Notes
-
[1]
Il faut remarquer que l’instruction donnée aux enquêteurs Share souligne que « la participation à des activités d’une organisation religieuse englobe l’église, la synagogue, et la mosquée. »
-
[2]
Voir Hank (2011) pour une analyse et une discussion détaillée des déterminants individuels et institutionnels de la participation sociale utilisant les données Share.
-
[3]
Kawachi, Subramanian et Kim (2008) proposent une étude complète de la littérature sur les liens entre le capital social et les diverses mesures de santé.
-
[4]
Self-rated health.
-
[5]
Activities of daily living.
-
[6]
Havari et Mazzonna (2011) s’intéressent à la capacité des personnes âgées interrogées à se souvenir avec précision des événements qui se sont produits dans le passé. Leurs résultats suggèrent que les données rétrospectives dans Sharelife peuvent être raisonnablement utilisées dans le cadre de leurs travaux de recherche.
-
[7]
En règle générale, pour un enfant, le fait de vivre dans une famille peut être considéré comme un engagement dans une organisation sociale. L’interdépendance sociale augmente proportionnellement au nombre de personnes présentes dans une famille. Les familles nombreuses créent un environnement socialement favorable dans lequel les jeunes enfants sont imprégnés d’une culture de rapports sociaux fréquents, ce qui, en moyenne, les rend plus aptes à interagir avec les autres dans leur vie future.
-
[8]
En raison du nombre important de tableaux, seules les estimations de modèle complet sur l’état de santé auto-évalué ont été présentées dans le tableau A3 de l’annexe. Les résultats des autres modèles sont disponibles sur demande.
-
[9]
Dans ce cas, toutefois, le coefficient n’est significatif que s’il est < 10 %, ce qui peut être trop imprécis pour être commenté.
-
[10]
Plusieurs seuils de force de préhension différents ont été véritablement testés, et puisqu’il s’agit à l’origine d’une variable continue, des régressions récursives dynamiques ont été effectuées mais aucun effet causal de la participation sociale sur la santé n’a été trouvé.
1 Le capital social est considéré comme un facteur potentiellement décisif dans le cadre des stratégies du « bien vieillir » ou du « vieillissement en bonne santé » en Europe (Agren et Berensson, 2006). Le potentiel du capital social repose sur deux enjeux : d’un côté, il s’agit de rendre opérationnel un concept qui fédère un ensemble de travaux hétérogènes traitant des effets de la dimension sociale et de la cohésion sociale sur la santé (Kawachi, Subramanian et Kim, 2008). D’un autre côté, il s’agit de savoir si, mobilisé à l’échelle individuelle, le capital social a un effet causal bénéfique sur la santé des populations, en particulier les personnes âgées.
2 La difficulté en termes de politique publique consiste à pouvoir rendre opérationnelle une ressource intangible et désormais très hétérogène. Le capital social est à l’origine mobilisé en sociologie pour analyser le phénomène de reproduction des classes sociales (Bourdieu, 1986 ; Loury, 1977), puis récupéré en économie par l’approche Beckerienne du capital humain (Coleman, 1988 ; Becker et Murphy, 2001 ; Glaeser, Laibson et Sacerdote, 2002) pour élargir l’analyse des déterminants individuels de la demande aux aspects sociaux (par exemple, l’influence des normes sur les comportements de consommation) et enfin, popularisé par la nouvelle économie institutionnelle, pour analyser les différences dans les niveaux internationaux de développement (Putnam, 1993 ; Grootaert et Van Bastellaer, 2002). Les acceptions actuelles du capital social pour l’analyse des déterminants de la santé s’échelonnent de l’approche usuelle par les réseaux sociaux en épidémiologie (Berkman et Kawachi, 2000), jusqu’à l’influence des contextes institutionnels, en passant par le rôle des communautés et du voisinage (par exemple, dans les analyses multiniveaux, Scheffler, Brown et Rice, 2007 ; Olsen et Dahl, 2007). Des mesures aussi intangibles que « le niveau de confiance généralisée » laissent perplexes les décideurs quant à leur capacité à influencer directement cette variable (Algan et Cahuc, 2007). En revanche, les travaux sur la participation sociale, c’est-à-dire le fait que des individus participent à des activités non-marchandes (associations, clubs, etc.), reçoivent un intérêt grandissant. Du point de vue des décideurs, la participation sociale fait intervenir des acteurs et des parties prenantes qui sont mobilisables. À ce titre, l’année 2012 a été déclarée « année européenne du volontariat » par l’Union européenne. Du point de vue de la littérature empirique, les effets positifs de la participation sociale sur la santé pourraient être plus importants pour la sous-population des personnes âgées (Sirven et Debrand, 2008 ; Kondo, et al., 2007 ; Veenstra, 2000).
3 La seconde difficulté de l’approche par le capital social consiste à éclairer le débat récurent sur le sens de la causalité. Deux séries d’hypothèses concurrentes sont avancées dans la littérature. D’une part, plusieurs considérations théoriques sont généralement invoquées pour expliquer l’influence positive du capital social sur la santé (Scheffler, Brown et Rice, 2007 ; Berkman et Kawachi, 2000) : celui-ci peut permettre d’améliorer la diffusion d’informations en matière de santé (Stephens, et al., 2004 ; Viswanath et al., 2006) et peut décourager l’adoption de comportements à risque (Brown, Scheffler, Seo, et Reed, 2006). Le capital social est également perçu comme un vecteur de support psychosocial qui peut réduire le stress et améliorer la santé mentale (Almedom et Glandon, 2008). D’autre part, une mauvaise santé physique et mentale peut constituer un handicap pour participer à des activités sociales. Ainsi, le simple fait d’aller à la rencontre des gens peut se révéler difficile pour des individus souffrant de problèmes de santé physique ou de dépression. Un petit nombre de travaux empiriques ont déjà apporté des éléments de réponse à ce débat. Le recours à la technique des variables instrumentales a permis de mieux appréhender les relations causales, jusqu’alors mal connues, entre le capital social et la santé. Dans l’ensemble, les résultats suggèrent un effet causal bénéfique du capital social sur la santé des individus (Folland, 2007 ; Rocco et Suhrcke, 2008 ; D’Hombres, et al., 2010 ; Ronconi, Brown, et Scheffler, 2010). Toutefois, ces études n’ont envisagé que la causalité instantanée, c’est-à-dire corrigée du biais de variable omise, mais sans examiner la causalité retardée et ses effets réciproques. Or, suivant leur magnitude, les effets bidirectionnels peuvent avoir des conséquences importantes pour la politique publique. Ce manque dans la littérature mérite d’être comblé.
4 L’objet de la présente recherche est de contribuer au débat actuel sur les relations causales entre le capital social et la santé en partant du postulat que ces deux variables s’influencent mutuellement (Von dem Knesebeck, et al., 2005 ; Islam, et al., 2006). Conformément à ce qui a été développé plus haut, notre attention se portera sur une seule dimension du capital social, la participation sociale, et pour une population spécifique, les personnes âgées en Europe. Notre démarche s’inscrit dans l’analyse d’une relation causale réciproque entre santé et participation sociale, puisque, à notre connaissance, aucune évaluation formelle n’a été proposée à ce jour. Nous nous appuyons sur une approche dynamique « à la Granger », dans laquelle un modèle récursif bivarié est utilisé pour étudier simultanément l’influence de la participation sociale sur l’état de santé actuel – compte tenu de l’état de santé initial et d’autres covariables actuelles – et les effets de l’état de santé initiale sur la participation courante aux activités sociales – compte tenu de la participation sociale et d’autres covariables actuelles. Nous utilisons les données de panel de l’enquête sur la santé, le vieillissement, et la retraite en Europe (Share). Les vagues 1 et 2 de Share fournissent un échantillon composé de 20 000 ménages (dont au moins un membre est âgé de 50 ans et plus), interrogé en 2004 puis en 2006 dans 11 pays européens. Les données complémentaires de la vague 3 sur les histoires de vie rétrospective (Sharelife) sont utilisées pour ajuster le modèle dynamique.
5 Nous présenterons d’abord les données du projet Share et certaines statistiques descriptives. Nous aborderons ensuite les questions statistiques et les différents tests appliqués dans celles-ci, puis nous considérerons les résultats de régression et les interprétations. Pour conclure, nous évoquerons les limites de l’étude, les pistes de recherche pour le futur et quelques éléments relatifs à la politique publique.
Données
Échantillon
6 L’enquête sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe (Share) est une cohorte multidisciplinaire et transnationale de données individuelles sur la santé, le statut socio-économique et social et les liens familiaux de plus de 40 000 personnes âgées de 50 ans ou plus (Börsch-Supan et Jürges, 2005). Onze pays ont participé à l’étude Share en 2004, dans plusieurs régions d’Europe, allant de la Scandinavie (Danemark et Suède) en passant par l’Europe continentale (Autriche, France, Allemagne, Suisse, Belgique et Pays-Bas) jusqu’à la Méditerranée (Espagne, Italie et Grèce). Des données complémentaires ont été collectées en 2006-2007 au cours de la seconde vague de Share dans ces pays. Sharelife, la troisième vague du projet, a été réalisée en 2008-2009 sur la même population que celle ayant participé aux deux vagues précédentes. Cette fois-ci, les personnes enquêtées ont été interrogées sur leur histoire de vie. On les questionne sur différents domaines, tels que la santé durant l’enfance, l’éducation, le travail, la vie de famille, le logement, etc., afin de collecter des informations utiles sur les conditions de vie initiales et sur le parcours de vie. L’échantillon longitudinal sur les trois vagues regroupe plus de 12000 individus non institutionnalisés nés avant 1955 dans 11 pays (tableau 1).
Tableau 1 > Description de l’échantillon par classe d’âge et pays de résidence | ||||||||
Classe d’âge à la vague 1 (2004-2005) | ||||||||
Pays | [50-54] | [55-59] | [60-64] | [65-69] | [70-74] | [75-79] | 80 et plus | Total |
Autriche | 90 | 116 | 138 | 113 | 78 | 53 | 30 | 618 |
Allemagne | 217 | 193 | 249 | 209 | 107 | 63 | 29 | 1,067 |
Suède | 192 | 271 | 278 | 222 | 143 | 104 | 81 | 1,291 |
Pays-Bas | 228 | 289 | 240 | 172 | 134 | 72 | 61 | 1,196 |
Espagne | 138 | 175 | 159 | 163 | 166 | 101 | 72 | 974 |
Italie | 188 | 300 | 317 | 245 | 182 | 99 | 61 | 1,392 |
France | 201 | 276 | 205 | 192 | 156 | 129 | 98 | 1,257 |
Danemark | 159 | 173 | 162 | 116 | 97 | 66 | 60 | 833 |
Grèce | 326 | 290 | 251 | 243 | 216 | 110 | 91 | 1,527 |
Suisse | 94 | 101 | 98 | 76 | 63 | 51 | 35 | 518 |
Belgique | 312 | 445 | 334 | 316 | 289 | 206 | 139 | 2,041 |
Observations | 2 145 | 2 629 | 2 431 | 2 067 | 1 631 | 1 054 | 757 | 12 714 |
Total (en %) | 16,87 | 20,68 | 19,12 | 16,26 | 12,83 | 8,29 | 5,95 | 100 |
Indicateurs de participation sociale
7 Pour chaque vague, une variable d’implication dans des activités sociales est dérivée de la participation (ou non) à cinq activités sociales (bénévolat ou activité caritative ; cours de formation ; association sociale ou club de sport ; organisation religieuse ; organisation politique ou communautaire). L’individu i se verra assigné 1 en tant que valeur de participation sociale s’il est engagé dans au moins une de ces cinq associations et 0 s’il ne participe à aucune d’entre elles. C’est la variable de participation sociale individuelle que l’on retrouve le plus souvent dans la littérature empirique. Outre son intérêt en matière de comparaison avec d’autres études sur le même thème, cette variable de participation sociale est également importante du point de vue de la politique publique, dans le sens où les associations sont des partenaires essentiels des agences gouvernementales en Europe.
Tableau 2 > Taux de participation à des activités sociales par pays | ||||||
Pays | Bénévolat/activité caritative | Cours de formation | Club de sport, social | |||
Vague 1 | Vague 2 | Vague 1 | Vague 2 | Vague 1 | Vague 2 | |
Autriche | 0,097 | 0,107 | 0,050 | 0,053 | 0,161 | 0,212 |
Allemagne | 0,160 | 0,170 | 0,077 | 0,080 | 0,280 | 0,272 |
Suède | 0,206 | 0,236 | 0,158 | 0,178 | 0,285 | 0,309 |
Pays-Bas | 0,267 | 0,287 | 0,077 | 0,098 | 0,328 | 0,354 |
Espagne | 0,025 | 0,028 | 0,023 | 0,042 | 0,060 | 0,090 |
Italie | 0,086 | 0,085 | 0,010 | 0,013 | 0,065 | 0,086 |
France | 0,181 | 0,178 | 0,046 | 0,041 | 0,212 | 0,242 |
Danemark | 0,211 | 0,257 | 0,095 | 0,119 | 0,351 | 0,421 |
Grèce | 0,029 | 0,021 | 0,047 | 0,031 | 0,058 | 0,063 |
Suisse | 0,174 | 0,189 | 0,183 | 0,166 | 0,363 | 0,360 |
Belgique | 0,183 | 0,186 | 0,104 | 0,109 | 0,237 | 0,236 |
Total | 0,147 | 0,156 | 0,076 | 0,081 | 0,207 | 0,226 |
Tableau 2 > suite | ||||||
Pays | Organisation religieuse | Organisation politique ou communautaire | Total | |||
Vague 1 | Vague 2 | Vague 1 | Vague 2 | Vague 1 | Vague 2 | |
Autriche | 0,282 | 0,105 | 0,066 | 0,058 | 0,436 | 0,357 |
Allemagne | 0,107 | 0,112 | 0,052 | 0,039 | 0,432 | 0,436 |
Suède | 0,066 | 0,128 | 0,050 | 0,063 | 0,501 | 0,564 |
Pays-Bas | 0,130 | 0,142 | 0,038 | 0,050 | 0,531 | 0,566 |
Espagne | 0,105 | 0,121 | 0,018 | 0,017 | 0,196 | 0,242 |
Italie | 0,059 | 0,081 | 0,029 | 0,018 | 0,188 | 0,223 |
France | 0,063 | 0,083 | 0,043 | 0,048 | 0,386 | 0,393 |
Danemark | 0,056 | 0,089 | 0,055 | 0,048 | 0,527 | 0,621 |
Grèce | 0,359 | 0,305 | 0,050 | 0,044 | 0,459 | 0,395 |
Suisse | 0,130 | 0,168 | 0,095 | 0,108 | 0,582 | 0,565 |
Belgique | 0,080 | 0,106 | 0,081 | 0,093 | 0,442 | 0,466 |
Total | 0,127 | 0,134 | 0,051 | 0,053 | 0,417 | 0,432 |
8 Le tableau 2 montre que plus de 40 % des personnes enquêtées (41,7 % dans la vague 1 et 43,1 % dans la vague 2) indiquent participer à au moins une sorte d’activités sociales mentionnées ci-dessus. En 2006-2007, les pays nordiques (Suède, Danemark, Pays-Bas) et la Suisse affichent des taux de participation sociale supérieurs à 50 %, tandis que les taux des pays du sud comme l’Espagne et l’Italie sont inférieurs à 20 %. Il faut cependant noter que la Grèce affiche des taux moyens de participation sociale sur les deux vagues du fait qu’une grande majorité des personnes interrogées est engagée dans une communauté religieuse [1]. D’une manière générale, vivre dans un pays nordique renforce considérablement les probabilités de pouvoir participer à des activités sociales [2].
Mesures de santé
9 Les données de Share fournissent une large gamme de mesures de santé mentale et physique. Prendre en compte plusieurs mesures de santé en tant que variables dépendantes permet à la fois d’analyser les différents phénomènes associés au capital social [3], et également de réduire l’effet de biais de déclaration. Sept variables de santé ont été retenues dans l’analyse (tableau 3 et tableau A1 en annexe).
- Un mauvais état de santé déclaré (SRH [4]) : variable dichotomisant la version américaine de l’état de santé déclaré en deux catégories : (0) très bon et excellent et (1) inférieur à très bon.
- Limitations dans les activités de base de la vie quotidienne (ADL [5]) : variable dichotomique indiquant si la personne interrogée éprouve au moins une difficulté dans sa vie quotidienne, pour les gestes élémentaires (habillage, y compris mettre ses chaussures et ses chaussettes ; se déplacer dans une pièce ; prendre un bain ou se doucher ; manger, couper sa nourriture ; se mettre au lit et se lever du lit ; aller aux toilettes, y compris se lever ou s’asseoir sur les toilettes).
- Limitations dans les activités (Gali) : variable prenant la valeur 1 si la personne interrogée considère avoir été limitée dans les gestes élémentaires du quotidien (lors des six derniers mois) à cause d’un problème de santé, et 0 dans le cas contraire.
- Limitations dans la mobilité : variable prenant la valeur 0 si la personne interrogée ne fait état d’aucune limitation, et 1 si elle signale une ou plusieurs limitations de mobilité ou motricité (marcher 100 mètres ; rester assis pendant deux heures environ ; se lever d’une chaise après être resté assis pendant de longues périodes, etc.).
- Force de préhension faible : variable prenant la valeur 1 si le score de force de préhension de l’individu est dans le premier quintile de la distribution – en prenant en compte le sexe et l’indice de masse corporelle, et 0 sinon.
- Symptômes dépressifs (échelle Euro-D) : cet indice binaire prend la valeur 1 pour les individus faisant état de plus de 3 symptômes dépressifs sur 12 (parmi lesquels, la dépression, le pessimisme, la culpabilité, l’irritabilité, etc.) et 0 dans le cas contraire (Prince, et al., 1999).
- Déficiences cognitives relatives : indice dérivé d’un score cognitif (Adam, et al., 2006) basé sur un test de mémoire (20 éléments) et un test de fonctions d’exécution (évaluant la fluence verbale et consistant à nommer le plus grand nombre d’animaux possible). La variable de déficience cognitive prend la valeur 1 pour les individus affichant un résultat inférieur à une valeur seuil – calculée comme la moyenne des scores retranchée de 1,5 × l’écart type de la moyenne (Dewey et Prince, 2005).
Variables de contrôle
11 La littérature empirique sur les déterminants de santé et de participation sociale retient en général les variables de contrôle communes suivantes : l’âge (en catégorie), le sexe, l’éducation (diplôme le plus élevé obtenu), la vie en couple, la situation vis-à-vis du marché du travail (employé), le logarithme du revenu familial net par unité de consommation (corrigé de la parité de pouvoir d’achat), et les variables indicatrices par pays. Afin de tenir compte du fait que toutes les personnes enquêtées ne sont pas interrogées en même temps en raison, par exemple, du calendrier spécifique à chaque pays, nous avons construit une variable indiquant le nombre de mois écoulés entre la première enquête de la vague 1 et la dernière enquête de la vague 2.
12 En plus des informations de données de panel habituelles de la vague 1 et 2, les données Sharelife permettent de prendre en compte l’influence potentielle des conditions initiales et de l’expérience au cours de la vie sur l’état de santé actuel et la participation sociale [6]. Les variables suivantes ont fait l’objet d’une attention toute particulière : être né dans le pays de résidence ; faire état d’une bonne aptitude en mathématiques et en langues à l’école à l’âge de 10 ans ; avoir été hospitalisé pendant plus d’un mois avant l’âge de 10 ans ; état de santé auto-évalué comme excellent ou très bon à l’âge de 10 ans ; avoir connu des épisodes de mauvaise santé avant l’âge de 10 ans ; un indice des caractéristiques de logement à l’âge de 10 ans (s’échelonnant de 0 : médiocre à 6 : confortable) ; nombre de déménagements jusqu’à la date actuelle ; avoir déjà travaillé dans une association à but non lucratif avant le début de la vague 1 ; et, une variable de la taille de la famille à l’âge de 10 ans. Le tableau A2 en annexe présente les statistiques descriptives de ces variables.
Méthode
13 Les modèles de panel dynamiques (Wooldridge, 2002, 2005) régressent une variable dépendante à une période du temps (Yt) sur elle-même à la période précédente (Yt-1) pour plusieurs individus simultanément. La principale propriété de ces modèles vient du fait que si l’on ajoute une variable explicative supplémentaire (xt) dans le modèle, l’estimation de son coefficient est non-biaisée. Cette propriété d’« exogénéité » implique que si l’on ajoutait d’autres variables explicatives contemporaines les unes à la suite des autres, le coefficient initial de xt n’en serait pas modifié (on parle de causalité instantanée dans ce cas puisqu’il n’y a pas de bais de variables omises). Contrairement au cadre d’une régression en coupe, il n’est donc pas nécessaire de « purger » l’effet de notre variable d’intérêt xt d’un effet confondant par un ensemble de variables de contrôle. Une fois la causalité instantanée isolée au travers du coefficient de xt, les modèles de panel dynamiques permettent d’ajouter la valeur retardée de notre variable explicative (xt-1) de sorte à mesurer l’impact causal de x sur Y dans une perspective temporelle : « xt-1 entraîne Yt ».
14 En considérant tour à tour le couple santé (Y) et participation sociale (x), puis participation sociale (Y) et santé (x) dans deux modèles respectifs (mais estimés simultanément pour obtenir des écarts types précis), l’approche précédente permet de tester l’existence d’une causalité réciproque (instantanée et temporelle). Toutefois, la spécification correcte de ces modèles est relativement exigeante dans la dimension temporelle. En effet, la valeur de la variable dépendante à la première période (Yt = 0) est utilisée comme variable explicative dans le modèle afin de spécifier les conditions initiales, c’est-à-dire de prendre en compte le phénomène de sélection selon lequel les individus qui perdurent dans l’enquête et constituent la cohorte ont potentiellement des caractéristiques spécifiques en ce qui concerne la distribution de la variable dépendante. De sorte que la valeur initiale de la variable dépendante retardée ne peut concerner que la seconde période (Yt-1 = Y1, Y2…). Par ailleurs, la mise en œuvre d’un modèle de panel implique au moins deux observations individuelles contemporaines (Yt = Y2, Y3,…). Au total, au moins quatre périodes sont requises : (t = 0) la première période pour spécifier les conditions initiales, (t = 1) la seconde période pour les valeurs retardées des variables dans un modèle dynamique, et (t = 2, 3) deux périodes supplémentaires pour observer des individus en panel.
15 Au moment de la rédaction de cet article, nous ne disposions que de trois vagues d’enquête, dont l’une d’entre elles (Sharelife) ne possède pas de données comparables aux deux autres. Toutefois, les données de Sharelife sont basées sur un questionnaire rétrospectif dans lequel les individus répondent à des questions sur leur enfance et leurs conditions de vie passées (voir partie sur les variables de contrôle). Nous proposons d’utiliser ces données rétrospectives afin d’approcher les conditions initiales. Les deux premières vagues de Share permettent alors de tester l’idée d’une causalité temporelle en utilisant les valeurs retardées des variables, mais il n’est pas possible d’obtenir des coefficients estimés dans un modèle de panel dynamique standard parce que nous ne disposons ainsi que d’une seule mesure contemporaine des variables. Il est alors nécessaire de compléter la liste des variables explicatives contemporaines par les variables de contrôle habituelles, comme dans les régressions en coupe.
16 Au total, nous nous proposons d’estimer un modèle avec deux équations simultanées, dont chaque équation prend en compte (i) les valeurs retardées des variables dépendantes (respectivement santé et participation sociale), (ii) les valeurs retardées de la variable dépendante de l’autre équation (respectivement participation sociale et santé), (iii) des variables de contrôle et, comme pour l’estimation en panel dynamique, (iv) la valeur moyenne des variables explicatives contemporaines sur la période 2004-2006 est insérée dans les équations (spécification à la Mundlak). Parmi les variables explicatives, l’utilisation des données rétrospectives Sharelife permet également de faire entrer en jeu un ensemble spécifique de variables d’événements de vie qui peuvent être corrélées soit avec l’état de santé (par ex. indicateurs rétrospectifs de l’état de santé pendant l’enfance), soit avec la variable de la participation sociale (par exemple, « la taille du ménage à l’âge de 10 ans » est un candidat potentiel [7]). Ces variables joueront le rôle de « conditions d’exclusion » afin d’améliorer l’estimation des écarts types dans un modèle par équations simultanées (Keane, 1992).
Résultats
Estimations du modèle
17 Les estimations du modèle semblent corroborer la théorie standard [8]. Les coefficients des variables indépendantes dans l’équation de santé présentent les signes et les niveaux de significativité attendus. Par exemple, la probabilité d’avoir un mauvais état de santé augmente avec l’âge, quelle que soit la mesure de santé considérée ; et un niveau d’éducation élevé réduit la probabilité d’une mauvaise santé. L’influence du statut professionnel indique un « effet de travailleur en bonne santé » classique (Li et Sung, 1999) – les individus les mieux portants auront de plus grandes possibilités d’être économiquement actifs – dans le cas d’un état de santé auto-évalué comme mauvais, de limitations dans les activités, de limitations dans la mobilité, et (de façon moindre) de symptômes dépressifs. Il faut remarquer que les hommes semblent afficher une meilleure santé que les femmes lorsqu’il est question de mauvais état de santé auto-évalué, de limitations dans la mobilité, de force de préhension faible et de symptômes dépressifs. Les différences entre les sexes ne sont pas significatives dans d’autres domaines de santé. Le fait de vivre en couple permet de réduire les symptômes dépressifs et le mauvais état de santé auto-évalué [9]. La moyenne des deux mesures de revenu (vague 1 et 2) relève d’une question technique (spécification de Mundlak) et elle est souvent difficile à interpréter. Toutefois, on peut dire qu’elle reflète, dans ce cas précis, une mesure du revenu à long terme plus précise et, par conséquent, fournit une meilleure estimation de l’état de santé. Les estimations de cette mesure de « revenu permanent » suggèrent que les individus les plus aisés ont une plus faible propension à avoir un état de santé dégradé (état de santé auto-évalué, mobilité, force de préhension faible, et Euro-D). Une autre tendance commune à chaque équation de santé est l’influence des variables indicatrices des pays qui indique que les caractéristiques individuelles n’expliquent pas toutes les différences au niveau de la santé en Europe. Toutefois, la recherche de ces différences dépasse le cadre de cette étude.
18 Les estimations des modèles corroborent les principaux résultats de la littérature empirique sur les déterminants de la participation sociale. Les 50-65 ans ont une probabilité plus forte que les plus de 80 ans de participer à des activités sociales. Cette probabilité diminue sans doute à cause de la dégradation de l’état de santé lié au vieillissement (Glaeser, Laibson et Sacerdote, 2002). L’éducation est l’une des principales variables associée au capital social, comme l’attestent les premières études sur le sujet (Coleman, 1988 ; Putnam, 1993). Comme on s’y attendait, les personnes actives interrogées à la vague 2 ont moins de possibilités de participer à des activités sociales en raison des contraintes de temps liées à leur travail. Les différences entre femmes et hommes ont un pouvoir explicatif plus faible lorsque l’on tient compte des caractéristiques individuelles mentionnées ci-dessus, et le revenu n’apparaît pas comme un déterminant de participation sociale significatif. Comme pour Hank (2011), nos résultats associés aux variables indicatrices des pays indiquent clairement un gradient nord-sud dans la participation aux activités sociales en Europe. Les modèles récursifs ouvrent de nouvelles perspectives sur l’influence de la santé et du capital social. Tout d’abord, le modèle Probit dynamique indique que chaque variable dépendante suit une dépendance temporelle : en moyenne, l’état de santé des personnes interrogées au temps t-1 forge leur condition au temps t. Le même processus se produit avec la participation sociale. Les effets croisés mettent en évidence un effet causal réciproque : la participation sociale favorise une meilleure santé et vice-versa.
Tableau 4 > Coefficients et ECM de la participation sociale sur la santé et vice-versa | |||||||
Modèle à équations simultanées, dont la variable dépendante de l’équation de santé est : | |||||||
Mauvaise santé déclarée | ADL2 + | Gali | Mobilité | Force de préhension faible | Euro-D | Limitations cognitives | |
Coefficients | |||||||
?D | -0,095*** | -0,082** | -0,055** | -0,068** | -0,039 | -0,099** | -0,135** |
?H | -0,173*** | -0,197*** | -0,099*** | -0,096*** | -0,082** | -0,160*** | -0,410*** |
ECM | |||||||
?D | -0,025 | -0,010 | -0,017 | -0,020 | -0,007 | -0,017 | -0,010 |
?H | -0,053 | -0,060 | -0,030 | -0,030 | -0,025 | -0,049 | -0,122 |
Diff, ECM | 0,028 | 0,050 | 0,014 | 0,011 | 0,019 | 0,032 | 0,113 |
t-test | 233,1 | 356,4 | 211,5 | 149,4 | 291,1 | 226,8 | 343,1 |
Proba | 0,000 | 0,000 | 0,000 | 0,000 | 0,000 | 0,000 | 0,000 |
Modèle | |||||||
N obs. | 12410 | 12411 | 12413 | 12411 | 11389 | 12258 | 12287 |
Rho | -0,118*** | -0,108*** | -0,073*** | -0,066*** | -0,082*** | -0,098*** | -0,197*** |
19 Le tableau 4 récapitule les résultats des modèles, lesquels sont présentés en intégralité dans le tableau A3 en annexe. En plus de l’estimation du coefficient de participation sociale retardé sur la santé contemporaine (noté par la suite ?D) et du coefficient de la variable retardée de santé sur celle de participation sociale (désormais noté ?H), le tableau 4 illustre l’effet causal moyen (ECM) de la participation sociale sur la santé, et l’ECM de la santé sur la participation sociale, pour les diverses mesures de santé considérées dans ce document. Un test bilatéral est appliqué à la différence entre ECMcapitalsocial et ECMsanté, et une probabilité est associée. D’une part, la participation à des activités sociales au temps t-1 réduit considérablement la probabilité d’un mauvais état de santé parmi les personnes interrogées au temps t, toute chose étant égale par ailleurs. Autrement dit, compte tenu de l’état de santé initial et d’autres covariables ordinaires, la participation sociale a un effet causal bénéfique sur la santé. Toutefois, l’ampleur de l’effet varie entre les mesures de santé. L’ECM de la participation sociale sur la santé est le plus bas pour les ADL (activités de base de la vie quotidienne) et les déficiences cognitives ; aucun effet causal de la participation sur la santé n’a été observé dans le cas de la force de préhension. D’autre part, « l’effet de rétroaction » de la santé est significatif pour toutes les mesures de santé considérées dans ce document. Le fait d’avoir un mauvais état de santé au temps t-1 réduit la probabilité de participer à des activités sociales au temps t. Quelle que soit la mesure de santé, l’incidence de la santé sur la participation sociale semble être beaucoup plus important (tests bilatéraux) que l’effet de la participation sociale sur la santé.
20 En bref, ces résultats indiquent un effet causal réciproque : la participation sociale a un effet négatif sur un mauvais état de santé et une mauvaise santé a un effet négatif sur la participation sociale. Toutefois, les effets de la santé sur la participation sociale semblent beaucoup plus importants que ceux de la participation sociale sur la santé.
Vérifications de la robustesse
21 Afin d’obtenir des résultats fiables, nous avons testé différentes spécifications de modèle. Dans un premier temps, nous avons modifié les seuils dans certaines des variables de santé :
- le seuil de l’état de santé déclaré a été réduit et la variable dichotomisée en (0) excellent, très bon, ou bon et (1) inférieur à bon ;
- les seuils des limitations ont été relevés à la limite des deux thèmes de mobilité ;
- le seuil des limitations d’activité a été réduit pour englober seulement les personnes interrogées « sérieusement limitées ».
23 Il faut remarquer que les seuils des variables de santé mentale n’ont pas été modifiés en raison du consensus sur l’évaluation de la dépression et des déficiences cognitives dans la littérature empirique. En outre, le fait de modifier le seuil pour les ADL (en se concentrant strictement sur plusieurs limitations dans les activités de la vie quotidienne) conduirait à se limiter à un nombre infime d’observations. Les résultats montrent que des seuils de santé plus restrictifs augmentent l’ECM de la santé sur la participation On observe également que la modification des seuils ne modifie en rien le fait que la participation sociale a une influence bénéfique significative sur la santé – à l’exception de la force de préhension faible. En fait, la modification des seuils n’induit aucun changement significatif de l’ECM de la participation sociale sur l’état de santé auto-évalué, alors que l’augmentation des seuils des limitations de l’activité et de la mobilité améliore l’influence de la participation sociale sur la santé.
24 Ce résultat suggère que l’effet marginal de la participation sociale est positif en moyenne, mais malgré tout plus élevé chez les personnes ayant un état de santé dégradé, et plus faible chez ceux en bonne santé. Dans la perspective d’une fonction de production de santé (Grossman, 1972 ; Folland, 2008), le capital social (représenté par les investissements sociaux, tels que les coûts de temps et d’efforts consacrés aux activités sociales) peut être perçu comme une forme de capital avec des rendements décroissants.
25 Dans un second temps, nous avons voulu vérifier si l’influence principale de la participation sociale était véritablement attribuée à l’activité physique puisque les « clubs de sport » appartiennent à l’une des catégories des activités sociales dans Share. Les personnes interrogées à chaque vague qui font partie uniquement de « clubs sociaux ou clubs de sport » se sont vu assigner la valeur 0 par rapport à la valeur indicatrice de la participation sociale, alors que les personnes engagées dans des activités mixtes (« clubs sociaux ou clubs de sport » et au moins une autre activité sociale) gardaient la valeur 1. Même si l’influence causale de la participation sociale est significative dans la plupart des cas (à l’exception de la force de préhension faible), celle sur la santé est légèrement réduite lorsque la participation à des clubs de sport ou des activités physiques est prise en compte ; et ?D est significatif uniquement lorsque < 10 % dans le cas des ADL. Même si ces résultats confortent largement l’idée que la participation sociale a une influence causale bénéfique sur la santé, ils suggèrent également qu’il n’est pas possible d’affirmer que l’indice de la participation sociale utilisé dans cette étude reflète entièrement l’influence des réseaux sociaux, ou l’interaction sociale sur la santé puisqu’il ne capture que partiellement l’influence de la « nature » (implication physique ou non) de l’activité sociale.
Comparaisons européennes
26 On peut également souhaiter décomposer les résultats précédents selon différents critères (pays de résidence, sexe, cohorte de naissance, etc.), non seulement pour tester encore leur robustesse, mais aussi pour analyser la relation entre participation sociale et santé dans des dimensions spécifiques. Dans cette perspective, les données de Share, qui sont comparables entre les pays européens, s’avèrent particulièrement adaptées pour l’analyse de l’influence des différents contextes institutionnels. Pour des raisons de puissance statistique, nous avons décomposé les échantillons par « eurorégions », plutôt que par pays. Plusieurs estimations sur ces sous-échantillons ont été conduites et une synthèse des résultats est présentée dans le tableau 5.
Tableau 5 > Décomposition des effets entre participation sociale et santé par eurorégions | |||||||
Modèle à équations simultanées, dont la variable dépendante de l’équation de santé est : | |||||||
Mauvaise santé déclarée | ADL2 + | Gali | Mobilité | Force de préhension faible | Euro-D | Limitations cognitives | |
Participation sociale santé (?D) | |||||||
Europe du Nord | -0,166** | -0,093 | -0,060 | -0,127** | -0,051 | -0,043 | -0,211 |
Europe continentale | -0,142*** | -0,114** | -0,070* | -0,088** | -0,036 | -0,147** | -0,185** |
Europe du Sud | 0,044 | -0,037 | -0,036 | 0,030 | 0,003 | -0,067 | -0,085 |
Santé Participation sociale (?H) | |||||||
Europe du Nord | -0,233*** | -0,347** | -0,139** | -0,170*** | -0,088 | -0,170** | -0,964** |
Europe continentale | -0,204*** | -0,183** | -0,070* | -0,098** | -0,113** | -0,162** | -0,683*** |
Europe du Sud | -0,129** | -0,142 | -0,116** | -0,034 | -0,066 | -0,179** | -0,264** |
27 Les principaux résultats du tableau 5 indiquent que tous les coefficients arborent les mêmes signes que dans le tableau 4, et que l’influence de la participation sociale sur la santé est toujours plus faible que l’effet contraire. Dans l’ensemble, nos résultats demeurent robustes à la décomposition par sous-régions. Dans le détail, on observe que les coefficients de participation sociale sur la santé sont en général plus élevés dans les pays nordiques mais que leur degré de significativité est plus fort dans les pays continentaux. Par ailleurs, l’effet de la santé sur la participation sociale est plus fort dans les pays nordiques que dans les pays du Sud. Toutefois, l’interprétation détaillée de ces résultats est difficile à réaliser. En effet, la taille réduite des sous-échantillons ne permet pas de savoir si l’absence de significativité des effets est due à des raisons théoriques ou à des raisons de puissance statistique.
Discussion
La participation sociale contribue-t-elle à l’amélioration de l’état de santé ?
28 Les modèles Probit récursifs dynamiques suggèrent que la participation à des activités sociales en 2004-2005 réduit considérablement les risques d’être en mauvaise santé en 2006-2007 pour les personnes interrogées dans le cadre de Share, dans 11 pays d’Europe, compte tenu de l’état de santé initial et des covariables habituelles. Ce résultat étaye l’hypothèse d’un effet temporel bénéfique de la participation sociale sur la santé et, à ce titre, corrobore les récents travaux de recherche de la littérature empirique. Dans le détail, notre indicateur prévoit une diminution notable des probabilités d’avoir un mauvais état de santé – et ce résultat semble résister au changement de seuil dans les catégories d’état de santé. D’autres mesures de santé physique et mentale donnent des résultats comparables même si l’ampleur des effets de la participation sociale sur la santé diffère.
29 Toutefois, il est surprenant qu’aucun effet significatif n’ait été trouvé dans le cas de la force de préhension faible [10]. Ceci peut s’expliquer par le fait que la force de préhension est une mesure objective de santé alors que les autres sont auto-déclarées, ce qui laisse à penser que lorsque les variables de santé sont « purgées » de leur biais potentiel de déclaration, l’influence de la participation sociale n’est plus significative. Toutefois, cet argument ne tient pas puisque les variables de santé qui s’appuient sur une liste de thèmes (ADL ; limitations, mobilité, Euro-d) sont moins sujettes au biais de déclaration et que la variable sur les déficiences cognitives relatives résulte d’une évaluation objective de santé mentale. Une autre explication à cette absence d’effet de la participation sociale sur la force de préhension faible doit donc se trouver ailleurs.
30 Le choix de l’indicateur de participation sociale doit être discuté en regard de la contribution de notre travail à la littérature empirique du capital social. Nos résultats ne peuvent pas être généralisés à l’influence de « l’interaction sociale » ou « des rapports sociaux » puisqu’ils sont sensibles à la nature de l’activité sociale qui est menée à bien. Il semble difficile d’aller plus loin dans la distinction des diverses caractéristiques d’activités sociales qui peuvent avoir un impact sur la santé : nombre de personnes impliquées, nombre de contacts réguliers avec les membres en dehors de l’association, différentes formes de soutien social données et reçues par les personnes rencontrées dans les activités sociales, etc. Afin de pallier certaines de ces limites, un module de mesure des réseaux sociaux a été ajouté à la vague 4 de Share (2010-2011), ce qui permettra dans un proche avenir de fournir des données plus détaillées sur le capital social individuel.
La participation sociale contribue-t-elle à des inégalités de santé ?
31 Nos résultats indiquent que l’effet causal moyen de la participation sociale sur la santé est toujours significativement plus faible que l’effet de rétroaction de la santé sur la participation sociale. Dans la perspective où des personnes atteignent l’âge de 50 ans avec des états de santé différents (bonne et mauvaise santé), la dynamique de la santé et de la participation sociale peut avoir des répercussions sur la façon dont cette inégalité de santé initiale va évoluer au fil du temps. Les modèles récursifs dynamiques permettent de réaliser des microsimulations sur la situation des individus au cours de leur vie. Les personnes de 50 ans en bonne santé et dont la situation est restée constante (revenu, vie en couple, etc.) auront une plus grande propension à participer à des activités sociales et à bénéficier de leurs effets, alors que les personnes de 50 ans en moins bonne santé ont des chances plus faibles de participer à des activités sociales et ont une probabilité plus forte de voir leur état de santé se dégrader plus vite. En somme, la participation sociale peut donc être un vecteur potentiel d’inégalités sociales.
32 L’idée sous-jacente de ce scénario est une situation déjà bien connue par ailleurs. La catégorie de personnes qui est déjà privilégiée en termes de statut socio-économique et de santé bénéficie généralement des programmes de santé, tels que les campagnes de nutrition, de promotion des activités physiques et mentales pour les personnes âgées, etc. En effet, dans notre cas, les personnes qui participent à des activités sociales proviennent d’un milieu social favorisé, suggérant un lien étroit entre capital social et capital humain. Le fait que le capital social puisse présenter des avantages individuels et des inconvénients collectifs n’est pas une idée nouvelle dans les sciences sociales ; ce concept a été utilisé pour décrire l’origine de certains types de disparités de revenu (Loury, 1977) et pour étayer la thèse de la reproduction sociale dans les sociétés modernes (Bourdieu, 1986). Néanmoins, une nouvelle approche pourrait s’intéresser à l’analyse de la distribution de la santé parmi la sous-population des personnes âgées en mauvaise santé. Selon les résultats de robustesse basés sur les modifications des seuils des mesures de santé, il apparaît que, dans certains cas, la participation sociale peut avoir des répercussions négatives sur la santé. En partant du postulat que l’effet causal moyen de la participation sociale est particulièrement élevé chez les individus en mauvaise santé et que cet effet reste constant au fil du temps, alors, les inégalités de santé devraient s’aggraver avec l’âge entre les personnes en mauvaise santé qui participent à des activités sociales et les personnes en mauvaise santé qui n’y participent pas. Dans le même temps, les inégalités de santé dues à la participation sociale des personnes en bonne santé devraient évoluer de façon beaucoup plus confinée en raison des influences négatives de la participation sociale sur la santé. Même s’il ne sera pas facile d’étayer ces hypothèses, elles représentent des pistes prometteuses pour une meilleure appréhension des rapports entre la dimension sociale et la santé.
Annexe
Tableau A1 > État de santé par pays | ||||||||
Mauvaise santé déclarée | ADL2 + | GALI | Mobilité | |||||
Pays | Vague 1 | Vague 2 | Vague 1 | Vague 2 | Vague 1 | Vague 2 | Vague 1 | Vague 2 |
Autriche | 0,284 | 0,323 | 0,071 | 0,090 | 0,474 | 0,518 | 0,498 | 0,541 |
Allemagne | 0,327 | 0,371 | 0,072 | 0,087 | 0,469 | 0,501 | 0,499 | 0,473 |
Suède | 0,079 | 0,261 | 0,053 | 0,075 | 0,419 | 0,395 | 0,408 | 0,433 |
Pays-Bas | 0,223 | 0,289 | 0,035 | 0,046 | 0,423 | 0,453 | 0,390 | 0,358 |
Espagne | 0,426 | 0,506 | 0,124 | 0,134 | 0,474 | 0,462 | 0,549 | 0,554 |
Italie | 0,392 | 0,461 | 0,084 | 0,091 | 0,392 | 0,434 | 0,530 | 0,560 |
France | 0,305 | 0,368 | 0,097 | 0,095 | 0,356 | 0,367 | 0,477 | 0,469 |
Danemark | 0,202 | 0,250 | 0,071 | 0,069 | 0,411 | 0,379 | 0,382 | 0,406 |
Grèce | 0,286 | 0,259 | 0,069 | 0,070 | 0,284 | 0,282 | 0,502 | 0,583 |
Suisse | 0,135 | 0,162 | 0,052 | 0,070 | 0,324 | 0,328 | 0,366 | 0,352 |
Belgique | 0,231 | 0,279 | 0,097 | 0,122 | 0,365 | 0,402 | 0,465 | 0,477 |
Total | 0,266 | 0,325 | 0,077 | 0,089 | 0,392 | 0,406 | 0,466 | 0,481 |
Force de préhension faible | Euro-D | Limitations cognitives | ||||
Pays | Vague 1 | Vague 2 | Vague 1 | Vague 2 | Vague 1 | Vague 2 |
Autriche | 0,176 | 0,216 | 0,100 | 0,108 | 0,024 | 0,050 |
Allemagne | 0,147 | 0,155 | 0,096 | 0,094 | 0,014 | 0,023 |
Suède | 0,197 | 0,165 | 0,084 | 0,078 | 0,008 | 0,016 |
Pays-Bas | 0,153 | 0,170 | 0,109 | 0,099 | 0,017 | 0,015 |
Espagne | 0,381 | 0,375 | 0,290 | 0,237 | 0,129 | 0,173 |
Italie | 0,317 | 0,285 | 0,217 | 0,227 | 0,114 | 0,113 |
France | 0,266 | 0,260 | 0,216 | 0,195 | 0,050 | 0,058 |
Danemark | 0,195 | 0,249 | 0,092 | 0,094 | 0,015 | 0,024 |
Grèce | 0,297 | 0,261 | 0,154 | 0,102 | 0,050 | 0,066 |
Suisse | 0,179 | 0,181 | 0,086 | 0,086 | 0,015 | 0,025 |
Belgique | 0,227 | 0,205 | 0,140 | 0,156 | 0,034 | 0,046 |
Total | 0,237 | 0,229 | 0,149 | 0,139 | 0,045 | 0,057 |
Tableau A2 > Statistiques descriptives des covariables | ||
Caractéristiques individuelles | Moyenne | Écart-type |
Genre (homme = 1) | 0,453 | |
Âge (années) à la vague 1 | 64,409 | 9,055 |
Vivre en couple en vague 1 (1 = oui) | 0,741 | |
Vivre en couple en vague 2 (1 = oui) | 0,726 | |
Log. (revenu par unités de conso) en vague 1 | 9,421 | 1,291 |
Log. (revenu par unités de conso) en vague 2 | 9,146 | 1,444 |
En emploi | 0,277 | |
Éducation | ||
Aucune ou niveau primaire | 0,514 | |
Secondaire | 0,260 | |
Tertiaire | 0,219 | |
Autre | 0,006 | |
Conditions initiales | ||
Migrant (1 = oui) | 0,063 | |
Log. (N, déménagements dans la vie) | 1,448 | 0,607 |
Performance relative à l’école | 0,478 | |
Déjà travaillé dans une association bénévole (1 = oui) | 0,019 | |
Santé perçue à 10 ans (1 > bon) | 0,090 | |
Deux maladies ou plus dans l’enfance (1 = oui) | 0,116 | |
Indice de confort du logement dans l’enfance | 1,861 | |
Taille du ménage à 10 ans | 5,671 | 2,467 |
Tableau A3 > Déterminants individuels du capital social et de la santé des Européens âgés | ||||
Modèle 1 (mauvaise santé auto-évaluée) | ||||
Var. dépendante (Ht, Dt) | Mauvaise santé déclarée | Capital social | ||
Var. indépendante | Coef. | Écart type | Coef. | Écart type |
Santé en t-1 | ||||
Mauvaise santé déclarée | 1,337*** | 0,030 | -0,173*** | 0,030 |
Capital social en t-1 | ||||
Prendre part à des activités sociales (1 = oui) | -0,095*** | 0,028 | 1,153*** | 0,026 |
Caractéristiques individuelles en t | ||||
Genre (1 = homme) | -0,086*** | 0,028 | -0,033 | 0,026 |
Classe d’âge en vague 2 | ||||
50-54 | -0,360*** | 0,077 | 0,312*** | 0,072 |
55-59 | -0,225*** | 0,059 | 0,282*** | 0,058 |
60-64 | -0,299*** | 0,055 | 0,303*** | 0,054 |
65-69 | -0,286*** | 0,053 | 0,272*** | 0,053 |
70-74 | -0,196*** | 0,054 | 0,249*** | 0,055 |
75-79 | -0,074 | 0,057 | 0,122** | 0,058 |
80 et plus | Réf. | Réf. | Réf. | Réf. |
En couple en vague 2 (1 = oui) | 0,291* | 0,160 | -0,262* | 0,154 |
En emploi en vague 2 | -0,319*** | 0,097 | -0,253*** | 0,089 |
Log (revenue par unité de conso.) en vague 2 | 0,048** | 0,019 | 0,011 | 0,019 |
Éducation | ||||
Aucune ou niveau primaire | Réf. | Réf. | Réf. | Réf. |
Secondaire | -0,131*** | 0,035 | 0,123*** | 0,033 |
Tertiaire | -0,227*** | 0,041 | 0,267*** | 0,038 |
Pays de résidence | ||||
Allemagne | Réf. | Réf. | Réf. | Réf. |
Autriche | -0,189** | 0,075 | -0,216*** | 0,073 |
Suède | -0,040 | 0,073 | 0,395*** | 0,070 |
Pays-Bas | -0,158** | 0,066 | 0,279*** | 0,061 |
Espagne | -0,006 | 0,069 | -0,096 | 0,069 |
Italie | -0,028 | 0,063 | -0,252*** | 0,061 |
France | -0,089 | 0,071 | -0,083 | 0,067 |
Danemark | -0,292*** | 0,079 | 0,536*** | 0,073 |
Grèce | -0,512*** | 0,063 | -0,030 | 0,057 |
Suisse | -0,531*** | 0,088 | 0,233*** | 0,078 |
Belgique | -0,279*** | 0,070 | 0,040 | 0,064 |
Date de l’entretien | ||||
Mois écoulés entre les vagues 1 et 2 | 0,000 | 0,004 | -0,008** | 0,004 |
Modèle 1 (mauvaise santé auto-évaluée) | ||||
Var. dépendante (Ht, Dt) | Mauvaise santé déclarée | Capital social | ||
Var. indépendante | Coef. | Écart type | Coef. | Écart type |
Moyennes sur les deux vagues | ||||
En couple aux vagues 1 et 2 | -0,278* | 0,163 | 0,203 | 0,158 |
Log (revenu par unité de conso,) aux vagues 1 et 2 | -0,096*** | 0,026 | 0,040 | 0,026 |
En emploi aux vagues 1 et 2 | -0,016 | 0,102 | 0,095 | 0,096 |
Conditions initiales | ||||
Migrant (1 = oui) | 0,122** | 0,055 | -0,200*** | 0,053 |
Log (N, déménagements dans la vie) | -0,007 | 0,026 | -0,018 | 0,025 |
Performance relative à l’école | -0,036 | 0,028 | 0,103*** | 0,026 |
Déjà travaillé dans une association, bénévole (1 = oui) | -0,055 | 0,096 | 0,290*** | 0,100 |
Santé perçue à 10 ans (1 > good) | 0,189*** | 0,046 | -0,002 | 0,045 |
Deux maladies ou plus dans l’enfance (1 = oui) | 0,045 | 0,043 | 0,011 | 0,041 |
Indice de confort du logement dans l’enfance | -0,026*** | 0,009 | 0,007 | 0,009 |
Taille du ménage à 10 ans | 0,001 | 0,005 | 0,011** | 0,005 |
Constante | 0,217 | 0,206 | -1,271*** | 0,201 |
Rho | -0,118*** | 0,018 |
Bibliographie
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Il faut remarquer que l’instruction donnée aux enquêteurs Share souligne que « la participation à des activités d’une organisation religieuse englobe l’église, la synagogue, et la mosquée. »
-
[2]
Voir Hank (2011) pour une analyse et une discussion détaillée des déterminants individuels et institutionnels de la participation sociale utilisant les données Share.
-
[3]
Kawachi, Subramanian et Kim (2008) proposent une étude complète de la littérature sur les liens entre le capital social et les diverses mesures de santé.
-
[4]
Self-rated health.
-
[5]
Activities of daily living.
-
[6]
Havari et Mazzonna (2011) s’intéressent à la capacité des personnes âgées interrogées à se souvenir avec précision des événements qui se sont produits dans le passé. Leurs résultats suggèrent que les données rétrospectives dans Sharelife peuvent être raisonnablement utilisées dans le cadre de leurs travaux de recherche.
-
[7]
En règle générale, pour un enfant, le fait de vivre dans une famille peut être considéré comme un engagement dans une organisation sociale. L’interdépendance sociale augmente proportionnellement au nombre de personnes présentes dans une famille. Les familles nombreuses créent un environnement socialement favorable dans lequel les jeunes enfants sont imprégnés d’une culture de rapports sociaux fréquents, ce qui, en moyenne, les rend plus aptes à interagir avec les autres dans leur vie future.
-
[8]
En raison du nombre important de tableaux, seules les estimations de modèle complet sur l’état de santé auto-évalué ont été présentées dans le tableau A3 de l’annexe. Les résultats des autres modèles sont disponibles sur demande.
-
[9]
Dans ce cas, toutefois, le coefficient n’est significatif que s’il est < 10 %, ce qui peut être trop imprécis pour être commenté.
-
[10]
Plusieurs seuils de force de préhension différents ont été véritablement testés, et puisqu’il s’agit à l’origine d’une variable continue, des régressions récursives dynamiques ont été effectuées mais aucun effet causal de la participation sociale sur la santé n’a été trouvé.