Couverture de RTM_179

Article de revue

La misère du Liban : une population appauvrie, peu d'état et plusieurs solidarités souterraines

Pages 515 à 537

Notes

  • [*]
    Chargé de cours et chercheur, Université Saint-Joseph, Beyrouth.
  • [1]
    Voir n. 1, p. 521.
  • [2]
    Haddad, 1996, pour la CESAO ; PNUD et ministère des Affaires sociales, 1998 ; PNUD et al, 2002 ; Hanna et Chalouk, 2000, pour la CGTL et d'OIT. Pour un commentaire plus détaillé de ces études, voir Kochuyt (2002). On y trouvera également une présentation plus élaborée de la situation économique et des institutions libanaises ayant une compétence sur le plan social.
  • [3]
    Comme il n'y a pas d'enregistrement central du chômage, ces chiffres se fondent sur un échantillon représentatif de la population libanaise. Les enquêtés déclarent eux-mêmes s'ils ont du travail ou non. Les chiffres avancés incluent donc en grande partie le secteur informel qui est important au Liban mais sur lequel il n'existe pas de données (Escwa, 2002, 97). Pour la définition du chômage, les études citées se réfèrent à celle du Bureau international du travail (BIT) : sont chômeurs ceux qui déclarent 1 / ne pas avoir eu d'occupation professionnelle au cours de la semaine de référence ; 2 / être disponibles pour le marché de l'emploi et 3 / rechercher effectivement un emploi.
  • [1]
    Selon Maroun, la somme de 800 $ permettrait de satisfaire des besoins immédiats (alimentation, habillement, logement, soins médicaux élémentaires et éducation publique pour les enfants). Notons que ce plafond est manifestement plus élevé que les seuils de pauvreté monétaire avancés par les études citées antérieurement (Haddad, 1996, et Hanna et Chalouk, 2000). Une comparaison avec les études du PNUD (1998, 2002) est impossible car elles se fondent d'abord sur les conditions de vie des ménages et non sur leurs revenus. En d'autres termes : pas tous les ménages dont les revenus sont inférieurs à 800 $ par mois sont effectivement pauvres mais en général on peut dire que leur sort connaît peu de certitude. Selon Maroun, des revenus compris entre 800 et 1 600 $ par mois permettent de satisfaire avec aisance les besoins immédiats et de constituer une certaine épargne. Ces montants se réfèrent aux années 1997 et 1999 où le taux de change du dollar US est de 1 500 livres libanaises. Ce taux est stable depuis 1993 et toujours valable en 2004.
  • [1]
    Une égalité totale où tout le monde gagne la même somme aboutira à 0, une inégalité absolue a l'indice 1 pour résultat.
  • [1]
    Faute d'intérêt, aucune statistique – même pas les études de pauvreté citées antérieurement – ne porte sur les conditions de vie souvent pitoyables de cette main-d'œuvre étrangère au Liban. Également ignorée est la précarité des 300 000 réfugiés palestiniens qui sont – conformément à la loi – exclus du marché de l'emploi libanais. Leur destin est seulement pris en compte dans des études spécifiques financées par l'étranger. Des données récentes montrent que les revenus des Palestiniens vivant dans les camps et autres regroupements sont manifestement inférieurs aux réalités libanaises : tandis que les revenus de deux ménages libanais sur dix sont inférieurs à 333 $ par mois, c'est le cas de sept ménages palestiniens sur dix. 30 % des ménages libanais, mais seulement 3 % des ménages palestiniens ont des revenus supérieurs à 1 055 $ par mois (Ugland et Al-Madi, 2003, 159-160).
  • [2]
    Cette somme représente un tiers du salaire moyen (ACS, 1998, 62). On ne connaît pas le nombre de travailleurs qui perçoivent le salaire minimum, voire moins encore, mais il est établi que 5 % des ménages se situent dans cette tranche inférieure (Kasparian, 2003-1, 59).
  • [1]
    Pour cette raison, la littérature anglo-saxonne parle de decommodification du travail : les gens ne dépendent plus seulement du marché pour survivre et, même si leur force de travail n'y est pas requise, ils peuvent se contenter d'une allocation fournie par l'État qui leur accorde des droits sociaux. On considère cette intervention comme une des caractéristiques essentielles de l'État-providence (Esping-Andersen, 1990 ; Offe, 1984).
  • [1]
    Signalons qu'il n'est pas aisé de savoir si les études de pauvreté citées tiennent compte de cette source de revenu. Si elles omettent cette solidarité, les taux de pauvreté s'avéreraient sans doute bien inférieurs.
  • [2]
    Au sens de « souterrain, hors de la sphère étatique », par allusion aux solidarités souterraines.
  • [3]
    La distinction analytique entre universalisme et particularisme se réfère aux pattern variables développées par Parsons (1951). Toute relation sociale doit en effet se positionner sur cette échelle qui oppose une attitude fondée sur des règles générales à une attitude plus aléatoire qui développe la relation suivant la spécificité du cas. L'institution d'un État-providence favorise l'universalisme tandis que la solidarité infranationale s'oriente plutôt vers le particularisme.
  • [1]
    Le portrait qui suit de cette solidarité particulariste ne s'applique pas à toutes les ONG actives sur le terrain. Il y en a qui fonctionnent selon des principes plus universalistes mais leur nombre reste limité et elles survivent le plus souvent grâce à un financement externe. Sur leur position ambiguë, voir Kochuyt (2002).
  • [2]
    L'émigration a toujours été importante au Liban : on estime que le nombre total de Libanais qui vivent à l'étranger est le double de ceux qui restent encore au pays.
  • [3]
    Commission économique et sociale des Nations Unies pour l'Asie occidentale (ESCWA en anglais).
  • [1]
    L'unique exception vient de l'ONG « Arc en Ciel » qui a fait accepter une législation sociale pour les personnes handicapées et qui tente, encore en ce moment, d'élargir cette démarche à d'autres secteurs. Cette innovation sera-t-elle efficace sur le terrain ? La question reste posée, car l'État manque de moyens pour financer les droits des citoyens invalides (Kingston, 2002).
  • [2]
    Cela ne veut pas dire que tous les politiciens sont toujours aussi ouverts. Le lendemain des élections, les listes se décomposent et la plupart des hommes politiques retrouvent leurs alignements confessionnels avec tout le favoritisme qui l'accompagne. Ainsi se conforment-ils à la politique nationale, où les oppositions communautaires dominent trop souvent la scène. Pour accéder à ce niveau national, cependant, il faut une base régionale et donc un support électoral qui n'est presque jamais mono-confessionnel.
  • [1]
    Projet social du Premier ministre actuel, qui est d'appartenance sunnite.
  • [1]
    Pratique courante pour transporter des électeurs lointains vers la circonscription ancestrale afin d'y voter.
  • [2]
    Que la solidarité des politiciens exclue les non-inscrits est d'autant plus déplorable qu'il y a parmi eux un bon nombre de déplacés de guerre ; ils constituent évidemment une portion très affaiblie de la population (Haddad, 1996).
  • [1]
    « All the momentous events in a person's life cycle continue to be shaped by sectarian affiliation. It is a reality one cannot renounce. Early socialization, access to education, employment, welfare, hospital care, as well as many other vital services and personal benefits, are mediated through or controlled by sectarian foundations or agencies. Even a person's civil rights and duties as a citizen are, largely, an expression of one's sectarian identity. The sine qua non of the state is, after all, an embodiment of a pact – transfigured at times into a sacred covenant – between the various sects to preserve this delicate balance » (trad. T.K.).

1 À l'instar du Sphinx, le Liban essaie de renaître de ses cendres. Après quinze ans de guerre civile (1975-1991), le pays se reconstruit lentement et cultive une vision de l'avenir qui se mire à la belle époque d'un passé exalté. Afin d'évaluer ces efforts, il faut tenir compte non seulement de la situation politique et économique du pays, mais aussi des conditions sociales. Dans cette démarche, nous examinerons d'abord l'inégalité socio-économique existante pour étudier ensuite ce que l'État libanais fait – ou plutôt ce qu'il ne fait pas – pour corriger les disparités provoquées par le marché libre (I). Faute de politique sociale au niveau national, la gestion de l'inégalité est en grande partie laissée aux mains d'instances non gouvernementales comme les familles, les confessions et les « patrons » politiques. Ce sont elles qui viennent à la rescousse des pauvres. L'analyse de ces solidarités souterraines constituera donc l'objet principal de cet article (II). Quoique efficace pour les uns, cette bienfaisance exclut tous ceux qui n'ont pas les mêmes appartenances. La solidarité des familles, des confessions et des « patrons » politiques ne combat donc pas la pauvreté de manière structurelle, elle concerne seulement les personnes nécessiteuses qui leur sont proches. En outre, l'aide de ces instances crée une relation de dépendance avec les assistés, ce qui contraint ces derniers à reconnaître la supériorité des bienfaiteurs et à leur rester fidèles. Ainsi, l'inégalité économique ne décompose pas le tissu social mais devient au contraire un des points d'appui susceptibles de préserver et de renforcer les bases du pouvoir des hégémonies traditionnelles. Dans un sens, ces dominations recueillent les cendres du pays mais le Sphinx n'y renaît pas pour autant.

I. INÉGALITÉS ET PAUVRETÉS DANS UN CONTEXTE LIBÉRAL

1. De fortes inégalités

2 Au Liban, les inégalités socio-économiques sont très marquées. Selon trois études différentes menées ces dernières années, environ un tiers de la population libanaise [1] vit en état de pauvreté caractérisé par une insuffisance de revenu et des conditions de vie où le logement, l'accès à l'eau ou l'enseignement aux enfants posent problème [2]. Le marché de l'emploi ne suffit manifestement pas pour répondre aux besoins. Fin 2001, 11,5 % des actifs de la population libanaise étaient à la recherche d'un emploi, soit une progression du chômage par rapport à 1997, année au cours de laquelle le taux se stabilisait encore autour de 8,6% (Kasparian, 2003-1, 47-48) [3]. Depuis 1996, la croissance économique s'est affaiblie jusqu'à devenir stagnante en 2000 (Hourani, 2000 ; Maroun, 2000 ; Nasr et al., 1999, 72-80). Ainsi, le marché du travail n'arrive pas à absorber la force de travail disponible ; ce sont surtout les nouveaux entrants qui en souffrent : le taux de chômage est deux fois plus élevé parmi les jeunes, de 22,6 % chez les 15-24 ans, et il est de 18,2% chez les femmes (Kasparian, 2003-1, 47-48).

3 L'appauvrissement de la population n'est pas un phénomène récent. Une mise en perspective de la répartition des revenus pendant ces dernières décennies montre le déclin des classes moyennes qui rejoignent progressivement les couches économiquement faibles.

Répartition des ménages par classes suivant leurs revenus et la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage entre 1974 et 1999[1] (en %)

Année Classe des revenus
bas (revenu
mensuel inférieur
ou égal à 800 $)
Classe des revenus
moyens (revenu
mensuel entre 800 et
1 600 $)
Classe des revenus
supérieurs (revenu
mensuel égal ou
supérieur à 1 600 $)
1974  1988  1992  1997  1999  20,4 
57,7 
49,5 
54,6 
61,9 
60,1 
38,3 
40,2 
29,7 
29,3 
19,5 
4,0 
10,3 
15,7 
8,8 
figure im1

Répartition des ménages par classes suivant leurs revenus et la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage entre 1974 et 1999[1] (en %)

Ibrahim Maroun, 2000, 172 / tableau 3.

4 Les causes de ce déclin sont multiples. La guerre civile (1975-1991), le déplacement d'environ un tiers de la population, une dépréciation de la monnaie nationale et l'hyperinflation des années 1980 qui s'en est suivie expliquent cette précarisation qui réduit l'ampleur des classes moyennes et aggrave la misère des classes inférieures. Comme on le constate dans le tableau ci-dessus, la part des classes supérieures et moyennes est réduite de moitié entre 1974 et 1999, tandis que la part de la tranche inférieure triple. De pareilles distorsions provoquent une dualisation frappante de la société. La concentration des revenus est considérable : en 1999, 50% des revenus sont monopolisés par 20% des ménages les plus riches, ce qui représente 10 fois la part des 20 % les plus pauvres. Le décile supérieur accapare 35 % des revenus. Le coefficient de Gini est de 0,435 au Liban, pour 0,29 seulement dans l'Union européenne (ACS, 1998, 71 ; Eurostat, 2000 ; Maroun, 2000, 172-173)  [1].

5 Après la distorsion provoquée par la guerre, la structure sociale du pays ne se redresse pas – au contraire. La mauvaise conjoncture actuelle confirme et renforce plutôt les fortes inégalités et l'Etat fait peu pour réajuster la balance. Les raisons de cette réserve sont aussi bien idéologiques que financières et institutionnelles.

2. L'idéologie libérale à l'appui d'une faible intervention étatique

6 Le fait que l'État n'intervienne pas est justifié par l'idéologie libérale, qui confie la création et la distribution de la richesse au marché libre : moins il y a de contraintes (c'est-à-dire de corrections d'inégalités), plus la prospérité sera grande. « Toute la politique économique de ce pays doit être orientée vers la liberté [car] s'il y a un lieu au monde où la formule des physiocrates s'impose encore, c'est bien ici : “Laissez faire, laissez passer” » : ainsi Michel Chiha – publiciste populaire des années 1950 et 1960 – défendait-il le libéralisme de la jeune nation (1965, 142, et 1964, 107). La période d'après-guerre persiste dans cette vision : le redressement de l'économie doit produire une nouvelle richesse, une hausse de la consommation interne et, par conséquent, une relance du marché de l'emploi au profit des classes inférieures. En d'autres termes, l'idéologie libérale ne voit pas de problème social dans la pauvreté, ce n'est qu'un mal provisoire ; sa position consiste par conséquent à ne pas intervenir mais à patienter. L'expérience nous apprend pourtant qu'une croissance économique sans correction sociale ne conduit pas forcément à une distribution plus égale de la richesse. La croissance des années 1971-1974 et 1992- 1994 l'a bien démontré (Al-Khalidi, 1997 ; Haddad, 1996 ; Kosseifi, 1998).

7 Conformément à cette logique libérale, le régime fiscal prélève peu et redistribue encore moins. En moyenne, l'impôt sur le salaire est de 4,5 % seulement, alors qu'il est couramment de 30 %, voire 50 %, dans les pays de l'OCDE. La collecte de l'impôt est en outre très inefficace, de sorte que l'État touche seulement un quart des contributions attendues. La recette la plus élevée provient de la fiscalité indirecte, qui porte sur la consommation des biens et des services, mais le caractère proportionnel de ces impôts engendre évidemment peu de corrections sociales (Al-Khalidi, 1997 ; Corm, 2001 ; Gerges, 2001 ; Mokbel, 2002 ; Nasr et al, 1999 ; UNDP, 2000). En bref, la fiscalité ne fonctionne pas comme un mécanisme qui corrige les inégalités économiques, et les réformes fiscales récentes ne changeront probablement pas cette situation.

3. Une protection sociale réduite

8 Une des raisons pour lesquelles le marché de l'emploi ne s'avère pas à même de procurer des moyens d'existence à tous les Libanais est due au fait qu'il est submergé par un afflux important de travailleurs étrangers qui sortent du cadre législatif concernant le salaire minimum. Les évaluations de cette « armée de réserve » sont divergentes mais on ne peut pas sous-estimer son importance : pour les années 1995-1996, le PNUD cite un chiffre qui représente un tiers de la force de travail libanaise (UNDP, 2000, 24 ; voir aussi Nahas, 2000, 58) [1]. Une telle proportion revient à imposer une concurrence déloyale importante aux travailleurs libanais, principalement au niveau des emplois non ou peu qualifiés, où le risque de chômage est très élevé. Du point de vue social, le salaire minimum – qui est actuellement de 200 $ par mois [2] – ne remplit donc pas son objectif : pour de nombreux Libanais, il complique l'accès au marché du travail tandis que les étrangers établis sur place sont exploités comme une armée de réserve, sans ou avec peu de protection. Le SMIC est une intervention étatique inefficiente et elle n'est pas la seule.

9 Pour corriger les plus grandes inégalités, il faut assurer les travailleurs contre les risques de chômage, de vieillesse, de maladie ou d'invalidité. Ainsi le monde occidental a-t-il mis en place un État-providence qui procure, parallèlement au marché, des moyens de subsistance aux exclus, temporaires ou permanents, de l'économie. La personne qui offre une force de travail non demandée n'est donc plus traitée comme une marchandise indésirable mais comme un citoyen détenant certains droits sociaux [1]. De telles protections sont plutôt rares au Liban. Le pays ne connaît pas d'allocation de chômage, ni de pension d'invalidité publique. Les risques liés à la santé et à la vieillesse sont partiellement couverts mais seulement pour une partie de la population. Les bénéficiaires sont principalement ceux qui travaillent ou qui ont travaillé dans le passé et les membres de leurs familles. Ainsi l'insertion sur le marché du travail formel ou l'appartenance à une famille dont un membre travaille sont-elles requises pour jouir de la protection sociale. Au lieu de créer un équivalent fonctionnel parallèle au marché, le système de protection s'ajoute à l'inégalité initiale sans vraiment corriger ses effets de manière structurelle. Fatalement, les tranches les plus démunies de la population comme les chômeurs, les invalides, les divorcés et les travailleurs du secteur informel restent sans soutien public (Azar, 2000, 151-152 ; Kasparian et Ammar, 2001- 1, 73-77 ; Melki, 2000, 189-197 ; Nasr et al., 1999, 90-94 ; SSPTW, 2002, 108-111). Les failles d'un tel système sont manifestes en ce qui concerne l'assurance médicale : moins de 40 % des Libanais bénéficient d'une assurance publique ; si l'on ajoute ceux qui ont accès à une assurance privée, cela laisse la moitié de la population sans protection, et cette proportion augmente à mesure que le niveau de revenu du ménage décroît (ACS, 1998, 58-61 ; Azar, 2000, 151-153 et 161 ; Baaklini, 2001, 128 ; Kasparian et Ammar, 2001-1, 73-78 et 2001-2, 146- 148 ; Melki, 2000, 194).

10 L'absence de droits sociaux universels se fait également sentir dans le fonctionnement des administrations qui ont une certaine compétence dans ce domaine, telles que le ministère de la Santé, celui des Affaires sociales et celui de l'Éducation. Ces autorités ont toujours donné la priorité au secteur privé, pour n'envisager qu'en deuxième instance un déploiement graduel des services publics. La guerre a empêché jusqu'à maintenant cette ambition, en soi déjà modeste. Dans la pratique, l'intervention publique se limite le plus souvent au financement partiel des instances privées ou caritatives dont nous parlerons plus loin (Al-Khalidi, 1997, 38-40 et 58-64 ; Melki, 2000, 190-199). Subventionner des instances non étatiques constitue une sorte de sous-traitance, que l'on retrouve par exemple au sein du nouveau ministère des Affaires sociales, fondé tardivement en 1992 : environ 80 % de son budget sont destinés à des organisations privées. Les autorités publiques s'en remettent donc au secteur non gouvernemental, sans exercer de contrôle des services offerts et sans fournir de garantie en matière de critères appliqués. Considérer une telle assistance comme un droit social s'avérera ultérieurement trompeur car l'aide fournie par de nombreuses ONG reste souvent exclusive (Al-Khalidi, 1997, 40-41 ; Azar, 2000, 151 ; Ghaleb, 2000, 111 ; Kingston, 2002). Et si l'État prend lui-même des initiatives – comme dans l'enseignement ou la santé –, les services sont souvent de qualité inférieure à celle du secteur privé. Bref, l'infrastructure sociale dont dispose l'autorité publique pour combattre la pauvreté est minimale et manque d'efficacité.

11 Le bilan social du Liban est décevant et, dans un proche avenir, rien ne laisse espérer de changement radical. Les finances déficitaires de l'État et la politique d'austérité qui en découle réduisent les limites du possible. Un endettement de 31 milliards de dollars et 80 % des recettes absorbées par le paiement des intérêts empêchent l'État d'intervenir et d'atténuer les inégalités par une politique sociale énergique. Ainsi le Liban préfère-t-il ignorer la dualisation socio-économique de sa société, tout comme la pauvreté qui en résulte pour environ un tiers de la population.

II. L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE : UN MÉNAGE À TROIS

12 Récapitulons : l'idéologie libérale en vigueur empêche de reconnaître la pauvreté comme une réalité alarmante tandis que le manque de moyens financiers, législatifs et institutionnels interdit toute politique sociale qui tenterait de corriger ces inégalités. Jusqu'ici l'analyse s'est limitée au marché libre – qui inclut ou rejette les individus selon la demande – et à l'État – qui n'accorde pas des droits sociaux à ces citoyens afin d'amender les disparités du marché. En plus de ces deux sphères d'intégration économique, K. Polanyi mentionne un troisième mécanisme (1944 ; 1957), celui de la réciprocité, qui intègre les individus sur la base de leurs appartenances.

FIG. 2

Les trois sphères d'intégration économique selon Polanyi

figure im2

Les trois sphères d'intégration économique selon Polanyi

13 De fait, l'accès aux biens et aux services est aussi conditionné par l'appartenance à des groupes dits primordiaux comme la famille étendue, la communauté confessionnelle et/ou celle originaire d'une même région. Tous ces ensembles constituent pour leurs membres un capital social, c'est-à-dire une adhésion à une collectivité qui tient à elle-même et qui s'efforcera de maintenir sa cohésion. Ainsi peut se développer au sein de ces groupes une solidarité importante qui essaiera de contrôler les forces centrifuges de l'inégalité économique (Geertz, 1973 ; Khalaf, 1989, 1991).

14 Au Liban, il est impossible de sous-estimer l'importance de cette économie de bienfaisance : seuls 51 % du revenu de ceux qui survivent avec 200 $, ou moins, par mois proviennent du travail sur le marché. L'autre moitié provient de la solidarité des groupes primordiaux. Dans les tranches supérieures, la contribution de cette assistance diminue mais elle reste néanmoins considérable : pour la tranche de revenus compris entre 200 et 333 $, le travail procure 72,5 % du revenu ; pour la tranche supérieure (entre 333 et 533 $ par mois), il en procure 81,9%. Ensemble, ces trois classes de revenu représentent 41 % du nombre total des ménages : presque la moitié de la population libanaise dépend donc plus ou moins d'une économie de bienfaisance. En ce qui concerne les soins de santé, 8,5 % des ménages libanais disent recevoir de l'aide d'organisations caritatives ou de connaissances, 7,1 % touchent, par ce biais, une aide pour des médicaments, et 4,9 % une aide pour les frais d'hospitalisation (ACS, 1998, 59, 65, 224) [1].

15 C'est ici – au niveau infranational [2] – que les gens s'entraident, mais cette solidarité souterraine se limite, dans la plupart des cas, à ceux qui se ressemblent : aux parents, aux coreligionnaires et à ceux qui viennent d'une même région. De telles proximités personnalisent évidemment les relations sociales entre donateur et donataire et les marquent d'un particularisme profond. En effet, les critères appliqués pour reconnaître les besoins des nécessiteux ne sont pas généraux ou universels comme c'est le cas dans un État-providence. Ils ne sont pas fondés sur la condition humaine ni sur la notion de citoyenneté. L'aide n'accorde pas de droit systématique à l'indigent, elle reste arbitraire : on prête assistance à un proche dans la mesure de ses possibilités, selon les cas et suivant ses propres intérêts, selon « la tête du client » en quelque sorte, et ses appartenances familiales, confessionnelles ou régionales. L'aspect problématique de cette protection particulariste – du moins comparée à la tendance inclusive d'un État-providence –  réside dans le fait qu'elle n'intègre pas de manière universelle [3]. Au contraire, là où l'assistance des groupes primordiaux vient au secours des uns, elle rejette tous ceux qui ne font pas partie de ces collectivités. Insertion et exclusion vont de pair.

16 Nous présenterons ces différentes formes de solidarité souterraine pour montrer d'abord la façon dont elles écartent certaines personnes démunies, puis nous analyserons de plus près l'effet inclusif de cette assistance et la nature de la relation qu'elle noue entre l'instance assistante et la personne assistée.

1. Les solidarités souterraines, facteur d'exclusion

17 À cet effet nous nous appuierons sur une étude ethnographique qui aidera à identifier de plus près cette solidarité particulariste. À Karm el Zaytoun, quartier pauvre de Beyrouth Est, Jabbour (2001, 2002) examine les relations d'assistance de 11 familles auxquelles nous laisserons la parole. Le bilan des instances qui viennent au secours de ces pauvres et qui reconnaissent donc leur précarité révèle la contribution majeure des organisations non gouvernementales (ONG) : sur un total de 19 interventions en matière d'assistances, 2 proviennent d'instances gouvernementales, 2 sont d'ordre familial et 15 relèvent du secteur dit associatif. Ces chiffres ne sont évidemment pas représentatifs, mais c'est bien plus la logique sociale de l'assistance [1] qui nous intéresse ici que la part relative des différentes instances. Quels sont les critères qui vont déterminer l'intervention, ou non, de ces entités ?

L'entraide familiale

18 Assister les membres de la famille étendue relève d'une valeur traditionnelle connue sous le nom de wâjib, c'est-à-dire « devoir ». Même de nos jours, cet impératif reste valable : 12,3 % des ménages profitent d'une assistance de la famille à l'intérieur du pays et 9,5 % reçoivent des aides des parents ou de connaissances qui vivent à l'étranger. La diaspora libanaise est en effet importante : Kasparian estime à 600 000 personnes le nombre de ceux qui ont émigré entre 1975 et 2001. Ainsi, la moitié des ménages libanais a au moins un membre de la famille qui a quitté le pays pendant cette période et qui réside à l'étranger. Presque 40 % de ces expatriés envoient des aides financières à leur famille au Liban (Kasparian, 2003-3, 5-7 et 22-23) [2]. Les sommes versées sont considérables. En moyenne, l'assistance provenant de la famille dans le pays avoisine 2 000 $ par an, soit presque 30 % du revenu d'un travail moyen, une somme qui, selon le seuil de pauvreté de la CESAO [3], permet à une famille de 5 personnes de survivre pendant environ deux mois et demi. Les transferts provenant de la famille à l'étranger atteignent en moyenne 3 000 $, soit plus de 40 % du revenu d'un travail moyen, couvrant 4 mois des besoins essentiels de ceux qui frôlent la précarité (ACS, 1998, 65). Même en termes macroéconomiques, cette assistance qui provient de l'étranger est importante : le revenu national brut disponible (c'est-à-dire la somme des revenus disponibles pour les résidents) dépassait de 20 % en 1997 le produit intérieur brut du Liban du fait des transferts privés internationaux (R. Kasparian, 2003, 58-59).

19 L'importance de ces chiffres laisse présumer que l'attachement à la famille patriarcale n'est pas seulement affectif et identitaire ; des raisons économiques expliquent aussi la force du lien de parenté. Celui-ci peut notamment servir de filet de sécurité sociale capable de réintégrer par le biais de la famille ceux qui sont défavorisés par le marché. Quoique efficace, l'inclusion des proches implique en même temps une exclusion de tous ceux qui n'appartiennent pas à la famille : comme ils n'entrent pas en ligne de compte, leur misère bien camouflée est tout simplement ignorée.

20

Les (autres) ne peuvent pas savoir ce qu'il y a dans nos ventres. Peu importe ce qu'on mange, on a honte. Les gens vont se moquer de nous. (Journalière qui s'occupe de sa mère.)

21 Ignorant la pauvreté d'autrui, l'inégalité persiste en quelque sorte parce qu'une solidarité qui rééquilibre des inégalités économiques au sein d'une famille ne change rien au fait qu'il y a des familles riches et des familles pauvres. Que les ménages assistés de Karm el Zaytoun ne profitent pas tellement de la solidarité familiale est dû au seul fait que leurs proches connaissent le même sort précaire. Cela implique également que ceux qui sont aidés ne le seront pas tous au même degré. Le dénuement d'un membre d'une famille démunie ne sera pas considéré comme équivalent au besoin d'un individu issu d'une famille aisée : la pauvreté ne donne donc pas droit à une assistance égale. En outre, toutes ces caractéristiques particularistes se répéteront au niveau de la solidarité confessionnelle ou politique. La solidarité familiale s'accroche aussi à ces réseaux, élargissant ainsi son échelle réduite par des liaisons plus vastes qui permettent l'accès à des fonds privés et publics plus importants.

La charité confessionnelle

22 Le Liban compte un grand nombre de confessions : 18 communautés sont officiellement reconnues. Parmi les plus importantes, il y a, du côté musulman, les chiites, les sunnites et les druzes ; du côté chrétien, les maronites, les Grecs orthodoxes et les Grecs catholiques. Comme il n'existe pas de mariage civil au Liban, chaque famille s'insère au sein d'une de ces communautés confessionnelles. L'homogamie y est importante et, sauf de rares exceptions, il est impératif que la femme adopte la religion de son mari (côté chrétien) ou, au moins, ne transmette pas sa propre confession aux enfants (côté musulman). Sinon, elle n'entrera pas dans la famille patriarcale et cette famille ne s'insérera pas dans la confession : ainsi, l'unité familiale devient la plus petite poupée russe qui sera emboîtée dans d'autres poupées russes plus grandes.

23

Je suis allée une fois à l'évêché grec orthodoxe. Je suis grecque orthodoxe mais mon mari est maronite. Ils m'ont carrément demandé de m'adresser au patriarcat spécifique à ma confession. L'année dernière je suis allée au patriarcat maronite. Ils m'ont donné 67 $. (...) Chacun aide les personnes de sa propre communauté. (Veuve sans travail, 3 enfants.)

24 En intégrant les uns, la confession exclut les autres indigents. La reconnaissance de la pauvreté n'est donc que partielle et l'assistance reste sélective, ce qui montre que la précarité n'est pas perçue comme une conséquence générale des mécanismes de marché, c'est-à-dire comme un phénomène socio-économique qui touche toutes les communautés. Elle relève plutôt du mauvais sort qui touche un sujet appartenant à une certaine confession et le fait qu'on partage cette croyance oblige à soulager le pauvre au sein de son propre groupe. En d'autres termes, on ne lutte pas contre la pauvreté mais on aide certains pauvres. Cela procède seulement - pour reprendre le vocabulaire de Durkheim – d'une solidarité mécanique qui fait reposer la bienfaisance sur les similitudes entre donateur et donataire (Durkheim (1893) 1930, 35 et s.). À la base de cette charité se situe l'appartenance aux communautés ressenties comme primordiales, et non la citoyenneté ou l'humanité – notions abstraites qui intègrent trop de différences dans leur universalisme. La solidarité confessionnelle, en revanche, reste particulariste.

25

Où tu veux que j'aille demander de l'aide ? Le pays est divisé confessionnellement. Si je veux qu'une instance religieuse m'aide, il faut que je m'adresse aux chiites. (Famille chiite : femme sans travail, mari chômeur, 4 enfants.)
Je suis allée chez un cheikh chiite pour voir s'il pouvait m'aider. Il m'a humiliée. Il m'a demandé si j'étais chiite. Je n'ai pas pu lui mentir, je lui ai dit que j'étais sunnite. Il m'a carrément mise dehors (...). Il m'a dit que je ne pourrai trouver aucune aide chez lui et m'a dit d'aller chez les gens de ma communauté et m'a chassée de chez lui. (Femme sans travail, mari simple employé, 4 enfants.)

26 Cette charité confessionnelle n'est pas seulement dispensée par le clergé mais aussi, de plus en plus, par des organisations non gouvernementales qui tendent vers un idéal professionnel. Une grande partie du secteur social est en effet dominée par ces organisations qui, malgré leurs allures humanitaires, ne dépassent souvent pas le favoritisme confessionnel. Certaines ne le cachent pas et n'y voient pas de problème, d'autres se montrent moins sectaires. Cela n'empêche pourtant pas que, sur leur terrain d'action, l'ensemble des bénéficiaires est assez homogène, du fait de la guerre civile et de tous les déplacements qu'elle a provoqués. De gré ou de force, ces ONG travaillent donc pour des semblables qui se rassemblent. En outre, le fait qu'elles soupçonnent les autres communautés d'aider exclusivement leurs propres fidèles suffît à légitimer leur propre favoritisme (Ghandour, 2002 ; Khalaf, 1991 ; Kingston, 2002). Pour financer la solidarité, ces ONG perçoivent, entres autres, des fonds provenant d'ONG internationales qui sont souvent de même tendance. Ainsi se constituent des réseaux transnationaux autour d'appartenances communes.

27 La même chose est vraie pour les rares ONG non sectaires qui essaient de s'implanter dans l'ensemble du pays afin de sortir des enclaves confessionnelles. Comme les bailleurs de fonds libanais ne voient pas toujours l'intérêt d'une telle démarche universaliste, elles sont encore plus dépendantes d'un financement étranger pour survivre. Leur neutralité les y oblige et, malgré le fait que certaines de ces ONG effectuent un travail impressionnant – c'est-à-dire fournissent une aide non exclusive –, rares sont celles qui réussiront à faire reconnaître le besoin du citoyen comme un droit à l'assistance [1]. Pour ce faire, ces ONG n'ont ni les ressources ni le pouvoir législatif (qui reste une prérogative de l'État). Au lieu de soutenir ces initiatives, les ministères concernés se contentent de subventionner toutes sortes de projets sans imposer de garanties visant à ce que leur assistance inclue l'ensemble des citoyens. De la sorte, la solidarité confessionnelle peut continuer à ignorer la pauvreté des autres.

Le patronage politique

28 Une troisième source d'assistance aux pauvres provient des hommes politiques. Elle émane d'une vieille tradition clientéliste qui reste encore fortement répandue dans le pays (Johnson, 1986 et 2001 ; Suad, 1987 ; Hamzeh, 2001). Pour mieux comprendre la contribution des politiciens, il y a lieu de spécifier deux particularités du système électoral libanais. Les listes sur lesquelles les candidats se présentent aux élections doivent toujours être composées de représentants des différentes confessions présentes dans la circonscription. Ainsi, la lutte électorale ne dégénère pas en dispute communautaire et les politiciens ont intérêt à s'intéresser à tous les électeurs, quelle que soit leur appartenance, pour la simple raison que ceux-ci peuvent voter pour des candidats de plusieurs confessions. Malgré l'obédience propre des politiciens, leur solidarité peut donc surmonter les identités communautaires de leur électorat [2]. Cette ouverture implique néanmoins elle aussi une exclusion car elle s'adresse uniquement à ceux qui sont inscrits dans la circonscription de l'homme politique concerné. Étant donné que l'affectation à une circonscription électorale – et ceci constitue la deuxième particularité – repose sur l'enregistrement de la famille dans une municipalité effectué pendant les années 1930, et que celui-ci n'a pas été modifié depuis, l'exclusion est massive : la composition des circonscriptions fait abstraction de la grande mobilité territoriale qui a affecté des centaines de milliers de Libanais, elle écarte donc tous ceux qui habitent ou qui travaillent quelque part sans y être inscrits ni avoir le droit d'y voter. Selon certaines estimations, une telle situation concerne la moitié de la population libanaise (Antoun et al., 1998, 507). Pour les politiciens locaux, ces citoyens ne représentent aucun intérêt électoral et, dès lors, il y a peu de raisons de se solidariser avec eux. S'ils ont besoin de quelque chose, ils doivent s'adresser aux politiciens de leur circonscription lointaine. C'est dans ce sens que la solidarité politique se limite en priorité à ceux qui partagent la même région d'origine.

29

On m'a dit que la Fondation Hariri [1] n'aide que les personnes originaires de Beyrouth. Ils demandent à voir la carte d'identité avant de donner l'aide. Donc, je n'y suis pas allée. (Femme sans travail, mari chômeur, 3 enfants.)
Sur ma carte d'identité est inscrit Achrafieh. Comment veux-tu que je demande l'aide de Nabih Berri (politicien chiite, président de la Chambre, appartenant à une autre circonscription de Beyrouth). Il me dira d'aller voir les responsables (politiques) à Achrafieh. (Femme sans travail, chiite, mari simple ouvrier, 1 enfant.)

30 La précarité sans droit de vote local sera donc ignorée et abandonnée à son propre sort. Faute d'intérêt électoral, les hommes politiques et les ONG qui les représentent ne vont pas se préoccuper de cette précarité ni en faire une question qui requiert de la solidarité. Leur assistance est en premier lieu destinée à ceux qui peuvent leur rendre service.

31

Nouhad Souaid [politicienne] m'a demandé ce que je voulais. Je lui ai dit que mon fils avait besoin, d'une façon urgente, d'un traitement pour sa santé. Il marchait dans le temps mais il n'arrive plus à marcher maintenant. (...) Elle m'a dit qu'elle le ferait avec plaisir. Je lui ai aussi demandé si elle pouvait aider ma fille aînée à trouver un travail, comme ça elle pourrait nous aider dans les dépenses de tous les jours. Elle m'a promis de régler ça après les élections. (Femme sans travail, mari simple ouvrier, 4 enfants.)

32 C'est ainsi que le système démocratique se transforme en un marché de faveurs. Chez les personnes économiquement démunies, les votes d'opinion ou d'appartenance se transforment par nécessité en votes d'échange (terminologie empruntée à Parisi et Pasquino, 1980 ; voir aussi Hopkin, 2001). À Karm el Zaytoun, l'étude de Jabbour fait état de personnes qui vendaient leur voix pour 150 $. Afin d'augmenter la valeur de ce troc, les ménages se prononcent souvent en bloc, ce qui renforce leur position dans la tractation envers le politicien, mais soumet aussi l'unité familiale à cette personnalité (Suad, 1987). Les poupées russes se laissent glisser l'une dans l'autre. En revanche, ceux qui ne réussissent pas à se faire patronner ne reçoivent rien, ils ne vont donc pas donner leur voix.

33

Cette année je ne bouge pas et je ne voterai pas. Les personnes qui se présentent aux élections ne nous connaissent pas. Durant les élections précédentes, mon fils a mis sa voiture au service d'un candidat durant deux semaines [1]. Il n'a même pas été remboursé du prix de l'essence durant ces deux semaines. (...) Cette année, mon fils m'a dit qu'il ne voulait pas voter. Ça fait dix-sept ans que nous sommes des déplacés [2]. Personne n'a vraiment travaillé pour nous rendre nos maisons. À quoi bon voter ? (Vieille femme sans travail qui vit avec sa fille qui travaille occasionnellement.)

34 Quand les pauvres votent, ils le font souvent en tant que clients et non en tant que citoyens qui expriment un jugement politique. Leurs droits démocratiques sont échangés contre des bienveillances sociales fournies par des hommes politiques qui essaient d'acheter leur base de pouvoir dite légitime. Cela est d'autant plus pervers que ces derniers sont – en tant que responsables – les seuls à avoir le pouvoir de définir la pauvreté comme une question sociale qui touche tous les segments de la société libanaise. Une politique qui reconnaît le besoin comme base universelle des droits sociaux ne peut conduire qu'à l'implication de l'État. Mais, au lieu d'établir de solides structures nationales dans le secteur social, les hommes politiques transfèrent des fonds publics vers les ONG particulières sur lesquelles ils ont davantage de contrôle personnel, ce qui leur permet de mieux servir leur clientèle.

2. La servitude de la réciprocité : le maintien des dominations traditionnelles

35 Dans les faits, une inégalité sociale importante persiste sans poser problème à la conscience collective du pays. Néanmoins, en deçà de ce niveau national, il existe plusieurs pratiques de solidarité souterraine. D'une certaine façon, il faut admettre qu'une telle gestion est efficace : un grand nombre de pauvres sont aidés d'une manière ou d'une autre et l'inégalité économique du pays ne se traduit pas encore par de grandes perturbations sociales ni par une hausse de la criminalité. Ces formes de solidarité restent cependant marquées par un particularisme profond qui limite l'assistance aux seuls proches, au détriment des pauvres d'autres appartenances : ces formes de solidarité ne contribuent donc pas à la mise au point d'une politique sociale à l'échelle nationale.

Les règles de la réciprocité

36 Le fait que la solidarité particulariste exclue aussi bien qu'elle intègre n'est pas tellement surprenant étant donné qu'elle prend place dans la sphère de la réciprocité qui n'est accessible que sur la base d'une appartenance à des groupes dits primordiaux. Dès lors, elle ne correspond pas à la logique de la redistribution : le modèle tripartite de Polanyi distingue clairement ces deux types d'intégration économique. Après avoir analysé les effets excluants de la réciprocité dans la première partie, nous nous attacherons ici à la dimension inclusive de ses actions. À partir du moment où les nécessiteux font appel aux solidarités particularistes, ils entrent, en tant que donataires, dans une configuration sociale bien spécifique qui les relie avec des donateurs familiaux, confessionnels ou politiques. Sous un angle analytique, ces trois instances développent cependant des relations de même nature parce qu'elles sont profondément marquées par un échange qui est bénéfique pour les deux partenaires impliqués. Les pauvres reçoivent de l'aide tandis que les donateurs auront tôt ou tard des retours que nous identifierons plus loin.

37 Cet échange de biens et de services ressemble à du troc, mais la relation qui se constitue n'est pas seulement économique : elle est aussi sociale, ou même morale, dans le sens où elle est impérative, inégale et souvent durable. En effet, celui qui donne s'arroge une position supérieure mais, pour la faire reconnaître par les donataires, il faut qu'il soit généreux envers eux. Noblesse oblige, et ainsi l'assistance aux nécessiteux peut procurer une légitimité à la position supérieure briguée par le donateur. Le donataire, de son coté, en profite mais, ce qu'il gagne matériellement, il doit le céder sur le plan statutaire. Celui qui reçoit se retrouve dans un rapport de subordination. La dépendance économique dans laquelle il se situe vis-à-vis de l'autre l'oblige à assumer une position inférieure qui discrédite toute revendication de sa part : le donataire n'est pas un ayant droit mais un obligé qui est censé être redevable au donateur. La solidarité particulariste n'est donc pas gratuite : avec le don se fabrique toute une hiérarchie sociale qui permet au donateur de réclamer tôt ou tard un retour et le donataire doit alors rendre, s'il ne l'a pas encore fait. Dans la sphère de la réciprocité, chaque don provoque en effet un contre-don qui demande à son tour une réponse : un va-et-vient, donc, qui crée des liens sociaux qui, à leur tour, une fois que les relations sont mises en place, obligent à continuer ces transferts impératifs et inégaux. Ainsi les échanges peuvent-ils se perpétuer à l'infini, créant un tissu social bien serré qui relie durablement donateur et donataire (Mauss, 1923/24 ; Bourdieu, 1980 et 1997).

Rendre à la famille, à sa confession et aux « patrons » politiques

38 Il faut préciser que la réponse en retour du donataire peut être matérielle ou immatérielle. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une simple gratitude qui s'attache à l'instance donatrice et reconnaît son statut supérieur : ainsi l'unité de la famille patriarcale atteint-elle toute sa cohésion. La réciprocité ajoute donc à la consanguinité une appartenance sociale génératrice d'une identité communautaire. Les sujets ne ressentent même plus le caractère impératif de leur obligation, ils accordent leur loyauté comme si c'était une évidence (Kochuyt, 2004). Qu'un tel attachement familial existe au Liban se manifeste dans les sondages. L'opinion publique s'y montre extrêmement méfiante envers autrui mais les membres de famille sont en revanche considérés comme les plus dignes de foi : en 1987, 67 % des personnes interrogées accordaient leur confiance à leurs proches tandis que seulement 20 et 15 % l'accordaient respectivement aux collègues et aux voisins. Les loyautés familiales sont fortes et s'intensifient même avec le temps ; évolution qui coïncide d'ailleurs avec la persistance du clivage économique dont nous avons parlé plus haut (Hanf, 1993, 461 et 483-484). Que cette dualisation renforce le lien familial n'est pas très surprenant : l'attachement familial des pauvres est une sorte de contre-don à la collectivité, qui leur tend la main en temps de crise. Au Liban, la première forme du pluriel est en effet la famille ; les autres collectivités telles que les confessions et les clans politiques se façonnent selon ce même modèle.

39 La réciprocité renforce aussi le lien confessionnel. Dans les mêmes sondages, l'appartenance communautaire apparaît, pour 65 % de la population active, comme importante ou très importante et cela incite évidemment à se solidariser. Ainsi, en 1987, 58 % disent se sentir proches de tous les membres de leur communauté, qu'ils soient riches ou pauvres (Hanf, 1993, 483-484). En 2000, 87% de la population se déclarent attachés ou très attachés à leur communauté confessionnelle (Haddad, 2002) : nouvelle intensification qui coïncide avec la récession économique actuelle. Ce qui est vrai pour la population entière est, a fortiori, valable pour ceux qui bénéficient de la solidarité confessionnelle car les indigents doivent en partie leur survie à ce groupe de coreligionnaires. Cette identification communautaire peut même devenir tellement intense que certains pauvres considèrent leurs donateurs comme des parents providentiels, tandis que ces derniers nomment leurs assistés « fils » et « fille ». Une représentation familiale, donc, qui montre que la plus petite poupée russe donne forme aux ensembles qui l'enferment néanmoins. Cet attachement confessionnel n'est pas purement affectif, il est aussi hiérarchique. En effet, le contre-don se matérialise. La reconnaissance pour l'aide reçue confère à la communauté et ses dirigeants une légitimité importante et un statut représentatif incontournable vis-à-vis du monde extérieur. Ainsi les autorités confessionnelles peuvent-elles parler au nom de tous ceux qui, grâce à elles, ont de quoi manger ; elles arrivent à les mobiliser s'il faut démontrer leur force et à les discipliner si nécessaire (Khalaf, 1991). Le don permet donc de prendre le pouvoir et ceux qui ne l'acceptent pas seront réprimandés : en 2002, le Père Haddad – fondateur d'une ONG non confessionnelle – s'est fait agresser par des militants de sa propre confession. Quelques mois plus tard, une infirmière étrangère a été assassinée parce qu'elle travaillait pour un projet social dans les quartiers pauvres de Saida ; les responsables religieux de la ville ont répondu froidement qu'elle ne devait pas faire de prosélytisme ; renforcer le lien confessionnel par l'assistance est apparemment leur prérogative. Une telle auto-affirmation collective va évidemment à l'encontre d'autres sortes de regroupement. D'une part, elle affaiblit le sentiment national des croyants : en 1987, 12 % d'entre eux disaient que la seule identité de leur communauté prévalait sur la loyauté envers leur pays – un pourcentage qui a augmenté depuis (Hanf, 1993, 516 ; 2002). D'autre part, la forte identification de la population libanaise avec sa confession suspend la sécularisation inhérente à la modernisation sociale et freine l'individualisation du sujet.

40 La réciprocité renforce donc les confessions et les familles en tant qu'éléments constitutifs de la société libanaise qui entourent l'individu peut-être plus que jadis. « Tous les moments clés d'une vie restent sous l'influence de l'appartenance communautaire. C'est là une réalité à laquelle personne n'échappe. La socialisation précoce, l'accès à l'éducation, à l'emploi, à l'aide sociale, aux soins médicaux et ainsi que bien d'autres services essentiels et avantages personnels passent par l'intermédiaire ou le contrôle de fondations ou d'agences communautaires. Même les droits civiques et les devoirs du citoyen sont, largement, l'expression de son identité communautaire. Le sine qua non de l'État est, finalement, l'incarnation d'un pacte – transfiguré parfois en convention sacrée – entre différentes communautés afin de préserver cet équilibre délicat » [1] (Khalaf, 1991, 55-56). Propos qui nous amènent à la politique, elle aussi espace de réciprocité.

41 Le clientélisme politique sème et récolte, mais le rendu, sous forme de bien matériel, n'a pas toujours la même authenticité affective. Des loyautés profondes existent certainement entre les zu'ama' (notables) traditionnels et leur électorat, et, comme ces alliances se transmettent souvent de père en fils, elles peuvent finir par présenter les mêmes caractéristiques familiales qui font du « patron » un père patriarcal et de leurs clients des enfants en difficulté (Suad, 1987). Malgré le fait que le parti a peu d'ancienneté, la relation du Hezbollah avec son électorat ressemble fort à une alliance familiale de cet ordre (Ghandour, 2002). Mais tous les hommes politiques ne viennent pas de grandes familles, ni ont directement recours à l'identité confessionnelle des gens : l'actuel premier ministre Rafic Hariri en est l'exemple le plus notoire ; sa recherche de pouvoir fait néanmoins appel à des tactiques semblables : donner afin de recevoir, par réciprocité, du soutien populaire (Bonne, 1995). Même si cet échange de don et de contre-don reste utilitaire, il est suffisant pour que les pauvres votent conformément à ce que l'on attend d'eux, ravalent leur ressentiment politique et renoncent aux autres alliances possibles fondées sur la classe sociale ou les convictions idéologiques. Ainsi les politiciens se constituent-ils une base de pouvoir qui pérennise leurs prérogatives et préserve leur contrôle du processus politique et des fonds publics qui vont de pair. Il est en effet remarquable qu'après la guerre il n'y ait pas eu de renouvellement de la classe politique : les mêmes figures traditionnelles et militaires se retrouvent en grande partie et les divergences entre droite et gauche qui existaient avant ont, en revanche, complètement disparu (Khalaf, 1991 ; Leenders, 1999 ; El-Husseini, 2002). Que ces élites politiques puissent se maintenir sans envisager un partage plus équitable des bénéfices du marché prouve l'efficacité du principe de réciprocité grâce auquel les « patrons » gèrent l'inégalité économique du pays.

CONCLUSION : UNE PAUVRETÉ AU SERVICE DU PAYS ?

42 En bref, les bienfaiteurs sont récompensés pour leur solidarité avec leurs proches. Ce que les pauvres reçoivent sous forme d'aide, ils le remboursent sous forme de loyauté et de support aux familles, aux confessions et aux hommes politiques qui les assistent. Dans ce sens, les besoins des nécessiteux deviennent utiles pour ces groupes dits primordiaux : cela leur permet d'établir une relation particulariste d'assistance avec les démunis afin de s'assurer de leur appartenance et de leur soumission. En se plaçant sous protection, les pauvres, de leur côté, acceptent cette subordination et consolident ainsi la domination des donateurs. Par conséquent, la précarité devient fonctionnelle pour le maintien de tout un système social dans lequel les structures traditionnelles se reproduisent et gardent, voire gagnent, de l'importance. La pauvreté est notamment récupérée par les lois de la réciprocité pour en faire un des points d'appui susceptible de préserver et de renforcer les bases de pouvoir des hégémonies traditionnelles. C'est probablement la raison sous-jacente pour laquelle la pauvreté n'est pas perçue comme un problème au Liban : elle se prête au maintien du statu quo. Elle sert donc de manière latente ce pays dans lequel familles, confessions et clientélisme politique établissent l'ordre social. Cette fonctionnalité de l'inégalité économique bloque finalement la formation d'un État social qui instaurerait une solidarité entre tous les citoyens. Le pays n'y parvient pas car il n'en a pas les possibilités institutionnelles et financières, l'idéologie ambiante est trop libérale et – raison décisive – aucun des pouvoirs souterrains de ce pays n'a politiquement intérêt à mettre fin au patronage de ses proches. Alors, pourquoi faire de la pauvreté une question sociale quand la configuration de cette société fragmentaire en dépend ? Seules les ONG indépendantes et les organisations internationales liées aux Nations Unies voient le problème. Le Liban, en revanche, préfère croire au mythe du Sphinx, étouffant ainsi le problème fondamental.

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  • Nasr Samir et al. (1999), Investor's Guide, Beirut, Études et consultations économiques.
  • Offe Claus (1984), Contradictions of the Welfare State, London, Hutchinson.
  • Parisi A., Pasquino G.F. (1980), Changes in Italian electoral behaviour : The relationships between parties and voters, in S. Tarrow, P. Lange (eds), Italy in Transition : Conflict and Consensus, London, Frank Cass, 6-30.
  • Parsons Talcott (1951), The Social System, Glencoe, The Free Press.
  • PNUD et Ministère des Affaires sociales (1998), Mapping of Living Conditions in Lebanon (titre traduit de l'arabe), Beirut, UNDP.
  • PNUD, Ministère des Affaires sociales et ULISS (2002), Les conditions de vie et la situation socio-économique dans les districts libanais (titre traduit de l'arabe), Beyrouth, ULISS.
  • Polanyi Karl ((1944) 1957), The Great Transformation, Boston, Beacon Press.
  • Polanyi Karl (1957), The economy as instituted process, in Karl Polanyi, Conrad M. Arensberg, Harry W. Pearson, Trade Market in the Early Empires, New York, The Free Press.
  • SSPTW (Social security programs throughout the world) (2002), Lebanon, in Asia and the Pacific, 108-111 ; voir : http://www.ssa.gov/policy/docs/prog-desc/ssptw/index. html.
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  • UNDP (2000), Linking Economic Growth and Social Development in Lebanon, Beirut, UNDP.

Notes

  • [*]
    Chargé de cours et chercheur, Université Saint-Joseph, Beyrouth.
  • [1]
    Voir n. 1, p. 521.
  • [2]
    Haddad, 1996, pour la CESAO ; PNUD et ministère des Affaires sociales, 1998 ; PNUD et al, 2002 ; Hanna et Chalouk, 2000, pour la CGTL et d'OIT. Pour un commentaire plus détaillé de ces études, voir Kochuyt (2002). On y trouvera également une présentation plus élaborée de la situation économique et des institutions libanaises ayant une compétence sur le plan social.
  • [3]
    Comme il n'y a pas d'enregistrement central du chômage, ces chiffres se fondent sur un échantillon représentatif de la population libanaise. Les enquêtés déclarent eux-mêmes s'ils ont du travail ou non. Les chiffres avancés incluent donc en grande partie le secteur informel qui est important au Liban mais sur lequel il n'existe pas de données (Escwa, 2002, 97). Pour la définition du chômage, les études citées se réfèrent à celle du Bureau international du travail (BIT) : sont chômeurs ceux qui déclarent 1 / ne pas avoir eu d'occupation professionnelle au cours de la semaine de référence ; 2 / être disponibles pour le marché de l'emploi et 3 / rechercher effectivement un emploi.
  • [1]
    Selon Maroun, la somme de 800 $ permettrait de satisfaire des besoins immédiats (alimentation, habillement, logement, soins médicaux élémentaires et éducation publique pour les enfants). Notons que ce plafond est manifestement plus élevé que les seuils de pauvreté monétaire avancés par les études citées antérieurement (Haddad, 1996, et Hanna et Chalouk, 2000). Une comparaison avec les études du PNUD (1998, 2002) est impossible car elles se fondent d'abord sur les conditions de vie des ménages et non sur leurs revenus. En d'autres termes : pas tous les ménages dont les revenus sont inférieurs à 800 $ par mois sont effectivement pauvres mais en général on peut dire que leur sort connaît peu de certitude. Selon Maroun, des revenus compris entre 800 et 1 600 $ par mois permettent de satisfaire avec aisance les besoins immédiats et de constituer une certaine épargne. Ces montants se réfèrent aux années 1997 et 1999 où le taux de change du dollar US est de 1 500 livres libanaises. Ce taux est stable depuis 1993 et toujours valable en 2004.
  • [1]
    Une égalité totale où tout le monde gagne la même somme aboutira à 0, une inégalité absolue a l'indice 1 pour résultat.
  • [1]
    Faute d'intérêt, aucune statistique – même pas les études de pauvreté citées antérieurement – ne porte sur les conditions de vie souvent pitoyables de cette main-d'œuvre étrangère au Liban. Également ignorée est la précarité des 300 000 réfugiés palestiniens qui sont – conformément à la loi – exclus du marché de l'emploi libanais. Leur destin est seulement pris en compte dans des études spécifiques financées par l'étranger. Des données récentes montrent que les revenus des Palestiniens vivant dans les camps et autres regroupements sont manifestement inférieurs aux réalités libanaises : tandis que les revenus de deux ménages libanais sur dix sont inférieurs à 333 $ par mois, c'est le cas de sept ménages palestiniens sur dix. 30 % des ménages libanais, mais seulement 3 % des ménages palestiniens ont des revenus supérieurs à 1 055 $ par mois (Ugland et Al-Madi, 2003, 159-160).
  • [2]
    Cette somme représente un tiers du salaire moyen (ACS, 1998, 62). On ne connaît pas le nombre de travailleurs qui perçoivent le salaire minimum, voire moins encore, mais il est établi que 5 % des ménages se situent dans cette tranche inférieure (Kasparian, 2003-1, 59).
  • [1]
    Pour cette raison, la littérature anglo-saxonne parle de decommodification du travail : les gens ne dépendent plus seulement du marché pour survivre et, même si leur force de travail n'y est pas requise, ils peuvent se contenter d'une allocation fournie par l'État qui leur accorde des droits sociaux. On considère cette intervention comme une des caractéristiques essentielles de l'État-providence (Esping-Andersen, 1990 ; Offe, 1984).
  • [1]
    Signalons qu'il n'est pas aisé de savoir si les études de pauvreté citées tiennent compte de cette source de revenu. Si elles omettent cette solidarité, les taux de pauvreté s'avéreraient sans doute bien inférieurs.
  • [2]
    Au sens de « souterrain, hors de la sphère étatique », par allusion aux solidarités souterraines.
  • [3]
    La distinction analytique entre universalisme et particularisme se réfère aux pattern variables développées par Parsons (1951). Toute relation sociale doit en effet se positionner sur cette échelle qui oppose une attitude fondée sur des règles générales à une attitude plus aléatoire qui développe la relation suivant la spécificité du cas. L'institution d'un État-providence favorise l'universalisme tandis que la solidarité infranationale s'oriente plutôt vers le particularisme.
  • [1]
    Le portrait qui suit de cette solidarité particulariste ne s'applique pas à toutes les ONG actives sur le terrain. Il y en a qui fonctionnent selon des principes plus universalistes mais leur nombre reste limité et elles survivent le plus souvent grâce à un financement externe. Sur leur position ambiguë, voir Kochuyt (2002).
  • [2]
    L'émigration a toujours été importante au Liban : on estime que le nombre total de Libanais qui vivent à l'étranger est le double de ceux qui restent encore au pays.
  • [3]
    Commission économique et sociale des Nations Unies pour l'Asie occidentale (ESCWA en anglais).
  • [1]
    L'unique exception vient de l'ONG « Arc en Ciel » qui a fait accepter une législation sociale pour les personnes handicapées et qui tente, encore en ce moment, d'élargir cette démarche à d'autres secteurs. Cette innovation sera-t-elle efficace sur le terrain ? La question reste posée, car l'État manque de moyens pour financer les droits des citoyens invalides (Kingston, 2002).
  • [2]
    Cela ne veut pas dire que tous les politiciens sont toujours aussi ouverts. Le lendemain des élections, les listes se décomposent et la plupart des hommes politiques retrouvent leurs alignements confessionnels avec tout le favoritisme qui l'accompagne. Ainsi se conforment-ils à la politique nationale, où les oppositions communautaires dominent trop souvent la scène. Pour accéder à ce niveau national, cependant, il faut une base régionale et donc un support électoral qui n'est presque jamais mono-confessionnel.
  • [1]
    Projet social du Premier ministre actuel, qui est d'appartenance sunnite.
  • [1]
    Pratique courante pour transporter des électeurs lointains vers la circonscription ancestrale afin d'y voter.
  • [2]
    Que la solidarité des politiciens exclue les non-inscrits est d'autant plus déplorable qu'il y a parmi eux un bon nombre de déplacés de guerre ; ils constituent évidemment une portion très affaiblie de la population (Haddad, 1996).
  • [1]
    « All the momentous events in a person's life cycle continue to be shaped by sectarian affiliation. It is a reality one cannot renounce. Early socialization, access to education, employment, welfare, hospital care, as well as many other vital services and personal benefits, are mediated through or controlled by sectarian foundations or agencies. Even a person's civil rights and duties as a citizen are, largely, an expression of one's sectarian identity. The sine qua non of the state is, after all, an embodiment of a pact – transfigured at times into a sacred covenant – between the various sects to preserve this delicate balance » (trad. T.K.).
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