Notes
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[1]
Statistiques de l’Union européenne sur le revenu et les conditions de vie.
1 Nous étudierons ici de quelle façon le patrimoine immobilier pourrait contribuer à satisfaire les besoins des personnes âgées en Europe en termes de revenus. On observe à cet égard deux grandes tendances, communes à plusieurs États membres de l’Europe, mais plus généralement, aux pays économiquement les plus avancés. En premier lieu, la proportion de personnes âgées dans les populations européennes a augmenté, et de ce fait, le financement des retraites et de la dépendance est devenu un enjeu majeur des politiques fiscales. En second lieu, le patrimoine immobilier tend à représenter une part grandissante du portefeuille des ménages. L’article examine les différentes façons dont ces actifs pourraient contribuer à financer un revenu pendant la retraite ou bien financer les coûts liés à une perte d’autonomie, en s’attachant particulièrement au rôle potentiel du mécanisme des reverse mortgages (ou prêts viagers hypothécaires), produits financiers qui permettent aux propriétaires d’extraire des liquidités de leur résidence principale.
2 Nous ferons tout d’abord le point sur les débats d’orientation en cours au sein de l’Union européenne sur les conséquences du vieillissement de la population. Puis nous étudierons l’augmentation de la part du logement dans le patrimoine et la façon dont les personnes âgées accèdent à ce patrimoine. Nous nous concentrerons sur les reverse mortgages, en comparant le volume des marchés pour ce type de prêt entre les différents États membres, et les freins à leur développement. Enfin, nous chercherons à déterminer quels groupes de population pourraient le plus tirer profit d’une utilisation de leur patrimoine immobilier pour augmenter leur revenu pendant la retraite.
Vieillissement démographique : le contexte politique
3 Il ne fait aucun doute que les décideurs politiques européens ont pleinement pris conscience des enjeux fiscaux du vieillissement démographique. L’examen de mi-parcours de l’avancement de la stratégie de Lisbonne a insisté sur le fait qu’il faudrait prévoir une baisse globale de la croissance du PIB, entraînant une diminution de la population en âge de travailler, mais aussi que les finances publiques seraient confrontées à un important défi lié à l’augmentation prévue des dépenses de financement des retraites et des besoins en termes de santé et d’aide sociale (Commission européenne, 2004). Les livres verts de l’Union européenne rédigés par la suite (Commission européenne, 2005 ; Commission européenne, 2010b) font écho à cette préoccupation concernant l’évolution démographique et l’ampleur du défi qu’elle représente, tout comme le récent document qui fixe les objectifs stratégiques de l’Europe pour la prochaine décennie (Commission européenne, 2010a). En recensant les principales faiblesses structurelles de l’Union européenne, ce document résume ainsi l’opinion la plus répandue :
Le vieillissement démographique va en s’accélérant. Lorsque le baby-boom prendra sa retraite, la population active de l’Union européenne commencera à décliner à partir de 2013-2014. Le nombre de personnes de plus de 60 ans augmente aujourd’hui deux fois plus vite qu’avant 2007, d’environ deux millions par an au lieu d’un million précédemment. Cette diminution de la population active associée à l’augmentation de la proportion de retraités va entraîner une pression supplémentaire sur nos systèmes de sécurité sociale. (Commission européenne, 2010a)
5 Le dernier livre vert établit clairement que les gouvernements des États membres ont adopté un certain nombre d’objectifs politiques communs visant à répondre à cette « pression supplémentaire » (Commission européenne, 2010b). Il s’agit notamment du relèvement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite et de la suppression des barrières empêchant de travailler plus longtemps. Ces deux mesures associées favorisent le prolongement de la vie active et la réduction du nombre d’années de perception des retraites, répondant ainsi à la crise financière par un accroissement des recettes fiscales et une diminution des dépenses publiques consacrées aux retraites.
6 Si le rôle que le patrimoine immobilier pourrait jouer en renforcement de ces mesures n’a pas fait l’objet d’un large débat au niveau européen, leur potentiel a néanmoins été, en partie, identifié. D’ailleurs, il y a plus de 10 ans déjà, les représentants des pays membres de l’Union européenne de l’époque s’accordaient sur le fait que le patrimoine immobilier pouvait constituer une solution de financement des besoins des personnes âgées :
Dans la plupart des pays de l’Union européenne, les personnes âgées sont propriétaires de leur logement. Un grand nombre de personnes âgées disposent ainsi d’un capital lié à leur logement. Les ministres européens ont pris conscience de la nécessité d’explorer de nouveaux moyens d’aider les personnes âgées à exploiter ce capital en toute sécurité. (Ministre du Logement de l’Union européenne, 1999, para. 9)
8 Plus récemment, mais sans référence particulière au rôle potentiel du patrimoine immobilier, le livre vert 2010 a soulevé la question de savoir si la Commission pourrait favoriser une approche dans ce sens :
Le marché unique pourrait également faciliter l’accès des retraités à des sources de revenus complémentaires, comme les prêts viagers hypothécaires. (Commission européenne, 2010b)
Le potentiel du patrimoine immobilier
Montant du patrimoine immobilier
10 L’importance des revenus complémentaires qui pourraient être obtenus grâce aux prêts viagers hypothécaires dépend évidemment de la valeur totale du patrimoine immobilier détenu par les ménages européens. Celle-ci dépend de deux tendances : l’augmentation des taux d’accession à la propriété, et l’augmentation des prix de l’immobilier. Dans de nombreux États membres parmi les plus récents, l’augmentation du taux d’accession à la propriété s’observe particulièrement depuis 1990, avec la privatisation du parc de logement, tandis que dans la plupart des anciens États membres, ce phénomène est en cours depuis une cinquantaine d’années déjà. Le taux moyen dans l’Union européenne dans son ensemble se situe à environ deux tiers (Doling et Ford, 2007). Par ailleurs, les taux d’accession à la propriété atteignent généralement un pic autour de l’âge légal de départ à la retraite (Andrews et Caldera Sanchez, 2011), de sorte que dans l’ensemble de l’Europe, les trois quarts des ménages les plus âgés pourraient être propriétaires de leur résidence principale.
11 Ces moyennes cachent toutefois de grandes variations d’un pays à l’autre. Le taux d’accession à la propriété est en général plus élevé dans les nouveaux États membres (en Lituanie et Bulgarie, par exemple) et dans les pays méditerranéens (en Italie et en Espagne, par exemple). Il est plus faible dans certains pays continentaux, tels que l’Allemagne et la France (tableau 1). Il est clair que de telles variations se traduiront nécessairement par une grande disparité entre les pays en termes de revenu complémentaire que les retraités pourraient tirer de leur logement.
12 Néanmoins, pour les individus propriétaires de leur logement, ce dernier représente une importante réserve de capital. Cela s’explique en grande partie par le fait que jusqu’à la crise économique et financière actuelle qui a provoqué une baisse des prix de l’immobilier dans la plupart des pays d’Europe, la tendance était, au contraire, très nettement à la hausse dans toute l’Europe et ce, depuis de longues années (EMF, 2010). Il n’existe pas de statistiques officielles permettant de connaître précisément le montant de la richesse immobilière détenue au sein de chacun des États membres. Les estimations pour les premières années du présent millénaire indiquent toutefois que la valeur nette des logements occupés en propriété, soit la valeur brute moins les encours de crédit, se situait en moyenne à environ 13 000 milliards d’euros dans les 15 États membres les plus anciens, et à près de 2000 milliards d’euros dans les 10 États membres ayant adhéré en 2004. Dans l’ensemble de l’Union européenne, le patrimoine immobilier était d’environ 40 % plus élevé que le PIB total (Doling et Ford, 2007). Comme l’indique la figure 1, les montants sont particulièrement élevés dans les États membres les plus récents.
Taux d’accession à la propriété
Pays |
Dernières données disponibles |
Taux d’accession à la propriété (en %) |
Autriche Belgique Danemark Finlande France Allemagne Grèce Irlande Italie Luxembourg Pays-Bas Portugal Espagne Suède Royaume-Uni Bulgarie Chypre République Tchèque Estonie Hongrie Lettonie Lituanie Malte Pologne Roumanie Slovaquie Slovénie |
2009 2007 2009 2008 2007 2002 2009 2009 2002 2008 2008 2006 2008 2008 2007 2002 2006 2001 2008 2003 2007 2008 2006 2004 2009 2008 2006 |
56,2 78,0 54,0 59,0 57,4 43,2 80,0 74,5 80,0 75,0 57,2 76,0 85,0 66,3 69,5 96,5 86,0 47,0 96,0 92,0 78,0 97,0 75,0 75,0 95,7 88,0 82,0 |
Taux d’accession à la propriété
Patrimoine immobilier en % du PIB (Union européenne25)
Patrimoine immobilier en % du PIB (Union européenne25)
13
L’importance du patrimoine immobilier peut également s’évaluer d’après la part qu’il
représente dans le portefeuille des ménages. Malheureusement, il n’existe pas non plus
de données actualisées et harmonisées entre tous les États membres, mais les études de
l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) fournissent
une indication pour certains d’entre eux. En 2002, la richesse immobilière représentait
environ 65 % du patrimoine total des ménages en Espagne, environ 50 % en France, en
Allemagne et en Italie, près de 40 % aux Pays-Bas et au Royaume-Uni et juste un peu
moins de 30 % aux États-Unis (Boone et Girouard, 2002). En comparaison, dans l’ensemble de ces pays, la valeur des actions détenues par les ménages représentait au maximum un quart de leur patrimoine total. Il est donc évident que le logement en constitue
l’élément le plus important. Il s’agit de moyennes pour l’ensemble des groupes d’âge, et
l’examen des données pour les ménages les plus âgés montre que pour ces derniers, le
patrimoine immobilier constitue une proportion encore plus importante de leur patrimoine net total, soit le total des actifs moins le passif (tableau 2).
14 Malgré la crise économique et les fluctuations des prix de l’immobilier qui s’en sont suivies, il fait donc peu de doute que l’Européen âgé moyen est riche en termes de patrimoine immobilier.
Comment le patrimoine immobilier peut-il fournir des revenus complémentaires ?
Pourcentage du patrimoine net représenté par le logement en 2004
Pays |
Logement du patrimoine net (en %) |
Autriche
Danemark
France Allemagne Grèce Italie Pays-Bas Espagne Suède |
60 68 72 54 85 82 59 86 66 |
Pourcentage du patrimoine net représenté par le logement en 2004
15 Les propriétaires non-accédants peuvent tirer potentiellement deux types de revenu de leur logement : en nature ou financiers. Le premier type de revenu découle du fait que les logements donnent lieu à un flux de services lié à la taille, la localisation… propres à chaque logement. Dans le cas d’un logement en location, le propriétaire reçoit une compensation pour les services, par le biais d’une transaction (le paiement d’un loyer) qui provient du revenu financier du locataire. Cependant, dans le cas d’un logement occupé par son propriétaire, cependant, il n’y a pas de transaction financière. Ou plutôt, on peut considérer que celui-ci reçoit un loyer imputé ou un revenu en nature. Bien que ce paiement puisse être considéré comme fictif, cela signifie néanmoins que, n’ayant pas de loyer à payer, les propriétaires âgés peuvent s’en sortir avec une retraite moins élevée (Castles, 1998a). En conséquence, les mesures de l’incidence de la pauvreté parmi les personnes âgées varient selon que sont pris en compte les seuls revenus financiers, c’est-à-dire les pensions et autres transferts sociaux monétaires, ou bien également les revenus en nature liés au logement (voir Castles, 1998b ; Ritakillo, 2003). Une majorité d’Européens âgés étant propriétaires de leur logement, cela implique également que le logement contribue en grande partie à répondre aux besoins de ceux-ci.
16 Outre un revenu en nature, les propriétaires sont toutefois en mesure de tirer aussi des revenus financiers de leur logement. En effet, les logements sont des actifs négociables avec une valeur en capital ou valeur d’échange telle que les propriétaires pourraient littéralement en tirer profit (Kemeny 2001, 2005). Pour cela, les propriétaires peuvent procéder de différentes façons. Ils peuvent opter pour un logement moins onéreux de façon à réaliser une plus-value, ou passer du statut de propriétaire à celui de locataire, auquel cas ils récupèrent la totalité de la valeur de leur bien en capital. Dans les deux cas, le capital récupéré peut servir à souscrire une rente qui procurera un revenu à vie.
17 Cependant, lorsque le patrimoine immobilier est conçu pour produire un revenu financier, cela entraîne aussi une diminution des revenus en nature. Cette diminution pourrait avoir une incidence négative, non seulement sur les services fournis par le logement, mais aussi dans des domaines relatifs au bien-être de la personne concernée. Cela pourrait être le cas, par exemple, lorsque le déménagement entraîne un éloignement par rapport aux réseaux sociaux et aux mécanismes de soutien (y compris les autres membres de la famille) ou lorsque le déménagement provoque une fracture en termes d’attachement psychologique ou émotionnel à ce qui était jusque-là le domicile familial.
18 Suivant les circonstances individuelles, et les solutions mises en œuvre dans chaque pays, d’autres options peuvent être envisagées pour que le patrimoine immobilier fournisse un revenu financier sans avoir à quitter son logement. Il est notamment possible de diviser le bien pour former deux logements séparés, l’un des deux pouvant alors être mis en location ou même vendu. Suivant les pays, le cadre réglementaire permet parfois à l’acquéreur du bien de le louer en retour au vendeur et ce, jusqu’à la fin de ses jours. En France, par exemple, le système bien connu du viager permet au propriétaire de vendre sa maison à un tiers, souvent un membre de la famille, en échange d’une somme forfaitaire ou d’une rente, et de rester dans cette maison jusqu’à son décès. Enfin, dans certains pays, il existe des produits financiers, accessibles par le système bancaire, qui permettent aux propriétaires de mobiliser leur capital immobilier. Expliquons à présent ce que sont ces produits financiers appelés reverse mortgages (ou prêts viagers hypothécaires).
Le marché des reverse mortgages en Europe
Les différents produits
19 Il existe deux principaux produits proposés par les institutions financières : l’extraction hypothécaire et le prêt viager hypothécaire, que l’on appelle également parfois equity release. Si on les confond souvent, ces deux produits sont néanmoins fondamentalement différents, que ce soit par leurs caractéristiques techniques ou par les risques qu’ils comportent, au niveau individuel comme au niveau macroéconomique.
20 L’extraction hypothécaire concerne généralement les ménages qui ont déjà un prêt immobilier en cours : les ménages peuvent alors augmenter le montant de leur prêt, et disposer ainsi d’un capital forfaitaire, mais cela nécessite une modification du montant et/ou de la durée des remboursements. En principe, le propriétaire peut tirer des liquidités supplémentaires lorsque les crédits sont remboursés et que les prix de l’immobilier augmentent. En revanche, dans le cas des reverse mortgages, il n’est pas nécessaire en général que le propriétaire ait déjà un prêt en cours. En substance, il s’agit pour le propriétaire de vendre tout ou partie de sa maison à une institution financière. Il peut continuer à y habiter, tout en recevant une rente mensuelle de l’institution, ou un capital forfaitaire avec lequel il peut, s’il le souhaite, acheter une rente. Reifner et al. (2007) distinguent entre le modèle « vente » qui implique un transfert automatique du titre légal de propriété, le propriétaire initial conservant le droit de continuer à occuper le logement et le modèle « prêt » qui implique que la somme due à l’institution financière devra être remboursée lors de la vente éventuelle du bien. Dans un cas comme dans l’autre, le propriétaire initial perçoit un revenu jusqu’à la fin de ses jours, tandis que la banque se rembourse avec le produit de la vente de la maison. L’institution financière assume donc un risque par rapport au nombre d’années à vivre de l’individu, mais aussi parce qu’elle ignore si la valeur du bien suffira à couvrir le montant des sommes versées.
21 De plus, les effets macroéconomiques de ces deux produits sont également très différents. D’une part, l’effet des reverse mortgages sur la consommation du ménage dépend de la valeur du logement et des taux d’intérêt anticipés au moment de la signature du contrat. Une fois que le montant du versement est fixé, il n’y a plus de lien avec le cycle économique. D’autre part, le moment choisi pour le versement des liquidités extraites de l’hypothèque et la capacité à extraire d’autres liquidités constituent un processus dynamique. Si du fait d’une croissance rapide de l’économie nationale, les prix des logements augmentent, cela pourrait encourager le recours à ce dispositif, et donc la consommation des ménages, ce qui aurait pour effet de prolonger le boom économique. Inversement, en cas de récession et de baisse des prix de l’immobilier, les propriétaires pourraient être réticents à libérer des capitaux si la récession se poursuit.
Taille des marchés existants
22 Aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux tels que le Canada et l’Australie, les reverse mortgages représentent un marché de taille importante. Toutefois, compte tenu de l’absence de données officielles, il est impossible de rendre compte avec précision de la taille des marchés du reverse mortgage que ce soit pour la plupart des pays d’Europe ou pour l’Europe dans son ensemble. À partir d’informations fournies par des experts nationaux, Reifner et al. (2007) indiquent qu’en 2007, on comptait peut-être pour toute l’Union européenne environ 23 000 contrats de type « location » et près de 2 000 contrats de type « vente ». Compte tenu des non-réponses, ces chiffres sont évidemment sous-estimés, mais, malgré cela, le volume global reste faible par rapport au marché du prêt hypothécaire classique (ou à terme) dans son ensemble, sans doute moins de 1 % de l’activité totale.
23 Si le marché du reverse mortgage semble peu développé en Europe, il existe cependant de grandes différences entre les pays, en fonction de leur législation. Dans certains États membres, il est légalement possible de proposer des produits d’equity release, et certaines institutions le font. Dans ce groupe, le marché de loin le plus développé est celui du Royaume-Uni, mais l’activité est également assez développée aux Pays-Bas, en Espagne et en Suède. D’autres pays, dont la France, ont mis en place un cadre juridique qui autorise l’offre de contrats de reverse mortgage, mais dans la pratique, le nombre de souscripteurs est très restreint. Cela pourrait être dû en partie à une défiance culturelle sous-jacente envers les systèmes qui semblent favoriser la consommation individuelle plutôt que les transferts intergénérationnels. Il se peut aussi que les établissements de crédit considèrent ces produits comme nécessairement complexes, difficiles à mettre en œuvre et nécessitant un lourd investissement de départ. Enfin, d’autres États membres, parmi lesquels la Belgique, Chypre, l’Estonie, la Grèce, la Lituanie, Malte, le Portugal, la Slovaquie et la Slovénie, ne proposent pas de produits de reverse mortgage.
Étendre l’accès au reverse mortgage
24 Compte tenu de la question spécifique posée par le livre vert (Commission européenne 2010b), quelles mesures la direction générale Marché intérieur et les gouvernements nationaux devraient-ils prendre pour étendre le marché du reverse mortgage, que ce soit en termes de disponibilité des fournisseurs ou de demande pour ce type de produit ?
25 Selon Reifner et al. (2007), la Belgique est le seul État membre à disposer d’une réglementation qui interdise réellement l’utilisation des produits d’equity release, et on ne peut donc pas considérer qu’il existe une véritable barrière juridique. Cependant, dans de nombreux pays, certaines lois devraient faire l’objet d’une modification, et notamment les lois sur la protection des consommateurs, telles que celles qui régissent les modalités d’information et de conseil aux utilisateurs potentiels. Il serait en outre nécessaire de réviser et développer le contrôle bancaire, celui-ci n’ayant pas été harmonisé entre États membres en matière de commercialisation des crédits.
26 Au-delà des lois qui régissent les activités et le comportement des institutions, c’est la législation fiscale des États membres qui pose plus largement problème. Dans de nombreux pays, le coût des transactions immobilières (y compris les droits de timbre et les frais légaux) est si élevé qu’il rend effectivement les produits trop chers pour les prêteurs comme pour les consommateurs. Dans certains pays, l’accession à la propriété est soutenue par des réductions d’impôts pour les remboursements de prêts hypothécaires, et les plans de retraite par capitalisation par des réductions d’impôts sur les investissements. Mais la liquidation d’un investissement avant terme est susceptible de donner lieu à un impôt supplémentaire. En outre, dans certains pays, les ménages les plus défavorisés peuvent avoir droit à des prestations sociales, qui risqueraient d’être supprimées si leurs revenus ou leur capital se trouvaient augmentés par l’utilisation de l’equity release. En diminuant le revenu réel que les ménages peuvent tirer d’un bien immobilier d’une valeur marchande donnée, tous ces facteurs peuvent être perçus comme un frein au développement du reverse mortgage.
27 Un grand nombre de ces obstacles au développement du reverse mortgage sont avant tout d’ordre technique et pourraient être éliminés par l’adoption d’une réglementation adéquate. En revanche, ce qu’on pourrait appeler des « barrières culturelles » constitue un obstacle majeur. Il s’agit surtout des traditions développées par chaque pays autour de la maison. Dans les pays du sud de l’Europe, par exemple, le logement est souvent au cœur du projet familial, non pas quelque chose qui s’achète et se vend, mais quelque chose que l’on acquiert au nom de toute la famille et que l’on se transmet de génération en génération. La pratique selon laquelle les enfants devenus adultes prennent en charge leurs parents, dans un contexte où la maison occupée par les parents devient celle de leurs enfants après leur décès, peut d’ailleurs être considérée comme une forme non financière de reverse mortgage. De ce point de vue, il s’agit d’une transaction, qui se passe de manière informelle entre générations : la promesse de transmission future du bien aux enfants leur étant accordée en échange d’un revenu sous la forme d’un soutien et d’une aide (Allen et al., 2004).
28 Selon Reifner et al. (2007), l’utilisation du logement comme retraite, au sens formel du reverse mortgage, implique en général l’acceptation des trois propositions suivantes :
- les logements sont des actifs ;
- le capital peut être réalisé sans renoncer à la consommation du logement, mais avec une réduction du capital qui sera ensuite légué ;
- les produits financiers peuvent être le moyen d’obtenir la proposition 2.
30 On pourrait aussi ajouter une quatrième proposition selon laquelle les ménages ne considèrent pas comme nécessaire de conserver à tout prix leur patrimoine immobilier comme protection en cas de coup dur. L’idée selon laquelle les ménages cherchent à se constituer une épargne de précaution, et à conserver l’épargne acquise pour se prémunir contre les difficultés financières, est un postulat qui a été largement développé :
32 Si cela est vrai, il est alors probable que les ménages accordent la priorité à l’épargne de précaution dans les pays où les mesures de protection sociale sont les moins généreuses ou semblent menacées par un futur retrait progressif de l’État-providence.
Le logement, source de revenu pendant la retraite
33 Malgré les contraintes qui pèsent actuellement sur l’utilisation du reverse mortgage, il est néanmoins possible, et non dénué d’intérêt, d’envisager la situation si ces contraintes n’existaient pas. En d’autres termes, si le recours au reverse mortgage était plus systématique, de quelle façon cela pourrait-il contribuer aux besoins des Européens âgés en matière de revenu ?
34 Il existe de nombreuses méthodes bien établies pour évaluer l’efficacité des systèmes de retraite. Lors des débats de l’Union européenne, l’accent est souvent mis sur un certain nombre de critères spécifiques :
- l’adéquation, qui concerne le rôle d’un système de retraite dans la réduction du risque de pauvreté d’une personne âgée, ainsi que le degré de protection de son niveau de vie initial ;
- l’accessibilité financière, qui concerne la capacité des individus et des entreprises à financer le régime de retraite ;
- la durabilité, qui implique une solidité financière aujourd’hui comme demain.
36 Il est clair que chacun de ces critères peut être utilisé pour évaluer le rôle potentiel du logement : par exemple, les gouvernements auront-ils les ressources, par des subventions, et les individus, par leur revenu, pour soutenir la demande en faveur de l’accession à la propriété à l’avenir ? Toutefois, il est avant tout question ici d’un aspect du critère d’adéquation lié au risque de pauvreté, et plus précisément : l’utilisation systématique du reverse mortgage permettrait-elle aux individus riches en patrimoine immobilier de devenir riches en liquidités ? Ou encore : la question est de savoir si les personnes âgées, qui disposent des revenus financiers les plus faibles par leur retraite ou d’autres sources de revenu, tendent également à disposer d’un important patrimoine immobilier qui pourrait compenser la faiblesse de leurs revenus financiers.
37 L’une des réponses possibles à cette question nous ramène à la partie du présent article sur le taux d’accession à la propriété dans les différents États membres, dont certains possèdent un secteur locatif très important. Il est évident que pour les personnes ne disposant d’aucun patrimoine immobilier, cette question n’est guère pertinente. Pour ceux qui disposent effectivement de ce type de patrimoine, soit les propriétaires, un début de réponse est fourni grâce aux statistiques EU-SILC [1], données portant sur les ménages dans un grand nombre d’États membres. L’EU-SILC fournit des mesures du revenu et du loyer imputé des ménages. Ce loyer n’est ni égal, ni équivalent, au montant du revenu que les propriétaires pourraient retirer d’un reverse mortgage. Cette mesure s’obtient par un mode de calcul complexe, qui implique des hypothèses sur l’évolution future des prix de l’immobilier, des taux d’intérêts, ainsi que l’espérance de vie des individus. Étant lié à la valeur marchande du logement, le loyer imputé peut néanmoins être utilisé comme une approximation brute du revenu tiré d’un reverse mortgage.
38 Pour chacun des États membres listés au tableau 3, un coefficient de corrélation peut être calculé entre le revenu et le loyer imputé de chaque ménage. À l’exception d’un État membre, les coefficients sont positifs et significatifs. Pour les Pays-Bas, qui font exception, la corrélation est positive, mais pas significativement différente de zéro. Le schéma général est donc clairement le suivant : si l’on prend chaque pays séparément, les personnes âgées disposant des revenus les plus faibles tendent à posséder le moins de patrimoine immobilier.
Des groupes d’actifs et de revenus : propriétaires de plus de 65 ans
Pays |
Riches en patrimoine immobilier ; très pauvres en liquidités (en %) |
Autriche Belgique Danemark Finlande Grèce Irlande Italie Luxembourg Pays-Bas Portugal Espagne Suède Royaume-Uni Chypre République Tchèque Estonie Hongrie Lettonie Lituanie Pologne Slovénie |
8,5 5,6 11,0 8,3 5,9 10,3 7,6 8,8 15,6 6,0 8,7 8,4 9,5 5,3 8,4 9,2 6,6 9,1 8,4 7,5 5,9 |
Des groupes d’actifs et de revenus : propriétaires de plus de 65 ans
39 Ce schéma est confirmé par le tableau 3 qui indique la proportion de ménages dont le revenu se situe dans le quartile le plus bas de l’ensemble des propriétaires âgés (que nous appelons « très pauvres en liquidités »), et des actifs immobiliers supérieurs au niveau médian de l’ensemble des propriétaires âgés (que nous appelons « riches en actifs »). Si les propriétaires âgés se répartissaient également entre toutes les catégories de revenu et d’actifs, alors 12,5 % des propriétaires âgés de chaque pays appartiendraient à ce groupe.
40 Comme le montrent les coefficients de corrélation simple, pour l’ensemble des pays hormis les Pays-Bas, moins de 12,5 % sont riches en actifs, très pauvres en liquidités. Cela indique que si certains propriétaires âgés disposant des revenus les plus faibles et qui, dans ce sens, ont le plus grand besoin de faire progresser leurs revenus, possèdent également un important patrimoine immobilier, qui pourraient justement être utilisés à cet effet ; ce n’est pourtant pas la règle. En général, ces propriétaires aux revenus les plus faibles et qui sont donc les plus menacés par la pauvreté, possèdent également les logements de plus faible valeur dont ils ne pourraient tirer qu’un très faible revenu par un reverse mortgage. En d’autres termes, beaucoup de propriétaires très pauvres en liquidités ne sont pas riches en patrimoine immobilier. Là aussi, on observe des différences entre les pays. En général, les pays du Sud (la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, mais aussi la Slovénie et Chypre) ont les proportions les plus faibles parmi les catégories riches en patrimoine immobilier et très pauvres en liquidités. Dans ce contexte, le logement comme source de pension de retraite, via un reverse mortgage, ne satisferait donc pas au critère d’adéquation en matière de réduction du risque de pauvreté.
Conclusion
41 En conséquence, que peut-on dire du potentiel du patrimoine immobilier pour répondre aux besoins des Européens âgés en termes de revenus ? Tout d’abord, il ne s’agit pas seulement d’un potentiel, mais bien, dans une certaine mesure, d’une réalité. Lorsqu’ils atteignent l’âge légal de la retraite, près de trois quarts des ménages sont propriétaires de leur logement et perçoivent de ce fait un revenu en nature sous la forme du flux de services dont ils bénéficient par ce logement. Dans la mesure où ils n’ont pas à verser de loyer, leur situation financière est souvent meilleure que celle des ménages qui occupent un logement de qualité similaire en tant que locataires. Entre autres choses, cela peut leur permettre de s’en sortir avec une retraite moins élevée. En retour, cela pourrait contribuer à freiner la demande d’une plus grande contribution de l’État pour satisfaire leurs besoins en termes de revenus. Mais l’utilisation d’un produit de reverse mortgage comme source de revenu complémentaire est loin d’être une pratique courante pour les Européens. À l’évidence, cette situation ne peut être imputée au faible niveau du patrimoine immobilier détenu par les ménages européens. Au contraire, ce patrimoine immobilier est extrêmement important, que ce soit au niveau global dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, ou par rapport aux portefeuilles des particuliers. Cette situation est plutôt due au fait que, dans de nombreux États membres, il n’existe pas de cadre juridique permettant l’utilisation des produits de reverse mortgage, ou bien qu’ils ne sont tout simplement pas proposés et demandés en grande quantité. Actuellement, seuls quelques pays d’Europe possèdent des marchés actifs pour de tels produits.
42 Pour les décideurs politiques à la recherche de solutions face au défi que représentent les engagements futurs en matière de retraite, il pourrait être tentant de permettre, voire d’encourager ou d’obliger les ménages à utiliser leur richesse immobilière. Cet objectif semble toutefois extrêmement difficile à atteindre. Si les barrières étaient seulement d’ordre juridique ou fiscal, cela pourrait être relativement simple. Mais ce sont sans doute les barrières culturelles et idéologiques qui sont les plus résistantes. Les liens intergénérationnels, et le rôle de la famille notamment, semblent revêtir une importance particulière et demeurent, dans de nombreux pays, des forces puissantes dont la résidence familiale est un élément clé. Dans ce contexte, le logement n’est pas un bien qu’on achète et qu’on vend pour financer sa consommation.
43 Néanmoins, si les décideurs politiques parvenaient à développer le secteur des reverse mortgages de façon à obtenir des marchés importants et actifs dans tous les États membres, quels en seraient les bénéfices et qui en profiterait ? Les données présentées ici indiquent que dans la mesure où beaucoup de ménages aux revenus les plus élevés disposent également beaucoup de patrimoine immobilier, les reverse mortgages pourraient sans doute leur permettre d’accroître leur consommation à un niveau encore plus élevé. Cette relation entre patrimoine immobilier et revenu financier signifie également que les reverse mortgages ne semblent pas très efficaces au regard du critère d’adéquation pour réduire significativement le risque de pauvreté.
44 Cette analyse soulève une question importante et fondamentale par rapport aux bénéficiaires de ce type de produit : les reverse mortgages pourraient-ils compléter ou bien remplacer les systèmes de retraite actuels ? Dans le premier cas, les groupes de revenus les plus élevés tendraient à voir leur situation s’améliorer en raison de leur capacité à extraire des liquidités de leur logement et donc, à consommer davantage. Cependant, ils ne pourraient permettre à eux seuls, de surmonter les problèmes budgétaires auxquels les États membres sont confrontés. Cet objectif ne pourrait être atteint que si les reverse mortgages étaient effectivement utilisés en remplacement des financements publics. Si tel était le cas, les ménages propriétaires de leur logement, en tant que groupe, pourraient voir leur situation se détériorer : des retraites plus faibles, à compléter à partir de leurs propres actifs.
Bibliographie
Bibliographie
- Allen J., Barlow J., Leal J., et al., 2004, Housing and Welfare in Southern Europe, Blackwell, Oxford.
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- Castles F.G., 1998a, « The Really Big Trade-Off : Home Ownership and the Welfare State in the New World and the Old », Acta Politica, vol. 33, n° 1, p. 5-19.
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Notes
-
[1]
Statistiques de l’Union européenne sur le revenu et les conditions de vie.