Couverture de RS_072

Article de revue

Compte pénibilité, un virage manqué pour la prévention ?

Pages 55 à 71

Notes

  • [1]
    Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010.
  • [2]
    Cf. note 13.
  • [3]
    Les textes relatifs à la pénibilité ne recouvrent par exemple pas les questions de pénibilité ressentie, ni l’ensemble des pénibilités qui « réduisent l’espérance de vie sans incapacité » (rapport Struillou, p. 26), ni la dimension psychosociale de la pénibilité, pourtant centrale dans les risques professionnels actuels.
  • [4]
    Il fallait avoir été victime d’un accident de travail et/ou d’une maladie professionnelle ayant entraîné au moins 10 % d’incapacité permanente partielle.
  • [5]
    Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014.
  • [6]
    Cf. article 19 du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, juin 2015.
  • [7]
    Décrets n° 2014-1155 à 1160 du 9 octobre 2014. Parmi eux, les trois premiers décrets, émanant du ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, viennent préciser respectivement – les modalités de gestion du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), et de contrôle et de traitement des réclamations (n° 2014-1155) ; – les modalités d’acquisition et d’utilisation des points acquis au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité, (n° 2014-1156) ; – les modalités d’organisation et de fonctionnement du fonds de financement des droits liés au compte personnel de prévention de la pénibilité (n° 2014-1157). Par ailleurs, les trois autres décrets, issus du ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, visent respectivement – à renforcer l’articulation entre les fiches de prévention des expositions et le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), (n° 2014-1158) ; – à fixer la liste des facteurs de risques professionnels à prendre en compte au titre de la pénibilité, les seuils associés à chacun d’eux et précise la périodicité et les modalités de la traçabilité ainsi réalisée, (n° 2014-1159) ; à apporter des précisions quant aux accords à négocier en faveur de la prévention de la pénibilité, (n° 2014-1160).
  • [8]
    Article L. 4121-1 du Code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
  • [9]
    Dorénavant l’employeur, après application des mesures de protection collective et individuelle, doit consigner dans une fiche de prévention des expositions les conditions de pénibilité (période d’exposition, mesures de prévention) résultant des facteurs de risques professionnels dépassant ainsi un certain seuil réglementaire. L’exposition de chaque travailleur est évaluée par l’employeur au regard des conditions habituelles de travail caractérisant le poste occupé, appréciées en moyenne sur l’année, notamment à partir des données collectives mentionnées en annexe du document unique d’évaluation des risques professionnels (nouvel article R. 4121-1-1 du Code du travail).
  • [10]
    Loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail.
  • [11]
    Article L. 4624-2 du Code du travail.
  • [12]
    Il s’agit des propositions d’aménagement de poste que peut formuler le médecin du travail en fonction de l’état de santé du salarié.
  • [13]
    Article L. 4624-1 du Code du travail.
  • [14]
    Article L. 4624-3 du Code du travail.
  • [15]
    Ce point faisant l’objet d’une contribution du professeur Pierre-Yves Verkindt dans ce même numéro, nous ne le développerons que peu.
  • [16]
    La loi du 9 avril 1898 a rendu l’employeur responsable des accidents du travail sur le plan civil. L’indemnisation des conséquences est ainsi devenue systématique mais forfaitaire. Cette loi de 1898 est la première loi instituant la réparation des conséquences corporelles des accidents du travail. Auparavant, la victime d’un accident du travail devait fournir la preuve d’une faute commise par son employeur et du lien entre celle-ci et le dommage corporel.
  • [17]
    Les 10 facteurs de pénibilité retenus sont ceux qui ont été définis par les partenaires sociaux en 2008 : les manutentions manuelles de charges lourdes ; les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ; les vibrations mécaniques ; les agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées ; les activités exercées en milieu hyperbare ; les températures extrêmes ; les bruits ; le travail de nuit ; le travail en équipes successives alternantes ; le travail répétitif.
  • [18]
    Code du travail, article L. 4162-11.
  • [19]
    Dans tous les cas : le salarié est informé des possibilités d’utilisation du compte. À cet effet, le titulaire du C3P peut accéder en ligne à un relevé de points lui permettant de connaître le nombre de points disponibles pour les utilisations souhaitées et en éditer un justificatif.
  • [20]
    La définition de ces seuils d’exposition a été confiée à une commission de concertation menée par Michel de Virville. Cette commission a rendu public fin avril 2014 ses conclusions, portant notamment sur la proposition des seuils d’exposition chiffrés, lesquels associent systématiquement l’intensité de l’exposition et sa temporalité (durée d’exposition).
  • [21]
    Code du travail, article L. 4162-2.
  • [22]
    Code du travail, article R. 4162-2.
  • [23]
    Code du travail, article R. 4162-2.
  • [24]
    Code du travail, article R.4162-2.
  • [25]
    Code du travail, article R. 4162-3.
  • [26]
    Code du travail, article L. 4162-4.
  • [27]
    Code du travail, article R. 4162-6.
  • [28]
    Code du travail, article L. 4162-4.
  • [29]
    Code du travail, article R. 4162-8.
  • [30]
    Code du travail, article R. 4162-9.
  • [31]
    Code du travail, article R. 4162-4.
  • [32]
    Code du travail, article R. 4162-6.
  • [33]
    Code du travail, article L. 4162-4.
  • [34]
    Code du travail, articles L. 4162-5 et R. 4162-14.
  • [35]
    Décret n° 2014-1119 du 2 octobre 2014 relatif aux listes de formations éligibles au titre du compte personnel de formation.
  • [36]
    Code du travail, article R. 4162-4.
  • [37]
    Code du travail, article R. 4162-5.
  • [38]
    Code du travail, article L. 4162-6.
  • [39]
    Code du travail, article L. 3123-5.
  • [40]
    Code du travail, article L. 3123-6, alinéa 1.
  • [41]
    Code du travail, article R. 4162-7.
  • [42]
    Code du travail, article D. 3123-3.
  • [43]
    Code du travail, article L. 4162-7.
  • [44]
    Code du travail, article L. 4162-8.
  • [45]
    Code du travail, article D. 4162-18.
  • [46]
    Les formes et les justifications seront déterminées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale.
  • [47]
    Un arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du travail doit venir fixer la liste des éléments ainsi que leurs modalités de transmission.
  • [48]
    Code du travail, article D. 4162-21.
  • [49]
    Code du travail, article L. 4162-10.
  • [50]
    Code du travail, article R. 4162-5.
  • [51]
    Code du travail, article R. 4162-4.
  • [52]
    Code du travail, article R. 4162-23.
  • [53]
    Code de la sécurité sociale, article D. 161-2-1-10.
  • [54]
    Code du travail, article R. 4162-8.
  • [55]
    Code du travail, article L. 4162-14.
  • [56]
    Notamment pour l’application de l’article nouveau L.4162-14 du Code du travail.
  • [57]
    Code du travail, article D. 4162-25, 2e alinéa.
  • [58]
    Code du travail, article L. 4162-12.
  • [59]
    Code du travail, article L. 4162-20.
  • [60]
    Code du travail, article D. 4162-25, alinéa 9.
  • [61]
    Code de la sécurité sociale, article L. 241-3.
  • [62]
    Code du travail, article D. 4162-39.

1 l’allongement de l’espérance de vie et la diminution de l’âge de fin de carrière ont permis d’augmenter de 13 ans la durée moyenne de la retraite des hommes entre 1960 et 2005 en Europe (Eurofound). Cet allongement représente un coût financier de plus en plus difficile à supporter par la société et une des solutions retenue pour résoudre ce problème a été de reculer l’âge effectif de départ en retraite. On assiste donc à une augmentation de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans ainsi que de la durée de cotisation requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein. En contrepartie, les négociations sur la pénibilité du travail se sont engagées entre l’État et les partenaires sociaux. La réforme de 2010 [1] sur les retraites reprenait une part des conclusions de ces négociations et introduisait deux volets relatifs au dispositif pénibilité, l’un de prévention, l’autre de compensation. Cette loi a introduit plusieurs dispositions pour prévenir la pénibilité au travail dans toutes les entreprises. En premier lieu, la prévention de la pénibilité faisait son apparition dans les dispositions fondamentales imposant à l’employeur le principe de prévention des risques professionnels. En second lieu, cette loi et ses décrets d’application définissaient de façon limitative et restrictive les « facteurs de pénibilité [2] », assez loin de l’acception ergonomique de tout ce que recouvre réellement le concept de pénibilité [3] (Struillou, 2003). Enfin, ces textes visaient à assurer une meilleure traçabilité de l’exposition professionnelle des salariés aux facteurs de pénibilité (à travers ce qui était alors nommé les fiches de prévention des expositions), à mobiliser les différents acteurs de la prévention autour de la création d’une véritable politique de prévention dans l’entreprise et à permettre, sous certaines conditions pour le moins restrictives, un départ à la retraite à 60 ans pour les salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité [4]. Ce premier dispositif de compensation a été estimé insuffisant.

2 C’est pourquoi le nouveau texte, introduit par la loi de 2014 [5], va plus loin et prévoit que tout salarié ayant été exposé à l’un des dix critères de pénibilité (bruit, travail de nuit, températures élevées, etc.) au-delà de certains seuils et en tenant compte des moyens de protection mis en place, pourra cumuler des points sur un compte personnel de prévention de la pénibilité, en fonction du temps passé dans cette situation. Ces points pourront ensuite être transformés pour permettre au salarié de partir plus tôt à la retraite (comme c’était déjà le cas précédemment mais avec de nouvelles modalités), ou de se reconvertir via une formation professionnelle, ou encore de travailler à temps partiel. En mai 2015, en raison de la complexité de ce dispositif et alors qu’il n’était pas encore totalement déployé, des amendements ont été présentés dans le cadre de la Loi sur la modernisation du dialogue social, dont la conséquence sera sans doute de raboter le volet prévention [6].

3 Les différentes dispositions compensatoires d’une grande complexité, puisque ayant donné lieu à six décrets d’application [7], seront détaillées après que nous aurons présenté le volet prévention de ce dispositif.

Un volet prévention dont l’ambition initiale a fait long feu

4 Le volet prévention du dispositif pénibilité se décline en de nouvelles obligations pour les employeurs et en un élargissement du rôle des services de santé au travail, ainsi que de celui du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il faut pourtant bien constater que le dispositif pénibilité reste davantage tourné vers la compensation, dans la mesure où les obligations en matière de prévention comportent majoritairement des « seuils d’action » qui vont d’emblée en limiter la portée ; par ailleurs, les évolutions à venir introduites par la loi de modernisation du dialogue social élaguent encore les dispositions de prévention de la pénibilité.

L’obligation de sécurité de l’employeur intègre désormais la prévention de la pénibilité

5 Les obligations de l’employeur pour ce volet prévention peuvent se décliner en deux points : une obligation générale de prévention et une obligation conditionnelle, celle de négocier un accord de prévention de la pénibilité. À noter qu’à l’obligation systématique initiale de tracer individuellement la pénibilité, se substitue dorénavant l’application de référentiels de branches professionnelles à construire, pour « identifier » les salariés exposés à des facteurs de pénibilité.

6 La notion juridique de pénibilité a été introduite dès 2010, au sein du Code du travail dans l’article relatif à l’obligation générale de prévention et de sécurité de l’employeur concernant la protection de la santé et de la sécurité des salariés. Loin d’être anodine, la position emblématique de la notion lui confère une grande portée. L’obligation de prévention, devenue depuis 2002 (arrêts « Amiante », du 28 février 2002) une obligation juridiquement sanctionnée (obligation de sécurité de résultat), trouve son fondement dans l’article L. 4121-1 du Code du travail. Dorénavant, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la prévention de la pénibilité au travail, peu importe l’effectif de son entreprise, ou les personnes réellement exposées aux facteurs de pénibilité listés par le décret n° 2014-1159 du 9 octobre 2014 [8].

7 L’obligation initiale de traçabilité individuelle, qui consistait, après une phase liminaire de diagnostic systématique, à mettre en place des fiches individuelles de prévention des expositions à la pénibilité, quel que soit l’effectif de l’entreprise [9], a été supprimée par la Loi relative au dialogue social et à l’emploi de l’été 2015, au profit d’une déclaration dématérialisée via la DADS ou la DSN. Cette fiche devait être établie pour chaque travailleur exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels « liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur sa santé ; […] et uniquement au-delà de certains seuils, après application des mesures de protection collective et individuelle ». Pour déterminer les salariés qui répondent aux critères de pénibilité, il fallait donc que l’employeur effectue un diagnostic systématique et individualisé qui devait s’appuyer notamment sur le document unique d’évaluation des risques professionnels obligatoire, lui, depuis 2001 et qui collige tous les risques professionnels de l’entreprise. En outre, l’employeur devait consigner, en annexe dudit document unique, les données collectives utiles à l’évaluation individuelle aux facteurs de risques professionnels liés à la pénibilité (cf. article R. 4121-1-1 du Code du travail).

8 À l’avenir, pour déterminer si des salariés ont été exposés à la pénibilité, les entreprises seront autorisées à appliquer un « référentiel » défini par leur branche professionnelle et homologué par l’État (à défaut d’avoir un accord collectif de branche étendu, tel que prévu par la loi du 20 janvier 2014), qui identifiera de façon générique, quels postes, quels métiers ou quelles situations de travail sont exposés aux facteurs de pénibilité. On voit d’emblée que la phase de diagnostic « personnalisé » initial qui participait de la prévention dans chaque entreprise, ne sera plus nécessaire et qu’on efface ainsi un pan de la philosophie initiale du dispositif de prévention de la pénibilité.

9 Une autre obligation de l’employeur en matière de prévention de la pénibilité est la négociation d’un accord de prévention de la pénibilité qui devient obligatoire (il s’agissait auparavant d’une alternative) et ce n’est qu’en cas d’échec de conclusion d’un accord collectif que l’employeur pourra alors adopter (de façon unilatérale) un plan d’actionsur la pénibilité après avis du Comité d’entreprise ou des délégués du personnel (nouvel article L. 4163-2 du Code du travail). Ce plan d’action est dorénavant conditionné à la justification d’un procès-verbal de désaccord dans l’entreprise avec les délégués syndicaux. Le décret n° 2014-1160 du 9 octobre 2014 précise que cette obligation de négocier un accord collectif relatif à la prévention de la pénibilité est entré en vigueur le 1er janvier 2015. Seules sont concernées les entreprises de plus de 50 salariés (ou qui appartiennent à un groupe d’au moins 50 salariés) et qui emploient au moins 25 % (et non plus 50 %) de salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité au-delà des seuils d’exposition définis réglementairement.

10 À noter que les évolutions prévues par la Loi relatif au dialogue social et à l’emploi d’août 2015 mentionnent l’introduction d’un article L. 4161-3 ainsi rédigé : « Le seul fait pour l’employeur d’avoir déclaré l’exposition d’un travailleur aux facteurs de pénibilité dans les conditions et formes prévues à l’article L. 4161-1 ne saurait constituer une présomption de manquement à son obligation résultant du titre II du présent livre d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs résultant du titre II du présent livre. » Il s’agit là de dispositions qui ont pour objectif théorique de ne pas associer par principe, la déclaration de facteurs de pénibilité à un manquement à l’obligation de sécurité de résultat.

Le rôle incontournable des services de santé au travail dans la prévention de la pénibilité

11 La loi portant réforme de l’organisation de la médecine du travail [10] est venue légalement redéfinir les missions des services de santé au travail, parmi lesquelles la prévention de la pénibilité a fait son apparition de façon explicite.

12 Ainsi, l’article L. 4622-2 du Code du travail consacre la « mission exclusive » de prévention des services de santé, consistant à « éviter toute altération de la santé des travailleurs. Parmi les différentes missions déclinées, les services de santé au travail ont celle de conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires à prendre afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail, de prévenir ou réduire la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés. Ils doivent en outre participer au suivi et à la traçabilité des expositions professionnelles ainsi qu’à la veille sanitaire. Ainsi, selon le Code du travail [11], « un dossier médical en santé au travail, constitué par le médecin du travail, retrace dans le respect du secret médical les informations relatives à l’état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis ainsi que les avis et propositions du médecin du travail, notamment celles formulées en application de l’article L. 4624-1 [12] […]. Ce dossier peut être communiqué à un autre médecin du travail dans la continuité de la prise en charge, sauf refus du travailleur ».

13 Une meilleure traçabilité de l’exposition professionnelle des salariés aux facteurs de pénibilité doit donc se faire grâce aux dossiers de santé au travail qui réuniront les donnéesd’exposition recensées par le médecin du travail et son équipe pluridisciplinaire en santé au travail.

14 En tant que conseiller, le médecin du travail devra également informer le salarié sur les risques auxquels il est exposé et les moyens de prévention existants. En regard, il conseillera l’employeur et lui signalera tous les risques qu’il constatera pour la santé des salariés en lui faisant des préconisations à la fois individuelles [13] et collectives [14].

15 Ainsi, le rôle du médecin du travail (grâce à la synthèse qu’il peut effectuer sur les interactions santé/travail) et de son équipe pluridisciplinaire se déploiera dans toutes les dimensions de son action : une action collective en milieu de travail pour aider l’employeur à repérer, évaluer et réduire la pénibilité, ainsi qu’une action plus individuelle centrée sur la santé du salarié afin de contribuer à la construction de sa santé tout au long de sa vie professionnelle.

16 Ce rôle de conseil en matière de prévention de la pénibilité des services de santé au travail nous paraît d’autant plus déterminant que les obligations de l’employeur en matière d’évaluation individuelle de la pénibilité ont été réduites par la suppression des fiches individuelles de prévention de la pénibilité, qui ne pourront plus non plus participer de la traçabilité des expositions pour le salarié (puisqu’il était prévu qu’elles intègrent le dossier médical).

Le rôle déterminant des CHSCT dans la prévention de la pénibilité [15]

17 Il faut en tout cas retenir que le CHSCT a un rôle déterminant dans le dispositif de prévention de la pénibilité (Héas, 2012). Ce thème fait aussi maintenant partie du champ de compétence du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui « procède à l’analyse de l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité » (cf. art. L. 4612-2).

18 Dans le cadre de la négociation obligatoire conditionnelle, la pénibilité faisant partie de son champ de compétence, il peut par exemple, demander communication des éléments de diagnostic retenus par l’entreprise, afin d’en débattre, notamment si le seuil retenu est inférieur à 25 % des salariés exposés à des facteurs de pénibilité (seuil en deçà duquel la négociation d’un accord n’est pas obligatoire). Le CHSCT, grâce à la connaissance du travail réel, doit notamment porter son attention sur l’inventaire et la cartographie des salariés exposés. Il devra dorénavant également confronter cette réalité du travail aux référentiels génériques élaborés par les branches et rester vigilant quant à un éventuel décalage pour en alerter l’employeur.

19 Par ailleurs, l’accord ou le plan d’action (cf. art. L. 4163-1 et suivants du Code du travail) doit prévoir des mesures de prévention et « les modalités de suivi de leur mise en œuvre effective », à savoir des « objectifs chiffrés dont la réalisation est mesurée au moyen d’indicateurs », ces derniers étant communiqués, au moins annuellement, aux membres du CHSCT. Comme pour tout suivi statistique, le CHSCT doit rester prudent et vérifier davantage la pertinence des indicateurs qu’on lui présente que leur évolution. Enoutre, la Loi de 2014 prévoit que la question de la pénibilité doit être traitée de manière spécifique d’une part dans le rapport annuel écrit faisant le bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail ainsi que des actions menées et, d’autre part, dans le programme annuel de prévention des risques professionnels et d’améliorations des conditions de travail. Or, le CHSCT doit être consulté annuellement (article L. 4612-16 du Code du travail) et donner un avis sur ces deux documents (article L. 4612-17 dudit Code).

Un volet prévention réduit à la portion congrue

20 La pénibilité se trouve au croisement de plusieurs notions : le fait d’être exposé à des contraintes liées au travail (la pénibilité réelle), ayant potentiellement des effets sur la santé des salariés et donnant lieu à un ressenti différencié en fonction des caractéristiques des individus et des caractéristiques des situations de travail (pénibilité perçue). Ces différentes notions (contraintes, effets, ressenti) constituent autant de points d’entrée pour aborder la pénibilité dans une perspective de prévention. Si, depuis 2003, la pénibilité au travail dans toutes ces acceptions est un objet du dialogue social, la notion ne bénéficie pas d’un régime juridique établi et encore moins d’une définition admise en droit du travail jusqu’en 2010 (Héas, 2005 et 2009). Hélas, le législateur ne retientin fine que des facteurs de pénibilité physique, sans envisager la pénibilité mentale évacuée sans doute en raison de la complexité de son approche. De plus, seule une liste limitative de risques est prévue par décret et encore, uniquement quand ils dépassent certains seuils, après application des mesures de protection collective et individuelle. C’est donc comme cela que se définit juridiquement (et admettons-le, restrictivement) la pénibilité au travail. Elle tend de fait à orienter restrictivement l’analyse des situations de pénibilité vers l’identification des 10 facteurs de risques précisés par décret et à agir, en termes de prévention, sur ces seuls facteurs. Or, cette définition limitative de la pénibilité est déterminée, non dans un objectif de prévention mais par des modalités de compensation.

21 Mis à part l’intégration de l’obligation de prévenir la pénibilité (en général) aux principes généraux de prévention des risques professionnels, les autres obligations en matière de prévention de la pénibilité obéissent à différents critères et seuils qui en limitent forcément la portée. Ce volet prévention aurait pu être plus ambitieux sous plusieurs angles.

22 Tout d’abord, la définition juridique de la pénibilité ne correspond en rien à la pénibilité réelle et/ou à la pénibilité ressentie (Volkoff, 2007). Dès lors, la limitation de sa définition borne d’emblée sa prévention. Ensuite, ces seuils, dont nous concevons l’existence lorsqu’ils fondent la réparation ou la compensation (en raison d’un compromis social toujours difficile), nous semblent beaucoup moins compréhensibles comme point de déclenchement de l’action de prévention. Les facteurs de pénibilité devraient être recensés sans notion de niveau d’exposition, car il n’est pas déterminé scientifiquement aujourd’hui un niveau en deçà duquel l’innocuité de certains de ces facteurs est garantie. Par ailleurs, l’obligation de négociation autour de cette question est aussi limitée par un seuil d’effectif de l’entreprise en plus d’un seuil de salariés exposés au risque de pénibilité. Ainsi, l’obligation générale de prévention de la pénibilité nous semble être neutralisée par les seuils et limitations de toutes les autres mesures de prévention.

23 La philosophie du système de 1898 qui a instauré la réparation des risques professionnels [16], et qui souffre d’une faiblesse atavique par sa logique essentiellement tournée vers la réparation plutôt que la prévention, nous semble ici encore trop prégnante…

Un volet compensation étouffé par sa complexité

24 À compter du 1er janvier 2015, les salariés de droit privé exposés à des risques professionnels liés à la pénibilité (répertoriés par décret [17]) peuvent cumuler des points sur un compte personnel de prévention de la pénibilité – C3P. On estime que 20 % des salariés sont concernés. Nous examinerons le principe de ce C3P, les modalités de son ouverture et de son abondement et les utilisations possibles.

Les principes directeurs du C3P

25 L’objectif de ce compte personnel est de financer notamment une réorientation professionnelle par le biais de formations, d’un passage à temps partiel ou d’une retraite anticipée. Chaque tranche de 10 points rapporte un trimestre pour l’octroi d’une retraite anticipée ou d’un temps partiel ; pour les formations, chaque point rapportera 25 heures de formation. Les 20 premiers points sont obligatoirement utilisés pour la formation. Les salariés qui sont aujourd’hui trop proches de la retraite pour avoir le temps d’accumuler suffisamment de points bénéficieront d’un doublement de leurs points, et ils ne seront pas obligés de les utiliser pour des formations.

26 Les modalités d’acquisition et d’utilisation de ces points, la gestion de ce compte ainsi que le fonds de financement de ce dernier ont fait l’objet de trois décrets d’application en date du 9 octobre 2014. Ces derniers se sont fortement inspirés du rapport établi par Michel de Virville, remis le 10 juin 2014 au gouvernement.

27 Ce C3P s’appuyait jusqu’alors essentiellement sur la fiche de prévention des expositions qui devait s’appliquer depuis le 1er janvier 2015 et qui a été supprimée par la Loi sur la modernisation du dialogue social. Jugé trop complexe, ce dispositif doit évoluer et à la transmission annuelle de ces fiches se substituera une transmission de données fondées sur les référentiels de branche.

28 Le compte personnel de prévention de la pénibilité est géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) au niveau national et par les Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) au niveau régional [18]. Chaque année, elles enregistrent sur le compte les points correspondant aux données déclarées par l’employeur au titre del’année précédente et portent annuellement à la connaissance du travailleur les points acquis au titre de l’année écoulée ainsi que les modalités de contestation. Elles mettent à la disposition du travailleur un service d’information sur internet lui permettant de connaître le nombre de points qu’il a acquis et consommés au cours de l’année civile précédente, le nombre total de points inscrits sur son compte ainsi que les utilisations possibles de ces points [19]. Elles versent enfin les sommes représentatives des points que le travailleur souhaite affecter aux différentes utilisations, respectivement, aux financeurs des actions de formation professionnelle suivies, aux employeurs concernés ou au régime de retraite compétent.

L’ouverture et l’abondement du C3P

29 Chaque salarié exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels (définis par le nouvel article D. 4161-2 du Code du travail), au-delà des seuils d’exposition définis par le décret n° 2014-1159 du 9 octobre 2014, après application des mesures de protection collective et individuelle [20], pourra acquérir des points sur son compte personnel de prévention de la pénibilité.

30 Les droits ainsi constitués sur le compte restent acquis jusqu’à leur liquidation ou jusqu’à l’admission du salarié à la retraite [21].

Modalités d’acquisition des points

31 Conformément au rapport remis au Gouvernent le 10 juin 2014 par Michel de Virville, le décret est venu fixer les modalités d’acquisition des points. Ainsi, pour les salariés titulaires d’un contrat de travail dont la durée est supérieure ou égale à l’année civile, la déclaration par l’employeur donne lieu à l’inscription de points [22] par la Cnav sur son compte personnel de prévention de la pénibilité :

32

  • 4 points lorsqu’il est exposé à un seul facteur de risque professionnel ;
  • 8 points lorsqu’il est exposé à plusieurs facteurs de risques professionnels, c’est-à-dire en cas de polyexposition.

33 Il est par ailleurs réglementairement prévu que le nombre total de points inscrits sur le compte personnel de prévention de la pénibilité ne peut excéder 100 points au cours de la carrière professionnelle du salarié [23].

34 Le rapport de Virville précisait qu’une fois ce plafond atteint, même après utilisation de tout ou partie des points existants, il n’est plus possible d’acquérir de nouveaux points. L’employeur continue de cotiser une fois le plafond atteint.

Cas particuliers des contrats à durée déterminée (CDD)

35 Comme préconisé par le rapport de Virville, ce dispositif de points enregistrés sur un C3P est de droit pour tous les salariés. Néanmoins, le calcul de points va varier pour tenir compte des spécificités liées au contrat de travail, et notamment pour les salariés titulaires d’un ou de plusieurs contrats de travail (CDD) [24] :

36

  • dont la durée est supérieure ou égale à un mois ;
  • qui débute(nt) ou s’achève(nt) en cours d’année civile.

37 Pour ces salariés, il est précisé que chaque période d’exposition de trois mois donne lieu à l’attribution de :

38

  • 1 point si le salarié est exposé à un facteur de risque professionnel ;
  • 2 points si le salarié est exposé à plusieurs facteurs de risques professionnels.

39 Pour ces salariés, le ou les employeurs établissent, pour chaque facteur de risque professionnel déclaré, la durée totale d’exposition en mois au titre de l’année civile.

40 En tout état de cause, le nombre de points susceptibles d’être acquis par n’importe quel salarié sur l’ensemble de sa vie professionnelle devrait être plafonné à 100 points.

Cas particuliers de certains salariés nés avant une certaine date

41 Comme préconisé par le rapport de Virville, le barème d’acquisition des points (ainsi que les modalités d’utilisation) fait l’objet d’un aménagement pour les assurés nés avant le 1er juillet 1956 (soit âgés de 58,5 ans au 1er janvier 2015), à savoir que leurs points inscrits au C3P seront doublés [25].

42 Par ailleurs, il existe des dispositions particulières concernant les personnes âgées d’au moins 52 ans au 1er janvier 2015 : le barème d’acquisition des points portés au compte personnel de prévention de la pénibilité et les conditions d’utilisation des points acquis sont aménagés afin de faciliter le recours à la réduction de la durée de travail et au départ anticipé pour la retraite [26].

43 Il est ainsi prévu par le décret n° 2014-1156 du 9 octobre 2014 que [27] :

44

  • pour les assurés nés avant le 1er janvier 1960, aucun point n’est réservé à l’utilisation de la formation professionnelle continue ;
  • pour les assurés nés entre le 1er janvier 1960 et le 31 décembre 1962 inclus, les 10 premiers points inscrits sont réservés à l’utilisation de la formation professionnelle continue (au lieu de 20).

Le souhait d’une utilisation simple du C3P

45 Le titulaire du compte personnel de prévention de la pénibilité peut décider d’affecter en tout ou partie les points inscrits sur son compte pour financer la prise en charge, soit [28] d’une action de formation professionnelle, soit d’une réduction de son temps de travail, soit enfin d’un départ à la retraite anticipée. Les décrets de 2014 ont ainsi élargi le spectre des mesures de compensation et / ou de réparation par rapport aux décrets antérieurs qui ne prévoyaient une compensation que par le biais d’une retraite anticipée, qui plus est, au prix de conditions très restrictives (uniquement en cas d’accident de travail, de maladie professionnelle avec une incapacité permanente partielle au moins supérieure à 10 %). Les démarches sont également simplifiées par le site dédié à cet effet, dans la mesure où la demande d’utilisation des points inscrits au C3P est effectuée en ligne par le titulaire du compte.

46 La demande d’utilisation des points ne peut intervenir qu’à compter de l’inscription des points sur le compte personnel de prévention de la pénibilité [29].

47 De manière générale, le silence de la caisse pendant plus de quatre mois à propos d’une demande d’utilisation de points vaut rejet de cette demande [30]. Le titulaire du C3P est en principe libre de choisir le moment de sa carrière et la manière dont il utilise ses points, avec néanmoins quelques spécificités pour certaines actions.

48 Les dispositions sont très précises et prévoient par ailleurs, les recours, sanctions ainsi que le financement du dispositif de compensation.

Une action de formation professionnelle continue en vue d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé à des facteurs de pénibilité

49 Chaque point inscrit sur le C3P donne droit à 25 heures de prise en charge de tout ou partie des frais d’une action de formation professionnelle continue [31] (ces points peuvent être « consommés » point par point et non par tranche de 10 comme pour les 2 autres mesures de compensation). Les 20 premiers points inscrits au C3P sont d’ailleurs exclusivement réservés au financement d’une action de formation [32]. La demande d’utilisation des points peut intervenir à tout moment de la carrière du titulaire du compte, que celui-ci soit salarié ou demandeur d’emploi [33].

50 Les points utilisés pour la formation professionnelle seront alors convertis en heure de formation pour abonder le nouveau compte personnel de formation [34] (CPF) mis en place en 2015 [35]. Ainsi, les démarches à accomplir seront celles prévues pour le CPF.

Une réduction de la durée de travail (sans perte de salaire)

51 Dans le cadre d’une réduction du temps de travail, l’inscription de 10 points sur le C3P ouvre droit à un complément de rémunération permettant de compenser l’équivalentd’une réduction du temps de travail égale à un mi-temps pendant trois mois [36]. Les points sont utilisés par tranche de 10 [37]. Pour en bénéficier, le salarié doit en faire la demande à son employeur [38]. La demande d’utilisation des points peut également intervenir à tout moment de la carrière du titulaire du compte.

52 En l’absence de convention ou d’accord collectif de travail relatif aux modalités de demande et d’acceptation du temps partiel [39], le salarié peut demander à bénéficier d’un horaire à temps partiel dans des conditions fixées par voie réglementaire [40], c’est-à-dire par lettre recommandée avec avis de réception à son employeur. La demande précise la durée du travail souhaitée ainsi que la date envisagée pour la mise en œuvre du nouvel horaire. Elle est adressée six mois au moins avant cette date. En outre, le salarié souhaitant bénéficier d’un temps partiel en utilisant ses points enregistrés sur son C3P doit éditer un justificatif de son relevé de points auquel il aura accès en ligne [41]. L’employeur doit répondre à la demande du salarié par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai de trois mois à compter de la réception de celle-ci [42]. Néanmoins, l’employeur qui appliquerait les stipulations soit d’un accord de branche étendu, soit d’un référentiel professionnel de branche homologué pour déclarer l’exposition de ses travailleurs ne pourra pas, par conséquent, être pénalisé (en cas de déclaration inexacte).

53 En outre, il sera présumé de « bonne foi », s’il applique le référentiel de branche pour déterminer l’exposition de ses salariés (article L. 4161-2 modifié du Code du travail). Cette disposition vise en effet à sécuriser, en cas de contentieux, la situation juridique des employeurs qui suivent les modes d’emploi de branche.

54 La demande du salarié ne peut être refusée que si ce refus est motivé et si l’employeur peut démontrer que cette réduction est impossible compte tenu de l’activité économique de l’entreprise [43].

55 En cas de différend avec son employeur dû à un refus de celui-ci de faire droit à la demande du salarié d’utiliser son C3P pour un passage à temps partiel, alors le salarié peut saisir le conseil des prud’hommes [44].

56 Sous réserve de l’accord de l’employeur, le salarié choisit librement sa nouvelle quotité de temps de travail, dès lors qu’elle est comprise entre 20 et 80 % d’un temps plein. En effet, le salarié doit préciser sa demande de réduction du temps de travail sans que le temps travaillé ne puisse être inférieur à 20 % ni supérieur à 80 % de la durée du travail applicable dans l’établissement [45].

57 Une fois l’accord de son employeur obtenu, les formalités sont réduites puisque le salarié formule en ligne sur un site dédié à cet effet [46] sa demande de bénéficier d’un complément de rémunération pour compenser une réduction de durée de travail dans le cadre du dispositif du C3P. En outre, l’employeur transmet par tout moyen à la Cnav les éléments permettant de déterminer les montants à rembourser : à savoir une copie de l’avenant au contrat de travail ainsi que les éléments nécessaires au remboursement du complément de rémunération et des cotisations et contributions sociales légales et conventionnelles afférentes à ce complément (soit les bulletins de salaires) [47].

58 Une fois ces éléments transmis à la Cnav, celle-ci procède au remboursement à l’employeur du complément de rémunération et des cotisations et contributions sociales légales et conventionnelles afférentes à ce complément, versés par l’employeur [48].

Un départ en retraite avant l’âge légal de départ en retraite

59 Les titulaires du C3P décidant d’affecter des points à l’utilisation du compte pour la retraite bénéficient de la majoration de durée d’assurance [49] (art. L. 351-6-1 du code de la sécurité sociale) dans les conditions suivantes : 10 points, à consommer par tranche de 10 [50], ouvrent droit à un trimestre de majoration de durée d’assurance vieillesse [51]. Le titulaire d’un C3P pourra demander à utiliser ses points pour obtenir une retraite « anticipée » à compter de 55 ans [52], dans la limite de 8 trimestres [53] (soit 2 ans). Autrement dit, l’acquisition des points dans le cadre d’un C3P permettrait à un salarié d’anticiper son départ en retraite jusqu’à deux ans plus tôt que l’âge légal. Comme pour les deux autres utilisations, le salarié titulaire d’un C3P devra remplir un formulaire en ligne auprès de la Cnav [54].

60 À souligner qu’en l’état actuel du droit, rien ne vient annuler les dispositions antérieures qui octroyaient également une possibilité de départ en retraite anticipée pour les victimes d’accident du travail et/ou de maladie professionnelle ayant eu un taux d’incapacité permanente d’au moins 10 % (Le Garff, 2013).

Réclamations, contrôles et pénalités

61 En cas de différend lié à un désaccord avec son employeur sur le nombre de points communiqués [55] le salarié doit d’abord porter sa contestation devant l’employeur avant de porter sa réclamation, dans les deux mois, à la Carsat en cas de rejet direct ou implicite de l’employeur (le délai de prescription est ici de deux ans). Après un délai de six mois à compter de la réception de la réclamation, celle-ci est réputée rejetée et est susceptible d’être contestée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) dans un délai de deux mois. Le délai de six mois est porté à neuf mois lorsque la caisse estime nécessaire deprocéder à un contrôle sur place de l’effectivité ou de l’ampleur de l’exposition. La caisse en informe alors l’assuré par tout moyen permettant d’en attester la date de réception.

62 Les Carsat (ou les caisses de mutualité sociale agricole le cas échéant) peuvent [56] procéder à des contrôles, sur pièces et sur place [57], de l’effectivité et de l’ampleur de l’exposition du salarié aux facteurs de risques professionnels liés à la pénibilité ainsi que de l’exhaustivité des données déclarées ou faire procéder à ces contrôles par des organismes habilités [58], en vue de déterminer les droits des salariés au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité. Le cas échéant, la Caisse impartit à l’employeur un délai d’un mois pour présenter ses observations, à l’issue duquel elle notifie sa décision avec mention des voies et délais de recours. En cas de déclaration inexacte, le montant des cotisations [59] et le nombre de points sont régularisés par la Caisse [60]. Le cas échéant, la Caisse mentionne dans une notification adressée à l’employeur le montant supplémentaire des cotisations dont ce dernier devra s’acquitter auprès de l’organisme de recouvrement. Ce redressement ne peut intervenir qu’au cours des trois années civiles suivant la fin de l’année au titre de laquelle des points ont été ou auraient dû être inscrits au compte.

63 L’employeur peut en outre faire l’objet d’une pénalité prononcée par le directeur de l’organisme gestionnaire, dans la limite de 50 % du plafond mensuel de la sécurité sociale [61] au titre de chaque salarié ou assimilé pour lequel l’inexactitude est constatée.

Financement du C3P

64 Le compte personnel de prévention de la pénibilité est financé par un fonds spécifique, via les cotisations des entreprises : une cotisation minimale de toutes les entreprises et une cotisation de chaque entreprise tenant compte de la pénibilité qui lui est propre. Ce fonds, chargé du financement des droits liés au compte personnel de prévention de la pénibilité, est un établissement public de l’État, placé sous la tutelle des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget [62].

65 Depuis la Loi du 17 août 2015, les recettes dudit fonds sont constituées notamment par :

66

  • une première cotisation due par les employeurs au titre des salariés qu’ils emploient et qui entrent dans le champ d’application du compte personnel de prévention de la pénibilité (dans la limite de 0,2 % des rémunérations et des gains : article L. 4162-20 du Code du travail) ; cette cotisation ne débutera qu’en 2017, conformément à la Loi de 2015 (article 31), puisque aucune cotisation n’est due pour les années 2015 et 2016 ;
  • une deuxième cotisation additionnelle due par les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité, dont le plancher a été diminué cet été 2015, comprise entre 0,1 % (et non plus 0,3 %) et 0,8 % des rémunérations ou gains perçus par les salariés exposés à la pénibilité, au cours de chaque période. En cas de poly-exposition. Un taux spécifique, compris entre 0,2 % (et non plus 0,6 %) et 1,6 % est appliqué au titre des salariés ayant été exposés simultanément à plusieurs facteurs de pénibilité.

Conclusion

67 Il n’est pas étonnant que le dispositif pénibilité ait tout d’abord été invalidé par les sénateurs compte tenu de sa complexité qui s’insère mal dans la logique par ailleurs affichée de simplification du droit. Il n’est pas étonnant non plus, dans ce contexte, que la Loi de modernisation sociale soit venue encore simplifier ce dispositif d’une complexité certaine pour les entreprises, malgré les efforts du législateur pour que les mesures de compensation soient facilement mobilisables par les salariés. Plus encore, en raison de ce caractère complexe, le Gouvernement a fait le choix de différer l’application des six derniers facteurs de risques liés à la pénibilité (à savoir : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux, les températures extrêmes, le bruit), non plus au 1er janvier 2016, mais au 1er juillet 2016, « pour laisser aux organisations professionnelles le temps nécessaires à l’établissement, à l’homologation et à l’appropriation des référentiels ».

68 Quoi qu’il en soit, ce dispositif très discuté en amont montre déjà ses failles sur son versant préventif entravé par des seuils multiples. On peut s’interroger sur sa portée réelle en matière de prévention, sachant que la pénibilité telle que définie juridiquement ne se distingue guère de la notion plus générale de risques professionnels et qu’elle aurait tout aussi bien pu être pensée comme partie prenante de la logique de prévention des risques plutôt que de faire l’objet de dispositions spéciales (qui plus est, avec l’introduction de multiples critères qui en atténuent la portée). Quant aux mesures de compensation, si elles sont élargies en envisageant d’autres alternatives que la retraite anticipée, elles seront inévitablement source de difficultés de mise en œuvre concrète et de probables contentieux. On peut également s’interroger sur la nécessité d’avoir édifié ce C3P alors que la Carsat aurait pu être interrogée au cas par cas par les travailleurs salariés et au regard de son cursus laboris sur la possibilité ou non de partir de façon anticipée à la retraite. Finalement, seules les possibilités de formation et de passage à temps partiel justifiaient la création de ce C3P. Or, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences aurait pu, mieux utilisée, jouer pleinement ce rôle d’une gestion anticipative et préventive des ressources humaines, en fonction des contraintes de l’environnement et des choix stratégiques de l’entreprise, pour aider chaque salarié à être acteur de son parcours professionnel. Cela aurait sans doute épargné aux entreprises ce que d’aucuns qualifieraient d’usine à gaz…

Bibliographie

  • Anact, 2011, Comment aborder la pénibilité dans une perspective de prévention ?
    www.anact.fr/portal/pls/portal/docs/1/8744378.PDF
  • Héas F., 2005, « La définition juridique de la pénibilité au travail », Travail et emploi, n° 104.
  • Héas F., 2009, Pénibilité et droit du travail, JCP éd. Sociale, n° 5.
  • Héas F., 2012, « Le rôle des partenaires sociaux en matière de régulation de la pénibilité »,Droit Ouvrier, p. 348-355.
  • Le Garff E., Mesli V., Even D., Petit P., Frimat P., Fantoni Quinton S., 2013, « Outil d’aide à la décision pour les commissions pluridisciplinaires de pénibilité pour les accidents de travail »,Archives des maladies professionnelles et de l’environnement, vol. 74, n° 6, p. 638-644.
  • Struillou Yves, 2003, Pénibilité et retraite : rapport remis au Conseil d’orientation des retraites, La Documentation Française, 119 p.
  • Virville M., 2014, Concertation relative à la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité : préconisations établies par M. de Virville au terme de la deuxième étape de la concertation, Ministère de Affaires sociales et de la Santé, 5 p.
  • Volkoff S., 2007, « Les trois facettes de la pénibilité », Santé & Travail, n° 59.

Date de mise en ligne : 02/03/2016

https://doi.org/10.3917/rs.072.0055

Notes

  • [1]
    Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010.
  • [2]
    Cf. note 13.
  • [3]
    Les textes relatifs à la pénibilité ne recouvrent par exemple pas les questions de pénibilité ressentie, ni l’ensemble des pénibilités qui « réduisent l’espérance de vie sans incapacité » (rapport Struillou, p. 26), ni la dimension psychosociale de la pénibilité, pourtant centrale dans les risques professionnels actuels.
  • [4]
    Il fallait avoir été victime d’un accident de travail et/ou d’une maladie professionnelle ayant entraîné au moins 10 % d’incapacité permanente partielle.
  • [5]
    Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014.
  • [6]
    Cf. article 19 du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, juin 2015.
  • [7]
    Décrets n° 2014-1155 à 1160 du 9 octobre 2014. Parmi eux, les trois premiers décrets, émanant du ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, viennent préciser respectivement – les modalités de gestion du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), et de contrôle et de traitement des réclamations (n° 2014-1155) ; – les modalités d’acquisition et d’utilisation des points acquis au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité, (n° 2014-1156) ; – les modalités d’organisation et de fonctionnement du fonds de financement des droits liés au compte personnel de prévention de la pénibilité (n° 2014-1157). Par ailleurs, les trois autres décrets, issus du ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, visent respectivement – à renforcer l’articulation entre les fiches de prévention des expositions et le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), (n° 2014-1158) ; – à fixer la liste des facteurs de risques professionnels à prendre en compte au titre de la pénibilité, les seuils associés à chacun d’eux et précise la périodicité et les modalités de la traçabilité ainsi réalisée, (n° 2014-1159) ; à apporter des précisions quant aux accords à négocier en faveur de la prévention de la pénibilité, (n° 2014-1160).
  • [8]
    Article L. 4121-1 du Code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
  • [9]
    Dorénavant l’employeur, après application des mesures de protection collective et individuelle, doit consigner dans une fiche de prévention des expositions les conditions de pénibilité (période d’exposition, mesures de prévention) résultant des facteurs de risques professionnels dépassant ainsi un certain seuil réglementaire. L’exposition de chaque travailleur est évaluée par l’employeur au regard des conditions habituelles de travail caractérisant le poste occupé, appréciées en moyenne sur l’année, notamment à partir des données collectives mentionnées en annexe du document unique d’évaluation des risques professionnels (nouvel article R. 4121-1-1 du Code du travail).
  • [10]
    Loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail.
  • [11]
    Article L. 4624-2 du Code du travail.
  • [12]
    Il s’agit des propositions d’aménagement de poste que peut formuler le médecin du travail en fonction de l’état de santé du salarié.
  • [13]
    Article L. 4624-1 du Code du travail.
  • [14]
    Article L. 4624-3 du Code du travail.
  • [15]
    Ce point faisant l’objet d’une contribution du professeur Pierre-Yves Verkindt dans ce même numéro, nous ne le développerons que peu.
  • [16]
    La loi du 9 avril 1898 a rendu l’employeur responsable des accidents du travail sur le plan civil. L’indemnisation des conséquences est ainsi devenue systématique mais forfaitaire. Cette loi de 1898 est la première loi instituant la réparation des conséquences corporelles des accidents du travail. Auparavant, la victime d’un accident du travail devait fournir la preuve d’une faute commise par son employeur et du lien entre celle-ci et le dommage corporel.
  • [17]
    Les 10 facteurs de pénibilité retenus sont ceux qui ont été définis par les partenaires sociaux en 2008 : les manutentions manuelles de charges lourdes ; les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ; les vibrations mécaniques ; les agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées ; les activités exercées en milieu hyperbare ; les températures extrêmes ; les bruits ; le travail de nuit ; le travail en équipes successives alternantes ; le travail répétitif.
  • [18]
    Code du travail, article L. 4162-11.
  • [19]
    Dans tous les cas : le salarié est informé des possibilités d’utilisation du compte. À cet effet, le titulaire du C3P peut accéder en ligne à un relevé de points lui permettant de connaître le nombre de points disponibles pour les utilisations souhaitées et en éditer un justificatif.
  • [20]
    La définition de ces seuils d’exposition a été confiée à une commission de concertation menée par Michel de Virville. Cette commission a rendu public fin avril 2014 ses conclusions, portant notamment sur la proposition des seuils d’exposition chiffrés, lesquels associent systématiquement l’intensité de l’exposition et sa temporalité (durée d’exposition).
  • [21]
    Code du travail, article L. 4162-2.
  • [22]
    Code du travail, article R. 4162-2.
  • [23]
    Code du travail, article R. 4162-2.
  • [24]
    Code du travail, article R.4162-2.
  • [25]
    Code du travail, article R. 4162-3.
  • [26]
    Code du travail, article L. 4162-4.
  • [27]
    Code du travail, article R. 4162-6.
  • [28]
    Code du travail, article L. 4162-4.
  • [29]
    Code du travail, article R. 4162-8.
  • [30]
    Code du travail, article R. 4162-9.
  • [31]
    Code du travail, article R. 4162-4.
  • [32]
    Code du travail, article R. 4162-6.
  • [33]
    Code du travail, article L. 4162-4.
  • [34]
    Code du travail, articles L. 4162-5 et R. 4162-14.
  • [35]
    Décret n° 2014-1119 du 2 octobre 2014 relatif aux listes de formations éligibles au titre du compte personnel de formation.
  • [36]
    Code du travail, article R. 4162-4.
  • [37]
    Code du travail, article R. 4162-5.
  • [38]
    Code du travail, article L. 4162-6.
  • [39]
    Code du travail, article L. 3123-5.
  • [40]
    Code du travail, article L. 3123-6, alinéa 1.
  • [41]
    Code du travail, article R. 4162-7.
  • [42]
    Code du travail, article D. 3123-3.
  • [43]
    Code du travail, article L. 4162-7.
  • [44]
    Code du travail, article L. 4162-8.
  • [45]
    Code du travail, article D. 4162-18.
  • [46]
    Les formes et les justifications seront déterminées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale.
  • [47]
    Un arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du travail doit venir fixer la liste des éléments ainsi que leurs modalités de transmission.
  • [48]
    Code du travail, article D. 4162-21.
  • [49]
    Code du travail, article L. 4162-10.
  • [50]
    Code du travail, article R. 4162-5.
  • [51]
    Code du travail, article R. 4162-4.
  • [52]
    Code du travail, article R. 4162-23.
  • [53]
    Code de la sécurité sociale, article D. 161-2-1-10.
  • [54]
    Code du travail, article R. 4162-8.
  • [55]
    Code du travail, article L. 4162-14.
  • [56]
    Notamment pour l’application de l’article nouveau L.4162-14 du Code du travail.
  • [57]
    Code du travail, article D. 4162-25, 2e alinéa.
  • [58]
    Code du travail, article L. 4162-12.
  • [59]
    Code du travail, article L. 4162-20.
  • [60]
    Code du travail, article D. 4162-25, alinéa 9.
  • [61]
    Code de la sécurité sociale, article L. 241-3.
  • [62]
    Code du travail, article D. 4162-39.

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