Notes
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[1]
J.-H. Déchaux, « Réalités et limites de l’entraide familiale », in Paugam S. (dir.), Repenser la solidarité, Le Lien social, 2007.
L’intergénérationnel : regards pluridisciplinaires Anne QUÉNIART, Roch HURTUBISE (dir.), Presses de l’EHESP, Rennes, 2009, 300 p.
1 Basé sur quatorze contributions françaises et québécoises, cet ouvrage collectif offre un panorama de la riche utilisation du concept d’intergénérationnel, par diverses sciences sociales, et pour des sujets aussi disparates que les droits de succession, la transmission de la religion et les postures générationnelles au sein d’un collectif féminin. Passée une impression de foisonnement, voire de dimension très englobante de ce thème en vogue, la fécondité de la notion permet de dépasser sa complexité.
2 Dans une première partie, Gérard Mauger, puis Susan Mac Daniel, abordent l’intergénérationnel comme une notion à construire. Classiquement, ils distinguent les générations généalogiques, repérées au sein de la famille, des générations sociales, repérées au sein de la société. Les premières permettent de mesurer les transferts financiers et symboliques au sein des familles. Les secondes se subdivisent en générations sociologiques, correspondant aux cohortes de naissance et en générations historiques, liées par des événements sociaux (la fameuse génération 68). Au-delà de leur ambiguïté, ces deux volets permettent un renouvellement de l’analyse des clivages sociaux. Dès cette première partie apparaît la complexité de la notion d’intergénérationnel. Derrière ce concept se cache en effet l’analyse de deux phénomènes. Le premier est celui, à un moment donné, des relations qui lient différentes générations, qu’elles soient familiales ou sociales. Le second recouvre les évolutions sociales entre deux générations. L’entremêlement de ces deux phénomènes permet certes d’appréhender des évolutions complexes, fondées à la fois sur la démographie – les relations entre les générations dépendent de leur pondération respective – et sur la sociologie. Mais cette complexité, plus complète analytiquement, peut également se révéler facteur d’opacité lorsque la limite avec d’autres notions, plus simples, comme la redistribution, est ténue.
3 La deuxième partie se centre sur les questions de solidarités, de responsabilités et de liens entre générations. L’article de Solange Lefebvre situe le débat du point de vue éthique et philosophique, avant d’évoquer deux exemples de responsabilité des générations présentes vis-à-vis des futures : la dette publique et l’environnement. La notion d’équité intergénérationnelle – éviter qu’une génération soit lésée par rapport à une autre – se pose alors sous la forme du maintien sur plusieurs générations d’un capital reçu.
4 Plus strictement économique, l’article de Luc Arrondel et André Masson évoque les droits de succession et convainc de l’utilité de leur taxation à un niveau très élevé. En effet, selon eux, la lutte contre les inégalités sociales, qui exige de redistribuer les cartes à chaque génération, tout comme l’efficacité économique, qui réclame de faire circuler les capitaux, plaident pour cette taxation ; ainsi, les arguments libéraux comme interventionnistes portent dans la même direction.
5 Poursuivant les travaux initiés par l’enquête « trois générations » en France, Claudine Attias-Donfut décrit les caractéristiques de la solidarité familiale en Europe. Prenant pour base les trois générations au sens de la protection sociale (les jeunes, les actifs, les retraités), elle réinsiste sur la vitalité des solidarités entre générations, et montre, via une analyse sur plus de dix pays en deux vagues, que les modèles de protection sociale ne sont pas sans lien avec les solidarités familiales. Ainsi, les aides familiales sont plus fréquentes dans les pays du Nord, où la protection sociale est plus développée, et plus denses dans le Sud. Des récurrences apparaissent : la garde des petits-enfants est le type de service universellement le plus courant, les transferts financiers sont toujours descendants, à l’exception du cas particulier des migrants, qui compensent une absence de protection sociale de leur pays d’origine. Finalement, la solidarité familiale permet la redistribution entre les générations, même si, comme l’a montré Déchaux, elle a également tendance à renforcer les inégalités au sein d’une même génération [1].
6 Les trois autres articles de cette partie utilisent un exemple pour évoquer les relations de soutien entre les générations. L’un traite de l’évolution de la présence familiale autour de la petite enfance, soulignant notamment l’accroissement des rôles paternel, grand-parental, et des professionnels, au détriment des collatéraux. Le deuxième évoque les mutations des modes de prise d’autonomie entre plusieurs générations de jeunes, et le troisième traite des relations entre générations au sein des groupes de femmes, qui pose la question du partage du pouvoir.
7 La troisième partie traite, uniquement par le biais d’exemples, de la transmission. Les mécanismes de socialisation politique, les valeurs d’engagement, la religion, la mémoire, l’identité collective, servent ainsi de terrain à la description des enjeux et des mécanismes de transmission, qu’ils se situent au sein d’une famille, d’une communauté, d’une société, d’une association… À la lecture de ces articles, on est tenté de voir dans ces travaux un simple recyclage des recherches sur la socialisation au travers du concept d’intergénérationnel. Plusieurs résultats soulignent toutefois les apports théoriques de cette nouvelle optique. En premier lieu, cette notion permet de penser la transmission au sein de groupes non familiaux, et non institutionnels. L’article sur la transmission mémorielle, avec la constitution de cliniques de la mémoire, évoque une transmission quasi anonyme, entre de jeunes enquêteurs et des interlocuteurs plus âgés porteurs de mémoire. Par ailleurs, l’intergénérationnel offre une plus grande profondeur temporelle : trois générations, voire plus. C’est ce type de transmission qu’évoque l’article sur les valeurs d’engagement des aînées militantes, transmission qui s’adresse parfois aux petits-enfants au-delà des parents. En complément des analyses traditionnelles, ce concept permet également d’envisager un apprentissage partant des générations les plus jeunes vers les plus âgées. L’article sur les « mères de mai » souligne ainsi cette acculturation politique des mères par leurs enfants, disparus. Enfin, mobilisé dans le cadre de l’analyse des réseaux, l’intergénérationnel peut décrire les fonctions sociales des différentes générations. L’article sur les migrants souligne le support constitué par un réseau transnational et plurigénérationnel, en matière de résilience, de transmission, d’entraide. Finalement, la notion d’intergénérationnel, utilisée dans un contexte d’analyse des transmissions, permet de mieux prendre en compte la complexité des mécanismes en jeu dans les échanges de socialisation entre humains.
8 Globalement, si l’ouvrage, comme la plupart des livres collectifs sur ce thème, semble pécher par un foisonnement qui ne facilite pas pour le lecteur l’appréhension de la notion, il permet de souligner la richesse de ses utilisations possibles. Multiple, le concept permet de repenser certains champs des sciences sociales dans une nouvelle optique : plus profonde temporellement, multidimensionnelle, alternative aux analyses en termes de stratification sociale.
9 Si la deuxième partie reflète plus fidèlement le type d’analyses réalisées en France sur les relations entre les générations, la troisième est certes plus surprenante pour notre pays, où la transmission, à la suite de Bourdieu, est souvent interprétée à l’aune de la reproduction sociale. Les nouvelles pistes offertes soulignent toutefois l’intérêt de la démarche pour renouveler le champ, même si la frontière entre les nouveaux questionnements et la réinterprétation de questionnements anciens avec un vocabulaire neuf est parfois rapidement franchie.
10 Par Delphine Chauffaut
11 Responsable du département de la recherche, Cnaf
La maladie d’Alzheimer : problèmes philosophiques Fabrice GZIL, Paris, Presses universitaires de France, Collection Partage du savoir, 2009, 247 p.
12 Réalité complexe et contemporaine, la maladie d’Alzheimer est devenue ces dernières années un champ scientifique majeur et un sujet de société préoccupant chaque personne intéressée par sa santé et celle de ses proches. Mais cette maladie ne pose-t-elle pas aussi des problèmes philosophiques ? C’est la question soulevée par ce livre. Il a été sélectionné par un jury permettant à de jeunes chercheurs la publication de leur travail dans une collection qui veut, selon Edgar Morin, « rendre compte des réalités complexes, des préoccupations humaines et contemporaines », en dépassant le seul cadre disciplinaire de la recherche universitaire. Le lecteur n’y trouvera cependant pas une approche philosophique au sens traditionnel : il n’y est pas directement question de métaphysique, de morale, d’autrui, de la dignité ou de la mort. C’est la conception de la maladie, son histoire, ses concepts qu’étudie Fabrice Gzil, jeune philosophe formé aussi sur le terrain, qui souhaite mieux « réduire l’impensé qui entoure encore la maladie d’Alzheimer ». Pour cela, il effectue une approche historique et épistémologique de la découverte de la maladie, qui a reçu le nom d’un savant allemand, Aloïs Alzheimer. Puis il analyse deux grandes questions éthiques débattues de nos jours. Différence de période et de problématique, mais même méthode pour les deux : une étude parfaitement documentée, appuyée sur une lecture directe et complète des documents originaux, et une analyse méthodique des débats contemporains et des concepts en jeu.
13 La première partie contient une reconstitution du milieu scientifique et médical dans lequel a été décrit le princeps du cas de Madame Auguste D., suivie durant cinq années par A. Alzheimer, jusqu’à sa mort à 56 ans en 1906. On y suit l’approche à la fois clinique et neuro-anatomique du chercheur allemand, l’indifférence lors de sa première présentation en 1911, l’attribution du nom d’Alzheimer à cette maladie, considérée comme une démence présénile, par le grand psychiatre Kraepelin. L’auteur du livre développe l’histoire compliquée de cette nosographie, les discussions contemporaines sur la distinction entre démence sénile et présénile, le contexte vivant intellectuel et humain où sont nées ces découvertes, notamment à Munich, ainsi que la part qu’y ont prises d’autres savants, comme Oskar Fischer. Il en résulte une image juste et nuancée de A. Alzheimer, grand travailleur, attachant, qui doit ses découvertes, dit l’auteur, au fait d’avoir été à la fois « excellent clinicien et remarquable neuropathologiste ».
14 Fabrice Gzil fait aussi découvrir la période antérieure à la découverte de la maladie, et ses débats scientifiques, que nous imaginions plus récents sur des sujets comme les plaques séniles, leur nature et leur genèse, la distinction entre démence sénile et sénescence, la signification diagnostique des altérations observées par examen anatomopathologique du cerveau des malades, leur lien avec les troubles cliniques, etc. C’est plus tard que se produisent les deux ruptures marquantes dans l’histoire de la maladie d’Alzheimer. La première est due à la différence d’interprétation entre deux corps de spécialistes, les cliniciens et les neuropathologistes ; la seconde, plus récente, coïncide avec l’abandon de toute référence à la démence sénile, au profit de l’expression « maladie d’Alzheimer ». D’autres éclairages complètent cette investigation à la fois historique et conceptuelle : l’analyse de la méthode expérimentale d’A. Alzheimer, fondée par Claude Bernard, et celle de ses convictions scientifiques propres, de sa « philosophie scientifique ».
15 Ces études mènent à la question des ressemblances et des différences avec nos conceptions actuelles de la maladie d’Alzheimer. Les premières s’avèrent frappantes : reconnaissance de lésions extra et intracellulaires, identification d’une maladie à début précoce et, plus intéressant encore, existence d’un groupe intermédiaire de sujets manifestant des troubles plus importants que les sujets sains, mais ne relevant pas d’une démence sénile caractérisée, cas proche de la catégorie actuelle du mild cognitive impairment. Parmi les différences, la plus importante est le lien causal désormais établi entre altérations cérébrales et démence, alors qu’il n’y avait pas pour A. Alzheimer de corrélation univoque. F. Gzill éclaire d’un jour nouveau la conséquence de ce déplacement, à savoir que l’effort médical porte aujourd’hui exclusivement sur la manière de prévenir, et si possible de faire régresser, ces lésions, qui apparaissent comme la cause de la maladie et non comme un symptôme associé.
16 La deuxième partie du livre nous fait entrer dans la période contemporaine en soulevant deux grands problèmes éthiques. La question de la révélation de cette maladie au malade est source de dilemmes redoutables et a fait l’objet de débats nombreux et approfondis relatés ici avec précision et clarté. D’oppositions tranchées entre les partisans de la révélation et ceux de la rétention prudente, chacun fondant ses convictions sur des principes éthiques et philosophiques, on est récemment passé à des postures plus nuancées, variant selon les pays. Les discussions permettent de mieux discerner qui doit communiquer le diagnostic, quand, à qui, comme pour d’autres maladies chroniques. Actuellement, une tendance domine, celle d’annoncer précocement une maladie encore à un stade peu avancé de son développement et de n’en pas dissimuler les conséquences prévisibles. Pour autant, cette tendance générale en faveur d’une information du malade n’élimine pas les différences de situation sur le terrain. Dénouant les nœuds de difficultés, comme la différence de sens entre terminologie professionnelle et langage courant, ou les images et affects déplaisants qui sont associées à l’Alzheimer, F. Gzil éclaire les positions philosophiques des uns et des autres, éthique de la conviction d’un côté, de la responsabilité de l’autre. Il esquisse ensuite discrètement des « pistes de réflexion et d’action ».
17 Le second problème éthique examiné est celui du respect de l’autonomie fragilisée du malade, objet elle aussi de positions de principe diverses, mais avec des difficultés spécifiques. Six d’entre elles sont particulièrement analysées, comme la non-information des malades sur leurs droits, le niveau de risque qu’on peut laisser courir si la personne y consent, le choix entre l’intérêt des patients et celui des aidants. D’autres sont liées à l’évolution de la maladie et des facultés mentales, comme la question du consentement pour des recherches cliniques. En fin de compte, ce n’est pas résoudre ces problèmes qui importe, nous dit l’auteur, mais le fait de « maximiser l’exercice de l’autonomie », d’explorer différentes voies et d’utiliser différentes stratégies pour proportionner les mesures de protection aux incapacités. Pour enrichir encore notre connaissance des problèmes, F. Gzil présente les réflexions et arguments de trois auteurs anglo-saxons récents sur la question de la compétence et partant, de l’autonomie. Sans aucun doute la culture de la morale, le champ de sciences cognitives et la thématique de l’agentivité favorisent-ils ce genre de travaux. En les faisant connaître, F. Gzil aide à un travail d’assimilation qui répond à son but : donner aux questions soulevées par l’Alzheimer une dimension philosophique.
18 Bien d’autres aspects sont étudiés dans cet ouvrage bref et dense. Entre autres, le rapport entre démence sénile et vieillissement normal, qui, quels que soient leurs contacts, ne se confondent pas, mais relèvent, pour reprendre l’expression du philosophe G. Canguilhem, d’ « une autre allure de la vie ». En outre, classer l’Alzheimer comme maladie ou syndrome a des conséquences importantes, en particulier pour la recherche clinique. De même, le rapprochement nouveau entre maladie et handicap devrait permettre non seulement de qualifier, mais de prendre en compte la vie avec ses incapacités et ses capacités restantes. Changement de paradigme bénéfique s’il entraîne de nouvelles conduites, cherchant à améliorer positivement la vie du malade. Pour contribuer à un jugement juste sur la maladie et les personnes qui en sont atteintes, F. Gzil relie avec originalité épistémologie et éthique en retenant des travaux d’A. Alzheimer une vision plus globale de l’état et de l’évolution pathologique cérébrale. Dans cette perspective, celle-ci pourrait bénéficier aujourd’hui d’une collaboration plus étroite des diverses sciences biologiques et cliniques. Cependant, F. Gzil évoque aussi des positions plus extrêmes allant jusqu’à la levée de la condamnation du suicide en raison de la non-reconnaissance par les aidants de la personne malade et par cette dernière de ses proches. Pour lui, il vaut mieux comprendre cette difficulté, sans la nier, pour fonder une véritable éthique de l’accompagnement. D’où l’inversion du problème, inspiré du témoignage de J.-P. Vernant, « au lieu que l’aidant prenne soin de la personne parce qu’il reconnaît en elle l’être aimé, l’aidant reconnaît la personne parce qu’il prend soin d’elle ». D’autres idées sur la dette mutuelle et l’interdépendance de nous tous consolident cette position.
19 Dans tout ce livre, l’auteur avance subtilement par rectification plutôt que par affirmation : « c’est une erreur de croire que », « ce n’est pas parce que ». Il fait partout preuve des mêmes qualités, examinant soigneusement la question sous plusieurs angles, rendant compte de ses nuances, et profitant des difficultés pour susciter des points de vue nouveaux. Nous lui sommes redevables d’avoir posé les problèmes philosophiques ou épistémologiques sur la maladie d’Alzheimer avec une clarté qui les rend parfaitement abordables, et de proposer chaque fois une analyse approfondie et toujours objective des opinions, où chacun trouvera son intérêt et, dans ce domaine si difficile à vivre et à penser, un délicat respect de l’humain.
20 Par Armelle Debru,
21 Université Paris Descartes
Un modèle français d’intégration des services pour les personnes âgées fragiles : de l’innovation de sa conception à son implantation Isabelle VEDEL, thèse pour le Doctorat de médecine, 2008, 224 p.
22 L'objectif général de cette thèse est de comprendre les déterminants et les dynamiques de changement dans le système de santé en étudiant les modalités de réorganisation des soins destinés aux personnes âgées. L'approche méthodologique choisie repose sur des enquêtes qualitatives qui sont adaptées à cette problématique, car destinées à avoir une approche compréhensive du problème étudié.
23 Ce travail se décline en objectifs spécifiques.
24 L’analyse en profondeur du contexte français de la coordination des soins revient sur les clivages importants qui persistent dans le système de prise en charge, notamment entre le sanitaire et le social. De nombreuses tentatives de mise en place d’une coordination de la prise en charge des personnes âgées en France se sont soldées par des échecs. La cause en est peut-être le fait que les initiateurs sont le plus souvent des experts n'ayant pas pris en compte les attentes de tous les professionnels impliqués.
25 L’évaluation d'une intervention issue de recommandations nationales sur les changements de pratiques professionnelles a été conduite à partir de l’exemple de la contention physique passive en gériatrie. Il a été mis en évidence qu’une intervention réalisée auprès des professionnels permettait d'améliorer nettement l'application de certaines des recommandations de l'Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. En revanche, la pratique n’est pas modifiée, avec un taux de recours aux mesures de contention stable à un an de suivi.
26 Une analyse de la littérature sur les déterminants de la participation des médecins dans les services intégrés montre que leur acceptation des services intégrés demeure très contrastée. Certains adhèrent de façon positive au concept de services intégrés, convaincus qu’ils contribuent à l’amélioration de la qualité des soins, alors que d'autres ont perçu plutôt négativement l'influence de ce type de services, en particulier du point de vue des relations médecin-malade et de l’autonomie professionnelle.
27 Afin de comprendre les besoins des professionnels et de développer des outils permettant une meilleure participation des médecins de première ligne aux services intégrés, une étude a été réalisée afin d'identifier les facteurs qui favorisent et, au contraire, ceux qui freinent la participation des médecins généralistes à un modèle d'intégration des services. Le modèle considéré est le SIPA (service intégré pour personnes âgées, implanté à Montréal). Les obstacles repérés dans cette étude sont liés à des attentes fortes de la part du médecin en début d'étude, au manque d'information sur le modèle, et aux difficultés relationnelles entre le médecin traitant et le gériatre du service intégré. Ces éléments seront à prendre en compte lors de l'implantation ultérieure des services intégrés.
28 Dans le but de développer et d’appliquer une stratégie qui limite le risque de résistance de la part des professionnels, une étude de pré-implantation a été menée auprès des professionnels de santé pour analyser les pratiques, les dysfonctionnements perçus et les attentes des professionnels en matière de réorganisation des soins aux personnes âgées. Il avait été souligné dans l'introduction du document que ce type d'étude, rarement conduit, était pourtant un préalable nécessaire à la mise en place d’un nouveau service.
29 Cette étude a montré qu'il était actuellement difficile pour les professionnels de prendre en charge correctement les personnes âgées souffrant de pathologies chroniques, les difficultés de cette prise en charge étant en partie liées à la fragmentation des soins et des services. Les professionnels interrogés souhaitent que les soins aux personnes âgées soient réorganisés. Les médecins traitants ressentent la nécessité d'une coordination des soins, en particulier la nécessité de pouvoir accéder directement à l'hospitalisation sans avoir à passer par le service des urgences.
30 Enfin, il a été développé un nouveau service intégré (COPA-Ancrage) qui a été implanté en France et dont cette thèse présente les premiers résultats. Des gestionnaires de cas évaluent les besoins des personnes âgées et élaborent un plan d'aide personnalisé. Les médecins traitants sont étroitement associés à ce processus puisqu'ils participent au recrutement des patients et à l'élaboration du plan d'aide. Enfin, un gériatre intervenant en ville à la demande des médecins traitants peut mener des évaluations gérontologiques au domicile et négocier des hospitalisations directes sans passage par les urgences. Les gestionnaires de cas sont également mobilisés lors de la sortie du patient de l'hôpital. Parallèlement, des formations sont mises en place. Les premiers résultats sont présentés et traduisent une montée en charge du recours à ce service pour la première année de suivi.
31 Au total, cette thèse est une contribution à la recherche sur les services de santé qui concerne une population importante devant être prise en charge dans un contexte de fort vieillissement démographique : la population âgée présentant des pathologies chroniques. Il s’agit d’un travail original dans un champ de recherche encore peu développé en France. Il est précisé que le but des services n’est pas centré sur une pathologie donnée. Toutefois, il aurait été intéressant de souligner les spécificités d’un tel service quand il est destiné à prendre en charge des personnes âgées ayant des troubles cognitifs nécessitant une aide continue, étant donné la fréquence et la spécificité de ce type de troubles. Il aurait également été souhaitable d’aborder les éléments de contexte actuel, en tenant compte des nouveaux services destinés à prendre en charge des sujets atteints de maladie d’Alzheimer (type MAIA).
32 On peut souligner la qualité des approches envisagées dans cette étude et l’effort de compréhension des services nord-américains. Les recherches sur les services de santé doivent être soutenues notamment pour adapter les systèmes de prise en charge au contexte socioculturel et à une population âgée en pleine « mutation » dont on peut apprécier les évolutions en matière de solvabilité, de rapport aux professionnels et de recours aux solidarités familiales.
33 Par Sandrine ANDRIEU,
34 Professeur de santé publique, Université Toulouse III
Bibliographie
- VEDEL I., DE STAMPA M., BERGMAN H., ANKRI J., CASSOU B., BLANCHARD F., LAPOINTE L., 2009, « Healthcare professionals and managers participation in developing an intervention : A pre-intervention study in the elderly care context », Implement Sci., n° 4, p. 21.
- DE STAMPA M., VEDEL I., BERGMAN H., NOVELLA J. L., LAPOINTE L., 2009, « Fostering participation of general practitioners in integrated health services networks : incentives, barriers, and guidelines », BMC Health Serv Res., 17 ; 9, p. 48.
- DE STAMPA M., VEDEL I., HENRARD J.-C., BERGMAN H., NOVELLA J. L., LAPOINTE L., 2007, « The participation of primary care physicians in integrated health services network : United States experiences », Rev Epidemiol Sante Publique, 55 (6), p. 401-12.
- VEDEL I., LECHOWSKI L., DE STAMPA M., AEGERTER P., SIMON I., PEDRONO V., LAZAROVICI C., MAURIAT C., ANKRI J., CASSOU B., 2007, « Evaluation of a multifaceted intervention for implementing national guidelines : the case of physical restraint in geriatric care », Rev Epidemiol Sante Publique, 2007, 55 (2), p. 79-86.
Notes
-
[1]
J.-H. Déchaux, « Réalités et limites de l’entraide familiale », in Paugam S. (dir.), Repenser la solidarité, Le Lien social, 2007.