Couverture de RTM_183

Article de revue

Vingt ans d'ouverture économique : l'avenir compromis de l'agriculture familiale au nord du Costa Rica

Pages 581 à 602

Notes

  • [*]
    CIRAD-TERA.
  • [**]
    Universidad de Costa Rica y Universidad Nacional.
  • [1]
    Les auteurs remercient le ministère de l'Agriculture et de l'Élevage du Costa Rica qui, dans le cadre de sa collaboration avec le CIRAD, a permis l'accès à de nombreuses informations.
  • [1]
    L'exploitation familiale est caractérisée par des objectifs multiples définis par le producteur et sa famille ; elle mobilise principalement la main-d'œuvre familiale pour les activités agricoles, entretient des liens étroits avec la terre qui est un patrimoine familial. Les producteurs familiaux développent des stratégies variées pour faire face aux changements de leur contexte socio-économique en fonction de leurs objectifs mais aussi de leurs moyens disponibles et de la perception qu'ils ont de leur situation. Les superficies cultivées, les choix des productions, les niveaux d'intensification et les revenus peuvent donc être très variables entre exploitations. L'entreprise agricole à capitaux privés et le propriétaire absentéiste qui n'utilisent que de la main-d'œuvre salariée ne sont pas des exploitations familiales.
  • [1]
    Nom donné aux colonies de petits producteurs installés sur des lots de 5 à 20 ha, aménagés et distribués par l'État.
  • [1]
    Entre 1984 et 2000, années de recensement de la population au Costa Rica, le taux de salariés de la population occupée dans le secteur primaire passe de 48 % à 63 %.
  • [1]
    Valeur ajoutée brute = Produit brut – Consommation intermédiaire.
  • [1]
    Marge brute = Produit brut – Charges variables.
  • [1]
    En 2004, le pays a importé 75 % des haricots et 55 % du riz consommés dans le pays.
  • [1]
    Le nombre d'exploitation, lui, a baissé de 1 %, avec une augmentation des petites exploitations notamment dans les cantons de Upala et Guatuso et une régression des grandes exploitations dans tous les cantons mais particulièrement accentuée dans celui de San Carlos.

1 La région nord du Costa Rica est une zone privilégiée pour étudier l'évolution des agricultures familiales face à la libéralisation, car elle a des spécificités fortes, notamment par rapport à la vallée centrale. Cette dernière, berceau historique du pays, est marquée par l'histoire du café, avec ses petits producteurs et ses grandes exploitations, avec un modèle de développement agricole où les mécanismes de régulation de l'activité caféière, négociés entre l'État et la profession, restent toujours très vivaces. La région nord a une histoire différente. Elle a connu une colonisation récente mettant en place un tissu de petites exploitations et de grandes haciendas. Les interventions de l'État, d'abord pour promouvoir des productions destinées au marché national puis pour faciliter l'accès aux marchés d'exportation, ont favorisé l'émergence de systèmes de production diversifiés. Le climat tropical humide permet une large gamme de productions. Des plaines propices à la mécanisation, l'importance des infrastructures et la facilité d'accès aux ports en font une zone attractive pour les sociétés agro-industrielles. Il est donc intéressant d'observer les tendances actuelles de l'agriculture familiale et de réfléchir sur son devenir dans ce territoire avec de fortes potentialités et aux nombreux avantages comparatifs. Cette réflexion est d'autant plus importante que de nombreux producteurs affichent un doute fort sur son devenir. « Avec les conditions actuelles, dans ma zone, sur 100 jeunes, je peux dire que seulement 10 veulent reprendre l'exploitation de leur père », déclare un représentant de producteurs lors d'un atelier sur l'avenir de l'agriculture familiale de la région (UNICRESE, 2004).

figure im1

2 Pour ce faire, nous analyserons l'évolution de l'agriculture au cours des décennies passées. Les différences entre exploitations [1] et les stratégies variées des producteurs face au changement permettront ensuite d'évaluer les capacités d'adaptation des producteurs et les évolutions de leur nombre.

I. LA COLONISATION, LE RETRAIT DE L'ÉTAT ET LA TRANSNATIONALISATION DE L'AGRICULTURE

La présence paysanne dans un territoire d'haciendas

3 L'essor de l'appropriation foncière et de la colonisation agricole au nord du Costa Rica, dès la fin du XIXe siècle, jusqu'au milieu du XXe, montre une combinaison entre les grands domaines et les exploitations familiales plus modestes. Durant cette période, les premiers colons ont défriché et se sont appropriés des espaces étendus, de quelques centaines ou même quelques milliers d'hectares, consacrés généralement à l'élevage extensif. Mais la région a connu rapidement une installation croissante de petits producteurs s'installant dans les espaces interstitiels, tournés vers une économie d'autosubsistance, vendant souvent leur force de travail aux grands domaines (Sandner et al., 1966). La colonisation agricole s'est accélérée à partir des années 1950, avec une volonté de l'État de valoriser ces terres vierges. La région connaît alors une forte différentiation spatiale. Sur le piémont, plus peuplé car mieux relié à l'intérieur du pays et plus soumis à la fragmentation des domaines par des héritages successifs, la distribution de la terre a été moins inégale que dans les plaines du nord, où les grands domaines prédominaient. La phase de la frontière agricole s'est définitivement achevée vers les années 1980.

4 L'existence de ces grands domaines et la pression montante des paysans sans terre, dans un contexte de politique agraire réformiste ont débouché sur la fondation de nombreux asentamientos[1] par l'Instituto de Desarrollo Agrario (IDA). Les premiers ont été établis en 1963, puis la dynamique de répartition de terres s'est fortement accélérée après 1980 quand l'État costaricien, avec l'appui financier des États-Unis, a promu dans le nord du pays l'installation massive de populations venant surtout de la région centrale et l'essor rapide des infrastructures (routes, électricité, école...) pour favoriser l'intégration de la région à la nation, appuyer la croissance économique régionale et neutraliser ainsi l'extension éventuelle du conflit nicaraguayen sur le sol national. Vers la fin du XXe siècle, cette parcellarisation couvrait plus de 200 000 ha et concernait près de 14 000 familles, en 186 colonies. Cette politique foncière a substantiellement changé la structure agraire régionale.

Difficultés des anciens systèmes de production

5 Jusqu'au début des années 1980, les productions alimentaires (maïs, riz, haricot, tubercules, banane plantain...) et commerciales (café, canne à sucre, lait, viande) progressent grâce aux politiques volontaristes de l'État et à l'appui financier de projets internationaux : l'État améliore rapidement les réseaux de communication, le ministère de l'Agriculture et de l'Élevage fourni une assistance technique forte, le Consejo Nacional de la Producción (CNP) achète le maïs, le haricot et le riz, le secteur bancaire étatique distribue des crédits bonifiés.

6 À partir de 1984, avec la mise en place des programmes d'ajustement structurel, l'État abandonne progressivement une partie de ses fonctions et, dans un contexte de politiques de plus en plus libérales, réduit les subventions aux petits producteurs et diminue les protections douanières à l'importation de certains produits de base (maïs, haricot, riz...). À partir de cette époque, la participation des petits et moyens producteurs à la production agricole commence à diminuer. Avec le retrait du CNP en 1994 de ses activités commerciales, les productions alimentaires sont devenues moins rentables et plus risquées, entraînant une disparition presque complète du maïs, une production erratique du riz et une régression du haricot, qui passe de 28 600 ha cette année-là, à 8 500 ha en 2004 (www.mercanet.cnp.go.cr) ; à l'échelle nationale le nombre de producteurs de haricots passe de 21 500 à 8 000 (J. Salazar, 2002).

7 Certains gros producteurs de grains de base ont continué dans l'activité, notamment quand ils avaient déjà amorti leur matériel et gardé une activité d'élevage pour assurer la stabilité économique de leur exploitation. D'autres se sont tournés vers les produits d'exportation. Les exploitations de taille intermédiaire, ayant toujours conservé une activité d'élevage se sont alors largement recentrées sur leur activité d'origine pour ne conserver qu'une modeste partie de leurs terres en cultures annuelles. Les petits producteurs de grains de base ont par contre pris de plein fouet la crise. Ils se sont souvent tournés vers l'élevage quand ils avaient les moyens d'acquérir les premiers animaux et d'installer les premiers pâturages, conservant parfois une production modeste de produits vivriers pour la vente. Ainsi, l'élevage est resté au cours du temps une production dominante dans la région et un élément de stabilité malgré certaines crises liées à la variation des prix sur les marchés internationaux.

TABLEAU 1

Caractéristiques de l'élevage dans la région Huetar Norte en 2000

Gua
tuso
Upala San
Carlos
Los
Chiles
Sara
piquí
Total
ha pâturage
% surface pâtu
rage / pâtu
rage + culture
Nombre éleveurs Nombre têtes de
bétail bovin
Nombre de tête/ha
pâturage
36 270 
97 
1 120 
42 570 
1,2 
59 060 
91 
1 850  61 380  1,0 
132 600 
85 
3 970 
182 680 
1,4 
38 020 
58 
780 
47 030 
1,3 
81 900 
92 
2 150 
67 240 
0,8 
347 850 
84 
9 870  400 900 
1,2 
figure im2

Caractéristiques de l'élevage dans la région Huetar Norte en 2000

Censo Ganadero, 2000.

8 Néanmoins une partie significative de grands, mais aussi de petits producteurs comme ceux des asentamientos, ont dû vendre leurs terres aux entreprises productrices d'oranges, d'ananas ou de bois d'œuvre, et émigrer. Ceux qui avaient de grandes surfaces ont quitté l'agriculture avec un capital leur permettant une bonne insertion dans d'autres secteurs de l'économie nationale, les autres sont partis grossir les rangs des classes défavorisées des villes.

TABLEAU 2

Surface (ha) des cultures dites « traditionnelles » dans la région Huetar Norte en 2000

Culture/canton Gua
tuso
Upala San
Carlos
Los
Chiles
Sara
piquí
Total
Haricot
Riz
Maïs
Canne à sucre Café
Total
320 
70 



390 
320 
530 
380 
10 
200 
1 440 
2 610 
1 120 

6 580 
440 
10 750 
10 000 
5 000 
330 
130 

15 460 

300 



300 
13 250 
7 020 
710 
6 720 
640 
28 340 
figure im3

Surface (ha) des cultures dites « traditionnelles » dans la région Huetar Norte en 2000

SEPSA, Secretaría Ejecutiva de Planificación Sectorial Agropecuaria (communication aux auteurs).

9 Aujourd'hui la mise en place probable du Traité de libre commerce avec les États-Unis ravive les craintes autour de l'ouverture croissante des marchés des produits agricoles de base et donc d'une concurrence majeure avec les produits importés. L'expérience de la participation mexicaine dans le TLC nord-américain montre la destruction de trois emplois pour chaque emploi créé par la libéralisation (Audley et al, 2003).

Une spécialisation dans les produits d'exportation

10 À partir des années 1980, en même temps que l'État réduisait son appui à la production pour la consommation nationale, il commençait à promouvoir des cultures d'exportation non traditionnelles, dans le cadre du programme appelé agricultura de cambio. Ce programme visait deux objectifs complémentaires : transformer les systèmes de production de polycultures traditionnelles en systèmes spécialisés et intensifs centrés sur des productions d'exportation, introduire de nouvelles cultures liées aux entreprises agro-industrielles exportatrices.

11 Les résultats on été divers. Les producteurs ont vécu quelques expériences douloureuses, souvent parce que les marchés se sont retournés brutalement (caña india, cardamone...), ou parce que les techniques de production n'étaient pas au point (cacao...), laissant de nombreux producteurs et organisations en état de faillite. Mais des succès plus durables ont été enregistrés, comme par exemple avec la production de plantes ornementales, d'ananas ou de cœurs de palmier, qui concernent aujourd'hui un pourcentage important de petits et moyens producteurs (cf. tableau 6). Pour répondre aux besoins du marché, ces derniers ont adopté de nouvelles techniques (variétés améliorées, utilisation d'intrants, mécanisation...) et créé de nouvelles organisations pour transformer les produits et les commercialiser. La participation des petits producteurs aux marchés d'exportation reste cependant conditionnée par leur capacité d'investissement, l'accès à l'information et l'organisation de la commercialisation.

TABLEAU 3

Surfaces (ha) des nouvelles cultures d'exportation de la région Huetar Norte en 2000

Culture Gua
tuso
Upala San
Carlos
Los Chiles Sara
piquí
Total
Manioc
Autres tubercules
Banane plantain
Ananas
Cœur de palmier
Orange
Noix de cajou
Plantes ornementales
150 
140 
80 
180 
60 
20 

90 
440 
290 
30 
1 520 
900 
1 180 
3 940 
560 
520 
3 300 
1 270 
1 390 
10 
660 
600 
940 


0  11 000 

10 
350 
240 
290 
1 500 
4 310 


180 
5 130 
2 320 
1 180 
5 010 
7 160 
13 310 
1 190 
850 
Total
% culture exporta
tion / culture exporta
tion + culture
traditionnelle
630 
62 
4 450 
76 
11 650  52  12 540  44  6 870 
96 
36 150 
56 
figure im4

Surfaces (ha) des nouvelles cultures d'exportation de la région Huetar Norte en 2000

SEPSA (communication aux auteurs).

12 Cependant, l'expansion de la plupart des cultures non traditionnelles (ananas, banane, orange, bois d'œuvre) est partiellement le fait des plus gros producteurs, souvent anciens éleveurs reconvertis dans l'agriculture, mais surtout des firmes agro-industrielles à capitaux majoritairement étrangers (États-Unis, Mexique, Colombie, Europe) qui produisent et exportent. Dans ce contexte, une proportion variable, quoique secondaire, de petits producteurs bénéficie de la proximité de ces firmes (existence de réseaux de distribution d'intrants et de commercialisation des produits, contrats avec les firmes...). Mais les relations entre les firmes et les exploitations familiales sont inégales en termes de pouvoir de négociation, complexes en termes de respect des clauses contractuelles, et souvent instables dans le temps. Dans le cas de l'orange, elles sont presque inexistantes, les propriétaires sont absentéistes et les travailleurs sont des migrants étrangers mal rémunérés. Dans le cas de l'ananas, elles concernent de plus en plus les plus gros producteurs familiaux capables de répondre plus aisément aux exigences des firmes et des marchés d'exportation. Dans le cas de la canne à sucre, elles restent fortes et dépendantes d'accords internes à la filière, régulés par la loi.

TABLEAU 4

Répartition des terres cultivées en 2004 entre agricultures familiales et entreprises

Type
de producteur
Tubercules Grains
de base
Ananas Orange Canne
à sucre
Autres Total
Ha % Ha % Ha % Ha % Ha % ha % Ha %
Producteurs
familiaux
Entreprises natio
nales et inter
nationales
6 000 75 
2 000 25 
15 000 94 
1 000 6 
1 500 14 
9 500 86 
500 3 
16 500 97 
3 000 50 
3 000 50 
7 000 78 
2 000 22 
33 000 49 
34 000 51 
Total 8 000 100  16 000 100  11 000 100  17 000 100  6 000 100  9000 100  67 000 100 
figure im5

Répartition des terres cultivées en 2004 entre agricultures familiales et entreprises

SEPSA (communication aux auteurs), Censo regional de frutas y raíces tropicales 2005, UNICRESE, 2004.

Vers une nouvelle concentration foncière et productive

13 Depuis les années 1990, après la grande période de distribution des terres par l'Instituto de Desarrollo Agrario, la structure foncière du Nord du Costa Rica a fortement évolué à la suite de phénomènes contradictoires. La cession, la location, la vente ou simplement l'abandon de nombreuses parcelles d'asentamientos par des colons qui ont quitté l'agriculture après les crises successives ont compliqué la question foncière. En l'absence de chiffres officiels, les techniciens du ministère de l'Agriculture chargés des asentamientos évoquent des taux de départ de colons variant de 20 % dans les zones d'agriculture dynamique, à 70 % dans les zones les plus pauvres. D'autre part, la fragmentation foncière liée aux héritages a fortement diminué la proportion des grands domaines familiaux et menace la viabilité économique d'un nombre croissant d'exploitations. Enfin, la constitution de grands domaines fonciers appartenant à des firmes agro-industrielles, destinés aux plantations d'orange, d'ananas et de banane, se poursuit. Depuis les années 1980, on peut estimer que les firmes privées ont racheté près de 10% des terres agricoles (cultures et pâtures) issues de grands domaines d'élevage ou de petites et moyennes exploitations. Ces firmes exploitent plus de 50 % des terres cultivées de la région.

14 La pression sur la terre, liée aux achats par les sociétés agro-industrielles des fermes en difficulté ou sans successeurs, provoque des hausses de prix du foncier agricole qui varient entre 2 000 et 6 000 $/ha, suivant la localisation, la proximité d'infrastructures (routes, communication...) et la fertilité de la terre. Cette hausse du foncier encourage à son tour la vente partielle ou complète des exploitations de la part de producteurs tentés de quitter l'agriculture et d'émigrer en mobilisant un capital financier substantiel.

15 En même temps qu'un accroissement de la concentration foncière et de la production, la région connaît un processus de différenciation sociale. Comme dans l'ensemble du Costa Rica, elle voit baisser le poids relatif des personnes liées directement à l'agriculture, avec un nombre croissant de ruraux cherchant des emplois dans d'autres secteurs et plutôt dans les villes. Mais le fait le plus frappant est la diminution, à partir des années 1980, des agriculteurs familiaux par rapport aux travailleurs salariés dans l'agriculture (Rodríguez, 2005) [1], liée à l'extension des plantations industrielles, avec des niveaux de rémunération très souvent en dessous du minimum légal horaire (un peu moins d'un dollar par heure), du fait de la présence de main-d'œuvre immigrée, d'origine nicaraguayenne, non déclarée. Aussi, malgré la hausse de la production et des profits des entreprises, les effets sur le développement régional sont-ils faibles.

II. LES STRATÉGIES DES PRODUCTEURS FACE AU CHANGEMENT

16 Les producteurs familiaux représentent plus de 95 % des producteurs de la région nord et couvrent moins de 50 % des terres cultivées. En l'absence d'un recensement récent, le ministère de l'Agriculture estime le nombre de producteurs à 22 000. En tenant compte des départs dans les asentamientos non enregistrés officiellement, on peut évaluer à 18 000 le nombre de producteurs familiaux. Les autres sont soit des entreprises privées nationales ou étrangères qui investissent dans l'agriculture d'exportation sur de grands domaines (environ 100 à 2 000 ha), soit des propriétaires absentéistes qui ont hérité d'un domaine familial (environ 200 à 500 ha) et qui maintiennent une activité agricole, avec de l'élevage extensif ou des plantations forestières, en faisant uniquement appel à de la main-d'œuvre salariée.

17 Divers diagnostics récents sur les systèmes de production dans différentes communautés rurales (Ribeyre, 2004 ; Veerabadren 2005) ou plus anciens (Sandner, 1966 ; Girot, 1989), et une analyse menée entre 2003  et 2005 par un groupe d'organisations paysannes sur l'évolution de l'agriculture familiale dans la région (Faure et al, 2005 ; UNICRESE, 2004) mettent en évidence des réactions contrastées des agriculteurs face aux changements, que l'on peut répartir en cinq catégories. Un premier groupe affiche une volonté d'adaptation aux conditions du marché en se lançant dans de nouvelles productions d'exportation et fait confiance à ses capacités de relever le défi de l'ouverture économique. Un deuxième groupe témoigne de ses facultés de moderniser les systèmes de production mais est soucieux du futur. Un troisième groupe privilégie l'autonomie et considère comme nécessaire de repenser les systèmes de production, d'identifier de nouvelles activités agricoles et non agricoles, de mieux gérer les ressources naturelles. Un quatrième estime possible une adaptation des systèmes de production sans une remise en question fondamentale de l'organisation et du mode de vie. Un dernier groupe éprouve des difficultés pour s'adapter aux changements et cherche à défendre les modèles anciens ou à quitter l'agriculture.

Groupe 1 : l'exportation et le pari de la compétition internationale

18 Ces producteurs misent sur l'agricultura de cambio et s'orientent vers une spécialisation de leurs productions sur des marchés d'exportation comme l'ananas, le cœur de palmier, les plantes ornementales, le manioc, la banane plantain, le poivre... Ils mettent en œuvre des systèmes de culture relativement intensifs, avec des coûts de production élevés liés à l'utilisation d'intrants et à l'emploi de main-d'œuvre occasionnelle. Étant donné la forte valeur ajoutée des productions, les exploitations peuvent avoir des surfaces cultivées très variables (de 1-3 ha jusqu'à 20-30 ha). Les systèmes sont généralement peu diversifiés, voire en monoculture, et s'appuient sur la présence d'une filière organisée forte. Les producteurs ont acquis la maîtrise de la conduite d'une production et la production agricole pour l'alimentation de la famille disparaît de leurs préoccupations. Les revenus agricoles peuvent être importants quand les prix sur le marché international sont élevés. En 2004, les producteurs familiaux engagés dans l'exportation d'ananas de la variété MD-2, qui bénéfice d'un contexte international exceptionnel, ont dégagé une valeur ajoutée brute [1] de 20 000 $/ha avec 4 500 $/ha en consommation intermédiaire (Veerabadren 2005). Une enquête sur les revenus des exploitations (UNICRESE, 20004) indique que le revenu moyen par actif des petits producteurs de plantes ornementales, environ 9 000 $/an, est entre 5 et 10 fois supérieur à celui des petits producteurs engagés dans les productions alimentaires. Mais les faillites sont fréquentes quand les retournements du marché sont violents, comme c'est le cas régulièrement (crise du cœur de palmier et du manioc en 1998, crise de l'ananas en 1999...).

19 L'organisation de la commercialisation des producteurs petits et moyens reste le grand défi pour pouvoir fournir aux clients des produits de qualité, en volumes suffisants et avec régularité, et donc pour pouvoir se maintenir dans le marché. Or à l'heure actuelle, s'il existe bien quelques organisations de producteurs reconnues dans ce domaine, elles ne regroupent qu'une faible partie d'entre eux et nombre d'entre elles connaissent des difficultés organisationnelles et financières. La commercialisation peut également s'effectuer dans le cadre de contrats avec des entreprises exportatrices, ce qui peut être une solution avantageuse pour rester dans le marché mais ne concerne souvent que les producteurs les plus performants pour limiter les coûts de transaction. Une grande partie de la commercialisation reste encore aux mains d'intermédiaires, ce qui fragilise la position du producteur (prix moins avantageux, accès limité à l'information...).

20 Mais la mise en place actuelle de systèmes de normes de production, exigés par les acheteurs privés (EUREPGAP en Europe) ou les États (loi sur le bio-terrorisme aux États-Unis) engendrent un processus de sélection des producteurs en accroissant les exigences de qualité et les coûts. Cette évolution laisse planer des craintes sérieuses sur le maintien d'une partie de ces producteurs dans les activités d'exportation alors que ce type de productions est certainement appelé à se développer, provoquant un phénomène de concentration des terres, principalement par le biais des entreprises privées ou des exploitations les plus performantes. Le risque d'exclusion du marché est plus fort quand le producteur n'a pas de relation avec une structure d'exportation (organisations de producteurs, entreprises productrices et/ou exportatrices).

21 Le cas des producteurs de l'association APROPIÑA illustre cette situation, dans un contexte où de nombreux clients exigent, ou sont en passent d'exiger une certification EUREPGAP de la part des exploitations ; elle implique des investissements nouveaux (hangar, toilettes...), un effort de formation (usage des pesticides...), une modification des pratiques agricoles (respect de principes pour assurer l'innocuité des récoltes, tenue de registres pour garantir une traçabilité des produits...) et le respect de certaines normes environnementales et du droit du travail. Une typologie de ces producteurs (Veerabadren, 2005) montre l'ampleur des changements auxquels ils doivent faire face. Sur 200  membres, 70 % sont concernés par l'exportation. Sur ces 70 %, 10 % peuvent s'adapter sans difficultés majeures, 40 % le pourront seulement s'ils obtiennent des appuis en matière de financement et formation, et 20 % ne pourront pas s'inscrire dans ce nouveau cadre.

Groupe 2 : la modernisation dans le cadre d'une production pour le marché national

Les céréales et protéagineux : une crise grave

22 À l'heure actuelle, la grande majorité de la production de haricot et de riz est le fait d'exploitations qui possèdent entre 30 et 300 ha et qui combinent l'élevage extensif de bovins pour la viande et l'agriculture, avec parfois des plantations d'oranges ou de bois d'œuvre, afin de répartir les risques en cas de mauvaises récoltes. Elles possèdent leur propre matériel agricole, souvent acquis durant la période faste des grains de base, font appel à de la main-d'œuvre salariée, utilisent largement les intrants chimiques, peuvent contracter des prêts auprès des banques commerciales. Les coûts de production peuvent être élevés, avoisinant 1 000 $/ha, et la marge brute [1] reste modeste, avoisinant également 1 000 $/ha (Ribeyre, 2004).

23 Les plus petits producteurs (5 à 30 ha) louent le matériel, mobilisent leur main-d'œuvre familiale et achètent des intrants en fonction de leurs disponibilités financières. Les coûts de production peuvent varier de 100 à 200 $/ha et la marge brute de 200 à 400 $/ha (Ribeyre, 2004 ; UNICRESE, 2004). Ces producteurs sont souvent issus des asentamientos et persistent dans la production de haricot, complétée par quelques animaux et d'autres cultures comme les tubercules, car ils n'ont pas les moyens d'investir dans d'autres activités qui nécessitent un capital de départ. Une grande partie d'entre eux travaillent comme journaliers dans les grandes exploitations et dans les plantations industrielles. Les plus démunis ont souvent vendu ou loué leurs terres.

24 Pour subsister dans l'activité, les producteurs doivent augmenter leur rendement et baisser leurs coûts de production pour pouvoir être compétitifs par rapport aux produits importés [1]. Cette évolution nécessaire est subie par les producteurs de grains de base qui, au travers de leurs organisations de producteurs (Cámara de los Granos Básicos, Corporación Nacional de Arroz...), négocient avec le secteur privé des mécanismes contractuels de vente de leurs produits et avec le gouvernement un contrôle partiel des importations. Ces mécanismes de protection disparaîtront totalement, dans dix à vingt ans suivant les produits, après la mise en œuvre du Traité de libre commerce, conduisant à la très probable élimination de ces productions. La plupart des plus grandes exploitations disposant d'un capital important pourront se reconvertir, la majorité des plus petites disparaîtront.

Le lait : un secteur qui améliore sa compétitivité

25 Le piémont des montagnes de la région nord (300 à 1 000 m d'altitude) abrite des exploitations d'élevage laitier (10 à 50 ha, environ 20 % des éleveurs de la région, cf. CORFOGA, 2000). Elles misent sur l'intensification de leur production (pâturages tournants, espèces fourragères améliorées, alimentation à base de concentrés) permettant d'obtenir une production de lait d'environ 10 à 25 l/vache/jour. Ces unités sont liées à des entreprises privées, dont la puissante coopérative nationale Dos Pinos, qui transforment et commercialisent des produits dérivés du lait. S'observe alors une sélection progressive des producteurs afin de conserver ceux qui peuvent garantir une production de qualité qui respecte les normes d'hygiène fixées par la coopérative, et un volume important et régulier qui justifie les coûts de stockage à la ferme et de transport à la laiterie.

26 Les producteurs se sont engagés dans un processus pour améliorer leur productivité dans un contexte compétitif qui s'accompagne de l'exclusion des exploitations ne pouvant pas investir ou supporter les aléas d'une mauvaise année. Ce changement est revendiqué par les producteurs de lait et les organisations professionnelles (Dos Pinos, Cámara Nacional de los lecheros) qui font le pari que le futur Traité de libre commerce prévoyant une réduction des protections du secteur ne leur sera pas fatal. À l'échelle du Costa Rica, le nombre de producteurs de lait est passé de 34 500 en 1984, à 15 100 en 2000 (Villegas, 1989 ; censo ganadero, 2000). Certains disparaissent, d'autres changent de système de production, comme ceux de la partie sud de la région qui se lancent dans la culture de l'ananas.

Groupe 3 : la recherche de nouveaux modes de production alternatifs

27 De nombreux producteurs estiment que le modèle de l'agricultura de cambio, qui repose sur l'essor de nouvelles cultures conduites selon un modèle technique intensif, n'est pas adapté car il comporte trop de risques, qu'il peut conduire à l'exclusion de l'activité agricole, et qu'il soulève de nombreuses questions en matière d'impacts environnementaux. Ils sont à la recherche de solutions originales et sont porteurs de valeurs différentes, souvent issues d'une réflexion avec des acteurs extérieurs au milieu rural : l'agriculture est un projet de vie qui doit permettre de dégager des revenus décents mais doit aussi se soucier de durabilité à travers des actions de protection des ressources naturelles et de promotion du développement de la communauté. Ces situations concernent des exploitations petites à moyennes (5 à 30 ha), avec des systèmes de production diversifiés, combinant plusieurs productions végétales, des arbres et très souvent de l'élevage bovin. Un souci est affiché pour conserver ou retrouver une capacité à produire sur la ferme les aliments propres à nourrir la famille et les intrants nécessaires au processus de production (engrais organiques, fourrage pour le bétail...). La quête de l'autonomie est un objectif prioritaire.

28 Les systèmes de production mis en œuvre sont souvent complexes, se fondant sur une maîtrise fine des processus biologiques. Les connaissances mobilisées sont issues d'échanges entre producteurs à travers des réseaux informels et des appuis d'intervenants extérieurs (institutions publiques, ONG, projets...). Les producteurs de l'agriculture organique s'inscrivent dans ce courant, mais la plupart des producteurs revendiquent plutôt une gestion limitée et raisonnée des intrants chimiques.

29 La recherche d'alternatives ne s'arrête pas à la production mais concerne aussi d'autres mécanismes de commercialisation à travers la transformation à la ferme des produits, la vente directe aux consommateurs ou le commerce équitable. Dans cette perspective, une diversification des revenus est également poursuivie à travers d'autres activités comme le tourisme rural, qui connaît un essor certain dans la région.

30 Même si ce type d'exploitation est amené à se développer fortement, plusieurs difficultés doivent être relevées. D'une part les solutions alternatives présentent des perspectives de développement limitées à moyen terme. Les organisations paysannes de la région nord indiquent, dans une réflexion sur le devenir de l'agriculture familiale (UNICRESE, 2004), un objectif de 500 producteurs en cinq ans en agriculture organique, chiffre à comparer avec les 18 000 producteurs que compterait la région. Ce pronostic prudent tient compte des difficultés de cette filière : techniques encore non maîtrisées pour de nombreux produits, certification coûteuse, difficulté d'organisation collective d'une nouvelle filière. Dans le cas du tourisme rural, l'objectif visé de 500 familles prend en compte les difficultés d'investissement et l'importance de la formation pour développer ce type d'activités.

31 D'autre part, les choix techniques effectués sont exigeants en travail afin d'assurer une plus grande autonomie de l'exploitation, mais les revenus restent généralement modestes, même si la diversité des productions assure leur régularité. Dans ce contexte, la succession est difficile car les enfants ont souvent d'autres projets de vie.

Groupe 4 : le maintien des systèmes de production anciens

La canne à sucre : un secteur protégé

32 Il existe un secteur ancien qui continue à se développer de manière significative. Les producteurs de canne à sucre conservent une organisation de la filière puissante avec un système de quota de production par usine et par type de producteur. Actuellement, les trois usines de traitement de la canne dans la région s'approvisionnent pour moitié à partir de leurs propres récoltes et pour moitié en achetant aux producteurs de canne. Des prix stables et négociés avec l'État ont facilité l'investissement dans l'équipement agricole et le développement d'une culture intensive. La très grande majorité ne cultivent que de la canne à sucre, environ 5 % d'entre eux sèment d'autres cultures d'exportation et 10 % possèdent également un cheptel bovin. Le Traité de libre commerce est vu par la profession comme une chance puisque des quotas nouveaux d'exportation ont été obtenus. Cependant un effort de rationalisation des coûts de production de la part des usines tend à éliminer les plus petits producteurs qui perdent progressivement leurs droits à produire au profit des plus grands.

L'élevage bovin lait-viande : une nécessité d'évolution pour répondre aux nouvelles exigences

33 Une très grande partie des producteurs de la région misent sur une stabilité de leurs revenus à travers l'élevage. Les exploitations de taille petite à moyenne (10 à 50 ha) représentant la grande majorité des éleveurs de la région, sont issues soit de la fragmentation de grands domaines, soit de l'installation de paysans par l'IDA. Ce modèle s'est développé surtout dans les cantons de Guatuso (+ 45 % d'exploitations d'éleveur entre 1994 et 2000, censo ganadero, 2000) et Upala (+ 20 %), en réponse à la crise des productions vivrières. Les systèmes d'élevage bovin ont un double objectif de production de viande (veau ou embouche) et de lait transformé à la ferme en fromage. Ils associent le plus souvent un petit élevage de porcs, alimentés par le petit lait issu de la fabrication du fromage, et d'autres productions végétales pour la consommation familiale ou pour la vente. Les producteurs sont très peu organisés et tous les produits sont commercialisés à travers des réseaux traditionnels et par des intermédiaires.

34 Ce modèle, peu productif (5 à 10 l/vache/jour), plus intensif en travail, exige peu d'investissements, engendre peu de charges de production (produits vétérinaires, un peu d'aliments du bétail), qui varient entre 50 $ et 100 $/bovin/an, et assure des revenus modestes mais stables dans le temps, entre 1 000 et 3 000 $/actif/an (Ribeyre, 2004 ; UNICRESE, 2004). Son avenir reste confronté à la capacité d'adaptation des producteurs face aux exigences croissantes du ministère de la Santé, s'appuyant sur une demande de plus en plus forte des consommateurs, pour une production de fromages respectant des règles sanitaires toujours plus strictes. Il passe également par un effort d'organisation collectif pour promouvoir des fromages reconnus par les consommateurs (marque, appellation d'origine...) afin d'affronter l'ouverture progressive du marché des produits laitiers. Mais les organisations paysannes expriment des positions encore plus préoccupantes (UNICRESE, 2004) car peu de jeunes veulent continuer sur ce type d'exploitation engendrant des revenus jugés insuffisants.

Groupe 5 : la difficulté à promouvoir l'adaptation

35 Les difficultés d'adaptation au changement ne sont pas obligatoirement liées à la taille de l'exploitation mais également aux projets familiaux des individus.

L'élevage extensif : un capital foncier sous-valorisé

36 Les plus grandes exploitations (50 à 500 ha), issues de l'époque de la colonisation agricole, sont généralement engagés dans un système d'élevage bovin-viande extensif (moins d'une tête/ha) et ont été confrontés à des crises régulières, notamment dans les années 1980 quand le prix de la viande a chuté fortement, qui ont débouché sur des ventes importantes de terre acquises par les entreprises privées pour des plantations industrielles ou par l'IDA pour installer des petits producteurs. Si environ la moitié de ces producteurs se sont diversifiés au travers de l'agriculture (ananas, manioc...), une grande partie d'entre eux persistent dans l'élevage extensif sans grands changements techniques car les coûts de production sont faibles (pas d'intrants, peu de machines, peu de main-d'œuvre) et permettent des revenus réguliers.

37 Ce système d'élevage bovin-viande extensif, qui valorise mal le capital foncier, perd progressivement de la vitesse : entre 1994 et 2000, le cheptel bovin de la région a diminué de 21 % (censo ganadero, 2000)  [1]. C'est ainsi que certains producteurs se retirent progressivement de l'activité agricole et investissent dans la plantation d'arbres pour le bois d'œuvre ou tout simplement laissent leurs pâturages en recru forestier tout en bénéficiant éventuellement d'aide pour la reforestation à travers du Fondo Nacional de Financiamiento Forestal. D'autres enfin, n'ayant pas d'enfants pour reprendre la succession, attendent la retraite pour vendre leurs terres à une entreprise. Les plus grands propriétaires fonciers représentent cependant une force sociale importante qui défend ses intérêts à travers son insertion dans la vie politique et ses organismes professionnels (Cámaras de los Ganaderos...). Mais les possibilités de vente de terres à des prix attractifs aux transnationales et les perspectives du Traité de libre commerce, qui prévoit la disparition des protections douanières en quinze ans pour la viande, fait planer de très grosses incertitudes sur ce système de production.

TABLEAU 5

Exemples de résultats économiques par type de systèmes d'élevage dans le canton de Los Chiles

figure im6

Exemples de résultats économiques par type de systèmes d'élevage dans le canton de Los Chiles

Les asentamientos : un futur très incertain

38 Il existe une autre catégorie de producteurs en crise. Les petits producteurs des asentamientos installés par l'IDA, dans les zones éloignées où n'existent pas de cultures à forte valeur ajoutée, développent des systèmes de production associant dans des proportions variables quelques bêtes, des productions végétales (tubercules, haricot...) pour la vente et l'autoconsommation. Les faibles ressources financières limitent leurs capacités d'investissement dans des activités nouvelles. Les faibles superficies ne permettent que difficilement la mise en œuvre d'un système d'un élevage engendrant des revenus décents. Les revenus agricoles annuels de ce type d'exploitation sont souvent inférieurs au salaire minimum au Costa Rica qui est d'environ 150 $/mois (D. Ribeyre, 2004), ce qui explique que la plupart d'entre eux recherchent un travail à l'extérieur, que les asentamientos se vident et que les terres soient partiellement cultivées.

39 Finalement, une des stratégies pour les plus démunis ou les producteurs en crise reste l'émigration. Avec un marché de la terre qui tire les prix vers le haut, ces producteurs peuvent partir avec un capital non négligeable pour tenter leur chance en ville ou aux États-Unis. Les évaluations du Centre centro-américain de population prévoient une baisse de la population dans 15 districts, sur les 35 que compte la région, entre 2000 et 2010 (www.ccp.ucr.ac.cr).

III. DÉFIS ET PERSPECTIVES DES EXPLOITATIONS FAMILIALES

40 Le tableau suivant synthétise les résultats présentés dans la typologie des exploitations.

41 Une réflexion menée par une trentaine d'organisations paysannes, entre 2003 et 2005, sur l'état actuel et l'avenir de l'agriculture familiale dans la région Huetar Norte (UNICRESE, 2004) a permis d'ébaucher deux scénarios pour l'agriculture familiale qui prévoient tous les deux une régression de l'agriculture familiale dans les 10 ans à venir. Le scénario pessimiste correspond à : (i) une application stricte du Traité de libre commerce ; (ii) un retrait continu des appuis de l'État ; (iii) une croissance économique forte dans les autres secteurs favorisant l'émigration, notamment des jeunes. Le scénario optimiste envisage un retrait plus limité de l'agriculture familiale à condition d'avoir : (i) une croissance significative des marchés alternatifs ; (ii) la reconnaissance d'une agriculture pluri-fonctionnelle pouvant bénéficier d'appuis spécifiques ; (iii) une application plus flexible des normes à l'exportation.

42 Cette réflexion a également permis de caractériser les forces et faiblesses des exploitations face aux changements. Les organisations paysannes considèrent que la plupart des catégories d'exploitations connaîtront une baisse des effectifs qui pourrait être très forte dans certains cas. Seule la catégorie des exploitations qui envisagent des voies alternatives de développement pourraient s'accroître significativement dans le futur. Il serait utile de pouvoir évaluer quantitativement ces évolutions pour mieux programmer les appuis à l'agriculture.

CONCLUSION

43 La région Huetar Norte est soumise à des changements importants que montre bien l'analyse historique. La libéralisation fait entrer l'agriculture familiale dans une nouvelle ère, largement assumée par un gouvernement qui sacrifie une partie de sa paysannerie pour miser sur le développement de la production agro-industrielle et celui du secteur des services. La crise des asentamientos et la nouvelle concentration foncière signent les limites de la réforme agraire menée par l'IDA depuis des décennies. L'importation croissante de produits vivriers a conduit de nombreux producteurs à la faillite. Les nouvelles cultures d'exportation augmentent le niveau de risques et favorisent les exploitations les plus dotées en moyens de production.

figure im7

44 Une partie seulement des exploitations familiales pourront s'adapter aux exigences de la libéralisation. Nombre d'entre elles devront délaisser l'agriculture pour essayer de trouver une autre activité. La question reste posée du devenir des producteurs les plus pauvres qui vont grossir de le flot de l'émigration. Mais au-delà, il s'agit de réfléchir sur « quelle agriculture pour la société costaricienne ? ». Sans rejeter l'ouverture économique, peut-on imaginer un développement différent ?

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

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Notes

  • [*]
    CIRAD-TERA.
  • [**]
    Universidad de Costa Rica y Universidad Nacional.
  • [1]
    Les auteurs remercient le ministère de l'Agriculture et de l'Élevage du Costa Rica qui, dans le cadre de sa collaboration avec le CIRAD, a permis l'accès à de nombreuses informations.
  • [1]
    L'exploitation familiale est caractérisée par des objectifs multiples définis par le producteur et sa famille ; elle mobilise principalement la main-d'œuvre familiale pour les activités agricoles, entretient des liens étroits avec la terre qui est un patrimoine familial. Les producteurs familiaux développent des stratégies variées pour faire face aux changements de leur contexte socio-économique en fonction de leurs objectifs mais aussi de leurs moyens disponibles et de la perception qu'ils ont de leur situation. Les superficies cultivées, les choix des productions, les niveaux d'intensification et les revenus peuvent donc être très variables entre exploitations. L'entreprise agricole à capitaux privés et le propriétaire absentéiste qui n'utilisent que de la main-d'œuvre salariée ne sont pas des exploitations familiales.
  • [1]
    Nom donné aux colonies de petits producteurs installés sur des lots de 5 à 20 ha, aménagés et distribués par l'État.
  • [1]
    Entre 1984 et 2000, années de recensement de la population au Costa Rica, le taux de salariés de la population occupée dans le secteur primaire passe de 48 % à 63 %.
  • [1]
    Valeur ajoutée brute = Produit brut – Consommation intermédiaire.
  • [1]
    Marge brute = Produit brut – Charges variables.
  • [1]
    En 2004, le pays a importé 75 % des haricots et 55 % du riz consommés dans le pays.
  • [1]
    Le nombre d'exploitation, lui, a baissé de 1 %, avec une augmentation des petites exploitations notamment dans les cantons de Upala et Guatuso et une régression des grandes exploitations dans tous les cantons mais particulièrement accentuée dans celui de San Carlos.
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