Notes
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Traduction libre : Vieillissement de la population, les fonds de pension et les marchés financiers-perspectives, défis régionaux et mondiaux pour l’Est et le Sud de l’Europe centrale ; La réforme des retraites en Europe du Sud : un lien vers la réforme des marchés financier et du travail ; Adéquation du revenu de retraite après la réforme des retraites en Europe centrale, orientale et au sud de l’Europe.
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[2]
Dix-huit pays d’Europe centrale et orientale (PECOs) sont concernés par cette étude : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la République Tchèque, l’Estonie, la Hongrie, le Kosovo, la Lettonie, la Lituanie, la Macédoine, le Monténégro, la Pologne, la Roumanie, la Serbie, la République Slovaque, la Slovénie et l’Ukraine.
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L’avenir des conditions de vie des Européens âgés
Aging population, pension funds and financial markets : regional perspectives and global challenges for central, eastern and southern Europe Robert Holzmann (dir.), Washington D.C., The World Bank, 2009, 162 p.
Pension reform in southeastern Europe : linking labor and financial market reforms Robert Holzmann, Landis MacKellar, Jana Repansek (dir.), Washington D.C., The World Bank, 2009, 381 p.
Adequacy or retirement income after pension reforms in central, eastern and southern Europe : eight country studies Robert Holzmann, Ufuk Guven, Washington D.C., The World Bank, 2009, 307 p.
1 Robert Holzmann vient de publier, seul ou accompagné d’experts régionaux, trois ouvrages [1] portant sur les défis que posent, pour la pérennité des systèmes de pension et l’adéquation des revenus des retraités, le vieillissement démographique et les réformes des systèmes de pension, du marché du travail et des marchés financiers dans les « PECOs » [2].
2 Le premier ouvrage édité comme les autres par la Banque mondiale, note d’emblée que de nombreux pays dans cette région – comme dans d’autres – ont adopté des systèmes de retraite à plusieurs « piliers », dont les retraites par capitalisation, afin de garantir le niveau des revenus durant la vieillesse. Or, le vieillissement démographique est fort avancé dans cette partie de l’Europe. On s’attend à ce qu’il ait un impact négatif sur la solvabilité des systèmes de pension et sur le rendement des marchés financiers qui, au demeurant, ne sont pas très développés dans les pays concernés.
3 L’auteur note que deux conditions sont nécessaires pour que les systèmes par capitalisation puissent garantir des taux de rendement soutenus à des niveaux de risque acceptables :
- d’une part, le marché financier national doit être suffisamment développé pour assurer une allocation efficiente du capital dans l’économie nationale, tout en facilitant la mobilité transfrontalière des capitaux ;
5 d’autre part, ces systèmes doivent avoir accès aux marchés financiers internationaux afin de pouvoir diversifier les placements des fonds de pension.
6 Dans ce contexte, l’auteur pose plusieurs questions : dans quelle mesure les réformes des pensions adoptées ou envisagées dans cette région d’Europe sont-elles suffisamment préparées pour pouvoir gérer des régimes à plusieurs piliers ? Comment les marchés financiers peuvent-ils être développés pour mieux appuyer les régimes par capitalisation ? Quelle est leur solidité face à l’approche imminente de la vague des premiers retraités appelés à bénéficier des retraites par capitalisation ?
7 Étudiant les pays de la région qui ont introduit des systèmes par capitalisation, l’auteur remarque qu’ils n’ont pas adopté au préalable les recommandations qui figurent en annexe de la Banque mondiale en la matière, bien qu’ils aient progressé sur cette voie par la suite. De même, si le système bancaire a été développé lors de la transition vers l’économie de marché en 1990, tel ne fut pas suffisamment le cas des marchés de capitaux nationaux ni de l’offre et de la demande de « produits » financiers qui sont indispensables pour alimenter les fonds de pension. Cela risque, à moyen terme, de provoquer le déplacement de l’épargne retraite vers l’étranger, en quête de meilleurs placements. Ne croyant pas plausible un changement rapide dans ce domaine, l’auteur estime préférable que ces pays s’appuient sur les banques. Il propose l’accompagnement nécessaire : le renforcement de la protection des créanciers par la législation, l’amélioration des règles de transparence et de gouvernance des entreprises et l’adoption d’un système fiscal qui ne discrimine pas entre diverses catégories de produits financiers.
8 Par ailleurs, ces pays ne sont pas encore prêts à la phase de déboursement du nouveau système par capitalisation alors que la première génération des bénéficiaires potentiels arrive à l’âge de la retraite. Les décideurs politiques doivent donc prévoir les modalités institutionnelles et réglementaires nécessaires au paiement des rentes annuelles (par exemple par les assurances), développer leur capacité de supervision des sociétés d’assurance et d’autres intermédiaires, prévoir les modalités de partage du risque de longévité entre individus, assureurs et, peut-être, l’État, et offrir des solutions alternatives pour gérer les autres risques auxquels sont exposées les rentes annuelles (risques des marchés financiers, risque d’inflation ou risque d’insolvabilité des assureurs ou autres intermédiaires). Ces décideurs doivent aussi construire la crédibilité des nouveaux fonds de pension auprès des cotisants actuels et futurs en leur fournissant des informations claires et complètes sur la constitution des fonds de pension et leurs modalités de paiement pour qu’ils puissent planifier leur retraite en connaissance de cause.
9 Enfin, l’auteur note que les investissements des fonds de pension dans les marchés émergents pourraient assurer des rendements élevés, bien qu’il reconnaisse que cela implique aussi des risques plus élevés (sage précaution à la lumière de la grave crise financière dont l’économie mondiale a du mal à se remettre). Il estime néanmoins que le rendement des systèmes par répartition va baisser avec la baisse prévisible de la productivité du travail d’une population vieillissante et que les fonds de pension auraient avantage à investir à l’étranger.
10 Le deuxième ouvrage s’attache aux implications fiscales du vieillissement démographique sur les systèmes de pension, aux facteurs qui favorisent l’adoption des réformes et aux options existantes dans diverses régions du monde. Il s’attarde sur les moyens d’aligner et de relier les diverses réformes en cours dans les pays de la région – réformes des pensions, du marché du travail et du secteur financier –, sur les nouveaux risques sociaux dans une perspective de « cycle de vie » (permettant de concilier travail et famille avec une durée de vie plus longue, de faciliter les transitions au sein du marché du travail, et de développer un marché du travail plus inclusif). Il traite des implications du vieillissement sur la croissance économique et la protection sociale et des moyens d’y faire face, des difficultés de prolonger la vie au travail et des manières d’y remédier. À ce titre il recommande une série de politiques publiques, en particulier des incitations à la fois en direction des travailleurs – pour qu’ils puissent prolonger leur activité professionnelle –, et en direction des employeurs – pour qu’ils offrent davantage d’emplois aux travailleurs âgés –, ainsi que des mesures visant à encourager l’épargne retraite des ménages.
11 Ces considérations sont complétées par des études de cas concernant les liens entre les réformes des pensions et l’évolution du marché du travail, notamment de son vieillissement, en Slovénie, Hongrie, Pologne, Danemark et Pays-Bas, et les liens entre la réforme des pensions et l’adaptation du marché financier ou de la politique fiscale pour favoriser les fonds de pension (Slovénie, Estonie, Macédoine, Amérique latine).
12 Face au vieillissement rapide et à la pression accrue de la mondialisation, ces pays doivent réformer à la fois leurs systèmes de retraite et leurs marchés du travail afin que les personnes qui peuvent effectivement travailler puissent prolonger leur vie de travail, tout en motivant les jeunes pour qu’ils commencent à cotiser aux systèmes de pension. La diversification des risques par l’adoption des régimes de pension à deux piliers (ou davantage), comprenant des piliers auxquels l’affiliation peut être obligatoire ou facultative, est susceptible, selon les auteurs, de répondre à ces besoins tout en permettant plus de choix individuels en matière d’âge de départ et de modalités de retraite. Mais pour cela il faut un marché financier bien développé, recommandation courante de la Banque mondiale.
13 On trouve aussi dans ce volume les communications des experts nationaux des ministères des Finances, du Travail et des Affaires sociales ainsi que des banques centrales des pays de l’Europe du Sud-Est qui ont participé au forum international sur la réforme des pensions qui a eu lieu en Slovénie en 2007, explorant le lien entre les réformes du marché du travail et des marchés financiers.
14 Le troisième ouvrage comporte un chapitre de synthèse par Rober Holzmann et huit monographies nationales sur les réformes des pensions en Bulgarie, Croatie, République Tchèque, Hongrie, Pologne, Roumanie, République Slovaque et Slovénie. Il analyse les motivations et les caractéristiques de ces réformes et en évalue de façon critique les résultats ainsi que leur potentiel à relever le défi du vieillissement de la population et des dysfonctionnements de marchés financiers. À noter qu’en 2008, la moitié des 14 pays de la région avaient déjà introduit un système obligatoire de pension par capitalisation.
15 Holzmann relève que tous les pays de la région ont hérité de leur ancienne économie planifiée un système de pension public par répartition à prestations définies qui connaissait, à l’instar des autres pays du monde, des déficits croissants, devenus intenables après la transition à l’économie de marché en 1990, aggravés par des risques d’insolvabilité à plus long terme du fait du vieillissement démographique rapide (plus rapide que la moyenne de l’Union européenne). Il est en effet estimé que, d’ici à 2050, le taux de dépendance lié à l’âge va doubler dans cette région, évaluation qui sous-estime encore le poids que cela représente pour les retraites par répartition du fait de l’incidence élevée des départs précoces à la retraite. Pour y faire face, les gouvernements ont introduit des réformes selon des approches diverses (quant au choix entre réforme « paramétrique » ou « systémique » et quant à l’introduction ou non d’un système par capitalisation), mais qui, toutes, ont en commun d’avoir axé ces réformes sur la pérennité des systèmes de pension plutôt que sur l’adéquation des prestations. Or cette situation est préoccupante car le nombre des cotisants dans tous les groupes d’âge a reculé, le profil de carrière de nombreuses personnes est soit court soit interrompu, et un grand nombre de personnes d’âge actif sont inéligibles à percevoir une pension lors de leur retraite. Cette situation risque d’exiger l’intervention de l’État pour l’assistance à cette population et d’alourdir encore davantage les dépenses publiques déjà très importantes en proportion du PIB au titre des retraites par répartition, du fait du niveau de couverture très élevé dans l’ancien système, auquel plusieurs affiliés sont déjà devenus éligibles à un âge relativement jeune.
IL EST EN EFFET ESTIMÉ QUE, D’ICI À 2050, LE TAUX DE DÉPENDANCE LIÉ À L’ÂGE VA DOUBLER DANS CETTE RÉGION.
17 L’évaluation des réformes aboutit à des résultats assez encourageants dans la mesure où la pérennité financière s’est considérablement rétablie dans la plupart des pays étudiés. Le lien entre les cotisations et les prestations a été renforcé et la conception des régimes de retraite est plus adaptée à l’économie de marché grâce à l’introduction d’un « troisième pilier », facultatif dans les huit pays, et à l’introduction d’un « deuxième pilier » obligatoire. Quant à l’adéquation du niveau des prestations, il semble que le taux de remplacement des pensions pour les salariés justifiant d’une carrière pleine corresponde à la moyenne régionale et aux critères internationaux (benchmark). S’agissant des carrières « partielles » (entrée tardive sur le marché du travail, emploi intermittent dans le secteur formel ou départ anticipé à la retraite), les taux de remplacement nets seraient bien au-dessus du seuil de pauvreté dans la plupart des pays étudiés, mais ils peuvent aussi être extrêmement bas dans certains d’entre eux. Par ailleurs, tous les pays étudiés ont ajouté des systèmes de pension complémentaire volontaire pour améliorer les prestations des systèmes obligatoires. Cette dernière option est importante pour les titulaires de moyens et hauts revenus car les systèmes publics n’offrent qu’un taux de remplacement partiel de leurs revenus passés. Enfin, tous ces pays ont créé des systèmes de pension de base non contributifs pour éviter la pauvreté dans la vieillesse (ce que la Banque mondiale appelle « pilier zéro »).
18 Ces constats sont nuancés par d’autres, selon lesquels les progrès vers la pérennité fiscale face aux effets du vieillissement sont inégaux selon les pays, et les options dont disposent les décideurs politiques sont limitées. Comme partout, les cotisations peuvent être accrues, les prestations réduites ou l’âge de départ à la retraite augmenté. Mais ces mesures sont politiquement difficiles à imposer et peuvent aussi avoir des effets pervers. Par exemple, l’introduction d’un deuxième pilier par capitalisation a accru la pression fiscale dans certains pays parce qu’une partie des cotisations, auparavant versée aux pensions publiques par répartition, a été déviée vers les fonds de pension… Si l’option retenue pour réduire le déficit fiscal se fonde uniquement sur la baisse des prestations des retraites par répartition pendant une période de transition, on risque de saper l’appui politique aux réformes. Le recours à l’impôt pour réduire les déficits sociaux est une option certes plus équitable, mais qui peut aggraver les déficits budgétaires. Elle risque d’aller à l’encontre des critères de Maastricht, que les Etats-membres souhaitent respecter afin de pouvoir adhérer à la zone euro. Si le choix s’arrête sur la baisse à long terme des prestations pour rétablir l’équilibre fiscal à l’horizon 2050, cela réduira le taux de remplacement de 35 % ou davantage et ne garantira donc pas une couverture de revenus adéquate. Une autre option serait une réduction moindre des prestations par l’indexation des pensions uniquement sur les prix (et non sur les salaires), ce qui produira une baisse de pouvoir d’achat par rapport aux salariés actifs et aux retraités plus jeunes. Ce serait difficilement acceptable, surtout en période de hausses conséquentes des salaires réels. L’accroissement des taux de cotisations n’est pas envisageable non plus puisque ces taux sont déjà très élevés dans cette région et poussent les travailleurs et les employeurs à gonfler démesurément l’emploi informel.
IL FAUDRAIT ENVISAGER DES MESURES TEMPORAIRES POUR FINANCER UNE RETRAITE DÉCENTE.
20 La seule alternative viable, selon les auteurs, serait de développer l’emploi des seniors, mais les mesures prises dans ces pays pour accroître l’âge légal et l’âge effectif du départ à la retraite n’ont pas vraiment réduit les départs précoces, notamment ceux des femmes, qui ont pourtant une espérance de vie bien plus longue que celle des hommes. Les auteurs estiment donc que, dans la situation actuelle, il faudrait envisager des mesures temporaires pour financer une retraite décente pour cette « génération perdue » de la transition du communisme, qui a cumulé bas salaires et carrières fragmentées dans le secteur formel et qui, si elle est éligible, recevra au mieux des prestations de misère.
21 Enfin, même les retraites par capitalisation du deuxième pilier ne seraient pas à même d’assurer un rendement suffisant, d’autant plus que la crise financière est passée par là… Il ne reste donc, selon les auteurs, qu’à revoir les structures des fonds de pension et à accélérer les réformes du secteur financier. La Banque mondiale fera sûrement siennes ces recommandations, mais est-ce que cela garantira la pérennité des pensions et, surtout, un niveau de vie décent aux retraités ?
Par Hedva Sarfati
Les pratiques et les attitudes à l’égard de personnes âgées des professionnels exerçant en libéral : approche sociologique de la fonction soignante de proximité Françoise Bouchayer, Rapport de recherche Shadyc, Contrat GIS vieillissement et longévité, CNRS/Inserm, 2008, 125p.
22 La « fonction soignante de proximité » dont rend compte Françoise Bouchayer est celle des infirmières, kinésithérapeutes et médecins généralistes exerçant en libéral. Ces soins de première ligne, assurés de manière régulière et sur des durées généralement longues, sont étudiés à partir d’entretiens (54) centrés sur les attitudes à l’égard de la patientèle, en particulier la plus âgée. Les récits de pratiques sont également rapportés à des études de cas (130 situations). Trois territoires d’enquête (grande ville, villes moyennes et espace rural) ont été retenus pour comprendre les dynamiques de construction personnalisée des identités professionnelles et du façonnage progressif des patientèles. La posture adoptée par le chercheur consiste à envisager la population âgée comme un analyseur des pratiques professionnelles libérales. Elle s’avère intéressante dans la mesure où cette population conjugue une forte diversité des situations (sociales, états de santé) avec un temps d’exercice important (longévité et régularité) et avec la confrontation renforcée aux entourages et environnements des patients (les proches, domiciles, objets, etc.).
23 L’approche développée associe les propos des trois catégories de soignants tout en les référant aux situations concrètes de travail et aux réglementations des statuts respectifs. Pour autant, il s’agit moins de comparer ces trois groupes professionnels que de faire apparaître les modalités du travail de soin des patients âgés, à travers les points suivants :
- la constitution de la clientèle au cours de l’évolution des carrières et l’organisation concrète du travail ;
25 les ancrages sociaux et socioprofessionnels (origines et évolutions) ;
26 la quotidienneté et la proximité de la fonction soignante.
27 Françoise Bouchayer met en perspective les modalités pratiques et les attitudes développées pour soigner autrui au regard des contextes socio-professionnels (nombre de professionnels et répartition sexuée, pourcentage de patientèle âgée), de l’encadrement institutionnel des prestations propres aux trois professions ainsi que des différences rapportées aux territoires. En réunissant des professions souvent étudiées séparément, ce qui contribue à « sur-spécifier » chacune, et en conjuguant des données de divers niveaux (macro, méso et micro), l’analyse proposée s’éloigne des perspectives développées par la sociologie des professions pour problématiser une sociologie des soins inscrivant les pratiques dans les modalités relationnelles construites pour réguler les affects, ceux exprimés par les patients et ceux ressentis à leur égard au cours des interactions soignantes.
28 La recherche approfondit les pratiques construites par chaque soignant tout au long de son parcours professionnel pour « tenir au travail » dans la rencontre répétée avec la souffrance, les plaintes et les corps des patients. Les étapes de la carrière soignante (entrée dans le métier, constitution de clientèle et évolutions de fin de parcours) permettent de préciser les processus diversifiés en jeu dans l’orientation des pratiques en direction de telle ou telle population. La complexité des facteurs présents dans ces choix, pour une part contraints, montre qu’ils ne peuvent être assimilés trop rapidement à des conduites de sélection ou d’évitement (pathologies, milieux sociaux, groupes d’âge, etc.). C’est en termes de « systèmes de préférences » que F. Bouchayer rend compte des attitudes, distribuées entre formes d’attachements et de rejets, provoquées par les patients et/ou leurs proches, et des « façonnages » progressifs de clientèle élaborés par les professionnels.
29 Ces agencements de clientèle au long du parcours professionnel et les ajustements relationnels sont exposés à travers les récits des contacts et des échanges avec les malades et leurs proches, ainsi que dans la présentation des négociations entre confrères (cabinets communs et/ou à l’échelle d’un territoire) concernant la répartition des patients.
30 À partir des présentations des patients âgés par leurs soignants, l’étude donne à voir la diversité des configurations dues aux modes de vie des individus et aux effets de contexte – l’offre de services, les caractéristiques des lieux (isolement, types de quartiers) – et les manières dont les soignants s’ajustent à ces situations, modelant leurs propres pratiques tout autant qu’ils façonnent leur clientèle sur l’ensemble de leur trajectoire professionnelle. L’effet que les patients produisent sur les soignants est composite et complexe, non seulement pour des raisons de proximité ou de distance (sociale, générationnelle, culturelle, etc.) mais aussi en raison des affects tissés entre soignés et soignants. Les registres de préférences, leurs formes et leurs degrés s’expriment de part et d’autre, des soignants envers les différents patients mais aussi des soignés et de leurs proches à l’égard de chaque soignant.
31 Côté soignants, si les trois professions libérales enquêtées manifestent une diversité d’attitudes (entre ressentis d’attachements profonds et agacements jusqu’aux rejets), selon les métiers, les modes de régulation possible des désagréments et des contraintes ne sont ni du même ordre ni de même étendue. Ainsi, la dépendance des infirmières envers la patientèle semble la plus forte car les soins aux vieilles personnes constituent une part élevée, voire essentielle, de leur activité. Les soins sont principalement réalisés au domicile de ces patients âgés (souvent à l’inverse de ceux prodigués par les kinésithérapeutes et les médecins). De plus, l’encadrement des rémunérations et indemnisations (déplacements) et les modes d’organisation professionnelle restreignent également les marges de manœuvre, limitant ainsi les possibilités d’orientation personnalisée de leur clientèle.
L’EFFET QUE LES PATIENTS PRO DUISENT SUR LES SOIGNANTS EST COMPOSITE ET COMPLEXE.
32 Pour tous les soignants, sur la longue durée, le soin au quotidien de patients qui vieillissent, en fin de vie, suppose de pouvoir soutenir la confrontation, avec parfois, la dureté de leurs souffrances ou de leurs conditions. Des aménagements sont élaborés pour durer dans l’emploi et des bifurcations de trajectoires peuvent être envisagées afin d’assurer la « soutenabilité » des fins de carrière.
33 Françoise Bouchayer montre combien les dimensions émotionnelles, celles propres au travail de soin comme celles dues à l’histoire de la relation construite, imprègnent le travail des soignants libéraux. Ce faisant, la perspective adoptée éclaire les pratiques professionnelles et laisse apparaître leur part de proximité avec le soin profane pratiqué auprès des parents. Comme le regard croisé sur les trois professions libérales assurant le soin de première ligne, cet aspect de la recherche contribue à « despécifier » les registres d’analyse de la production du soin, trop souvent cloisonnés selon les métiers, ou la distinction entre professionnel et non professionnel.
34 Le dernier chapitre porte sur les politiques publiques (santé, protection sociale, vieillesse) dont les incidences sur le soin aux personnes âgées sont mises en perspective au regard de l’organisation des professions et des services. L’analyse précise les articulations entre les décisions concernant les différents niveaux qui contribuent aux pratiques de soins effectuées et obtenues : définition et gestion des prestations, attributions professionnelles et concertation. Ce point enrichit l’approche compréhensive dominante menée sur la base des entretiens en montrant comment les décisions publiques peuvent orienter ces pratiques soignantes dans le soin des individus âgés.
LES MÉTIERS D’IDE ET D’AIDE À DOMICILE SONT EXERCÉS ESSENTIELLEMENT PAR DES FEMMES.
35 Ce travail s’attache à situer les pratiques de soin dans leurs contextes sociaux et organisationnels ainsi que dans les affects vécus au travers des relations avec les individus soignés. Par la place donnée aux entretiens, aux informations relatives aux professionnels (individus, territoires, données nationales) ainsi qu’aux éléments propres à l’encadrement des prestations, l’analyse sociologique tente ici de réunir l’étude des métiers du soin, celle du travail soignant et des interactions avec le patient et son environnement, tout en les reliant aux dispositifs publics.
36 Nous soulignerons en conclusion, deux dimensions prégnantes de la recherche : le « genre » du travail de soin quotidien auprès des individus les plus âgés et le retour des distances sociales dans les soins de proximité. L’étude contribue à éclairer, outre la présence dominante des femmes dans certains métiers du soin (ici les infirmières diplômées d’État, IDE), la manière dont les contraintes sont cumulées pour les « soigneuses » qui interviennent quotidiennement auprès d’une patientèle majoritairement âgée. Aux soignants les plus réguliers et les plus proches échoient les modalités les plus défavorables, aux plans des conditions de travail comme des rémunérations et indemnisations. Situations à rapprocher de celles des aides à domicile dont la qualification du travail est toujours sous-évaluée, voire dévaluée. Or, bien plus que les autres professions, les métiers d’IDE et d’aide à domicile sont exercés essentiellement par des femmes qui travaillent principalement auprès de vieilles personnes. La proximité en jeu est également celle partagée avec les soins profanes, eux-aussi principalement assurés par les femmes.
37 Ne peut-on considérer que les distances sociales s’insinuent dans les soins de proximité par le biais du genre sous d’autres formes que celles des sélections de clientèle ? Françoise Bouchayer montre précisément comment se construisent les proximités sociales – par l’ancrage dans un territoire, le long cours des interconnaissances –, tout en dessinant les attachements produits par exemple par des origines sociales (ou géographiques) partagées. Mais l’analyse indique aussi que ces origines sociales et les catégories socioprofessionnelles des conjoints, distinguent les trois groupes professionnels enquêtés. Sur ce plan aussi, celui du groupe social, d’origine et d’appartenance, les infirmières s’avèrent plus proches des personnes âgées.
Par Simone Pennec,
Future elderly living conditions in Europe Joëlle Gaymu, Patrick Festy, Michel Poulain et Gijs Beets (dir.), n° 162, Les cahiers de l’Ined, Paris, 2008, 315 pages.
38 Future Elderly Living Conditions in Europe [1] est un ouvrage composé de 11 chapitres qui présente les résultats du projet Felicie, une étude croisée entre neuf pays différents : la Finlande, les Pays-Bas, la Belgique, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, le Portugal et la République tchèque. Felicie se penche sur l’avenir de la population des personnes âgées ayant 75 ans ou plus. Il est prévu que ce groupe augmente de 75 % entre 2000 et 2030. Le livre apporte des éléments d’information sur la taille et la composition futures de cette population, sur sa santé, son statut socio-économique et les ressources des proches (conjoints et enfants) potentiellement disponibles pour l’aider à faire face à de possibles états d’invalidité graves. L’ouvrage exprime clairement qu’il est donc fondamental d’anticiper les besoins en soins professionnels et non professionnels que rencontrera à l’avenir ce groupe de population.
39 Les deux premiers chapitres, desquels se détachent quatre parties principales, offrent une présentation générale de l’ouvrage et mettent en avant les tendances récentes du profil sociodémographique de la population âgée ainsi que les facteurs susceptibles d’influer sur l’organisation de leur vie quotidienne. Les cinq chapitres suivants s’appuient sur des projections de population pour examiner différentes facettes de leur future organisation du quotidien : la présence des enfants comme possibles sources de soutien et, pour trois pays, l’analyse de la fréquence des contacts intergénérationnels ; les tendances actuelles et futures du niveau d’études atteint par les personnes âgées, véritable ressource pour relever le défi d’un mode de vie indépendant ; les tendances de l'évolution de la pauvreté, l’identification de ceux qui y sont le plus exposés et la suffisance de leurs ressourceséconomiques actuelles et futures ; leur état de santé (en particulier l’invalidité) par rapport à leurs futurs besoins en soins ; et enfin, les futurs réseaux familiaux et l'organisation du quotidien des personnes âgées handicapées (célibataires ou en couple, avec d’autres personnes ou dans des institutions). Les deux chapitres suivants examinent les possibilités de soins à la disposition des personnes âgées dépendantes ainsi que l’obligation légale des familles à s’occuper d’elles. Le dixième chapitre fait le lien entre les résultats et leurs implications politiques et le dernier chapitre revient sur les aspects méthodologiques du projet Felicie.
40 Il est recommandé aux lecteurs de ce livre, et en particulier à ceux qui ne sont pas vraiment au fait des nuances méthodologiques de l’approche démographique, mais qui s’inquiètent des répercussions du vieillissement des Européens, de commencer leur lecture par le chapitre 10 avant de s’atteler à la tâche plus ardue de lire les autres. Ce chapitre présente une synthèse très brève et relativement abordable des résultats quantitatifs clés de chaque chapitre, agrémentée d’interprétations de leurs possibles implications politiques. Par exemple, on voit clairement que même s’il est prévu que la population de personnes très âgées nécessitant des soins va augmenter (+1,6 million pour les hommes et +1,82 million pour les femmes au cours des 30 prochaines années), il est fort probable que les besoins seront pris en charge par les conjoints (l’augmentation du nombre de personnes âgées en invalidité grave sera plus rapide chez ceux vivant en couple) et par les enfants (comparées aux générations précédentes, les cohortes observées par le projet Felicie ont plus de probabilités d’avoir eu au moins un enfant). Parmi les personnes âgées dont les besoins en soins ne seront probablement pas pris en charge par la famille, les plus vulnérables sont les femmes divorcées et, en grand nombre, les veuves. Le chapitre met en évidence d’importantes différences liées au genre qui bousculeront certainement le modèle traditionnellement féminin des soins non professionnels apportés aux personnes âgées. En effet, entre 2000 et 2030, la hausse du nombre d’hommes âgés souffrant d’invalidité sera plus forte que celle des femmes âgées (si l’on suit le scénario HLG (Healthy Life Gain), la hausse sera respectivement de deux tiers et d’un tiers). De plus, il apparaît que les conjoints en charge des soins seront davantage des maris plutôt que des épouses. Également, le nombre d’hommes célibataires et divorcés souffrant d’invalidité connaîtra une hausse bien plus importante que le nombre de femmes dans la même situation. Les auteurs se penchent ensuite sur la situation des personnes en charge des soins, et plus précisément sur le vieillissement graduel de la population âgée et sur la probabilité accrue que les deux membres d’un couple connaissent des invalidités majeures, limitant potentiellement leur capacité à s’occuper l’un de l’autre. Par ailleurs, même si les membres d’une famille peuvent assister les plus âgés souffrant d’invalidité, ils ne sont pas formés à une telle activité. Le propos général du chapitre se veut rassurant : tandis que la disponibilité des réseaux non professionnels d’aide familiale (conjoint et enfants) aux personnes âgées nécessitant des soins est amenée à augmenter au cours des trois prochaines décennies, cela ne doit pas occulter la nécessité de soins professionnels et l’augmentation inévitable des coûts liés à la dépendance (financière ou autre).
41 Le livre présente un ensemble très varié de résultats obtenus grâce au projet Felicie, mais il appelle néanmoins une réflexion critique.
ENTRE 2000 ET 2030, LA HAUSSE DU NOMBRE D’HOMMES ÂGÉS SOUFFRANT D’INVALIDITÉ SERA PLUS FORTE QUE CELLE DES FEMMES ÂGÉES.
43 Tout d’abord, avant de commencer à lire ce livre, les lecteurs sont invités à consulter d’autres sources d’information sur le projet Felicie afin d’apprécier pleinement les questions sur lesquelles l’étude s’est penchée. Ce n’est qu’à la toute fin de l’ouvrage (p. 294) que l’on saisit enfin de manière nette et précise l’objectif du projet Felicie lui-même. Lire ce livre sans que ces indications soient clairement énoncées dès les premières pages revient à essayer de déchiffrer une carte sans boussole.
44 Ensuite, de nombreux chapitres (et par déduction le projet Felicie lui-même) sont entravés par les limitations apportées à l’analyse à cause de sources de données inadéquates ou incomparables (par exemple, le chapitre 6 sur la mesure de la santé ; le chapitre 4 omet d’analyser le niveau d’études au Royaume-Uni parce que les données existantes sur le niveau d’instruction ne sont pas comparables ; au chapitre 3, l’analyse des contacts entre enfants et parents âgés se limite à trois pays à cause d’un manque de données comparables pour arriver à mesurer le contact en tant que solidarité à l’échelle de la famille).
45 Plus significatif encore est le lien très mince qui existe entre les projections démographiques et leur utilisation en tant que fondement à l’élaboration de réponses politiques destinées à faire face aux besoins futurs des personnes très âgées. Certains résultats présentés dans le livre devront être interprétés avec prudence si jamais ils se retrouvent entre les mains de responsables politiques désireux de laisser aux particuliers la responsabilité des personnes âgées en bonne santé plutôt que de la confier à l’État. Le chapitre 3 en est un exemple parfait. Alors que les auteurs remarquent que la présence d’enfants encore en vie ne signifie pas nécessairement qu’ils sont volontaires pour assumer la responsabilité de la prise en charge, l’analyse limitée qui suit (et qui ne concerne que trois pays) de la fréquence des contacts en « face-à-face » entre parents et enfants comme indicateur de soutien familial n’est pas convaincante. Elle est encore moins crédible pour servir de base aux projections des éventuels contacts hebdomadaires au cours des prochaines décennies. La probabilité croissante que les personnes âgées aient auprès d’elles des enfants et un conjoint au cours des prochaines décennies et les prévisions (à envisager avec réserve) que la communication entre les parents et les enfants adultes sera maintenue, peuvent-elles permettre d’affirmer (interprétation mise en avant au chapitre 1, p. 25) que « les 30 années à venir ne devraient pas voir de hausse de l’isolement des personnes âgées » ? Certains lecteurs vont peut-être tressaillir devant cette conclusion, craignant qu’elle ne soit prise comme un prétexte politique pour effectuer encore plus de restrictions, comme supprimer la gratuité ou les subventions pour les transports en commun accordées aux citoyens âgés (qui est un moyen de réduire l’isolement social de ce groupe de population), « sachant » que la famille prendrait le relais pour assurer le transport.
LA PRÉSENCE D’ENFANTS ENCORE EN VIE NE SIGNIFIE PAS NÉCESSAIREMENT QU’ILS SONT VOLONTAIRES POUR ASSUMER LA RESPONSABILITÉ DE LA PRISE EN CHARGE.
47 Dans le même ordre d’idée, la valeur des projections démographiques (qui sont, dans le cas présent, un moyen d’anticiper les besoins futurs des personnes très âgées) va dépendre des variables que nous sommes prêts à accepter comme indices de prédiction les plus plausibles d’une situation humaine. Nous en avons une illustration parfaite avec les hypothèses centrales qui servent de base aux projections développées par le projet Felicie à partir des deux scénarios qui prévoient l’évolution future de la santé : les scénarios CDS (Constant Disability Share) et HLG. Le premier part du principe qu’une amélioration de la santé va de pair avec une augmentation de l’espérance de vie. De cette manière, la prévalence de l’invalidité reste inchangée. Le second scénario a des implications plus positives, puisqu’il part du principe que toutes les années d’espérance de vie gagnées sont vécues dans une condition de bonne santé (p.142). Lorsque les deux scénarios sont utilisés pour établir le nombre de personnes souffrant d’invalidité grave et, par conséquent, celles nécessitant des soins, il apparaît que les chiffres augmentent d’environ 40 % selon le scénario HLG, mais cette augmentation est proche du double (72 %) selon le scénario CDS (p. 159 et 258). Il est évident, au regard de ce chapitre, que l’évolution future du nombre de personnes nécessitant des soins à cause d’une invalidité grave sera intrinsèquement liée à l’amélioration de la condition de santé des personnes âgées.
48 Les auteurs du chapitre 10 mettent en avant le rôle des politiques proactives dans la réduction de la prévalence des dépendances sévères (p. 269). Cet aspect amène à une autre réflexion : l’imprévisibilité du paysage politique dans la détermination des conditions de vie futures des Européens très âgés. Les projections démographiques ne peuvent pas prendre en compte cet aspect de la vie, mais comme le montre le paradigme d’Esping et Andersen sur les régimes de protection sociale, le paysage politique a une influence sur les prestations d’aide sociale, y compris sur celles des personnes très âgées. Le lecteur doit être conscient de cette limite qui se retrouve dans plusieurs chapitres. Par exemple, les auteurs du chapitre 5 établissent que les personnes très âgées, en particulier les femmes (divorcées ou pas), sont celles qui sont le plus menacées de pauvreté, et que les projections suggèrent que nous devons anticiper une augmentation du nombre de personnes ayant plus de 75 ans et des revenus faibles, même si des différences significatives apparaissent selon les pays (p. 132). Néanmoins, ils n’ont d’autre choix que de conclure que le bien-être économique des foyers et des individus sera difficile à prévoir, notamment à cause des disparités dans les prestations de retraite et de l’évolution de la place des femmes dans la société (p. 135). En résumé, la plupart des chapitres de cet ouvrage contribuent à dessiner une ébauche schématique des conditions de vie futures des personnes âgées, mais ils ne parviennent pas à l’étoffer en ajoutant l’inévitable dimension politique qui assombrit l’avenir de nos seniors avec des teintes d’imprévisibilité et de risque « inhérent ». Les lecteurs de ce livre seront satisfaits par les éléments relatifs aux conditions de vie futures des Européens très âgés et par les conclusions tirées, dans la mesure où ils borneront leurs attentes à cet exposé de faits incomplets.
Par Sarah Hillcoat-Nalletamby
Notes
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[1]
Traduction libre : Vieillissement de la population, les fonds de pension et les marchés financiers-perspectives, défis régionaux et mondiaux pour l’Est et le Sud de l’Europe centrale ; La réforme des retraites en Europe du Sud : un lien vers la réforme des marchés financier et du travail ; Adéquation du revenu de retraite après la réforme des retraites en Europe centrale, orientale et au sud de l’Europe.
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[2]
Dix-huit pays d’Europe centrale et orientale (PECOs) sont concernés par cette étude : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la République Tchèque, l’Estonie, la Hongrie, le Kosovo, la Lettonie, la Lituanie, la Macédoine, le Monténégro, la Pologne, la Roumanie, la Serbie, la République Slovaque, la Slovénie et l’Ukraine.
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[1]
L’avenir des conditions de vie des Européens âgés