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Article de revue

Évolution des transferts intergénérationnels : vers un modèle européen ?

Pages 11 à 29

Notes

  • [1]
    Voir la description de ce programme dans la présentation du volume 57 de Retraite et Société.
  • [2]
    Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Italie, Pays-Bas, Suède, Suisse.
  • [3]
    Hongrie, Israël, Pologne, République tchèque.
  • [4]
    Rappelons que les enquêtes ont été réalisées sur la base de questionnaires identiques et selon des méthodes harmonisées. Selon la méthode retenue pour évaluer les aides financières, c’est le couple qui est interrogé. Les aides entre conjoints non séparés ne sont donc pas comptées. En revanche, les aides financières aux autres membres du ménage le sont, à l’exclusion du partage du toit et de la nourriture.
  • [5]
    Tout type d’aide personnelle a été comptabilisé, qu’elle intervienne dans ou hors le ménage, y compris entre conjoints.
  • [6]
    Les taux figurant dans cette section se rapportent uniquement à la première vague, mais les tendances sont identiques pour la seconde vague.
  • [7]
    La plus grande fréquence de garde dans les pays du Nord est peut-être favorisée par la plus grande participation des grands-pères que dans les pays du Sud. Le rôle des grands-pères favorise l’investissement des grands-mères, comme on le constate par le taux plus important de garde des grands-mères en couple comparées à celles qui sont seules.
  • [8]
    Ce constat avait été établi précédemment, cf. Attias-Donfut C. & Segalen M., Grands-parents. La famille à travers les générations (1998), Paris, Odile Jacob.

1 Les relations entre générations se sont transformées sous l’effet des mutations démographiques, culturelles et sociales. Avec l’allongement de l’espérance de vie et la diminution de la natalité, la structure d’âge de la société a perdu sa forme pyramidale pour se « rectangulariser », les générations successives ayant un nombre à peu près équivalent de représentants (Bengston, Roberts, 1991). Les mêmes changements affectent la famille qui se renforce au sommet, les aïeux tendant à devenir aussi nombreux que les enfants. Le nombre de familles à trois ou quatre générations augmente (Véron et al., 2004). La plus longue durée de coexistence des générations a aussi des conséquences sur la nature de leurs échanges affectifs, éducatifs et économiques, qui ont été par ailleurs bouleversés par les évolutions culturelles et sociales. Les modèles d’éducation se sont assouplis, les rapports d’autorité et de dépendance entre générations se sont affaiblis. Le développement de la protection sociale et l’évolution du droit de la famille contribuent au mouvement général d’autonomisation des individus à l’égard du groupe familial. On peut donc parler d’individualisation croissante, dans le sens d’une plus grande importance donnée aux besoins d’épanouissement personnel et de liberté individuelle (et non dans celui du triomphe des intérêts égoïstes).

2 Au sein de la famille, les générations jouissent en effet désormais de plus d’indépendance résidentielle, économique et juridique, ce qui n’empêche pas la vigueur de leurs liens et la vitalité de leurs solidarités, sous de multiples formes : affectives, matérielles, culturelles et sociales. De nombreuses études le confirment désormais, depuis les premiers travaux qui ont mis en évidence, dans les années 1990, l’importance des transferts entre générations. L’enquête de la Cnav sur trois générations familiales avait notamment montré que les flux d’aide suivent des directions différentes le long des générations selon qu’ils concernent les dons d’argent ou les échanges de services (appelés aussi dons de « temps ») : alors que les premiers sont presque exclusivement descendants, les parents aidant les enfants et ne recevant que très rarement d’eux des aides financières, les seconds sont réciproques, les plus âgés aidant les plus jeunes (notamment en gardant les petits-enfants), les enfants adultes soutenant à leur tour leurs parents âgés (surtout quand leur autonomie diminue) (Attias-Donfut, 1995). De plus, l’observation du fonctionnement des échanges entre trois générations familiales avait mis en évidence le rôle majeur de la génération intermédiaire, appelée pour cette raison génération « pivot ». Ces phénomènes désormais bien établis se retrouvent dans toutes les sociétés modernes dotées d’un système de protection sociale, qui a fortement contribué à façonner ces nouvelles formes de solidarités au sein du groupe familial. En effet, dans les sociétés traditionnelles du passé et aujourd’hui encore dans les sociétés en développement, ce sont les plus jeunes qui ont la charge matérielle des plus âgés, ces derniers ne bénéficiant pas (ou presque pas) de pensions de retraite.

3 L’enquête européenne Share se devait dès lors de réserver une place importante à l’étude des transferts entre générations pour en permettre à la fois la comparaison internationale et le suivi au cours du temps. Les flux de solidarité sont en effet toujours en changement, suivant l’évolution des parcours de vie de chaque génération, traversant des périodes et des circonstances où l’on reçoit davantage, et d’autres où l’on donne plus. Pour une vision globale des enchaînements générationnels, un suivi longitudinal devrait, dans l’idéal, s’étendre sur une longue durée. Cependant, l’observation sur de courtes durées reste pertinente, compte tenu des modifications susceptibles d’intervenir à tout moment dans la vie de l’une ou l’autre génération, et entraînant des conséquences sur leurs échanges.

4 Nous disposons pour cette étude des deux séries de données de Share [1]. La première vague a été réalisée en 2004 sur les personnes âgées de plus de 50 ans dans onze pays Européens [2]et la seconde vague, menée en 2006- 2007 auprès des mêmes personnes déjà enquêtées, a été élargie à cinq autre pays [3]. De nombreuses questions permettent de comparer les familles et leurs échanges intergénérationnels. Les transferts financiers (reçus et donnés) d’une valeur de 250 euros et plus ont été mesurés pour les douze mois précédant l’entretien à la première vague, et pour le temps écoulé entre les deux entretiens à la seconde vague. En cas de réponse positive, des questions sont alors posées pour identifier la personne [4]les ayant reçus ou donnés, le montant et les raisons de ce don (dont les besoins de base, l’éducation, un achat important ou un événement familial). Pour le recueil des données sur les autres formes d’aide (les transferts de temps), les enquêtés ont été interrogés sur les types de soutien donné et reçu, ainsi que sur leur fréquence au cours des douze derniers mois (ou depuis le dernier entretien). Des questions ont en outre permis d’identifier les réseaux de personnes impliquées dans ces échanges. Trois formes d’aide ont été explorées : les soins personnels [5](toilette, repas, lever et coucher), les aides matérielles concernant le foyer, mais uniquement celles impliquant une personne extérieure au ménage (entretien, bricolage, jardinage, transports, courses…), et les aides d’ordre informatif et administratif (documents relatifs aux dossiers de sécurité sociale, au logement, aux impôts, et toute information ou démarche administrative), également extérieures au ménage. Enfin une question était posée aux grands-parents sur la garde des petits-enfants (en dehors de la présence des parents), sa fréquence et le nombre d’heures qui lui a été consacré au cours des douze derniers mois ou depuis le dernier entretien.

5 Ces données permettent de décrire les flux d’aide en argent et en temps, leurs continuités et leurs changements au cours de la période écoulée entre les deux vagues. L’échantillon retenu pour cette analyse est restreint à ceux des enquêtés qui ont participé aux deux entretiens successifs, dans les différents pays européens, soit 18060 personnes de plus de 50 ans habitant dans les onze pays déjà concernés par la première vague. Les travaux approfondis sur les motifs des dons ont mis en évidence le rôle déterminant du « besoin » du donataire, appuyant la thèse de l’altruisme. Mais les nombreux cas de réciprocité démontrent par ailleurs la prégnance du modèle de l’échange dans ces motivations. On ne peut donc pas conclure à la prédominance dans ces transferts de l’un ou l’autre des modèles d’altruisme et d’échange (Wolff, 1995). En réalité, ils ne s’opposent pas mais sont intimement mêlés.

6 Dans la limite de cet article, nous avons choisi de souligner certains résultats de Share suivant quelques unes des dimensions à prendre en compte dans l’étude des transferts entre générations, leur nature (dons d’argent ou de temps), leur structure (qui donne quoi à qui ?), leurs motivations et déterminants (explicites ou non), leurs disparités éventuelles d’un pays à l’autre, en nous centrant tout particulièrement sur les évolutions observées en l’espace de deux ans et sur leurs causes. Ces évolutions sont appréhendées de deux façons : d’une part par comparaison des données statistiques globales recueillies aux deux passages pour les différents types d’échanges, différenciés par sexe et selon les pays, d’autre part en suivant les pratiques individuelles, celles qui changent et celles qui demeurent stables au cours de cette période.

7 De nombreux facteurs contribuent certes à différencier les pratiques familiales de solidarité d’un pays à l’autre, d’un moment à l’autre. Nous examinons principalement ci-dessous les circonstances affectant la vie familiale et les existences individuelles, en accordant une importance particulière aux systèmes de protection sociale et de politique sociale, pour repérer leurs éventuelles interactions avec le fonctionnement des solidarités familiales.

8 Notre article se compose de trois parties : la description des modèles généraux de transferts intergénérationnels en Europe, mis en évidence d’une vague à l’autre ; l’analyse des événements survenus entre les deux vagues et leurs éventuels effets sur les pratiques de solidarité des personnes interrogées et de leur entourage ; les interactions entre ces aides informelles (c’est-à-dire relevant de la famille et de l’entourage) et les aides professionnelles reçues, observées dans leurs éventuelles modifications au cours du temps.

Les modèles des échanges en Europe

9 Il est d’abord essentiel de savoir si les résultats observés au cours de la première vague se répètent à la seconde. Nous avions précédemment dégagé des modèles de transferts à partir des résultats de la première vague, mettant en évidence les volumes des échanges en matière d’argent et de temps, au sein des différents pays, ainsi que l’identité des donateurs et des donataires (Attias-Donfut et al., 2005). Dans l’ensemble, ce sont les mêmes schémas que l’on observe au cours de la seconde vague, avec quelques légères variations qui n’affectent pas les tendances générales. Cela confirme la pertinence des données recueillies et témoigne de la stabilité globale des comportements dans les différents pays européens.

10 Les principaux résultats d’ensemble comparant les résultats des deux vagues sont présentés dans le tableau 1. On peut y lire les distributions par sexe des taux de transferts donnés et reçus, en vague 1 et 2. Ces données sont complétées par le tableau 2, qui montre la distribution par pays de ces taux, pour les différents types de transferts.

Tableau 1

Pourcentage de personnes de 50 ans et plus qui donnent et reçoivent de l’aide en vague 1 (V1), vague 2 (V2), vagues 1 et 2 (V1V2)

V1 Homme
V2
V1 V2 V1 Femme
V2
V1V2
A gardé des petits-enfants? 49,9 47,4 37,9 54,0 51,5 40,1
A apporté une aide pratique 34,6 32,2 19,0 33,6 30,9 18,2
A donné un soutien financier* 32,3 34,5 19,8 25,8 26,0 13,4
A rendu service à la famille, amis, dernier mois 25,1 20,6 10,1 25,3 17,5 9,2
S’est occupé d’un adulte malade/handicapé 5,5 6,4 1,7 7,7 8,6 2,5
A donné des soins personnels dans le ménage 5,1 5,9 1,4 7,5 8,4 1,9
A reçu une aide* 17,5 17,5 4,6 27,4 27,3 10,3
A reçu des soins personnels dans le ménage ** 9,3 13,3 1,3 9,2 11,6 1,4
A reçu des soins personnels par un professionnel 3,0 3,7 1,0 4,9 5,1 1,4
A reçu un soutien financier* 5,0 5,5 0,0 6,5 7,0 , 0
A reçu une aide à domicile 2,4 3,1 1,0 6,4 6,7 2,7
A reçu des repas à domicile 0,8 1,0 0,0 1,1 1,3 , 0
Base 8 211 8 211 8 211 9 849 9 849 9 849
figure im1

Pourcentage de personnes de 50 ans et plus qui donnent et reçoivent de l’aide en vague 1 (V1), vague 2 (V2), vagues 1 et 2 (V1V2)



? Base=grands-parents, n=5,930 ; *sondés ou conjoints ; **base=sondés avec limites physiques
Lecture : 49,9 % des grand-parents en vague 1 avaient régulièrement ou occasionnellement gardé
un ou plusieurs petits-enfants au cours des 12 derniers mois.
Tableau 2

Taux de transferts par vagues - événements marquants (en %)

Autriche Allemagne Suède PaysBas Espagne Italie France Danemark Grèce Suisse Belgique Total Aide reçue en V1 27,8 25,6 24,8 22,5 11,7 16,0 18,1 30,5 24,4 19,5 27,3 22,8
Aide reçue en V2 24,3 29,9 26,3 24,4 13,7 17,5 18,0 29,4 22,9 15,7 25,7 23,0
Aide donnée en V1 25,4 38,0 43,3 44,8 15,6 25,0 31,1 48,4 20,3 38,7 42,3 34,0
Aide donnée en V2 26,0 37,4 41,3 41,5 13,7 26,3 26,6 43,3 16,1 33,2 40,1 31,6
Garde petits-enfants en V1 45,1 52,7 52,9 64,0 43,7 42,9 53,4 57,2 46,6 45,8 58,6 52,2
Garde petits-enfants en V2 40,9 46,8 56,1 57,4 34,9 47,0 52,0 53,9 42,3 49,4 56,4 49,9
Soin personnel donné en V1 6,2 6,9 3,3 3,8 9,9 9,2 6,2 3,7 5,6 6,3 7,1 6,3
Soin personnel donné en V2 7,3 8,8 4,0 4,8 12,4 10,2 7,4 6,2 5,0 4,8 7,0 7,1
Soin personnel reçu en V1 11,3 7,6 6,3 4,8 13,9 11,3 8,6 7,3 10,0 9,9 8,7 9,2
Soin personnel reçu en V2 11,3 11,9 6,7 9,2 20,9 15,1 11,2 13,2 10,1 10,6 12,0 12,2
Aide financière donnée en V1 29,1 37,9 37,3 25,2 12,1 27,5 26,3 26,3 35,5 33,8 26,4 28,8
Aide financière donnée en V2 33,2 38,1 40,9 27,0 11,4 39,8 26,2 30,5 27,2 36,2 23,3 30,3
Aide financière reçue en V1 3,8 3,2 4,8 7,7 9,2 5,0 6,2 2,8 12,0 6,9 4,2 6,0
Aide financière reçue en V2 3,5 3,2 5,7 7,9 8,7 7,3 9,1 3,5 10,2 7,7 2,9 6,3
Événements entre V1 et V2
Mise en couple 1,2 1,9 1,8 1,9 0,3 0,6 1,1 3,1 0,3 1,2 1,4 1,3
Séparation 0,3 0,2 0,6 0,6 0,4 0,1 0,4 1,1 0,2 0,7 0,4 0,4
Veuvage 2,4 2,3 2,0 2,6 3,0 1,1 1,9 1,8 0,7 1,8 1,0 1,7
Passage à la retraite 5,3 8,5 7,4 6,9 4,9 5,8 5,6 8,1 3,0 7,0 4,6 5,9
Dégradation de la santé 15,6 12,1 12,7 13,6 13,5 13,5 14,7 10,5 5,7 15,7 11,4 12,2
figure im2

Taux de transferts par vagues - événements marquants (en %)


Lecture : en Autriche, 27,8 % des enquêtés ont reçu une aide en vague 1, 24,3 % en vague 2.
En Autriche, 5,3% des enquêtés ont pris leur retraite entre la vague 1 et la vague 2.

11 Rappelons les principaux caractères des modèles d’échanges familiaux propres aux différents pays européens, leurs convergences et leurs variations, tels qu’ils ont été mis en évidence à la première enquête (réalisée en 2004) et confirmés à la seconde (en 2006-2007).

? Des pratiques d’entraide plus extensives au nord et plus intensives au sud

12 Il est bien connu que les pays scandinaves offrent la gamme la plus importante de services collectifs pour la garde des enfants ou le soutien aux personnes âgées. À l’inverse, les pays méditerranéens accusent un déficit important de ces mêmes types de services. Quels en sont les effets sur les aides apportées par les membres de la famille ? Les résultats montrent des différences contradictoires entre ces pays selon que l’on considère la fréquence des aides ou leur intensité (mesurée par le rythme de l’aide ou par le nombre d’heures consacrées en moyenne à une personne aidée). En moyenne [6], 28,7 % des plus de 50 ans fournissent au moins une des trois formes de services (soins, aide matérielle ou administrative) et 21 % en reçoivent. Ces taux sont variables d’un pays à l’autre, les pays méditerranéens ayant les plus faibles taux de services donnés et reçus. Ainsi, 14 % des Espagnols fournissent de telles aides, alors qu’au Danemark, ils sont 48 %. De même, 14,7 % des Espagnols et 16,8 % des Italiens reçoivent ce type d’aides, qui est davantage attesté dans les pays du Nord par 27,6 % des Danois et 27,5 % des Suédois. La Grèce se rapproche de ces derniers taux avec 24 % de personnes recevant ces aides. Les choses sont différentes dès lors que l’on prend en compte le nombre d’heures consacrées aux services ainsi rendus : il est plus élevé parmi les Espagnols (27 heures par mois en moyenne par personne donatrice d’aide), alors que la moyenne européenne est de 17 heures. Il reste que le Danemark (21 %) et la Suède (20,5 %) se situent également aussi un peu au-dessus de la moyenne.

13 La différence selon le genre se confirme dans la durée et, comme on pouvait s’y attendre, les femmes sont plus impliquées que les hommes dans les activités de soins et d’aide, les taux d’aide donnée étant légèrement supérieurs chez les femmes, surtout en ce qui concerne la garde des petits-enfants. Mais l’attribution d’aides financières à leur entourage est un peu plus fréquente de la part des hommes. Les femmes reçoivent en effet un peu plus souvent que les hommes des aides monétaires. De même, elles sont plus souvent destinataires des autres formes d’aide (en soins et services). Il reste que les différences entre hommes et femmes demeurent assez faibles dans l’ensemble.

? Généralité des aides grand-parentales

14 La garde des petits-enfants est la chose la mieux partagée en Europe. Si en moyenne plus de 40 % de l’ensemble des grands-parents ont gardé un petit-enfant au cours des 12 derniers mois, ce taux allant de 54,3 % aux Pays-Bas ou 53,3 % en Suède à 38 % en Espagne, ce type d’aide présente moins de variations selon les pays que pour les autres pratiques d’entraide. Et si on ne considère que les grands-parents de moins de 75 ans, qui ont plus de chances d’avoir des petits-enfants en âge d’être gardés, ces taux sont beaucoup plus importants : près de 60 % des moins de 75 ans ont gardé régulièrement un petit-enfant (en l’absence de ses parents) au cours des douze derniers mois, taux variant de 50 % (Autriche) à 75 % (Pays Bas). Les pays du Nord se distinguent par la fréquence la plus élevée [7], tandis que ceux du Sud attestent d’une plus forte intensité de la garde, en particulier par une plus grande occurrence de garde quotidienne et hebdomadaire, très rare dans les pays du Nord.

15 Les différences en ce domaine tiennent principalement à deux facteurs : le taux d’emploi féminin (les jeunes femmes qui travaillent ayant davantage besoin de l’aide grand-parentale) ainsi que la diffusion des formules de garde, plus faible dans les pays du Sud. Il est intéressant de noter que le travail des grands-mères ne diminue pas la fréquence de l’aide, mais seulement son intensité. Dans l’ensemble, les besoins des filles et belles-filles professionnellement actives semblent prioritaires par rapport aux disponibilités des grands-mères (et des grands-pères) qui, même actives, s’organisent pour garder les petits-enfants en cas de besoin [8].

? Partout, des échanges financiers principalement descendants

16 Dans l’ensemble des pays européens étudiés, les transferts financiers vont principalement des parents aux enfants, et rarement en sens opposé. Les dons d’argent aux petits-enfants sont plus fréquents après 75 ans, se substituant aux aides en temps dont les petits-enfants, devenus grands, n’ont plus besoin. Seuls ont été comptabilisés les dons supérieurs ou égaux à 250 euros au cours des 12 derniers mois. Ils sont le fait d’une forte minorité : 26 % au total versent de l’argent (taux variant de 11 % en Espagne à 39 % en Suède). Quant aux aides financières reçues, elles sont plus rares. Elles concernent 5 % des personnes de plus de 50 ans en moyenne, taux variant de 3 % aux Pays-Bas à 11,4 % en Grèce (graphique 1).

Graphique 1

Taux de transferts financiers, vague 1 et vague 2

figure im3
Aide financière donnée
Aide financière reçue

Taux de transferts financiers, vague 1 et vague 2


enquête Share, 2004 et 2006.

17 Ainsi se confirme la généralisation du modèle de transferts financiers intrafamiliaux observé en France en 1992 et également par la suite dans d’autres sociétés modernes, malgré les différences importantes dans les régimes de protection sociale et leur générosité (Attias-Donfut, 1995). Tout autre est la situation en l’absence totale d’État providence, comme le montre l’importance des aides monétaires adressées aux parents âgés parmi les immigrés originaires de pays émergents.

18 La comparaison entre les différents pays européens ne permet pas de distinguer clairement les modèles de transferts intrafamiliaux selon les types d’État providence, tels qu’ils ont été établis par Gosta Esping-Andersen (1990 ; 1999). Par exemple, parmi les sociétés méditerranéennes, on observe une forte hétérogénéité dans la fréquence des transferts financiers, la Grèce se signalant par un taux de pratique parmi les plus élevés en Europe, tandis que c’est en Espagne que cette pratique est la moins répandue.

19 L’axe nord-sud reste cependant discriminant dans la tendance à la cohabitation des générations qui peut être considérée aussi comme une forme d’aide économique. Elle est en effet plus fréquente dans les pays méditerranéens que dans les pays nordiques, mais cela est surtout vrai pour la cohabitation entre parents et jeunes adultes. Habiter avec un parent très âgé n’est pas vraiment spécifique aux pays du Sud, car ce fait apparaît aussi répandu en Allemagne et en Autriche qu’en Grèce ou en Italie.

Évolution des échanges : le poids des événements

20 Avec la seconde vague de Share, nous pouvons à présent tenter d’observer la façon dont les individus et les familles s’adaptent aux changements survenant dans leur vie privée et dans leur environnement au cours du temps.

21 Le tableau 2 offre également la liste de quelques événements susceptibles d’affecter les échanges intergénérationnels et la fréquence de leur survenue entre les deux vagues. Il s’agit des changements affectant la vie professionnelle, la retraite ou la vie conjugale (veuvage, ou plus rarement séparation ou remise en couple), les difficultés de santé, la naissance d’un petit-enfant, la maladie ou le décès d’un parent. On remarque que peu de personnes sont touchées par l’un ou l’autre de ces événements au cours des deux années séparant les deux vagues, à l’exception de la dégradation de l’état de santé, qui affecte en moyenne 12,2 % des Européens de plus de 50 ans.

22 Le faible nombre de personnes ayant connu ces événements ne permet pas d’en faire une analyse par pays. Aussi, nous les analyserons à partir des données agrégées pour l’ensemble des pays. Bien qu’il ne soit pas toujours aisé de dégager les processus à l’œuvre sur une durée aussi réduite, on peut repérer les changements dans le support social et les transferts intergénérationnels et rechercher les liens entre ces changements et les événements qui surviennent dans la famille et dans la vie personnelle des individus.

23 Il est remarquable de constater que, si les taux globaux de transferts par pays sont comparables d’un temps à l’autre, les pratiques individuelles, quant à elles, se modifient sensiblement. Seule une minorité de personnes fait preuve d’une continuité dans le temps dans la plupart des aides données ou reçues. C’est ce que montrent les distributions des taux de pratiques, stables d’une vague à l’autre pour les différents types d’aide et par pays (tableau 3, page 22). On observe que l’aide grand-parentale y fait exception, avec une plus forte constance dans le temps. Le taux de grands-parents fournissant une aide continue à leurs petits-enfants aux deux vagues n’est en effet inférieur que de 20 % au taux moyen d’aide à chacune des vagues. La naissance d'un premier petit-enfant entre les deux vagues semble un événement important, puisque les taux de garde de ce petit-enfant s'approchent de ceux des grands-parents avec un seul ou plusieurs petits-enfants (graphique 2). Au contraire, ceux qui apportent des soins à une personne vivant hors du ménage ne le font généralement qu’à une seule des deux périodes. Et le taux de ceux qui reçoivent une aide financière au cours des deux vagues à la fois est proche de zéro. Cela suggère que ce type d’assistance (faible au demeurant) est occasionnel et intervient en fonction de besoins particuliers qui ne se répètent pas nécessairement dans le temps.

Graphique 2

Pourcentage de grands-parents qui gardent un petit-enfant en vague 2

figure im4

Pourcentage de grands-parents qui gardent un petit-enfant en vague 2



enquête Share, 2004 et 2006.
Tableau 3

Pourcentage d’enquêtés donnant ou recevant une aide aux deux vagues à la fois, par pays (en %)

Autriche Allemagne Suède Pays Bas Espagne Italie France Danemark Grèce Suisse Belgique A gardé des petits-enfants? 29,9 38,4 43,0 48,4 22,1 32,2 40,1 45,7 36,5 37,7 46,8
A apporté une aide pratique 10,9 20,4 26,0 26,3 3,8 12,5 14,1 28,8 12,1 17,7 25,8
A donné un soutien financier* 12,1 12,6 14,7 7,9 2,1 11,3 8,7 10,9 15,2 13,1 7,5
A rendu service à la famille, amis, dernier mois 7,0 5,1 22,7 12,9 0,7 3,1 9,0 14,2 5,7 5,9 12,4
S’est occupé d’un adulte malade/handicapé 2,5 2,6 2,5 2,4 0,1 0,5 2,5 0,8 2,5 2,4 3,6
A donné des soins personnels dans le ménage 1,3 2,6 1,0 0,6 3,7 2,5 1,3 0,7 2,1 0,9 1,5
A reçu une aide* 8,6 7,9 8,5 6,6 2,8 4,5 6,5 9,5 12,6 4,8 9,0
A reçu des soins personnels dans le ménage ** 1,7 1,4 0,6 0,5 3,0 2,5 1,3 0,6 2,0 0,4 1,1
A reçu des soins personnels par un professionnel 0,6 0,2 0,1 0,4 0,8 0,2 4,2 1,1 0,0 0,1 2,8
A reçu un soutien financier* 2,0 0,7 1,3 0,3 0,2 0,7 0,6 1,9 5,0 0,7 0,4
A reçu une aide à domicile 0,8 0,3 1,4 3,2 0,6 0,8 3,5 4,3 0,1 0,3 3,9
A reçu des repas à domicile 0,4 0,3 0,3 0,3 0,6 1,6 0,7
Base 1210 1521 1975 1725 1349 1726 1902 1183 2106 673 2690
figure im5

Pourcentage d’enquêtés donnant ou recevant une aide aux deux vagues à la fois, par pays (en %)



? Base = grands-parents, n = 5,930 ; *enquêté ou son conjoint ; **base = personnes ayant des problèmes de santé.
Lecture : 29,9 % des grands-parents interrogés en vague 2 avaient régulièrement ou occasionnellement gardé un ou plusieurs petits-enfants
au cours des douze derniers mois (en vague 1) et depuis la vague 1.

24 D’une façon générale, les taux d’aide reçue en matière de soins et de services aux deux vagues à la fois diminuent considérablement par rapport aux taux se rapportant à chaque vague séparément. Cela montre que, d’une part ces aides sont occasionnelles et ponctuelles et que, d’autre part, elles sont successivement données et reçues par un grand nombre de personnes. Elles sont donc plus largement diffusées, mais de façon plus ponctuelle que ne le laissent paraître les résultats d’enquêtes faites à un moment donné. Cela peut expliquer la constance des volumes globaux des flux d’échanges, malgré l’inconstance des pratiques individuelles.

25 Considérons à présent les différences entre pays dans la continuité des aides. Le tableau 3 présente la distribution des taux d’aides reçues et données selon les pays. On observe que les différences entre pays sont moins accentuées pour les taux d’aides aux deux vagues à la fois que pour chacune des vagues. En outre, sur plusieurs indicateurs, les différences ne sont pas significatives. Mais, par ailleurs, on retrouve les mêmes tendances dans les différences entre pays d’une vague à l’autre. Par exemple, la proportion de dons d’argent est la plus élevée en Suède et la plus basse en Espagne, à chacune des deux vagues. Les différences entre pays restent très importantes et sensiblement comparables d’une vague à l’autre (voir graphique 1, page 19). Le taux moyen de personnes ayant donné une somme de 250 euros ou plus au cours des douze derniers mois était de 28,3 % à la première vague et de 30,3 % à la seconde. Au total, près de 43 % ont donné de l’argent soit en 2004 soit en 2006, et seule une petite partie des donateurs (16 %) a donné aux deux vagues à la fois. Les taux les plus faibles sont toujours ceux de l’Espagne (de l’ordre de 12 %) et les plus élevés se retrouvent encore dans les pays du Nord (plus d’un tiers en Suède et en Allemagne).

26 Peu de variables semblent influencer clairement la tendance aux dons financiers. Le passage à la retraite n’a que peu d’incidence si ce n’est, contrairement aux attentes, une légère augmentation de la proportion de donateurs. La détérioration de la situation financière a en revanche un effet certain, marqué par une diminution évidente des dons octroyés et une faible augmentation des dons reçus (parmi les personnes qui risquent de devenir pauvres). À l’inverse, la naissance d’un petit-enfant au cours de cette période entraîne une nette augmentation du taux d’aide financière donnée.

27 En ce qui concerne les aides reçues, on note les taux les plus hauts en Grèce, à la fois pour l’aide pratique et pour l’aide financière. Les taux d’aide reçue aux deux vagues à la fois sont très bas en Espagne et en Italie (moins de 5 %), les plus élevés étant observés au Danemark, en Belgique en France et aux Pays-Bas. Les données présentées dans le tableau 3 confirment que les regroupements de pays selon les divisions nord, sud et continental ne sont pas évidents.

Tableau 4

Transferts de temps aux parents et garde des petits-enfants en vague 1 (V1) et en vague 2 (V2), par pays (en %)

Autriche Allemagne Suède Pays Bas Espagne Italie France Danemark Grèce Suisse Belgique
V1 V2 V1 V2 V1 V2 V1 V2 V1 V2 V1 V2 V1 V2 V1 V2 V1 V2 V1 V2 V1 V2
Âge moyen enquêté 64,8 63,8 64,6 63,2 65,9 64,3 64,3 64,1 64,2 64,4 63,8
Âge moyen mère 82 82 82,7 83 82,8 83,0 82,1 81,2 81,6 82,7 82
Âge moyen père 82 79,8 82,2 82,9 83,4 83,9 81,9 81,3 83,8 83,3 82,2
Aide à une mère 23,4 23,7 33,9 31,1 38,7 42,5 38,5 38,7 14,7 14,4 20,5 26 26,7 24,1 38,7 42,2 20,1 14,8 29,1 26,1 35,5 36,1
Aide à un père 9,9 17,9 20,2 19,2 20,6 30,6 17 18,8 18,1 11,1 15 20,9 14 15,9 24,6 20 12,5 8,8 19,3 19,7 27,7 20,8
Cohabitation avec la mère 9,5 10,2 10,1 9,7 0,8 1 0,8 0,3 11,1 16,5 13,1 16,4 1,5 1,5 1,4 1,3 12,2 12,1 7,3 6 1,7 2
Cohabitation avec le père 11,1 12,5 6,5 8,2 0,5 0 0,6 0 9,5 11,1 15,7 17,4 1,4 1,6 0 0 4,6 4,4 3,6 3,3 1,7 1,7
« Sanmtaéuvdaeissepa » rents 7,5 11,7 16,4 16,1 24,1 26,9 10,1 18,9 13,8 11,6 19,6 18 31,2 31,9 17,7 13,6 29 17,1 4,6 6,6 26,2 27,4
Contact quotidien avec mère 26,4 28,2 24,6 19,8 17,4 16,8 15,4 13,9 40,9 38,3 46,7 50 15,5 15,4 14,1 15,7 41 38,3 17,6 10,4 21,2 20,2
Contact quotidien avec père 24,7 19,6 12,9 12,3 10,3 11,9 11,3 11,5 44,8 41,3 42,1 55,8 13,6 14,3 9 10 33,3 28,8 8,4 4,9 17,8 15,7
qGuarotdiedideensnep*etits-enfants 18,6 23,5 18,7 16,3 4,5 3,9 2,9 3,8 39,6 36,1 53 53,3 12,3 8,6 1,6 2,8 43,2 41,9 13,9 7,2 18,7 18,1
hGearbddeodmeasdapireteit*s-enfants 55,2 58 54,9 53,5 29,3 30,5 45,6 50,7 65,5 64,6 80,2 81,9 40,2 37,5 27,5 23,7 70 72,8 53 49,7 59,9 61,2
figure im6

Transferts de temps aux parents et garde des petits-enfants en vague 1 (V1) et en vague 2 (V2), par pays (en %)



* Pourcentage par rapport aux grands-parents qui pratiquent la garde.

28 Parmi les aides les plus largement répandues, figurent les soins aux parents âgés et les aides grand-parentales. Leurs distributions sont présentées dans le tableau 3 (page 22), ainsi que les âges moyens des enquêtés et de leurs parents, les taux de cohabitation et la fréquence des contacts avec les parents (tableau 4, page 24). On observe la répétition du modèle observé selon lequel parents âgés et enfants seniors habitent séparément et reçoivent fréquemment une aide pratique principalement dans les pays du Nord en vague 1. Les mères semblent recevoir davantage d’aide que les pères (ce qui reflète aussi le plus grand nombre de mères que de pères vivant seules). Quand les deux parents sont vivants, les différences par pays semblent s’estomper car, partout, les couples âgés ont tendance à vivre indépendamment de leurs enfants et, à cet égard, les pays du Sud ressemblent plus ou moins aux pays du Nord.

29 La cohabitation des générations, bien que n’étant pas en soi un indicateur de transfert, exprime une forme de solidarité. Il est bien connu qu’elle est inégalement pratiquée en Europe et qu’elle est plus développée dans les pays méditerranéens. On observe en effet des différences importantes entre pays dans le tableau 4, présentant le taux de personnes de plus de 50 ans habitant avec une mère ou un père. C’est en Espagne que ce taux est le plus élevé - environ 16 % des enquêtés habitent avec leur mère - tandis qu’il est presque nul dans les pays nordiques. Mais, comme il a été souligné précédemment, les taux de cohabitation en Allemagne et en Autriche se rapprochent de ceux de la Grèce. L’axe nord-sud présente donc des exceptions. Compte tenu du faible nombre de personnes concernées, il n’est guère possible de procéder à des calculs statistiques pour analyser les aides données en cas de cohabitation. Il est cependant intéressant de relever que près d’un quart des enquêtés qui cohabitent avec leur mère âgée en Espagne leur dispensent des aides pour les soins personnels.

30 Finalement, la similitude des résultats globaux des vagues 1 et 2, pour l’ensemble des pratiques de solidarité considérées, qu’ils portent sur les taux d’aides données ou reçues, confirme leur validité. Les différences entre pays se confirment, mais elles sont difficiles à expliquer.

31 Le gradient nord-sud, selon lequel une bien plus forte proportion d’Européens du Nord que du Sud apportent une aide à leur entourage, hors de leur domicile, subsiste d’une vague à l’autre. Cela pourrait tenir en partie à des divergences d’interprétation dans le libellé de la question. Mais, selon une autre hypothèse, la disposition d’aides collectives permet davantae de liberté pour apporter des aides ponctuelles à un plus grand nombre de proches, ce qui confirmerait la thèse de la complémentarité entre les aides publiques et privées.

Solidarités familiales et aides publiques

32 En plus de ces transferts « informels », nous examinons à présent différents types d’aide professionnelle reçue au cours des mêmes périodes, soins infirmiers, soins personnels, aide ménagère à domicile, portage de repas à domicile (tableaux 1, page 15 et 2, page 16). Le tableau 1 montre la faiblesse relative des soins du secteur formel par rapport aux aides apportées par la famille et l’entourage. Hommes et femmes bénéficient davantage d’aides de leur entourage que d’aides professionnelles. Les taux d’aides formelles sont faibles, inférieurs à 10 %, au total. Les données sur les trois indicateurs d’aide formelle reçue qui sont renseignées dans Share (soins infirmiers, soins personnels, aide ménagère à domicile, portage de repas à domicile) sont reportées pour les personnes interrogées lors des vagues 1 et 2 ainsi que pour ceux qui reçoivent une ou plusieurs de ces aides au cours des 2 vagues à la fois.

33 Quand les besoins s’accroissent avec le vieillissement, ils sont en partie couverts par la famille et en partie par le recours à des aides professionnelles. La combinaison de ces deux formes d’aide est une vaste question largement débattue. Les données longitudinales permettent d’y apporter des éléments de réponse.

34 Un des résultats les plus clairs et les plus intéressants de la comparaison des échanges intrafamiliaux à deux ans d’intervalle porte en effet sur les interactions entre les aides publiques et les aides privées. On peut suivre les continuités ou discontinuités de l’aide de la famille après l’introduction de l’aide professionnelle, ou à la suite de son interruption.

35 Les résultats présentés dans le graphique 3 montrent que, lorsque l’aide professionnelle est reçue de façon continue, un tiers des personnes reçoivent aussi une aide constante de la famille, tandis que pour deux tiers l’aide est reçue sporadiquement. Parmi ceux qui ne reçoivent jamais d’aide professionnelle, le taux d’aide de la famille est très faible, ce qui suggère que, quand les besoins existent, ils sont couverts par une combinaison d’aide de la famille et d’aide professionnelle.

36 Parmi ceux qui ne recevaient pas d’aide professionnelle en vague 1, mais la reçoivent en vague 2, on n’observe pas une diminution de l’aide de la famille, mais au contraire une augmentation de sa fréquence. Enfin, ceux qui recevaient auparavant une aide professionnelle, mais ne la reçoivent plus, n’ont pas pour autant vu l’aide de la famille augmenter.

37 Ces résultats appuient la thèse de la complémentarité entre ces deux formes d’aide. Ils montrent aussi qu’un désengagement de l’État n’entraînerait guère un plus fort engagement de la famille, mais n’aurait comme résultat qu’un plus grand abandon des personnes ayant besoin d’aide.

Graphique 3

La complémentarité de l’aide publique et privée

figure im7
Pas de
famille
Famille
vague 2
Famille
vague 1
Famille
2 vagues

La complémentarité de l’aide publique et privée


enquête Share, 2004 et 2006.

38 Il apparaît que la famille fait face aux besoins des parents âgés dans la mesure de ses possibilités et qu’elle ne se désengage pas quand les structures d’aide sont disponibles. Le critère le plus important de l’entraide familiale est le besoin manifesté par un membre de la famille.

Conclusion

39 Les solidarités familiales ont la capacité de s’adapter aux différents événements de la vie, la famille jouant un rôle d’assurance en cas de besoin. Le passage à la retraite ne semble pas y apporter des modifications substantielles : le suivi des aides en temps a fait apparaître une influence légère, mais plutôt positive. Le temps consacré à prendre soin d’une mère âgée ayant des difficultés de santé s’accroit pour une bonne partie de ceux et celles qui ont cessé leur activité professionnelle au cours de cette période. Les aides grand-parentales sont relativement indépendantes de l’exercice d’une activité professionnelle, même si les grands-mères retraitées ont tendance à y consacrer plus de temps que celles qui travaillent. C’est en réalité le besoin des jeunes parents qui est déterminant à cet égard.

40 Quant aux aides financières, elles ne diminuent pas à la suite du passage à la retraite. Elles ont même tendance à augmenter légèrement, peut-être en raison des indemnités reçues par les salariés à l’occasion de leur départ. Le retrait de l’activité professionnelle ne s’accompagne pas du retrait des aides économiques au sein de la parentèle. On observe en effet que les dons financiers se poursuivent au cours du vieillissement et ne diminuent qu’au grand âge.

41 Le passage du temps s’accompagne inéluctablement d’une détérioration de l’état de santé de cette population, évidente même sur une courte durée. Cela apparaît clairement dans la comparaison entre les deux passages. Le recours à des aides professionnelles ne s’accroît pas pour autant. Cependant, les personnes qui ont reçu ces aides pour la première fois au cours de cette période n’ont pas subi pour autant une baisse du soutien de leur entourage. C’est un résultat tout à fait important à verser au débat opposant les thèses de complémentarité ou de substitution entre les aides publiques et les aides privées. Quant à ceux qui, pour une raison ou l’autre, n’ont plus reçu d’aide professionnelle, ils n’ont pas bénéficié de plus d’aide de leur entourage.

42 Finalement, les comparaisons intra-européennes confirment l’existence d’importantes convergences entre les pays, malgré la persistance d’un axe Nord-Sud, présentant néanmoins des nuances et des exceptions. Mais les différences entre pays européens, pour réelles qu’elles soient, ne recouvrent pas la distinction des États providence selon les types, désormais classiques, établis par Esping Andersen.

43 Ces conclusions sur l’évolution des solidarités familiales ont des conséquences notables pour les politiques sociales. Elles mettent en évidence l’importance de bénéficier de pensions de retraite décentes pour continuer à contribuer aux cycles d’échanges intergénérationnels et intrafamiliaux. Elles montrent aussi et surtout que la famille ne peut pas se substituer à l’aide publique, pas plus qu’elle ne peut être remplacée par cette dernière, mais que toutes deux restent complémentaires dans le soutien à apporter aux personnes agées qui souffrent de problèmes de santé entraînant des limitations dans leur vie quotidienne.

Bibliographie

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  • ATTIAS-DONFUT C., SEGALEN M., 1998, Grands-parents : la famille à travers les générations, Paris, Odile Jacob, 330 p.
  • ATTIAS-DONFUT C., OGG J., WOLFF F. C., 2005, “European patterns of intergenerational financial and time transfers”, European Journal of Ageing, n° 2 (3), p. 161-173.
  • BENGTSON V. L., ROBERTS R. E. L., 1991, “Intergenerational solidarity in ageing families : an example of formal theory construction”, Journal of Marriage and the Family, n° 53, p. 856-70.
  • ESPING-ANDERSEN G., 1990, The Three Worlds of Welfare Capitalism, Cambridge, Polity Press, 248 p.
  • ESPING-ANDERSEN G., 1999, Social foundations of post-industrial economies, Oxford, Oxford University Press, 207 p.
  • VERON J., PENNEC S., LÉGARÉ J., 2004, Âge, Générations et Contrat Social : L’État providence face aux changements démographiques, Paris, Institut national d’études démographiques, Les Cahiers de l’Ined, no. 153, 312 p.
  • WOLFF F.-C., 1995, « Les transferts versés aux enfants et aux parents : altruisme ou échange intertemporel ? », Économie et Prévision, n° 142, p. 67-91.

Date de mise en ligne : 01/01/2010

https://doi.org/10.3917/rs.058.0011

Notes

  • [1]
    Voir la description de ce programme dans la présentation du volume 57 de Retraite et Société.
  • [2]
    Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Italie, Pays-Bas, Suède, Suisse.
  • [3]
    Hongrie, Israël, Pologne, République tchèque.
  • [4]
    Rappelons que les enquêtes ont été réalisées sur la base de questionnaires identiques et selon des méthodes harmonisées. Selon la méthode retenue pour évaluer les aides financières, c’est le couple qui est interrogé. Les aides entre conjoints non séparés ne sont donc pas comptées. En revanche, les aides financières aux autres membres du ménage le sont, à l’exclusion du partage du toit et de la nourriture.
  • [5]
    Tout type d’aide personnelle a été comptabilisé, qu’elle intervienne dans ou hors le ménage, y compris entre conjoints.
  • [6]
    Les taux figurant dans cette section se rapportent uniquement à la première vague, mais les tendances sont identiques pour la seconde vague.
  • [7]
    La plus grande fréquence de garde dans les pays du Nord est peut-être favorisée par la plus grande participation des grands-pères que dans les pays du Sud. Le rôle des grands-pères favorise l’investissement des grands-mères, comme on le constate par le taux plus important de garde des grands-mères en couple comparées à celles qui sont seules.
  • [8]
    Ce constat avait été établi précédemment, cf. Attias-Donfut C. & Segalen M., Grands-parents. La famille à travers les générations (1998), Paris, Odile Jacob.

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