Notes
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[*]
Socio-économiste, CNRS, UMR ADES, Pessac. Les enquêtes qui ont servi de base pour cet article ont été financées par le CNRS et l'IRD (UR 23). Je remercie les deux rapporteurs anonymes pour leur lecture attentive.
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[1]
Ce dernier facteur ne participe pas directement à la décentralisation examinée ici, c'est-à-dire les affirmations régionales en matière de politiques économiques, et ne sera donc pas développé.
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[1]
Le Congrès, le principal mouvement de libération nationale, s'est transformé en parti politique en 1947 à l'indépendance de l'Inde, regroupant dans son sein l'essentiel des forces s'opposant à la colonisation.
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[2]
L'agence de cotation Moody's a baissé la notation de l'Inde, précipitant une réaction chez ses créditeurs.
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[1]
Les contrôles sur les importations ont été maintenus pour un nombre relativement important de biens de consommation.
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[1]
World Bank (1997, 19).
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[2]
Voir, par exemple en langue française, le n° 165 de la Revue Tiers Monde, janvier-mars 2001 : La libéralisation économique en Inde : inflexion ou rupture ?
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[3]
La performance du secteur agricole continue à exercer une influence considérable sur le taux de croissance du PIB. Sa part dans le PIB est cependant en diminution, passant de 38% en 1980, à 31 % en 1990. En 2001, elle contribuait pour 24,7 % au PIB, l'industrie pour 26,4 % et les services pour 48,8 %.
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[4]
La coalition dépend du soutien des deux principaux partis communistes, qui ne participent pas directement au gouvernement, mais lui apportent leur soutien « de l'extérieur ». Les communistes ont réalisé leur meilleur score historique au Parlement (62 sièges) et deviennent ainsi la troisième force politique, après le Congrès et le BJP.
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[1]
Le discours du premier ministre est disponible en ligne : http://pmindia.nic.in/speeches.htm, ainsi que la charte politique de la coalition au pouvoir, appelé le « Common Minimum Programme » : http://pmindia.nic.in/cmp.htm.
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[1]
En 2000, à l'initiative de l'État central, les États ont consenti l'abandon des incitations fiscales dans leurs stratégies industrielles, en faveur des taux d'imposition communs.
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[2]
Sur l'implantation de Ford au Tamil Nadu, voir Subramanian (1996).
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[3]
Chakravorty (2000).
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[4]
Ce constat est toutefois difficile à confirmer dans la mesure où il n'y a pas encore eu d'étude comparative systématique des réponses des États aux réformes. Quelques études de cas récentes visent à combler ce manque : Sinha (2004), sur le Gujarat et le Bengale occidental, et Kennedy (2004), sur l'Andhra Pradesh et le Tamil Nadu.
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[1]
Il existe une vaste littérature en anglais sur les relations fédérales en Inde. Pour une synthèse en français des principaux débats, voir Kennedy (1996).
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[2]
Les partis communistes fonctionnent de facto comme des partis régionaux dans les trois États où ils dominent (le Bengale occidental, le Kerala et le Tripura).
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[3]
En revanche, l'autonomie régionale n'a pas été un facteur de mobilisation politique dans la vaste région hindiphone du nord de l'Inde ; les formations récentes, comme les Samajwadi Party et le Bahujan Samaj Party, se focalisent plutôt sur des questions de justice sociale.
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[1]
Appelée la Commission Sarkaria. Les rapports soumis par les gouvernements régionaux, ainsi que des partis politiques, constituent une source très riche d'information. Voir surtout t. II, Government of India, 1987.
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[1]
Voir Jaffrelot (2003).
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[2]
Les groupes défavorisés se sont mobilisés beaucoup plus tôt dans le sud de l'Inde, et ils militent dans les partis qui se disputent le pouvoir.
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[1]
La raison en était le refus des dirigeants du BJP de renverser le gouvernement régional au Tamil Nadu, mené alors par le DMK, le parti rival de L'ADMK.
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[1]
Rodrik (1998).
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[2]
Le gouvernement indien a procédé à une première réorganisation des États en 1956, sur une base linguistique. Le territoire de l'État de l'Andhra Pradesh comprend les régions parlant le télougou, une langue de la famille dravidienne. Cette grande famille de langues inclut notamment le tamoul, le malayalam et le kannada, les langues dominantes, respectivement, au Tamil Nadu, au Kerala et au Karnataka.
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[3]
Le TDP suivait en cela l'exemple d'autres formations régionalistes, dont notamment l'Akali Dal au Pendjab et le Dravida Munnetra Kazhagam au Tamil Nadu, lesquelles sont parvenues à former des gouvernements régionaux à la fin des années 1960 et sont restées des forces politiques importantes.
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[4]
Notons qu'environ 8 % de la population de l'État parle l'ourdou, la langue dominante de l'ancien État d'Hyderabad, qui fut le plus important des États princiers des Indes britanniques. Aujourd'hui, on estime qu'environ 40 % des habitants de la ville d'Hyderabad, capitale de l'Andhra Pradesh, parlent l'ourdou.
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[1]
La situation de la capitale nationale à New Delhi est parfois perçue par les populations du Sud comme un facteur de domination du nord du pays. Les régions méridionales se sont opposées, avec succès, à l'instauration de la langue hindi comme l'unique langue officielle du pays.
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[2]
Kennedy (2004).
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[1]
Cette décision était risquée sur le plan électoral dans la mesure où la prohibition avait été adoptée en réponse aux demandes des femmes rurales issues des couches populaires, qui se sont mobilisées autour de cette question.
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[2]
Government of Andhra Pradesh (GoAP), 1999.
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[3]
« By 2020, the State will have achieved a level of development that will provide its people tremendous opportunities to achieve prosperity and wellbeing and enjoy a high quality of life » (voir GoAP, 1999, 1).
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[1]
L'apparition de ce document a aussitôt provoqué une réponse critique intitulée : Vision 2020 Myths and Realitics (voir Reddy (dir.), 1999).
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[2]
GoAP (1999, 8).
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[3]
Voir Jenkins (1999) sur la notion de la poursuite « furtive » des réformes en Inde. Pour une comparaison des démarches au Tamil Nadu (furtives) et en Andhra Pradesh (explicites), voir Kennedy (2004).
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[1]
Naidu a exposé sa philosophie et ses objectifs dans un ouvrage (2000).
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[2]
Entretien avec le haut fonctionnaire chargé de diriger le programme « e-seva », M. Phani Kumar, à Hyderabad, le 27 novembre 2002.
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[1]
Une nouvelle politique NTIC a été annoncée en 2002, remplaçant la politique de 1999. Parmi les incitations accordées automatiquement aux entreprises (d'autres font l'objet de demandes) : des garanties concernant l'offre sans interruption de l'électricité, l'exemption des inspections menées dans le cadre des lois sociales en échange d'une attestation sur honneur (self-certification), une autorisation pour conduire les opérations 24 heures sur 24. Cf. GoAP, 2002, 2-4.
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[2]
Dans les années 1980, un premier pôle a été fondé avec l'aide du gouvernement central autour de quelques dizaines de petites entreprises, une espèce de pépinière pour des jeunes pousses (voir Leclerc, 2003).
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[3]
Avec les Tamouls, les Télougous seraient le groupe régional le mieux représenté parmi les ingénieurs en informatique aux États-Unis.
-
[1]
Entretiens de l'auteur à Hyderabad, en novembre 2002 et en mars-avril 2003.
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[2]
National Association of Software and Services Companies.
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[3]
Entretien, M. Suresh Dhavan, directeur du Biotech Park, à Hyderabad le 26 novembre 2002.
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[1]
Sans son allié, le BJP, le TDP n'aurait pas gagné les élections. Cf. CSDS et Suri, 1999.
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[2]
Voir le site de la Banque mondiale : http://www.worldbank.org/. Il est peut-être révélateur qu'une recherche sur « Andhra Pradesh » affiche de très nombreux liens, de même qu'une cinquantaine de rapports sur les projets financés par la Banque.
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[3]
Elle a financé, par exemple, la mise en place d'un institut de recherche et de formation consacré à la notion de « bonne gouvernance » à Hyderabad : le Centre for Good Governance.
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[4]
Manor (2004).
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[1]
Kennedy (2004).
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[2]
Harshe et Srinivas (1999), Ravinder (1999).
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[1]
Srinivasulu (2004) propose une analyse des élections qui nuance le poids des réformes économiques dans le verdict des urnes.
1 Depuis une quinzaine d'années, on observe en Inde un processus lent et inégal de décentralisation politique. Trois facteurs majeurs contribuent à ce mouvement : les réformes économiques adoptées par l'État central en 1991, la fragmentation du système politique et l'émergence des gouvernements de coalition, enfin les mesures formelles de décentralisation promues dans les amendements à la Constitution en 1993 [1]. Le relâchement du contrôle central favorise un rééquilibrage en direction des gouvernements régionaux, mais provoque des réactions locales différentes en termes de politiques publiques. Il est notable cependant que, même lorsque les référentiels libéraux s'affirment et semblent s'enraciner, tant dans le discours politique que dans les actes, le volontarisme public n'a pas été gommé, et ce à tous les niveaux de décision.
2 L'objectif de cet article consiste à rendre compte des évolutions décentralisatrices récentes en Inde en proposant une analyse au croisement de l'économique et du politique. Il s'agit, dans un premier temps, d'examiner le programme de libéralisation à l'échelle nationale, son contexte, et ses principales conséquences sur le secteur industriel, le plus réglementé dans le régime en vigueur jusqu'alors. Le système politique a également subi de profondes transformations résultant d'une intensification croissante de la mobilisation politique à toutes les échelles : on assiste à la fois à la fragmentation des partis traditionnels, à l'émergence de nouvelles formations sur des bases identitaires (régionales, castes, religions) et à l'avènement de gouvernements de coalition au niveau national et dans les États. Ces changements offrent aux organisations politiques régionales et à leurs dirigeants de nouvelles occasions pour participer aux jeux politiques nationaux, pour négocier leurs intérêts et pour définir une ligne politique « autonome » à l'intérieur des politiques macro-économiques nationales. Ce sont les hypothèses explorées ici à partir de l'exemple de l'Andhra Pradesh, État de 76 millions d'habitants situé dans la partie méridionale de l'Inde. Le choix opéré ici en faveur du niveau régional et non du niveau local tient à ce qu'en Inde, les collectivités locales ne disposent pas de compétences officielles en matière économique. Dans les grandes villes toutefois, cette situation est appelée à changer en conformité avec le 74e amendement constitutionnel, qui prévoit, entre autres, l'attribution de fonctions de planification économique.
3 Pendant presque une décennie, jusqu'à sa défaite en mai 2004, le gouvernement de l'Andhra Pradesh s'est distingué en développant une politique ouvertement favorable à la libéralisation économique. Dirigé par le parti régional Télougou Desam, il a réussi à attirer l'attention des investisseurs privés et des bailleurs de fonds, notamment de la Banque mondiale, en affirmant son désir d'avancer toujours plus rapidement dans les réformes, et sa détermination à profiter des occasions ouvertes par la globalisation de l'économie. S'inspirant de modèles internationaux, sa stratégie de croissance était axée sur le développement des infrastructures de qualité et sur la promotion agressive des secteurs high-tech, notamment les technologies de l'information.
4 L'autonomie affichée par les dirigeants de cet État est remarquable dans le contexte du centralisme historique du système fédéral indien, et témoigne d'une décentralisation effective au sein du système politique comme dans les institutions de gestion économique du pays. L'étude de cet exemple, au travers du prisme des politiques économiques régionales, permet de rendre compte de cette évolution et des mécanismes à l'œuvre. L'analyse des stratégies de croissance, des éléments majeurs du discours politique et des ressources mobilisées par les dirigeants politiques pour réaliser leurs objectifs permet de dégager des aspects relativement originaux, comme l'inscription des réformes économiques dans un programme de réformes de gouvernance et la combinaison d'un discours libéral et de pratiques interventionnistes.
5 Cependant, la crise agraire profonde que subit l'Andhra Pradesh, encore plus que la défaite électorale du parti régional Télougou Desam, souligne que l'existence de politiques régionales, même originales et « autonomes », ne garantit pas, à elle seule, la résolution des problèmes persistants du développement économique.
LES RÉFORMES ÉCONOMIQUES : CHANGEMENT DE CAP DANS LA POLITIQUE INDIENNE
6 En 1991, quelques semaines seulement après l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement dirigé par le parti du Congrès [1], l'Inde a adopté un programme de réformes économiques visant à ouvrir le pays aux échanges et à l'investissement dans un contexte de crise financière sans précédent, marqué par le déficit de la balance des paiements. Venant à la suite de la première guerre du Golfe, l'incertitude des milieux financiers internationaux a sans doute contribué à précipiter le mouvement [2]. Le recours du gouvernement au FMI l'a contraint à engager un programme d'ajustement structurel. Sans constituer une rupture brutale, il s'agissait néanmoins d'une réorientation de la politique économique de l'Inde indépendante, imposant des référentiels propres à l'idéologie néolibérale.
7 Un des effets immédiats des réformes fut le démantèlement du système de gestion centralisée de l'économie, en place depuis une quarantaine d'années et coordonnant l'allocation des ressources dans le pays. Désormais, les entreprises du secteur industriel, les plus réglementées, n'eurent plus besoin de licences et purent prendre, à quelques exceptions près, des décisions concernant leur production, leur localisation, leurs échanges avec l'économie internationale [1]. Pour apprécier l'ampleur des changements, il est utile de rappeler brièvement les principales politiques économiques du pays dans les décennies qui ont précédé les réformes.
8 Dès les années 1950, suivant un modèle alors en vigueur dans beaucoup de pays, le secteur industriel destiné à être le moteur de l'économie était mis au cœur des politiques économiques. Afin d'augmenter le taux d'investissement industriel, de canaliser les sources limitées du capital et de s'assurer qu'elles n'étaient pas détournées vers une consommation jugée non essentielle (biens de luxe), l'État a mis en place un système complexe d'autorisations et de contrôles, connu sous le nom de license raj (le gouvernement des licences). Ce système lui a permis d'exercer un contrôle sur la création de nouvelles entreprises privées, sur leur localisation géographique, sur leur expansion ou leur diversification et sur leurs échanges éventuels avec le marché international. Certaines activités industrielles étaient réservées exclusivement aux entreprises publiques (armement, énergie nucléaire, sidérurgie, équipements lourds, mines, télécommunications), d'autres étaient partagées entre secteurs public et privé comme, par exemple, les machines-outils, les industries chimiques et pharmaceutiques, et le matériel de transport. Les importations et les exportations étaient étroitement surveillées dans le cadre d'une gestion stricte des devises. La roupie n'était pas alors une monnaie convertible et les entrées et sorties de devises étrangères étaient strictement contrôlées. Afin de protéger la production nationale, l'Inde pratiquait des droits de douane élevés. De manière générale, la politique économique était très peu orientée vers l'économie internationale et la part des exportations indiennes dans le commerce mondial a constamment diminué, passant de 2 % en 1950 à 0,5 % en 1980 (elle est de 0,8 % en 2003). Dans les années 1980, une première tentative de réformes a favorisé une ouverture timide de l'économie aux échanges ; des incitations furent développées en faveur des exportations mais le système des licences demeura inchangé.
9 Même si la stratégie reposait sur une complémentarité entre le secteur public, chargé de produire les biens d'équipement à forte intensité en capital, et le secteur privé, orienté vers les biens de consommation, l'État exerçait une régulation puissante. Les principales décisions économiques étaient prises par les ministères du gouvernement central et par la commission du plan. Les gouvernements régionaux n'avaient pas d'influence directe sur les investissements économiques, et peu d'interactions avec les entreprises. Le milieu des affaires avait alors l'habitude d'adresser leurs demandes au gouvernement national. De leur côté, les élites politiques régionales faisaient pression sur les autorités centrales pour « bénéficier » des projets industriels ou d'infrastructures. Compte tenu des pouvoirs discrétionnaires importants dont jouissaient les différents acteurs de l'État central, il n'est pas surprenant que des considérations politiques aient pesé et que certains États aient été mieux dotés que d'autres en entreprises publiques ou en projets d'investissement privés. Il est significatif qu'en dépit de l'importance constante du capital privé dans l'économie de l'Inde, l'investissement public constituait le déterminant principal de la croissance dans la période précédant les réformes [1].
10 Le contexte particulier dans lequel les réformes indiennes ont été adoptées, notamment l'absence de débat public et de caution démocratique, a été abondamment commenté [2]. Aujourd'hui l'éventualité d'un renversement des réformes semble écartée : les quatre gouvernements de coalition qui ont succédé au Congrès en 1996, dont les partis membres balisent la gamme politique du pays de gauche à droite, ont accepté de les poursuivre, avec plus ou moins d'envergure il est vrai. La période post-réforme affiche en général des taux de croissance supérieurs aux périodes précédentes : 6 % en moyenne entre 1991-2001 contre 3,5% entre 1950-1980 et 5,5% entre 1980-1990. Le tableau 1 montre la tendance des dix dernières années [3].
11 Depuis mai 2004, le Congrès est de nouveau au pouvoir, à la tête d'une coalition de 15 partis (United Progressive Alliance), et propose de continuer sur une voie libérale, mais « à visage humain » [4]. Cette inflexion sociale viserait en premier lieu les « oubliés de la croissance », tirant ainsi les leçons de la défaite de ses prédécesseurs. En effet, ces derniers avaient fait campagne sur le thème de l'« Inde qui brille », célébrant les supposés progrès réalisés grâce aux réformes. Or les électeurs indiens, dont une vaste majorité de ruraux, ont choisi de sanctionner une politique qui a surtout bénéficié aux classes moyennes urbaines. Dans son premier discours à la nation, le Premier ministre Manmohan Singh, un des architectes des réformes en 1991, a fait écho aux pères fondateurs de l'Inde, Nehru et Gandhi, en donnant la priorité à l'équité et à la justice sociale et en rappelant que la croissance économique n'était pas un but en soi, mais un moyen pour réaliser le développement durable [1].
Croissance du PIB en Inde entre 1993 et 2003
1993- 1994 | 1994- 1995 | 1995- 1996 |
1996- 1997 |
1997- 1998 | 1998- 1999 | 1999- 2000 | 2000- 2001 | 2001- 2002 | 2002- 2003 | |
Taux de croissance du PIB (aux prix constants, au coût factoriel) par secteur Agriculture Industrie Services |
5,9 4,1 5,2 7,7 |
7,3 5,0 10,2 7,1 | 7,3 – 0,9 11,6 10,5 | 7,8 9,6 7,1 7,2 |
4,8
– 2,4 4,3 9,8 | 6,5 6,2 3,7 8,4 |
6,1 0,3 4,8 10,1 |
4,4
– 0,1 6,5 5,5 | 5,8 6,5 3,4 6,8 |
(4,0)
(- 5,2) (6,4) (7,1) |
Croissance du PIB en Inde entre 1993 et 2003
Les chiffres entre parenthèses sont des estimations.LA DÉCENTRALISATION COMME EFFET SECONDAIRE
12 Un des effets secondaires, et inattendus, de l'abandon de la gestion centralisée de l'économie fut d'ouvrir un certain espace aux gouvernements régionaux pour définir des orientations économiques destinées à leurs seuls territoires. Certes les politiques macro-économiques et monétaires restent la prérogative du pouvoir central, mais désormais les États sont en mesure de définir des politiques sectorielles, de développer des stratégies de promotion, ainsi que les mesures d'incitation pour les accompagner. Cette ouverture, remarquable dans le contexte indien, provoqua des réponses variables de la part des États, tous ne manifestant pas le même enthousiasme en faveur de cette nouvelle « autonomie ». Il est vrai que cette nouvelle situation politique n'implique pas nécessairement une plus grande indépendance financière ou fiscale, les États restant largement dépendants des transferts du gouvernement central qui perçoit la plus grosse partie des impôts. Mais ils peuvent essayer de diminuer la part relative des transferts dans leurs budgets en exploitant des sources de recettes locales. Fondamentalement, leurs responsabilités financières sont appelées à croître, dans la mesure où leurs capacités de gestion fiscale et budgétaire contribueront de plus en plus à conditionner leur attractivité et leur accès au capital.
13 Avec la levée des contrôles sur les entreprises, les États se sont empressés de proposer des politiques industrielles plus adaptées à un environnement compétitif et plus aptes à attirer des capitaux privés. Une course aux investissements a ainsi été engagée entre les États, chacun offrant des incitations, souvent identiques d'ailleurs, reposant notamment sur des exemptions fiscales [1]. Sans nier l'importance de ces politiques promotionnelles régionales, qui ont été décisives dans certains cas [2], les facteurs plus classiques ont également pesé dans la localisation des investissements industriels. Ce sont les régions au sud et à l'ouest du pays, les plus développées selon les indicateurs socio-économiques classiques, qui sont les plus dynamiques, ainsi que les régions métropolitaines : Mumbai (ex-Bombay), Delhi, Kolkata (ex-Calcutta), Chennai (ex-Madras), Bangalore et Hyderabad. Toutefois, quelques nouveaux espaces économiques ont également surgi, notamment des villes portuaires (Vishakapatnam, Ernakulam), en relation avec la nouvelle orientation économique axée sur le développement des exportations [3]. Comme nous verrons pour le pôle high-tech d'Hyderabad, l'action publique peut avoir une influence considérable sur la localisation des investissements privés.
14 Au-delà de l'adoption des stratégies promotionnelles, réponse logique et presque défensive aux nouvelles conditions, il est plutôt rare que les gouvernements régionaux définissent un programme politique « sur mesure », spécifiquement adapté aux conditions sociales et économiques de leurs États, susceptibles de tirer un meilleur parti des ressources locales [4]. Ce constat peut surprendre compte tenu du fait qu'il existe depuis longtemps des revendications de la part des régions et des partis politiques pour une plus grande autonomie, y compris dans les domaines économique et financier.
LES REVENDICATIONS HISTORIQUES EN FAVEUR DE LA DÉCENTRALISATION
15 Au fil des ans, beaucoup de gouvernements régionaux ont protesté contre la domination de l'État central dans l'élaboration des politiques économiques et sociales, et contre l'inadéquation de ces dernières à l'égard des problèmes spécifiques. La frustration semblait particulièrement prononcée à l'égard des programmes de développement parrainés par l'État central (centrally sponsored schemes), qui constituaient une part importante des transferts, et qui exigeaient une participation financière réciproque de la part du budget régional. Ces programmes et les modalités de leur mise en œuvre rigidement conçus laissaient peu de marges d'action aux dirigeants politiques régionaux.
16 Le parti du Congrès, qui a dominé le système politique pendant la plus grande partie de la période post-indépendance, a toujours favorisé une direction centralisée du pays ; il a par ailleurs beaucoup contribué aux tendances centralisatrices du système politique et du fédéralisme [1]. L'autre grand parti national, le Bharatiya Janata Party (BJP), prône également un pouvoir centraliste, même s'il a soutenu ces dernières années les demandes de certaines sub-régions pour devenir des États (Jharkhand, Chattisgarh). Ce sont les partis régionaux et les partis communistes [2] qui ont été les plus grands champions de la décentralisation – une position qui se confondait avec la place qu'ils occupaient dans l'opposition – et ont fortement revendiqué un arrêt des ingérences politiciennes de New Delhi dans les affaires internes aux États. Historiquement, les partis régionaux ont d'abord émergé dans les régions périphériques du pays, souvent en réponse à un « nationalisme » culturel, par exemple dans le cas des partis Akali au Pendjab et les organisations dravidiennes au Tamil Nadu [3]. Dans le cas de l'Andhra Pradesh, la naissance du Télougou Desam était liée à une perception de maltraitance par l'État central. Les plaintes de la part des gouvernements régionaux dirigés par les partis non congressistes sont devenues plus fréquentes et plus insistantes à partir de la fin des années 1960 à mesure qu'augmentait la compétition politique dans le pays. Les relations entre New Delhi et les capitales des États sont devenues encore plus tendues dans les années 1970, sous le mandat d'Indira Gandhi. La déclaration d'un état d'urgence en 1975, menant à la suspension des libertés civiques pendant presque deux ans, a été le point négatif de l'expérience indienne de démocratie. Elle a marqué un moment décisif à partir duquel l'alternance politique au niveau national est devenue une réalité. Le premier gouvernement national non congressiste a été formé en 1977, à partir d'une coalition de partis.
17 Lorsque Indira Gandhi a été de nouveau au pouvoir dans les années 1980, elle a accordé de l'importance à l'amélioration des relations fédérales en constituant une commission spéciale [1]. En dépit de l'intérêt affiché pour cette question, aucune réforme sérieuse n'a cependant été entreprise : les tensions dans les relations fédérales ne relevaient pas principalement de dispositions formelles mais de leur interprétation dans les faits. Les relations intergouvernementales en Inde sont fondamentalement politiques, fondées sur des rapports de pouvoir, et la condition préalable à une décentralisation effective est la redéfinition de ces rapports.
L'INTENSIFICATION DES MOBILISATIONS POLITIQUES
18 Si la libéralisation économique fut le déclencheur principal de la décentralisation, les mutations lentes du système politique ont créé les conditions nécessaires pour un partage de pouvoir entre les échelons du gouvernement.
19 La domination du système politique par le parti du Congrès a commencé à s'éroder dès la fin des années 1960, mais les changements ont été progressifs. Le ralentissement de la croissance à partir du milieu des années 1960, et le constat que les gains escomptés de l'indépendance politique et de la planification du développement ne se produisaient pas ont contribué à une certaine désillusion. Une décennie plus tard, l'état d'urgence a secoué la population et a conduit les intellectuels et les classes moyennes à mettre en question un État central tout-puissant. L'apparition des ONG a fait davantage ressortir les échecs des efforts publics, tout comme le marché, à soutenir un développement durable pour tous ; de plus, les ONG ont souvent milité en faveur de la décentralisation et de la participation populaire. La persistance de problèmes économiques et sociaux et la corruption répandue ont favorisé une désaffection du Congrès en faveur notamment du BJP et des partis régionaux. En 1996, le BJP a remporté le plus grand nombre de sièges au Parlement, mais il a dû attendre les élections de 1998 pour former un gouvernement de coalition.
20 À la fin des années 1980, la compétition politique s'était intensifiée à tous les niveaux et se caractérisait par des demandes de plus de plus insistantes de nombreux groupes sociaux. Deux phénomènes combinés furent remarquables : l'importance croissante de la mobilisation politique à base identitaire (notamment la caste et la religion) et la participation politique des groupes « subalternes », les Dalits (ex-intouchables) et d'autres couches défavorisées de la population issues des basses castes constituant la catégorie administrative OBC (Other Backward Classes). En 1990, le gouvernement de V.P. Singh a décidé de reconnaître le droit des OBC, revendiqué depuis des années, et d'accéder à des mesures de discrimination positive sous forme de quotas pour l'emploi dans la fonction publique au niveau de l'État central (27 % du total). L'opposition énergique à cette décision par les hautes castes a obligé les OBC à s'unir et à faire cause commune, l'un des résultats étant leur défection des partis traditionnels où ils avaient été cooptés par les élites sociales qui dominent la politique depuis l'indépendance [1]. Avec les Dalits, les OBC ont commencé à former des groupes d'intérêt et des coalitions de caste, et à voter pour les formations politiques correspondant davantage à leur profil social [2].
21 La fragmentation des bases traditionnelles du Congrès et l'émergence de nouvelles formations, à commencer par le BJP dans les années 1980, ont profondément modifié les rapports politiques au sein de l'Union indienne. Aucun parti n'est en mesure de former seul un gouvernement à l'échelon national, ce qui signifie que même les petits partis peuvent participer au gouvernement national en tant que partenaires de la coalition et prétendre à des postes ministériels. Dans certains cas, les partis déclinent une participation directe mais accordent un soutien dit « de l'extérieur », ce qui leur permet une plus grande autonomie tout en bénéficiant d'une proximité du centre de pouvoir. Dans les deux cas, un nouvel espace a été ouvert aux élites politiques régionales pour participer à la politique nationale. Depuis 1996, les gouvernements menés respectivement par le Front uni, le BJP et le Congrès ont réuni un nombre important de formations diverses, dont des partis régionaux. En disposant de majorités très faibles, ces administrations ont été très vulnérables à la défection. En 1999, par exemple, J. Jayalalithaa, la dirigeante du parti régional tamoul ADMK, a retiré son soutien à la coalition menée par le BJP, provoquant de nouvelles élections [1]. Cet exemple, comme celui de Chandrababu Naidu développé dans la partie suivante, illustre les nouveaux leviers de pouvoir dont disposent les dirigeants politiques régionaux pour négocier avec le gouvernement central.
L'AFFIRMATION DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES RÉGIONALES EN ANDHRA PRADESH
22 Entre 1995 et 2004, le gouvernement régional de l'Andhra Pradesh s'est distingué par sa ligne politique ouvertement libérale et par la promotion agressive de son économie. Très médiatisé, ce positionnement politique était étroitement associé au personnage du chief minister (chef du gouvernement de l'État), N. Chandrababu Naidu, le chef de file du parti régional Télougou Desam. Cet exemple est significatif à plusieurs égards : il montre les possibilités, nouvelles, pour les dirigeants régionaux de définir et de conduire, dans certaines limites, des politiques originales en matière économique et de négocier directement avec des acteurs internationaux, privés et publics. Après un rappel du contexte politique seront présentés les principaux éléments de la démarche politique du gouvernement Naidu, les stratégies économiques et le discours politique. La rhétorique joue un rôle crucial à la fois dans la communication interne, où elle appuie les efforts pour mobiliser la population autour de projets ou d'objectifs communs, et dans la communication externe. En effet, la manière dont un gouvernement présente et encadre sa politique économique peut être déterminant pour sa capacité d'attraction des investisseurs et des bailleurs de fonds, publics ou privés [1]. De plus, le discours des dirigeants politiques peut révéler la manière dont ils conçoivent leur relation avec le pouvoir central et leur marge de manœuvre par rapport à lui. Les finalités des actions politiques ne figurent pas au centre de cette étude, mais seront évoquées pour permettre de faire le lien entre décentralisation politique et développement économique régional.
LE CONTEXTE POLITIQUE : LA MONTÉE EN PUISSANCE D'UN PARTI RÉGIONAL, LE TÉLOUGOU DESAM
23 Comme dans la plupart des régions de l'Inde, le Congrès a longtemps dominé la scène politique en Andhra Pradesh. Il a formé tous les gouvernements sans interruption depuis la formation de l'État en 1956 [2] jusqu'en 1983, le rôle de l'opposition étant occupé, comme à l'échelle nationale, par les partis communistes. C'est en 1982 que le premier parti régional en Andhra Pradesh a été fondé [3], le Télougou Desam, par N.T. Rama Rao, homme charismatique et vedette populaire du cinéma. Le parti Télougou Desam (TDP) s'est construit sur le thème de la fierté des Télougous, catégorie ambiguë qui recouvre de facto tant les locuteurs de la langue télougou que les habitants du territoire où cette langue domine [4]. Cette nouvelle formation s'est érigée en s'opposant à ce qui était perçu comme la domination « externe », celle du gouvernement central à New Delhi, au travers du parti du Congrès. En effet, le Congrès était, et reste encore à un moindre degré, une organisation fortement centralisée dans laquelle la direction nationale exerce un contrôle direct sur les branches régionales. Sous l'influence d'Indira Gandhi en particulier, la direction du parti avait pris l'habitude de téléguider depuis New Delhi la formation des gouvernements régionaux, en sélectionnant le ministre en chef et les ministres.
24 Pour rallier la population à leur nouvelle formation, les dirigeants du TDP ont accusé New Delhi et les « pantins » de la branche régionale du Congrès de négliger les intérêts de l'État (croissance médiocre, indicateurs socio-économiques inférieurs aux moyennes nationales...). La stratégie consistait à faire appel aux sentiments de fierté régionale et ethnique, en évoquant la subordination de l'État et l'« esclavage » de ses hommes politiques. Comme pour d'autres partis régionaux, les revendications en faveur d'une décentralisation politique figuraient au centre du programme politique, au nom des particularités régionales [1].
25 En janvier 1983, neuf mois seulement après sa formation, le TDP a remporté une majorité de sièges à l'assemblée régionale, et N.T. Rama Rao a accédé au poste du chef de gouvernement. Depuis cette date, l'État connaît une alternance entre le Congrès et le TDP, sauf en 1999, lorsque le gouvernement de Chandrababu Naidu a réussi à obtenir un deuxième mandat grâce à une alliance électorale avec le BJP. En mai 2004, le Congrès a repris le pouvoir avec un parti sous-régional, le Telengana Rashtra Samithi, dont le but unique est la création d'un nouvel État à partir de la sub-région de Telengana.
26 Le TDP est resté associé au nom de Rama Rao jusqu'en 1995 lorsque son gendre, Chandrababu Naidu, l'a évincé du pouvoir : en août 1995, avec le soutien d'une majorité des députés, Naidu a forcé Rama Rao à démissionner et a pris sa place à la tête du gouvernement. Ce « coup du palais », réalisé dans les règles de la démocratie, a marqué le début d'une nouvelle période politique dans cet État.
UNE DOUBLE STRATÉGIE : LIBÉRALISATION ÉCONOMIQUE ET RÉFORMES DE GOUVERNANCE
27 Peu de temps après son arrivée au pouvoir, Naidu a commencé à poser les jalons d'un nouveau régime politique dont la caractéristique principale était de combiner des réformes économiques d'inspiration libérale avec des réformes de gouvernance [2]. Ces dernières visaient une plus grande responsabilité du gouvernement à l'égard des citoyens ainsi qu'une plus grande participation de ces derniers aux décisions politiques et à leur mise en œuvre.
28 La création d'un environnement favorable au capital privé était un des tout premiers objectifs du nouveau gouvernement Naidu en 1995. Parmi les dispositions prises figurent une plus grande transparence des lois et réglementations, la simplification des procédures d'investissement et une accélération de l'évaluation des projets d'investissement par les autorités. Afin d'attirer des investisseurs vers les secteurs désignés comme prioritaires, l'industrie et les infrastructures (énergie, télécommunications, ports, routes), toute une gamme de mesures a été développée : des incitations fiscales (dont des exemptions d'impôts), des crédits subventionnés et, pour les projets industriels, l'offre de terrains et l'accès aux réseaux d'eau et d'électricité. Pour s'attaquer aux déficits budgétaires, le gouvernement a démantelé certains des programmes sociaux, souvent populistes, de son prédécesseur dont la part dans les dépenses totales était de l'ordre de 27% en 1995-1996. Le taux de subvention sur le riz a été réduit, tout comme la proportion de la population qui pouvait en bénéficier, et la prohibition de l'alcool a été levée [1]. L'objectif était la restructuration et la réduction des différentes branches de la fonction publique, à commencer par le gel de l'emploi, la privatisation d'une entreprise publique (Hyderabad Allwyn) et le transfert aux consommateurs d'une partie croissante du coût des services publics (énergie, eau, collecte des déchets). Dans la rhétorique du gouvernement, cette nouvelle gouvernance devait diminuer la corruption et favoriser la transparence et la participation démocratique des citoyens.
29 Dans le discours officiel, les politiques de croissance étaient intimement liées à des stratégies visant des objectifs de développement à plus long terme. Autrement dit, les sacrifices demandés à la population étaient censés produire des récompenses futures. Ce projet ambitieux fut exposé dans un document intitulé Andhra Pradesh : Vision 2020 [2], dont l'objectif était de réaliser pour 2020 « un niveau de développement qui offrira à la population (de l'Andhra Pradesh) des possibilités formidables pour atteindre la prospérité et le bien-être, et pour jouir d'une bonne qualité de vie » [3]. Indépendamment de ses chances (minimes) de réussir, ce plan directeur est intéressant pour l'analyse dans la mesure où il prétendait exprimer un projet de société et des objectifs communs pour l'avenir [1]. Il prônait une stratégie globale articulée entre les sphères sociale, économique et institutionnelle, faisait le lien entre croissance économique et développement du capital humain et admettait, du moins en théorie, la nécessité de subvenir aux besoins fondamentaux des plus pauvres. Afin de créer des avantages comparés dynamiques sur la base des points forts de l'État, 19 moteurs de croissance étaient identifiés. Conformément à l'idéologie libérale, la croissance devait reposer sur des capitaux privés et le rôle du gouvernement était de la catalyser en créant des conditions attrayantes pour les investisseurs. Notons enfin que ce plan directeur, imprégné du langage des entreprises, a été élaboré avec l'aide du cabinet de consultants McKinsey, un « détail » non sans incidence pour les stratégies qu'il a inspirées, lesquelles se sont avérées déséquilibrées.
30 D'après la position officielle du gouvernement Naidu, la libéralisation de l'économie indienne était une avancée positive pour l'État, qu'il souhaitait voir accélérée et approfondie, l'intégration des marchés à l'échelle globale créant « des chances sans précédent pour la croissance » [2]. Aucun autre État ni le gouvernement central n'ont tenu un discours aussi explicitement favorable aux réformes économiques, même si, dans leurs actions, la plupart effectuent des changements d'orientation en direction d'une plus grande expression des forces du marché et d'une réduction des dépenses publiques [3].
31 Les choix stratégiques du gouvernement Naidu s'inscrivaient entièrement dans les tendances actuelles du capitalisme et la restructuration économique mondiale qu'elles produisent. Rappelons quelques-uns des éléments cruciaux de la stratégie des entreprises pour maintenir leur compétitivité : la souplesse de la production et de la gestion du travail, l'innovation constante et la coordination au sein de réseaux de production et de commercialisation, et, enfin, l'externalisation des opérations non essentielles (services informatiques, services de traitements administratifs et comptables). La densité et la qualité de la coopération entre des entreprises composant les réseaux sont fondamentales. Dans ce scénario, les grandes villes en particulier émergent comme des pôles de croissance car elles réunissent les éléments nécessaires que sont les infrastructures de qualité, les ressources humaines qualifiées et les marchés. Les stratégies du gouvernement Naidu s'inscrivaient pleinement dans cette mouvance générale ; en témoignent par exemple la décision de concentrer les efforts (investissements publics en infrastructures, recherche de partenariat) à Hyderabad, la plus grande ville de l'État (plus de 5 millions d'habitants), et dans les villes de manière générale, ainsi que l'accent mis sur les technologies de l'information et sur les services aux entreprises.
32 L'utilisation intensive des médias pour « vendre » l'État comme destination attractive et diffuser la propagande concernant les politiques et programmes a été un élément crucial de la stratégie adoptée. Naidu s'est identifié personnellement avec la démarche de son gouvernement ; il affectionnait le titre de CEO (Chief Executive Officer) et encourageait les comparaisons entre son style de gestion et le monde des entreprises [1]. Il apparaissait fréquemment dans la presse et à la télévision où il soignait son image de réformateur et celle de son État comme l'avant-garde des États indiens. Il organisait des missions commerciales à l'étranger, accompagné par des industriels dynamiques, et participait à des manifestations internationales de grande envergure comme celles du World Economic Forum. En mettant l'accent sur les nouvelles technologies, un aspect de la stratégie consistait à associer Andhra Pradesh et modernisme technologique. Les technologies de l'information en particulier occupaient une place centrale dans la politique industrielle où elles étaient conçues tant comme moteur de croissance que moyen de réformes de gouvernance. Ainsi l'informatisation de l'administration et la mise en connexion de diverses bases de données, dont le but était d'améliorer la performance et l'efficacité du service public, ont-elles été confiées à des entreprises privées régionales dans l'espoir qu'elles puissent par la suite commercialiser ces expertises auprès des États voisins [2]. Le fil directeur de la plupart des programmes d'informatisation des services publics consistait à améliorer la qualité des interactions entre le public et la bureaucratie, en réduisant les occasions de corruption.
UN PÔLE HIGH-TECH À HYDERABAD
33 Afin de concrétiser son engagement à l'égard des technologies de l'information, le gouvernement Naidu s'est lancé dès 1995 dans la construction d'un parc industriel spécialisé, HITEC City (Hyderabad Information Technology Engineering Consultancy City). Doté d'infrastructures de grande qualité, le parc était destiné à faciliter l'accueil des entreprises spécialisées dans l'informatique, surtout dans les services de génie logiciel. Ce projet repose sur un partenariat entre une agence gouvernementale (Andhra Pradesh Industrial Infrastructure Corporation Limited) et un promoteur privé (un conglomérat d'ingénierie et de construction, Larsen & Toubro Limited), selon une formule très en vogue aujourd'hui. Situé dans la périphérie ouest d'Hyderabad, à 15 km du centre-ville, HITEC City a bénéficié de l'attention et de la bienveillance de Naidu qui a suivi de près son évolution. Le gouvernement a élaboré des politiques sectorielles très attractives [1] et a consenti des investissements importants en infrastructures, afin de répondre aux besoins de ces activités de pointe (Internet rapide et connexion au réseau mondial par satellite).
34 Le résultat a été très satisfaisant pour le gouvernement : de nombreuses sociétés indiennes et internationales se sont établies à HITEC City, dans les grands immeubles (Cyber Towers, Cyber Gateway et Cyber Pearl) et sur les terrains environnants, dont Microsoft sur 12 ha. La performance économique des services informatiques et des services aux entreprises, dont un nombre croissant de centres d'appel, a été assez spectaculaire : selon le STPI (Software Technology Parks of India), une agence autonome du gouvernement de l'Inde, la valeur des exportations en provenance de l'Andhra Pradesh, et surtout de HITEC City à Hyderabad, a augmenté de 11 millions d'euros en 1995-1996 à 836 millions d'euros en 2003-2004. Dans la même période, le nombre de compagnies enregistrées auprès du STPI à Hyderabad a augmenté de 31 à 860, fournissant environ 86 000 emplois directs.
35 Au-delà du penchant du ministre en chef Naidu pour l'informatique, des facteurs économiques ont également joué dans la décision de cibler les NTIC, notamment l'existence d'une spécialisation locale déjà présente dans la ville [2]. En termes de ressources humaines, l'État forme un grand nombre d'ingénieurs, comme en témoigne la contribution disproportionnée des ingénieurs de l'Andhra Pradesh dans l'industrie informatique aux États-Unis [3]. Enfin, d'après les enquêtes menées auprès des opérateurs et des décideurs au sein du gouvernement, la stratégie high-tech répondait à la demande de groupes qui forment la base sociale du TDP, dont des classes moyennes urbaines aspirant à une certaine modernité ; ces groupes soutenaient le projet consistant à faire de Hyderabad un des premiers centres des technologies de l'information en Inde [1].
36 Avec HITEC City Hyderabad est désormais dans le peloton de tête, avec Bangalore, des régions dynamiques dans le secteur des NTIC, et son potentiel paraît excellent. En 2002, l'association NASSCOM [2] désigne Hyderabad comme la meilleure destination pour les services informatiques aux entreprises (services de traitements administratifs et comptables, centres d'appel), un secteur en pleine croissance. La ville de Hyderabad est encore assez peu chère (immobilier, main-d'œuvre) par rapport à Bangalore, Mumbai ou Delhi, ses principales concurrentes pour ces services à distance.
37 L'industrie de la biotechnologie tenait également une place centrale dans la stratégie high-tech du gouvernement, l'objectif étant de capitaliser les expertises déjà présentes dans l'État dans le secteur pharmaceutique. En effet, l'Andhra Pradesh contribue pour 30 à 40 % à la production pharmaceutique nationale et possède des capacités de recherche considérables. Une politique sectorielle sur mesure a été annoncée en 2001 et le gouvernement a délégué à un développeur privé (Shapoorji Pallonji) la construction d'un parc spécialisé, baptisé « Biotech Park », dans la périphérie au nord-est de Hyderabad. Pour faciliter la synergie entre recherche fondamentale et industrie, un institut des sciences de la vie, dont la gestion serait confiée à des industries privées, est également planifié [3].
38 Les politiques sectorielles examinées ici ont abouti à la création de nouvelles capacités productives dans les secteurs de haute technologie à Hyderabad, sans que l'on puisse se prononcer sur l'efficacité de ces stratégies en termes de coûts-bénéfices, faute de données. En revanche, cet exemple montre la capacité des dirigeants politiques régionaux, en partenariat avec des acteurs privés, de mettre en œuvre des stratégies régionales de grande envergure. Il est intéressant de remarquer que, en dépit de son discours libéral, l'État est resté un acteur central, celui qui a lancé le processus et l'a mené à terme.
Discours et pratiques : les exigences électorales
39 La réélection du gouvernement Naidu en 1999 a indiqué que ce dernier pouvait poursuivre et approfondir sa « vision », même si l'analyse des résultats électoraux montre une certaine désaffection de la population envers le TDP [1]. Bien que les stratégies industrielles aient connu un certain succès, le taux de croissance pour l'État n'a pas été très soutenu : entre 1997 et 2001 il était de 5,7% par rapport à la moyenne nationale de 5,3 %. Ce classement est néanmoins assez bon, comparé à la performance antérieure de l'État. Concernant l'afflux du capital, l'Andhra Pradesh a compté parmi les cinq ou six premiers États destinataires des investissements industriels et a bénéficié d'une proportion relativement élevée des crédits bancaires du pays.
40 Les organismes d'aide au développement se sont également montrés réceptifs aux appels du gouvernement Naidu. La Banque mondiale, séduite par son programme de réformes économiques et de gouvernance, lui a accordé d'importants prêts – les premiers de ce genre à une entité politique infranationale – touchant à des domaines très divers : l'irrigation, l'énergie, la santé, la restructuration économique, les réformes urbaines, la réduction de la pauvreté rurale. Naidu est devenu l'enfant chéri de la Banque, qui voulait faire de lui un exemple pour les autres États, voire d'autres pays, de la faisabilité des réformes économiques [2]. Il est à noter que cette attention de la Banque mondiale et le recours massif du gouvernement aux prêts de cet organisme, avec leurs contreparties (conditionalities) rigoureuses, ont fait l'objet de critiques sévères, une des accusations courantes étant que le gouvernement était en train de compromettre l'autonomie de l'État, thème important dans le jeu politique régional. La coopération britannique (à travers le Department for International Development) a également accordé un soutien prononcé au gouvernement Naidu, notamment dans le domaine des réformes de gouvernance [3].
41 En dépit des prétentions en matière de transparence, les actions politiques n'ont pas toujours suivi le discours. Ainsi, il semble que l'assainissement des finances publiques vanté par le gouvernement n'ait pas été réalisé dans les faits [4]. De manière générale, une analyse de la démarche politique globale de l'État montre que le discours libéral n'a nullement empêché des pratiques interventionnistes, ni même la tendance au populisme [1]. En plus des programmes sociaux spécifiques, ciblant des groupes particuliers (Adarana pour les artisans, Roshini pour les musulmans, etc.) [2], le gouvernement a mis sur pied un programme vedette, Janmabhoomi, pour réaliser des projets de développement local. Janmabhoomi était conçu pour favoriser la participation populaire aux efforts de développement, l'idée étant que chaque village pouvait choisir de manière démocratique ses propres projets (construction de routes, d'écoles...) et que les villageois participaient à la réalisation des projets, en argent comptant ou en travail. Ce programme populaire, pour lequel des fonds importants ont été versés, était critiqué sur deux points principaux : il écartait des élus locaux, sapant ainsi les institutions de gouvernement local, et une part considérable des fonds alloués était détournée en faveur des cadres locaux du parti TDP, nourrissant ses réseaux de clientélisme. Prises dans leur ensemble, ces politiques sociales apparaissent comme une tentative de la part des pouvoirs politiques de rééquilibrer partiellement la distribution des ressources en faveur des couches sociales défavorisées, de compenser le fait que les principales stratégies de croissance bénéficiaient surtout aux villes et aux couches moyennes et aisées. Cependant, les résultats des élections de 2004 et la cuisante défaite du TDP et de son allié le BJP suggèrent que ces mesures ne sont pas allées assez loin.
42 La négligence du secteur agricole par le gouvernement Naidu figurait au centre de la campagne menée par le Congrès, un sujet d'autant plus sensible que des suicides se multipliaient en milieu rural parmi les petits paysans et les artisans (tisserands) ruinés par les dettes. Plusieurs années de sécheresse, dans une région où la majorité de la population dépend de l'agriculture (en 2001, 73 % de la population vit en milieu rural), avaient aggravé un secteur en pleine restructuration « sauvage ». Un premier coup de semonce avait marqué en 1997, sans effet majeur sur l'orientation politique, lorsque la sécheresse avait provoqué un taux de croissance négative pour le secteur agricole (- 15,7%) et avait fait chuter le taux de croissance du PIB régional à 1,7 % (par rapport à 6,5 en 1996). Le Congrès promettait de renverser l'orientation de la politique économique pour replacer l'agriculture au centre de la stratégie de croissance, et revenir aux mesures populistes, à commencer par l'électricité gratuite pour les agriculteurs et destinée aux pompes pour l'irrigation [1]. Il reste à voir si cette stratégie sera pleinement mise en œuvre et si elle arrivera à mettre l'État sur une voie plus équilibrée de développement économique et social.
43 Dans le cadre des politiques macro-économiques nationales, le gouvernement Naidu a réussi à développer une ligne politique singulière axée sur des réformes libérales et sur l'essor d'activités de pointe. Sans jouer la confrontation avec le gouvernement central, à qui il apportait son soutien politique après 1996, il mettait en avant son indépendance et sa volonté d'aller plus loin dans les réformes, y compris celles dites de la seconde génération qui touchent à la gestion de l'administration publique. Naidu a joui d'une autonomie importante dans ses relations avec les investisseurs et avec les institutions internationales d'aide au développement. Pour comprendre cet exemple de décentralisation effective, qui n'a rien d'automatique, il convient d'examiner plus en détail la personnalité du ministre en chef et ses stratégies de négociation dans le jeu politique délicat entre les différents niveaux du système fédéral.
Un dirigeant régional dans les affaires politiques nationales
44 Naidu s'est forgé sa réputation d'homme politique d'envergure nationale en 1996, à la suite des élections parlementaires où ni le Congrès ni le BJP n'avaient remporté assez de sièges pour former seuls un gouvernement. Agissant en courtier, il assurait la médiation entre les nombreux partis qui allaient former la coalition du « Front uni ». Bien qu'ayant moins d'expérience dans les affaires politiques à New Delhi que d'autres personnalités, Naidu s'est fait remarquer comme organisateur compétent et neutre. Restant à l'écart des disputes politiciennes, il a réussi à paraître moins intéressé que d'autres, tout en s'occupant des intérêts de son parti qui grâce à ses 16 députés, a obtenu trois postes ministériels dans le gouvernement du Front uni.
45 Ainsi, en peu de temps, Naidu a pu prendre place sur la scène politique nationale, place qu'il a réussi à garder dans les années suivantes. En 1998, il était à nouveau propulsé sur le devant de la scène, de manière encore plus inattendue : lorsque aucune des trois coalitions politiques contestant les élections n'a obtenu de majorité, Naidu a retiré son appui au Front uni pour soutenir la coalition menée par le BJP, permettant ainsi la formation du premier gouvernement mené par ce dernier. Le TDP n'a pas souhaité participer directement au gouvernement et a gardé la liberté de donner son soutien au « cas par cas ». Compte tenu de son étiquette « laïque », il était réticent à s'associer trop étroitement avec les nationalistes hindous réunis au sein du BJP. Avec 29 sièges, le TDP était le plus grand parti allié du BJP, ce qui lui assurait une influence importante auprès de l'État central.
46 Précisons que la décision de Naidu, qui aurait pu être perçue comme purement opportuniste, ne l'était pas ou l'était peu, parce qu'elle correspondait à la Realpolitik indienne, faite de coexistence et de superposition de plusieurs arènes politiques. En effet, le TDP ne pouvait logiquement accorder son soutien à une coalition menée par le Congrès, car, dans l'arène politique régionale, le Congrès était son plus grand rival. Certes, il aurait pu s'abstenir, mais il y voyait l'occasion d'avancer les intérêts du parti dans son État, en facilitant ses relations avec le gouvernement central.
47 De manière générale, Naidu a montré que, en occupant un rôle important dans le jeu politique des coalitions au niveau national, il pouvait augmenter sa capacité d'action dans son propre territoire politique au niveau régional. Ses stratégies d'alliance électorale et de participation dans les gouvernements de coalition lui ont permis de faire avancer son programme en Andhra Pradesh en échange de son soutien du gouvernement central. Il a pu obtenir, par exemple, des quantités importantes de riz en provenance des stocks nationaux, pour secourir sa population souffrant de la sécheresse et pour subventionner son programme social Food for Work. De plus, s'étant assuré une réputation à l'échelle nationale, il a pu par la suite susciter l'attention dans les forums internationaux, ce qui a également servi ses objectifs.
CONCLUSION
48 L'objectif de cet article était d'examiner les tendances décentralisatrices actuelles en Inde à partir de l'exemple d'un État, l'Andhra Pradesh, et de les situer par rapport aux transformations observées à l'échelle nationale, dans le régime économique, d'une part, et dans le système politique national, d'autre part. Le gouvernement régional dirigé par Chandrababu Naidu entre 1995 et 2004 a été remarqué, en Inde et à l'étranger, par sa démarche politique ouvertement libérale et par son engagement affiché à l'égard des réformes de gouvernance. Cet exemple singulier permet néanmoins de rendre compte des possibilités nouvelles pour les gouvernements régionaux de définir et de mettre en œuvre des politiques originales, à l'intérieur des limites définies par le régime macro-économique national. Ce nouvel espace décisionnel est en partie fonction des nouvelles sources de financement, y compris des prêts internationaux, auxquelles ont accès les États. Dans le cas de l'Andhra Pradesh, les politiques économiques et la rhétorique qui les a accompagnées ont été façonnées pour répondre de manière précise aux attentes des bailleurs que le gouvernement souhaitait convaincre : tantôt les organismes d'aide au développement (réformes de gouvernance), tantôt les opérateurs privés (stratégies industrielles high-tech). De manière générale, les choix stratégiques du gouvernement Naidu ont été conçus pour répondre aux tendances actuelles de la restructuration économique mondiale, dont une des caractéristiques est l'externalisation des opérations.
49 La décentralisation politique a été déclenchée par l'adoption, en 1991, par le gouvernement central, d'un programme de réformes visant la libéralisation de l'économie. La fin de la gestion centralisée de l'économie, notamment le démantèlement du système complexe de contrôles sur le secteur industriel et sur les échanges internationaux, a eu comme effet presque immédiat de décentraliser les décisions économiques concernant les entreprises privées. Ces dernières pouvaient désormais choisir le type d'investissement, le montant et la localisation. Réagissant à cette nouvelle donne, les États se sont empressés de mettre en place des mesures attractives pour les investisseurs. Ce faisant, ils se sont livrés à une concurrence acharnée et préjudiciable, jusqu'à ce que le gouvernement central intervienne pour fixer des limites. Ces stratégies promotionnelles quasi identiques ne constituent pas vraiment une expression politique autonome, même si elles permettent aux décideurs régionaux d'agir, plus qu'avant, sur leur environnement économique. Cette remarque rappelle que la décentralisation politique observée dans certaines régions comme l'Andhra Pradesh n'a pas été automatique, ce qui explique que certains États n'ont pas saisi cette chance. Sur le plan financier, les États restent dépendants des transferts du gouvernement central, mais sont amenés à accepter des nouvelles responsabilités en matière financière dans la mesure où leurs capacités de gestion fiscale et budgétaire contribuent de plus en plus à conditionner leur attractivité et donc leur accès au capital.
50 Les évolutions actuelles apparaissent comme un premier pas dans le sens d'un rééquilibrage des relations fédérales en faveur des États. Depuis longtemps les partis de l'opposition, et les partis régionaux en premier lieu, ont déploré le centralisme du fédéralisme indien, une situation liée au système politique dominé pendant des décennies par un seul parti, le Congrès. Les changements actuels sont la conséquence d'une redéfinition des rapports de pouvoir entre les deux niveaux du gouvernement. Les mobilisations politiques diverses, à tous les échelons de la société, ont contribué à la fragmentation des bases traditionnelles du Congrès et à l'émergence de nouvelles formations. À partir de 1996, aucun parti n'est en mesure de former seul un gouvernement à New Delhi, et un nombre croissant d'États sont dirigés par des coalitions de partis. L'ère des gouvernements nationaux de coalition ouvre aux partis régionaux et à leurs dirigeants de nouvelles voies pour participer à la politique nationale, et leur donne de nouveaux leviers pour négocier avec le gouvernement central au nom des intérêts de leurs États.
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Notes
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[*]
Socio-économiste, CNRS, UMR ADES, Pessac. Les enquêtes qui ont servi de base pour cet article ont été financées par le CNRS et l'IRD (UR 23). Je remercie les deux rapporteurs anonymes pour leur lecture attentive.
-
[1]
Ce dernier facteur ne participe pas directement à la décentralisation examinée ici, c'est-à-dire les affirmations régionales en matière de politiques économiques, et ne sera donc pas développé.
-
[1]
Le Congrès, le principal mouvement de libération nationale, s'est transformé en parti politique en 1947 à l'indépendance de l'Inde, regroupant dans son sein l'essentiel des forces s'opposant à la colonisation.
-
[2]
L'agence de cotation Moody's a baissé la notation de l'Inde, précipitant une réaction chez ses créditeurs.
-
[1]
Les contrôles sur les importations ont été maintenus pour un nombre relativement important de biens de consommation.
-
[1]
World Bank (1997, 19).
-
[2]
Voir, par exemple en langue française, le n° 165 de la Revue Tiers Monde, janvier-mars 2001 : La libéralisation économique en Inde : inflexion ou rupture ?
-
[3]
La performance du secteur agricole continue à exercer une influence considérable sur le taux de croissance du PIB. Sa part dans le PIB est cependant en diminution, passant de 38% en 1980, à 31 % en 1990. En 2001, elle contribuait pour 24,7 % au PIB, l'industrie pour 26,4 % et les services pour 48,8 %.
-
[4]
La coalition dépend du soutien des deux principaux partis communistes, qui ne participent pas directement au gouvernement, mais lui apportent leur soutien « de l'extérieur ». Les communistes ont réalisé leur meilleur score historique au Parlement (62 sièges) et deviennent ainsi la troisième force politique, après le Congrès et le BJP.
-
[1]
Le discours du premier ministre est disponible en ligne : http://pmindia.nic.in/speeches.htm, ainsi que la charte politique de la coalition au pouvoir, appelé le « Common Minimum Programme » : http://pmindia.nic.in/cmp.htm.
-
[1]
En 2000, à l'initiative de l'État central, les États ont consenti l'abandon des incitations fiscales dans leurs stratégies industrielles, en faveur des taux d'imposition communs.
-
[2]
Sur l'implantation de Ford au Tamil Nadu, voir Subramanian (1996).
-
[3]
Chakravorty (2000).
-
[4]
Ce constat est toutefois difficile à confirmer dans la mesure où il n'y a pas encore eu d'étude comparative systématique des réponses des États aux réformes. Quelques études de cas récentes visent à combler ce manque : Sinha (2004), sur le Gujarat et le Bengale occidental, et Kennedy (2004), sur l'Andhra Pradesh et le Tamil Nadu.
-
[1]
Il existe une vaste littérature en anglais sur les relations fédérales en Inde. Pour une synthèse en français des principaux débats, voir Kennedy (1996).
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[2]
Les partis communistes fonctionnent de facto comme des partis régionaux dans les trois États où ils dominent (le Bengale occidental, le Kerala et le Tripura).
-
[3]
En revanche, l'autonomie régionale n'a pas été un facteur de mobilisation politique dans la vaste région hindiphone du nord de l'Inde ; les formations récentes, comme les Samajwadi Party et le Bahujan Samaj Party, se focalisent plutôt sur des questions de justice sociale.
-
[1]
Appelée la Commission Sarkaria. Les rapports soumis par les gouvernements régionaux, ainsi que des partis politiques, constituent une source très riche d'information. Voir surtout t. II, Government of India, 1987.
-
[1]
Voir Jaffrelot (2003).
-
[2]
Les groupes défavorisés se sont mobilisés beaucoup plus tôt dans le sud de l'Inde, et ils militent dans les partis qui se disputent le pouvoir.
-
[1]
La raison en était le refus des dirigeants du BJP de renverser le gouvernement régional au Tamil Nadu, mené alors par le DMK, le parti rival de L'ADMK.
-
[1]
Rodrik (1998).
-
[2]
Le gouvernement indien a procédé à une première réorganisation des États en 1956, sur une base linguistique. Le territoire de l'État de l'Andhra Pradesh comprend les régions parlant le télougou, une langue de la famille dravidienne. Cette grande famille de langues inclut notamment le tamoul, le malayalam et le kannada, les langues dominantes, respectivement, au Tamil Nadu, au Kerala et au Karnataka.
-
[3]
Le TDP suivait en cela l'exemple d'autres formations régionalistes, dont notamment l'Akali Dal au Pendjab et le Dravida Munnetra Kazhagam au Tamil Nadu, lesquelles sont parvenues à former des gouvernements régionaux à la fin des années 1960 et sont restées des forces politiques importantes.
-
[4]
Notons qu'environ 8 % de la population de l'État parle l'ourdou, la langue dominante de l'ancien État d'Hyderabad, qui fut le plus important des États princiers des Indes britanniques. Aujourd'hui, on estime qu'environ 40 % des habitants de la ville d'Hyderabad, capitale de l'Andhra Pradesh, parlent l'ourdou.
-
[1]
La situation de la capitale nationale à New Delhi est parfois perçue par les populations du Sud comme un facteur de domination du nord du pays. Les régions méridionales se sont opposées, avec succès, à l'instauration de la langue hindi comme l'unique langue officielle du pays.
-
[2]
Kennedy (2004).
-
[1]
Cette décision était risquée sur le plan électoral dans la mesure où la prohibition avait été adoptée en réponse aux demandes des femmes rurales issues des couches populaires, qui se sont mobilisées autour de cette question.
-
[2]
Government of Andhra Pradesh (GoAP), 1999.
-
[3]
« By 2020, the State will have achieved a level of development that will provide its people tremendous opportunities to achieve prosperity and wellbeing and enjoy a high quality of life » (voir GoAP, 1999, 1).
-
[1]
L'apparition de ce document a aussitôt provoqué une réponse critique intitulée : Vision 2020 Myths and Realitics (voir Reddy (dir.), 1999).
-
[2]
GoAP (1999, 8).
-
[3]
Voir Jenkins (1999) sur la notion de la poursuite « furtive » des réformes en Inde. Pour une comparaison des démarches au Tamil Nadu (furtives) et en Andhra Pradesh (explicites), voir Kennedy (2004).
-
[1]
Naidu a exposé sa philosophie et ses objectifs dans un ouvrage (2000).
-
[2]
Entretien avec le haut fonctionnaire chargé de diriger le programme « e-seva », M. Phani Kumar, à Hyderabad, le 27 novembre 2002.
-
[1]
Une nouvelle politique NTIC a été annoncée en 2002, remplaçant la politique de 1999. Parmi les incitations accordées automatiquement aux entreprises (d'autres font l'objet de demandes) : des garanties concernant l'offre sans interruption de l'électricité, l'exemption des inspections menées dans le cadre des lois sociales en échange d'une attestation sur honneur (self-certification), une autorisation pour conduire les opérations 24 heures sur 24. Cf. GoAP, 2002, 2-4.
-
[2]
Dans les années 1980, un premier pôle a été fondé avec l'aide du gouvernement central autour de quelques dizaines de petites entreprises, une espèce de pépinière pour des jeunes pousses (voir Leclerc, 2003).
-
[3]
Avec les Tamouls, les Télougous seraient le groupe régional le mieux représenté parmi les ingénieurs en informatique aux États-Unis.
-
[1]
Entretiens de l'auteur à Hyderabad, en novembre 2002 et en mars-avril 2003.
-
[2]
National Association of Software and Services Companies.
-
[3]
Entretien, M. Suresh Dhavan, directeur du Biotech Park, à Hyderabad le 26 novembre 2002.
-
[1]
Sans son allié, le BJP, le TDP n'aurait pas gagné les élections. Cf. CSDS et Suri, 1999.
-
[2]
Voir le site de la Banque mondiale : http://www.worldbank.org/. Il est peut-être révélateur qu'une recherche sur « Andhra Pradesh » affiche de très nombreux liens, de même qu'une cinquantaine de rapports sur les projets financés par la Banque.
-
[3]
Elle a financé, par exemple, la mise en place d'un institut de recherche et de formation consacré à la notion de « bonne gouvernance » à Hyderabad : le Centre for Good Governance.
-
[4]
Manor (2004).
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[1]
Kennedy (2004).
-
[2]
Harshe et Srinivas (1999), Ravinder (1999).
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[1]
Srinivasulu (2004) propose une analyse des élections qui nuance le poids des réformes économiques dans le verdict des urnes.