siècle comme le facteur clef de la production et c’est à partir de son accroissement que l’on peut augmenter la production (FINKELSTEIN, 2000).
-
[3]
- Au XVIIIe siècle et dans les premières décennies du XIXe siècle, le travail (et plus particulièrement une bonne division du travail) joue un rôle essentiel, chez les classiques, (BÉRAUD in BÉRAUD et FACCARELLO, éd., 1992, I, p. 312), même s’il n’est pas considéré comme exclusif.
-
[4]
- Bernard de Mandeville est l’auteur le plus connu pour avoir montré en quoi les passions humaines sont à l’origine d’un grand nombre de comportements économiques.
-
[5]
- Colbert, Lettres, Instructions et Mémoires, op. cit. tome 2 Annexe CCLXVI.
-
[6]
- Dans son célèbre ouvrage The theory of economic growth, publié en 1955, W. A. Lewis aborde la question du travail et plus précisément l’attitude à l’égard du travail comme facteur d’explication au développement économique. Il corrobore tout à fait ce point de vue mercantiliste à la seule différence que, dans les pays où il est excessivement difficile de gagner sa vie, on peut décourager tout effort, alors qu’une situation intermédiaire est la plus propice : c’est celle où un effort raisonnable permet d’assurer un niveau de vie convenable (1955 [1971], p. 41).
-
[7]
- Petty note qu’en Hollande il y a environ 1 acre de bonnes terres par tête, contre 4 acres en France et en Angleterre et 10 acres en Irlande.
-
[8]
- L’agriculture hollandaise avait atteint des rendements céréaliers deux à trois fois plus élevés que dans le reste de l’Europe. Il est difficile de savoir toutefois si ce fut la pression démographique qui poussa à l’emploi de techniques agricoles plus élaborées ou si la mise au point de ces techniques permit d’entretenir une population plus dense, cf. Bairoch (1997, I). Toujours est-il que cette agriculture servit de modèle aux autres pays européens. Il s’agit d’un système mixte de polyculture et d’élevage.
-
[9]
- Les économistes mercantilistes analysent l’agriculture irlandaise assez finement, puisqu’ils décrivent un type d’agriculture relativement extensif où le travail nécessaire est peu important. Dans ce système cultural subsistent prairies naturelles, landes, bois et champs clos. La pomme de terre, qui constitue un produit alimentaire dès le début du XVIIe siècle accompagnée d’un peu de laitage, devient la nourriture quotidienne (Braudel, 1988, I, p. 141). Son avantage est incontestable puisqu’on nourrit deux fois plus de gens avec la même surface qu’avec du blé (Malassis, 1997, I, p. 244).
-
[10]
- Dans ce cas de figure-ci, la faible densité démographique ne justifiait pas, selon les analyses de E. Boserup, un changement agricole impératif qui s’avère plus que nécessaire en Hollande. En effet, selon l’analyse de Boserup, le passage à l’agriculture intensive nécessite une quantité de travail nettement supérieure pour obtenir une production supplémentaire et ce choix ne s’impose pas sans une forte nécessité. N’est-ce pas là un effet du calcul économique coût-avantage ? Car on peut transformer les terres les moins fertiles en pâturages naturels permanents, réservant aux meilleures terres la culture annuelle, c’est ce que fit l’Irlande. Les animaux broutant eux-mêmes les pâturages herbeux permanents ôtaient une partie du travail, ce qui justifierait en partie cette apparente indolence.
-
[11]
- Cf. supra la position ambiguë de Malthus.
-
[12]
- Voir sur ce point l’analyse de Boserup (1991) et les avantages d’une forte densité de population rurale sur les réductions dans les coûts de transport.
-
[13]
- Les analyses contemporaines de Boserup (1965), qui développe la thèse de l’effet positif de la pression démographique sur l’évolution agraire, corroborent clairement ces observations mercantilistes et le rôle joué par la concentration de la population dans l’apparition d’une agriculture très productive comme ce fut, semble t-il, le cas avec l’agriculture hollandaise...
-
[14]
- Travail à domicile ou à façon fourni par un marchand-fabricant.
-
[15]
- Cf Temple, 1673 (1972) ; Cary, 1695 ; Mun, 1664 (1965).
-
[16]
- Les positions précédentes sont cependant loin d’être unanimes, cf. sur ce point, Clément (2002).
-
[17]
- Lautier (1998) recense trois visions de la pauvreté (s’agissant en particulier du cas des pays d’Amérique latine) : une vision « moderniste-technocratique », où la pauvreté est le signe d’une maladie du corps social ; une vision « assistantielle répressive », caractéristique de la période XVI-XIXe siècle, et une vision caritative qui récuse le fait que le comportement des pauvres est à l’origine de la pauvreté.
-
[18]
- C’est le cas notamment de Boisguilbert qui reste persuadé que la situation de marasme de l’économie française est liée à l’insuffisance de la demande, et à l’excès d’impôts payés par le peuple (1695 [1966], p. 590).
-
[19]
- Cf. notamment Assidon (1992), Fontaine (1994) et Azoulay (2002) pour plus de détails.