Notes
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[1]
FOUCAULT M., 1972, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 624 p.
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[1]
La Fondation Eisai, créée par le laboratoire éponyme, centre son action sur les besoins de prise en charge sociale des personnes âgées et les problèmes éthiques et culturels posés par le vieillissement de la population.
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[2]
Le premier livre, de Godelier M., Jullien F. et Maïla J., s’intitule Le grand âge de la vie, Puf, Paris, 2005,176 p., cf. Retraite et Société, n° 48, Cnav, p.269,2006.
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[3]
La résilience est la reprise d’un type de développement après une « déchirure traumatique ».
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[4]
Les quatre contributions qui sont ici résumées sont complétées par une série de brefs commentaires regroupés à la fin du livre dans une rubrique « Aperçus ». Ils sont signés par Marie de Hennezel, François Jullien, Serge Koster, Joseph Maïla, Serge Marti et Bernard Vergely.
? ? Analyses critiques
Dire la démence : contribution de la médecine et de la littérature à la compréhension de la maladie d’Alzheimer Isabelle BAUTERS-VENDEUVRE Thèse de philosophie, Université de Marne-la-Vallée, 2004,445 p.
1De tout temps, l’humanité a été confrontée à la peur de la mort. Et au cours des siècles, certaines maladies (peste, lèpre, folie, cancer) en sont devenues le symbole pour une société donnée. Au XXe siècle, la démence est entrée dans cette catégorie. Considérée par Esquirol comme un stade évolutif de diverses entités morbides, elle est représentée dans le langage courant par l’une de ses formes identifiée par Alzheimer qui en a décrit le substratum organique au niveau du cerveau. Sa survenue habituelle à un stade avancé de l’existence humaine l’a fait considérer comme un effet pathologique du vieillissement. Elle est érigée par les psychiatres et les neurologues nord-américains en prototype des affections mentales où existe une corrélation entre des symptômes définis (troubles cognitifs) et des modifications anatomiques cérébrales observables. Elle constitue un des domaines privilégiés de recherche pour les neurosciences. Transposant la méthode utilisée et les données recueillies chez l’être vivant normal, ces disciplines envisagent chaque fonction psychique comme l’expression de la zone du cerveau qui est considérée comme son support. La psychologie devient une neurophysiologie. Dans cette perspective analytique, l’individu disparaît au profit de la description des éléments qui le constituent : sa subjectivité, ses possibilités de représentations, le poids de son langage ne sont plus pris en compte. Sa qualité de sujet, sa capacité de dire « je », en un mot sa personnalité, n’existent plus.
2Isabelle Bauters-Vendeuvre qui a une expérience de soignante auprès des personnes âgées, et notamment auprès des déments, analyse en philosophe les problèmes que pose une telle évolution des idées. Philosopher « implique l’usage de la parole et l’intérêt pour l’activité symbolique présente dans le discours qui, en se construisant, fait exister chaque homme pour lui-même et pour la communauté. »
3Au travers des propos livrés par les patients, il apparaît que « derrière le masque de la maladie se cachent des questions essentielles »; les manifestations observées font partie du temps de vieillir « qui devient un temps de retour aux origines et d’expériences de renoncements successifs ». Le processus qui les sous-tend est lié au vieillissement que notre société a tant de mal à intégrer dans la trajectoire humaine et qu’elle assimile, à tort, à la vieillesse. Cette période de l’existence est pourtant tout imprégnée de devenir; elle est aussi pourvoyeuse de richesses intellectuelles, affectives et culturelles. L’approche scientifique de la maladie se heurte à de nombreux problèmes : « comment se représenter la vacuité de l’esprit et reconnaître l’ignorance à laquelle se heurtent les schémas habituels de la pensée rationnelle ?» Peut-on refuser au malade sa qualité de sujet en se privant des apports de son travail introspectif ? La souffrance est-elle accessible sans l’énoncé du sujet sur son ressenti le plus intime ? Penser l’homme devient une tâche de plus en plus difficile à notre époque : « les avancées scientifiques, en déconstruisant l’humain, lui font perdre son mystère. La rationalité ambiante a gommé la dimension métaphysique pour ne s’attacher qu’aux manifestations extérieures qu’elle isole de toute existence psychique. »
4L’auteur relève les rapports étroits qui unissent folie et maladie d’Alzheimer. Plusieurs malades déclarent avoir l’impression que leur tête est vide et qu’ils se sentent devenir fous. S’inspirant du livre de Michel Foucault [1], Isabelle Bauters-Vendeuvre souligne l’effet négatif sur la société de la folie qui crée des peurs profondes justifiant l’exclusion de ceux qui en sont atteints. La folie est l’opposé de la raison qui lui est liée de façon dialectique. La signification de la folie a évolué : elle est devenue une « déraison », antithèse de la pensée et même de l’existence. Le fou est considéré comme un être à part, soumis au déterminisme naturel au détriment du respect des normes morales. Il est donc enfermé. L’hôpital général, créé au XVIIe siècle, est là pour l’accueillir, au même titre que les débauchés, les syphilitiques, les escrocs et les pauvres et pour lui redonner une normalité morale. Le fou, dépourvu de raison, est considéré comme incapable; son caractère humain disparaîtrait progressivement au profit d’une nature prétendue animale.
5Située dans le cadre de la déviance, la folie prend une dimension pathologique et devient une maladie mentale. Des difficultés dans le cheminement de la recherche concernant ce nouveau domaine de la médecine ont surgi. Ainsi, pour expliquer l’origine de ces désordres, il est impossible de leur appliquer les schémas fondés sur l’anatomie ou la physiologie, utilisés habituellement en pathologie organique, tant sont grandes les différences qui existent dans l’approche et les méthodes thérapeutiques appliquées dans chaque pays : « la maladie ne reçoit sa réalité de maladie qu’à l’intérieur d’une culture. » Le débordement des passions, qui appartiennent à la fois au domaine psychique et somatique, a été considéré par Philippe Pinel (1745-1826) comme l’élément basal de la folie. Celle-ci est alors devenue maladie mentale : celui qui en est atteint obtient le statut de sujet et doit être soigné. L’utilisation de la méthode anatomo-clinique pour la connaissance de la pathologie mentale débouche cependant sur quelques succès. La description par Antoine Laurent Bayle en 1822 de la méningo-encéphalite d’origine syphilitique en est un exemple. Cette même démarche a permis à Aloïs Alzheimer de décrire en 1906 les lésions de la maladie qui porte son nom.
6À l’heure actuelle, le statut de la maladie d’Alzheimer évolue. Dans notre société, son évocation induit des inquiétudes profondes, liées autant à sa fréquence qu’au caractère « impensé et impensable » des troubles qu’elle provoque, « dans une société qui a trop souvent réduit l’être humain à la somme de ses capacités intellectuelles tout en minimisant l’importance de la vie psychique inconsciente pourtant repérable dans les pathologies démentielles même les plus évoluées. » Le recours à la notion de perte anatomique et psychique, au retour à l’enfance, sont autant d’images visant à objectiver cette maladie mystérieuse qui crée chez le patient des comportements étrangers à une conduite totalement humaine. Notre société et les individus qui la composent éprouvent un profond bouleversement devant cet état qu’ils considèrent comme le fléau des temps modernes, tendance maximaliste souvent amplifiée par les médias.
7Les divers modèles théoriques proposés pour comprendre le mécanisme de ce processus morbide appartiennent surtout à la sphère organique. Ils sont centrés sur les troubles de la cognition : cette voie de recherche est « la seule reconnue officiellement dans les plans d’action contre la maladie ». D’autres hypothèses qui prennent en compte la psychogenèse, le démantèlement de l’appareil psychique, l’inadaptation au processus de vieillissement, le poids du groupe sur des individus fragiles, le rôle du stress, pourraient être également avancées. Elles sont effectuées par de rares chercheurs généralement considérés comme des marginaux.
8L’identification de la maladie est souvent malaisée. Il n’existe pas de marqueur biologique; les résultats des tests psychologiques, le recours à l’imagerie cérébrale n’apportent jamais de certitude totale. Ce flou est particulièrement manifeste chez le sujet âgé dont la pathologie est multiple et variée. Les traitements chimiques n’ont pas donné les résultats escomptés lors de leur mise sur le marché. Il faut recourir à des mesures d’aide pour lutter contre les effets de la dépendance. Nous sommes à la frontière du sanitaire et du social. Devant ces incertitudes, les médecins se raccrochent à deux séries de symptômes : les troubles de la mémoire, signe d’une lésion cérébrale, et les anomalies du comportement, expression de la folie du patient.
9La désignation de la maladie se fait au travers de vocables différents et ce flou complique la diffusion de l’information. Pour certains, la famille devrait seule bénéficier préférentiellement de l’information mais on veut à tout prix la ménager. Le malade, dès que le diagnostic est établi, n’est plus considéré comme un interlocuteur à part entière, il est en situation de mort sociale. Dans certains programmes de soins, il est relégué au second plan au profit des proches, qui occupent la place d’aidants. Il faut reconnaître que, tout au long de son évolution, l’affection remet en question l’équilibre de la famille. Cette pathologie du lien entraîne une nécessité de reconstruction permanente du réseau relationnel qui est toujours instable et menacé. La difficulté de poser un diagnostic ne permet pas d’évaluer avec certitude la présence de la maladie dont l’évaluation statistique diffère selon les sources. Il est toutefois certain que le nombre de cas est en augmentation constante. Comment se prémunir contre ce fléau qui est mal connu et pour lequel les médicaments proposés ont une faible efficacité ? La société préconise le diagnostic précoce, moyen de prévention efficace pour d’autres états. Des thérapies appliquées de façon durable auraient un bénéfice indéniable pour le patient et son entourage : soutien psychothérapique, sociothérapie, stimulation cognitive prenant la forme d’un entraînement; mais dans ce dernier cas, « n’a-t-on pas trop vite remisé la pensée et l’expérience subjective derrière la sportivité cérébrale ?» Au bout d’un certain temps d’évolution, l’institutionnalisation s’impose, même si les structures d’accueil proposées ne sont pas adaptées à ce type de patients. Pour retarder cette échéance, des moyens de prise en charge sont mis à la disposition des familles (centres de répit, réseaux, hôpitaux de jour, etc.). Le risque pour la personne âgée est de voir la résolution de ses problèmes confiée à divers spécialistes qui, parfois, s’ignorent les uns les autres. En gériatrie, la demande de formation des professionnels est grande : « Il existe un déficit important entre les connaissances techniques acquises en formation initiale et l’humanisme qui prévaut dans une relation de soins. Est-ce que cet humanisme s’acquiert, s’approfondit ou se cultive ?»
10Les enjeux liés à la maladie d’Alzheimer sont importants pour la société actuelle. Pour certains auteurs, la maladie serait un rempart construit pour éloigner le spectre de la mort, elle serait la conséquence de notre incapacité à intégrer la vieillesse dans la dynamique de la vie. L’approche strictement biologique de l’affection réduit le patient au silence en oubliant l’existence de sa subjectivité et l’importance de son langage. Les interrogations suscitées par les effets de la canicule de 2003 débouchaient sur une culpabilité à l’égard des plus faibles, tout particulièrement les plus âgés. Un débat philosophique s’impose pour anticiper l’humanité de demain : « seule l’idée de l’homme en nous disant pourquoi les hommes doivent être nous dit en même temps comment ils doivent être. »
11La maladie d’Alzheimer serait-elle une maladie de l’homme moderne ? Telle est la question que se pose l’auteur devant l’évolution actuelle de la médecine, tout imprégnée des données scientifiques. L’objectivité à tout prix, les vérifications expérimentales, la prise en compte exclusive du corps dans toute approche pathogénique ont bouleversé les relations médecin-malade. La richesse de l’expérience vécue, autrefois accessible par l’imaginaire, ne circule maintenant qu’à travers un symptôme qui « parle » au médecin. Selon Foucault, le regard porté sur le corps et transcrit dans le langage devient la base de la clinique et alimente le discours médical. Il est difficilement compréhensible par l’intéressé atteint. Alors que l’invisible est mis à jour par le biais de techniques très élaborées, tout devient obscur pour le patient. Dans ce contexte où la maîtrise de l’individu constitue un temps incontournable, la société exprime, à propos de la maladie, ses préoccupations à dominante économique et adopte des attitudes qui la protègent, telles que l’exclusion des plus faibles, la disparition de mots, vecteurs d’inquiétude, comme « démence », « dépendance ». Un fossé se creuse entre les constats cliniques, objectivement observés, et le vécu de la maladie par le sujet : tout un pan de son expérience se trouve éliminé ou, tout au moins, non exploité. La biologisation de l’existence humaine constitue un écran face aux questions que se posent les hommes. Dans cette perspective, tous les troubles rencontrés chez le vieillard ne peuvent être que la conséquence de la dégénérescence cellulaire; ils ne peuvent pas être envisagés comme des tentatives d’adaptation à l’environnement. Devant cet écart, entre le discours d’un malade, essayant de mettre en mots les souffrances qu’il éprouve, et le savoir théorique et impersonnel accumulé par le médecin, existe-t-il un espace de rencontre où les deux interlocuteurs arrivent à se comprendre ? Le jugement du praticien risque d’être faussé par un recours systématique à la norme, le plus souvent chiffrée car, selon Foucault, « c’est la vie elle-même et non le jugement médical qui fait du normal biologique un concept de valeur et non un concept de réalité statistique ». À vouloir expliquer la nature de la maladie d’Alzheimer en se référant uniquement à l’organicité, on oublie que le sujet, dans les affections mentales, devient malade quand le lien du présent au passé échappe au processus d’intégration progressive, que la prise en compte de son histoire par le biais de son propre langage constitue une étape incontournable dans le diagnostic de l’affection. Les mouvements de vie restent présents chez les personnes démentes mais l’absence de but de leur démarche annule toute possibilité d’échange sur le devenir. Or, « quelqu’un qui ne devient plus n’est plus personne » (Jankélévitch).
12Le contexte médicosocial actuel est dominé par l’écart existant entre le discours médical qui, tout auréolé de sa légitimité scientifique, valide l’origine organique de la maladie d’Alzheimer et les propos des malades qui « se sentent devenir fous » et « perdent la tête ». Si le premier est valorisé comme expression du pouvoir médical, le second n’est pas pris en considération. N’y aurait-il pas là le signe du maintien d’un tabou ? La demande du corps social à la médecine devient de plus en plus importante : guérison de troubles déclarés, prévention de maladies qui inquiètent (ESB, grippe aviaire, maladie d’Alzheimer). Même si les résultats obtenus ne sont pas toujours à la hauteur des espérances, l’optimisme est pourtant de règle. La médecine prend une place de plus en plus importante dans l’opinion publique : elle devient la référence incontournable pour répondre aux interrogations que pose la trajectoire vitale de chacun et, en premier lieu, à son début et à sa fin (avortement, euthanasie).
13L’embryon humain comme le dément sénile risquent un jour d’être soumis à une destruction volontaire, leur degré d’humanité étant considéré comme insuffisant. L’ensemble des cellules, provenant de la fécondation ou de la constitution d’un clone, pourraient être l’objet d’expérimentations, être utilisé pour régénérer un tissu en voie de dégénérescence ou pour réparer une anomalie génétique. L’embryon viendrait au secours du dément grâce à ce sacrifice imposé. Le dément pourrait, aussi, être l’objet d’une décision d’euthanasie.
14Les progrès dans l’investigation du vivant, réalisés par la biologie, ont fait d’elle la science toute-puissante qui permet à l’homme la concrétisation de ses désirs, même les plus invraisemblables. Le corps, par le biais de la physiologie et de la génétique, est devenu la seule référence à laquelle on a recours pour expliquer l’ensemble des spécificités humaines. Le poids des apports de la parole dans la construction de l’humain est de plus en plus ignoré. La part de l’histoire personnelle dans l’élaboration de la personnalité n’est plus prise en compte. La possibilité du développement de l’embryon in vitro, à plus forte raison du clonage, entraîne une mise entre parenthèses des géniteurs et de leur désir, bouleverse la généalogie et crée une confusion de générations. L’apport indispensable de la culture et des mythes qu’elle véhicule dans la structuration du psychisme du jeune enfant n’est plus reconnu. Dans ce contexte de toute-puissance, la création de l’homme idéal n’est plus exclue. Dès lors, le dément est uniquement envisagé sous l’angle de ses pertes, le vieillissement différentiel devient une pathologie : « cette approche biologisante de la fin de vie […] néglige les caractéristiques humaines fondamentales que sont le maintien de l’identité et la permanence du soi. » Pour notre société contemporaine, cette maladie est devenue une métaphore, désignant le plus grand fléau de notre époque qu’il faut combattre à tout prix. Isabelle Bauters-Vendeuvre analyse la situation actuelle : la raison est devenue la référence unique dans le développement du savoir au détriment de la poésie. Dans la connaissance de l’homme, cette procédure est devenue une pensée unique, imposant son totalitarisme à l’ensemble des approches de l’humain, y compris à la conscience de soi et aux relations interhumaines. Or, la constitution de l’identité de soi en tant que fondement de la personne dépasse largement ce niveau strictement cellulaire. Elle implique le langage comme fonction de représentation et de récit de vie, elle nécessite la présence de l’autre comme facteur de prise de conscience de soi, facteur déterminant dans l’élaboration de nos moyens de communication. Cette élaboration verbale permet d’accéder au plus profond de cet être incarné qu’est l’homme, au niveau de son ressenti que sont ses émotions et sa souffrance. Il en résulte le primat de la vie sur la pensée.
15La nouvelle méthode de connaissance du malade utilisera le texte comme domaine d’investigation, plus particulièrement celui du récit fait par des proches au cours du développement de la maladie d’Alzheimer. Vingt-quatre livres publiés en langue française au cours de ces dernières années seront présentés et analysés. Cette nouvelle approche de la problématique que vivent le malade et ses proches donne une perspective plus large et plus dense que celle fournie par le biais de la raison, de la science et de ses seules techniques. Il tend à valoriser l’image de l’homme, même s’il est atteint d’altérations cognitives. Il illustre l’idée de Kant selon laquelle « pour qu’un homme soit, il faut qu’il soit reconnu comme un être moral, ce qui fait de la dimension éthique de l’existence la seule capable de fonder la réflexion sur l’homme ».
16Isabelle Bauters-Vendeuvre formule une question essentielle pour notre société : comment la maladie d’Alzheimer est-elle devenue une entité quasi mythique, génératrice d’inquiétudes pour le devenir du genre humain, et une cause de peur pour chaque individu dans la mesure où il avance vers la vieillesse ? Dans une discussion qui repose sur des arguments bien documentés et une réflexion très rigoureuse, elle fait œuvre de philosophe, « dans un va-et-vient incessant du savoir à l’ignorance ». Elle montre comment, selon les vues de Michel Foucault, la démence se situe en prolongement de la folie dans l’inconscient collectif, et correspond à la disparition de la raison, fonction par laquelle l’homme se distingue des autres êtres vivants. La prééminence du rationnel dans le développement des connaissances actuelles en biologie risque de faire oublier l’existence de l’imagination, du langage, de la subjectivité autrement dit le monde de la poésie qui constitue une des bases de l’esprit humain. Elle contribuerait à faire du dément un sous-homme en régression vers le niveau animal, position dont les incidences éthiques sont majeures.
17L’analyse littéraire des œuvres (romans et témoignages) mettant en jeu le dément montre que la vie se perpétue jusqu’à la fin de l’existence. Ce constat renvoie à la persistance des mystères dans la connaissance de l’homme; il devrait susciter des réflexions approfondies sur ce thème, principalement chez les biologistes.
18Par Jean-Marie LÉGER, Université de Limoges et Comité d’orientation de la Fondation Méderic Alzheimer
Le revenu de la retraite : développements récents et propositions Francis KESSLER Tendances de la cohésion sociale, n° 13, Éditions du Conseil de l’Europe, Paris, 2005,49 p.
19Trouvant sa source dans les travaux d’un groupe de réflexion sur la sécurité sociale établi par le Comité européen sur la cohésion sociale au sein du Conseil de l’Europe, cet ouvrage s’efforce d’examiner les conséquences, pour la cohésion sociale et l’égalité entre hommes et femmes, des réformes récentes intervenues dans les systèmes européens de pensions de vieillesse, en particulier le financement privé de celles-ci. Si cet ouvrage publié à la fois en français et en anglais est peu volumineux (il comprend une cinquantaine de pages pour chacune des deux langues), il n’en mérite pas moins, compte tenu des analyses et suggestions qu’il contient, d’être lu et médité par tous ceux qui s’intéressent à l’avenir de nos systèmes de retraite.
20Ce travail s’articule autour de quatre temps forts. Tout d’abord, Francis Kessler rappelle les grandes tendances qui caractérisent l’évolution de la protection sociale en général : retour à l’emploi des bénéficiaires de prestations sociales, place nouvelle occupée par les techniques individuelles de protection, recentrage des politiques vers les populations les plus défavorisées, rôle croissant de la fiscalité. Ensuite, l’auteur traite plus spécifiquement des réformes ayant affecté ces derniers temps les systèmes de retraite en question : limitation des retraites par répartition, accroissement des retraites par capitalisation, développement du rôle attribué au secteur privé. Puis il s’attache à dégager quelques pistes de réflexion en forme de propositions destinées à remédier aux insuffisances et défauts du droit actuellement en vigueur. Enfin, et fort logiquement, il entreprend d’identifier les instruments juridiques du Conseil de l’Europe auxquels il peut être fait référence pour une initiative en la matière.
21Le travail n’est pas à proprement parler comparatif : en effet, il n’entend pas comparer les différents éléments des règles de calcul ou les conditions d’éligibilité au système. De même, il ne se fixe pas pour but l’évaluation des systèmes : il s’efforce bien plutôt – ce qui est finalement beaucoup plus fécond – de présenter les éléments caractéristiques ainsi que les grandes tendances des réformes déjà effectuées afin de pouvoir corriger les effets néfastes produits (ou susceptibles d’être produits) par les évolutions en cours.
22Les constats auxquels l’auteur aboutit sont au demeurant fort éclairants, à défaut d’être en tous points originaux.
23Il observe tout d’abord que les tendances actuelles vont vers plus de contributivité des pensions, celles-ci comprenant de moins en mois d’éléments de solidarité entre les membres des catégories visées par la législation des pensions de vieillesse. Au nom d’une certaine conception de « l’équité », les pensions de retraite reflètent de plus en plus la carrière des assurés. En conséquence, ceux qui gagnent plus et cotisent plus longtemps continuent à percevoir une pension décente, alors que ceux qui gagnent peu et/ou ont eu une carrière interrompue, ainsi que ceux qui entrent et sortent souvent du marché du travail, se voient pénalisés par un montant de retraite peu élevé. Il constate par ailleurs que ces catégories n’ont pas, ou difficilement, accès à la protection complémentaire dite professionnelle, du fait de leur précarité au travail. De plus, elles n’ont pas suffisamment de revenus pour pouvoir bénéficier (du moins pleinement) des avantages fiscaux accordés dans le cadre des politiques de promotion de l’épargne à long terme en vue de la retraite. Le recours à la technique de l’épargne, comme mode de couverture alternatif à un mécanisme de solidarité fondé sur la répartition, accentue dès lors les inégalités car tout le monde n’est pas égal devant l’épargne.
24C’est dire que tout semble être en place pour voir réapparaître la pauvreté durant la vieillesse. La situation est particulièrement peu claire pour les travailleurs mobiles : les régimes privés connaissent en effet souvent des périodes de stages défavorisant de facto les travailleurs mobiles. Aujourd’hui, seuls les travailleurs mobiles au sein de l’Union européenne bénéficient de règles de non-discrimination grâce au principe de portabilité transnationale des pensions. Celles-ci ne sont néanmoins pas encore transposées dans les États membres. Le travailleur mobile est ainsi défavorisé par rapport au travailleur sédentaire; de même, le travailleur mobile au sein d’un pays peut se voir défavorisé par rapport au travailleur en situation de mobilité communautaire.
25Des problèmes se posent également dans le domaine de l’égalité entre hommes et femmes. Autant la question des droits dérivés dans les régimes légaux de base a connu une évolution positive, autant cette question n’a pas été réglée dans les dispositifs d’assurance vie. Le mécanisme de réversion, qui existe dans les régimes de base, n’existe pas nécessairement dans les assurances privées, l’assurance en cas de vie n’est en effet pas nécessairement doublée d’une assurance décès au profit des membres de la famille. De même, les règles concernant les retraites complémentaires, notamment les régimes à cotisations définies, ne sont pas nécessairement valorisables et valorisées dans le partage de patrimoine au moment du divorce. Il en résulte que, sauf disposition législative expresse, plus la part de ce type de prestations est importante dans le revenu à la retraite, plus la protection de l’ex-conjoint qui ne travaille pas sera faible.
26Pour l’auteur, les pistes qu’il convient d’explorer pour résoudre ces problèmes de fond résident dans une réactualisation du principe de solidarité. Cela implique, notamment, que les contributions ne soient pas le simple reflet actuariel du risque; mais aussi que soit maintenue l’obligation d’accepter tous les individus sans sélection des risques, en fonction par exemple de critères de santé; qu’il n’y ait pas d’interruption du paiement des cotisations en cas de suspension du travail ou de périodes d’inactivité non volontaires; que les prestations soient indexées afin de tenir compte dans une certaine mesure de l’inflation; enfin, que l’équité, entendue comme un traitement différencié en fonction de la carrière, soit circonscrite, à défaut d’être prohibée.
27Pistes qui, si elles pourront sans doute paraître à certains quelque peu irréalistes car ne cadrant pas parfaitement avec le phénomène actuel de mondialisation et de globalisation de l’économie et, au-delà, avec le système dit des « trois piliers » préconisé par la Banque mondiale, n’en sont pas moins – c’est l’un des principaux mérites de l’ouvrage – en phase avec un certain nombre d’orientations, de recommandations, voire de dispositions énoncées au sein du Conseil de l’Europe : ce qui tendrait à prouver, finalement, que beaucoup est affaire ici de volonté politique et que si le pire est probable, il est loin, cependant, d’être certain.
28Par Michel BORGETTO, Université Paris 2 (Panthéon-Assas)
La cohérence de l’intervention publique. Concept, mesure et application à la loi portant réforme des retraites Isabelle BRIDENNE Thèse d’économie, Université de Nancy 2,2006,467 p.
29Cette thèse porte sur un sujet qui n’est pas suffisamment examiné compte tenu de son importance, surtout dans la période actuelle où les politiques publiques ont de plus en plus souvent l’ambition d’agir sur les comportements, ce qui pose au moins implicitement la question de leur cohérence. Le sujet a aussi un intérêt interdisciplinaire puisqu’il relève aussi bien du droit, des sciences politiques que de l’économie. Il dépasse donc largement le cercle des économistes.
30Ce qui frappe de prime abord à la lecture de la thèse, c’est la rigueur avec laquelle est conduite la démarche, qui est de nature analytique. Cela étant, à trop vouloir décortiquer le problème posé, la thèse finit par générer un sentiment diffus de fragmentation, si bien qu’on aimerait voir figurer une synthèse que l’on n’y trouve pas. Mais, paradoxalement, c’est précisément son caractère ouvert qui donne sa valeur à cette recherche. Il faut en effet résister à la tentation de la synthèse. Isabelle Bridenne s’est refusée à hiérarchiser les enseignements qu’elle a tirés de son travail. Toutefois, elle a pris soin, lorsque cela était possible, d’illustrer concrètement plusieurs aspects de son analyse théorique en l’appliquant à la loi d’août 2003 portant réforme des retraites. En bref, tout se passe comme si elle considérait que ce n’est pas à elle de décider si tel aspect du problème est plus important que tel autre. Simplement, au terme de son investigation, elle a mis sur la table de nombreux sujets d’interrogations ultérieures. Le juriste, le politologue ou l’économiste choisiront.
31Pourquoi analyser la cohérence de l’action publique ? Il y a au moins deux raisons à cela. La première répond simplement à un objectif de connaissance : donner de la consistance au concept de cohérence qui est plus ou moins explicitement présent dans les discours, les débats, les analyses autour de l’action publique, mais qui n’est jamais défini ou ne l’est que trop rarement. Deuxième raison : étudier, à partir et au-delà de sa seule cohérence, la valeur, la qualité de telle ou telle intervention publique, bref l’évaluer. Et cela devrait d’ailleurs être dans l’intérêt bien compris du pouvoir politique responsable de l’intervention. Car toute intervention publique, à condition bien sûr qu’elle ait une ampleur et une ambition minimales, est une forme d’engagement dudit pouvoir vis-à-vis des citoyens dans leur ensemble, et en particulier de ses électeurs. Dans ce contexte, si la mise en œuvre d’une intervention produit des effets inattendus consécutifs à une incohérence repérable à un niveau ou un autre, et si ces effets se révèlent contredire un ou plusieurs objectifs affichés, il y a là comme une forme de tromperie qui risque de se retourner contre le pouvoir politique en place, surtout si ses électeurs sont touchés par ces effets. D’où cette deuxième motivation à l’étude de la cohérence qui repose sur l’évaluation des interventions publiques. Isabelle Bridenne aurait peut-être pu replacer, plus nettement qu’elle ne l’a fait, le concept de cohérence dans le processus global d’évaluation de l’action publique, le mettre en relation avec les concepts d’efficacité, d’efficience, et avec ceux d’évaluation ex ante et d’évaluation ex post.
32La pertinence du sujet ne fait donc aucun doute. Après avoir posé la problématique de la cohérence, en réfléchissant notamment sur les multiples définitions et usages du terme, Isabelle Bridenne intègre le concept dans le cadre de l’action publique. Elle part du principe que l’action publique consiste en un ensemble de dispositifs ou d’interventions qui ont lieu dans un contexte social et économique daté et situé. Ce sont ces interventions, prises les unes à côté des autres, qui sont les objets d’analyse.
33À ce stade, on pressent la complexité du problème. Isabelle Bridenne distingue trois niveaux d’examen. Le premier est celui de la cohérence interne, c’est-à-dire la cohérence entre les divers éléments composant une intervention et qui seront détaillés dans la suite de l’ouvrage. C’est peut-être le niveau le moins délicat à analyser, à condition d’avoir pu au préalable délimiter avec un minimum de précision l’intervention que l’on souhaite analyser. C’est le cas lorsqu’elle est identifiée par un texte de loi. Ainsi, la loi d’août 2003 portant réforme des retraites identifie une intervention publique sur le système des retraites.
34Le deuxième niveau, celui de la cohérence externe, autrement dit de la cohérence entre plusieurs interventions composant l’action publique, est en règle générale beaucoup plus difficile à analyser. En effet, très souvent, chaque intervention concerne directement ou indirectement plusieurs domaines. Étudier la cohérence entre plusieurs interventions suppose alors de les avoir identifiés. Et cela peut se révéler particulièrement complexe. Pour rester sur l’exemple de la loi d’août 2003, ce texte comporte un volet important sur l’emploi des seniors. À ce titre, la loi peut être considérée comme une intervention relevant d’une politique publique de l’emploi. Cela étant, l’emploi des seniors n’est pas sans lien avec l’emploi des jeunes. C’est ce qu’il y a derrière les réponses de ces retraités qui, lorsqu’on leur demande la raison de leur départ à la retraite, répondent que « c’est pour laisser la place aux jeunes ». En conséquence, à partir du moment où la loi d’août 2003 peut avoir des répercussions sur l’emploi des jeunes, sa cohérence avec d’autres interventions relevant de la politique publique de l’emploi et visant plus spécifiquement les jeunes doit être regardée.
35Troisième niveau, la cohérence contextuelle, en d’autres termes le lien entre l’intervention et son contexte. Il s’agit de savoir si l’intervention est bien adaptée au contexte. C’est en effet une question importante. Mais ce n’est qu’une partie du problème. Car l’intervention publique a tout de même pour vocation, certes à des degrés divers, d’agir sur les comportements, ce qui peut conduire à modifier le contexte. D’où la difficulté de l’analyse.
36En théorie donc, l’analyse complète de la cohérence exigerait d’examiner successivement ces trois dimensions. Vu l’ampleur de la tâche, c’est probablement illusoire. Cela explique qu’Isabelle Bridenne se soit concentrée, en tout cas dans la partie appliquée de son travail, sur le premier niveau de l’analyse.
37Comment alors analyser la cohérence interne ? Isabelle Bridenne propose d’abord de décomposer une intervention en trois phases. La première est la phase d’élaboration, qui aboutit au texte de loi voté. La deuxième phase est celle de la formulation de l’intervention, à travers notamment les décrets d’application. Troisième et dernière phase : la mise en œuvre, via par exemple les circulaires. À chaque phase correspond une analyse particulière : l’analyse des risques d’incohérence lors de la phase d’élaboration; l’analyse des incohérences potentielles lors de la formulation; l’analyse de la réalité ou de l’effectivité des incohérences potentielles lors de la mise en œuvre. Cette distinction est tout à fait pertinente. Les deux premières analyses – les risques d’incohérence en phase d’élaboration et les incohérences potentielles en phase de formulation – relèvent de l’évaluation ex ante, c’est-à-dire avant que l’intervention ne s’applique et ne produise des effets. La troisième – l’effectivité des incohérences potentielles – relève quant à elle de l’évaluation ex post, autrement dit une fois que l’intervention est mise en œuvre. Cette perspective est très intéressante, car elle établit le lien entre évaluation ex ante et évaluation ex post.
38Assimilons pour simplifier risques d’incohérence et incohérences potentielles. Comment les repérer ? Pour ce faire, Isabelle Bridenne décompose une intervention en plusieurs éléments, et distingue les objectifs de l’intervention (avec une distinction complémentaire entre objectifs principaux et objectifs intermédiaires), les mesures et les moyens. Les incohérences potentielles se détectent alors en mettant ces différents éléments en relation deux à deux, et ce de manière quasi systématique. Il s’agit ainsi de croiser tous les objectifs principaux et tous les objectifs intermédiaires, puis les objectifs avec toutes les mesures. En analysant le texte de la loi d’août 2003, Isabelle Bridenne dénombre quatre objectifs principaux, dix-sept objectifs intermédiaires (donc vingt et un objectifs principaux ou intermédiaires), et quarante-deux mesures. Soit 882 relations de cohérence à examiner. C’est un travail titanesque. Il est évident qu’il faut se restreindre à un sous-ensemble de ces relations, en sélectionnant celles jugées les plus importantes à examiner.
39Un tel choix n’est jamais aisé. Peut-être serait-il souhaitable, en première approche, de ne pas distinguer objectifs principaux et objectifs intermédiaires, mais d’utiliser les seconds pour bien identifier les premiers, qui ne sont pas toujours très explicites. Le fait de cerner le plus précisément possible les objectifs d’une intervention facilite ensuite le travail de repérage d’éventuelles contradictions entre objectifs.
40La question des incohérences potentielles entre les objectifs et les mesures envisagées est cruciale. La création par la loi sur les retraites d’une « surcote » – le supplément de pension accordé à toute personne qui continue de travailler après 60 ans et au-delà de la durée nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein – est un bon exemple. A priori cette mesure répond à l’objectif de la loi de donner davantage de souplesse et de liberté de choix dans la construction de la retraite. Elle a clairement un caractère incitatif. Dès lors, s’il se trouve que beaucoup de personnes remplissent les conditions pour en bénéficier sans changer leur comportement et sans par conséquent cotiser plus longtemps, si, en d’autres termes, l’effet d’aubaine de la mesure est important, alors le quatrième objectif de la loi (garantir le financement des retraites) risque fort de ne pas être atteint. Notons en passant que cette question de la cohérence entre objectifs et mesures peut très avantageusement être traitée par des méthodes de microsimulation qui connaissent aujourd’hui un net regain d’intérêt.
41Pour terminer, Isabelle Bridenne dessine un canevas possible des méthodes permettant d’étudier la réalité des incohérences potentielles, de faire de l’évaluation ex post de la loi, tout en soulignant le fait que l’on manque évidemment de recul pour mener l’opération.
42En conclusion, les questions examinées par Isabelle Bridenne sont, de toute évidence, loin d’être factuelles. À partir du moment où l’action publique manifeste l’engagement de l’État envers ses citoyens, la cohérence d’une politique publique, qui en conditionne la réussite, est sans aucun doute une composante importante d’une bonne gouvernance politique.
43Par Cédric AFSA-ESSAFI, Insee
Penser le temps pour lire la vieillesse Claudine ATTIAS-DONFUT, Boris CYRULNIK, Étienne KLEIN, Robert MISRAHI Fondation Eisai, Puf, Paris, 2006,204 p.
44Cet ouvrage publié par la Fondation Eisai [1] est le second d’un cycle qui a pour ambition de proposer différentes significations du « vieillir » [2]. Il s’agit ici, en l’occurrence, de penser le temps pour mieux lire la vieillesse. À cette fin, quatre points de vue ont été sollicités : celui d’un physicien (Étienne Klein), d’un philosophe (Robert Misrahi), d’un neurologue (Boris Cyrulnik) et d’une sociologue (Claudine Attias-Donfut).
45Étienne Klein avoue d’abord son embarras. En effet, bien qu’il existe trois cents thèses sur le vieillissement entre lesquelles il est bien difficile de choisir, la mort reste un problème scientifique non résolu : nul ne sait pourquoi ni « de quoi » nous mourons. Nous sommes d’ailleurs également bien en peine de définir la vie. Admettons cependant qu’elle est tout le contraire d’une relation d’indifférence avec le milieu et le temps. Le temps ! La réflexion philosophique s’en est emparée il y a vingt-cinq siècles et se partage encore aujourd’hui entre les partisans d’Héraclite et ceux de Parménide, entre les adeptes du mouvement et ceux de la permanence. S’immisçant dans cette joute intellectuelle, la physique a choisi le camp de Parménide. En effet, elle exprime le devenir à partir d’éléments qui échappent au devenir; elle décrit des évolutions à partir de règles qui sont mais ne deviennent pas. Mais en s’exprimant ainsi, on risque d’entretenir la confusion. En effet, le temps n’est pas assimilable au devenir : il n’est pas la durée mais ce qui produit la durée; il n’est pas non plus le mouvement mais ce qui balise le mouvement. Il est en fait ce qui maintient le monde dans la continuité d’un présent. Le temps affecte la personne autant dans son devenir que dans son immobilité. Il agit aussi lorsque nul changement ne se produit du fait qu’il maintient la présence du présent. Autrement dit, si le devenir présuppose le temps, le temps n’implique nullement le devenir. C’est du moins ce qu’a compris la physique moderne qui opère une distinction entre les deux.
46Ce temps abstrait des scientifiques, observe Robert Misrahi, ne rend pas compte du temps vécu, c’est-à-dire de la conscience qualitative de la durée, du passage du passé au futur via le présent. Ce temps concret est conscience même de l’action en train de se déployer pour se diriger vers un but. Or, viser des objectifs, c’est désirer. Si bien que « le temps vécu est la qualité temporelle du désir ». En commentateur fidèle de Spinoza, l’auteur note que le désir est l’affirmation d’une puissance intérieure, d’un élan vital visant à combler un manque. Il est aussi motivation : il construit ses propres objets et en instaure la valeur. Il est enfin spéculaire puisqu’il ne se rassasie que dans une relation positive et réussie à autrui. Or, les vécus de la vieillesse – déchéance physique, inutilité sociale, angoisse de mort – et les comportements qu’ils suscitent portent à renoncer à la fécondité du temps, c’est-à-dire à la force du désir. Il est à la fois possible et nécessaire de changer cette perspective. Possible car le sujet est maître de ses attitudes et de ses manières d’être : il les crée et peut les modifier. Nécessaire car l’essence même de l’homme étant le désir, la poursuite de la joie est sa vocation. Autrement dit, les contenus négatifs de la conscience sont négation de la conscience dans son essence la plus profonde : la souffrance et la douleur sont le mal même qu’une morale de l’accomplissement se doit de combattre.
47Une éthique du grand âge doit aménager le passage du négatif au positif. Alors que le travail du médecin, et particulièrement du gérontologue, doit se concentrer sur la préservation des forces vitales du sujet, celui-ci doit opérer une conversion de sa conscience. Il s’agit de ressentir la puissance créatrice du désir et de s’inscrire dans une dynamique existentielle positive, autrement dit de se convaincre que l’existence est vouée à son propre accomplissement et à la joie qui en découle. La vie humaine n’est pas condamnée à la souffrance mais destinée au bonheur et à la sérénité. Ce n’est pas la mort qui révèle le sens de la vie mais la vie elle-même, l’action constante dans un présent significatif porté à la fois par son passé et son avenir. Cette sagesse pour la vieillesse, cette capacité à saisir le présent comme satisfaction et contentement suppose la définition de projets qui s’appuient sur le désir et les compétences du sujet et qui puissent être valorisées par la présence et la coopération des autres. Mais cette entreprise de renaissance est également conditionnée par un renforcement des relations à autrui dont l’amitié et l’amour devraient être les maîtres-mots.
48Ici s’affirme une nouvelle approche de la mort. Elle n’est plus une tragédie qui brise le mouvement et le sens d’une action. Elle n’est plus ce qui vide la vie de son sens. Elle n’est plus l’élément primordial de l’existence, mais simplement un moment inévitable et secondaire. En renonçant à une immortalité fantasmatique, à l’illusion d’une action éternellement durable et susceptible de s’accomplir en un achèvement complet, le sujet rend au présent vivant toute son intensité et sa richesse. Il s’agit bien d’une véritable sagesse faite de lucidité active et joyeuse, de maîtrise de soi et de la mort. Cette sagesse du grand âge rejoint la plénitude de la sagesse que la plupart des doctrines philosophiques s’efforcent de définir et de proposer à notre réflexion. La médecine est donc habilitée à prolonger indéfiniment la vie humaine puisque la jouissance de vivre est en fait l’ultime valeur qui fonde et justifie toutes les autres. On parle bien de jouissance de vie. Elle implique qu’on ne s’autorise de soins que sur le fondement du désir du sujet. Mais elle implique aussi la limitation, voire l’éradication de la douleur, celle-ci entravant les capacités réflexives du sujet et sa maîtrise de soi. Ces considérations – faut-il le souligner ? – relèguent à un niveau subalterne les analyses comptables sur l’inflation des dépenses de santé pour les personnes âgées.
49Le point de vue du neurologue complète très heureusement celui du philosophe. Boris Cyrulnik, spécialiste de la « résilience » [3], note qu’un trouble de la conscience du temps provoque des troubles de la socialisation. Ainsi, une personne qui ne vit que dans le présent, donc incapable d’anticiper, ne peut pas se représenter les effets de son comportement sur autrui. En outre, l’aptitude à se décentrer de l’immédiat, à penser le passé et l’avenir permet d’attribuer du sens et de « transfigurer » ce qu’on perçoit. Or ce sont nos désirs qui donnent du sens à nos perceptions. Cela signifie que si l’on vit dans une succession de moments banals, si plus rien ne nous apparaît saillant, si tous les instants se ressemblent, on tombe dans l’engourdissement. Le sujet est alors conduit à la « non-vie psychique ». A contrario, la sensation de vie naît de la différence entre les informations que nous recevons, la notion de durée pouvant être imputable à cette différence. Boris Cyrulnik souligne également que l’isolement sensoriel est la pire des altérations biologiques, la pauvreté du quotidien provoquant, là encore, une atrophie cérébrale. Des expériences conduites sur des singes privés de sollicitations sensorielles ont montré qu’ils vieillissent prématurément. En revanche, leur resocialisation entraîne une disparition des troubles. Ces animaux reprennent un type de développement normal même si la blessure a laissé des traces neurologiques.
50Il est donc possible de remanier ce qui nous est arrivé. Il est également possible, à tout âge, de travailler cette représentation du temps qui permet d’éprouver la vie et le réel, la travailler par la mémoire, les récits, la projection dans l’avenir, la rêverie. Parmi les milliards de mots et d’images qui entourent un sujet depuis sa naissance, il en retient quelques-uns qui le constituent. Avec l’âge, cette « identité narrative » s’affirme toujours davantage : une personne sait mieux que jamais qui elle est, ce qu’elle aime, ce dont elle est capable. Elle optimise ce qu’elle a acquis, devenant de plus en plus en plus performante dans un domaine de plus en plus étroit. Le vieillissement, en dilatant la représentation du temps, augmente l’aptitude d’un individu à donner du sens à ce qui lui arrive. Même en cas de difficultés biologiques, il peut faire fonctionner cette mémoire explicite, particulièrement grâce aux interactions affectives. Il existe donc un potentiel de richesse, une activité de représentation du temps individuel, familial et culturel susceptible de modifier la manière dont une vieillesse se ressent.
51La sociologie, elle, « fait dériver le temps de l’activité collective des hommes en société en y englobant les inconciliables que sont le temps phénoménologique et le temps cosmologique ». Claudine Attias-Donfut note que si chaque culture a sa propre façon d’appréhender et de codifier le temps, le temps social se construit par la succession des générations. Celles-ci s’identifient à des événements remarquables qui appartiennent à une mémoire collective assurant la continuité entre le passé et l’avenir. Chaque génération se définit par rapport aux autres dans une référence/opposition permanente. Tout individu a conscience d’appartenir à une génération du fait même qu’il est un sujet historique et qu’il possède une représentation du temps. Cette conscience de génération apparaît à l’adolescence, au moment où mûrit la personnalité, où l’homme montre un intérêt croissant à son environnement politique et social et s’éveille à de nouvelles formes d’engagement. À partir de ces prolégomènes, l’auteur indique que l’étude du temps de la vieillesse revêt trois dimensions. La vieillesse se confond d’abord en grande partie avec la retraite, c’est-à-dire avec le temps libre. C’est en outre une période propice à l’observation rétrospective des transformations et des significations diverses que le temps a connues tout au long d’un parcours de vie. Enfin, elle est un moment socialement assigné à une fonction de mémoire, à la marge du temps présent. Mais l’image persistante des « vieux » est celle « d’immigrés dans le temps ». Claudine Attias-Donfut explique que « vieillir, c’est faire l’expérience d’un décalage temporel par rapport au reste de la société : rythme biologique, le temps de son âge, le temps générationnel et le temps hors travail. » Par là s’expliquent peut-être les stéréotypes péjoratifs qui qualifient la vieillesse. Ces images sont pourtant démenties par la psychologie du vieillissement qui a mis en évidence les changements positifs de la personnalité avec l’avancée en âge.
52Le format modeste de ce livre est compensé par la richesse et l’utilité de son contenu, même s’il lui manque l’éclairage de l’historien [4]. Les textes, qui se font écho l’un à l’autre, légitiment non seulement au plan éthique mais aussi au plan philosophique les solidarités individuelles et collectives dont bénéficie la vieillesse. Cette justification, explicite chez Robert Misrahi, est implicite chez les autres auteurs. Mais ce n’est pas tout. Dans notre société de mouvement, subjuguée par l’innovation et le fantasme d’une jeunesse éternelle, le temps est pour ainsi dire écrasé. Il est devenu un espace parallèle à celui de son présent permanent, un temps magmatique, un non-lieu halluciné où tout se vaut, le temps de la vitesse aussi, ce fameux « temps réel » auquel l’électronique fait accéder. Dès lors, l’opportunité de prendre son temps pour penser le temps prend toute sa valeur de moment rare. Et les auteurs de cet ouvrage, en entrouvrant quelques fenêtres sur l’infiniment grand et l’infiniment petit, ont le talent d’inciter le lecteur à la méditation, ce composé subtil de rêverie poétique et d’élaboration conceptuelle.
53Par Philippe DAVEAU, Direction des recherches sur le vieillissement, Cnav
La France injuste, 1975-2006 : pourquoi le modèle social français ne fonctionne plus Timothy B. SMITH, Éditions Autrement, 2006, Paris, 349 p.
54« Que représente l’État providence français pour ceux qui sont nés entre 1920 et 1950 ? Tout. Un succès fantastique. Pour ceux qui sont nés entre 1950 et 1960, le bilan est mi-figue, mi-raisin. Et pour ceux qui sont nés après 1960 ? Rien d’autre qu’une longue attente dans une queue à l’ANPE, des impôts, un système d’assurance sociale trop lourd et une qualité de vie inférieure à celle de leurs parents » (p. 324). Tel est, résumé par son auteur, Timothy B. Smith, le bilan brutal de son étude consacrée à l’État providence français, à partir de 1975, date approximative de l’épuisement des « trente glorieuses ».
55Qui est Smith ? Un professeur canadien, attaché au département d’histoire de l’université Queen’s de Kingston, Ontario, PhD. de l’université Columbia de New York, spécialiste de l’histoire de la protection sociale et de l’État providence en France et de la comparaison des systèmes de politiques sociales. Il a passé plusieurs années en France et alimente son analyse tant aux sources françaises en la matière, qu’européennes (particulièrement anglaises) et américaines. Ces dernières sont très importantes, mais souvent peu connues et peu utilisées en France, bien qu’elles soient généralement reconnues pour leur rigueur exemplaire.
56Ses arguments sont clairs : la politique sociale d’un pays est radicalement différente, selon qu’elle est orientée vers les intérêts catégoriels des groupes qui ont réussi à accaparer et à contrôler les ressources, ou selon qu’elle est orientée vers la création d’emplois et l’insertion professionnelle des catégories les plus vulnérables. C’est ce qui oppose fondamentalement les régimes d’État providence « corporatistes » (France, Allemagne, Italie, Belgique) aux régimes « nordiques », incluant selon l’auteur le Canada, qui tentent de concilier – et y parviennent relativement bien, tels le Danemark, la Suède et la Finlande – flexibilité, ouverture aux aléas du marché et sécurité. Smith offre surtout, par la comparaison implicite avec ce type de régimes qui sous-tend son analyse, une alternative à la dynamique sociale dans laquelle le régime français semble s’embourber, particulièrement en ce qui concerne les retraites. Cette dynamique a un prix, inacceptable pour l’auteur : celui de la mise à l’écart des jeunes qui paient plus que leur part des ratés du système et qui sont les vrais sacrifiés des privilèges de ce système. Invoquera-t-on le poids des contraintes de la mondialisation ? Erreur d’analyse ! Pour Smith, la mondialisation n’empêche pas un pays d’avoir un système social redistributif, l’adaptation n’entraînant pas nécessairement plus d’inégalités, comme on le constate en Grande-Bretagne et aux États-Unis; par ailleurs, la « solidarité » est assez souvent un leurre, un discours qui dissimule un système économique et social largement orienté vers la préservation des privilèges de classe et d’âge. N’étant pas directement concerné, compte tenu de ses origines nationales, et encore moins directement impliqué dans les débats français, l’auteur peut développer, grâce à un appareil international de connaissances rigoureuses, une analyse sans concession de la situation française.
57Le diagnostic est sans appel : « Les dépenses sociales de la France sont presque aussi importantes que celles de la Suède, mais la première a un taux de chômage deux fois supérieur et un taux de pauvreté trois fois plus élevé. D’inquiétantes inégalités sociales et économiques se nichent au cœur même du système social français. Il [y a] incapacité des dirigeants français à réformer des politiques dont l’échec manifeste a été prouvé par toute une série de rapports gouvernementaux. Une grande partie des problèmes économiques et sociaux de la France résulte directement de politiques sociales, fiscales et économiques verrouillées dans le but de protéger ceux qui se trouvent en haut de l’échelle des revenus, aux dépens des autres – les jeunes, les femmes, les immigrés et les chômeurs » (p. 18). « Le but principal de la politique sociale française (et italienne, et allemande) consiste à garantir les statuts et à protéger les droits acquis de ceux qui sont nés avant 1950 » (p. 51-52).
58Et l’auteur de fonder sa démonstration sur une série d’exemples dont je ne retiendrai ici que ceux des retraites et de la fiscalité. « Les 30% de la population affiliés au secteur public et aux régimes spéciaux (RATP, SNCF, etc.) consomment environ 60% du total des frais annuels de retraite. Les 70% restants de la population à la retraite, ne représentent que 40% des dépenses de retraite, mais ils subventionnent les insolvables fonds spéciaux depuis des décennies » (p. 53). D’ailleurs, « entre 1945 et 1995, l’expansion du système de sécurité sociale français a été deux fois et demie plus rapide que celle de la richesse nationale » (p. 98). « Dès le milieu des années soixante-dix, et tout au long des années quatre-vingt, plusieurs caisses de retraite, insolvables, ont dû être renflouées à intervalles réguliers par la fiscalité dégressive. En 1974, le gouvernement français a mis en place un fonds de compensation pour couvrir les déficits de divers régimes de retraite spéciaux. Au milieu des années quatre-vingt, ce fonds prélevait chaque année entre 30 et 35 milliards de francs dans le régime de retraite général du secteur privé. La majorité (les affiliés du régime général), qui payait des cotisations de retraite généralement deux fois supérieures à celles de la minorité (les affiliés des régimes spéciaux), finançait donc une minorité de privilégiés par le biais de transferts et de prélèvements fiscaux » (p. 240).
59C’est bien l’organisation même des cotisations sociales qui est à la source des problèmes : «70% des dépenses sociales sont consacrées aux plus de 59 ans, à la moitié supérieure de la société » (p. 126). « À la fin des années quatre-vingt-dix, les retraites accaparaient 56% des dépenses sociales françaises, alors que le total des indemnités chômage, des programmes de réinsertion et d’aide à l’emploi ne s’élevait qu’à un peu plus de 10%. La crise fiscale de l’État providence est en fait la crise de l’État des retraités » (p. 243). L’État providence français est captif des classes aisées et âgées et les nécessaires ajustements sont supportés essentiellement par les chômeurs : jeunes, femmes, travailleurs en fin de carrière (p. 131).
60La France est devenue un État providence dont les gagnants empochent toute la mise : « en 1990, presque un million de travailleurs de cinquante ans avaient obtenu une retraite à taux plein, tandis que plus d’un million de travailleurs de vingt à trente ans étaient au chômage. Les prélèvements élevés associés à ce type de dépenses ont paralysé l’économie; les coûteux plans de départs en préretraite ont été payés au prix fort : un chômage des jeunes excessivement élevé » (p. 174). Entre 1975 et 1995, les dépenses sociales ont augmenté de huit points de PIB, en même temps que le chômage doublait (p. 180).
61Après ce diagnostic dramatique, l’auteur ouvre un chapitre passionnant sur « la persistance des inégalités » (ch. 5, p. 200). La politique sociale française est peu redistributive; elle n’est pas financée par un impôt progressif sur le revenu – la fiscalité française est « la plus dégressive de l’ensemble des pays européens » (p. 203) –, mais par des cotisations salariales dégressives, des taxes dégressives et un petit impôt, la CSG (p. 201). Cette taxe décourage la création d’emplois, alors que l’impôt sur le revenu représente moins de 15% des revenus de l’État français, proportion de loin la plus basse du monde occidental, le tiers de celle de la plupart des pays anglo-saxons (p. 202-203).
62Puisque le système de retraite français n’a souvent aucun rapport avec les cotisations versées, il faut pour le justifier invoquer une question plus vaste, celle de la « solidarité entre les générations », et même d’« un contrat entre les générations », pour reprendre les termes du gouvernement Jospin. Or, ce contrat est « un “ contrat ” rédigé par les vainqueurs » : les cotisants nets sont les jeunes; les bénéficiaires nets, les retraités; la réforme de 2003 ne demande en effet aucun sacrifice aux retraités actuels (p. 247). D’où ce commentaire cinglant : « L’idéologie de la solidarité est un ciment très puissant; comme l’idéologie américaine du chacun pour soi, elle aide à canaliser le mécontentement en l’éloignant des vrais coupables » (p. 188). « En effet, au cours des années quatre-vingt, la France n’est pas devenue une société socialiste mais une société de rentiers. On a assisté à un transfert massif de richesse des jeunes vers les vieux, au moment même où les jeunes gagnaient moins et payaient plus d’impôts » (p. 254). « La jeunesse sert de pion au mécanisme politique; elle est prisonnière de la solidarité » (p. 323).
63C’est donc un ouvrage décapant, percutant que propose Timothy B. Smith. L’écriture est dynamique, d’une extrême clarté. Elle nomme, décortique et analyse de manière convaincante le profond malaise relatif au blocage de l’État providence français. Certes, le pays connaît son lot de « déclinologues ». Il me semble toutefois que l’analyse de Smith échappe à cette catégorie d’œuvres en ce qu’elle est le produit d’un regard extérieur, fondée sur une documentation largement extérieure aux réseaux français, sans pour autant négliger la production nationale, échappant ainsi aux polémiques propres à l’espace national. Cette analyse contribue en outre au débat international sur l’État providence, à partir d’un point de vue ancré dans l’analyse des modèles d’État providence à laquelle elle apporte une contribution remarquable.
64Par Frédéric LESEMANN Institut national de la recherche scientifique (INRS), Montréal
Notes
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[1]
FOUCAULT M., 1972, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 624 p.
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[1]
La Fondation Eisai, créée par le laboratoire éponyme, centre son action sur les besoins de prise en charge sociale des personnes âgées et les problèmes éthiques et culturels posés par le vieillissement de la population.
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[2]
Le premier livre, de Godelier M., Jullien F. et Maïla J., s’intitule Le grand âge de la vie, Puf, Paris, 2005,176 p., cf. Retraite et Société, n° 48, Cnav, p.269,2006.
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[3]
La résilience est la reprise d’un type de développement après une « déchirure traumatique ».
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[4]
Les quatre contributions qui sont ici résumées sont complétées par une série de brefs commentaires regroupés à la fin du livre dans une rubrique « Aperçus ». Ils sont signés par Marie de Hennezel, François Jullien, Serge Koster, Joseph Maïla, Serge Marti et Bernard Vergely.