Couverture de RS_072

Article de revue

Quantifier les populations exposées

Pages 115 à 127

Notes

  • [1]
    Yilmaz E., 2006, Pénibilité du travail. Évaluation statistique, Document de travail du Centre d’études de l’emploi, n° 55 : http://www.cee-recherche.fr/publications/document-de-travail/penibilite-du-travail-evaluation-statistique
  • [2]
    Enquête sur la Surveillance médicale des risques professionnels, réalisée tous les sept à huit ans par des médecins du travail et exploitée par la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et statistiques du ministère du Travail) – voir encadré 1.
  • [3]
    Enquête réalisée par l’Insee, à un rythme décennal.
  • [4]
    Lasfargues G., 2005, Départs en retraite et « travaux pénibles ». L’usage des connaissances scientifiques sur le travail et ses risques à long terme pour la santé, Centre d’études de l’emploi, Rapport de recherche n° 19 : http://www.cee-recherche.fr/publications/rapport-de-recherche/departs-en-retraite-et-travaux-penibles
  • [5]
    Cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante.
  • [6]
    Cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés, ouvrant des possibilités de départ anticipé à des salariés de plus de 55 ans, appartenant à des entreprises signataires d’une convention Cats, et ayant été longuement exposés à certaines contraintes (travail à la chaîne, horaires alternants ou nocturnes), ou ayant un statut de travailleur handicapé.
  • [7]
    NDLR : La loi de 2010 parle de « facteurs de risques professionnels ».
  • [8]
    NDLR : ces critères ne sont en revanche pas pris en compte pour la retraite anticipée pour pénibilité, celle-ci étant réservée aux salariés présentant des incapacités lourdes résultant d’une maladie professionnelle reconnue ou d’un accident du travail. Depuis l’entrée en vigueur du compte pénibilité, cette retraite s’intitule désormais retraite liée à l’incapacité permanente d’origine professionnelle.
  • [9]
    Enquête menée en 2006-2007, puis en 2010, en collaboration avec l’Insee, la Dares et la Drees - voir encadré 2.
  • [10]
    Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), ministère de la Santé.
  • [11]
    Coutrot T., Rouxel C., 2011, « Emploi et santé des seniors durablement exposés à des pénibilités physiques au cours de leur carrière : l’apport de l’enquête « Santé et itinéraire professionnel »», Dares analyses, n° 20, http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2011-020.pdf ; Bahu M., Mermilliod C., Volkoff S., 2013, « Conditions de travail pénibles au cours de la vie professionnelle et état de santé après 50 ans », inBrocas A.-M. (coord.) avec la collaboration de B. Galtier, M. Grignon et G. Maigne, L’âge dans les régimes de retraite, Revue française des affaires sociales, La Documentation française, n° 4, p. 107-136.
  • [12]
    Pour une présentation plus détaillée de l’enquête, voir le document en ligne :http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Presentation_detaillee_de_Sumer_2010.pdf
  • [13]
    Dans SIP, le bruit est un des critères prévus pour qualifier un travail de « physiquement exigeant ».
  • [14]
    Pour une présentation plus détaillée de l’enquête, voir le document de travail de la Drees : « Appréhender les interactions entre la santé et la vie professionnelle et leur éventuel décalage temporel, premier bilan d’une enquête innovante : SIP ». En ligne : http://www.drees.sante.gouv.fr/apprehender-les-interactions-entre-la-sante-et-la-vie,11026.html
  • [15]
    Enquête sur la gestion des salariés de 50 ans et plus, menée en 2008 par téléphone auprès de 4 500 entreprises.
  • [16]
    NDLR : Cette Commission, composée de dix membres et présidée par Yannick Moreau, s’est réunie au long du 2e trimestre 2013 pour présenter au gouvernement un ensemble de réflexions et de pistes d’action que la nouvelle réforme pourrait prendre en compte. Voir le rapport de cette commission :http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000356/, et en particulier les propositions en matière de pénibilité, pages 160-170.
  • [17]
    Rivalin R., Sandret N., 2014, « L’exposition des salariés aux facteurs de pénibilité dans le travail », Dares Analyses, n° 95.
  • [18]
    La Mission d’analyse économique (MAE) de la Dares a également contribué à ces travaux, notamment pour le chiffrage des variantes envisagées.
  • [19]
    Voir l’encadré 3 pour une présentation technique de cette méthode.
  • [20]
    Des éléments (très parcimonieux) figurent aussi dans l’étude d’impact (section 4.6.4) du projet de loi sur les retraites 2014 (http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl1376-ei.asp, dossier législatif)
  • [21]
    Équipes successives alternantes, travail de nuit, travail répétitif, milieu hyperbare.
  • [22]
    Cet item existe dans Sumer, mais dans une formulation qui ne correspond pas à celle du décret.
  • [23]
    Déclaration annuelle de données sociales. Elles concernent tous les salariés de chaque entreprise.
English version

1 Dans quelles conditions le système statistique public s’est-il trouvé sollicité pour apporter des éléments concernant le dossier pénibilité ? Était-ce une demande formelle, ou bien votre service s’est-il en quelque sorte « autosaisi » ?

2 T.C. : Dans mon souvenir cela a commencé par un rapport dont nous avions confié la rédaction au Centre d’études de l’emploi (CEE) [1], en lien avec nous. C’était la première tentative de chiffrage, suite à la réforme des retraites de 2003.

3 En lien, donc, avec la négociation interprofessionnelle qui s’était ouverte dans cette période ?

4 T.C. : Oui, la réforme de 2003 prévoyait le lancement de cette négociation, dont certains syndicats avaient fait une condition de leur acceptation du projet de réforme. Le CEE a débuté ce travail de chiffrage, en se basant d’une part sur l’enquête Sumer [2], dans sonédition de 2003, la dernière disponible à cette époque, pour avoir une photographie des expositions à une date donnée ; et d’autre part sur l’enquête Santé [3] de 2002-2003 qui nous a donné quelques éléments, très sommaires, permettant d’établir des coefficients correcteurs pour évaluer les durées d’exposition sur la totalité de la vie professionnelle. Les expositions retenues étaient celles que venait de lister un autre rapport du CEE, rédigé par un professeur de médecine du travail, Gérard Lasfargues [4] : toutes les expositions qui sont connues pour avoir un effet sur la santé au grand âge et l’espérance de vie. Je me souviens que ce travail d’évaluation avait été jugé « sensible » par le ministère, ce qui a amené à attendre quelques mois l’autorisation de le rendre public.

5 Vous avez alors adressé ces résultats aux négociateurs ?

6 T.C. : Cela ne fonctionne pas ainsi. Le document de travail qui les rassemblait a été mis en ligne par le CEE, la lettre d’information de cet organisme a annoncé cette parution, à charge pour toute personne intéressée de le télécharger et de le lire. Nous en avons, de notre côté, rédigé un résumé d’une page à l’intention du cabinet.

7 Quelles ont été les étapes suivantes ?

8 T.C. : En 2006, donc à peu près au moment où ces résultats ont été publiés, le ministère nous a demandé des évaluations chiffrées autour de diverses hypothèses concernant des aménagements de dispositifs existants comme la Caata [5] ou la Cats [6]. Dans ce but, nous avons étudié plusieurs variantes et, pour cela, réexploité Sumer en utilisant à nouveau les coefficients proposés par le rapport du CEE. Aux critères existants pour la Cats (gestes répétitifs, travail en horaires alternants ou de nuit), nous avions ajouté les toxiques cancérogènes, les postures pénibles et la manutention manuelle de charges – avec différentes combinaisons de ces critères et différents seuils d’exposition.

9 Par la suite, la question des dispositifs concernant la pénibilité, et donc des évaluations chiffrées des populations concernées, s’est posée de nouveau à chaque réforme des retraites. Après l’échec et l’arrêt de la négociation interprofessionnelle, une définition de la pénibilité, à peu près celle sur laquelle les négociateurs s’étaient mis d’accord, a été reprise dans la réforme de 2010. Le nombre de critères à prendre en compte [7], pour les fiches d’exposition, les accords ou plans d’action [8] – et pour nos propres calculs – est alors monté à 10, avec l’introduction des vibrations, du bruit, des températures extrêmes, du milieu hyperbare.

10 Or, entre-temps, une nouvelle enquête avait été créée : SIP (Santé et itinéraires professionnels) [9].Elle avait bien d’autres objectifs que d’éclairer l’action publique sur la pénibilité, mais ses résultats tombaient au bon moment pour affiner notre connaissance des durées d’exposition au long du parcours professionnel. Le problème est que les items d’expositions sont (à la différence de Sumer) formulés de façon assez succincte dans les questionnaires – même s’ils représentent un progrès par rapport à l’enquête Santé. Dans le champ de la pénibilité, SIP donne des renseignements sur quatre grands facteurs : travail de nuit, travail répétitif, travail physiquement exigeant, exposition à des produits toxiques, et l’on avait un décompte des personnes exposées à ces quatre grandes catégories de contraintes, avec les nombres d’années. Sur cette base-là, nous avons rédigé, avec des collègues de la Drees [10], plusieurs notes, et finalement une partie de ces résultats a été publiée [11].

ENCADRÉ 1 L’évaluation des expositions aux facteurs de pénibilité, à partir de l’enquête Sumer 2010

L’enquête Sumer (Surveillance médicale des risques professionnels) [12] dresse, à intervalles de quelques années (1994, 2003, 2010), une cartographie des expositions des salariés aux principaux risques professionnels en France. Elle a été lancée et gérée conjointement, au ministère du Travail, par la Direction générale du travail (et en son sein l’inspection médicale du travail) et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).
Cette enquête présente le double intérêt de reposer d’une part sur l’expertise professionnelle du médecin du travail qui peut administrer un questionnaire parfois très technique, et d’autre part sur le grand nombre de salariés enquêtés, ce qui permet de quantifier des expositions à des risques même s’ils sont relativement rares. Le médecin enquêteur s’appuie d’une part sur les déclarations du salarié lors de la visite médicale, d’autre part sur son expertise. Cette expertise se fonde généralement sur sa connaissance du terrain et des procédés de travail spécifiques au poste, à l’entreprise ou au métier du salarié. En cas de doute sur une déclaration du salarié, le médecin peut réaliser une visite du poste de travail chaque fois qu’il le juge nécessaire et possible (temps disponible, accord de l’entreprise…). Le salarié remplit par ailleurs, seul dans la salle d’attente, un auto-questionnaire qui porte sur son vécu du travail et permet d’évaluer les facteurs psychosociaux de risque rencontrés sur le poste de travail ; ces facteurs, essentiels à connaître et à évaluer pour une politique de prévention en santé au travail, n’entrent cependant pas dans le champ de la « pénibilité » telle qu’elle est définie pour les dispositifs étudiés ici.
La dernière enquête, mobilisée ici, s’est déroulée sur le terrain de janvier 2009 à avril 2010. Deux mille quatre cents médecins du travail, soit plus de 20 % des médecins du travail en exercice, ont tiré au sort, selon une méthode aléatoire, 53 940 salariés parmi ceux qu’ils voyaient en visite périodique, dont 47 983 (soit 89 %) ont répondu. Ces salariés sont représentatifs de près de 22 millions de salariés. En moyenne, 22 questionnaires ont été réalisés par médecin-enquêteur.
Le champ de l’enquête Sumer s’est peu à peu étendu, d’une date à l’autre. En 2010, l’enquête a couvert l’ensemble des salariés surveillés par la médecine du travail du régime général et de la mutualité sociale agricole, ainsi que les hôpitaux publics, EDF-GDF, La Poste, la SNCF, Air France, la RATP, les gens de mer. Avec le concours de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (Dgafp), une grande partie des agents de la fonction publique d’État et des collectivités territoriales ont été inclus, l’exception majeure concernant l’Éducation nationale, dont le réseau de médecine de prévention ne dispose pas de la couverture suffisante.
Les facteurs de pénibilité retenus par la Dares ont été ceux définis par la loi du 9 novembre 2010, à l’exception du travail en milieu hyperbare, très rare et non mentionné dans le questionnaire de 2010. Pour quantifier la proportion de salariés exposés à l’un de ces facteurs de risque, il a fallu définir des seuils au-dessus desquels on considérerait que l’exposition peut être qualifiée de « pénible »- c’est-à-dire, selon la logiquedes rapports Struillou et Lasfargues, susceptible d’engendrer une réduction de l’espérance de vie sans incapacité. À ce titre il est apparu difficile de dire qu’un salarié exposé seulement de façon ponctuelle (moins de deux heures par semaine, par exemple) à un travail répétitif, à des vibrations ou à un port de charge lourde, exerçait une activité pénible. À l’inverse, dans les cas où existent des valeurs limites d’exposition (pour des nuisances dans l’environnement de travail), il serait abusif de les prendre comme seuil au-delà duquel le travail serait considéré comme pénible, puisque les expositions ne doivent en principe pas dépasser ces valeurs limites. La définition des seuils d’exposition, exprimés en termes de durée et d’intensité, ne pouvait donc résulter que d’un choix d’expert, intermédiaire entre une exposition ponctuelle et une exposition maximale. Les seuils finalement retenus par l’équipe Sumer, composée de statisticiens et de médecins inspecteurs du travail et de la main-d’œuvre, sont des choix raisonnés en fonction d’une expertise médicale. Les auteurs ont insisté sur le fait qu’ils ne pouvaient en aucun cas être pris comme des références ou normes à atteindre dans le cadre de l’évaluation, la traçabilité ou les négociations sociales. Ils ont pour principal intérêt de permettre un repérage des secteurs et des professions les plus exposées.
Selon les critères retenus, l’évaluation, menée dans les conditions que l’entretien décrit, aboutissait à une proportion de 38 % de salariés exposés, au moment de l’enquête, à au moins un des facteurs de pénibilité, avec des pourcentages atteignant 54 % dans l’industrie et 65 % dans la construction.

11 Outre le fait de permettre un cadrage des durées, SIP permettait de faire un lien intéressant entre les expositions et les situations d’emploi ou la sortie d’activité des seniors, et leur santé. Or par rapport à des politiques qui porteraient sur des retraites précoces, c’était important d’avoir des éléments de ce type, qui incluent la situation des intéressés sur le marché du travail.

12 Dans toutes ces estimations, les nombres de personnes concernées auxquels vous aboutissiez étaient en général très élevés. Pensez-vous que cela ait pu jouer un rôle dans le fait que la réforme de 2010 a pris en ce domaine un positionnement très restrictif ?

13 T.C. : Le chiffre qui a certainement inquiété doit être celui-ci : 38 % des personnes de 50 à 59 ans (ayant travaillé au moins 10 ans), ont été exposés, durant au moins 15 ans, à au moins l’une des quatre grandes catégories de pénibilité inventoriées dans SIP. En outre on constatait évidemment un fort lien statistique entre ces expositions et les limitations fonctionnelles dont ces personnes faisaient état.

14 S.R. : Ce qui inquiétait surtout, si je me souviens bien, ce n’était pas tant la perspective de mettre un système en place pour suivre, et éventuellement compenser, ces pénibilités ; c’était la question de la compensation des expositions passées, chez les salariés qui seraient déjà proches de leur départ à la retraite : comment prendre cela en compte ? Comment valider rétrospectivement des expositions pour un aussi grand nombre d’individus ?

15 Comme on le verra, ce même problème est resté soulevé dans la réforme de 2014, pour le compte personnel de prévention de la pénibilité (le C3P)…

16 S.R. : Oui, et c’est un vrai problème. Quand on voit les effectifs tels que nous les avons évalués, on peut évidemment se demander si cela n’impliquerait pas qu’il y ait des formes de validation qui soient, en partie au moins, collectives, afin d’alléger la lourdeur administrative de la gestion pour un tel dispositif ; cela à condition évidemment qu’on puisse vérifier la réalité des expositions correspondantes, et arbitrer en cas de contestation.

17 T.C. : Pour en revenir à notre fameux 38 %, il faut rappeler que c’était un premier chiffrage. On aurait pu, à partir de SIP, durcir les critères, si l’on voulait tester des variantes qui cibleraient une population plus restreinte. Dans SIP, les items de réponses sont du genre « toujours, souvent, parfois, jamais ». On avait retenu les réponses « toujours », sauf pour le travail de nuit où l’on intégrait aussi les réponses « souvent ». Les « toujours exposés » sont évidemment le niveau maximal dans SIP, mais ce n’est pas, bien sûr, une mesure précise. Un salarié peut être « toujours » exposé au bruit [13], mais on ne sait pas à quelle intensité. S’il y a en permanence un peu de bruit dans l’atelier, ce n’est pas forcément délétère. Nous avons bien indiqué cela, et souligné qu’une telle quantification était finalement assez grossière. Mais il ne nous a pas été demandé, en 2009-2010, d’affiner les variantes. Nous l’avons fait plus tard, pour la réforme de 2014.

18 Mais avec l’enquête SIP, sauf erreur, vous n’aviez pas d’éléments pour « durcir » les critères ?

19 T.C. : Non, on ne pouvait pas durcir les critères, mais on aurait pu, par exemple, reprendre des résultats antérieurs de Sumer et dire : « parmi les expositions au bruit, il y en a seulement 12 % qui dépassent tel niveau ». À l’époque, le ministère n’a pas formulé de souhait pour de telles évaluations plus ciblées. On peut se demander s’il n’y a pas là une responsabilité de notre part ; après tout, nous pouvions d’emblée faire les estimations resserrées qui s’avéraient possibles. Nous nous en sommes tenus à signaler que c’était faisable.

ENCADRÉ 2 L’enquête SIP, un outil pour évaluer des durées d’exposition sur l’ensemble du parcours professionnel

L’enquête SIP (Santé et itinéraires professionnels) [14] a été conçue conjointement par la Direction de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail, et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la Santé. Sa mise en œuvre a été assurée par l’Insee. Elle vise à mieux connaître les relations entre emploi, conditions de travail, et santé, au fil de la vie professionnelle, voire au-delà.
La première vague de cette enquête a été réalisée en hiver 2006-2007. Près de 14 000 itinéraires professionnels ont été alors décrits par une population âgée de 20 à 74 ans (quelle que soit leur situation au regard de l’emploi), ainsi que les événements de santé vécus par ces mêmes personnes au long de leur vie et jusqu’à la date d’enquête.
Les itinéraires sont découpés, par chaque enquêté, en périodes d’emplois, de chômage, ou d’inactivité. Chaque période d’emploi donne lieu à une description des conditions de travail, grâce à un module de 11 questions, dont quatre abordent, de façon assez large, des expositions physiques, susceptibles de trouver leur place dans une évaluation de la « pénibilité » au sens de l’étude évoquée ici :
  • les produits nocifs, avec l’item : « j’étais exposé à des produits nocifs ou toxiques : poussières, fumées, microbes, autres agents infectieux, produits chimiques » ;
  • le travail de nuit : « mon travail m’obligeait à ne pas dormir entre minuit et 5 heures du matin » ;
  • le travail répétitif : « je devais effectuer un travail répétitif sous contraintes de temps ou un travail à la chaîne » ;
  • le travail physiquement exigeant : « mon travail était physiquement exigeant : charges lourdes, postures pénibles, bruit, températures excessives, vibrations ».
Les réponses à chacune de ces questions étaient : « toujours, souvent, rarement, jamais ». Les réponses « toujours » ou « souvent » ont été retenues pour l’évaluation. Comme l’explique l’encadré 3 ci-après, un traitement statistique particulier a dû être élaboré pour mobiliser à la fois les données fournies par SIP, englobant l’ensemble d’un itinéraire mais sur des questions très vastes, et celles fournies par Sumer, beaucoup plus détaillées mais portant seulement sur la date d’enquête. Ce rapprochement a permis d’indiquer par exemple que, parmi les salariés de 55 ans et plus, 29,5 % ont été exposés, pendant au moins un an, à au moins un « facteur de pénibilité » (au sens de la loi), avec une durée moyenne d’exposition de 16,7 ans. Parmi eux, 18 % ont été exposés pendant dix ans et plus, avec cette fois une durée moyenne de 24 ans.

20 S.R. : C’est conforme à notre rôle. Nous présentons des évaluations avec une démarche aussi neutre et ouverte que possible, et c’est au gouvernement, aux acteurs sociaux, ensuite, de voir l’usage qu’ils veulent en faire. Nous n’allons pas adapter nos critères d’évaluation à nos propres objectifs sur le fond – pour autant que nous en ayons. Et de leur côté, les autorités peuvent aussi anticiper des causes de difficultés, que nous n’avons pas la possibilité d’apprécier. Elles ont aussi leurs principes d’orientation et, en l’occurrence, le gouvernement était alors réticent sur le principe même des compensations (en termes de départs anticipés) définies dans un cadre collectif, et qui sembleraient assimilables à de nouveaux régimes spéciaux de retraite.

21 On est donc entré alors dans une période (2010-2013) où les évaluations numériques ont cessé d’être réclamées ?

22 T.C. : Pas exactement, car dans la loi il y avait aussi l’incitation à négocier dans les entreprises de plus de 50 salariés où plus de 50 % des effectifs étaient exposés à des facteurs de pénibilité. On nous a demandé des chiffrages sur le nombre d’entreprises qui, normalement, devraient négocier. Nous avons pu rassembler quelques éléments, en faisant appel cette fois à l’enquête EGS50+ [15], réalisée en 2008-2009 auprès des employeurs, et où il s’est trouvé que figurait une question sur l’exposition – des « seniors », en l’occurrence – à la pénibilité. On avait estimé alors que le nombre d’entreprises concernées était de l’ordre de 6 600. Mais là nous n’étions pas sur des questions d’expositions individuelles et de possibilités de compensation.

23 On peut à présent en venir à la réforme suivante, celle préparée en 2013 et qui a abouti en 2014. Sur les questions de pénibilité, vous avez sans doute d’abord été sollicités par la Commission pour l’avenir des retraites [16] ?

24 S.R. : À notre connaissance, la proposition d’un compte personnel de prévention de la pénibilité, avec son dispositif d’abondement de points et son pendant en termes de mesures de prévention, a certes acquis une forte visibilité à l’occasion des débats de cette Commission, mais elle a été pour l’essentiel élaborée au sein de la Direction générale du travail (DGT), en lien avec les cabinets du Travail et de la Santé. C’est de là que nous sont venues des demandes.

25 T.C. : Il y a alors eu deux types de travaux menés en parallèle, mais dont les résultats pouvaient se recouper en partie, car tous deux faisaient appel à l’enquête Sumer, cette fois celle de 2010. Il y a eu d’une part, une analyse menée par l’équipe de pilotage de Sumer elle-même (statisticiens, médecins-inspecteurs du travail, etc.), dont les résultats ont été présentés dans un colloque sur Sumer en septembre 2013, et publiés récemment [17] ; il ne s’agissait pas d’analyser des variantes, mais de partir de seuils, figurant dans Sumer, et de dérouler un ensemble de calculs, selon nos méthodologies habituelles– et ce, tout à fait indépendamment de la préparation de la loi. D’autre part, nous avons (nous deux, cette fois) travaillé dans le cadre de la préparation de la loi, donc avec une logique un peu différente.

26 S.R. : Il y avait bien deux logiques. Dans la préparation de la publication, il s’agissait d’éclairer sur les expositions des salariés à certains types de pénibilité, avec des seuils fondés sur une description statistique, et choisis par les médecins dans une perspective de prévention. Ces seuils étaient déconnectés des différentes variantes que l’on se préparait à évaluer à la demande du cabinet et de la Direction générale du travail (DGT), variantes qui s’inscrivaient dans une démarche de compensation, avec nécessairement une interrogation sur la soutenabilité financière d’un dispositif. C’étaient donc deux études distinctes, de par leurs objectifs et les personnes qu’elles impliquaient, même si Thomas était partie prenante de l’une et l’autre, et que, de mon côté, je suivais l’avancement de la première tout en étant investi dans la seconde [18].

27 T.C. : Comme toujours, quand on fait des statistiques, les choix que l’on opère sont finalisés par autre chose que la statistique elle-même.

28 S.R. : Pour compliquer encore les choses, la première étude, celle qui a mené à la publication, a elle aussi proposé des variantes, notamment pour insister sur les métiers concernés, les populations les plus à risque.

29 T.C. : Il nous fallait également souligner que l’ampleur des effectifs concernés dépendait fortement des seuils choisis. On aboutissait, en première évaluation, à 39 % de la population salariée, un chiffre très proche de celui qu’on avait trouvé avec SIP deux ou trois ans plus tôt. L’idée de faire une variante plus restrictive, où l’on aboutissait à environ 20 %, est venue en cours de route.

30 S.R. : Le but était, à ce moment-là, était d’éviter toute fétichisation des chiffres sur ce sujet et, en particulier, d’empêcher que certains s’imposent dans le débat public pour désigner l’ampleur de la pénibilité alors même qu’ils dépendaient fortement de seuils arbitrairement choisis.

31 Mais alors, quand le premier ministre, en juin 2013, a lancé le chiffre de 18 %...

32 S.R. : Cela venait de notre deuxième exercice, celui que l’on faisait directement pour le cabinet et la DGT.

33 Ce que vous appelez les « seuils », et qui pouvait faire l’objet d’options différentes dans vos deux types de travaux, c’étaient en fait des nombres d’heures hebdomadaires d’exposition. N’y avait-il pas de paramètres d’intensité ? Par exemple, pour le bruit, le niveau qui sert de repère est-il toujours 85 dB ?

34 T.C. : En effet, la différence s’est faite sur les durées. « L’intensité » d’exposition, c’est en fait le volume d’heures d’exposition par semaine.

35 S.R. : Et aussi, bien sûr, la durée d’exposition au cours de la carrière. Et là, à nouveau, il fallait aller chercher des données hors de Sumer. Nous avons à nouveau eu recours à SIP, avec une méthodologie précise.

36 Pouvez-vous expliquer cette méthode de calcul ?

37 S.R. : L’idée générale [19] est de répliquer, à partir de SIP, des expositions définies plus finement, telles qu’elles figurent dans Sumer. Dans SIP, comme on l’a dit, il y a quatre types d’expositions, dont chacune est traitée en une seule question. En partant d’une exposition, avec des seuils précis, dans Sumer à la date actuelle (ou plutôt, en l’occurrence, en 2010), et en construisant un modèle bâti à partir des résultats de SIP, on peut établir la distribution de cette même exposition, conditionnellement à la probabilité de vivre une pénibilité au sens de SIP, compte tenu de l’âge, du sexe, etc. Par exemple, le salarié qui a dit, dans SIP, avoir « un travail physiquement exigeant » avait (selon Sumer) X % de chances d’être exposé à un bruit d’au moins 85 dB pendant tant d’heures par semaine. Et l’on déroule ensuite ce lien tout au long de l’itinéraire professionnel, année après année, en fonction des déclarations de cet enquêté dans SIP. On crée ainsi des « trajectoires d’exposition » à partir de ses déclarations.

38 Ce calcul de « probabilité conditionnelle » est en fait réalisé à partir de Sumer, en « simulant », d’après ce que l’on voit des réponses d’un enquêté Sumer, ce qu’auraient été ses réponses si on l’interrogeait dans le cadre de SIP…

39 S.R. : Exact. L’intérêt est qu’on peut ainsi reporter cette même probabilité relative (en la supposant stable), en regardant les réponses à SIP sur l’ensemble des périodes de la vie professionnelle. Cela amène à faire un assez grand nombre de tirages, pour établir les trajectoires, et aussi – ce qui complique encore l’analyse – pour prendre en compte les poly-expositions.

40 Le C3P, lui, distingue seulement entre la présence d’une seule exposition, d’une part, ou de deux au moins, d’autre part…

41 S.R. : Oui, mais notre modèle permettait d’estimer des situations plus diverses, en calculant le nombre d’expositions différentes, quel qu’il soit, y compris si plusieurs d’entre elles relèvent du même item dans SIP : plusieurs facteurs différents de pénibilité physique, par exemple, pour la question « travail physiquement exigeant ».

42 Jusqu’à présent, les résultats de cette analyse n’ont pas été publiés ?

43 S.R. : Non, si ce n’est dans des notes techniques et des exposés. Il faudrait trouver le temps de publier un document de travail. En ce qui concerne le C3P, le nombre de personnes qui vont à un moment donné abonder des points, en raison de leurs expositions à cet instant-là, peut être calculé à partir des seuls renseignements fournis par Sumer. En revanche, les conséquences à terme, le nombre de personnes qui auront droit à des compensations (en formation, temps partiel, départ anticipé) ne peut être estimé qu’à partir de micro-simulations comme celle que je viens de décrire ; et une fois le modèle établi (ce qui évidemment n’a pas été simple), les calculs sont relativement aisés.

ENCADRÉ 3 L’estimation des expositions durables et cumulées par la méthode de microsimulation

Pour estimer le nombre de salariés concernés par le compte pénibilité, il faut considérer l’exposition à divers facteurs de pénibilité, le cumul de facteurs ainsi que les durées d’exposition. Pour reconstituer le cumul passé des expositions, il faut mêler les informations apportées par l’enquête SIP et par l’enquête SUMER.
Pour chaque individu, et pour chaque année de sa carrière passée, on dispose de l’information sur le fait qu’il ait été exposé à une pénibilité au sens de SIP. Sur la base de cette information, on connaît la probabilité d’un individu d’être exposé à une pénibilité au sens de Sumer. La microsimulation consiste à imputer aléatoirement à un individu le fait d’être exposé à une pénibilité au sens de Sumer sur la base de cette probabilité, en faisant l’hypothèse que ces probabilités ne se déforment pas avec le temps.
Pour cela, on tire pour chaque individu i un terme aléatoire, xi, dans une loi uniforme. Soitp la probabilité d’être exposé à un facteur de pénibilité Sumer conditionnellement à l’exposition, on considère que l’individu est exposé au facteur de pénibilité Sumer si xi < p.
Spécifications :
  • Le terme aléatoire xi est fixé pour chaque individu, et n’est pas tiré à nouveau à chaque période. Cette spécification permet de s’assurer qu’un individu exposé à un facteur particulier l’est au cours de plusieurs années (dans la mesure où la pénibilité SIP est également mesurée), ce qui est cohérent avec l’idée selon laquelle la nature des expositions sur un poste donné reste la même.
  • La probabilité p peut varier selon la catégorie de population, qui dépend du sexe et de l’âge.
  • Quatre facteurs de pénibilité différents sont considérés dans SIP. Pour tenir compte de ces différents facteurs, quatre aléas sont tirés, indépendamment des uns des autres dans des distributions uniformes. Cela correspond à faire l’hypothèse que les pénibilités Sumer imputées sont indépendantes conditionnellement aux pénibilités observées dans SIP (à l’exception de celles correspondant au travail exigeant). C’est donc la structure des corrélations entre les pénibilités SIP qui détermine la corrélation observée entre les différentes pénibilités. S’appuyer sur un seul aléa aurait conduit à rendre les différentes pénibilités fortement corrélées et à surestimer le cumul des pénibilités. L’estimation du cumul des pénibilités physiquement exigeantes s’appuie sur la distribution observée du cumul de ces pénibilités dans l’enquête Sumer. Pour chaque catégorie, la proportion de salariés exposés à une, deux… six pénibilités est estimée. Soit equation im1 , l’aléa correspondant aux pénibilités physiques exigeantes tiré pour l’individu i et equation im2 , la probabilité que l’individu soit exposé à k de pénibilités physiquement exigeantes. L’individu est supposé être exposé à k pénibilités si equation im3 Dans ce cas, le même aléa conduit à affecter la situation d’être exposé à un travail péniblement exigeant, lorsqu’il est inférieur à equation im4 , et au cumul des pénibilités correspondantes.
La méthode de microsimulation se fondant sur des tirages aléatoires, il est nécessaire de répliquer les simulations au minimum une centaine de fois pour produire des statistiques robustes.
La méthode retenue permet de reconstruire pour chaque individu les parcours passés d’exposition aux différentes pénibilités et selon diverses combinaisons de celles-ci. Le scénario 1, par exemple, combine travail de nuit, travail alternant et expositions à des produits nocifs. Selon l’enquête SUMER, 11,5 % des salariés de plus de 55 ans étaient exposés au travail de nuit (45 nuits par an), au travail alternant (3/8, 4/8, 2/12), ou à l’exposition aux produits chimiques (score >= 2) en 2010. À partir de la microsimulation, on estime que 29,5 % des actifs de plus de 55 ans ont été exposés au moins un an par le passé à une de ces pénibilités, leur durée d’exposition étant en moyenne de 16,7 années.

44 Reste à se demander quel usage les bénéficiaires feront vraiment de ces droits ouverts, et de leur capital de points…

45 T.C. : Sur ce sujet, évidemment, on peut seulement faire quelques suppositions, et évaluer leurs conséquences.

46 S.R. : Dans nos principaux scénarios [20], nous partons plutôt de l’idée que les salariés useraient à mi-carrière de leurs droits à formation (qu’ils doivent dépenser prioritairement de toute façon) ; puis ils prendraient éventuellement quelques périodes de temps partiel après 50 ans, et « consommeraient » le reste en départs anticipés, à l’approche de leur âge de retraite – et c’est ce troisième volet qui pèse le plus financièrement. Pour les proportions et durées de temps partiel ou de formation, nous nous sommes, dans certains scénarios, calés sur les comportements constatés dans l’enquête Emploi de l’Insee. Évidemment, il n’est pas sûr que cela se passe finalement ainsi – ne serait-ce, par exemple, que parce qu’on parle ici de « formation » dans un contexte très spécifique. Dans l’incertitude où nous étions à ce sujet, il fallait bien que nous adoptions tout de même un repère.

47 Y avait-il une possibilité de rapprocher ces évaluations de l’utilisation du compte épargne temps (CET), par exemple ? Il y a actuellement dans les entreprises des personnes qui utilisent le CET pour un temps partiel compensé, ou pour un départ anticipé.

48 T.C. : Non, nous n’avons guère d’information à ce sujet.

49 Avez-vous pu intégrer l’idée que l’usage de la formation, ou du temps partiel, pourrait contribuer à préserver la santé, donc rendre les départs précoces moins souhaités ?

50 S.R. : C’est bien le pari de la réforme. C’est d’ailleurs cohérent avec le fait de limiter le nombre de points à 100, pour ne pas inciter à prolonger l’exposition : le passage en formation permettrait entre autres aux gens d’être moins longtemps exposés, et in fine d’éviter les dégâts sur leur santé, donc de favoriser le maintien en emploi. Mais on ne sait pas bien si cela fonctionne, à l’échelle de grands effectifs.

51 On a en tout cas des éléments de preuve en creux : des personnes qui, faute deformation, n’accèdent pas à des possibilités de changer de métier et de se mettre à l’abri de travaux pénibles… en admettant qu’il y ait suffisamment d’emplois non pénibles qui leur soient accessibles.

52 T.C. : Nous espérions pouvoir recueillir des éléments centralisés à ce sujet, mais, à notre connaissance, il n’y a pas de données disponibles.

53 S.R. : Même s’il y a des exemples locaux qui sont connus, on ne sait pas si en ouvrant un droit général, en France, on aboutira à un résultat à l’échelle souhaitée. Il y avait d’ailleurs des projets d’articulation du C3P avec le compte personnel de formation (CPF).

54 Dans les résultats produits, vous êtes-vous seulement centrés sur des niveaux d’ensemble, ou bien avez-vous repéré des disparités entre genres, entre catégories socioprofessionnelles…?

55 T.C. : Par sexe et âge, oui ; par catégorie socioprofessionnelle, en revanche, il y a des difficultés.

56 S.R. : C’est compliqué techniquement. En effet, les professions et catégories sociales (PCS) changent au fil du temps ; ce n’est donc pas facile de calculer dans SIP des probabilités conditionnelles par PCS à chaque période. On peut juste espérer que cette dimension soit assez largement captée par le fait que l’individu est exposé ou non à telle forme pénibilité. C’est cette référence constante à l’exposition (ou à la non-exposition), à une pénibilité à tel moment, qui garantit la solidité de la méthode.

57 T.C. : Nous avons tout de même pu proposer des résultats ventilés selon la PCS en fin de parcours.

58 S’agissant des niveaux d’ensemble, vous arrivez, selon les scénarios, à des fourchettes extrêmement larges, en termes d’effectifs concernés…?

59 T.C. : Il y a de grosses différences selon les seuils choisis, et aussi selon les scénarios de comportement dans l’utilisation des points.

60 Quels liens y a-t-il entre les seuils choisis pour vos scénarios, et ceux finalement retenus, s’agissant des quatre formes de pénibilité pour lesquelles l’abondement du C3P a commencé dès 2015 [21] ?

61 T.C. : Ce lien existe pour les horaires, mais pas pour des items comme le travail répétitif, ou les charges lourdes (qui seront prises en compte début 2016). Les seuils du décret ont été élaborés dans le cadre d’un groupe de travail animé par la DGT, avec des experts des différents organismes de prévention. Nous avons fourni des cadrages statistiques à partir de Sumer, mais les discussions techniques sur la façon dont on définit les seuils dans les entreprises sont affranchies de nos catégories statistiques. En l’occurrence, il faut des éléments beaucoup plus précis que ceux dont nous disposons : par exemple, pour les charges lourdes, la question de savoir si elles sont portées, tirées, poussées, etc. Selon les cas, nous avons essayé d’estimer des ordres de grandeur, ou bien nous avons indiqué que nousn’avions pas l’information parce que celle-ci était trop éloignée de notre questionnaire.

62 Ces mêmes outils permettront-ils cependant d’apprécier les retombées des politiques de prévention ?

63 T.C. : La tentation, pour la DGT, sera évidemment de nous demander d’aménager et préciser le questionnaire, avec les poids exacts manipulés, le temps de cycle [22], etc. Or, nous ne pourrons pas aligner le questionnaire sur les seuils du décret, parce qu’en modifiant l’instrument de mesure, on perdrait toute possibilité de suivre les évolutions. Nous repérerons donc les effets des mesures de prévention à partir de catégories relativement vastes.

64 Les évolutions que vous constaterez auront en fait, également, bien d’autres causes que ces mesures de prévention…

65 T.C. : Cela dit, nous demanderons quand même dans Sumer si la personne a ouvert un compte pénibilité.

66 S.R. : Et puis il y aura, via la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), et/ou dans les DADS [23] ou ce qui leur succédera, des données administratives sur le nombre de personnes concernées.

67 T.C. : Mais en ce qui concerne nos données d’enquête, il faut savoir qu’elles donneront toujours une vision indirecte de ces politiques.


Mise en ligne 02/03/2016

https://doi.org/10.3917/rs.072.0115

Notes

  • [1]
    Yilmaz E., 2006, Pénibilité du travail. Évaluation statistique, Document de travail du Centre d’études de l’emploi, n° 55 : http://www.cee-recherche.fr/publications/document-de-travail/penibilite-du-travail-evaluation-statistique
  • [2]
    Enquête sur la Surveillance médicale des risques professionnels, réalisée tous les sept à huit ans par des médecins du travail et exploitée par la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et statistiques du ministère du Travail) – voir encadré 1.
  • [3]
    Enquête réalisée par l’Insee, à un rythme décennal.
  • [4]
    Lasfargues G., 2005, Départs en retraite et « travaux pénibles ». L’usage des connaissances scientifiques sur le travail et ses risques à long terme pour la santé, Centre d’études de l’emploi, Rapport de recherche n° 19 : http://www.cee-recherche.fr/publications/rapport-de-recherche/departs-en-retraite-et-travaux-penibles
  • [5]
    Cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante.
  • [6]
    Cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés, ouvrant des possibilités de départ anticipé à des salariés de plus de 55 ans, appartenant à des entreprises signataires d’une convention Cats, et ayant été longuement exposés à certaines contraintes (travail à la chaîne, horaires alternants ou nocturnes), ou ayant un statut de travailleur handicapé.
  • [7]
    NDLR : La loi de 2010 parle de « facteurs de risques professionnels ».
  • [8]
    NDLR : ces critères ne sont en revanche pas pris en compte pour la retraite anticipée pour pénibilité, celle-ci étant réservée aux salariés présentant des incapacités lourdes résultant d’une maladie professionnelle reconnue ou d’un accident du travail. Depuis l’entrée en vigueur du compte pénibilité, cette retraite s’intitule désormais retraite liée à l’incapacité permanente d’origine professionnelle.
  • [9]
    Enquête menée en 2006-2007, puis en 2010, en collaboration avec l’Insee, la Dares et la Drees - voir encadré 2.
  • [10]
    Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), ministère de la Santé.
  • [11]
    Coutrot T., Rouxel C., 2011, « Emploi et santé des seniors durablement exposés à des pénibilités physiques au cours de leur carrière : l’apport de l’enquête « Santé et itinéraire professionnel »», Dares analyses, n° 20, http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2011-020.pdf ; Bahu M., Mermilliod C., Volkoff S., 2013, « Conditions de travail pénibles au cours de la vie professionnelle et état de santé après 50 ans », inBrocas A.-M. (coord.) avec la collaboration de B. Galtier, M. Grignon et G. Maigne, L’âge dans les régimes de retraite, Revue française des affaires sociales, La Documentation française, n° 4, p. 107-136.
  • [12]
    Pour une présentation plus détaillée de l’enquête, voir le document en ligne :http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Presentation_detaillee_de_Sumer_2010.pdf
  • [13]
    Dans SIP, le bruit est un des critères prévus pour qualifier un travail de « physiquement exigeant ».
  • [14]
    Pour une présentation plus détaillée de l’enquête, voir le document de travail de la Drees : « Appréhender les interactions entre la santé et la vie professionnelle et leur éventuel décalage temporel, premier bilan d’une enquête innovante : SIP ». En ligne : http://www.drees.sante.gouv.fr/apprehender-les-interactions-entre-la-sante-et-la-vie,11026.html
  • [15]
    Enquête sur la gestion des salariés de 50 ans et plus, menée en 2008 par téléphone auprès de 4 500 entreprises.
  • [16]
    NDLR : Cette Commission, composée de dix membres et présidée par Yannick Moreau, s’est réunie au long du 2e trimestre 2013 pour présenter au gouvernement un ensemble de réflexions et de pistes d’action que la nouvelle réforme pourrait prendre en compte. Voir le rapport de cette commission :http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000356/, et en particulier les propositions en matière de pénibilité, pages 160-170.
  • [17]
    Rivalin R., Sandret N., 2014, « L’exposition des salariés aux facteurs de pénibilité dans le travail », Dares Analyses, n° 95.
  • [18]
    La Mission d’analyse économique (MAE) de la Dares a également contribué à ces travaux, notamment pour le chiffrage des variantes envisagées.
  • [19]
    Voir l’encadré 3 pour une présentation technique de cette méthode.
  • [20]
    Des éléments (très parcimonieux) figurent aussi dans l’étude d’impact (section 4.6.4) du projet de loi sur les retraites 2014 (http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl1376-ei.asp, dossier législatif)
  • [21]
    Équipes successives alternantes, travail de nuit, travail répétitif, milieu hyperbare.
  • [22]
    Cet item existe dans Sumer, mais dans une formulation qui ne correspond pas à celle du décret.
  • [23]
    Déclaration annuelle de données sociales. Elles concernent tous les salariés de chaque entreprise.
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